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Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 29 de notre règlement. Nous avons observé, depuis un certain temps, des recours multiples et variés à des cabinets d’avocats pour rédiger la loi et à des cabinets de conseil pour conseiller le Gouvernement, y compris sur la dette.

Cette porosité entre le public et le privé dans des domaines qui relèvent de la loi affaiblit, selon moi, notre Parlement. C’est la raison pour laquelle je souhaitais faire ce rappel au règlement de façon que nous puissions avoir au sein de notre Haute Assemblée un débat sur cette question. En effet, il me semble que, au fur et à mesure que le Gouvernement confie ces fonctions à des cabinets extérieurs, nous perdons encore un peu plus de pouvoir. Or nous savons très bien que nous en avons de moins en moins…

M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, ma chère collègue.

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Dossier législatif : projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19
Discussion générale (suite)

Ratification de diverses ordonnances pour faire face à l’épidémie de covid-19

Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (projet n° 320, texte de la commission n° 330, rapport n° 329).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui un projet de loi qui ratifie quatre ordonnances, toutes prises en application de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19. Cette loi a donné une base législative aux mesures d’urgence que le Gouvernement avait prises pour gérer l’épidémie de covid-19 et ses lourdes conséquences sur la vie économique.

Nous nous rappelons tous, et vous particulièrement dans cet hémicycle, du contexte difficile dans lequel nous avons dû légiférer en mars dernier.

Quand le Gouvernement avait demandé au Parlement d’être habilité à prendre ces ordonnances, nous étions face à un scénario inouï : un virus inconnu avait mis notre pays, et même notre planète, à l’arrêt.

Je me souviens, alors que j’étais députée lors de la présentation de ces ordonnances au Parlement, de l’agilité à toute épreuve de notre administration pour faire face à cette urgence inédite.

Grâce à elle, nous avons pu, en quelques jours, mettre en place un des systèmes les plus protecteurs du monde pour nos entreprises et pour l’emploi.

En quelques jours, notre système était prêt à faire face de façon efficace : près d’un an plus tard, notre protection économique tient encore, grâce à son adaptation constante notamment permise par les travaux des parlementaires.

Il est des anniversaires plus heureux que d’autres. Je veux néanmoins saluer et remercier tous ceux qui, au sein de notre administration, ici et en services déconcentrés, ont accompagné au quotidien les parties prenantes de notre économie.

Vous le savez, le temps de l’urgence n’est pas encore révolu, et les mesures contenues dans ces ordonnances ont un rang législatif. Il convient donc que le Parlement s’en saisisse et les ratifie.

Après l’adoption de ce projet de loi de ratification, aménagé de quelques modifications rédactionnelles, par l’Assemblée nationale, il vous est proposé de ratifier le cadre juridique du fonds de solidarité. Ce sont presque 2 millions d’entreprises qui ont bénéficié de près de 12 milliards d’euros en 2020. Ce soutien est inégalé. Il a permis à nos entreprises de garder la tête hors de l’eau et le permet encore aujourd’hui, après plusieurs élargissements importants décidés au fil des mois.

Il vous est également proposé de ratifier une autre de nos réponses aux importants besoins de trésorerie des entreprises, à savoir l’ordonnance relative à l’octroi d’avances en compte courant par les organismes de placement collectif de capital investissement.

Le but était de permettre aux acteurs du capital investissement de renforcer leur soutien aux entreprises de leur portefeuille, en complément des importants moyens publics mobilisés. Ainsi, avec cette ordonnance, les fonds de capital investissement ont pu dépasser temporairement le plafond légal qui restreint, en temps normal, leur capacité à consentir des avances en compte courant aux entreprises dont ils sont actionnaires.

La ratification de cette ordonnance permettra de confirmer le délai dont bénéficient les acteurs pour revenir au régime de droit commun, d’ici au 30 juin 2022.

La même logique de régime dérogatoire permettant de renforcer le soutien aux entreprises prévaut pour la ratification de l’ordonnance du 17 juin 2020 relative à la commande publique. Cette dernière introduit, au sein du droit de la commande publique, des outils permettant de soutenir les opérateurs économiques les plus fragilisés par la crise.

