M. Bernard Jomier. Ah, si le PCC n’est pas d’accord…

Mme Michelle Gréaume. Soutenir cette proposition de résolution serait s’inscrire dans l’agenda stratégique porté par les États-Unis et sortirait la France de sa position de neutralité dans le dossier. C’est pourquoi notre groupe s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Cadic. Madame la présidente, mes chers collègues, le 1er janvier 2020, à Wuhan, en Chine, le docteur Li Wenliang de l’hôpital central était incarcéré avec sept de ses collègues. Deux jours plus tôt, il avait lancé l’alerte sur le fait que sept personnes travaillant sur le marché aux animaux de la ville avaient contracté un virus proche du SRAS. Le docteur Li Wenliang a été contraint de reconnaître qu’il perturbait l’ordre social. Le 7 février 2020, il comptera parmi les premiers morts du covid.

Fort de son expérience du SRAS en 2003, Taïwan a su anticiper l’épidémie.

Dès le 31 décembre 2019, elle alertait l’OMS sur la possibilité d’une transmission interhumaine du virus apparu à Wuhan. Elle n’a pas été entendue.

Il faudra attendre le 20 janvier 2020 pour que Pékin se résigne à reconnaître que le virus était transmissible entre humains, date à laquelle l’OMS a qualifié la situation « d’urgence de santé publique de portée internationale ».

Nous savons aujourd’hui que ces trois semaines perdues en janvier ont eu des conséquences tragiques pour la planète.

La mise à l’écart de Taïwan des réflexions et actions conduites par l’OMS nuit aux intérêts de la communauté internationale. C’est précisément ce qui apparaît dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution que nous présentent aujourd’hui nos collègues Alain Richard et Joël Guerriau, que je remercie chaleureusement.

Le 20 février 2020, je déposais une question écrite interrogeant notre gouvernement sur les initiatives qu’il pourrait prendre afin d’intégrer Taïwan dans les discussions internationales sur le nouveau coronavirus. Des milliers de Français vivent à Taïwan ; je voulais éviter que ces compatriotes se retrouvent en dehors de la protection de l’OMS.

Ce 20 février, le monde dénombrait alors 2 012 morts du covid, dont 2 008 en Chine, un à Hong Kong, un à Taïwan et un en France. Un mois plus tard, le 31 mars 2020, avec quatre-vingt-quatre parlementaires, nous cosignions une tribune appelant à l’intégration de Taïwan au sein de l’OMS, sur l’initiative de notre collègue André Gattolin.

L’épidémie s’est répandue sur la planète, rebondit avec ses variants – britannique, brésilien, maintenant indien. Les ravages se poursuivent.

Le 20 février 2020, Taïwan comptait vingt-trois cas de covid et, je vous l’ai dit, un seul décès. À ce jour, l’île totalise 1 121 cas confirmés et seulement douze décès, pour 23 millions d’habitants.

Taïwan est le territoire qui compte le moins de cas et de décès recensés dans le monde.

Dès l’origine de l’épidémie, l’industrie taïwanaise a produit 13 millions de masques par jour. Résultat : pas de confinement et une vie sociale, scolaire et économique qui se poursuit normalement, mais sous précautions.

En juin 2020, en réponse à ma question écrite posée quatre mois plus tôt, Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, m’indiquait qu’il souhaitait que Taïwan puisse être associée aux travaux de l’Organisation mondiale de la santé afin d’éviter de créer un vide sanitaire. Force est de constater que, depuis, rien n’a changé. Taïwan ne sera même pas conviée en tant que membre observateur de la prochaine assemblée générale de l’OMS et se trouve au ban de nombreuses organisations internationales.

Voilà pourquoi il nous est apparu, au sein du groupe d’échanges et d’études avec Taïwan, présidé par notre collègue Alain Richard, que l’heure était venue de déposer une proposition de résolution en faveur de l’association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales. En effet, l’île est également exclue d’Interpol, ce qui crée des brèches considérables à l’heure où elle fait partie intégrante de la mondialisation et joue un rôle majeur dans la lutte contre les criminalités transnationales.

