M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Je veux tout d’abord vous remercier, madame la sénatrice Françoise Dumont, d’avoir inscrit à l’agenda des questions d’actualité au Gouvernement cette question fondamentale du numéro 112.

Vous l’avez très bien rappelé, ce numéro d’appel d’urgence unique européen est une véritable matérialisation, une traduction en actes, de l’ambition de l’Union européenne pour les citoyens européens.

Aujourd’hui, le 112 ne se substitue pas aux autres numéros directs que nous connaissons et dont les Français ont l’usage. En effet, en 2017, le Président de la République avait fait part de sa volonté et de son ambition ; il avait indiqué qu’il souhaitait une simplification de la gestion des appels d’urgence, pour assurer plus d’efficacité – les enjeux de durée que vous avez rappelés – et plus de lisibilité.

Depuis lors, le Gouvernement travaille à cette simplification, notamment par le biais de la mission de modernisation de l’accessibilité et de la réception des communications d’urgence pour la sécurité, la santé et les secours, la mission Marcus, qui nous a proposé plusieurs scénarios permettant de garantir l’accessibilité aux services d’urgence, et ce même en situation d’afflux massif d’appels, comme celle que vous avez mentionnée.

En effet, il y a différents avantages à tendre vers un numéro unique. Plusieurs États européens ont d’ailleurs déjà fait le choix d’abandonner leurs différents numéros ; je pense à l’Espagne, au Danemark ou à d’autres. La mise en place d’un numéro unique permettrait d’englober le concept du secours d’urgence dans sa totalité et d’activer simultanément, dans certains cas, différents services nécessaires.

En revanche, il nous faut prendre en compte l’ensemble des éléments relatifs à la mise en œuvre de ce numéro unique.

Aujourd’hui, le 112 rencontre certaines difficultés, que nous allons devoir résoudre. Par exemple, il faut étudier son articulation avec le service d’accès aux soins, en pleine montée en puissance, qui doit permettre de désengorger les urgences et de garantir l’accès aux soins partout et à toute heure.

De même, l’absence d’interopérabilité entre les systèmes d’information des urgentistes et des pompiers, comme entre ceux de ces derniers et d’autres systèmes d’urgence, pose, à l’heure actuelle, problème.

Le ministère de l’intérieur travaille pleinement, avec les autres ministères concernés, à cette question, qui ouvre effectivement de belles perspectives d’efficacité pour la gestion, à l’avenir, des situations d’urgence, afin de mieux assurer la sécurité et le secours des Français.

La solution de salles communes entre pompiers et urgentistes, qui existent dans dix-huit départements, doit pouvoir être approfondie. C’est en tout cas le sens du travail que nous sommes en train de mener.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je conclus en saluant le travail de toutes les personnes répondant au téléphone, notamment les pompiers, tant volontaires que professionnels,…

M. le président. Il faut vraiment conclure !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. … qui sont particulièrement mobilisés en ce moment, pour la sécurité et pour la vaccination. (M. Julien Bargeton applaudit.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 31 mars 2021, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes suivi d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes.

(M. le Premier président et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes sont introduits dans lhémicycle selon le cérémonial dusage.)

M. le président. Monsieur le Premier président, madame la rapporteure générale, c’est avec plaisir que nous vous accueillons, cette après-midi, à l’occasion du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

C’est la première fois que nous allons vous entendre en cette qualité dans notre hémicycle. Au nom du Sénat, je vous remercie de votre présence. Je salue la présence de la nouvelle rapporteure générale de la Cour, Mme Carine Camby, à qui je souhaite pleine réussite dans ses fonctions.

La présentation de ce rapport annuel devant notre assemblée s’inscrit dans le cadre de la mission d’assistance du Parlement au contrôle du Gouvernement que la Constitution confie à la Cour. Pour la deuxième année consécutive, et comme l’autorise la loi organique relative aux lois de finances, nous avons souhaité que cette présentation puisse prendre la forme d’un débat permettant aux groupes politiques de s’exprimer. Nous y sommes maintenant attachés.

Le contrôle de l’action du Gouvernement est au cœur de la démocratie parlementaire, et l’année de crise sanitaire que nous venons de vivre dans des circonstances exceptionnelles exige de notre part une vigilance rigoureuse et, naturellement, un contrôle attentif et accru des politiques mises en œuvre.

À contexte exceptionnel, pouvoirs exceptionnels, mais aussi contrôle exceptionnel du Parlement. Je le redis, notre démocratie est vivante, et, en cette période où les voies d’urgence restreignent les libertés, nous avons davantage encore un devoir de contrôle.

En 2020, nous avons créé un régime juridique spécial d’état d’urgence sanitaire impliquant ces restrictions de liberté. Nos politiques publiques ont subi les effets de la crise et ont dû se réorganiser dans l’urgence pour s’adapter à la situation sanitaire. Nous avons voté des mesures de soutien aux conséquences financières très importantes, tandis que de nombreux secteurs d’activité ont été touchés par la crise.

C’est donc sans surprise que votre rapport public constitue, comme vous me l’avez dit à l’occasion de notre entretien préalable, une forme de premier regard sur la gestion de la crise sanitaire, notamment par l’exécutif.

Comment a-t-elle été pilotée ? Quelle en a été la gestion opérationnelle ? Quel en a été – et en sera – le coût pour nos finances publiques ? Quels enseignements peut-on en tirer ? Quelles insuffisances ou erreurs pourrait-on s’épargner à l’avenir ?

Vos travaux ont été menés dans des conditions particulièrement contraintes, je le sais. Dès l’été, vous avez lancé des enquêtes relatives à l’impact de la crise sur certaines politiques publiques, telles que la réanimation et les soins critiques, l’hébergement et le logement des personnes sans domicile, ou encore certains opérateurs comme la SNCF. Les résultats de certaines de ces enquêtes figurent d’ailleurs déjà dans la première partie de votre rapport.

Vous avez également consacré, cette année encore, une part importante de votre activité à répondre aux demandes d’enquêtes formulées par le Parlement en application des articles 47-2 de la Constitution et 58 de la loi organique relative aux lois de finances.

Vous avez ainsi remis pas moins de six enquêtes à notre commission des finances et deux à notre commission des affaires sociales, ce qui est un motif de satisfaction. Ces enquêtes vous ont d’ailleurs valu d’être largement sollicités cette année, s’agissant tout particulièrement du pilotage et de la mise en œuvre des crédits du plan de relance, qui fera l’objet d’un rapport prévu pour le début de 2022.

En cette période, notre responsabilité d’éclairer les citoyens me paraît essentielle. Je souhaite que le Sénat prenne toute sa part dans cette tâche et joue pleinement son rôle. Cette responsabilité vous incombe également, tandis que vous tirez comme première leçon de cette année de crise, la question de la trop faible anticipation et de l’impréparation des services publics concernés par la situation sanitaire.

Votre travail d’enquête, votre analyse et votre regard nous sont précieux et viennent enrichir les travaux de notre commission d’enquête, dont le rapport a été rendu au mois de décembre dernier et qui se poursuit par une mission commune d’information.

Monsieur le Premier président, vous avez la parole.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président du Sénat, je vous remercie de vos mots de bienvenue et de l’accueil que vous avez réservé à la Cour. Ils traduisent la qualité des liens qui unissent nos deux institutions. Vous savez combien j’y suis attaché. J’ai d’ailleurs grand plaisir à retrouver aujourd’hui cet hémicycle de la Haute Assemblée, que je n’avais pas fréquenté depuis plusieurs années.

Il s’agit en effet, depuis ma nomination comme Premier président de la Cour des comptes, du premier rapport public annuel, ou RPA, que j’ai l’honneur et la fierté de vous présenter.

C’est Sophie Moati qui, l’an dernier, était intervenue devant vous en sa qualité de doyenne des présidents de chambre de la Cour, après le départ de mon prédécesseur Didier Migaud et avant ma nomination en juin. Nous étions alors au début de mars 2020 et, si nous pressentions la gravité de la crise épidémique qui se profilait, cette dernière n’avait, bien sûr, pas encore pris toute son ampleur et ne se traduisait pas encore dans les travaux de la Cour.

La publication de notre rapport public annuel 2021 intervient, quant à elle, plus d’un an après le déclenchement de cette crise majeure et sans précédent.

Bien évidemment, ce choc a eu d’importantes répercussions sur le fonctionnement et les travaux des juridictions financières – la Cour des comptes, mais aussi les chambres régionales et territoriales des comptes, les CRTC –, comme le rappelle l’introduction générale du rapport public.

Les raisons en sont multiples ; il s’agit notamment du confinement des contrôlés, de l’allongement des délais de contradiction pour tenir compte des difficultés de ces derniers, de notre engagement, que nous avons respecté, de ne pas perturber les administrateurs placés en première ligne dans la gestion de la crise, mais aussi du report des élections municipales, qui a prolongé la période de réserve pendant laquelle nous sommes tenus de limiter la publication de certains travaux concernant le « bloc communal ».

Ces contraintes n’ont toutefois pas empêché les juridictions financières de remplir leurs missions, avec succès, me semble-t-il, notamment celles qui ont été accomplies au service du Parlement et qui sont essentielles pour nous. Nous avons réalisé, en 2020, pas moins de 16 rapports à la demande de l’Assemblée nationale et du Sénat, et vous avons transmis au total plus de 300 travaux.

En particulier, l’année dernière a permis de vous remettre des enquêtes très attendues, que ce soit sur la lutte contre la fraude aux prestations sociales – je suis venu la présenter devant la commission des affaires sociales –, les politiques de lutte contre la pollution de l’air ou encore la conduite des grands projets numériques de l’État.

Je suis donc très heureux que nous ayons pu, malgré le contexte sanitaire, maintenir des relations de travail régulières et fructueuses. Je vois dans leur solidité en temps de crise le reflet de notre attachement commun à l’indispensable débat démocratique et à la continuité de la vie institutionnelle.

La crise née de la pandémie de covid-19 a fait émerger, chez les décideurs comme chez nos concitoyens, de nouvelles réalités et de nouvelles préoccupations.

Ces réalités, ces préoccupations, les juridictions financières ne pouvaient pas les ignorer. Nous avons donc fait évoluer nos programmes de contrôles, pour prendre en compte cette situation inédite.

Au-delà de nos premières analyses relatives à l’impact de cette crise sur les comptes publics, qui ont été publiées dès le mois de juin dernier, j’ai pris la décision de consacrer une grande partie du rapport public annuel 2021 aux effets et à la gestion opérationnelle de la crise du covid-19. Nous avons lancé, dès l’été, de nouvelles enquêtes pour remplir cet objectif.

Ce rapport public annuel est donc le fruit de cette année 2020 si particulière. Il présente deux autres originalités, liées, elles aussi, aux circonstances.

Tout d’abord, de façon exceptionnelle, il ne comporte pas de chapitre relatif à la situation d’ensemble des finances publiques. Le Premier ministre a, en effet, demandé à la Cour de lui remettre, à la fin du mois d’avril prochain, un diagnostic sur la situation de nos finances publiques et de premières recommandations sur la stratégie à adopter pour l’après-crise. Il ne nous est pas apparu cohérent de nous exprimer deux fois sur ces questions à quelques semaines d’intervalle.

Nous publierons le mois prochain l’ensemble de nos analyses sur l’état des finances publiques, avec les données les plus à jour, à l’occasion de ce rapport. Je serai bien sûr heureux de venir les présenter à votre commission des finances si vous en formulez le souhait.

Ensuite, seconde originalité, ce RPA 2021 ne contient pas non plus de partie consacrée au suivi des recommandations pour 2020. Réunir les informations correspondantes aurait en effet nécessité d’interroger les services de l’État et des collectivités locales au cours du second trimestre de 2020, c’est-à-dire au plus fort de la première vague, période durant laquelle ils étaient très sollicités par la gestion de la crise.

Le prochain RPA y reviendra néanmoins et fera le bilan des recommandations sur deux ans. Ce n’est donc qu’un décalage temporaire.

J’en viens maintenant au contenu du rapport public 2021, qui se divise en deux tomes. Le premier aborde les premiers enseignements de la crise, au travers d’une dizaine de chapitres. Le second tome est consacré, de manière plus habituelle, aux politiques publiques et à la gestion publique.

