M. le président. L’amendement n° 15, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois après l’adoption de la présente loi, le Gouvernement présente un rapport sur les mesures qu’il compte prendre afin de lutter contre la surpopulation carcérale.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à demander au Gouvernement un rapport.

Pour avoir moi-même présidé cette noble instance qu’est la commission des lois, je sais qu’elle n’aime pas les rapports. Toutefois, je persiste, car c’est l’occasion de rappeler que cette proposition de loi ne peut être une réponse structurelle à la situation : à elle seule, quand bien même elle aurait été améliorée comme nous l’avions proposé, elle ne répond pas aux différentes condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme.

Dans son arrêt du 30 janvier 2020, que j’ai déjà cité, la Cour européenne des droits de l’homme pointait un problème structurel en matière de surpopulation carcérale en France et exigeait l’adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention.

Au 1er février dernier, les prisons françaises comptaient 63 802 détenus. Chaque mois, ce sont 1 000 détenus de plus qui viennent remplir ces prisons. L’inflation carcérale que connaît la France depuis plusieurs décennies est avant tout le fruit des politiques pénales antérieures. Je connais la diversité des gouvernements qui se sont succédé, et je ne ferai aucun simplisme à cet égard.

Précédemment, j’ai cité l’action décisive de Jean-René Lecerf, celle de Dominique Raimbourg – malheureusement, il n’a pas été assez écouté – et la ténacité avec laquelle Christiane Taubira a voulu mettre en place de nouvelles formes de peines, qui n’ont pas eu de succès. De nombreuses tentatives ont eu lieu, mais il n’y a rien à faire.

Monsieur le garde des sceaux, je souhaite que vous réussissiez dans ce combat pour les peines alternatives, car nous savons ce qui se passera si l’on construit de nouvelles prisons – on en a construit depuis cinquante ans – : on aboutira au surpeuplement. C’est pourquoi nous souhaitons vivement que des alternatives soient possibles.

Je finirai en mentionnant le rapport parlementaire d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale, présenté par Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe, en 2013. Ce serait une bonne lecture, car ses auteurs ont pris le risque de formuler des propositions qui n’allaient pas de soi, mais qu’il serait peut-être bon de prendre en compte.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur Sueur, je ne reviens pas sur la position de la commission des lois, que vous connaissez pour en avoir été le président.

Pour autant, la surpopulation carcérale est un sujet majeur, que j’ai d’ailleurs largement évoqué lors de la discussion générale. En tant que parlementaires, il nous appartient de suivre avec beaucoup de vigilance l’évolution du taux d’occupation carcérale. Chaque année, lors de l’examen du projet de loi de finances, Alain Marc, en tant que rapporteur pour avis de la commission des lois, suit cet indicateur et nous en rend compte.

Le Gouvernement pourrait nous donner des indications sur la manière dont il envisage l’évolution du taux d’occupation carcérale dans les prochains mois et dans les prochaines années. L’ouverture de nouvelles places de prison devrait contribuer à le faire baisser, de même que la mise en œuvre de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui vise à réduire le nombre de courtes peines.

Cependant, monsieur le garde des sceaux, si l’on en croit vos récentes déclarations, le Gouvernement serait tenté de proposer une réforme des règles relatives aux crédits de réduction de peine, ce qui pourrait avoir l’effet inverse en augmentant le temps passé en détention. Le Gouvernement, par votre voix, pourrait donc utilement nous éclairer sur la stratégie qu’il compte suivre en matière de gestion de la population carcérale.

M. Roger Karoutchi. Pas ce soir ! (Sourires.)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cette demande de rapport.

Monsieur le sénateur Karoutchi, je vous ai entendu, et je veux vous rassurer. Vous ne souhaitez pas que je développe plus avant ce projet de loi que j’aurai l’honneur de discuter ici dès que possible.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Un mot, toutefois.

Il y a la loi « bloc peine », il y a le développement de l’ARSE, il y a les alternatives aux poursuites, il y a la plateforme TIG 360°, il y a le projet de loi que je prépare et sur lequel je travaille beaucoup. À quoi servirait un rapport supplémentaire, alors que vous contrôlez déjà avec beaucoup de vigilance le travail du Gouvernement ? Je vous ai déjà communiqué les chiffres. Si vous souhaitez en avoir le détail, ma porte vous est ouverte ; je pense que vous le savez, monsieur Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Je suis déjà venu !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Un rapport supplémentaire ne servirait pas à grand-chose, je le dis sans ambages, et je sais les sénateurs suffisamment vigilants quant à l’action gouvernementale pour éviter cette nouvelle lourdeur. Les chiffres et les choses sont clairs.

Pardonnez-moi de me répéter, mais je pense que le contrôle et la vigilance que vous avez évoqués vous permettent d’avoir une vision tout à fait précise de ce que le Gouvernement met en œuvre pour lutter contre la surpopulation carcérale.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Je m’associe à la question posée par le rapporteur, que je trouve très pertinente.

Je comprends tout à fait la réaction de M. Karoutchi, qui souhaite que vous ne répondiez pas sur-le-champ, monsieur le garde des sceaux. Reste que ce qui a été dit récemment sur les aménagements de peine que prévoirait votre projet de loi a suscité quelques incompréhensions. Certains ont pensé qu’il s’agissait d’avancer vers les aménagements de peine et d’autres d’être plus restrictif. Il est évident qu’être plus restrictif ne permettra pas de lutter contre la surpopulation carcérale.