Taïwan n’est également plus en mesure de participer à l’OACI, alors qu’elle en a été membre fondateur et qu’elle occupe une position clé pour le transport et le contrôle aériens en mer de Chine.

En matière d’environnement, enfin, Taïwan ne peut pas participer aux réunions de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, et ce bien que la société taïwanaise soit à la pointe de la lutte contre le réchauffement climatique.

Tous ceux qui nous écoutent doivent s’interroger : pourquoi Taïwan ne fait naturellement pas partie de l’OMS, d’Interpol, de l’OACI et de tant d’autres instances de coopération internationale ? Comment en sommes-nous arrivés là ? La réponse se trouve de l’autre côté du détroit : la dictature du parti communiste chinois n’aime pas le régime démocratique en place à Taïwan.

Malgré l’animosité entretenue par le régime communiste de Pékin, la société taïwanaise s’est émancipée dans le progrès, la liberté d’expression et les valeurs démocratiques occidentales. L’évolution de la société taïwanaise, affranchie et connectée, avec un pouvoir d’achat équivalent aux régions les plus développées du monde, ne peut être compatible avec les pratiques du régime totalitaire chinois, dont le « système de répression institutionnalisé » à l’encontre des musulmans ouïghours dans la région du Xinjiang révolte le monde.

Comme nous, les Taïwanais observent avec effroi l’emprise du régime de Pékin sur tout le peuple chinois : un contrôle de masse, un contrôle de chaque instant que les nouvelles technologies permettent de perfectionner à l’infini, au point de vous retirer toute intimité.

Le pourcentage d’individus se définissant comme taïwanais est passé de 17,6 % en 1992 à 67 % en 2020, avec une progression de 10 % l’an passé.

En octobre 1989, à l’occasion d’une visite en RDA, Mikhaïl Gorbatchev déclarait à son homologue est-allemand, ardent opposant aux réformes, « celui qui est en retard sur l’histoire est puni par la vie ». Quelques semaines plus tard, le mur de Berlin tombait. En clamant que Taïwan est une province intégrante de son pays, Xi Jinping est en retard sur l’histoire !

Taïwan, c’est un quart du PIB de la France. Avec 110 postes diplomatiques répartis dans 75 pays, c’est le trente et unième réseau diplomatique mondial, devançant des pays comme la Suède ou Israël. C’est la vingtième armée du monde, à niveau équivalent du Canada.

L’île est souveraine. Taïwan est indépendante de fait.

Certains diplomates soucieux de plaire à Pékin disent : « Moins on parlera de Taïwan, mieux cela vaudra. » Je pense tout le contraire. En effet, si, comme l’a indiqué mon collègue Joël Guerriau, la menace d’invasion militaire de la Chine fait titrer cette semaine à The Economist que c’est le lieu le plus dangereux de la Terre, il apparaît que l’île de Taïwan devient plus importante pour l’équilibre du monde que ne l’était Berlin-Ouest pendant la guerre froide.

M. Olivier Cadic. Dix-huitième puissance commerciale et onzième économie la plus libre du monde, Taïwan agit conformément aux conventions des Nations unies sur les droits de l’homme. En matière de démocratie, elle en a fait autant que n’importe quel autre pays pour faire avancer l’égalité.

L’ONU a été créée pour les êtres humains. Je vous le demande, mes chers collègues, pourquoi l’universalité des droits de l’homme proclamée par les Nations unies ne s’appliquerait pas à Taïwan et à ses 23 millions d’habitants ?

« Unissons-nous dans une pensée commune, et répétez avec moi ce cri : Vive la liberté universelle ! », lançait Victor Hugo. En débattant de cette proposition de résolution, au moment où, à Londres, le G7 déclare dans un communiqué son soutien affirmé à la participation de Taïwan aux organisations internationales comme l’OMS, nous envoyons un signal fort à nos alliés, à tous les peuples libres du monde. Ensemble, ils doivent s’unir pour réintégrer Taïwan dans nos organisations internationales. C’est pourquoi je voterai cette proposition de résolution avec fierté, comme tous les membres du groupe Union Centriste.

Mes chers collègues, le jour où la Chine s’éveillera à la démocratie, la Chine sera Taïwan ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et INDEP.)