Je commencerai par aborder les enseignements et le contenu du premier tome de notre rapport public. Nous avons choisi ici de traiter de sujets importants par leur ampleur opérationnelle ou par les masses financières en jeu, mais aussi d’approfondir d’autres travaux, pour fournir différents éclairages sur la gestion de la crise du covid-19.

Si nous ne prétendons pas, bien sûr, que ces différents chapitres permettent de dresser un bilan exhaustif et définitif des façons dont la crise a été gérée, ils peuvent toutefois déjà nous offrir quelques enseignements.

Le premier, c’est la faible anticipation d’un choc comme la crise du covid-19 – au demeurant très peu prévisible –, au sein de plusieurs des acteurs publics étudiés.

Nos chapitres consacrés au service public du numérique éducatif pendant la crise sanitaire ou encore à l’hébergement et au logement des personnes sans domicile mettent ainsi en évidence l’absence de plan de continuité dans plusieurs services publics, que ce soit les établissements scolaires ou certaines administrations d’État en charge de l’hébergement d’urgence, ce qui n’a pas permis de couvrir de façon satisfaisante les besoins de protection des plus précaires au début de la crise.

De même, l’appropriation du numérique était encore trop limitée pour permettre le basculement rapide dans l’enseignement à distance généralisé. Nous estimons ainsi que 5 % environ des élèves, soit, tout de même, 600 000 enfants, étaient en rupture numérique lors du premier confinement.

Un autre secteur trop peu armé pour affronter une crise qui l’a pourtant placé en toute première ligne est celui des services de réanimation et des soins critiques. Ces derniers constituaient, avant la crise, des activités hospitalières très spécifiques et parfois peu connues du grand public – elles le sont, hélas, devenues beaucoup plus depuis lors.

Depuis le déclenchement de l’épidémie, elles ont dû se mobiliser au prix d’un renoncement sans précédent aux autres soins, dont il faudra évaluer toutes les conséquences. Ce modèle doit, selon nous, être revu, car le vieillissement de la population soulèvera quoi qu’il arrive la question de l’augmentation des services de réanimation, avec un redimensionnement des effectifs et une réforme des modalités de financement.

L’enquête menée par les chambres régionales et territoriales des comptes sur un vaste échantillon d’établissements de santé implantés dans les régions Nouvelle-Aquitaine et Bourgogne-Franche-Comté permet de corroborer, au niveau territorial, les constats de la Cour.

Elle souligne, en particulier, que les incertitudes qui entourent le système de collecte et de remontée d’informations, sur lequel se fondent pourtant des décisions stratégiques nationales, constituent un chantier absolument prioritaire.

Une faible anticipation n’implique toutefois pas forcément une mauvaise gestion une fois la crise enclenchée. C’est le deuxième enseignement de ce premier tome, plus positif pour les acteurs publics : ces derniers se sont fortement mobilisés pour faire face aux conséquences de la crise et ont su faire preuve de réactivité, voire d’innovation.

Cela vaut bien sûr pour les administrations et services que je viens de citer, mais aussi pour d’autres politiques.

Le chapitre consacré à l’aide au retour des Français retenus à l’étranger pendant la pandémie souligne, par exemple, la mobilisation tout à fait exceptionnelle à la fois du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et d’Air France, qui a déployé des efforts considérables, notamment en comparaison d’autres compagnies nationales. Près de 370 000 personnes ont pu ainsi regagner le territoire français, dont 240 000 directement aidées par le ministère, pour un coût total maîtrisé d’environ 8,5 millions d’euros.

Le groupe ferroviaire SNCF a également fait preuve d’une très grande réactivité, en mettant rapidement en place une organisation de crise et des mesures sanitaires pour ses personnels et ses clients, mais aussi en anticipant la reprise de l’activité. La circulation des trains de voyageurs a été assurée, tout comme le transport de fret, orienté en priorité vers les besoins essentiels.

Notre rapport public aborde également le fonds de solidarité à destination des entreprises, qui constitue l’un des principaux dispositifs de soutien aux entreprises mis en œuvre par le Gouvernement, avec l’indemnisation de l’activité partielle et les prêts garantis par l’État. Son succès a été réel et a permis de limiter les effets de la crise, en distribuant rapidement 11,8 milliards d’euros d’aides à 1,8 million d’entreprises.

Le fonds s’est transformé après le premier confinement : il est passé d’un outil de soutien aux petites entreprises à un outil d’aide plus global et durable pour des structures de plus grande taille. Mais les principes de son fonctionnement, qui repose sur un traitement largement automatisé des demandes, n’ont pas été adaptés en parallèle. Cela accroît le risque d’un cumul d’aides supérieur au préjudice subi et justifie, à nos yeux, le renforcement des contrôles.

Ces risques m’amènent à aborder le troisième enseignement de ce premier tome consacré à la gestion de la crise du covid-19 : son coût financier est évidemment très élevé et remet en cause durablement certains modèles de financement.

C’est particulièrement vrai pour la SNCF, qui devra faire l’objet d’un suivi attentif, avec un risque de déficit structurel pour le transport à grande vitesse et le fret.

Par ailleurs, la crise née de la pandémie a très durement touché les finances d’autres secteurs, comme le montre le chapitre consacré à l’assurance chômage. Cette dernière, qui avait déjà une situation financière dégradée avant la crise, a pleinement joué son rôle de stabilisateur économique et social depuis son déclenchement, en finançant, conjointement avec l’État, le dispositif exceptionnel d’activité partielle.

Conséquence logique, l’assurance chômage présente un déficit historique de plus de 17 milliards d’euros en 2020, contre moins de 2 milliards d’euros en 2019. De son côté, la dette de l’Unédic s’élèverait à près de 65 milliards d’euros à la fin de 2021, un montant bien trop lourd à porter pour ce seul régime. Ses modalités d’apurement devront donc être étudiées dans le contexte plus large du traitement de la dette publique.

Le secteur culturel a également beaucoup souffert depuis le déclenchement de la crise, comme l’illustre notre chapitre consacré à l’institut Lumière de Lyon.

Ce remarquable organisme, présidé par le grand cinéaste lyonnais Bertrand Tavernier et créé dans les années 1980 par les héritiers des frères Lumière, était parvenu à diversifier ses ressources privées, ce qui est exemplaire. Ce type d’associations culturelles peu subventionnées est néanmoins particulièrement exposé aux effets de la crise, malgré les mesures d’urgence mises en place. Il appartiendra donc aux pouvoirs publics, en coordonnant leurs aides et en définissant des orientations claires, d’accompagner sur le long terme ces acteurs culturels précieux.

Ces quelques chapitres, par leur grande diversité, nous permettent donc d’avoir un premier aperçu de la manière dont la crise du covid-19 a été gérée, même si, encore une fois, nous ne prétendons nullement à l’exhaustivité et si un grand nombre de sujets doivent être revus.

L’année 2020 a également vu l’aboutissement d’autres travaux et enquêtes, dans le vaste champ des compétences de la Cour et des CRTC.

J’en viens ainsi au second tome du RPA. Ses onze chapitres regroupent des sujets de contrôle variés, choisis notamment sur la base des enseignements du grand débat national auquel, comme vous le savez, la Cour a largement participé. Ils accordent ainsi une place importante à l’action publique locale et à l’innovation publique.

Ce second tome revient tout d’abord sur deux politiques publiques qui ont connu des évolutions importantes et qui seront amenées à jouer un rôle majeur dans les prochaines années.

La première est celle qui est menée en faveur de l’inclusion bancaire et de la lutte contre le surendettement ; elle vise à donner à chacune et à chacun la possibilité d’accéder à un compte bancaire, ce qui est aujourd’hui devenu un impératif pour participer à la vie économique et sociale.

Ces dispositifs ont beaucoup progressé, mais ils demeurent perfectibles, d’autant qu’ils sont susceptibles d’être très fortement sollicités dans les mois et années à venir du fait des répercussions économiques et sociales de la pandémie, c’est-à-dire – appelons les choses par leur nom – de la montée de la pauvreté qui va accompagner celle-ci.

Leur mise en œuvre devra donc être renforcée, pour mieux accompagner les personnes en difficulté. La procédure de droit au compte, en particulier, gagnerait à être mieux encadrée.

La seconde politique publique évoquée est l’innovation de défense, qui sera indispensable pour renforcer notre indépendance stratégique, dans un contexte marqué par l’intensification de la compétition mondiale entre pôles de puissance tels que les États-Unis, la Chine ou la Russie.

