M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Sébastien Meurant applaudit également.)

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis pour la nouvelle lecture du projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire.

À l’Assemblée nationale, cette nouvelle lecture a été très mouvementée ; elle faisait suite à une première lecture au Sénat, au cours de laquelle nous avions fait part de nos désaccords, mais qui s’était somme toute révélée plus calme. (M. le rapporteur opine.)

Pourtant, monsieur le secrétaire d’État, derrière ce calme apparent, nous vous annoncions la tempête en soulignant votre manque de concertation. Ces propos ne s’adressent pas à vous personnellement : nous avons eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises et certains de vos collègues devraient s’inspirer de votre capacité d’écoute !

Cette situation de crise aurait mérité que le Gouvernement rassemblât autour de lui les différents groupes politiques, au lieu d’opter pour un simulacre consistant à faire venir leurs présidents pour ne rien leur dire.

Comme je le disais à votre collègue Mme Bourguignon il y a une semaine, pour être unis, il faut la volonté des deux parties.

Nous vous annoncions la tempête en vous parlant des commerçants, seuls Français à qui l’on interdit de travailler. Tout le monde peut aller à l’école, au travail, dans le métro, mais pas chez le coiffeur, même pas chez le libraire.

Nous vous annoncions la tempête en vous signalant que vous n’aviez sans doute pas mesuré l’impact de vos décisions sur les Français, que vous n’aviez pas bien estimé la soutenabilité d’un nouveau confinement au regard de l’économie.

Oui, le virus circule. Oui, il faut être prudent et veiller à respecter les gestes barrières. Mais il ne peut y avoir deux poids, deux mesures ; il ne peut y avoir des Français qui ont le droit de gagner leur vie et d’autres à qui l’on interdit d’exercer leur travail. (M. Philippe Bonnecarrère applaudit.)

Combien d’intérimaires vont être renvoyés chez eux sans rien ? Combien de petites entreprises n’auront plus que des prêts à rembourser sans disposer de la moindre visibilité quant au retour de leur chiffre d’affaires ?

Au-delà des commerçants, que vous entendez aider, je pense à tous les métiers de l’événementiel, du serveur au loueur de tentes, en passant par les artistes. Combien se retrouvent dans un marasme tel que le dépôt de bilan risque d’être leur seule issue ?

Bien sûr, le virus circule et, dans notre pays, le nombre de places en réanimation est si faible qu’il est difficile d’y faire face.

Il est vrai – je l’ai déjà dit – que l’on ne forme pas une infirmière en deux mois et que vous n’êtes pas responsable de tout ce qui se passe à l’hôpital. Mais avouez que, si vous aviez trouvé l’« argent magique » plus tôt, si vous l’aviez consacré au système de soins dès 2017, nous n’en serions pas à déprogrammer des opérations, donc à faire courir des risques à nombre de personnes, quand bien même elles n’ont pas la covid.

À ce sujet, j’évoquerai de nouveau le centre 15 d’Auxerre, qu’un délégué de l’agence régionale de santé (ARS), prompt à donner des leçons à des maires qu’il a qualifiés d’« irresponsables », veut à tout prix fermer pour renforcer un échelon régional par trop lointain.

Mettre en péril la santé de tout un département en fragilisant ses urgences, n’est-ce pas « irresponsable » ?

J’ai bien entendu notre ministre de la santé piquer une grosse colère à l’Assemblée nationale et citer une série d’exemples pour provoquer l’émotion. Il a raison : toute vie mérite d’être vécue et doit être sauvée quoi qu’il en coûte. Mais on ne dirige pas à coups d’émotions.

M. Philippe Bas, rapporteur. Oui !

Mme Dominique Vérien. Visiter un hôpital, c’est forcément rencontrer des cas qui provoquent l’émotion – et il ne s’agit pas uniquement des malades de la covid. Mais où est l’émotion lorsqu’on vous parle de la dépression des Français et de la faillite de leurs entreprises ? La pauvreté n’aura-t-elle pas un impact sur les familles, sur les enfants ? Cette fois-ci, c’est bien à vous que je pose la question !

La culpabilisation des sénateurs, qui, au motif qu’ils demandent à exercer pleinement leur mission constitutionnelle de contrôle de l’action du Gouvernement, n’auraient pas conscience de la gravité de la situation, n’est pas acceptable.