En effet, elle permet aux entreprises en redressement judiciaire bénéficiant d’un plan de redressement de participer aux procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession.

Cette simplification permet de maintenir durablement l’activité mais aussi l’emploi de ces entreprises, tout en contribuant à l’apurement de leur passif avec la conclusion de nouveaux contrats. Aussi, elle ouvre aux PME un accès privilégié aux marchés publics globaux, en fixant à 10 % la part d’exécution minimale qui sera confiée par le soumissionnaire à des PME.

Ces deux mesures, pérennisées dans la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi ASAP, traduisent notre engagement fort, et tout à fait légitime, pour le tissu économique de proximité. Nous sommes convaincus que la relance passera par ces entreprises de nos territoires et que la commande publique peut, et surtout doit, être un accélérateur de la relance.

C’est la raison pour laquelle, jusqu’au 31 décembre 2023, la capacité économique et financière des candidats aux marchés publics ne pourra être évaluée sur les périodes où ils auraient pu directement subir les effets de la crise sanitaire.

Les dérèglements économiques de la période sont le fait du virus, pas du chef d’entreprise – il est toujours bien de le rappeler.

Enfin, je voudrais m’arrêter un moment sur l’article 3 du présent texte de loi, qui ratifie l’ordonnance portant réorganisation de notre banque publique d’investissement, Bpifrance.

Pour rappel, l’opération de réorganisation du groupe Bpifrance consiste à ce que l’ancienne filiale bancaire, Bpifrance Financement SA, absorbe la société faîtière Bpifrance SA, et devienne dès lors la nouvelle société mère du groupe.

Cette opération a notamment pour but de donner à l’établissement de crédit une solvabilité supplémentaire, laquelle lui permettra de jouer pleinement son rôle – rôle qu’il remplit parfaitement depuis le début de la crise – au service du financement des entreprises, en particulier dans le cadre de la relance. En effet, la banque Bpifrance consolide désormais à son bilan la filiale Bpifrance Participations, ce qui renforce son assise de fonds propres et multiplie son ratio de solvabilité par environ 2,5.

Prenons un exemple : sans cette opération, le lancement d’un prêt vert destiné à financer 1,5 milliard d’euros d’investissements visant à aider les entreprises à assurer leur transition écologique et énergétique aurait mis la banque sous tension prudentielle.

Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, en ratifiant l’ordonnance du 17 juin 2020, vous sécuriserez juridiquement cette nouvelle organisation pour l’ensemble des partenaires contractuels de Bpifrance, lesquels se fondent, comme sur tout marché, sur la confiance. Or, je le sais, nous partageons tous ici l’objectif de renforcer la sécurité juridique des dispositifs qui viennent en aide à nos entreprises, dans un contexte économique particulièrement difficile depuis bientôt un an, et surtout de permettre à celles-ci d’aborder la reprise et la relance de la meilleure façon possible. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Bernard Delcros, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis a pour objet de ratifier plusieurs ordonnances prises par le Gouvernement, dans le cadre de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

Vous venez de le rappeler, madame la secrétaire d’État, ces ordonnances concernent le fonds de solidarité, des adaptations du droit applicable à la commande publique, les avances en compte courant des fonds d’investissement et, surtout, la réorganisation de Bpifrance

Il nous est proposé, à l’article 1er, de ratifier l’ordonnance du 10 juin 2020 relative au fonds de solidarité, qui a prolongé le dispositif du fonds de solidarité jusqu’à la fin de l’année 2020 et a complété les modalités du contrôle de l’administration.

Je veux saisir cette occasion pour rappeler que le soutien apporté par le fonds de solidarité aux petites et moyennes entreprises a été tout à fait vital. Les derniers chiffres sont là pour le démontrer : plus de 15 milliards d’euros ont ainsi été accordés à près de 2 millions d’entreprises.

En complément du fonds de solidarité, les prêts garantis par l’État (PGE), l’activité partielle et les exonérations de cotisations sociales constituent des leviers déterminants pour sauver l’économie et l’emploi ; je souhaite y revenir rapidement.

