Mme la présidente. Les amendements nos 89 rectifié bis et 88 rectifié bis sont retirés.

La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le ministre, je salue votre détermination pour porter ce texte – il en faut –, mais je vous trouve parfois excessif. Roger Karoutchi l’a bien dit : dénoncer les vêtements portés lors de l’instruction à domicile, alors que l’enfant est seul avec ses parents, c’est vraiment hors sujet. Il faut cesser cette stigmatisation à tout propos.

Je remarque aussi que vous n’avez parlé que du voile. Or, pour la grande majorité des amendements qui ont été déposés, personne dans son argumentaire n’a parlé du voile. (M. le ministre sesclaffe.)

M. Fabien Gay. Personne n’est dupe !

Mme Nathalie Delattre. C’est vous qui stigmatisez le voile ! Nous, nous employons des termes très généraux.

Pour ma part, je soutiens l’amendement de Max Brisson. C’est pourquoi je rectifie mon amendement n° 150 rectifié bis pour le rendre identique à l’amendement n° 286 rectifié bis. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Il s’agit donc de l’amendement n° 150 rectifié ter, dont le libellé est désormais strictement identique à celui de l’amendement n° 286 rectifié bis.

La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.

M. Thani Mohamed Soilihi. Les amendements que nous examinons portent sur le champ de l’obligation de neutralité et l’interdiction du port de signes religieux, déclinés sur plusieurs modes : les accompagnatrices scolaires, les piscines ou encore les assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Le positionnement qu’ils impliquent ne saurait être dogmatique, mais pourrait s’articuler autour de deux questions dont nous pourrons, me semble-t-il, assez largement partager la nécessité.

Premièrement, y a-t-il un vide juridique à combler ? Il semble que le Conseil d’État ait apporté des éléments éclairants dans son avis de 2013, lorsqu’il a déclaré que « les exigences liées au bon fonctionnement de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».

La manifestation des convictions religieuses a pour limite le trouble à l’ordre public, comme le précisait M. le ministre, ou le bon fonctionnement du service public. Faut-il substituer à ce critère, qui implique un discernement casuistique, une interdiction générale et absolue ? Je ne le pense pas.

Deuxièmement, une interdiction générale et absolue du port de signes religieux par les accompagnants de sorties scolaires concourrait-elle à la lutte contre les morcellements et assignations de notre société ? Aurait-elle pour effet de conforter nos principes républicains ?

M. Loïc Hervé. Bonne question !

M. Thani Mohamed Soilihi. Permettrait-elle de faire obstacle à la pression interne à la société française visant à fermer une partie de la société aux valeurs de la République ? Je ne le pense pas non plus.

La laïcité, dont est déduite la liberté de conscience, n’est pas le silence des opinions religieuses des personnes appréhendées comme usagers du service public. Il ne s’agit pas ici de mollesse ou de renoncement, mais de porter une interrogation simple au regard de l’objet du texte. Il s’agit aussi d’affirmer que le principe de laïcité ne doit pas nécessairement sentir la poudre, pour reprendre les mots de Jean Rivero, mais peut constituer un principe fédérateur rassemblant l’ensemble des citoyens, croyants ou incroyants, comme l’exprimait Jean-Marc Sauvé.

Ne manquons pas notre cible, mes chers collègues ! Pour ces raisons, vous l’aurez compris, le groupe RDPI ne votera pas ces amendements. (M. François Patriat applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Monsieur le ministre, tout d’abord, je suis sensible aux longues réponses que vous m’apportez depuis le début de la soirée.

Je ne vous répondrai pas immédiatement sur l’instruction à domicile. Je ne ferai pas ce genre de mélange, et j’aurai l’occasion d’en reparler lorsque nous aborderons les amendements visant à rétablir l’article 21.

En revanche, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai pas parlé de collaborateurs occasionnels ni de signes ostentatoires ou ostensibles. Je n’ai pointé du doigt ni stigmatisé personne. J’ai parlé de neutralité par rapport à ma conception de l’école. J’ai expliqué que, depuis Jules Ferry, bien avant la loi de 1905, en passant par Jean Zay, et en allant jusqu’à la loi de 2004, il y a une exigence de neutralité et de laïcité particulière à l’école. C’est dans cette ligne d’une neutralité particulière que je m’inscris, qui fait de l’école le seul service public où l’on demande également la neutralité aux usagers.

