Mme le président. Il faut conclure !

M. Pascal Savoldelli. Pour notre part, nous disons que des tutelles antidémocratiques continuent à exister par la voie monétaire et fiscale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Richard Yung, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Richard Yung. Madame la présidente, mes chers collègues, je tiens d’abord à clarifier un point, qui m’est un peu désagréable. M. Savoldelli a prétendu que j’avais été « dépêché » par le Gouvernement et par le ministre pour m’exprimer sur ce texte. Je peux vous assurer, monsieur Savoldelli, que je n’ai eu aucun contact, quel qu’il soit, avec le ministre ou son cabinet. J’ai pris seul l’initiative de m’exprimer contre votre motion, qui me semble tout à fait discutable.

Cette mise au point étant faire, j’en viens au fond de votre motion, que je trouve paradoxal. D’un côté, monsieur Savoldelli, vous critiquez la zone CFA, l’UMOA, la BCEAO, la gouvernance, la convention de garantie, qui sont pour vous autant de manifestations du vieux colonialisme français. Vous faites un rejet complet de la zone CFA. De l’autre, vous ne proposez aucune autre solution. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

M. Philippe Dallier. C’est vrai !

M. Pascal Savoldelli. On ne peut pas déposer d’amendement sur ce texte !

M. Richard Yung. Mais vous pourriez proposer une alternative, comme souhaitait d’ailleurs le faire la Cédéao. Si vous ne le faites pas, cela signifie que l’on conserve la zone CFA et que, paradoxalement, vous la défendez ! Je sais que ce n’est pas le fond de votre pensée, mais, faute de proposition, on en arrive à cette conclusion.

M. Pierre Laurent. C’est malhonnête de dire ça !

M. Richard Yung. Pour notre part, nous travaillons à la fin de ce que certains appellent la zone CFA et la Françafrique.

Au passage, vous confondez la zone CFA d’Afrique de l’Ouest et celle de la Cémac, qui, pour le moment, n’a rien demandé. De surcroît, la Cédéao a décidé la semaine dernière de reporter son projet d’union économique, douanière et financière. Il n’y a donc pas, pour l’instant, de lien imaginable entre la Cédéao et l’UMOA.

J’ajoute que l’appartenance à l’ex-zone CFA ne doit pas être si pénalisante si l’on en juge par le taux de croissance des pays membres de l’UMOA, qui a été de 2,2 % en 2020, alors qu’il a reculé de 5 % dans les autres pays de la Cédéao.

La question d’une union monétaire des quinze pays de la Cédéao se pose, mais ce projet, je l’ai dit, a été reporté la semaine dernière à une date qui n’est pas encore fixée. Le véritable problème, c’est le poids du Nigéria, qui représente 60 % du produit intérieur brut de la zone. Ce pays deviendrait donc dirigeant, en quelque sorte, et sa monnaie serait la devise de la Cédéao. De plus, le Nigéria demande que la parité entre la nouvelle monnaie, quelle qu’elle soit, et sa propre monnaie soit fixée par rapport à un panier constitué de plusieurs devises. Nous ne le souhaitons pas.

Laissons donc les huit pays de l’UMOA mettre en place l’eco, qui sera, je pense, profitable à leur économie. Cette nouvelle institution et cette nouvelle devise pourront par la suite être étendues à d’autres pays. Je pense, par exemple, au Ghana, dont l’économie est proche de celle de la Côte d’Ivoire, ou à d’autres pays francophones. La Guinée-Bissau, qui est un pays lusophone, fait partie de l’UMOA.

Par ailleurs, les États sont libres de faire partie de l’UMOA ou d’en sortir et ainsi de manifester leur souveraineté. Le Mali l’a un temps quittée. La Mauritanie en a fait partie, mais en est sortie. Les États sont libres, je le répète, et leur souveraineté est respectée. Il est donc inexact de dire qu’on limiterait leur souveraineté.

Pour toutes ces raisons, mon groupe votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bascher, rapporteur. La commission est défavorable à cette motion.

Monsieur Savoldelli, nous passons tout de même d’un serpent de mer à un serpent monétaire ! Il n’y a pas que la France qui soit attachée à l’Afrique et il n’y a pas que le franc CFA qui soit arrimé à l’euro. Le Portugal a fait de la coopération de l’Union européenne avec l’Afrique l’une des priorités de sa présidence tournante. Ce pays a lui aussi conclu des accords monétaires avec des pays d’Afrique. Ce type d’accord n’est donc pas une particularité de la France.

Tous les pays africains qui se développent sans inflation ont leur monnaie attachée à l’euro. C’est ainsi qu’il faut présenter les choses.

Je pense qu’un bon pas est fait, même si nous n’allons peut-être pas assez loin, ce que je peux entendre. Il faut donc rejeter cette motion.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je me suis exprimé sur le fond voilà un instant. Nous sommes tout à fait opposés à cette motion.

Monsieur le sénateur Savoldelli, je suis perplexe face à ce qui m’apparaît être une contradiction, comme l’ont déjà relevé le rapporteur et M. Yung : comment peut-on à la fois attaquer violemment le franc CFA, son histoire, comme étant un fait colonial, et, en même temps, être contre une réforme qui va dans le sens de ce que souhaitent les États concernés ? Cela m’épate ! Je pense d’ailleurs que j’assurerai une large diffusion de vos propos auprès de toutes les autorités africaines compétentes.

S’il y a quelqu’un qui a fait de l’ingérence tout à l’heure, c’est bien vous, lorsque vous avez porté un jugement sur les relations de l’UMOA avec la Cédéao. Au nom de quoi ? Vous accusez l’UMOA d’avoir volé à la Cédéao le nom « eco » alors que cette dernière s’est réunie au mois de décembre, l’année dernière, pour approuver le lancement de cette monnaie au sein de l’UMOA.

Vous n’êtes mû que par des motifs de politique intérieure. Je suis vraiment attristé par ce comportement, au moment où la France prend en compte les souhaits des autorités africaines, toutes histoires confondues. Ce projet n’est pas celui de M. Untel ou de M. Untel.

Vous avez cité M. Ki-Zerbo, historien. Je suis moi-même historien, je le connais aussi. J’étais présent à l’université de Ouagadougou lors du débat politique qui a eu lieu avec des étudiants, pour une part sankaristes – je pense que c’est aussi une de vos références –, et je puis vous dire que la position du Président de la République, mais aussi celle du président Kaboré, présent dans l’amphithéâtre, était en harmonie avec ce que l’on entendait : il fallait changer ! Ce changement est une initiative des pays de l’UMOA, avec l’accord de la France.

Aussi, je trouve très dommageable, compte tenu de votre histoire et de la manière dont vous envisagez l’avenir de l’Afrique, monsieur le sénateur, que vous soyez contre ce pas en avant considérable et cette rupture historique.

Mme le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot, pour explication de vote.

Mme Nadine Bellurot. Le groupe Les Républicains ne soutiendra pas cette motion tendant à opposer la question préalable, dont l’adoption aurait pour effet de rejeter les avancées de ce texte. Or, comme on vient de l’entendre, elles ont été voulues et adoptées par les États concernés.

Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra sur cette motion, même si nous sommes globalement d’accord avec Pascal Savoldelli, qui a dit beaucoup de choses justes, sur lesquelles je souhaiterais d’ailleurs revenir si la motion n’était pas adoptée. Nous avons besoin d’un débat sur cet accord, comme le montrent les échanges qui ont déjà eu lieu.

Ce projet est particulièrement important pour l’Afrique et son autonomie ; il comporte indéniablement des avancées. Bref, je souhaite m’exprimer de nouveau sur ce sujet. Nous nous abstiendrons donc, je le répète, sur cette motion.

Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Nous avons, dans le cadre de la commission des finances, effectué un travail très important sur ce sujet, qui trouve aujourd’hui son aboutissement dans ce débat. Nous ne voterons donc pas cette motion et nous voterons évidemment en faveur de la convention, un peu plus tard.

Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.

