M. Philippe Dallier. Rendez-nous Hollande !

M. Victorin Lurel. Vous décidez, en revanche, une quasi-suppression des impôts de production. Cette suppression, le Medef la voulait, le Medef l’obtient et, ce matin même, Bruxelles la critique.

La soutenabilité financière des collectivités est donc de nouveau menacée ; leur autonomie fiscale est une fois encore mise à mal.

Bien que la dureté de la réalité sociale vous rattrape, vous restez figés et arc-boutés. Votre surmoi libéral est plus fort que la réalité des faits.

Les faits, c’est une augmentation de 9 % du nombre de bénéficiaires du RSA prévue l’an prochain ; les faits, c’est, sur le terrain, des associations de lutte contre la précarité en plein désarroi depuis la fin des contrats aidés ; les faits, c’est un marché du travail tellement précarisé depuis trois ans qu’il insécurise même ceux qui garderont leur emploi ; les faits, c’est l’hubris spéculative et prédatrice des sociétés d’investissement, qui échappent toujours à toute réglementation.

Non, vous ne partez pas de nulle part ; depuis 2017, votre politique est mue par l’idée selon laquelle les inégalités créent la croissance et les vices privés font la vertu publique, raison pour laquelle vous avez continuellement abaissé la fiscalité sur les plus riches ; raison pour laquelle vous avez continuellement privilégié les libertés économiques des plus forts aux solidarités sociales pourtant nécessaires.

Ce PLF continue ainsi d’être adossé à cette idée fixiste que seul le salut individuel peut sauver la France et les Français.

Regardez la partie relative aux dépenses : sur les 36 milliards d’euros inscrits en autorisations d’engagement au titre de la mission « Plan de relance », seuls 200 millions iront en direction des Français les plus modestes. Et ce ne sont pas les 700 millions d’euros annoncés au forceps et in extremis fin octobre qui changeront la donne. C’est purement indigent !

Nous sommes des parlementaires responsables. Nous sommes même des parlementaires inventifs et combatifs, qui persistons à vous démontrer que d’autres voies sont encore possibles.

Parce que cette crise touche d’abord les plus précaires, nous vous proposerons, au cours des débats, une véritable boîte à outils, exposée plus tôt par notre collègue Rémi Féraud.

Parce que nous croyons encore à la belle phrase dite par Lacordaire en 1844 : « Entre le faible et le fort, entre le pauvre et le riche, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit. »

Nous le voyons, votre utopie libérale et individualiste s’est muée en dystopie sociale. Quel sera donc votre legs ?

Derrière ces milliards, fictifs ou tangibles, la question qui nous obsédera dès l’an prochain et pour cinquante ans encore est celle-ci : qui paiera en dernier ressort l’explosion de la dette ainsi créée ?

Nous vivons un impensé de la dette et restons dans l’orthodoxie la plus indigente. On prend avec condescendance l’idée de dettes perpétuelles ou de très long terme, ou celle d’une possible suppression des dettes souveraines. Le dogme de l’orthodoxie monétaire et bancaire étouffe et aveugle.

Vous évitez ainsi d’ouvrir tout débat relatif à un possible effacement partiel de la dette pour préserver, dites-vous, la crédibilité de la signature française. Cette inclination persistante est, je vous le dis, proprement irréaliste et idéologique.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, à l’aube de ce débat, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne désespère pas de corriger les biais inégalitaires, darwiniens et kafkaïens de ce PLF. Bon travail à tous ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Bascher. Monsieur le ministre, ce jeudi, c’est le jour du beaujolais nouveau, et pour fêter cela, tous vos indicateurs sont au rouge,… (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Salmon. Au gros rouge, alors !

M. Jérôme Bascher. … sur la forme comme sur le fond, sur le conjoncturel comme sur le structurel, sur l’économique comme sur le social, pour aujourd’hui et pour demain !

Je ferai quelques remarques de forme.