La vraie question est celle de la classe. Une classe qui sort des murs de l’école reste une classe.

M. Max Brisson. Je pense connaître un petit peu le code de l’éducation : si une sortie scolaire n’est pas un acte pédagogique, elle n’a pas de raison d’être. En conséquence, tous ceux qui participent à cet acte pédagogique en accompagnant participent aussi à la classe et doivent s’inscrire dans cette logique d’une école conçue comme un lieu de neutralité particulier.

Les enfants ont besoin de repères. Lorsqu’ils sont à l’école, ils apprennent la laïcité. Lorsqu’ils visitent un musée ou se rendent dans un espace de découverte, ils apprennent aussi la laïcité.

Comme l’a dit M. Badinter, pour les mamans ou les papas qui participent à cet acte pédagogique, ce n’est pas un grand sacrifice que d’imposer ce grand principe de laïcité et de neutralité de notre école. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Delattre applaudit également.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.

M. Pierre Laurent. Je veux développer quelques arguments qui me semblent être de bon sens, en espérant qu’ils l’emportent sur une forme de dogmatisme.

Les parents, loin d’être des collaborateurs occasionnels, sont plutôt des collaborateurs permanents de l’éducation des enfants et de l’école. Et heureusement ! Ils n’entrent pas dans l’école – ou hors l’école – seulement à l’occasion des sorties scolaires.

Les mères que vous visez en vérité à travers ces amendements sont extrêmement présentes dans l’éducation de leurs enfants et dans l’école publique. Si nous les stigmatisions, comme vous le proposez, nous ferions reculer l’école publique partout où ces mères et ces parents participent à l’éducation de leurs enfants.

Vous rigolez sur les kermesses : demandez donc aux équipes éducatives s’il ne s’agit pas de moments éducatifs ! Parlez-leur des ateliers où des parents, notamment les mères que vous visez, viennent lire dans les classes et de toutes les activités auxquelles elles participent.

La distinction entre l’intérieur et l’extérieur de l’école n’existe pas pour les parents, car ils font partie de la vie éducative de leurs enfants. Il n’est pas sérieux de prétendre que les enfants ne font pas la différence entre les parents et les agents de l’éducation nationale au sein d’un car scolaire. Ils savent très bien les distinguer !

Faisons preuve de bon sens, mes chers collègues. Si l’on fait ce que vous proposez, que feront les professeurs des écoles lorsqu’ils organiseront une sortie ? Devront-ils établir une liste des parents autorisés à l’accompagner ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.

M. Philippe Bonnecarrère. Ce sujet a partagé la commission des lois, qui, dans un premier temps, a rejeté ces amendements, avant de les admettre dans le cadre d’un réexamen. Il divise aussi les groupes politiques.

Nous partageons, dans cet hémicycle, l’idée qu’il faut lutter contre l’islamisme radical, mais l’examen du texte démarre assez mal, avec des débats vifs sur la définition de l’espace public et sur le fait de savoir si un bus d’accompagnement des élèves relève ou non de l’espace scolaire. Il me semble que nous confondons l’essentiel et l’accessoire.

Le port d’une kippa, d’un voile ou d’une croix par un parent dans un bus d’accompagnement scolaire est-il un élément décisif ? Je ne le crois pas. Il y a selon moi des combats plus importants à mener à l’encontre de l’islamisme radical.

Je voudrais également opérer une distinction.

Nous sommes réunis pour lutter contre l’islamisme radical, mais nous restons attachés à la liberté des cultes et à la place de la vie spirituelle dans notre société. Nous ne voulons pas que l’un aille à l’encontre de l’autre. Ce n’est pas un hasard si, au cours des trois derniers quinquennats – le second mandat de Jacques Chirac avec la loi de 2004, le quinquennat de Nicolas Sarkozy avec la loi de 2010, celui de François Hollande avec l’avis du Conseil d’État de 2013 –, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il ne fallait pas aller sur ce terrain. Cette continuité de trois quinquennats est quand même un signal de sagesse. C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, je ne pourrai pas suivre ces amendements. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Je veux faire deux remarques.