Près de 132 milliards d’euros de PGE ont été accordés en 2020 ; si ce mécanisme n’entraîne aucun coût budgétaire immédiat pour l’État, le risque de défaut des prêts pourrait se situer, d’après les évaluations disponibles, entre 3 % et 7 %, soit un coût de 5 milliards à 10 milliards d’euros.

L’activité partielle, deuxième dispositif, joue un rôle majeur ; elle a permis de préserver l’emploi et le maillage des entreprises dans les territoires. En 2020, cela a représenté un coût de 28 milliards d’euros et a concerné 8 millions de salariés.

Enfin, les secteurs les plus touchés par les restrictions ont bénéficié d’une exonération de charges patronales. Le coût de ce dispositif, lui aussi nécessaire, s’élève à 4 milliards d’euros pour 2020.

Je tiens à le rappeler, l’ensemble de ces mesures étaient absolument nécessaires et ont démontré leur efficacité.

Bien évidemment, des interrogations demeurent : dans un contexte de pandémie qui perdure, les entreprises seront-elles en mesure de rembourser la dette covid qu’elles auront accumulée pour traverser la crise sans affecter leur capacité de rebond ? Comment et selon quel calendrier envisager la sortie progressive de ces mesures exceptionnelles ?

En ce qui concerne les autres dispositifs de soutien aux entreprises visés par ce projet de loi, il est proposé, à l’article 2, de ratifier l’ordonnance du 17 juin 2020 portant diverses mesures – temporaires – en matière de commande publique.

Trois évolutions principales sont envisagées : permettre aux entreprises faisant l’objet d’un plan de redressement judiciaire de se porter candidates aux marchés publics et aux contrats de concessions ; étendre à l’ensemble des contrats globaux du code de la commande publique le critère d’une part minimale de 10 % d’exécution du contrat réservée aux PME, ce qui est très important ; et imposer aux acheteurs publics de ne pas tenir compte de la baisse de chiffre d’affaires liée à la crise des candidats aux marchés publics ou contrats de concession.

Ces mesures sont utiles ; elles doivent permettre aux acheteurs publics, en particulier aux collectivités locales, de soutenir les entreprises et l’emploi dans tous les territoires.

Si les mesures de l’article 4 sont de nature plus technique, la logique est la même : il s’agit d’activer des leviers juridiques pour venir en aide aux entreprises. Ainsi, il est proposé de ratifier l’ordonnance du 17 juin 2020 relative à l’octroi d’avances en compte courant aux entreprises en difficulté par les organismes de placement collectif de capital investissement et les sociétés de capital-risque. Cette ordonnance relève temporairement la part d’actifs que ces fonds peuvent prêter aux entreprises dont ils sont actionnaires.

J’en arrive au sujet du projet de loi qui concentre le plus d’attention, à savoir l’article 3, qui ratifie l’ordonnance du 17 juin 2020 portant réorganisation de la Banque publique d’investissement et modifiant l’ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d’investissement.

Cet article justifie, à lui seul, la demande du Gouvernement d’inscrire le présent projet de loi à l’ordre du jour, afin de sécuriser le contenu de cette ordonnance, en y apposant le sceau du législateur, pour deux raisons principales. La première est d’ordre purement juridique : l’ampleur de l’ordonnance est plus large que le champ de l’habilitation accordée en mars dernier. La seconde est d’ordre plus opérationnel, la sécurisation législative de l’ordonnance étant de nature à rassurer tant les investisseurs que la Banque centrale européenne.

En quoi consiste précisément cette restructuration ?

Depuis la création de la Banque publique d’investissement, en 2012, la structure de cet établissement reposait sur une société holding, Bpifrance SA, chapeautant trois entités principales : Bpifrance Financement, établissement de crédit ; Bpifrance Participations, entité intervenant en fonds propres ; et Bpifrance Assurance Export. Vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, la réorganisation consiste en une fusion-absorption de Bpifrance SA par sa filiale, l’établissement de crédit Bpifrance Financement, qui deviendrait la société de tête.