Mme Dominique Vérien. Non, le Sénat ne se livre pas à de quelconques « manœuvres politiciennes » sur ce texte, comme ont pu le dire certains députés de la majorité. Il exerce sa mission.

Quand on voit la qualité du travail de notre rapporteur, notamment son examen rigoureux des demandes d’habilitation à légiférer par voie d’ordonnance ; quand on voit, parallèlement, la facilité avec laquelle les députés renoncent à leur mission de législateur, on ne peut pas porter de telles accusations. (M. Philippe Bonnecarrère et Mme Sophie Primas applaudissent.)

Certes, vous avez à résoudre la quadrature du cercle…

M. Philippe Bas, rapporteur. Eh oui !

Mme Dominique Vérien. Votre rôle n’est pas simple. Il l’est d’autant moins que vous vous entêtez à agir seuls et, surtout, à ne rien retenir de ce que l’on peut vous proposer.

M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien !

Mme Dominique Vérien. Nous vous demandons de rouvrir les librairies et vous interdisez les ventes de livres autrement que par internet.

Nous vous demandons de laisser les préfets juges de ce que l’on peut faire en fonction des situations sanitaires inégales que connaît notre territoire et vous nous répondez : « On ne revient pas sur la parole du Président de la République ! »

Nous vous demandons d’associer le Parlement aux décisions et vous nous répondez : « Ordonnances ! »

Nous allons malheureusement – je n’en doute pas – conclure une fois de plus nos débats sur un désaccord, mais ne vous y trompez pas : lorsque le Parlement gronde, c’est la France, que nous représentons, qui gronde ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)

M. Philippe Bas, rapporteur. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à m’associer, au nom de mon groupe, à la mise au point faite à la reprise de la séance par M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Les propos tenus à l’égard du Sénat, des sénateurs et de certains députés ne sont pas acceptables. J’ajoute qu’il s’agit d’une faute : déclarer qu’en exprimant son désaccord avec certaines propositions du Gouvernement l’on fait preuve d’irresponsabilité, en exposant à la maladie ou à la mort certains de nos concitoyens, c’est proférer une accusation indigne.

Nous tous ici comptons des malades parmi nos parents et nos amis ; certains d’entre eux sont morts. Nous avons également des électeurs et nous mesurons tous la gravité de la situation. Mais, lorsque le Parlement s’exprime, c’est une faute d’ignorer son avis, car il exerce tout simplement sa mission de contrôle du Gouvernement.

Le plus inquiétant dans cette étape, dont nous vivons ce soir le dernier épisode, c’est la manière dont le Gouvernement conçoit la démocratie. Nous l’avons constaté une nouvelle fois en commission mixte paritaire : à vos yeux, formuler des propositions, exprimer des nuances, des différences ou des désaccords reviendrait à priver le Gouvernement de toute possibilité d’action face à cette crise. Or c’est inexact !

M. le rapporteur l’a rappelé à l’instant : jamais le Parlement n’a hésité à donner tous les pouvoirs nécessaires au Gouvernement pour lutter contre l’épidémie. D’ailleurs – peut-être ne l’avez-vous pas noté –, c’est la première fois depuis 2015 que les deux assemblées échouent à trouver un accord pour prononcer l’état d’urgence et définir ses modalités.

Ce n’est pas faire injure au Gouvernement que de dire qu’il est en grande difficulté dans ses relations avec nos concitoyens ; que la politique appliquée aujourd’hui pour lutter contre l’épidémie n’est pas comprise, qu’elle n’est donc pas acceptée et qu’elle n’est pas suffisamment appliquée.

Cette assemblée réunit les représentants des collectivités territoriales. Leur rôle est, précisément, de vous inviter à lever de telles difficultés. Ainsi, la question des petits commerces est vite remontée : M. le rapporteur a proposé de donner aux préfets – quelle audace ! –…

M. Philippe Bas, rapporteur. Je suis connu pour ça… (Sourires.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. … le pouvoir de décider quels commerces pourraient éventuellement rester ouverts. Même cette proposition a été considérée comme attentatoire !