Première remarque, j’ai repris ma bible, la LOLF, qui précise dans son article 7, au sein du chapitre II du titre II, qu’« un programme regroupe les crédits destinés à mettre en œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions relevant d’un même ministère ». Force est de constater que votre mission « Plan de relance » et ses programmes ne répondent pas à cette exigence de la LOLF !

Le rapporteur général l’a évoqué, et il en fera la démonstration lors de l’examen de la mission, dans la mesure où les programmes de cette mission contiennent des crédits de rattrapage pour tous les ministères, j’estime, peut-être à tort, peut-être est-ce une mauvaise lecture de cette loi que je connais bien pour l’avoir mise en place, que cette mission n’est pas « lolfique ».

Deuxième remarque, on peut lire à l’article 32, au sein du chapitre Ier du titre III : « Les lois de finances présentent de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’État. Leur sincérité s’apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler. » Or, le rapporteur général et d’autres collègues, notamment Christine Lavarde, l’ont rappelé, ce budget n’est pas fondé sur des hypothèses macroéconomiques qui vont bien, excusez-moi du peu ! Comment pourrions-nous nous prononcer sur une baisse de 8,6 milliards des impôts de production alors que les hypothèses de croissance sont absolument inconnues ? C’est pour moi une difficulté majeure.

Sur le fond, vous faites bien de réviser votre prévision de croissance. Je la trouve en effet encore très optimiste, avec les 6 % annoncés dorénavant. La situation du commerce extérieur ne va pas aller en s’améliorant, monsieur le ministre, car nos activités exportatrices sont au plus mal, qu’il s’agisse des produits agricoles – nous ne sommes quasiment plus en excédent – ou des avions, dont les ventes ne vont pas repartir à la hausse. Or c’était l’essentiel de nos exportations.

Certes, nos exportations d’armes augmentent, mais est-ce une bonne nouvelle ? Que je sache, le bruit du canon n’a jamais annoncé une amélioration de la croissance pour tous…

Alors, il y a l’investissement, mais vous le savez comme moi, monsieur le ministre, toutes les entreprises aujourd’hui bloquent leurs investissements. Les collectivités, qui ont des ressources en moins, ont elles aussi arrêté d’investir. Tout cela constitue un risque majeur. La consommation repartira, mais uniquement si vous rouvrez les commerces !

Votre plan de relance s’élève, ce qui n’est pas rien, à 36 milliards d’euros. Seules deux missions disposent à ce jour de davantage de moyens, mais avec de vrais crédits de dépense, elles ! Je ne parle pas des dégrèvements chers à Pascal Savoldelli, mais je parle de vraies dépenses. Ces crédits sont totalement à votre main, ce qui me paraît quelque peu bizarre.

Avec ces 36 milliards d’euros supplémentaires, les dépenses publiques représentent dorénavant 66 % du PIB. J’ai fait une plaisanterie en commission des finances, monsieur le ministre : à 66 % du PIB de dépenses publiques, on est dans un pays communiste !

Ce mot d’humour, mais qui ne me fait par rire, prouve que ce pays n’a pas réussi à réduire sa dépense publique auparavant, et que la politique des stabilisateurs automatiques n’est pas la bonne.

J’en veux pour preuve votre trajectoire de réduction des emplois publics. Vous aviez annoncé une baisse de 50 000, puis de 10 000 emplois. Finalement, ce sont vos chiffres, vous en êtes à 1 930 emplois de moins sur quatre ans. Vous êtes dans l’épaisseur du trait, pas dans la réforme structurelle !

Je ne critique pas les lois de finances rectificatives : nous les avons votées pour vous aider, monsieur le ministre, pour aider le Gouvernement et pour aider la France.

En revanche, je n’estime pas que le « quoi qu’il en coûte » et la valse des milliards, qui constituent dorénavant l’unité de compte du budget, soient de bons indicateurs pour les réformes à venir.

La dette, je l’ai entendu, sera remboursée par la croissance. Quel changement de paradigme, monsieur le ministre ! Le « nouveau monde » s’est transformé en destruction de la confiance ! On est passé d’un quinquennat de la croissance potentielle à celui de la décroissance réelle !

