Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Votre amendement a deux objectifs, le premier est d’abaisser le plafond de dépenses des campagnes électorales. Celui-ci, je le rappelle, est actualisé chaque année au regard du niveau de l’inflation ; l’amendement que vous proposez aboutirait néanmoins à une baisse de 40 % pour les candidats du premier tour et de 33 % pour les candidats présents au second tour.

S’agissant de votre second objectif, qui est d’ouvrir plus largement le droit au remboursement maximal, à savoir 47,5 % du plafond des dépenses, les règles qui s’appliquent à l’élection présidentielle sont beaucoup plus favorables aux « petits candidats » que celles qui régissent les autres élections puisque, quel que soit le score obtenu, un candidat a droit à un remboursement de 4,75 % du plafond, ce qui correspond environ à 800 000 euros.

On pourrait éventuellement lisser ce montant pour éviter le fameux effet de seuil, mais cela n’est pas proposé dans votre amendement. C’est la raison pour laquelle l’avis est défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. La deuxième partie de cet amendement, l’abaissement du seuil, nous pose une difficulté, parce que ce seuil est une garantie de l’équilibre et de la tenue de l’élection en limitant l’accès de certains candidats fantaisistes. Pourtant, la première partie pose une vraie question, celle de la dérive du coût de la politique, et, singulièrement, de cette élection.

Encore une fois, nous nous abstiendrons avec bienveillance, parce que, si cet amendement nous semble poser une bonne question, sa deuxième partie nous gêne.

Mme Éliane Assassi. Cela viendra !

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 30.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 8, présenté par MM. Kerrouche et Durain, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Sueur et Bourgi, Mme Harribey, MM. Leconte, Marie, Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 12

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…° Après le troisième alinéa du même II, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le nom des personnes physiques dont le montant total des dons recueillis par le mandataire excède 2 000 euros est rendu public par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques dans les conditions fixées par le même décret en Conseil d’État. » ;

La parole est à M. Éric Kerrouche.

M. Éric Kerrouche. Cet amendement vise à rendre obligatoire la publication par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) de la liste des principaux donateurs à une campagne présidentielle. Encore une fois, il s’agit d’un élément de transparence qui nous semble vraiment décisif dans une démocratie comme la nôtre.

Mme le président. L’amendement n° 9, présenté par MM. Temal, Kerrouche et Durain, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Sueur et Bourgi, Mme Harribey, MM. Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 12

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…° Après le troisième alinéa du même II, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Sans faire mention de l’identité des donateurs personnes physiques, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques publie, sur son site internet, la liste complète des dons reçus par chaque candidat. » ;

La parole est à M. Rachid Temal.

M. Rachid Temal. Je complète les propos de mon collègue en présentant cet amendement de repli. L’une des premières lois présentées au Parlement par ce gouvernement, je vous le rappelle, portait l’ambition d’être une grande loi sur la transparence. C’est une bonne chose, à mon sens.

Cet amendement vise à disposer non pas des noms des donateurs, mais de la liste complète de tous les dons, ce qui permettra, me semble-t-il, de réaliser ce vœu de transparence et de faire apparaître la structuration des dons faits à tel ou tel candidat. Il sera ainsi intéressant de savoir quels candidats reçoivent des dons très importants de grands donateurs, et quels autres ont des donateurs plus populaires. La transparence permettra ainsi de livrer un éclairage intéressant sur les différentes campagnes.

Cet amendement, c’est le « en même temps » dont le Gouvernement est familier : transparence et, en même temps, respect de la vie privée. Il est donc équilibré et mérite d’être voté.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Je suis très défavorable à l’amendement n° 8 pour deux raisons : les donateurs ont le droit de ne pas voir leurs opinions et leur engagement politique étalés en place publique ; cette règle risque, en outre, de dissuader un bon nombre de donateurs et tarirait ainsi, malheureusement, les sources de financement de la campagne présidentielle. L’avis est donc défavorable.

S’agissant de l’amendement n° 9, je n’y vois aucune difficulté technique ni de principe, je n’en vois pas non plus l’intérêt, mais je vais m’en remettre à l’avis du Gouvernement.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. En ce qui concerne l’amendement n° 8, vous avez raison, monsieur le sénateur, la liste des donateurs aux candidats à l’élection présidentielle n’est pas publiée ; toutefois, elle est communicable à la demande, comme l’a rappelé le Conseil d’État dans sa décision du 27 mars 2015, sous réserve de l’occultation des mentions nominatives pour éviter les atteintes à la vie privée. Les impératifs de transparence sont donc bien respectés et il n’est pas dans l’intention du Gouvernement de faire évoluer la loi de 1962 sur ce point.