Cette opération présente deux intérêts : d’une part, elle permet à l’établissement de crédit de bénéficier de la consolidation de Bpifrance Participations et de multiplier ainsi par plus de cinq le montant de ses fonds propres, renforçant considérablement ses capacités de financement de l’économie ; d’autre part, elle simplifie l’organisation et la gouvernance de la structure.

C’est pourquoi, mes chers collègues, cette réorganisation, qui permet de renforcer le soutien de l’économie dans un moment où ce soutien est absolument nécessaire, bénéficie de l’appui de notre commission.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Bernard Delcros, rapporteur. Toutefois, les modalités retenues par le Gouvernement emportent plusieurs conséquences, sur lesquelles je souhaite revenir.

La première concerne la détention du capital. Jusqu’à présent, la société de tête, intégralement publique, était partagée entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations, à cinquante-cinquante. La filiale Bpifrance Financement, quant à elle, était détenue à 91 % par la société de tête publique et à 9 % par des investisseurs privés, essentiellement des banques françaises.

L’absorption par Bpifrance Financement de la société de tête se traduit donc par une modification des conditions de détention : 98,6 % du capital est détenu à parité par l’État et la Caisse des dépôts, et 1,4 % par des investisseurs privés. L’ordonnance, qui date de juin dernier, fixait un plancher de 95 % à la détention publique. Ce taux, retenu en amont de l’opération, a permis de préserver une certaine souplesse, alors que les valorisations respectives des deux entités fusionnées n’étaient pas encore définitivement arrêtées.

Cette contingence étant désormais surmontée, je solliciterai, au travers d’un amendement d’un collègue, l’avis du Gouvernement sur l’intérêt de sécuriser un haut niveau de détention publique et de supprimer des marges de manœuvre pouvant ne plus se justifier a posteriori.

La seconde conséquence de la réorganisation porte sur les comptes publics, car l’opération a pour effet de sortir Bpifrance du périmètre des administrations publiques prises en compte pour la dette, au sens des critères de Maastricht. L’entité de tête pourra ainsi s’endetter sans que cela soit comptabilisé dans les indicateurs maastrichtiens. Bpifrance continuera donc de bénéficier de conditions favorables grâce à la garantie de l’État et pourra ainsi augmenter la dotation de Bpifrance Participations sans conséquence sur le solde public. Je tenais à souligner cette donnée importante.

Enfin, un dernier point a retenu mon attention ; les fonds de garantie dédiés aux prêts aux PME sont abondés, depuis plusieurs années, par des redéploiements de crédits et des recyclages de dividendes. La nouvelle organisation issue de la fusion pourrait conduire à accroître ces pratiques, qui peuvent sembler en contradiction avec le principe d’universalité budgétaire, lequel veut que le Parlement ait à se prononcer sur l’usage des deniers publics.

C’est pourquoi j’ai souhaité vous alerter sur ce sujet, madame la secrétaire d’État, au travers d’un amendement visant à renforcer l’information du Parlement sur le financement de ces garanties.

M. Bernard Delcros, rapporteur. Je souhaite que la position du Gouvernement soit clarifiée sur cette question.

Ainsi, sous réserve des observations que j’ai formulées, la commission des finances propose d’adopter le projet de loi. (Mme Nathalie Goulet ainsi que MM. Yves Bouloux et Pierre Louault applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi. (M. Daniel Salmon applaudit.)

M. Paul Toussaint Parigi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous tenons à rappeler, en préambule, la vigilance que nous devons tous avoir sur l’usage excessif des ordonnances, lesquelles tendent indubitablement, à long terme, à affaiblir l’exercice démocratique et à amoindrir notre rôle de législateur.

Les marges de manœuvre qui avaient été données au Gouvernement en début de crise sanitaire, face à l’urgence de la situation, ne doivent pas empêcher le contrôle démocratique de la représentation nationale ni faire glisser le régime sanitaire qui nous est imposé depuis désormais un an vers un régime d’ordonnances. Non seulement l’état d’urgence doit faire l’objet de ce contrôle parlementaire, mais les nombreuses ordonnances prises, dans des domaines extrêmement larges, dans le cadre de la lutte contre le covid-19 auraient déjà dû être soumises à la consultation des deux chambres et ratifiées dans leur intégralité.