M. Joël Guerriau. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas non plus cette motion, car nous considérons qu’il est important de faire un pas pour répondre aux attentes des pays africains. À cet égard, ce texte va dans le bon sens.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Requier. Le groupe du RDSE votera contre cette motion. Nous sommes par principe opposés aux motions, même si nous sommes parfois d’accord sur le fond. En l’occurrence, nous ne sommes d’accord ici ni sur le fond ni sur la forme.

Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 59 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 266
Pour l’adoption 15
Contre 251

Le Sénat n’a pas adopté.

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l'Union monétaire ouest-africaine
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Mme le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Vincent Éblé.

M. Vincent Éblé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement nous propose d’examiner ce matin la ratification d’un accord de coopération visant à réformer l’Union monétaire ouest-africaine et à acter juridiquement l’annonce commune des présidents Macron et Ouattara de décembre 2019 d’une réforme du franc CFA.

Notre groupe ne saurait méconnaître l’impact politique et symbolique d’un tel accord, au-delà de son caractère juridique et technique. Comme le disait mon collègue Victorin Lurel, lors de la présentation en commission du rapport qu’il a réalisé conjointement avec Nathalie Goulet, se contenter de considérations purement économiques et monétaires serait une erreur : la monnaie est un objet politique, idéologique et de souveraineté. Ce projet de réforme du franc CFA en Afrique de l’Ouest procède ainsi à des changements symboliques nécessaires, qui mettent fin aux irritants les plus forts.

La première avancée de cet accord, c’est le changement du nom « franc CFA » en « eco ». Il est, je le crois, absolument bienvenu, tant la dénomination de « franc » est obsolète. Gardons à l’esprit que la monnaie, plus qu’une unité de compte, est un objet politique, une référence commune et partagée par la population, un objet de vie quotidienne dont le nom renvoie à une identité et, si j’ose dire, à une souveraineté, autant d’éléments que la France a trop longtemps, sans doute, sous-estimés.

La deuxième avancée, c’est la fin de la centralisation des réserves de change de la BCEAO auprès du Trésor français et la fermeture du compte d’opérations. Ces dispositions nous paraissent tout à fait appropriées pour mettre fin aux fantasmes, tant de fois entendus, d’un accaparement par la France des richesses africaines.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Vincent Éblé. Enfin, le troisième changement qui nous paraît aller dans le bon sens, c’est le retrait de la France des instances de gouvernance et, singulièrement, du conseil d’administration et du comité de politique monétaire de la BCEAO, ainsi que de la commission bancaire de l’UMOA.

Disons-le clairement : cette réforme était attendue et nécessaire. Pour autant, notre groupe estime que le projet qui nous est soumis s’arrête un peu au milieu du gué.

Nous regrettons tout d’abord que cette réforme, loin d’être globale, ne touche que les pays membres de l’UMOA et qu’elle ne traite pas de la question du franc CFA de l’Afrique centrale et des Comores. Cet angle mort n’a d’ailleurs pas manqué de susciter, à juste titre, l’incompréhension, voire l’ire de nombreux États ainsi laissés de côté.

D’un point de vue diplomatique, nous aurions souhaité que cette réforme ne donne pas le sentiment d’une forme de précipitation ou de mise à l’écart de certains acteurs, qui se sentent, pour partie, ostracisés par la démarche franco-ivoirienne, et qu’elle n’alimente pas une prétendue mainmise française sur les États membres de l’UMOA. Cette précipitation diplomatique ne grandit personne et peut même remettre en cause les politiques de convergence engagées entre différentes zones.

Disons ensuite que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, cet accord de coopération est limité du point de vue monétaire. Au-delà des aspects juridiques et symboliques évoqués, ce texte est d’abord un accord budgétaire, qui engage l’État et pas vraiment les autorités monétaires ni les banques centrales.

Parallèlement à cet accord, des conventions commerciales et techniques devront être prises entre ces banques, notamment entre la BCEAO et la Banque de France, par exemple pour l’impression des billets. Ces implications techniques ne sont pas à négliger lorsque l’on connaît l’importance de l’émission fiduciaire, le stade d’inclusion bancaire et la très faible bancarisation de l’économie dans ces territoires. La circulation de ces masses monétaires conditionnant fortement la liquidité de ces économies et leur financement bancaire, il conviendra d’y être attentif.