La transparence sur l’origine des dons est garantie et si cela devait évoluer, il faudrait prévoir l’anonymisation de cette liste, ce que votre amendement ne fait pas. L’avis est donc défavorable.

Sur l’amendement n° 9 qui vise à publier la liste complète des dons reçus par chaque candidat, pour les raisons qui ont été évoquées précédemment, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 9.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 10, présenté par MM. Kerrouche et Durain, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Sueur et Bourgi, Mme Harribey, MM. Leconte, Marie, Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 12

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…° Après le sixième alinéa du même II, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« En cas de rejet du compte de campagne du candidat proclamé élu, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ou, en cas de recours contre cette décision, le Conseil constitutionnel, notifie sa décision au président de l’Assemblée nationale et au président du Sénat. » ;

La parole est à M. Éric Kerrouche.

M. Éric Kerrouche. Cet amendement reprend une préconisation du rapport de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique qui était présidée par Lionel Jospin : en cas de rejet du compte de campagne du candidat proclamé élu en raison d’un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement, sans préjudice, bien sûr, des poursuites pénales, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques notifie cette décision au président de l’Assemblée nationale et au président du Sénat, en vue d’éclairer le Parlement, afin de lui permettre d’engager, le cas échéant, en toute connaissance de cause, une procédure de destitution. Tel est l’objet du présent amendement.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Les décisions de la CNCCFP et du Conseil constitutionnel sont par définition rendues publiques, donc les deux chambres peuvent d’ores et déjà disposer des éléments permettant d’apprécier ou non la mise en œuvre d’une procédure de destitution selon l’article 68 de la Constitution.

Nous disposons déjà de toutes les informations, c’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 32, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 15

Insérer dix alinéas ainsi rédigés :

4° bis C. – Après le II bis, il est inséré un II ter ainsi rédigé :

« II ter. – Les électeurs peuvent à leur demande voter de manière anticipée dans l’un des bureaux ouverts à cette fin, parmi une liste arrêtée par les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères.

« Le vote par anticipation a lieu à une date prévue par décret pris au plus tard le sixième vendredi précédant le scrutin, aux horaires prévus par le II bis, sur une machine à voter d’un modèle agréé dans les conditions prévues à l’article L. 57-1 du code électoral, selon les modalités prévues aux derniers alinéas des articles L. 62 et L. 63 du même code.

« Dans chaque bureau, les opérations de vote sont placées sous le contrôle d’un bureau de vote électronique qui établit la liste des électeurs admis à voter et veille à la régularité et à la sincérité du scrutin.

« Pour l’application de l’article L. 37 du même code, tout électeur du département, tout candidat et tout parti ou groupement politique peut prendre communication et obtenir copie de la liste électorale des électeurs admis à voter par anticipation dans le département auprès de la mairie de la commune, à la condition de s’engager à ne pas en faire un usage commercial. Il en va de même dans les circonscriptions consulaires.

« Un électeur admis à voter de manière anticipée ne peut pas exercer son droit de vote par procuration. Un électeur qui a voté de manière anticipée ne peut pas voter le jour du scrutin.

« La liste d’émargement est conservée de manière sécurisée par le maire, ou par le chef de poste consulaire, entre les opérations de vote et le dépouillement. Elle est consultable par tout électeur. Les dispositions de l’article L. 68 du même code sont applicables à cette liste.

« La machine à voter est conservée de manière sécurisée par le maire, ou par le chef de poste consulaire, et ne peut pas être manipulée hors des périodes de vote et de dépouillement.

« Le jour du scrutin à 19 heures, le président du bureau de vote rend visibles les compteurs totalisant les suffrages exprimés par chaque candidat ainsi que les votes blancs, de manière à en permettre la lecture par les membres du bureau de vote, les délégués des candidats et les électeurs présents. Le président donne lecture à voix haute des résultats qui sont aussitôt enregistrés par le secrétaire.

« Les dispositions du présent II ter ne sont pas applicables en Nouvelle-Calédonie. » ;

II. – Alinéa 21

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ils ne peuvent pas demander à voter par anticipation dans les conditions prévues au II ter.

III. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

.… – Le 4° bis C, le 4° bis et le 5° du I entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2022.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Avant de développer l’argumentaire du Gouvernement que j’ai l’honneur de représenter pour vous présenter cet amendement, je voudrais rappeler le contexte, parce que je sais à quel point le dépôt de cet amendement par le Gouvernement a pu étonner, voire susciter de la colère. Plusieurs d’entre vous l’ont dit hier à l’occasion de débats, dans les médias et, aujourd’hui, lors de leurs propos liminaires.