En effet, madame Delattre, nous voyons bien toute l’ambiguïté de ce projet de loi. Jean-Pierre Sueur l’a très bien dit également : la vocation de ce texte était de combattre l’islamisme radical, mais pour l’instant nous n’en parlons pas.

Vous vous étonnez que nous pensions tous au voile à propos de ces amendements sur les sorties scolaires. Mais à quoi voulez-vous que nous pensions ? Pourquoi ne mentionnez-vous pas directement le voile dans vos amendements ? Quel message voulez-vous faire passer, à part tenter de nous vendre une proposition très électoraliste ?

Sur un plan technique, il y a quelque chose que je ne comprends pas très bien dans l’amendement de M. Brisson. Il propose que l’interdiction du port de signes ou de tenues ostensiblement religieuses « s’applique aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements, organisées par ces écoles et établissements publics locaux d’enseignement ». Il ne s’agit donc pas des parents d’élèves ou des intervenants qui viennent collaborer de temps en temps, mais des personnes qui « participent aux activités liées à l’enseignement ».

Une école qui sort de ses murs reste une école, certes, mais une école qui participe du monde. Or le monde n’est pas neutre. J’évoquerai un cas qui me concerne directement, celui du camp de déportés d’Aix-Les Milles. Lorsqu’elles le visitent, les classes peuvent être accompagnées d’un témoin de la déportation, qui parfois porte la kippa – je l’ai constaté personnellement. Va-t-on demander à cette personne d’enlever sa kippa au prétexte qu’il s’agit d’un port ostensible ?

Autre exemple, plus léger : lors d’une sortie culturelle dans un théâtre, si l’on propose à des jeunes de jouer une scène dans une tenue ecclésiastique, faudra-t-il défroquer le prêtre ? (Marques dimpatience sur des travées du groupe Les Républicains.)

Troisième exemple…

Mme la présidente. Votre temps de parole est épuisé, monsieur Benarroche !

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, si nous voulons pouvoir nous déterminer sur ces amendements, nous devons essayer de comprendre. C’est important !

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.

Mme Sylvie Robert. J’ai l’impression de revivre les débats que nous avons eus sur la proposition de loi de notre collègue Eustache-Brinio ou sur le texte pour une école de la confiance.

Comme le ministre l’a très bien dit, le Conseil d’État a tranché le débat depuis longtemps. Les parents accompagnateurs sont des usagers – j’insiste sur ce terme – du service public et ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité qui incombe aux agents. C’est presque de l’acharnement législatif, mes chers collègues.

Monsieur Brisson, comment pouvez-vous dire que les accompagnatrices ou les accompagnateurs de sorties scolaires exercent directement une mission de service public ? Ils ne sont pas employés par l’éducation nationale, comme le soulignait notre collègue Laurence Cohen. Il faudrait pour cela créer un statut et les rémunérer.

Quant à la notion exclusivement fonctionnelle de collaborateur occasionnel, je crois qu’elle n’existe pas en droit et que nous ne devons pas nous placer sur ce terrain.

Dans la logique de votre amendement et de vos explications, demanderez-vous la même chose aux parents qui participent à un conseil d’établissement ?

Il me semble que cette interdiction procède d’une double confusion : une confusion juridique, tout d’abord, entre le régime applicable aux agents du service public et celui qui prévaut pour les usagers ; une confusion politique, ensuite, beaucoup plus grave, sur le principe même de la laïcité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. Une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec M. le ministre (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Antoine Lefèvre. On n’est pourtant pas le 1er avril !

Mme Esther Benbassa. D’abord, dans le texte de 1905, aucun élément ne fait référence à une interdiction du port de signes religieux. D’ailleurs, Aristide Briand, initiateur de cette loi, assurait que l’État n’avait pas à se soucier de la signification religieuse d’un vêtement.

Ensuite, de façon pratique, de nombreuses sorties n’auraient pas lieu s’il n’y avait pas ces mères accompagnatrices – en général, ce ne sont pas les pères qui le font –, véritables auxiliaires qui aident les enseignants à s’occuper des élèves.