Je précise cela, car, malgré la discussion de ce texte, notre parlement souffre d’un manque assez criant d’informations et ne dispose pas d’éléments tangibles pour se positionner de manière éclairée : trop de lignes budgétaires demeurent peu renseignées ou documentées ; le compte de concours financier, comme le compte de commerce, reste squelettique, et la mission « Engagements financiers de l’État » ne dit rien de la réalité des choses. Loin d’être un détail, ce manque d’informations du Parlement français et, sans doute, de ses homologues étrangers, pourrait à lui seul commander notre vote sur ce texte.

Pour aller plus loin, nous estimons que nous ne pouvons pas non plus nous contenter du seul remplacement du nom et de la fin de la centralisation des réserves. Nous considérons qu’une évolution du régime de change aurait pu être envisagée dans cette réforme.

Au lieu de cela, cet accord se contente de changements a minima, pour ne pas dire nuls. Il n’y a ainsi aucune audace conjointe pour trouver des bases plus conformes aux exigences de développement des pays concernés. Or nous savons, en théorie et en économie appliquée, qu’un régime de change flexible répond mieux aux externalités économiques et politiques que la rigidité des changes fixes. Sans nier les avantages du régime de change fixe et de la parité avec l’euro, notamment en matière de stabilité macroéconomique, une transition d’un système de parité fixe à l’euro vers un ancrage à un panier de devises aurait pu, selon nous, être amorcée.

Considérant qu’une monnaie forte, en l’occurrence l’eco, adossée à une autre monnaie forte, à savoir l’euro, n’est pas gage de développement économique, nous aurions souhaité que la France use tant de son influence que de son expertise pour accompagner les réflexions engagées de longue date en faveur de la mise en place d’un régime de change plus flexible, permettant aux pays de la zone de mieux répondre aux chocs exogènes et aux aléas économiques internationaux.

Concrètement, la réforme présentée aurait ainsi pu cranter une étape visant, à terme, à mettre fin à l’arrimage de l’eco à l’euro au profit d’un ancrage à un panier de devises et à organiser le passage d’un régime de change fixe à un régime de change semi-flexible.

En matière de coopération, il ne s’agit plus pour la France de s’ériger en tutrice de la zone ou de tenir son rang. Notre groupe estime que les autorités doivent saisir ce moment de réforme pour contribuer à un approfondissement de la coopération monétaire autour du projet « eco » porté par la Cédéao, engager une modernisation des accords de coopération monétaire avec l’Afrique centrale et les Comores et renforcer les mécanismes de convergence entre Afrique de l’Ouest et Afrique centrale.

Pour ce faire, et afin d’échapper aux critiques de ceux qui fustigent un tête-à-tête exclusivement franco-africain dans le domaine monétaire, la France devra, selon nous, œuvrer à favoriser le dialogue entre parties prenantes.

Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Vincent Éblé. Le risque zéro n’existant pas concernant la convertibilité illimitée et inconditionnelle, la France doit résolument avancer et tout faire pour impliquer davantage la Banque centrale européenne et l’Union européenne dans l’élaboration de ces futurs accords de coopération.

Nous nous abstiendrons sur ce texte.

Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà donc plus d’un an que la disparition du franc CFA au sein de l’Union monétaire ouest-africaine a été annoncée à Abidjan.

Nous sommes aujourd’hui réunis pour autoriser le Gouvernement à approuver cet accord. Il s’agit surtout d’un moment symbolique. En effet, l’un des points essentiels de cet accord de coopération signé à Abidjan est le changement de nom de cette devise. Le sigle de la devise n’avait pas été modifié depuis sa création en 1945, à la suite des accords de Bretton Woods. Les trois lettres renvoyaient alors aux « colonies françaises d’Afrique ». Malgré les réformes successives, notamment depuis les indépendances au tournant des années 1960, cette étymologie n’a cessé d’alimenter les fantasmes et les discours populistes, en Europe comme en Afrique.