M. Joël Guerriau. Bravo ! Excellent !

Mme le président. La parole est à M. André Vallini.

M. André Vallini. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’inquiétude va grandissante quant à la manière dont la diplomatie chinoise développe son influence dans le système onusien, notamment au détriment de Taïwan. La proposition de résolution qui nous est soumise cet après-midi est donc la bienvenue.

Je souhaite profiter de ce débat pour élargir mon propos à la problématique de Taïwan sur la scène internationale.

Après de longues années de bienveillance au nom d’un prétendu « partenariat stratégique », la diplomatie européenne commence à ouvrir les yeux sur la réalité chinoise. La crise du covid, bien sûr, mais aussi la répression de Hong Kong et des Ouïghours ont accéléré ce réveil de l’Europe. Alors qu’elle était restée jusqu’alors très mesurée dans ses réponses aux provocations chinoises, elle commence enfin à hausser le ton. Sa nouvelle stratégie sur la zone indopacifique et ses nouveaux projets de coopération avec l’Inde et l’Australie vont dans le bon sens, celui d’une lucidité sur la réalité chinoise. Je salue donc à mon tour la suspension par la Commission européenne, voilà deux jours, des négociations en cours sur l’accord d’investissement global entre l’Union européenne et la Chine.

Alors que la Chine remet en cause les intérêts économiques européens et qu’elle n’hésite pas à poursuivre son travail de proximité avec certains pays d’Europe centrale et orientale pour essayer de les détacher de la solidarité européenne, la prudence concernant Taïwan n’est plus de mise.

Aujourd’hui, Pékin s’éloigne manifestement d’une résolution pacifique, et le Président Xi se montre de plus en plus menaçant. À cet égard, l’omission des termes « réunification pacifique » dans le discours de mai 2020 du Premier ministre chinois à l’Assemblée nationale populaire ne fut pas accidentelle.

Outre ses déclarations agressives, la Chine multiplie les manœuvres militaires, maritimes notamment, et l’armée chinoise pratique l’escalade, aussi bien par l’ampleur et la fréquence de ses manœuvres qu’en termes d’incursion spatiale en mer de Chine méridionale. Cela ne signifie pas que la guerre sera déclenchée demain, mais une chose est sûre : la Chine se comporte comme si elle s’y préparait.

La puissance navale chinoise augmente, celle des États-Unis diminue. C’est la première fois depuis la chute de l’Union soviétique qu’une grande puissance est en mesure de rivaliser avec l’US Navy. Certes, les États-Unis ont commencé à réagir avec un plan de réarmement naval massif, mais, dans les simulations opérationnelles, ils semblent avoir de plus en plus de mal à pouvoir s’opposer militairement à une opération chinoise contre Taïwan.

De façon plus générale, et avec tous ses défauts, l’horrible Donald Trump a eu au moins un mérite : il a ouvert les yeux de l’Amérique, et les nôtres aussi, sur la réalité de la menace chinoise, menace économique et commerciale, bien sûr, mais aussi diplomatique et de plus en plus militaire.

Je reprendrai le parallèle de notre collègue Cadic, en comparant Taïwan des années 2000 à Berlin des années 1950. Pendant la guerre froide, Berlin avait une signification symbolique forte, mais ce n’était qu’un symbole ; en plus de sa portée symbolique, Taïwan a une véritable valeur économique et stratégique.

L’Europe doit donc modifier sa politique en exigeant que les relations entre les deux rives de la mer de Chine respectent le droit à l’existence de Taïwan. Nous devons clairement signifier à la Chine qu’elle encourrait de graves risques si elle s’orientait vers le recours à la force.

Face à la Chine, mes chers collègues, la naïveté n’est donc plus permise, et, nous le savons tous, la pusillanimité ne mène à rien, sauf à l’impuissance.

Soyons lucides : la Chine est un régime fort, qui ne respecte que la force et qui ne croit qu’aux rapports de force. Face à de tels régimes, on sait d’expérience, hélas, où conduit l’esprit munichois. Quand on croit éviter la guerre au prix du déshonneur, on finit toujours par avoir et la guerre et le déshonneur. (M. André Gattolin applaudit.)

