Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, mes chers collègues, cette proposition de résolution est le fruit de plusieurs réunions de travail, conduites sous la houlette du président Larcher et de notre rapporteur, Mme Pascale Gruny.

Si nous saluons l’initiative et la volonté de faire évoluer notre règlement, notamment au regard de l’épisode sanitaire que nous venons de traverser, nous regrettons le manque d’ambition et d’ouverture. Disons-le, la présente proposition de résolution ne bouleversera pas le fonctionnement de notre institution. Nous y voyons une occasion manquée d’ouvrir davantage le Sénat vers l’extérieur et de garantir les droits de l’opposition, gages d’une démocratie vivante.

Ce texte comporte, certes, quelques avancées.

Je ne reviendrai pas sur les mesures techniques et de bon sens, présentées par M. Buffet. Nous saluons les dispositions renforçant le suivi des ordonnances législatives ; que ce soit au travers des missions des commissions, de leurs moyens ou des obligations à l’endroit du Gouvernement, tout cela va dans le bon sens. Pandémie ou non, l’explosion de la législation par ordonnance est le mal démocratique de notre temps. La loi ne se fait pas dans l’urgence et à l’abri des regards, dans les administrations ministérielles. C’est donc une révision complète de l’article 38 de notre Constitution qu’il faudrait entreprendre, mais ce n’est pas le débat du moment. En attendant cette échéance, nous soutenons cette proposition, et nous en profitons pour inviter le Sénat à cesser de se dessaisir si souvent de son pouvoir législatif.

Les mesures renforçant les pouvoirs de contrôle sont également intéressantes, même si elles ne révolutionneront rien. Simplifier la constitution de commissions d’enquête pour faire face à une nouvelle « affaire Benalla » en plein été, tout cela est naturellement souhaitable, mais nous demeurons très loin de la mission de contrôle du pouvoir exécutif dévolue aux assemblées d’un régime parlementaire digne de ce nom.

Prenons un exemple d’actualité : alors que doit paraître demain le rapport du Gouvernement sur les exportations d’armes de la France, nous n’avons absolument aucun droit de regard sur la chose. En matière de contrôle, il faudrait que nous nous penchions un jour sur les décrets d’application des lois que nous adoptons. Trop souvent, le Gouvernement défait, par son pouvoir réglementaire, la loi que nous adoptons, sans que nous ayons ni droit de regard ni moyen d’action.

Pour en revenir au présent texte, je dirai que renforcer le droit de pétition pour tenir compte de l’expérimentation conduite depuis dix-huit mois est une bonne chose, mais cela est bien timide. Nos concitoyennes et nos concitoyens sont avides de participation démocratique. Or, ce que nous leur proposons, c’est, si 100 000 d’entre eux le demandent, d’envisager, peut-être, un jour, d’examiner leur texte… Nous allons créer plus de frustration qu’autre chose !

Il faut systématiser l’inscription à l’ordre du jour de toutes les propositions recevables, quitte à relever le seuil. De quoi avez-vous peur, mes chers collègues ? Le Parlement reste souverain pour rejeter le texte in fine ! Sur ce point, nous regrettons vivement que l’on s’arrête au milieu du gué. C’est pourquoi nous ferons des propositions au travers d’un amendement.

J’en viens au point le plus problématique : la réduction du temps de parole en séance.

Pour favoriser la vitalité démocratique, le groupe écologiste proposait d’augmenter le temps de parole réservé aux groupes d’opposition et d’allonger les explications de vote sur les motions de procédure. Loin de nous entendre, vous souhaitez réduire notre temps de parole en séance. C’est incompréhensible ! Cessons d’accélérer en permanence la fabrication de la loi ! On adopte près d’un texte par semaine ; c’est la garantie d’un travail mal fait. Nous n’avons pas à nous plier à un calendrier qui n’est pas le nôtre ; nous n’avons pas à nous presser encore davantage pour examiner les lois de circonstance et ainsi servir de faire-valoir à la communication politique des gouvernements !