Je voudrais, très simplement et en toute sincérité, vous dire d’abord que je comprends votre étonnement sur la méthode. Votre colère, même, est légitime. Il est vrai que nous avons déposé cet amendement au Sénat sans qu’il ait pu être examiné par l’Assemblée nationale, alors que, par tradition, c’est quelque chose que l’on évite habituellement de faire.

Je voudrais toutefois partager avec vous le fait que nous travaillons pour moderniser le vote, que beaucoup d’appels du pied à ce sujet ont été faits par des députés, mais également par des sénateurs sur cette question. Certains des amendements que nous venons d’examiner en font d’ailleurs la démonstration.

Notre volonté était donc de répondre à la fois à l’engagement du programme du Président de la République sur la numérisation et la modernisation de la démocratie et à la volonté d’un certain nombre de parlementaires de moderniser, de numériser le vote et de faire en sorte que, en 2022, on puisse élargir les conditions d’accès à la démocratie tout en respectant les impératifs sanitaires, mais aussi les impératifs de sécurité et de sincérité du scrutin.

Nous avons donc pris cette initiative, à laquelle nous avons travaillé avec les services du ministère de l’intérieur et je remercie M. le sénateur Philippe Bas d’avoir salué la qualité empirique du travail habituellement mené par cette administration. C’est ce qui nous conduit aujourd’hui à vous proposer cet amendement, qui nous semble offrir une forme de troisième voie entre, d’une part, le fait de ne pas bouger et de laisser l’organisation du scrutin telle qu’elle est et, d’autre part, une modernisation qui nous semble parfois aller trop loin ou ne pas garantir la sincérité du scrutin.

Telles sont les considérations qui nous ont amenés à déposer cet amendement et à vous proposer d’en discuter. Le Sénat, comme le Parlement dans son ensemble, est à la fois une chambre de débats et une chambre de décision ; c’est donc vous qui voterez.

Vous le savez, mais je le dis encore, puisque certains ont parlé de passage en force : nous ne passons rien en force, nous proposons cet amendement et le mot de la fin vous appartient.

M. Rachid Temal. C’est la démocratie !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Absolument, monsieur le sénateur, et il est heureux qu’il en soit ainsi.

J’en viens à la présentation de l’amendement. Les élections sont organisées avec une grande rigueur grâce à la participation active des maires, des équipes communales, de l’administration de l’État et cette rigueur se traduit par des modalités de vote simples et efficaces : un vote, à l’aide d’un bulletin placé dans une enveloppe, puis dans une urne, le dimanche du scrutin ou via une machine.

Cette simplicité permet de réduire de manière draconienne les malfaçons, les fraudes, les polémiques, les contentieux, évite de faire peser une incertitude sur les opérations électorales et sur les résultats et permet de maintenir la confiance des citoyens dans les opérations électorales.

Cette simplicité des opérations de vote a les avantages de sa robustesse, mais elle en a aussi les défauts : ainsi, la question de l’abstention est importante au niveau de l’élection présidentielle, même si elle est bien moins importante que pour d’autres élections. Néanmoins, on nous fait régulièrement un procès parce que les élections rencontrent un fort taux d’abstention et chacun ici conviendra que nous, qui aimons la démocratie, ne pouvons pas nous satisfaire de ce taux important d’abstention à l’élection présidentielle.

Bien évidemment, la méfiance de l’ensemble des citoyens français a des ressorts divers et variés, mais je voudrais poser la question du nombre d’électeurs qui auraient besoin de voter à un autre endroit que celui où ils se trouvent, qui ne se trouvent pas dans leur commune quelques jours avant le scrutin, voire le jour même du scrutin.

Des solutions existent déjà, notamment la procuration, et je voudrais rappeler que le ministère de l’intérieur est en train d’en moderniser considérablement l’établissement. Pour les élections de juin prochain, il sera, par exemple, possible d’établir une procuration avec une nouvelle téléprocédure partiellement dématérialisée que nous avons mise en place, qui sera plus simple et plus rapide pour l’électeur, plus sécurisée et allégée pour les policiers, pour les gendarmes et pour les maires. C’est fondamental en termes de temps et d’engagement.

Reste que les procurations seules ne suffisent pas. Certains électeurs ne peuvent pas donner procuration – j’y reviendrai – et d’autres ne le souhaitent pas, notamment au regard du secret du vote, une garantie constitutionnelle au cœur de la démocratie : comment pourrions-nous exiger d’eux qu’ils confient leur vote à un autre ?