Lorsque le nouveau Premier ministre a été nommé, nous avons pensé que les élus locaux et les territoires seraient mieux pris en compte. Lui-même a insisté sur le couple préfet-maire ; mais, à l’évidence, ce couple ne s’est jamais formé, ou alors dans une discrétion telle que le Gouvernement n’en a pas eu connaissance. On l’a constaté une première fois, lorsque Marseille a fait l’objet de mesures spécifiques, puis une deuxième et une troisième fois. Désormais, cette méthode apparaît comme une position de principe.

Comme à tous les membres de mon groupe, votre conception de la démocratie m’inspire de l’inquiétude. Nous n’avons pas refusé le principe de l’état d’urgence. Lorsque vous nous avez proposé la prorogation, puis la sortie progressive de l’état d’urgence, nous ne les avons pas refusées non plus.

Ce que nous refusons, ce sont six mois de pouvoirs exceptionnels,…

M. Philippe Bas, rapporteur. Exactement !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. … sans jamais le moindre contrôle de la part du Parlement ; dans le domaine épidémique, une telle situation serait totalement inédite.

La semaine dernière, en première lecture, les élus de notre groupe se sont abstenus. Ils s’abstiendront également aujourd’hui. Certes, au regard de nos préoccupations, de très grands progrès ont été accomplis grâce au Sénat. Mais, à nos yeux, il manque un pan entier à votre texte, à savoir la prise en compte des questions sociales. (M. Jean-Pierre Sueur opine.)

Nous avons tenté de vous faire entendre nos demandes, qu’il s’agisse du revenu de solidarité active (RSA) pour les jeunes, des difficultés des salariés dont les entreprises doivent fermer ou encore de la trêve hivernale. En vain.

J’y insiste : face à la crise sociale, qui s’aggrave et qui va exploser dans les semaines ou les mois qui viennent, nous vous avons proposé des solutions.

Vous l’avez compris, les membres de notre groupe sont inquiets. Ils sont en désaccord avec la méthode que vous avez retenue. Ils ne font pas leur la rédaction à laquelle ce texte aboutit, mais, en tout cas, ils approuvent son ambition : le Parlement est là pour contrôler le Gouvernement et le Sénat doit impérativement y participer ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Muriel Jourda applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis de nombreux mois maintenant nous sommes confrontés à un ennemi redoutable qui plonge notre pays dans une situation inédite et dramatique.

Des dizaines de milliers de nos concitoyens ont été touchés par la covid ou le sont encore ; 38 000 d’entre eux sont morts et le nombre des décès continue de progresser, rappelant tristement les chiffres d’avril dernier.

Depuis que le Sénat a examiné ce projet de loi en première lecture, la dégradation de la situation a conduit le Gouvernement, le 24 octobre dernier, à élargir à la moitié du pays le couvre-feu déjà en vigueur dans certaines métropoles. Puis, le 28 octobre, le Président de la République a pris la mesure que la circulation active du virus imposait, à savoir un nouveau confinement.

Personne ne le conteste ici : tout doit être mis en œuvre dans les prochains mois pour améliorer rapidement la situation sanitaire, limiter le nombre de décès et sortir au plus vite du confinement.

Nous sommes tous conscients qu’il faut donner à l’exécutif les marges de manœuvre dont il a besoin pour agir dans cette situation critique. Pour autant, ces réponses ne doivent pas avoir pour postulat l’affaiblissement du Parlement.

Pour permettre au Gouvernement de déroger aux règles de droit commun, le vote d’une loi est essentiel. À cet égard, l’exécutif doit satisfaire un certain nombre de demandes : il importe que le Gouvernement procède régulièrement à une évaluation de la situation, à la lumière de laquelle le Parlement décidera de prolonger ou non les pouvoirs exceptionnels.

Monsieur le secrétaire d’État, contrairement à ce que vous affirmez, nous sommes non pas pour une sortie prématurée de l’état d’urgence, mais plutôt pour des points d’étape et de contrôle avant sa reconduction éventuelle.

À mon sens, l’instauration d’un régime d’exception qui contraint les libertés de nos concitoyens exige un débat démocratique régulier. Il s’agit là d’un gage d’acceptation des mesures envisagées. En contournant le débat, on ne fera que renforcer la défiance des Français. Le succès de ces mesures dépend de la participation active et de l’adhésion de tous. Il faut le rappeler.