Particulièrement dans cette maison, où l’obstruction n’existe pas et où chacun est respectueux de la bonne tenue des débats, cette mesure est arithmétiquement plus pénalisante pour les petits groupes, qui, avec un nombre d’orateurs limité, verront leur possibilité d’expression d’autant plus réduite. Elle pourrait même s’avérer contre-productive à terme ; vous prenez en effet le risque d’une multiplication du nombre d’amendements pour créer des espaces de parole. Cela me semble absurde. Cela pourrait se justifier pour les questions orales ou pour les débats de contrôle, en contrepartie d’un nombre accru d’orateurs, mais, pour le travail de la loi, c’est inacceptable.

En l’état, si aucun des amendements à l’article 11 du texte n’est adopté, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre cette proposition de résolution. Les timides avancées de ce texte sont largement insuffisantes pour renforcer les pouvoirs de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Éliane Assassi et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Madame la présidente, mes chers collègues, la discussion qui s’ouvre cet après-midi a été préparée en concertation avec les représentants des groupes, laquelle s’est déroulée dans un climat globalement ouvert et constructif, malgré l’apparition de certains désaccords. Le travail s’est appuyé sur les contributions, soit orales, soit écrites, de tous les groupes, et, à mon tour, je veux saluer le très bon travail de synthèse et de mise en ordre de Mme Gruny, rapporteur du groupe de travail, ainsi que le travail accompli ensuite par le président Buffet pour perfectionner l’ouvrage.

Je ne souhaite mentionner que trois des sujets abordés par cette modification du règlement, qui, d’ailleurs, n’est pas de grande ampleur. Au reste, personne ne m’a semblé réclamer une transformation profonde du règlement du Sénat, qui – c’est normal – doit évoluer, modérément, avec le temps.

Le premier sujet que je souhaite évoquer est l’utilisation des pétitions.

Il est heureux que cette assemblée soit ouverte aux initiatives des citoyens, mais la variété même des thèmes abordés dans ces pétitions et la façon dont elles auront été sécrétées au sein de la société par tel mouvement ou tel phénomène de communication rendent particulièrement difficile l’adoption d’une règle de fond permanente et s’appliquant à tous les cas. C’est la raison pour laquelle les auteurs de la proposition de résolution – je rejoins leur position – préfèrent laisser un pouvoir d’appréciation à la conférence des présidents du Sénat, voire au bureau lorsqu’il y aura énonciation d’un critère numérique de nombre de signataires.

Je crois qu’il est sage de considérer qu’on ne peut pas affirmer d’avance que, dans telle catégorie, les pétitions justifieraient forcément une arrivée jusqu’à la séance publique. Il me semble donc préférable de respecter ce pouvoir d’appréciation.

Permettez-moi de rappeler un souvenir qui se perd dans le temps, mais qui a gardé son importance dans les débuts de l’application de la Constitution : c’est le refus, par le général de Gaulle, au titre de l’article 27 de la Constitution, de convoquer une session extraordinaire de l’Assemblée nationale, pourtant réclamée par une pétition des syndicats agricoles. Peu utilisé, cet article, qui dispose que « tout mandat impératif est nul », n’en est pas moins partie intégrante de la tradition républicaine.

Le deuxième sujet a trait à l’examen « en cours de vie » des ordonnances, qui me semble être une bonne création.

La modification du règlement du Sénat ne peut pas avoir pour effet de limiter le pouvoir du Gouvernement de demander – et d’obtenir, si le vote est positif – des habilitations à légiférer par ordonnance. Elle clarifie donc le processus. Elle permettra ainsi au Sénat de bien connaître la sortie des différentes ordonnances et à ses commissions d’en analyser le contenu. Par conséquent, les commissions pourront suggérer des initiatives.

Si une ordonnance ne représente pas un bouleversement et respecte loyalement l’objet de l’habilitation consentie par le Parlement, il n’y a pas sujet à querelles. En revanche, s’il y a un débordement ou une mauvaise interprétation par l’exécutif de l’habilitation, il est important que le Parlement soit informé suffisamment tôt pour pouvoir prendre une initiative législative propre à corriger ce dérapage. Cette nouvelle procédure de vigilance sur les ordonnances me paraît donc de nature à assurer la bonne concertation entre l’exécutif et nos assemblées.

Le troisième sujet concerne la réduction à deux minutes de nos créneaux d’expression.