Pour toutes ces raisons, il nous semble indispensable d’entamer la modernisation des opérations électorales dans notre pays. Dans cet esprit, le présent amendement ouvre la voie à une nouvelle modalité de vote, doublement originale et facilitatrice : l’électeur pourra voter dans la commune de son choix dans un délai n’excédant pas une semaine avant le scrutin.

Évidemment, pour des raisons techniques et afin de sécuriser les procédures, il ne sera pas possible de voter en tout lieu et à toute date. L’électeur choisira une commune parmi celles qui lui seront proposées : le Gouvernement veillera à ce que le maillage du territoire national soit complet, et certaines villes étrangères seront également proposées. Puis, à une date fixée par décret au cours de la semaine précédant le scrutin au maximum, les électeurs pourront se rendre au bureau de vote ouvert dans la commune choisie pour voter par anticipation.

Ce bureau sera largement similaire à ceux où nous nous rendons le dimanche, à ceci près qu’il sera nécessairement équipé d’une machine à voter. En effet, si le dépouillement avait lieu à l’issue des opérations de vote, cela serait susceptible, pour le coup, d’influencer les autres électeurs et d’interférer avec la campagne électorale. Si l’urne doit être conservée pendant plusieurs jours, les risques de fraude seront trop élevés. D’où l’utilisation d’une machine, qui sera verrouillée et mise sous clé dans l’attente du dépouillement, le dimanche soir.

Cette nouvelle modalité de vote est équilibrée, puisqu’elle ouvre des possibilités de vote inédites sans altérer la robustesse du système électoral. Elle sera d’abord proposée à une échelle raisonnable, avant de pouvoir être étendue davantage.

Avec votre permission, madame la présidente, je prendrai quelques instants de plus pour répondre aux principales questions soulevées dans la discussion générale.

S’agissant du délai dans lequel il sera possible de procéder à ce vote numérisé dans un autre territoire, je répète qu’il ne dépassera pas une semaine avant le dimanche du scrutin. Les dates ouvertes seront réduites au maximum, compte tenu des possibilités techniques, et fixées par décret.

En ce qui concerne le maillage, nous sommes en mesure, à l’heure actuelle, de déployer une machine par département.

Certains orateurs se sont interrogés sur la constitutionnalité de cet amendement. Le Conseil constitutionnel, qui contrôlera obligatoirement le projet de loi organique, se prononcera sur la question.

En ce qui concerne les réticences à l’égard des machines à voter, je rappelle que, jusqu’à présent, aucun incident n’a été signalé depuis 2012 : aucune élection, nulle part en France, n’a jamais été annulée pour cause d’incident sur une machine à voter. (Mme Éliane Assassi sexclame.)

Je crois que cette proposition est quelque peu caricaturée. Certains ont dit : on veut permettre à des gens de partir en vacances à La Baule…

M. Fabien Gay. Ou au Touquet !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. … et de voter quand même. Tel n’est pas du tout l’objet de cet amendement. Je souscris tout à fait à l’idée que le vote, qui est un droit, est surtout un devoir : quand on doit se rendre disponible pour exercer son devoir de citoyen, on se rend disponible pour l’exercer.

Cette proposition de vote numérique – une formulation plus exacte que celle de vote par anticipation – vise à favoriser notamment le vote des gens isolés, qui n’ont personne à qui confier leur procuration, de ceux qui travaillent le dimanche, des jeunes et de ceux qui viennent de déménager. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Enfin, plusieurs d’entre vous ont demandé qui va payer. La question est importante, et je ne la néglige pas. Avec cet amendement, nous proposons que l’État prenne en charge ces machines, conformément au moratoire de 2008 et pour ne pas imposer de frais supplémentaires aux communes.

Plusieurs grands auteurs ont été cités : Stéphane Séjourné, Christophe Castaner, Gérald Darmanin… En ce qui concerne le ministre de l’intérieur, je dois rappeler que, s’il s’est prononcé contre le vote par correspondance eu égard aux risques de manipulations et de pressions – une position partagée par tout le Gouvernement –, il n’a pas pris position contre le vote numérique, dans le cadre duquel l’électeur est dans un isoloir lorsqu’il vote, exactement comme lorsqu’il glisse un bulletin dans une enveloppe.

Mme Éliane Assassi. Dix minutes pour présenter un amendement ! Et le temps de parole ?

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. J’ai déjà expliqué dans la discussion générale quelle est la position de la commission sur cet amendement.

Avant d’y revenir, je veux dire à Mme la ministre que nous cultivons les mêmes grands auteurs… (Sourires.)