Alors, certes, personne ne veut la guerre avec la Chine, mais, si nous voulons sauver l’honneur, il faut soutenir Taïwan. C’est pourquoi nous devons soutenir la participation de Taïwan – démocratie exemplaire – à toutes les organisations multilatérales et voter la proposition de résolution qui nous est soumise. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que cette proposition de résolution sur Taïwan ait été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée. Je m’en réjouis d’autant plus que j’avais déposé une question écrite sur cette thématique en janvier 2020. C’était, autant que je le sache, la toute première question sur le sujet, plusieurs autres ayant été déposées ensuite sur le même thème par mes collègues de l’Assemblée nationale et du Sénat, dont certains se sont exprimés précédemment.

Outre une demande d’état des lieux sur les excellentes relations bilatérales entre nos deux pays, je m’interrogeais sur le bien-fondé de l’isolement imposé à Taïwan depuis la résolution 2758 de 1971, alors même que Taïwan, sous la direction de la Présidente Tsai Ing-wen, est un modèle de démocratie, applique à la lettre les recommandations de l’ONU, a un comportement et un bilan exemplaires – notamment en matière de protection de l’environnement, d’énergie verte, de soins médicaux, d’éducation, de lutte contre la pauvreté –, un PIB équivalent à celui de la France ou du Japon et un taux d’alphabétisation de 98,7 %. J’y indiquais également qu’à l’heure de l’apparition en Chine de virus rappelant le SRAS de 2003 – ma question, j’y insiste, a été publiée en janvier 2020 –, une participation de Taïwan à l’OMS, ne serait-ce qu’avec un simple statut d’observateur, pouvait s’avérer très utile pour aider à juguler les risques d’épidémie.

Le jour même où je déposais ma question au Sénat, ce 20 janvier 2020, l’OMS se décidait enfin à qualifier l’épidémie de covid d’« urgence de santé publique de portée internationale ».

Seize mois plus tard, au regard des douze décès dus au covid-19 à Taïwan depuis le début de la pandémie, sur une population de près de 24 millions d’habitants, on ne peut que déplorer que la voix de Taïwan, voix de l’expérience, de la science et de la sagesse n’ait pas été entendue. Rappelons aussi que Taïwan a été exemplaire pendant toute cette pandémie et a fait don, avec beaucoup de générosité, de matériel médical et de masques. On l’a déjà souligné, ce sont 54 millions de masques qui ont été donnés à 80 pays, quand nous subissions une pénurie, notamment en Europe.

Aujourd’hui même, un laboratoire taïwanais a annoncé avoir mis au point un vaccin contre l’entérovirus 71, efficace notamment chez les enfants de moins de six ans et qui pourrait être extrêmement utile à toute l’Asie. De même, le transfert de technologie et le partage d’expérience en recherche et développement – je pense notamment aux tests rapides de diagnostic de covid-19 avec résultat en quinze minutes – pourraient nous être bénéfiques à tous.

Mais cette année encore, Taïwan ne sera pas représentée au sein de l’Assemblée mondiale de la santé qui se tiendra à la fin de ce mois à Genève. Ce n’est pas tolérable, d’autant moins que Taïwan avait été acceptée comme observateur à l’OMS de 2009 à 2016 et que refuser la participation de Taïwan à cette organisation, au regard des 150 millions de cas de covid aujourd’hui dans le monde et des 3,5 millions de morts, serait criminel.

Si la France a toujours tenu une même position d’ouverture, le ministre Le Drian me répondant en 2020, ainsi qu’à tous ceux qui avaient posé les mêmes questions par la suite, que la France était favorable à la participation de Taïwan aux organisations internationales quand cette participation répondait aux intérêts de la communauté internationale – c’est le cas pour l’OMS –, la voix de la France est restée quelque peu isolée. Il est donc de notre devoir, bien sûr, d’appuyer cette démarche.

Aujourd’hui, la situation commence à évoluer. Ainsi, le G7 réuni à Londres a annoncé, hier, dans sa déclaration des ministres des affaires étrangères et du développement, son souhait que Taïwan puisse participer de manière significative au Forum de l’OMS et de l’Assemblée mondiale de la santé, car « la communauté internationale doit pouvoir bénéficier de l’expérience de l’ensemble des partenaires, y compris la contribution réussie de Taïwan dans la lutte contre la pandémie de covid-19 ». Votre portefeuille comprenant la francophonie, monsieur le secrétaire d’État, cher Jean-Baptiste Lemoyne, permettez-moi au passage de vous suggérer de faire en sorte que cette déclaration figure en français sur le compte Twitter du ministère des affaires étrangères – on ne la trouve pratiquement qu’en anglais !

Le problème reste évidemment l’opposition de la Chine et sa réaction, qui, suite à ce communiqué, ne s’est pas fait attendre. En effet, comme nous le savons tous, elle veut, en invoquant un principe de souveraineté nationale, contraindre Taïwan à un isolement diplomatique et multiplie les déclarations agressives, voire les menaces. Certains nous ont même conseillé d’être prudents pour éviter les foudres du pays et de son représentant à Paris, qui ne s’est pas privé, dans un passé récent, d’abreuver d’insultes les parlementaires français. Nous ne pouvons pas et nous ne devons pas nous laisser intimider.

Je sais combien nos intérêts, notamment économiques, avec ce grand pays qu’est la Chine sont imbriqués, combien nos liens sont forts. J’aime, je respecte la Chine et son peuple. La Chine continentale est un partenaire extrêmement important, comme l’est d’ailleurs Taïwan. La diplomatie est l’art de la prudence, du compromis et des tout petits pas. Nous ne saurions attendre de la France qu’elle avance seule contre ses propres intérêts économiques. Il serait trop facile d’agiter les bras pour faire des effets à cette tribune, et je m’en garderai.

Pour autant, je pense vraiment que ce serait tout à l’honneur de ce grand pays qu’est la Chine et de ce grand peuple de 1,4 milliard d’habitants de faire preuve de magnanimité et de respecter les plus petits que lui. Je pense à Hong Kong ; je pense bien sûr à Taïwan, et ses 24 millions d’habitants, qui n’aspire qu’à vivre en paix et en bonne intelligence avec son grand voisin.

Les avancées et les richesses de Taïwan, avec un PIB en prévision de croissance de 4,6 % pour 2021 – près de 8,2 % de plus au premier trimestre par rapport à l’année dernière –, ses innovations technologiques et sa politique industrielle dynamique peuvent susciter envies, appétits, voire craintes chez ceux qui ne partagent pas notre vision de la démocratie et des droits de l’homme.

Cette semaine, cela a déjà été dit, The Economist titrait en couverture : « Taïwan, l’endroit le plus dangereux du monde. » Oui, les bruits de bottes se font entendre de plus en plus fortement ; oui, la Chine se réarme. Mais je crois profondément que l’honneur d’un parlementaire, c’est aussi de savoir faire preuve de courage et d’affirmer haut et fort ses convictions.

Alors, oui, madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux le dire haut et fort : c’est notre devoir d’aider Taïwan à retrouver la place que ce pays mérite sur la scène internationale.

L’équilibre géopolitique mondial implique que nous soutenions Taïwan, car, pour que nous puissions atteindre une paix, même relative, sur notre planète, pour que nous puissions travailler enfin à l’amélioration du climat, de la sécurité, des conditions de vie des citoyens du monde dans leur ensemble, nous devons développer notre coopération internationale et, surtout, nous devons inclure tous les acteurs dans les organisations internationales.

Pour nous, parlementaires, c’est aussi une question de courage.

Alors, oui, mes chers collègues, ayons le courage d’aller de l’avant, ayons le courage de ne pas nous laisser intimider par les gesticulations et les invectives, ayons le courage de dire ce que nous pensons être juste.

Renforcer nos partenariats en matière sanitaire et médicale est indispensable, mais Taïwan doit aussi avoir le droit de participer à toutes les organisations internationales où son expertise pourrait être utile. Je pense notamment à Interpol, à l’Organisation internationale de l’aviation civile, au débat sur le climat.

Je voudrais aussi dire à tous ceux qui, ici ou ailleurs, auraient la tentation de Munich qu’on ne respecte jamais un adversaire qui s’aplatit, mais que l’on craint et respecte celui qui, même s’il sait qu’il ne gagnera pas, a le courage de se battre pour ses convictions lorsqu’il les sait justes.

Je souhaiterais aussi m’adresser à mes amis chinois, parce que, nous le savons, ils nous écoutent ou ils nous liront.

Mais de quoi avez-vous peur ? Vous êtes un grand, vous êtes un magnifique pays, vous n’avez rien à craindre de Taïwan, qui ne veut que la paix ! Vous avez tout à gagner, au contraire, d’une coopération pacifique dans l’intérêt de vos peuples. Alors, s’il vous plaît, aidez Taïwan à vous aider, aidez-nous à vous aider, aidez-les à vous aider, ne serait-ce qu’en matière médicale ! Parlez-leur, écoutez-les, et le monde n’en sera que meilleur : il sera plus sûr, plus stable. Et c’est aussi votre intérêt, c’est l’intérêt de la Chine dans son ensemble. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)

Mme le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, étant la dernière intervenante, je crains que mon propos ne soit pas très original et reprenne de nombreux points déjà soulevés. Voyez-y finalement, monsieur le secrétaire d’État, la convergence de nos points de vue et l’expression d’un certain consensus qui règne sur ces travées.

La démocratie taïwanaise se construit à l’ombre de la Chine. Situé à moins de 200 kilomètres des côtes chinoises, ce territoire de près de 24 millions d’habitants dispose de son propre drapeau, de son hymne, de sa langue, de ses institutions judiciaires et de son Parlement, mais n’est reconnu que par seize pays et connaît un isolement diplomatique croissant. Pourtant, sa Présidente promeut une démocratie transparente que notre groupe sénatorial d’échanges et d’études a pu observer lors de sa visite en décembre 2019. Il est donc temps, deux ans plus tard, qu’une nouvelle délégation sénatoriale s’y déplace, d’autant que Taïwan représente un modèle d’acteur responsable dans de nombreux domaines, par exemple la lutte contre le changement climatique, comme le montre son adhésion aux principes fixés par la COP21.

Les progrès scientifiques de Taïwan en matière de technologies vertes sont remarquables et méritent d’être reconnus, tout comme son centre national des technologies et des sciences pour la prévention des sinistres, que nous avons visité.

Taïwan est un partenaire solide dans les domaines économique et de sécurité, et les plus de 2 300 Français qui y vivent dynamisent nos relations commerciales et nos actions de coopération.

Enfin, la loi sur le mariage pour tous, votée en mai 2019, ou la « révolution des tournesols », menée en 2014 par les jeunes étudiants du numérique contre l’ingérence chinoise, sont des marqueurs d’une démocratie bien vivante.

Son succès réside également dans sa gestion de l’épidémie de la covid-19. Taïwan, cela a été rappelé, a été le premier pays à prévenir l’Organisation mondiale de la santé des dangers d’une contamination humaine, alors même que ce pays reste exclu de cette organisation.

Dans sa réponse à mon courrier du 18 mars 2020, le ministre Le Drian précisait que la France soutenait la participation de Taïwan aux travaux de l’OMS et de l’Assemblée mondiale de la santé, une reconnaissance de fait de sa maîtrise exceptionnelle de la crise sanitaire. En effet, sa gestion épidémique est un modèle pour le monde entier. Le système de traçage a été consenti par la population sans obligation étatique. Cette responsabilisation collective alliée à la présence de masques chirurgicaux, à des quatorzaines ciblées et à un système de santé performant a permis de maîtriser très vite la diffusion du virus. Le pays n’a pas eu recours à un seul confinement ni couvre-feu et n’a pas mis son économie à l’arrêt.

Cette efficacité a aussi été rendue possible grâce à la transparence et à la confiante participation de la population dans sa gestion de la crise. Un exemple dont nous pourrions d’ailleurs utilement nous inspirer…

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le partage de son expérience et sa contribution ne peuvent qu’être bénéfiques à la communauté internationale dans tous les domaines cités par les auteurs de cette proposition de résolution, Alain Richard et Joël Guerriau. Comme l’a annoncé mon collègue André Vallini, tous les membres de notre groupe voteront cette proposition de résolution, pour que la France apporte un soutien clair à l’intégration de Taïwan au sein des instances internationales. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDPI, INDEP et UC. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de létranger et de la francophonie. Madame la présidente, monsieur le président Richard, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous voici réunis autour de cette proposition de résolution en faveur de l’association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales, présentée par Alain Richard, Joël Guerriau et nombre d’entre vous ici présents, que je ne saurais tous citer. C’est un moment effectivement utile et important.

Vous connaissez la politique constante de la France sur la question de Taïwan : elle reconnaît le gouvernement de la République populaire de Chine comme seul représentant de la Chine depuis 1964 et n’entretient pas de relations diplomatiques avec Taïwan. Cependant, la France développe des coopérations avec ce pays dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler « la politique d’une seule Chine ». Elle considère en outre que les relations entre les deux rives doivent reposer sur un dialogue constructif, dans la mesure où il est dans l’intérêt de tous que la voie du dialogue soit privilégiée, afin que la paix et la stabilité puissent être préservées dans le détroit de Taïwan.

Des échanges dynamiques, des coopérations riches se développent entre nos deux territoires, qui font de Taïwan un partenaire important de la France en Asie. Vous avez été nombreux à signaler la place dans l’économie mondiale de l’île – vingt et unième économie mondiale –, sa place dans les chaînes de valeur mondiales, en particulier dans l’industrie des semi-conducteurs. Ce pays est un membre actif dans les travaux de l’OMC.

Cette coopération tient compte aussi de la vitalité de la société civile taïwanaise, vous l’avez relevé les uns et les autres, de la remarquable réussite de la transition démocratique de l’île initiée dans les années 1980.

Taïwan accueille de surcroît une importante communauté française, évaluée à 4 000 personnes, qui font l’objet d’une attention de tous les instants de notre part.

À travers en particulier le bureau français de Taipei et le bureau de représentation de Taipei en France, la France et Taïwan entretiennent et développent des échanges soutenus dans les domaines économique, industriel, scientifique, de l’innovation et de la technologie, mais également en matière culturelle et éducative. Nous partageons avec l’île des valeurs démocratiques, une ambition commune pour la promotion des droits de l’homme. D’ailleurs, notre ambassadeur pour les droits de l’homme s’y est rendu en janvier 2020.

En matière culturelle, la France et Taïwan entendent poursuivre et approfondir leurs coopérations déjà très denses. Taïwan fait partie des trente-sept territoires identifiés en 2019 par le ministère comme prioritaires pour l’export des industries culturelles et créatives françaises.

J’ajoute que la coopération éducative et universitaire a pris une tournure significative : le nombre d’étudiants français à Taïwan a tout simplement triplé en dix ans ! Ils sont à ce jour 1 500. Ils sont donc une composante essentielle de la communauté française de Taïwan.

Bien que n’étant aujourd’hui reconnue sur le plan diplomatique que par quinze États, l’île développe une politique active sur la scène internationale, y compris auprès des pays avec lesquels elle n’entretient pas de relations diplomatiques. Parallèlement, Taïwan est membre d’une trentaine d’organisations intergouvernementales ; j’évoquais l’OMC, mais on pourrait citer l’APEC, la Banque asiatique de développement et tant d’autres. Elle participe, en tant qu’observateur ou membre associé, aux travaux d’une vingtaine d’organisations intergouvernementales ou d’organes subsidiaires ; je pense à l’OCDE, à la BERD ou à la Banque interaméricaine de développement.

S’agissant spécifiquement de l’objet de votre proposition de résolution et de la participation de Taïwan aux organisations internationales, notre position est claire et constante : nous y sommes favorables lorsque le statut des organisations le permet et que cette participation répond aux intérêts objectifs de la communauté internationale. Il y a donc là une convergence très claire. C’est manifestement le cas pour les organisations internationales que vous avez citées dans la proposition de résolution : l’OMS, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, mais également l’OACI, Interpol.

Je crois que la pandémie de covid rappelle chaque jour, cruellement, depuis plus d’un an, que la santé des femmes et des hommes du monde entier requiert l’engagement et la coopération. Sans la coopération, nous ne vaincrons pas cette épidémie.

Il en est de même pour les questions climatiques, pour les transports, pour la sécurité : soit nous réussissons ensemble, soit nous échouons ensemble. Cela appelle donc une réponse collective.

S’agissant plus spécifiquement de la santé mondiale, puisque nous sommes à quelques jours de cette réunion importante à l’OMS, les chiffres parlent d’eux-mêmes : Taïwan a remarquablement contenu l’épidémie. C’est pourquoi sa contribution et le partage de son expérience sont essentiels à l’ensemble de la communauté internationale, à l’heure où il faut œuvrer collectivement.

Vous avez rappelé les uns et les autres les chiffres : douze morts seulement sur une population de plus de 23 millions d’habitants. Indéniablement, Taïwan a su tirer tous les enseignements de l’épidémie de SRAS en 2003 pour réagir rapidement et efficacement dès les premiers signes d’apparition de la maladie.

Nous n’oublions pas qu’au printemps 2020 Taïwan a fait don d’équipements médicaux – masques, appareils respiratoires – à plusieurs de ses partenaires dans le monde, dont l’Union européenne et la France.

Jean-Yves Le Drian, qui, hélas ! ne pouvait être présent aujourd’hui dans l’hémicycle – il est au Liban –, a eu l’occasion de dire lui-même, en novembre dernier, que nous étions favorables à ce que Taïwan participe aux réunions de plusieurs organismes internationaux, dont l’OMS, car il est essentiel que tous les acteurs qui peuvent prendre part à la lutte contre les pandémies le fassent. Il déclarait : « Nous avons d’ailleurs regretté que Taïwan ne puisse pas participer aux travaux de la soixante-treizième Assemblée mondiale de la santé, qui s’est tenue du 9 au 13 novembre, et nous continuerons d’appeler à un accord entre Pékin et Taipei en vue de la participation de Taïwan à la prochaine Assemblée mondiale de la santé. […] Il ne doit pas y avoir de vide sanitaire dans la lutte contre la pandémie. »

Nous continuons donc à plaider pour que Taïwan soit associée aux travaux de l’OMS. Nous le ferons à titre national, nous l’encourageons au niveau européen, nous l’avons fait encore il y a quelques jours avec nos partenaires du G7.

Compte tenu de ces différents éléments, permettez-moi de souligner que la proposition de résolution portée par les membres du groupe d’échanges et d’études Sénat-Taïwan, sous votre conduite, monsieur le président Richard, présente de réelles convergences avec la position du Gouvernement que je viens d’exprimer. Je salue ici l’esprit constructif de votre initiative.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la France ne veut pas que la question de la participation de Taïwan aux organisations internationales devienne un enjeu politique. L’enjeu est tout autre : répondre aux intérêts objectifs de la communauté internationale. C’est dans cet esprit que la France soutient cette participation de Taïwan aux organisations internationales lorsque leurs statuts le permettent. Je le souligne à nouveau : le fonctionnement optimal de ces organisations appelle une approche inclusive, condition d’un multilatéralisme efficace pour apporter des solutions aux grands défis de notre monde.

Au-delà de l’examen de cette proposition de résolution, vous me permettrez, puisque le sujet est au cœur des travaux de votre groupe d’études, monsieur le président Richard, de souligner que nous suivons de façon extrêmement précise l’évolution de la situation dans le détroit de Taïwan. Nous avons noté à cet égard que les incursions militaires dans la zone d’identification et de défense aérienne de Taïwan se sont multipliées depuis l’an dernier, jusqu’à devenir presque quotidiennes. Je le redis : la stabilité dans le détroit est essentielle pour la sécurité de la région ; c’est la raison pour laquelle nous réprouvons toute tentative de remise en cause du statu quo de même que toute action susceptible de provoquer un incident et de conduire à une escalade dans le détroit. Je crois pouvoir vous dire que nous partageons cette préoccupation avec l’ensemble de nos partenaires de l’Union européenne.

Voilà, madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’appréciation du Gouvernement sur ce sujet important. Encore une fois, permettez-moi de me réjouir du travail conduit cet après-midi dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Républicains et SER.)