Je souhaite souligner que cette mesure s’appliquera en séance publique, laquelle succède donc au travail en commission. Nous savons tous que, dans le processus de fabrication de la loi, le pluralisme et le temps de réflexion s’appliquent d’abord au travail en commission, qui comporte des délais, certes souvent quelque peu contraints, mais qui permettent de bien préparer le travail, de s’informer et de dialoguer parmi les groupes. Par conséquent, la limitation du temps de parole ne pèse que sur l’examen final, en séance publique, d’un travail déjà concerté et approfondi.

Dans tous les parlements, des dispositifs aboutissent à faire tenir dans le temps disponible les travaux parlementaires, notamment législatifs. Bien souvent, ces mécanismes de contrainte portent sur le droit d’amendement lui-même. Dans de nombreux parlements, le nombre d’amendements soutenables n’est pas aussi largement calculé que dans notre Constitution.

Au fond, la limitation du temps de parole individuel en séance publique est la contrepartie d’un pluralisme qui veut que nous soyons nombreux à souhaiter intervenir sur tel ou tel article. Si chacun prend un temps un peu plus long, l’effet est évidemment, soit de prolonger abusivement les séances avec le risque de perdre une partie de l’attention des membres de cette assemblée, soit de priver des collègues de leur propre temps de parole.

Il me semble donc que ce n’est pas un mauvais compromis, d’autant plus qu’est précisé dans le règlement que cela se fait toujours sous l’appréciation du président de séance. Or nous savons bien que nos présidents de séance font preuve de discernement et ne coupent pas la parole à l’orateur qui dépasse d’une seconde. Il me semble donc que cette modeste réforme contribuera plutôt au dynamisme de nos débats.

Telles sont les raisons pour lesquelles notre groupe apportera son soutien à ces mesures de modification de notre règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Bernard Fournier et Mme Pascale Gruny applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, mes chers collègues, pendant plus d’un an, la vie de notre assemblée a perdu de sa vigueur : jauge réduite dans l’hémicycle, multiplication parfois ad nauseam des visioconférences ou encore ces tristes boîtes en carton pour manger… Ces bouleversements nous ont tout de même offert l’occasion d’engager une réflexion sur l’organisation de notre travail parlementaire, réalisée par le groupe de travail rapporté par Pascale Gruny, dont j’étais membre, et duquel découle cette proposition de résolution.

Parmi les dispositions que comporte ce texte, un certain nombre d’entre elles sont soutenues par le groupe du RDSE. Je pense à celle qui est relative au suivi des ordonnances. Il est en effet nécessaire et souhaitable de s’assurer que les commissions permanentes disposent des outils leur permettant un suivi plus efficace de l’application des ordonnances, surtout dans un contexte où le Gouvernement a particulièrement sollicité le Parlement pour qu’il l’habilite à légiférer, parfois même dans des proportions excessives, tant sur la forme que sur le fond.

Il en va de même de l’article 4, qui vient consacrer la mise en place d’une plateforme numérique en vue du dépôt et de la centralisation des pétitions. Ce dispositif nous paraît équilibré : il favorise l’exercice du droit de pétition sans pour autant porter atteinte à la liberté du Sénat dans l’organisation de son travail. En effet, il n’est pas question d’être hostile au droit de pétition. Il permet de formaliser l’expression d’une opinion et l’exercice d’une démocratie plus directe par nos concitoyens. Toutefois, il demeure essentiel que l’exercice de ce droit soit encadré et ne vienne pas brouiller les mécanismes traditionnels de la démocratie parlementaire.

En revanche, nous sommes beaucoup plus réservés sur certaines dispositions relatives aux règles de discussion en séance publique.

Tout d’abord, l’article 10 précise que l’examen en séance des textes élaborés par une commission mixte paritaire pourrait faire l’objet – sauf décision contraire de la conférence des présidents – d’une procédure simplifiée conférant à la commission saisie au fond et à chaque groupe politique un temps de parole identique de cinq minutes. Nous comprenons la nécessité d’optimiser l’utilisation du temps de séance publique. Toutefois, pourquoi réserver à la seule conférence des présidents le droit de renoncer à l’usage d’une procédure simplifiée ? Cela peut paraître excessif. À l’image de la procédure simplifiée utilisée pour l’examen des conventions internationales ou de la procédure de législation en commission, nous pourrions prévoir qu’un président de groupe puisse demander le retour à la procédure normale pour l’examen des conclusions d’une commission mixte paritaire.

Ensuite et surtout, la proposition de résolution voudrait réduire à deux minutes, au lieu de deux minutes trente, la durée de droit commun des interventions des sénateurs. Je crois que cela constituerait une atteinte excessive à notre liberté de parlementaire. C’est encore plus vrai s’agissant des groupes numériquement moins importants comme le nôtre, pour lesquels le temps alloué dans la discussion générale est déjà assez limité.

L’objectif d’une meilleure organisation du temps de séance ne doit en aucune manière conduire à contraindre excessivement le débat, au risque de le limiter ou de le caricaturer. Une telle mesure constitue donc pour nous une réduction excessive du temps de parole des membres de notre assemblée, alors que le débat est l’essence du Parlement. Sur ces deux points, des amendements ont été déposés avec l’espoir qu’ils puissent corriger ces biais.

Je conclurai en évoquant la question de la parité. Chacun souscrit évidemment au besoin qu’au Sénat, comme plus généralement dans notre société, la parité soit mieux respectée. Toutefois, pour des groupes de petite taille tels que le nôtre, cet objectif risque de porter indirectement une atteinte à notre liberté de choix. Lorsqu’un groupe n’a la faculté de ne désigner qu’un seul membre au sein d’un organe collégial, dans quelle mesure peut-il envisager que la parité soit observée dans la désignation de ce seul membre ?

La bonne solution doit être trouvée, et c’est par nos débats que nous y accéderons. Notre groupe reste naturellement volontaire pour avancer sur ces questions, même lorsqu’elles se heurtent à des difficultés pratiques réelles.

Au regard de ces différents éléments, notre groupe attendra l’issue de l’examen des amendements pour se positionner sur le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, mes chers collègues, pour la troisième fois en six ans, notre assemblée remet son règlement sur le métier. Je le dis d’emblée, notre déception est grande, car nous aurions pu penser que l’affaiblissement constaté par tous du Parlement, du législatif face à l’exécutif, en particulier lors de la crise sanitaire, aurait débouché sur une réflexion relative à ses moyens d’intervention. Je pense à ses moyens d’action, et pas seulement de contrôle, les missions de contrôle ressemblant trop souvent à un lot de consolation pour un Parlement abaissé du point de vue législatif.

M. le président du Sénat ne cesse de répéter que « notre cœur de métier », c’est de faire la loi. En quoi cette proposition de résolution améliorera-t-elle les pouvoirs du Sénat et des parlementaires ? En rien, ou en si peu de chose…

Depuis des années, nous répétons inlassablement une évidence : pour renforcer une institution, il ne faut pas amoindrir ses prérogatives essentielles. La prérogative essentielle du parlementaire est de faire la loi et, à ce titre, de pouvoir susciter le débat, d’exposer des arguments. C’est, en un mot, le droit à la parole, le droit à l’expression.

Ce temps d’expression est systématiquement rogné depuis trente-cinq ans au nom de la rationalisation du travail parlementaire. Ce concept, que nous considérons comme profondément antidémocratique, vise à convaincre que débattre, mais aussi amender – j’y reviendrai –, ne serait pas raisonnable.

Nous manquons de temps pour traiter avec rigueur le nombre considérable de textes qui nous sont soumis. Mais qui en porte la responsabilité ? Pourquoi n’est-il pas dit une fois pour toutes que le pouvoir exécutif suscite, depuis des années, une formidable inflation législative et une frénésie de réformes bien souvent imposées, voire obligées, par les normes européennes ? Les responsables d’une éventuelle surchauffe du Parlement ne sont certainement pas les parlementaires eux-mêmes, mais bien ceux qui abreuvent l’ordre du jour de textes trop souvent mal préparés ou de circonstance.

Mes chers collègues, nous avons déjà beaucoup cédé, et nos interventions sont parfois si courtes sur des sujets qui pourraient susciter des thèses que le sens même du débat peut se perdre. Ce sont des échanges, du travail et de la confrontation pluraliste des idées que peuvent naître les équilibres chers à beaucoup d’entre vous.

Aujourd’hui, de manière presque incongrue, sinon provocatrice, la majorité souhaite réduire de deux minutes trente à deux minutes le temps de parole des interventions en dehors d’une discussion générale ou d’une motion de procédure. Pourtant, en 2015 et en 2019, le Conseil constitutionnel avait émis une réserve d’interprétation sur cette volonté dogmatique de contraindre le droit d’expression des parlementaires. Pourquoi prendre une telle mesure ? Quelle leçon tirez-vous de l’affaiblissement renforcé de notre pouvoir depuis mars 2020 ? Quelles leçons tirez-vous de la crise politique en cours ? Souhaitez-vous laisser le débat aux seules chaînes d’information en continu et aux seuls réseaux sociaux ? La démocratie est intimement liée au temps. Sans ce temps, ce sera l’avènement de la dictature de l’instant.

Cette proposition de résolution ne retient aucunement les propositions d’un débat sur l’état du droit d’amendement, émanant au moins de deux groupes. Depuis des années, chacun ici se plaint – souvent hors micro, malheureusement – des excès d’application des irrecevabilités constitutionnelles concernant les amendements. Nous avons déposé volontairement plusieurs propositions pour tenter d’obtenir des réponses, afin d’améliorer ce droit essentiel pour l’existence du Parlement.

L’exemple du débat budgétaire est frappant. La réduction considérable du droit d’amendement depuis l’application de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), qui a amplifié les effets de l’article 40, tue la discussion et annihile les échanges sur des propositions alternatives. Peut-on parler de démocratie parlementaire si la confrontation des projets ne peut avoir lieu ?

Cette proposition de résolution passe donc, selon nous, à côté de l’essentiel : riposter au projet constitutionnel d’Emmanuel Macron visant justement les prérogatives des assemblées, en critiquant le manque d’efficacité ou le temps perdu. Avec M. le président du Sénat, nous avons toutes et tous combattu cette tentative dangereuse pour la démocratie. Pourquoi, aujourd’hui, ne pas agir pour redonner au débat toute sa force au sein du Sénat ?

La proposition de résolution met en avant une amélioration du contrôle des ordonnances. Bien ! Mais vous savez tous ici que, tant que l’article 38 de la Constitution ne sera pas supprimé ou encadré, la force des ordonnances pourra difficilement être contrainte.

Enfin, vous aménagez le droit de pétition. Cela pourrait être une action utile pour l’exercice de la citoyenneté. Mais pourquoi avoir placé l’exercice de ce droit utile sous le contrôle de la majorité sénatoriale, puisque c’est elle qui décidera de la vie ou de la mort d’une pétition ? Nous proposerons par amendement de desserrer cet étau.

Nous avons du mal à saisir le sens de cette énième réforme de nos méthodes de travail, qui ne répondra certainement pas aux besoins démocratiques que j’ai évoqués. Au bout du compte, nous assistons à une réaffirmation du fait majoritaire, assorti d’une nouvelle réduction des prérogatives parlementaires.

Le groupe CRCE votera donc contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Loïc Hervé. Madame la présidente, chers collègues, le groupe Union Centriste salue l’initiative du président Gérard Larcher d’avoir constitué un groupe de travail réunissant tous les groupes politiques, afin de réfléchir à la modernisation des méthodes de travail de notre assemblée. Le texte que nous examinons aujourd’hui est le résultat de travaux auxquels chacun des groupes politiques a pu contribuer ; le groupe Union Centriste s’en félicite.

Nous saluons le travail réalisé par le groupe de travail. Nous estimons qu’il apporte des réponses utiles et concrètes à des problématiques récurrentes de notre travail parlementaire. Je pense notamment à l’objectif d’améliorer le suivi des ordonnances prises sur le fondement de l’article 38 de la Constitution. C’est un fait, le nombre d’ordonnances adoptées est en constante progression, notamment depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Avec la crise sanitaire, un cap supplémentaire a été franchi dans la présidentialisation de notre régime par le recours récurrent à cette pratique.

Si les ordonnances peuvent parfois être utiles, leur usage massif, qui confine à un gouvernement par ordonnance, renforce considérablement le poids du pouvoir exécutif en matière législative, au détriment du Parlement. C’est pourquoi renforcer les compétences de nos commissions permanentes, à travers le suivi des ordonnances et la capacité de pouvoir déclarer irrecevables les amendements présentés par les sénateurs ayant pour objet de créer, d’étendre ou de rétablir une habilitation à légiférer par ordonnances, nous semble aller dans le bon sens.