Davantage tournée vers la préparation de l’avenir et la maîtrise des technologies de rupture et mieux intégrée aux futurs programmes d’armement, elle pourra également permettre de consolider notre indépendance économique en soutenant les grands groupes industriels, ainsi que les secteurs les plus touchés par la crise sanitaire, comme l’aéronautique et le spatial. Nous recommandons, en particulier, de sanctuariser l’effort de recherche en créant un programme budgétaire d’innovation.

Le rapport annuel de la Cour s’intéresse aussi de près à l’action publique dans les territoires, avec des exemples très concrets tirés de travaux des chambres régionales des comptes, que je souhaite voir toujours plus intégrés avec ceux de la Cour.

Je souhaite, à ce titre, reprendre différemment la logique de Philippe Séguin, non pas par l’intégration statutaire, mais par l’intégration fonctionnelle sans cesse renforcée de la Cour et des chambres régionales.

Certains de ces travaux abordent les enjeux locaux du changement climatique et de la préservation de l’environnement. C’est le cas du chapitre sur l’optimisation de l’éclairage public dans les communes d’Auvergne-Rhône-Alpes.

L’enquête de la chambre régionale des comptes montre que le bilan des actions entreprises pour diminuer la consommation énergétique est encourageant, mais que la lutte contre la pollution lumineuse, à laquelle nos concitoyens sont très attentifs, demeure en retrait. Ce chantier implique plusieurs paramètres, comme la puissance émise ou la durée de l’éclairage, dans un contexte de forte évolution technologique.

La gestion de l’eau doit aussi tenir compte de nouveaux enjeux, notamment en matière de préservation des milieux naturels, comme le montre le chapitre sur la compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne.

Les chambres régionales des comptes se sont également intéressées à la situation des quelque 200 communes qui dépendent fortement de l’implantation d’un casino sur leur territoire.

Pour ces collectivités, la présence d’un casino assure des recettes nombreuses, la principale étant le prélèvement sur le produit des jeux, qui peut représenter, pour certaines d’entre elles, plus du tiers des recettes de fonctionnement. Nos travaux révèlent que les communes concernées appréhendent souvent la présence d’un casino comme une sorte de rente de situation, dont la crise sanitaire a dévoilé la très grande fragilité. Nous recommandons donc de mieux protéger leurs intérêts à l’avenir, en renforçant leur expertise juridique.

Comme chaque année, le rapport public annuel revient aussi, dans ce second tome, sur différents exemples d’actions et de gestions publiques.

Il aborde notamment une question que vous connaissez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, à savoir le cas des réseaux consulaires, que ce soit les chambres de commerce et d’industrie, les CCI, les chambres de métiers et de l’artisanat, les CMA, ou les chambres d’agriculture. Ces chapitres permettent de mesurer les forces et faiblesses relatives de ces organismes.

La structuration des réseaux des CCI et des CMA semble plus aboutie, mais le positionnement des chambres d’agriculture est mieux identifié et reconnu. Ces dernières doivent poursuivre leurs mutations internes en encourageant la fusion des chambres départementales, tandis que les réformes sectorielles déjà conduites pour les CCI et les CMA posent, à terme, la question du maintien de leur financement public.

Des choix stratégiques devront également être faits pour d’autres organismes. En particulier, le chapitre sur l’ex-agence du numérique montre que l’héritage de cette dernière doit être consolidé, notamment en matière d’inclusion numérique.

Cette politique n’a pas encore donné de résultats probants, puisque 17 % de la population – c’est énorme ! – sont concernés par ce que l’on appelle « l’illectronisme » ; il s’agit de personnes sans compétences numériques de base ou qui n’ont absolument pas utilisé internet au cours de l’année écoulée. D’autres dispositifs présentent un bilan bien plus satisfaisant, comme la French Tech, mais doivent être mieux coordonnés et mieux pilotés.

De son côté, l’Institut de recherche pour le développement, l’IRD, fait montre d’une implication forte, notamment dans la recherche pour lutter contre les pandémies, mais souffre d’une visibilité réduite, en partie liée au caractère dispersé de ses missions et moyens.