Comme cela n’a pas toujours été très bien compris, je pense qu’à la faveur de l’examen de votre projet de loi vous aurez l’occasion de clarifier ce point.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Bien sûr !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 15.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article unique - Amendement n° 15
Dossier législatif : proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention
Intitulé de la proposition de loi

M. le président. L’amendement n° 16, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois après l’adoption de la présente proposition de loi, le Gouvernement présente un rapport sur les mesures qu’il compte prendre afin de développer les aménagements de peine.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Dans la même logique, sur laquelle je ne reviens pas, cet amendement vise à demander au Gouvernement un rapport sur le développement des aménagements de peine dans le but de lutter contre la surpopulation carcérale.

La juridiction de l’application des peines peut aménager les peines d’emprisonnement ferme en prononçant l’une des mesures suivantes : libération conditionnelle, suspension de peine pour raisons médicales, semi-liberté, placement à l’extérieur ou placement sous surveillance électronique. Des permissions de sortie peuvent également être accordées sous certaines conditions. Le tribunal correctionnel peut aussi décider, dès la condamnation, que la peine d’emprisonnement fera l’objet d’un aménagement.

Ce rapport, qui n’existera pas et sur lequel nous appelons l’attention du Gouvernement, permettrait d’y voir clair et d’évaluer l’effet de ces aménagements de peine sur la nécessaire lutte contre la surpopulation pénitentiaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Même avis défavorable que pour l’amendement précédent.

Il me semble que le futur projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire pourrait faire évoluer les dispositions relatives à la libération sous contrainte déjà modifiées par la loi de programmation du 23 mars 2019. À cette occasion, nous aurons sans doute le plaisir d’entendre le garde des sceaux sur ce sujet ô combien important. Ce soir n’est certainement pas le moment d’en parler.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’ai la certitude que le Sénat enrichira ce texte le moment venu et proposera des amendements auxquels, j’en suis déjà convaincu, je serai favorable.

L’aménagement de peine est l’une des possibilités pour réguler la surpopulation carcérale.

Je n’étais pas favorable à un rapport général ; je ne suis pas plus favorable à un rapport sur une mesure qui doit être incluse dans un panel de mesures.

Je préfère peaufiner mon projet de loi que de préparer un rapport,…

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … d’autant que, je le répète, tous les chiffres sont publiés régulièrement, vous en prenez connaissance et, comme vous connaissez bien la matière, vous savez parfaitement quelle est l’action du Gouvernement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 16.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article unique - Amendement n° 16
Dossier législatif : proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Intitulé de la proposition de loi

M. le président. L’amendement n° 17, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi tendant à assurer l’effectivité du droit au respect de la dignité en détention

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Il faut toujours avoir de l’espoir. (Sourires.)

Cet amendement, qui est le dix-septième que j’ai déposé, a été rédigé dans l’espoir qu’auraient pu être adoptés nos seize amendements précédents ou, du moins, les deux tiers, voire la moitié d’entre eux ou quelques-uns seulement. Ainsi, nous aurions pu dire que la proposition de loi tend « à assurer l’effectivité du droit au respect de la dignité en détention ».

Comme il n’en est rien, hélas, nous retirons cet amendement.

M. le président. L’amendement n° 17 est retiré.

Vote sur l’ensemble

Intitulé de la proposition de loi
Dossier législatif : proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons suffisamment plaidé pour qu’au moins six améliorations soient apportées à ce texte. Nous avons cité nos sources : Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, l’Observatoire international des prisons, l’interprétation qui nous paraît claire de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, les décisions qui nous paraissent également très claires de la Cour de cassation, les auditions de représentants des avocats du barreau et de représentants des magistrats auxquelles nous avons procédé.

À l’issue de l’ensemble de ces auditions et de ces contacts, il est apparu que ce texte devait être précisé et amélioré afin que le droit à saisir le juge judiciaire pour les détenus en situation d’indignité soit effectif. Nous avons même déposé une proposition de loi qui rassemblait ces différentes modifications.

Je dois dire, pour être tout à fait juste, que l’une de nos propositions a été retenue en commission. Alors que le texte prévoyait initialement que le juge pouvait auditionner la personne, avec l’accord du rapporteur et de la commission, cette disposition a été changée. Désormais, il est prévu que la personne qui estime être détenue dans des conditions indignes pouvait demander à être auditionnée et que, dans ce cas, elle le serait.

Pour autant, le compte n’y est pas. C’est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, comme nous considérons qu’il est bien sûr mieux que ce texte existe plutôt qu’il n’existe pas, nous ne nous y opposerons pas. Nous nous abstiendrons au motif que nos différentes propositions – elles ne sont pas seulement les nôtres – n’ont malheureusement pas pu être prises en compte. Toutefois, nous gardons l’espérance – il faut toujours avoir une lueur d’espoir (Sourires.) – qu’elles pourraient l’être par l’Assemblée nationale.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention
 

5

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 9 mars 2021 :

À neuf heures trente :

Trente-quatre questions orales.

À quatorze heures trente et le soir :

Explications de vote puis vote sur la proposition de loi relative au monde combattant, présentée par Mme Jocelyne Guidez et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 421, 2019-2020) ;

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, portant diverses mesures de justice sociale (texte de la commission n° 401, 2020-2021).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER