M. Ludovic Haye. Depuis la création de l’article L. 4622-11 du code du travail, les collectivités territoriales ont pris l’habitude de faire appel au service de santé au travail pour assurer la surveillance médicale de leurs agents, afin de pallier les difficultés de recrutement des médecins de prévention. Celles-ci sont particulièrement présentes en Alsace, mais elles risquent de s’étendre aux autres régions.

Cette proposition de loi, qui modifie la façon d’élire les représentants au conseil d’administration des services de santé, menace la présence des collectivités territoriales au sein de la gouvernance des services de prévention et santé au travail. Elles ne pourraient plus alors veiller à la bonne prise en compte des particularités de la fonction publique, en particulier de la fonction publique territoriale. De même, elles ne pourraient plus participer à la discussion des évolutions de la santé au travail.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Artano, rapporteur. La présence des représentants des employeurs publics au conseil d’administration des SSTI n’est actuellement pas prévue par la loi. Elle existe cependant en pratique dans des collectivités comme l’Alsace, où le SSTI est également chargé du suivi de l’état de santé des agents des collectivités territoriales.

Il ne nous paraît pas possible de prévoir, comme le fait cet amendement, une représentation systématique au conseil d’administration de toute collectivité territoriale concernée par une telle convention. Cela rendrait cette instance pléthorique et risquerait de la paralyser.

En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 167.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 180 rectifié est présenté par MM. Guerriau, Chasseing, Capus, Menonville et A. Marc, Mmes Mélot et Paoli-Gagin et MM. Wattebled et Lagourgue.

L’amendement n° 201 est présenté par MM. Lévrier, Iacovelli, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Kulimoetoke, Marchand, Mohamed Soilihi, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Richard et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Yung, Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

I. – Alinéa 5

Rétablir le a bis dans la rédaction suivante :

a bis) Le même 1° est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Pour les services de prévention et de santé au travail ayant vocation à couvrir un champ n’excédant pas celui d’une branche professionnelle, ces représentants sont désignés par les organisations professionnelles d’employeurs reconnues représentatives au niveau de cette branche. Pour les services de prévention et de santé au travail ayant vocation à couvrir un secteur multiprofessionnel, ces représentants sont désignés par les organisations d’employeurs reconnues représentatives au niveau de ce secteur ; »

II. – Alinéa 10, première phrase

Remplacer les mots :

au niveau national et interprofessionnel

par les mots :

, dans les conditions prévues au 1° de l’article L. 4622-11,

La parole est à M. Joël Guerriau, pour présenter l’amendement n° 180 rectifié.

M. Joël Guerriau. Il nous semble nécessaire que les branches professionnelles puissent garder la possibilité de désigner leurs représentants lorsqu’il existe un service de branche.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour présenter l’amendement n° 201.

Mme Patricia Schillinger. Cet amendement vise à rétablir la rédaction de l’Assemblée nationale, fidèle à l’ANI conclu entre les partenaires sociaux le 9 décembre 2020.

Son point 3.1.4.4 prévoit ainsi que, « concernant les services de branches, les représentants des employeurs au conseil d’administration seront désignés par les organisations représentatives au niveau national et professionnel ».

Il paraît donc essentiel de revenir sur les modifications adoptées en commission des affaires sociales afin d’assurer une juste représentation au sein du conseil d’administration des services de prévention et de santé au travail interentreprises.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Artano, rapporteur. Une lecture trop littérale de l’ANI a en effet conduit la commission à supprimer ces précisions.

Nous avons depuis eu des échanges avec les signataires de l’ANI et nous sommes désormais favorables à ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 180 rectifié et 201.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 67, présenté par Mmes Poncet Monge et Taillé-Polian, M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco et MM. Parigi et Salmon, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 5

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…) À la première phrase du quatrième alinéa, les mots : « parmi les représentants mentionnés au 1° » sont remplacés par les mots : « par alternance paritaire, parmi les représentants mentionnés aux 1° et 2° » ;

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Les services de santé au travail interentreprises (SSTI) sont des associations d’employeurs relevant de la loi 1901 qui assurent une mutualisation des moyens afin de préserver la santé des salariés. Leur gouvernance est actuellement assurée par un conseil d’administration et une commission de contrôle où siègent employeurs et salariés des entreprises adhérentes du territoire.