Par ailleurs, je me félicite tout particulièrement que le Sénat ait adopté, à l’unanimité, un amendement présenté par M. le rapporteur : il s’agit de permettre au préfet d’autoriser, à titre dérogatoire et lorsque les conditions sanitaires sont réunies, l’ouverture de commerces de vente au détail. Autrement dit – c’est, à mes yeux, l’aspect le plus important de ces dispositions –, les préfets, en lien avec les maires et les élus locaux, pourraient prendre en compte les spécificités de nos territoires.

Monsieur le secrétaire d’État, pour que nous puissions affronter cette situation, le Parlement doit être pleinement associé aux décisions gouvernementales. Vous devez vous appuyer, autant que possible, sur le débat parlementaire et sur la représentation nationale : vous n’en serez que renforcés !

Dans ces temps difficiles, une concertation étroite avec les collectivités territoriales et les corps intermédiaires serait de nature à conforter la légitimité des politiques publiques et, partant, de l’exécutif. Nos institutions ne doivent pas fonctionner en mode dégradé.

De plus, adapter les politiques publiques aux réalités territoriales permettrait de rassurer les Français en ces temps de défiance.

Mes chers collègues, les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires sont soucieux de concilier la nécessité de faire face à la pandémie qui nous frappe et le respect des institutions, notamment les assemblées. En conséquence, nous suivrons les avis de la commission des lois, qui garantissent la consultation régulière du Parlement ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’en venir au thème principal de mon intervention, je rappellerai comment, il y a deux jours, à l’Assemblée nationale, M. le ministre des solidarités et de la santé a défendu les mesures du Gouvernement. Il a évoqué les soignants du service de réanimation qu’il avait visité l’après-midi même. Pour lui, c’est le travail qui serait leur quotidien : comme si nous, parlementaires irresponsables, passions notre temps à chercher des noises au Gouvernement, tandis que les soignants se battent pour sauver des vies !

Monsieur le secrétaire d’État, nous nous inclinons toutes et tous devant le travail de nos soignants et nous savons tout ce que nous leur devons. Mais sachez aussi qu’il y a ici des parlementaires, des collaborateurs, des fonctionnaires et, autour de nous, des membres de nos familles atteints de la covid-19. Sachez que certains d’entre nous sont passés à deux doigts du pire.

Votre tâche est certes difficile, mais la maladie que nous avons vécue dans notre chair nous autorise, me semble-t-il, à ne pas tout accepter d’un gouvernement pratiquant une verticalité de plus en plus pesante.

Vous nous proposez de vous dispenser du débat parlementaire jusqu’en février 2021. On ne décrète pas l’union nationale de manière autoritaire, en réduisant le Parlement au silence. Sur le sujet si grave de la pandémie, l’unique recours aux ordonnances, pendant un temps si long, est inacceptable !

Nos institutions démocratiques sont déjà éprouvées par la multiplication des états d’urgence. Le risque d’accoutumance aux régimes exceptionnels est bien réel. Il a déjà été dénoncé, tant par la nouvelle Défenseure des droits, Claire Hédon, que par le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, Jean-Marie Burguburu.

Le décret du 29 octobre 2020 dresse une liste des commerces autorisés à ouvrir. À l’instar des librairies, nombre de commerces de proximité s’en trouvent exclus.

Déjà fragilisés par le premier confinement, nos petits commerces subissent la concurrence déloyale de la vente en ligne. Leur ouverture pourrait cependant être assurée, comme en Belgique, dans le strict respect des protocoles sanitaires et sous le contrôle du préfet et des maires.

Les incohérences récurrentes qui frappent les décisions du Gouvernement ont même eu pour effet de provoquer la colère d’élus locaux de tous bords ; certains d’entre eux ont ainsi pris des arrêtés illégaux pour les contrer.

J’ajoute que votre soutien reste gravement lacunaire pour toute une frange de la population tombée dans la grande précarité, notamment nos jeunes. Pourquoi ne pas élargir les conditions d’octroi du RSA aux personnes sans ressources âgées de 18 à 25 ans ? Face à l’urgence de la situation, cette proposition devrait déjà être à l’étude.