Il est plus que jamais nécessaire, en période de crise, alors que l’urgence semble, hélas, devenir permanence, de renforcer la relation de confiance entre représentants et représentés et de ne point fouler aux pieds le dialogue et la concertation, si tant est que le souhait du Président de la République de « bâtir ensemble des réponses » ne soit pas un vœu pieu. Il est nécessaire, madame la secrétaire d’État, de rappeler que la concertation et le débat démocratique ne sont pas exclusifs d’une décision tout à la fois efficace et proportionnée, sauf à remettre en cause les piliers mêmes de notre République.

J’en viens désormais au fond du projet de loi.

Si la prolongation de l’existence du fonds de solidarité est bien évidemment nécessaire, sans doute sera-t-il besoin de prolonger encore ce dispositif, compte tenu de la situation actuelle et des évolutions attendues de l’épidémie.

Néanmoins, permettez-nous de le souligner, les conditions pour bénéficier de ce fonds, certes élargies à l’automne dernier, ont fait perdre de la clarté et de la visibilité à ce dispositif, dont l’impact pourrait être beaucoup plus important si vous acceptiez sa territorialisation ; cela permettrait un fonctionnement plus souple et la prise en charge de situations non prévues dans le cadre législatif et réglementaire actuel, et cela permettrait d’accompagner plus équitablement les entreprises en fonction de leur situation.

En outre, de nombreuses collectivités territoriales ont lancé des initiatives pour soutenir le tissu économique grâce à des aides spécifiques. Dans ce cadre, nous souhaiterions avoir des garanties sur la prise en compte, lors du contrôle de légalité, du caractère exceptionnel des difficultés actuelles.

Par ailleurs, nous saluons la décision de reporter d’un an les premiers remboursements des prêts garantis par l’État (PGE) ; c’est indispensable pour ne pas fragiliser davantage les entreprises déjà en difficulté.

Une question subsiste toutefois sur les effets à long terme des PGE pour les entreprises qui, face à l’alourdissement de leurs dettes, seraient confrontées aux difficultés de remboursement et, plus largement, à des problèmes de liquidité.

En ce qui concerne l’ouverture aux PME d’un accès privilégié aux marchés publics globaux, serait-il envisageable de pérenniser les dispositions de l’ordonnance, voire de rendre possible leur cumul avec les critères écologiques, sociaux, locaux, d’insertion ? C’est une piste que nous souhaiterions voir approfondie.

J’en terminerai avec la réorganisation de la Banque publique d’investissement, dont le renforcement des moyens d’investissement, dans un contexte de difficultés économiques pour les entreprises, est évidemment pour nous un motif de satisfaction, puisque le groupe doit investir près de 2,5 milliards d’euros dans des produits climat, composés de prêts verts destinés aux PME et aux ETI (entreprises de taille intermédiaire), afin de permettre à celles-ci de réaliser des économies d’énergie.

Enfin, de manière plus spécifique, j’appelle, à titre personnel, l’État à prendre en compte l’ampleur de la crise économique et sociale en Corse, ainsi que la volonté unanimement exprimée par l’Assemblée de Corse d’y faire face de manière adaptée, en raison des conséquences majorées de la crise pour ce territoire du fait de son insularité, de la spécificité de notre tissu économique et social et de la structure de nos recettes fiscales, les circulaires de droit commun étant moins adaptées à la situation corse.

Voilà les éléments que nous souhaitions porter à votre connaissance.

Nous voterons bien sûr la ratification de ces ordonnances, que la menace d’un troisième confinement justifie d’autant plus.

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis. (M. Didier Rambaud applaudit.)

M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, près d’un an après l’adoption de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, ce projet de loi de ratification est, pour nous tous, l’occasion de prendre un peu de recul par rapport aux mois interminables que nous venons de traverser. Cette situation exceptionnelle nous a conduits à confier au Gouvernement, comme la Constitution nous le permet, le soin de légiférer par ordonnances pour apporter une réponse massive à la crise.