La faute à la covid-19, me répondrez-vous ? Non, docteur, dites trente-trois ! Trente-trois, c’est la somme de 11 % de chômage, de 11 % de déficit et de 11 % de récession !

Car, monsieur le ministre, la covid n’est pas seule en cause, vos absences de réformes structurelles sont aussi responsables de cet état de fait. Il fallait préparer une meilleure croissance potentielle. Dois-je rappeler que la croissance potentielle quand nous sortirons de la crise sera inférieure à celle de 2017 ?

Il fallait évidemment innover. Certes, vous avez déposé le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur, sous l’impulsion du Sénat, qui avait demandé que l’on ramène à sept ans cette loi de programmation de la recherche. Ces crédits arriveront après 2022.

Vous n’avez rien fait pour la croissance potentielle en termes de politique familiale. Le rapporteur général avancera des propositions en ce sens. Vous n’avez rien fait non plus pour relocaliser nos entreprises. Ce sont les angles morts de votre politique. Rien en matière de politique industrielle ! Rien en matière de politique de natalité !

Le Président de la République avait clairement oublié les collectivités locales. Elles ont fait la preuve qu’elles étaient utiles lors du déconfinement. Un de vos prédécesseurs avait lancé le hashtag #BalanceTonMaire. Je ne lancerai pas, avec Pascal Savoldelli, #BalanceLeMaire, mais je lancerai plutôt, avec Emmanuel Macron, #LaFrancePlusFaible !

À la fin du quinquennat, croyez-moi, la France ira moins bien qu’avant, la France sera plus pauvre, les inégalités auront augmenté et les marges de manœuvre auront diminué en raison de la dette et de la baisse de la croissance potentielle. Nous avons déjà, dans ce budget, le bilan d’Emmanuel Macron : la France moins forte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 520 milliards d’euros de dettes nouvelles en deux ans ! On finance tout à crédit ! Ces 520 milliards sont à comparer aux 100 milliards d’euros consacrés au soutien et à la relance : cela fait quand même réfléchir !

Certes, ce budget ne finance pas que du soutien et de la relance. C’est la valse des milliards, on est en pleine dérive budgétaire, on augmente les effectifs, on augmente les rémunérations des fonctionnaires. Je citerai trois exemples symptomatiques parmi d’autres.

Premier exemple, 425 créations d’emplois sont prévues pour les agences régionales de santé. On renforce l’administration du système de santé alors que l’on devrait transférer des moyens de l’administration vers le médical et les soignants.

Deuxième exemple, plus de 10 milliards d’euros seront consacrés aux ministères, contre zéro euro pour les collectivités ! La loi de finances renforce le pouvoir central au détriment des territoires.

Troisième exemple, les effectifs du Conseil d’État et de la Cour des comptes sont renforcés, et avec eux le pouvoir des juges. Parallèlement, le pouvoir des élus est encore affaibli en raison d’une nouvelle diminution de leur autonomie fiscale.

Le Mal français d’Alain Peyrefitte, qui dénonçait les méfaits de la bureaucratie française, et Toujours plus ! de François de Closets sont plus que jamais d’actualité, quarante ans après. Les gouvernements successifs n’en ont malheureusement pas tenu compte.

On vient de célébrer les cinquante ans de la mort du général de Gaulle, cet homme d’État dont le courage n’était pas la moindre des qualités. Rappelons-nous que, en 1958, à la demande du général, le plan Pinay-Rueff prévoyait, pour revenir à l’équilibre du budget, une baisse de 14 % des dépenses publiques. Quel courage ! Résultat : envolée de la croissance pendant dix ans !

Notre gestion absurde de la crise, selon Der Spiegel, qui rebaptise la France « Absurdistan », nous coûte cher, très cher ! En 2020, nous perdons 11 % de notre richesse, contre la moitié de ce taux pour l’Allemagne. Le décrochage se poursuit et l’écart se creuse : merci aux Chinois, à l’Arabie Saoudite, mais surtout aux banques centrales et à l’Union européenne, sans lesquels nous ne pourrions plus fonctionner aujourd’hui !