Par ailleurs, en tant que membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, vous l’imaginez bien, mes chers collègues, je ne peux que saluer la disposition qui vise à assurer la parité au sein du bureau du Sénat. L’égalité femme-homme est une cause qui passe par une mobilisation de tous, et le Sénat doit faire partie de ces institutions qui donnent l’exemple. Bien que cette disposition vienne inscrire dans notre règlement une pratique déjà bien réelle, notre institution doit garantir cette égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mes chers collègues, je vais désormais, en moins de deux minutes, vous dire pourquoi la réduction du temps de parole de deux minutes trente à deux minutes est une bonne chose.

Je dois vous avouer que, de prime abord, j’ai été quelque peu interrogatif devant la disposition visant à réduire le temps de parole de droit commun. Je pense tout particulièrement aux explications de vote, à la prise de parole sur un article et à la présentation d’un amendement. Toutefois, à la réflexion, je crois que cette proposition de résolution ne fait que poursuivre une évolution qui me semble inéluctable au fil des dernières réformes de notre règlement.

Cette évolution présente en creux un bénéfice : conforter de facto l’importance des débats en commission. Il a été rappelé à juste titre que ces derniers ne sont pas soumis à une limitation de temps. Espérons que cela perdure, notamment s’agissant des travaux de la commission des lois, au sein de laquelle le temps de parole est libre, même si le rythme d’examen des amendements est souvent rapide.

Au-delà de cette réflexion personnelle sur le temps de parole et sur la nécessité d’avoir une discussion générale vivante, je tiens à saluer le travail de Pascale Gruny ainsi que celui du rapporteur, François-Noël Buffet.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste, membre de la majorité sénatoriale, votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Éric Kerrouche. « Cette proposition de résolution n’est pas un bouleversement de notre règlement intérieur. Il s’agit plutôt d’une suite d’ajustements. » Telle est la déclaration, faite sur un ton patelin, du président de la commission des lois, pour résumer l’ambition de la réforme du règlement. Ces ajustements trahissent, selon nous, une tout autre volonté.

S’agissant de la méthode, nous avons eu la concertation, mais sans le compromis. Si l’objectif de cette réforme était partagé, les mesures qui en résultent ne font pas consensus. Si ce n’est la mesure relative au référendum d’initiative partagée, aucune de nos propositions n’a été retenue.

Quel était donc l’intérêt d’organiser cinq réunions de travail transpartisanes pour finalement ne plus aborder le fonctionnement du Parlement en temps de crise, sans pour autant cautionner l’idée d’un Parlement à distance, mais tout simplement garantir la continuité du Parlement, pour renvoyer la discussion sur la mission de contrôle parlementaire à la délégation du bureau chargée du travail parlementaire – si ce n’est les quelques ajustements déjà présentés par quelques autres orateurs – et pour, in fine, transcrire dans la proposition de résolution les propositions initiales soumises au groupe de travail ?

J’aime assez peu les menus uniques au restaurant, car il y a toujours de fortes probabilités d’être déçu dans la suite des plats. En l’occurrence, nous avons quelques accords sur l’entrée, mais pas sur la suite du menu.

Les mesures relatives au suivi des ordonnances font consensus. Elles étaient d’autant plus nécessaires après la décision du Conseil constitutionnel. Pour autant – il est important que le Gouvernement l’entende –, ces mesures ne viennent pas cautionner le véhicule des ordonnances, que nous souhaitons plutôt endiguer en encadrant l’article 38 de la Constitution. À cet égard, je citerai quelques chiffres.

Vous le savez, mes chers collègues, la part des ordonnances au sein de l’ensemble des textes intervenant dans le domaine de la loi dépasse désormais systématiquement 50 %. Or le délai d’adoption d’une loi est inférieur de 200 jours au délai moyen qui existe entre le dépôt de la demande d’habilitation et la publication de l’ordonnance. Ces chiffres sont le symbole d’une dépossession inefficace du Parlement. En outre, la pratique de ratification des ordonnances enregistre un recul significatif : 70 % en moyenne depuis 2007, contre 28 % durant ce quinquennat. Les ordonnances sont de plus en plus nombreuses et les ratifications de plus en plus rares ! Ces chiffres sont également symptomatiques de la considération accordée au Parlement et montrent donc la nécessité collective de préserver son rôle.