Le 12 mars dernier, le Président de la République annonçait la fermeture des établissements scolaires ; le 14 mars vint l’annonce, par le Premier ministre, de la fermeture de tous les lieux publics non essentiels ; puis vint le confinement total, à partir du 17 mars, à douze heures. La France entrait alors, aux côtés de ses voisins européens, dans une longue période d’incertitude, à laquelle se mêlaient les lointains échos de l’inquiétante rumeur qui commençait à nous parvenir de Chine, car nous ignorions encore tout de ce qui nous attendait.

Tout s’est alors déroulé très vite. Dès le 18 mars suivant, le projet de loi d’urgence était transmis au Sénat et renvoyé à la commission des lois, tandis que la commission des finances de l’Assemblée nationale examinait le premier budget d’urgence ; le 19 mars, nous en terminions l’examen ; le 20 mars, le premier projet de loi de finances rectificative était adopté définitivement et, le 23 mars, les deux lois étaient promulguées.

Il n’aura fallu que quelques jours pour élaborer et adopter ces deux textes et prendre des mesures d’une ampleur inédite, qui nous auront permis de faire face à la crise. Qu’il me soit donc permis de rendre ici hommage à la mobilisation exceptionnelle des services centraux et déconcentrés de l’État ainsi qu’aux services du Sénat et de l’Assemblée nationale, qui n’ont pas manqué à leur devoir. Ces services ont travaillé nuit et jour pour produire leurs précieux rapports, pour guider, conseiller et éclairer nos travaux, dans une période pourtant bien mouvementée.

La brutalité de cette crise nous a conduits, je le disais, à habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances. Durant les trois premiers mois de l’épidémie, soixante-deux ordonnances ont été prises pour faire face à la crise et ont permis de soutenir les entreprises, les collectivités et l’ensemble des Français.

Le texte qui nous est présenté aujourd’hui en ratifie quatre.

La première ordonnance qu’il nous est proposé de ratifier est l’ordonnance du 10 juin 2020 relative au fonds de solidarité. Ce dispositif, d’une ampleur sans précédent, aura versé, rappelons-le, plus de 12 milliards d’euros à près de 2 millions d’entreprises. Dans la Drôme, le département dont je suis élu, plus de 120 millions d’euros auront été distribués à 17 215 entreprises. La rapporteure du texte à l’Assemblée nationale a souhaité élargir cet article pour ratifier également les autres ordonnances portant sur le fonds de solidarité, vital pour nombre d’entreprises.

La seconde ordonnance est celle du 17 juin 2020 portant diverses mesures en matière de commande publique. Elle a permis d’assouplir les conditions d’accès aux marchés et contrats de concession et de favoriser les PME, au même titre que l’ouverture des marchés de travaux sans publicité pour les lots de moins de 100 000 euros, adoptée lors de l’examen de la loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite « ASAP ».

La troisième ordonnance a permis de mettre en place la réorganisation de la Banque publique d’investissement, afin de permettre à cet établissement de déployer et d’administrer des prêts aux entreprises.

La quatrième ordonnance, enfin, visait à faciliter l’octroi d’avances en compte courant aux entreprises en difficulté. C’est encore une mesure qui a permis d’apporter une réponse rapide et adaptée à la crise.

Nous pouvons nous réjouir, je crois, d’avoir l’occasion d’examiner ces ordonnances et de les ratifier afin d’en sécuriser définitivement les dispositifs. Nous pouvons également nous féliciter de l’ampleur de la réponse de l’État et du Gouvernement pour faire face à ta crise. Pour ces deux raisons, le groupe RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (M. Bernard Fialaire applaudit.)

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi ne devrait pas soulever les passions ; cela dit, il n’en s’agit pas moins d’un sujet d’importance au regard du grand nombre d’ordonnances prises l’an dernier, en raison de l’état d’urgence sanitaire.