Le rapprochement organique de l’IRD avec le CNRS apparaît aujourd’hui nécessaire pour renforcer les leviers d’influence et de coopération de la France en matière scientifique et économique.

Enfin, le rapport public annuel aborde deux politiques publiques au cœur des enjeux économiques et sociaux de notre pays.

Il s’agit, pour la première, de l’emploi et de la formation professionnelle, au travers de notre insertion sur le pilotage des acteurs associatifs par le ministère du travail. La crise a accentué les tensions sur le financement de ces associations et mis en lumière l’importance de renforcer leur pilotage et l’évaluation de leurs actions.

Une autre politique ô combien essentielle abordée dans ce rapport est la santé, avec un chapitre sur la gouvernance des ordres des professions de santé. Nous nous exprimons régulièrement sur ces ordres, pour lesquels des évolutions en profondeur paraissent nécessaires, afin d’améliorer leur gouvernance et de remettre au centre de leurs priorités ce qui est leur raison d’être, à savoir la protection des droits des patients.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, nous avons choisi d’aborder dans ce rapport public annuel des thèmes variés et concrets, sans nous focaliser sur une politique ou un secteur d’administration en particulier.

Bien sûr, ce rapport ne vise pas à dresser un constat définitif sur la gestion de la crise. Il s’attache simplement, à ce stade, à partager quelques enseignements pour renforcer notre résilience collective face aux prochains chocs – ils viendront – et à souligner la remarquable capacité de réaction de la majorité des acteurs publics.

En cela, ce rapport est peut-être plus équilibré que ceux que la Cour a pu produire par le passé. Il n’épingle pas. Il n’étrille pas. Il souligne, à côté de déficiences ou d’insuffisances, de bonnes pratiques. Je suis assez favorable à ce que cette évolution se confirme dans le temps.

Cependant, il faut aller plus loin. Notre programmation 2021 sera également très orientée vers la gestion et les conséquences de la crise du covid-19, pour produire un rapport public annuel 2022 qui sera intégralement – je l’annonce déjà – consacré à ce sujet.

Vous nous avez d’ailleurs vous-mêmes commandé des travaux cohérents avec ce choix, que ce soit, par exemple, sur la mise en œuvre et le pilotage du fonds de relance ou sur les mesures de soutien en faveur de la filière aéronautique. Je puis vous assurer que nos équipes sont déjà au travail pour vous rendre en temps et en heure ces rapports qui, j’en suis sûr, seront très suivis, car les questions soulevées par le Sénat sont très importantes.

D’ici là, j’aurai remis au Premier ministre l’audit qu’il nous a commandé sur la stratégie d’évolution des finances publiques à la suite du covid-19.

Nos travaux sur la crise s’articulent, bien sûr, avec ceux que d’autres que nous conduisent, ou ont conduit, sur ce sujet, au sein, par exemple, des missions Pittet, Arthuis ou Coeuré, mais avec les atouts qui sont les nôtres et que vous connaissez : notre indépendance, la très grande diversité de nos missions, notre grande attention portée au niveau local de l’action publique, que je sais cher à vos cœurs de sénateurs.

À cet égard, croyez bien que l’intégration fonctionnelle de la Cour et des chambres régionales des comptes – je le répète encore une fois – est le cœur du projet que je porte.

J’aurai plaisir à vous revoir tout au long de l’année 2021, qui sera, je l’espère, toujours aussi riche de nos échanges et de notre coopération. Vous pourrez en tout cas toujours compter sur la cour et son concours.

Monsieur le président, en application de l’article L. 143-6 du code des juridictions financières, j’ai l’honneur de vous remettre le rapport public annuel de la Cour des comptes. (M. le Premier président remet à M. le président du Sénat un exemplaire du rapport public annuel de la Cour des comptes.)

Il s’agit de l’un des rares exemplaires reliés en cuir de ce rapport. (Sourires.) Ceux-ci sont destinés exclusivement au Premier président et au procureur général de la Cour, au Président de la République et aux présidents des deux assemblées ; à titre exceptionnel, le Premier ministre en a également reçu un cette année, parce qu’il est membre de la Cour des comptes. (Applaudissements sur lensemble des travées, à lexception de celles du groupe CRCE.)