Notre indépendance actuelle et future est en grave danger. Pour rester indépendants, il faudra bien rembourser – sur ce point, nous sommes d’accord, monsieur le ministre, preuve que cela nous arrive ! La diminution de la dette est un devoir à l’égard des jeunes générations, qui sont déjà sacrifiées par les politiques de confinement et de reconfinement.

Je suis d’accord, tout du moins en théorie, avec le ministre de l’économie : pour rembourser la dette, il faut de la croissance, il faut une gestion saine des finances publiques et il faut des réformes structurelles. Mais dans la réalité, c’est autre chose. Qui peut croire en une croissance perpétuelle ? En termes de prévisions, c’est toujours : tout ira bien demain, il fera beau tout le temps. Mais nous savons très bien, les uns et les autres, qu’il n’en va pas ainsi dans la vraie vie !

Admettons que l’on puisse atteindre cette croissance perpétuelle. Qui peut démontrer qu’elle est compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique ? Vous savez que, pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut diminuer les émissions de gaz à effet de serre, qui trouvent principalement leur origine dans les énergies fossiles, premier carburant de notre économie. (M. Sébastien Meurant applaudit.)

J’aimerais que l’on me prouve que la croissance future est compatible avec les objectifs très ambitieux que nous nous sommes fixés en matière de lutte contre le réchauffement climatique. (M. Daniel Salmon applaudit.)

Quant à la gestion des finances publiques depuis quarante ans, loin d’être saine, elle se caractérise par une accumulation des déficits ! Il faudrait changer complètement de logiciel, nous sommes – cela a été rappelé – les plus mauvais élèves de l’Union européenne, avec la Roumanie !

Enfin, que dire des réformes structurelles, troisième pilier du remboursement souhaitable de notre dette, sinon que c’est l’Arlésienne dont on parle toujours et que l’on ne voit jamais venir ? La gestion catastrophique du projet de réforme des retraites en est un triste exemple.

Mes chers collègues, notre réaction à l’épidémie et les faiblesses de notre système de santé nous ont mis à plat budgétairement, économiquement et socialement. Tout est lié.

Mais la crise a bon dos ! Sous couvert de crise, on amplifie la pratique du laisser-aller budgétaire. Les Français sont anesthésiés par la peur, mais aussi par les milliards qui pleuvent. Attention, monsieur le ministre, le réveil sera brutal et douloureux !

À titre personnel, sans doute avec quelques collègues ayant toujours été attachés à une gestion rigoureuse de l’argent public, je voterai contre ce projet de loi de finances. (MM. Jean-Marie Mizzon et Sébastien Meurant applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrice Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, face à la crise sanitaire, désormais également sociale et économique, qui ronge notre pays, ce projet de loi de finances pour 2021 était attendu, afin de permettre la relance de toutes les forces de la Nation et de redonner du souffle aux Français. Le compte n’y est malheureusement pas, mais les mécomptes y sont !

Combien de chiffres alarmants, monsieur le ministre, combien de rapports soulignant les effets inadaptés de vos mesures vous faudra-t-il encore pour changer de cap ?

Nous sommes face à un PLF sans grande surprise, dans la droite ligne – ou devrais-je plutôt dire dans la ligne de droite ? – d’une politique libérale plus ou moins assumée !

Vous faites preuve d’une confiance inébranlable dans la main invisible du marché et dans la politique de l’offre pour régler les problèmes, entre habituels cadeaux aux multinationales et aux plus riches, et renoncement à une vraie solidarité.

Le Gouvernement fait clairement le choix de poursuivre la réduction des impôts pour les grandes entreprises et les ménages les plus riches, alors même que les besoins en recettes seront essentiels pour renforcer les services publics et rembourser les dettes engendrées par la crise du coronavirus.

Le Gouvernement parie encore sur la croissance alors que celle-ci est affaiblie et qu’elle peinera à rebondir, conformément à ce que l’on constate depuis plus de cinquante ans. C’est un fait établi que vous devez prendre en compte dans vos prévisions. Il va falloir de nouveau questionner notre définition de la croissance : il y a urgence à le faire ! Dans un contexte où la croissance ne reviendra pas au niveau espéré, il nous faut trouver les moyens de satisfaire les besoins des Français de manière juste et équitable. Vous n’en prenez pas le chemin dans ce projet de budget !

Quelle stratégie guide votre nouvelle baisse massive des impôts pour les entreprises ? Pour quelle compétitivité et pour quels emplois prenez-vous de telles décisions ? C’est une politique qui essuie pourtant des échecs évidents. Je pense à Air France et à Renault, qui ont reçu des aides en début d’année et envisagent aujourd’hui des licenciements. J’aurais pu également citer Engie, Airbus et bien d’autres. Comment ne pas évoquer l’absence ou l’insuffisance de contreparties exigées pour ces entreprises dans le domaine social ou environnemental ?

En ce qui concerne la diminution des impôts sur les ménages, avec la suppression de la taxe d’habitation, les 20 % des contribuables les plus riches capteront 44 % de la baisse, soit quasiment 7 milliards d’euros. Je voudrais rappeler que la réforme de l’assurance chômage se traduit par 3,4 milliards d’euros d’économie au détriment des chômeurs. C’est ce que l’on peut appeler le ruissellement à l’envers !

Toujours en matière de stratégie, je suis très étonné que l’on trouve dans la mission « Plan de relance » le programme 362, « Écologie », qui n’a rien à y faire. Tout d’abord parce qu’il ne produira que des effets limités en 2021 ; ensuite et surtout parce que la transition écologique est nécessairement un processus de long terme. Dès lors, il doit s’agir d’une mission structurante et non conjoncturelle.

Avant même un plan de relance, il aurait d’abord fallu un plan de soutien, car la crise sanitaire ne va pas se terminer le 31 décembre de cette année.

Un plan de soutien est nécessaire pour les entreprises qui sont au bord de la faillite. Je pense, en particulier, aux restaurants, aux bars, aux cafés, aux petits commerces et à bien d’autres, qui risquent de ne pas bénéficier du plan de relance tout simplement parce qu’ils n’existeront plus.

Il faudrait aussi prévoir un plan de soutien pour les plus fragiles de nos concitoyens. Cette crise sanitaire se traduit d’ores et déjà par l’augmentation sans précédent du nombre de chômeurs et d’allocataires du RSA, par la multiplication d’entrepreneurs de TPE et de PME au bord du gouffre, et par le basculement de nombreuses personnes dans la pauvreté.

Ces derniers mois, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a augmenté d’environ 30 %, voire de plus de 45 % dans certains départements. Où sont les crédits ouverts au bon niveau pour les plus démunis dans ce PLF ?

À côté d’une politique de soutien que nous appelons de nos vœux, vous l’aurez compris, l’efficacité d’une véritable relance doit passer par les territoires, tous les territoires, en particulier par ceux que je connais le mieux, à savoir les territoires ruraux, en nous appuyant notamment sur les collectivités locales. Les territoires ruraux offrent un potentiel, économique, social, humain : cette prise de conscience était en train d’émerger et leur reconnaissance a été confortée par la crise.

Malgré cela, vous continuez à vous attaquer à l’autonomie financière et fiscale des collectivités. Cette année, en raison de la pandémie, les collectivités locales devraient enregistrer des pertes financières nettes de l’ordre de 3 milliards d’euros, en l’absence de compensation suffisante de la part de l’État.

À cela s’ajoute le mécanisme de bascule des impôts de production, prélevés sur les entreprises au niveau local, vers des impôts sur la consommation prélevés, notamment sur les ménages, au niveau national. Les collectivités territoriales perdent ainsi la main sur une part importante de leurs recettes, qui leur garantissaient une véritable capacité d’action et surtout leur assuraient un lien direct avec leurs citoyens, électeurs et contribuables.

Je suis de ceux qui pensent que, au contraire de ce qui a été décidé, les collectivités doivent conserver leurs capacités financières, compte tenu de leur rôle d’investisseur public.

Vous l’aurez compris, le groupe que je représente estime que votre PLF manque d’une stratégie renouvelée sur l’évolution à long terme de la société française que cette crise impose. Pour demain, quel tournant écologique, quel plein emploi, quelle souveraineté alimentaire, quelle souveraineté industrielle, quelle souveraineté technologique, quelles justices fiscale et sociale ? Autant de réponses à ces questions que nous ne percevons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jamais le Parlement n’aura dû examiner une loi de finances dans un tel climat d’incertitudes sanitaire, économique, budgétaire, mais je ne vous en fais pas le reproche, monsieur le ministre. Êtes-vous trop optimiste ou ne l’êtes-vous pas assez sur le niveau de nos recettes et le poids des dépenses induites directement par cette crise ? Le débat ne se situe pas réellement là.

Bien évidemment, cela ne signifie pas que le niveau du déficit budgétaire et de la dette publique nous soit soudainement devenu indifférent. Si l’on ajoute aux 223 milliards d’euros en 2020 du PLFR 4 les 153 milliards d’euros de ce projet de PLF et les déficits cumulés des administrations de sécurité sociale, des autres administrations centrales et des administrations publiques locales (APUL), la dette publique atteindra 2 800 milliards d’euros à la fin de 2021, alors que nous n’avons franchi la barre des 2 000 milliards qu’il y a seulement six petites années.

Jusqu’à présent, grâce à la baisse des taux devenus même négatifs, à la politique de la BCE et à la gestion de France Trésor l’emballement de notre dette a été indolore, mais 2020 sera la dernière année où son coût diminuera alors même que le stock enfle : ce sera terminé !

Il est donc temps, monsieur le ministre, de mettre en place une stratégie de désendettement, qui passera probablement par le cantonnement de la dette dite « covid » et l’affectation d’une ressource pérenne à son remboursement. Il faut le faire, et vite, mais en ayant conscience que cela devra s’accompagner de réformes structurelles. Car cantonner la dette, ce n’est pas la faire disparaître. Encore faudra-t-il qu’ensuite nous ne fassions pas comme avec la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), c’est-à-dire que nous remplissions la barque dès qu’elle est en passe de se vider !

Pour l’heure, quatre questions nous sont posées, et je ne doute pas qu’elles structureront nos débats.

Faut-il, dès 2021, alourdir la fiscalité des particuliers ou des entreprises pour dégager des moyens supplémentaires, comme certains le demandent ? Ce n’est pas le choix du Gouvernement, et je pense qu’il a raison.

Les mesures de soutien à nos entreprises en difficulté sont-elles bien ciblées et suffisantes ? Je crois que le débat n’a pas été clos par le PLFR 4. Même question pour les mesures de relance de ce PLF – j’y reviendrai.

Enfin, dernière question, et pas la moindre, les aides aux Français les plus touchés par cette crise empêcheront-elles un basculement massif et durable des plus précaires dans la pauvreté ? Malheureusement, la tendance est inquiétante. Que ferons-nous ?

Ce projet de loi de finances concrétise d’abord le plan de relance annoncé depuis mars par le Gouvernement, mais qui a tardé à être mis en œuvre. Pourtant, en cette période de grande incertitude, ce dont les acteurs ont le plus besoin, publics ou privés, particuliers ou entreprises, c’est bien que nous leur donnions un maximum de visibilité. Les mois perdus, combinés aux effets du reconfinement, risquent de rendre inatteignable l’objectif, affiché par Bruno Le Maire il y a quelques semaines seulement, d’un effacement des effets de cette crise sur notre PIB dès 2022.

Pour espérer tenir cet objectif ambitieux, il nous faudrait réunir plusieurs conditions. Tout d’abord, il faudrait préserver notre potentiel de croissance et donc soutenir massivement nos entreprises, grandes ou petites. De gros efforts ont été réalisés en ce sens, nul ne peut le nier, mais chacun voit bien venir le moment où, malgré les reports de charges, le fonds de soutien, le PGE et le dispositif de chômage partiel, beaucoup de PME ne tiendront pas en cas de prolongement du reconfinement ou si un troisième confinement s’avérait nécessaire, dans l’attente d’un vaccin.