M. Rachid Temal. Castaner, Darmanin, que du premier choix !

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. La nuit dernière, en effet, j’ai recherché les anciennes déclarations de M. Darmanin. Or voici ce que disait le ministre de l’intérieur en novembre dernier : « Nous ne sommes pas capables d’être sûrs que le vote par correspondance, comme le scrutin électronique, soit entièrement incontestable. Des cas de fraude peuvent être relevés. » Le même a également écrit : « Nous n’avons pas besoin de cela, au moment où la légitimité des élus est attaquée. »

Pis, s’agissant précisément du vote par anticipation, il a renchéri en ces termes : « Contrairement aux Américains, les Français ont l’habitude que l’élection se tienne en une journée. Par ailleurs, il ne m’a pas semblé que le système électoral américain soit des plus incontestables, ou plus lisible que le nôtre. Je m’interroge d’ailleurs sur les volontés d’américaniser notre système institutionnel. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je tiens l’ensemble de ces déclarations à votre disposition, madame la ministre.

Des machines à voter sont en usage dans soixante-quatre communes. Leur système d’exploitation date de 1995… Vous avez bien entendu : elles fonctionnent sous Windows 95 ! Vous imaginez les difficultés de maintenance qui en résultent pour les communes concernées, qui maintiennent ce système comme elles le peuvent, sans recevoir de réponse effective de l’État depuis 2008.

On a balayé d’un revers de main ces difficultés, notamment l’interrogation sur la fiabilité de ces machines. Or c’est le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision de 2008, a relevé un problème de fiabilité, notamment lors des élections législatives de 2007.

En ce qui concerne le vote par anticipation, il ne faudrait pas aboutir, à un moment donné, à des opérations de vote sur le modèle d’une commande sur Amazon… Cela, certes, pourrait faire moderne, mais je vous renvoie, madame la ministre, à Montesquieu – un autre grand auteur… – et à son Esprit des lois. Il y explique qu’être seul est essentiel à la suspension du jugement, nécessaire pendant quelques instants pour faire le bon choix.

Ce n’est pas être rétrograde que de penser que le système électoral actuel est le mieux adapté à notre système démocratique.

Pour toutes les raisons que j’ai exposées dans la discussion générale et dans cette intervention, la commission appelle au rejet de l’amendement. (M. Philippe Bas applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.

M. Olivier Paccaud. Je ne reviendrai pas sur les circonstances étonnantes de l’arrivée en débat de cet amendement. Vous-même, madame la ministre, avez reconnu qu’il était un peu cavalier, ou baroque…

En règle générale, un amendement est motivé par un objet. Si Mme la ministre a prononcé quinze fois au moins le mot « modernisation », il semble que la véritable intention soit de lutter contre l’abstention. L’objectif est louable, mais pourquoi n’est-il pas mentionné une seule fois dans l’objet de l’amendement ?

Cet objet est très bizarre : il n’explique pas les raisons de l’amendement, mais comment celui-ci serait mis en œuvre. En quelque sorte, l’objet complète un dispositif lui-même très incomplet – les compléments que Mme la ministre a donnés par oral le prouvent.

On m’a fait la leçon sur l’égalité. À juste titre, peut-être, mais voici mon tour : en matière d’accès aux bureaux de vote électronique, il va falloir m’expliquer où est l’égalité…

J’habite un département qui s’appelle l’Oise : c’est un grand rectangle. On ne sait pas combien de bureaux de vote par anticipation y seraient ouverts. Visiblement, un seul – l’objet ne le précise même pas – ce sera dans le décret… Comment donc ce bureau sera-t-il choisi ? On peut supposer qu’il sera ouvert dans la préfecture, à Beauvais – je n’ose croire que ce soit dans une ville où La République En Marche a obtenu de bons scores… Pensez-vous vraiment qu’un électeur qui habite Noyon ou Crépy-en-Valois, aux confins de l’Aisne, madame le président, ou de la Seine-et-Marne, parcourra deux fois 100 kilomètres pour voter ?

En d’autres termes, madame la ministre, vous allez privilégier certains urbains. Les ruraux ont l’habitude d’être méprisés, mais ils commencent à en avoir assez. N’oubliez pas les « gilets jaunes » ! Sans parler du bilan carbone : le Gouvernement semble soudain avoir oublié les leçons d’écologie qu’il nous assène quotidiennement…

M. Guy Benarroche. Ça chauffe !

M. Olivier Paccaud. La citoyenneté est un droit, un devoir et même une chance. C’est aussi une responsabilité. À cet égard, c’est à raison que notre rapporteur a parlé d’Amazon,…

Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Olivier Paccaud. … car la démocratie court le risque de devenir un objet de consommation. Je refuse la « fastfoodisation » de notre démocratie !