Depuis le début de l’épidémie, députés et sénateurs sont pleinement mobilisés et demandent une gestion collégiale de la crise. Puisque vous restez sourds à cette requête, les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires voteront contre ce projet de loi ! (Mme Éliane Assassi applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je pourrais décliner, comme en première lecture, le triste état des lieux de la situation sanitaire, partagé par nos voisins européens, ou amorcer une approche comparative sur les moyens de droit pris pour y répondre. Les dernières données sur la situation sanitaire en France semblent, ce soir, parler d’elles-mêmes.

Ces chiffres sont inquiétants, car nous savons qu’ils ne pourront s’améliorer à très court terme. Ils sont préoccupants, aussi, car en découlent des enjeux éthiques d’une importance cardinale. Je pense aux choix que seraient amenés à faire les soignants dans le cas où ils ne seraient pas en mesure d’apporter des soins à chacun, ou encore aux patients souffrant d’autres pathologies graves.

Je sais qu’en posant ce constat difficile, mes chers collègues, je n’ai en tant que législateur pas tout dit.

Je sais également que, tous sur ces travées, nous avons conscience de la situation. Il ne s’agit pas d’opposer la responsabilité des uns à une quelconque irresponsabilité des autres. Mais il me semblait important, pour ouvrir mon propos, de rappeler d’où nous parlons ce soir. Aucune décision n’est prise de gaieté de cœur, avec arrière-pensée ou sans une responsabilité bien pesée.

M. Philippe Bas, rapporteur. Évidemment !

Mme Nadège Havet. Je salue d’ailleurs le choix fait par notre rapporteur de consentir à la prorogation de l’état d’urgence sanitaire.

Sur ce point, et à rebours de l’opposition manifeste qui peut ressortir du rapport, les positions n’apparaissaient pas, sur le fond, irréconciliables au commencement. Une durée de deux semaines sépare les échéances adoptées par les deux chambres.

De même, prolonger le régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er avril 2021 ne revient pas, à notre sens, à donner un blanc-seing au Gouvernement pour cinq mois ni à nous dessaisir de nos pouvoirs.

D’une part, une autre échéance, celle de l’état d’urgence sanitaire lui-même, interviendra entre-temps, et le Parlement pourra alors, seul, autoriser la prolongation de ce régime.

D’autre part, le régime transitoire précité confère au Gouvernement des outils – une faculté – qu’il pourrait mettre en œuvre si, et seulement si la situation l’exigeait, ce sous le contrôle du juge, qui peut statuer en référé, mais aussi sous le contrôle renforcé du Parlement.

La prolongation de l’autorisation de mise en œuvre des systèmes d’information de santé jusqu’au 1er avril 2021, en ce qu’elle assoit la stratégie « tester, tracer, isoler », nous semblait également importante, et nullement incompatible avec la position que notre assemblée avait pu adopter au mois de mai sur un précédent texte d’urgence, lorsqu’elle avait consenti, avec l’Assemblée nationale, à fixer le terme de l’utilisation de ces systèmes à six mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, tel que déclaré en mars.

Enfin, nous nous accordons sur ces travées sur la nécessité de prolonger ou de réactiver un certain nombre de mesures d’urgence économique et sociale. Je pense, notamment, au dispositif d’activité partielle ou au fonds de solidarité.

Notre divergence réside donc dans la méthode : il n’est pas aisé de concéder des habilitations, mais les habilitations prévues par le Gouvernement visaient, pour la totalité d’entre elles ou presque, des dispositions déjà prises sur le fondement de précédents textes.

Ces mesures ont une ambition cardinale : protéger les plus fragiles dans la période que nous vivons. Le défi est similaire à la situation des commerces non alimentaires de proximité.

Depuis l’examen du texte en première lecture, des mesures indispensables ont été annoncées pour répondre aux difficultés. Il ne s’agit en aucun cas d’opposer ce qui participerait de l’essence de notre action à ce qui n’en constituerait qu’un agrément ni, plus généralement, d’opposer la protection de la vie à l’économie. Il s’agit de faire tenir ces impératifs ensemble, et le texte proposé par le Gouvernement nous paraissait de nature à le faire.