Il nous faut donc, dès maintenant, réfléchir à cette hypothèse et agir. Nous devons dire à tous ces chefs d’entreprise, artisans et commerçants, qui ne savent pas s’ils pourront passer la fin de l’année, ce que le Gouvernement entend faire pour eux.

Il nous faut ensuite un plan de relance massif et ciblé sur les secteurs susceptibles de redémarrer rapidement, malgré la crise sanitaire. Nous le savons, notre pays est pénalisé par la structure même de son économie, où des secteurs comme le tourisme et l’aéronautique pèsent lourd. Ceux-ci ne retrouveront pas leur niveau d’avant la crise avant plusieurs années. Nous devons donc, d’un côté, soutenir plus longtemps et plus fortement ceux qui devront attendre la reprise et, de l’autre, investir massivement dans les secteurs où la demande intérieure est le principal moteur.

C’est le cas du logement, monsieur le ministre, point que je développerai à présent. Car la construction neuve est bien l’angle mort de ce plan de relance, comme elle est en réalité l’angle mort de votre politique depuis 2017. Pourtant, les besoins sont immenses : au-dessous de 500 000 logements neufs par an, nous ne répondons pas aux besoins, et le décalage entre l’offre et la demande qui s’accroît fait continuellement monter les prix, aggravant par là même la crise.

Or qu’avez-vous fait depuis trois ans ? Vous n’avez regardé le logement que comme une source d’économies : économies sur les aides personnelles mises à la charge des bailleurs sociaux avec la réduction de loyer de solidarité (RLS), disparition des aides à la pierre dans le budget de l’État, suppression de l’APL accession, économies sur les aides fiscales avec le resserrement du prêt à taux zéro (PTZ) et du Pinel. Ajoutez à cette liste le resserrement du crédit bancaire et vous avez l’explication de ce qui est en train de se passer !

Le Gouvernement a aussi prélevé 500 millions d’euros dans les caisses d’Action Logement l’an dernier, il prélèvera 1 milliard d’euros cette année et il souhaite même revenir sur la compensation du relèvement à cinquante salariés du seuil de contribution à la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC).

Comme si tout cela ne suffisait pas, il a également demandé un rapport sur la gouvernance d’Action Logement à l’Inspection générale des finances (IGF), qui préconise de mettre fin à la gestion paritaire, de transformer la PEEC en cotisations et d’adosser le patrimoine d’Action Logement à un autre acteur. Lequel ? Le rapport ne le précise pas, mais un tel patrimoine devrait aiguiser les appétits, n’en doutons pas !

Monsieur le ministre, j’évoquais le besoin de visibilité des acteurs économiques. Quand dissiperez-vous le brouillard qui entoure également les acteurs du logement ? Entendons-nous bien. Rechercher la plus grande efficacité de la dépense publique : nous sommes d’accord. Trouver des économies : ce pays va devoir le faire. Mais la question est bien de savoir où et avec quelles conséquences !

Depuis trois ans, vous nous répétez que vos réformes permettront un « Élan » nouveau pour la construction, selon le titre de la dernière loi. Résultat : en 2020, on financera moins de 100 000 logements sociaux et, pour la première fois, tous types de logements confondus, le nombre des autorisations de construire accordées sera inférieur au nombre des mises en chantier. Les courbes se sont croisées : le pire est devant nous !

Reconnaissez au moins que vous vous êtes trompé et changez de stratégie ! Si la mode est au Grenelle, il en faut un sur le logement, auquel il faudra associer étroitement les élus locaux. Car tout se tient et la disparition de la taxe d’habitation, comme la non-compensation des exonérations de taxe sur le foncier bâti, constitue également un frein à la construction. Il faut desserrer ce frein si nous voulons relancer le secteur.

« Quand le bâtiment va, tout va ! » disait-on dans l’ancien monde. Souvenez-vous-en, monsieur le ministre, particulièrement en cette période de crise et acceptez, dès ce PLF, un certain nombre des amendements que nous allons vous proposer sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)