À cet égard, je tiens à rappeler que la décision d’appartenir à l’UMOA relève pleinement de la souveraineté des pays concernés. La France n’en est évidemment pas membre. Elle joue seulement le rôle de partie prenante que ses engagements financiers imposent.

Les idées fausses ont toutefois souvent la vie dure. C’est pourquoi le changement de nom se révélera positif pour la France, comme pour les huit pays de l’UMOA. Je précise d’ailleurs que plusieurs cas de figure coexistent actuellement, certains pays membres n’ayant jamais été des colonies françaises et certaines colonies françaises n’ayant pas adopté le franc CFA. Il n’y a donc pas de lien de subordination, comme certains semblent vouloir le faire croire.

Il en va de même pour le retrait formel de la France de toutes les instances de gouvernance monétaire de l’eco. Cette décision, qui précise le rôle de la France dans la gouvernance monétaire, doit assainir nos relations diplomatiques et stratégiques avec nos partenaires africains. C’est un aspect absolument essentiel de cet accord. La France doit prendre en compte et soutenir les orientations prises par les pays africains.

Outre son aspect symbolique, cet accord a aussi un aspect stratégique : il met fin à la centralisation, par le Trésor français, de la moitié des réserves de change de l’UMOA. Cet aspect stratégique prolonge à mes yeux l’aspect symbolique : il acte une saine séparation des réserves entre les deux parties.

Voilà qui devrait donner davantage d’autonomie aux pays de l’UMOA en matière de pilotage monétaire, tout en conservant certains gages de sécurité, car l’accord d’Abidjan ne remet pas en cause la convertibilité de la devise africaine, pas plus que la fixité de son taux de change par rapport à l’euro ou que la libre transférabilité, notamment en capitaux.

En clair, l’eco conserve les atouts du franc CFA en matière de stabilité et de crédibilité, tout en rompant pour de bon avec son héritage colonial. Je suis certain que cette nouvelle mouture de la devise permettra aux huit pays de l’UMOA de poursuivre leur développement économique, malheureusement ralenti en 2020 par la pandémie. Elle pourra également servir de base au projet de monnaie commune adopté par la Cédéao.

Je le disais en introduction, le point le plus essentiel de l’accord de coopération a consisté en l’adoption d’un nouveau nom pour la devise. J’ai déjà évoqué l’abandon du sigle malheureux de CFA. Je conclurai en évoquant le choix de l’eco.

« Eco » : tel était déjà, avant décembre 2019, le nom retenu pour le projet de monnaie unique au sein de la Cédéao. Le choix de cette appellation par les pays de l’UMOA, qui est un sous-ensemble de la Cédéao, n’est donc pas neutre. Elle préfigure le fait que la future monnaie unique envisagée par cette dernière pourrait être arrimée à l’euro. Une telle option ne fait pas l’unanimité parmi les pays membres, notamment le Ghana, qui y voit une menace pour sa rente pétrolière.

En tout état de cause, une question reste en suspens : la garantie budgétaire apportée par la France pour la stabilité de l’eco, a fortiori s’il était élargi à la Cédéao. Elle déterminera notre influence dans la zone, qui n’est pas sans lien avec notre présence militaire afin de pacifier et sécuriser la zone. Malgré cette interrogation, notre groupe votera ce texte.

Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me voyez fort embarrassé par le présent accord de coopération entre la France et l’UMOA, soumis à l’approbation du Sénat.

J’évoquerai tout d’abord la méthode : je ne comprends pas pourquoi un accord portant en germe une telle ambition géopolitique – que d’aucuns ont même qualifié d’« historique » – n’a pas été soumis à la commission des affaires étrangères, comme à l’Assemblée nationale, au moins pour avis.

Monsieur le ministre, je ne comprends pas non plus la méthode du pouvoir exécutif.

Faut-il mettre fin au franc CFA, vestige colonial et bras armé de la Françafrique ? Naturellement ! Nous ne pouvons que vous rejoindre sur l’ambition de cet accord. Mais comment peut-on procéder de la sorte ?

La fin du franc CFA pour les pays de l’UMOA pose la question de toute l’organisation monétaire du sous-continent. Les huit pays concernés veulent-ils retrouver leur souveraineté monétaire ? Veulent-ils créer une union monétaire adossée à l’euro, comme le prévoit cet accord, ou bien veulent-ils créer une union monétaire plus large avec les pays de la Cédéao, avec un taux de change fixe adossé à l’euro ou un taux de change calculé sur un panier de devises, et donc totalement flottant ?

L’union monétaire de la Cédéao était en négociation depuis trois ans. Le présent accord pourrait donner l’impression d’une OPA hostile sur les démarches de la Cédéao, puisqu’il reprend jusqu’au nom même du projet de monnaie, à savoir « eco ». « This is not a method » comme dirait un ancien dignitaire de la Françafrique. (M. le rapporteur sourit.)

Peut-être que votre solution est la meilleure, mais on ne peut pas prétendre mettre fin à la Françafrique et décider en même temps de l’organisation monétaire de plusieurs nations.

Nous ne savons rien de ce que souhaitent les pays membres de l’UMOA. Aucun des peuples concernés n’a été interrogé dans le cadre d’un débat démocratique. Aucun Parlement n’a été consulté et, pis, aucun chef d’État, en dehors du président ivoirien, ne semble s’être exprimé sur le sujet. Il m’avait échappé qu’Alassane Ouattara était désormais président du Togo, du Sénégal, du Mali, du Bénin, du Burkina Faso, de la Guinée-Bissau et du Niger…

Ce silence est assourdissant ! Comment le Parlement français peut-il se prononcer dans ces conditions ? La France n’a pas à être un moteur dans cette affaire ; elle doit accompagner le choix des peuples souverains. La monnaie est une composante fondamentale de tout État, de toute nation. Cette souveraineté ne peut être transférée que par une décision démocratique. Rappelons-nous les débats qui ont eu lieu ici même sur le traité de Maastricht et cette campagne référendaire. Comment peut-on imaginer l’avènement de l’euro sans cette onction démocratique ?

La méthode Macron-Ouattara nous empêche donc de voter pour ce projet d’accord.

Pourtant, sur le fond, la fin du franc CFA est une réforme d’une portée symbolique considérable. Il y a longtemps que cette monnaie aurait dû disparaître ; c’est une aspiration profonde des peuples d’Afrique de l’Ouest. Le retrait de la France, certes relatif, des instances de gouvernance de l’UMOA est un progrès notable. La fin du dépôt obligatoire des réserves de change va aussi dans le bon sens. Ces mesures doivent être saluées.

Pour toutes ces raisons, il nous est également difficile de voter contre ce projet d’accord. C’est peut-être là l’effet du « en même temps » du Président de la République ! (M. le rapporteur sourit.)

Reste la question du taux de change fixe avec l’euro. Entre la stabilité qu’il offre et la rigidité qu’il impose aux économies nationales, un dilemme se pose, que la France ne peut pas et ne doit pas trancher. Si nous décidons à la place des nations d’Afrique de l’Ouest, nous n’enterrerons pas définitivement la Françafrique. Peut-être, monsieur le ministre, est-ce le souhait de votre gouvernement, des multinationales françaises et des oligarques africains ? Cette précipitation pourrait le laisser penser !

Si d’aventure le choix souverain des pays de l’UMOA était de renforcer leur union monétaire en la dotant d’une monnaie propre adossée à l’euro, il conviendrait alors de transférer la garantie du change du Trésor français à la BCE. Cela nous semble une évidence et une condition indispensable pour lever, enfin, l’ombre de la Françafrique.

Vous l’aurez compris, dans ces conditions, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra.

Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage sur ce sujet la position de M. le ministre et je fais miennes ses observations.

J’ai eu le plaisir, au sein de la commission des finances, d’être chargée, avec notre collègue Victorin Lurel, d’un rapport de contrôle sur ce sujet. Nous avons pu constater que le franc CFA constituait, à n’en pas douter, un irritant entre la France et les pays africains.