Pour toutes ces raisons, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants s’abstiendra ce soir.

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré la mise en œuvre de mesures contraignantes, la situation n’a cessé de se dégrader, avec une hausse plus qu’alarmante du nombre quotidien de décès. Parallèlement, le nombre de contaminations continue d’augmenter, tout comme celui du nombre d’admissions de malades à l’hôpital et dans les services de réanimation.

Devant ce constat, la représentation nationale doit tenir son rôle : celui de se montrer responsable face à l’épidémie et d’agir pour la maîtriser. Aussi, le groupe du RDSE et moi-même ne discutons pas l’importance qu’il y a à proroger l’état d’urgence sanitaire – nous l’avons déjà exprimé. Si nous sommes généralement opposés à être dépossédés de notre mission, aujourd’hui la raison et l’urgence de la situation l’emportent sur les principes.

Toutefois, nous regrettons que nos collègues députés n’aient pas retenu les initiatives mesurées du Sénat en faveur du maintien d’un contrôle parlementaire tout au long de l’état d’urgence sanitaire. Nous avons des comptes à rendre, nous aussi, à nos concitoyens et je ne trouve pas exagérément illégitime, monsieur le secrétaire d’État, que l’on souhaite vous voir revenir devant le Parlement pour prendre vos décisions.

Naturellement, nous avons conscience de la difficulté et de l’ampleur de la tâche. C’était encore plus vrai au mois de mars dernier… À ce propos, quelles leçons avons-nous tirées depuis lors ?

Aujourd’hui, à peine la règle pensée, chacun lui cherche des exceptions et des dérogations. Les débats se multiplient et diffusent le doute et l’inquiétude, tant parmi les élus que parmi nos concitoyens. Il faut rechercher la cohérence, il faut clarifier les dispositifs et ne pas laisser la moindre place au flottement et à l’indécision, qui alimentent un sentiment d’arbitraire et d’illégitimité de la décision.

Ces remarques très générales valent aussi bien pour l’ouverture des commerces que pour la gestion des écoles ou l’organisation des élections.

Cela a été dit, le Sénat avait unanimement voté en faveur de la possibilité d’adaptations locales par le préfet afin d’autoriser l’ouverture des commerces de vente au détail. Nous avions entendu et relayé la détresse des maires, qui n’étaient pas, contrairement à ce qui a été déclaré, irresponsables. Ils étaient seulement inquiets, face aux situations dramatiques émaillant les territoires.

L’Assemblée nationale n’a pas souhaité s’accorder avec cette disposition. Nous le regrettons. Nous espérons que les principes et les règles s’appliqueront de manière pérenne et ne créeront pas d’iniquité et de concurrence déloyale.

Les enjeux sont les mêmes s’agissant des élections locales à venir. Faudra-t-il les repousser, et à quelle date ? Si cette solution devait être envisagée, le report permanent ne pourrait être la seule réponse. Là aussi, il ne faudra pas se borner à repousser le problème, sans mettre à profit les prochains mois pour imaginer des outils de substitution conformes à nos règles démocratiques.

Enfin, je voudrais terminer par un point, certainement le plus important. Partout dans notre pays, la misère sociale augmente de façon préoccupante, mettant un trop grand nombre de nos concitoyens dans une précarité financière et humaine. La pauvreté s’accentue, nourrie par les défaillances en cascade d’entreprises et touchant en premier lieu les plus vulnérables d’entre nous. Elle frappe encore plus ceux qui étaient déjà trop souvent laissés en marge de notre société, ceux qui souffrent plus que d’autres de l’isolement ou de la précarité de l’emploi.

Sans minimiser tous les dispositifs déjà mis en place pour le soutien à l’économie de notre pays, il est urgent que le Gouvernement apporte aussi des réponses et des solutions concrètes pour qu’aucun de nos concitoyens ne soit laissé sur le bord du chemin.

Pour conclure, le groupe du RDSE est pleinement satisfait que notre assemblée ait fait le choix de réexaminer le texte – une fois n’est pas coutume ! Nous nous associerons par un vote favorable à cette nouvelle lecture, qui nous semble apporter des garanties sur le rôle essentiel du Parlement dans la gestion de cette crise. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)