Certes, il faut replacer ce nombre impressionnant – plus d’une centaine d’ordonnances adoptées en 2020, dont une soixantaine sur le fondement de la loi d’habilitation du 23 mars 2020 – dans le contexte plus large du recours croissant aux ordonnances depuis une vingtaine d’années, principalement pour la transposition de directives européennes et pour l’application de textes en outre-mer, le plus souvent des sujets très techniques ou spécifiques.

Le recours aux ordonnances avait été important sous le précédent quinquennat, avec l’état d’urgence lié aux attentats terroristes et la crise des frondeurs. Le gouvernement Philippe n’a pas été en reste, avec un nombre non négligeable de réformes adoptées par ce moyen, en particulier la réforme emblématique du code du travail en 2017-2018. L’année 2021 nous dira si cette tendance à la hausse se poursuit ou bien si nous allons revenir à un état plus « normal » des choses au regard de la procédure législative.

Un peu comme avec la dette publique, une marche supplémentaire a été franchie l’an dernier en matière de législation par ordonnances, dans un contexte, je l’ai indiqué, d’utilisation déjà élevée.

Cela pose la question du suivi et de l’exercice de la mission de contrôle des parlementaires : les ordonnances ont-elles bien été toutes ratifiées ? Le sont-elles toutes, habituellement ? Quelles sont les réelles marges de manœuvre des parlementaires lors de l’habilitation et lors de la ratification ? C’est une discussion qui mériterait d’être approfondie, au-delà du texte que nous examinons aujourd’hui.

Le présent projet de loi de ratification a été déposé dès le mois de juillet dernier, dans le respect des délais prévus dans la loi d’habilitation. On peut néanmoins regretter son inscription relativement tardive à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et un examen dans la foulée au Sénat, ce qui ne nous laisse paradoxalement qu’un temps court.

Le texte ratifiait, dans sa version initiale, quatre ordonnances adoptées en juin 2020, en application de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19. Je n’aurai rien de particulier à dire sur les différents articles.

Il va de soi qu’il faut ratifier l’ordonnance du 10 juin 2020 relative au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.

Simplement, je note que la première ordonnance à ce sujet – l’ordonnance du 25 mars 2020 portant création d’un fonds de solidarité – avait été succincte du fait de l’urgence et qu’il avait fallu attendre la publication du décret d’application, quelques jours plus tard, pour connaître les détails du fonctionnement de ce fonds, ce qui avait pu représenter des difficultés de compréhension pour les interlocuteurs de la société civile, au premier rang desquels se trouvaient bien sûr les entreprises.

L’article 2, qui ratifie l’ordonnance du 17 juin 2020 portant diverses mesures en matière de commande publique n’appelle pas davantage de commentaires. Des mesures exceptionnelles et relativement techniques ont été effectivement prises dans ce domaine, l’an dernier, afin de faire face à la suspension, voire à l’arrêt, des chantiers, surtout pendant le premier confinement, au printemps.

L’article 3 ratifie une autre ordonnance datée du même jour, l’ordonnance du 17 juin 2020 portant réorganisation de la Banque publique d’investissement. Est ainsi opérée la fusion entre la société anonyme Bpifrance et sa filiale Bpifrance Financement, afin que le nouvel ensemble dispose de fonds propres plus importants, avec une participation publique qui reste très majoritaire. Les travaux de commission ont toutefois relevé que cette réorganisation amènerait à sortir la dette de Bpifrance du périmètre de la dette publique ; un élément supplémentaire à verser au débat qui grandit à ce sujet…

Enfin, l’article 4 ratifie une ordonnance relative à l’octroi d’avances en compte courant aux entreprises en difficulté, dans le contexte de ralentissement économique actuel, avec des dérogations sur le plafond d’octroi des avances et le champ des bénéficiaires.

Les députés ont adopté le présent projet de loi le 27 janvier dernier, avec quelques modifications qui vont dans le bon sens, en particulier la ratification de l’ensemble des dispositions relatives au fonds de solidarité prises par voie d’ordonnances, soit en réalité trois ordonnances distinctes.

Vous ne serez donc pas surpris, mes chers collègues, d’apprendre, après ces quelques remarques, que le groupe du RDSE se prononcera en faveur de l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)