Enfin, voir leur mère les accompagner à une sortie scolaire, c’est un véritable modèle d’intégration pour les enfants. Connaissant un peu l’islam, je peux vous dire que, si la mère voilée était islamiste, elle n’accompagnerait pas les élèves.

Essayons de laisser un peu de place à la spiritualité dans notre société, car c’est elle qui est le plus souvent pratiquée par les jeunes, à l’heure où la religion a largement disparu !

Ce n’est pas seulement être islamiste que de porter le voile. Je suis juive, ma grand-mère portait un voile, et je n’étais pas pratiquante. Il faut quand même accepter la pudeur et l’islam culturel pratiqué par la classe moyenne musulmane. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. Comme l’aurait dit Aristide Briand lors de la discussion de la loi de 1905, c’est typiquement le genre d’amendements qui va stimuler l’ingéniosité des tailleurs. En effet, l’expression de la religiosité se fera différemment si nous allons dans le sens de cette proposition.

Plus fondamentalement, la circulaire du 18 mai 2004 me semblait suffisamment précise. La loi s’applique aux seuls élèves, et non aux parents, puisque ces derniers ne participent pas à l’activité d’enseignement. Ils ne jouent pas ce rôle lors des sorties scolaires.

La manifestation de la religiosité, quelle qu’elle soit, peut me déranger, mais elle est la condition d’existence de notre laïcité. La laïcité, c’est aussi la tolérance vis-à-vis de l’ensemble des cultes, quand bien même ils me gêneraient en tant qu’athée, agnostique ou membre d’une autre croyance.

Enfin, arrêtons avec ces débats sur l’université ! La loi de 2004 s’applique aux élèves, parce qu’ils ne sont pas encore formés et que les pressions psychologiques peuvent nuire à leur développement. On peut regretter la manifestation religieuse à l’université, mais les étudiants sont des adultes. N’appliquons pas les mêmes règles à des endroits complètement différents !

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.

Mme Sophie Taillé-Polian. Ce débat se caractérise quand même par beaucoup de suspicion et de stigmatisation.

Je voudrais commencer par remercier les parents. Ils ne sont finalement pas si nombreux à avoir ou à prendre le temps d’accompagner les enfants dans les sorties scolaires. Leur présence est parfois une condition absolument indispensable à la tenue de ces sorties. Ce n’est pas un acte prosélyte, ni un acte d’éducation ; c’est un acte citoyen. Or, dans ce cadre, on peut rester soi-même, c’est-à-dire le père ou la mère de tel ou tel enfant. On intervient en tant que parent, et non en tant que collaborateur du service de l’éducation.

Un parent a le droit de rester lui-même, comme lorsqu’il attend son enfant à la sortie de l’école. Il serait tout de même étrange de devoir travestir son habit quotidien pour cela.

Rien ne justifie aujourd’hui que l’on revienne pour la troisième fois en trois ans sur ce sujet qui ne pose pas de difficultés au quotidien.

Ce serait terrible de placer les enseignants dans la situation de devoir dire qui a le droit et qui n’a pas le droit d’accompagner les sorties scolaires. Il arrive souvent aux enfants d’interpeller leurs parents pour savoir quand ils vont eux aussi pouvoir accompagner une sortie. Et ils devraient leur répondre qu’ils n’en ont pas le droit, alors même que leurs enfants les sollicitent en tant que parents !

Ce débat me semble vraiment superfétatoire. C’est pourquoi je n’utiliserai pas mes dix dernières secondes…

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. Où est l’humain dans cet amendement ? Je me le demande. Une maman voilée n’est-elle plus une maman ?

Avez-vous déjà vu dans les yeux d’un enfant le bonheur de voir son papa ou sa maman accompagner une sortie scolaire ? (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) C’est essentiel pour lui, et je pense que ce parent s’inscrit dans l’école laïque en accompagnant son enfant.

Si vous privez ce parent de cet accompagnement, vous privez non seulement l’enfant, mais vous risquez également de priver toute la classe, car les parents accompagnateurs ne sont pas pléthoriques.

Vous commettez vraiment, me semble-t-il, une faute grave. Vous voyez le voile, mais les enfants ne le voient pas. Pour la plupart d’entre eux, c’est un habit usuel qui ne pose pas de problème. C’est au contraire s’il est retiré qu’ils constateront son absence.

Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. Dans la droite ligne des propos de Philippe Bonnecarrère, je ne voterai pas ces amendements, pas plus que je n’ai voté il y a quelques mois la proposition de loi de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio.

Nous devons, me semble-t-il, nous appuyer sur un débat de principe quant au rôle de la laïcité dans notre pays, qui n’a pas vocation à irradier toute la société française. La République est laïque ; la société et les individus ne le sont pas.

Les parents sont très souvent sollicités par l’école de leurs enfants pour accompagner, c’est-à-dire prêter main-forte à l’enseignant à l’extérieur de l’école, en particulier pour assurer la sécurité des élèves. Je suis père de famille de trois enfants fréquentant le collège et l’école primaire, je sais très bien ce qu’est une sortie scolaire pour en pratiquer régulièrement.

Je ne comprends pas ce débat à front renversé ce soir. Notre collègue Pierre Ouzoulias défend les bonnes sœurs dans les prisons pour expliquer leur rôle historique, reconnu par la jurisprudence. De grâce, ne laïcisons pas la société française ! Laissez les gens libres ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC, SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.

M. Laurent Lafon. Je fais partie des quelques personnes – je crois que nous ne sommes pas très nombreux – qui ont voté la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation, mais qui ne vont pas voter l’amendement de Max Brisson.

Pourquoi ?

D’abord, je ne voudrais pas qu’on se trompe de cible. Nous parlons de parents d’élèves, en particulier de mamans, auxquels on demande un service : participer à l’encadrement des sorties scolaires. Or, sans leur présence, ces sorties scolaires n’auraient sans doute pas lieu et, si elles acceptent de les accompagner, je ne crois pas que ce soit avec des arrière-pensées prosélytes, mais tout simplement pour rendre service.

Je voudrais lever deux ambiguïtés qui ont pu naître de nos échanges.

Premièrement, ces accompagnatrices ne participent ni à l’enseignement ni à la pédagogie – fort heureusement, d’ailleurs, puisqu’elles ne sont pas formées pour cela. Ces aspects reviennent aux seuls enseignants.

Deuxièmement, le concept de neutralité n’a jamais été absolu pour l’école. Des exemples ont été cités : certains intervenants peuvent porter un signe ostentatoire ; on peut aussi évoquer les fêtes de fin d’année – nos collègues communistes ont parlé de kermesse : je leur signale qu’à l’école publique, on parle de fête de fin d’année, non pas de kermesse… (Sourires.) – ou les réunions avec les parents d’élèves, auxquelles un parent peut venir avec un signe ostentatoire. Vous le voyez, la notion de neutralité n’est pas absolue et totale, y compris au sein de l’école.

Surtout, et c’est la raison pour laquelle mon vote sera différent aujourd’hui, nous ne devons pas nous tromper d’objectif. Nous examinerons plus tard dans nos débats l’article 21 de ce projet de loi, qui concerne l’instruction à domicile : nous devons faire attention à ce qu’un certain nombre de familles ne décident pas à quitter l’école publique au bénéfice d’autres lieux d’enseignement qui éloigneraient leurs enfants des principes de la République.

M. Laurent Lafon. Nous parlons ici de familles qui ont fait le choix de l’école publique et je ne voudrais pas que, par de telles propositions, nous leur adressions un signal négatif. Or l’adoption des amendements nos 286 rectifié bis et 150 rectifié ter enverrait un tel signal à ces familles. (M. Thani Mohamed Soilihi et Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.

M. Olivier Paccaud. Avec beaucoup de fougue, notre collègue Loïc Hervé nous a rappelé que, si la République était laïque, la société et les individus ne l’étaient pas. Pour autant, nous parlons ici de l’école et l’école est laïque – ne l’oublions jamais !

M. Gérard Longuet. L’école publique !

M. Olivier Paccaud. Oui, l’école publique.

Nous avons beaucoup parlé des parents accompagnants ; nous n’avons pas du tout parlé des enseignants et des directeurs qui organisent les sorties scolaires. Or il serait utile de savoir quelle est leur position et nous sommes assez nombreux à avoir évoqué cette problématique avec eux. Il faut savoir que certains directeurs d’école ne veulent pas organiser de sorties scolaires du fait de cette problématique de neutralité.