Alors que cette proposition de loi vise à transformer les SSTI en services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI), l’article 20 modifie les règles de composition et de fonctionnement des organes de gouvernance internes de ces services.

Le texte de la commission prévoit désormais la désignation des représentants des employeurs par les organisations patronales représentatives à l’échelon national et interprofessionnel.

Nous proposons à travers cet amendement un levier pour améliorer le paritarisme dans les SPSTI, en ajoutant une règle d’alternance paritaire entre le collège des salariés et celui des employeurs pour la présidence du SPSTI.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez rappelé le caractère paritaire de la gouvernance. Je ne doute donc pas que vous serez favorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Artano, rapporteur. Cet amendement vise à confier par alternance la présidence du conseil d’administration des SPSTI à un représentant des employeurs et des salariés.

La proposition de loi, à la suite de l’ANI, confie les postes de vice-président et de trésorier à des représentants des salariés. En revanche, l’ANI ne prévoit pas de présidence tournante.

Nous avions déjà testé cette hypothèse lors de nos auditions en 2019 et de nouveau à l’occasion de l’examen de ce texte. Elle n’est absolument pas ressortie des propositions formulées par les organisations salariales et patronales.

En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 67.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 20, modifié.

(Larticle 20 est adopté.)

Article 20
Dossier législatif : proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail
Article additionnel après l'article 21 - Amendement n° 69

Article 21

La quatrième partie du code du travail est ainsi modifiée :

1° L’article L. 4623-1 est ainsi modifié :

a) Au début du premier alinéa, il est ajouté la mention : « I. – » ;

b) Le deuxième alinéa est ainsi modifié :

– au début, est ajoutée la mention : « II. – » ;

– la référence : « premier alinéa » est remplacée par la référence : « I du présent article » ;

c) Le dernier alinéa est ainsi modifié :

– au début, est ajoutée la mention : « III. – » ;

– la référence : « premier alinéa » est remplacée par la référence : « I du présent article » ;

d) Il est ajouté un IV ainsi rédigé :

« IV. – Par dérogation au I, un médecin praticien correspondant, disposant d’une formation en médecine du travail, peut contribuer, en lien avec le médecin du travail, au suivi médical du travailleur prévu à l’article L. 4624-1, à l’exception du suivi médical renforcé prévu à l’article L. 4624-2, au profit d’un service de prévention et de santé au travail interentreprises. Dans le cadre de ce suivi médical, le médecin praticien correspondant ne peut cumuler sa fonction avec celle de médecin traitant définie à l’article L. 162-5-3 du code de la sécurité sociale.

« Le médecin praticien correspondant conclut avec le service de prévention et de santé au travail interentreprises un protocole de collaboration signé par le directeur du service et les médecins du travail de l’équipe pluridisciplinaire. Ce protocole, établi selon un modèle défini par arrêté des ministres chargés du travail et de la santé, prévoit les garanties en termes de formation nécessaire au suivi médical des travailleurs pris en charge par le service de prévention et de santé au travail interentreprises et les modalités de l’exercice du médecin praticien correspondant au sein de ce service.

« La signature de protocoles de collaboration entre des médecins praticiens correspondants et des services de prévention et de santé au travail interentreprises n’est autorisée que dans les zones caractérisées par un nombre insuffisant ou une disponibilité insuffisante de médecins du travail pour répondre aux besoins du suivi médical des travailleurs, arrêtées par le directeur général de l’agence régionale de santé territorialement compétente, après concertation avec les représentants des médecins du travail.