Nous partageons également les mesures liées au renforcement des pouvoirs de contrôle, dont la réflexion reste à poursuivre dans le cadre de la délégation du bureau relative au travail parlementaire. Dans une perspective constructive, nous avons déposé un amendement relatif au débat de contrôle en commission, que nous avions évoqué au sein du groupe de travail.

Bien entendu, nous sommes d’accord avec la création d’une motion ad hoc pour permettre au Sénat d’obtenir l’organisation d’un référendum d’initiative partagée, mesure que nous avions proposée.

Venons-en au plat de résistance, que nous goûtons peu, voire pas du tout.

Les points de désaccord tournent autour du fait que, contrairement à ce que j’ai entendu précédemment, nous nous dirigeons vers un affaiblissement de la place du Parlement et des droits de l’opposition. Deux mesures cristallisent notre opposition : la réduction du temps de parole et la suppression du renvoi en fin de tourniquet. Si ces mesures sont, pour la majorité sénatoriale, des « ajustements », que l’on ne nous fasse pas croire qu’elles sont anodines. Elles traduisent un affaiblissement des droits de l’opposition et, donc, du Parlement.

Selon nous, cette réforme se fait au détriment de la qualité de la loi. Faut-il devenir le Parlement de la vitesse ? Faut-il s’inscrire, sans cesse, dans la course au temps législatif, dans les pas de l’exécutif ? Cette évolution ne fait que confirmer les dires d’Harmut Rosa : notre société a un rapport pathologique au temps, et c’est une aliénation dont il faut se défaire.

L’évolution proposée entre en contradiction avec ce qui nous importe et que le Sénat défend d’ordinaire : la qualité de la loi et la place du Parlement face à un exécutif qui abuse des procédures accélérées.

Alors que nous sommes déjà l’un des parlements les plus faibles des démocraties occidentales, la majorité nous propose encore de l’affaiblir. La limite de temps de parole au Bundestag est de quinze minutes. Au Sénat américain, qui compte certes moins de sénateurs que le nôtre, la limite est de vingt minutes. Néanmoins, à la Chambre des représentants, qui compte 435 parlementaires, la limite est de cinq minutes. À Westminster, il n’y a pas de limite de temps de parole pour le chef de l’opposition.

La majorité sénatoriale nous propose de parler toujours moins, alors même qu’il n’y a, au Sénat, aucune possibilité de filibustering, c’est-à-dire de prise de parole dévoyée. Le débat est essentiel pour que les idées s’affrontent, ce qui contribue à l’élaboration d’une loi de qualité tout autant qu’à la santé démocratique.

Cette mesure traduit en fait l’intériorisation de plusieurs idées que nous combattons.

Premièrement, le Parlement prendrait trop de temps. Ce serait du temps perdu, inefficace, donc trop cher, devenant ainsi inutile. Avec ce raisonnement, on pourrait toujours rationaliser jusqu’à disparaître.

Deuxièmement, le Parlement devrait être subordonné aux désirs de célérité de l’exécutif, seul métronome de la vie politique, au détriment de la fabrication de la loi.

Troisièmement, les oppositions devraient être les moins audibles possible en réduisant leurs droits et, en l’occurrence, leur temps global d’intervention. Cette mesure et cette impression sont renforcées par la modification mesquine de la règle du tourniquet.

Pour nous, il s’agit d’une modernisation de façade au bénéfice de la majorité, pour qui la réforme est calibrée. D’une certaine façon, cette modernisation est un village Potemkine : elle renforce la majorité et affaiblit l’opposition.

J’ai évoqué la modification de la règle du tourniquet. Le plus souvent, le président de la commission et le rapporteur sont issus de la majorité. Ce sera donc un long tunnel d’interventions si l’on enchaîne immédiatement avec les orateurs de la majorité.

Nous ne sommes pas dupes : le groupe Les Républicains se ménage des marges de manœuvre à des fins qui le concernent en interne. Cela doit-il conduire à inscrire de nouvelles règles qui trahissent quelque part l’esprit de l’institution sénatoriale d’un respect du pluralisme et de nos différences, même si les affrontements peuvent parfois être rudes ? Nous ne le pensons pas.

Par ailleurs, les droits de l’opposition sont oubliés, alors qu’ils devraient être renforcés, notamment en allongeant les espaces réservés ou en attribuant la présidence de la commission des finances à l’opposition.