Il ne s’agit pas de stigmatiser ; il s’agit d’inviter à la neutralité. La loi peut être un outil formidable pour cela.

Madame la présidente, nous sommes tous les deux élus d’un département qui a une histoire particulière sur ces questions, puisque c’est à Creil qu’a eu lieu l’affaire du voile qui a abouti à la loi de 2004. Et la loi a fait son œuvre : il n’y a plus de problèmes liés au port du voile dans les collèges Gabriel-Havez et Jean-Jacques-Rousseau de Creil.

J’ai cosigné des deux mains l’amendement de Max Brisson, parce que je pense sincèrement qu’une telle disposition législative est un formidable outil offert aux organisateurs de sorties scolaires afin que ces sorties, à vocation pédagogique, se déroulent dans le climat le plus sain possible.

Pour terminer, je voudrais vous donner l’exemple du directeur d’une école de Creil qui, chaque début d’année, organise une réunion avec les parents d’élèves qui souhaitent accompagner une sortie scolaire. Il leur explique qu’il n’organisera de sorties que si les parents acceptent momentanément, le temps de la sortie, de mettre leurs vêtements religieux de côté, parce qu’il s’agit d’une action pédagogique où la neutralité s’impose. Cela se passe très bien.

M. Claude Raynal. Il n’y a donc pas besoin de loi !

M. Olivier Paccaud. Ce directeur d’école demande une mesure législative comme celle que nous proposons ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mon cher collègue, il n’est pas très juste de m’interpeller à cet instant, puisque, en tant que présidente de séance, je ne peux pas vous répondre.

M. Bruno Retailleau. Ce n’était pas méchant !

Mme la présidente. Certes.

La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Il est évident que cette mesure peut nous diviser. J’ai écouté les arguments des uns et des autres et j’ai relu les débats qui ont précédé l’adoption de la loi de 2004 : finalement, rien n’a changé ; il y a le même clivage entre la droite et la gauche – le ministre en plus, si j’ose dire, mais il n’était pas député à l’époque…

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est vrai ! Pas encore…

M. Bruno Retailleau. Avec les mêmes arguments – tolérance, non-laïcisation de la société – que ceux que j’entends ce soir, la loi de 2004 qui concernait aussi l’école publique n’aurait jamais été votée, mes chers collègues – c’est évident. Or qui s’en plaint de nos jours ? Demandez aux directeurs d’école ou aux enseignants : cette loi est une réussite.

Aujourd’hui, nous sommes à un moment où un islam politique essaie de construire en France une contre-société à visée séparatiste et sexiste. Il veut soumettre la femme à certaines règles, au travers notamment de signes ostentatoires.

J’entends l’argument selon lequel les sorties scolaires ne seraient que de simples balades. Non, c’est l’école hors les murs ! D’ailleurs, plusieurs circulaires ont été publiées à ce sujet : François Bayrou en a signé une en 1994 pour interdire le port de signes ostentatoires à l’école ; une autre, publiée en 1999, concernait l’école élémentaire et maternelle ; une autre, en 2011, le second degré.

Les choses sont donc claires : les sorties scolaires se préparent avant, elles s’exploitent après et elles sont obligatoires ! Bref, c’est l’école hors les murs, comme nous l’a très bien dit notre collègue Max Brisson.

Ensuite, autre dimension, l’accompagnateur scolaire n’est pas seulement un parent ; il est aussi celui qui encadre d’autres enfants qui ne sont pas les siens.

Enfin, l’école est un lieu privilégié où se joue, dans notre République laïque, le sens que nous souhaitons donner au commun. C’est pour cette raison qu’existe depuis longtemps – plus d’un siècle et demi – une exigence de neutralité qui s’impose aux professeurs. Cette exigence renforcée s’impose aux usagers, c’est-à-dire les élèves, depuis 2004 et la Cour administrative d’appel de Lyon a donné raison, il y a quelques années, à un instituteur qui se plaignait que des parents soient venus en classe avec des signes ostentatoires.

Il y a donc bien une gradation et nous demandons une quatrième étape.

Franchement, si l’école est, comme le disait Hannah Arendt, un lieu de la continuation du monde, la République laïque doit donner beaucoup de sens à cette neutralité.