D’aucuns dénoncent un manque de vision démocratique, mais il faut aussi reconnaître que le franc CFA représente souvent dans les pays africains un outil de propagande qui n’a strictement rien à voir avec la réalité. De fait, mon cher collègue Savoldelli, vous n’avez pas complètement tort quand vous affirmez que ce débat doit être ouvert dans les pays africains. À l’évidence, il doit l’être ; sinon, comme c’est le cas actuellement, on laisse la place aux idées reçues.

On pare la France de tous les péchés d’Israël : elle empêcherait l’autonomie monétaire de la zone CFA ; elle tirerait lâchement et sournoisement profit des réserves de changes amassées dans ses coffres ; bref, elle poursuivrait, via le franc CFA, son œuvre fourbe de colonisation.

Or le rapport que Victorien Lurel et moi-même avons commis montre précisément le contraire ; il faut combattre toutes ces idées reçues. C’est dans le cadre du débat que nous avons aujourd’hui et de ceux qui, je l’espère, se tiendront dans l’ensemble des pays africains concernés que nous pourrons enfin mettre un terme à leur existence.

À mon sens, cette réforme devra être l’occasion de réviser la politique monétaire des pays africains concernés. Nous avons longuement auditionné à ce propos M. Dominique Strauss-Kahn, dont l’opinion était extrêmement intéressante : il suggérait de saisir cette occasion pour refonder une politique monétaire en Afrique de manière à asseoir la souveraineté monétaire et financière de ces États.

Surtout, il faut expliquer – d’autres orateurs l’ont déjà fait, et vous-même, monsieur le ministre, l’avez redit – que les pays africains concernés pourront désormais déposer leurs réserves de change où ils veulent : ils n’auront plus ce lien avec la France ! Il faut le dire et le redire, afin de casser définitivement l’idée reçue selon laquelle la France accaparerait ces réserves de change. De ce point de vue, la balle est dans le camp des pays africains !

Il demeure un détail ; je dirais plutôt, monsieur le ministre, comme dans la chanson : c’est peut-être un détail pour vous, mais pour certains, ça doit vouloir dire beaucoup ! Je pense à l’impression des billets de banque. En fin de compte, les pays africains peuvent très bien décider d’imprimer leurs billets eux-mêmes et de ne plus confier ce soin à la France. Quelle importance aurait donc la conservation de ce lien ? Là encore, il faut saisir l’occasion de casser à la fois ce lien et les idées reçues, en faisant table rase du passé. En la matière, la France n’est pas demandeuse. L’ensemble des dispositions qui figurent dans cette convention nous le montrent bien.

Le dernier point que je souhaite évoquer est le rôle de la Banque centrale européenne. On est passé de la convertibilité du franc CFA en franc français à sa convertibilité en euro, mais la BCE et les banques centrales des autres États membres n’ont nullement participé à ce processus ; elles ont considéré que l’on avait travaillé sans eux. Une petite convention a rétabli les choses à l’égard de l’euro, mais je suis convaincue qu’il incombe désormais à l’Europe de prendre le relais, à l’occasion de cette réforme qui met fin au franc CFA dans ses conditions antérieures. C’est vraiment le bon moment pour que la BCE se réapproprie, en quelque sorte, le sujet, avec ses avantages et ses inconvénients.

En conclusion, notre groupe approuve totalement cette convention ; nous considérons que c’est une excellente occasion de mettre un terme à des irritants, pourvu que l’on communique largement sur le sujet. Franchement, c’est le moment de mettre un terme aux nombreuses idées reçues qui s’expriment en la matière ! Il est temps que la France sorte grandie de l’affaire du franc CFA ; elle ne mérite pas tant de critiques. Jusqu’à présent, cette devise a beaucoup servi les pays africains, grâce notamment à sa convertibilité ; beaucoup d’économies ne seraient pas là où elles en sont sans la convertibilité permise par les accords en vigueur.

Le franc CFA et la politique monétaire ne sont pas – il faut le répéter – l’alpha et l’oméga de l’ensemble des politiques budgétaires des États africains. Le sujet est certes monétaire, mais c’est aussi un sujet de politique internationale, ce qui le rend tout à fait passionnant.

Notre groupe approuvera donc évidemment des deux mains l’accord qui nous est soumis !