« Les modalités d’application du présent IV sont déterminées par décret en Conseil d’État. » ;

2° L’article L. 4623-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ces dispositions ne sont pas applicables au médecin praticien correspondant mentionné au IV de l’article L. 4623-1. » ;

3° Au premier alinéa de l’article L. 4624-1, les mots : « et, sous l’autorité de celui-ci » sont remplacés par les mots : « , le médecin praticien correspondant et, sous l’autorité du médecin du travail » ;

4° (nouveau) À l’article L. 4822-1, après la deuxième occurrence du mot : « médecin », sont insérés les mots : « disposant d’une formation en médecine du travail ».

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 68 est présenté par Mmes Poncet Monge et Taillé-Polian, M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco et MM. Parigi et Salmon.

L’amendement n° 120 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 158 est présenté par Mme Poumirol, MM. Jomier et Kanner, Mmes Le Houerou, Lubin, Meunier, Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Jasmin et Rossignol, MM. Tissot, Bourgi et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 68.

Mme Raymonde Poncet Monge. L’article 21 introduit la possibilité pour des médecins de ville disposant d’une formation en médecine du travail non définie – je rappelle que la spécialisation en médecine du travail dure quatre ans – de contribuer au suivi de l’état de santé des travailleurs et travailleuses, en lien avec le médecin du travail.

En prévoyant que des médecins de ville ayant suivi une formation a minima, qui n’ont pas de connaissance de l’entreprise et qui ne peuvent pas se rendre sur le lieu de travail, contribuent au suivi des travailleurs, cet article dévalorise comme jamais, voire nie la spécificité de la médecine du travail, à l’heure où l’attractivité de cette spécialité devrait au contraire être soutenue.

On n’imagine pas un tel dispositif pour les autres spécialités médicales. Cela montre le peu de reconnaissance de la médecine du travail, qui nécessite pourtant de nombreuses années d’étude.

Par ailleurs, la volonté de pallier le manque de médecins du travail par des médecins de ville est incompréhensible au regard des graves problèmes de démographie médicale observés dans de nombreux territoires, qui sont sur le point de devenir – ou sont déjà – des déserts médicaux.

Je rappelle que le médecin de ville n’a pas accès à l’entreprise, alors que la proposition de loi rappelle par ailleurs dans d’autres articles l’importance du tiers-temps.

Enfin, le système de « médecin collaborateur », qui permet à des médecins d’une autre spécialité qui se destinent à la médecine du travail d’être formés en théorie et en pratique au sein des services pendant deux ans, répond déjà de façon vertueuse à l’intérêt d’établir des passerelles entre la médecine de ville et la médecine du travail.

Pour ces raisons, malgré les modifications apportées par la commission pour encadrer le recours aux médecins praticiens correspondants, nous proposons de supprimer l’article 21.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 120.

Mme Cathy Apourceau-Poly. L’article 21 prévoit de décharger la médecine du travail sur la médecine de ville, ce qui est profondément regrettable alors que cette dernière est elle-même confrontée à une pénurie de médecins.

Face au développement des déserts médicaux de généralistes, ce serait la double peine pour les salariés des territoires à la fois dépourvus de professionnels de la santé au travail et de généralistes.

La moyenne d’âge des médecins du travail, dont le nombre est estimé 6 000, est comprise entre 56 et 57 ans. Dans la mesure où le taux de renouvellement de la profession est faible, les perspectives démographiques sont sombres.

Pourtant, au lieu de vous attaquer aux racines du problème en revalorisant les métiers et en améliorant l’attractivité des filières de médecins du travail, vous préférez bricoler avec les infirmiers et les généralistes des solutions tout de même assez bancales.

C’est un sparadrap sur une jambe de bois que le Gouvernement tente d’appliquer. Si les postes d’internes en médecine du travail n’augmentent pas et si la spécialité reste choisie par défaut par les étudiants, la situation ne s’améliorera malheureusement pas.

Les jeunes générations aspirent à pouvoir prescrire et à élargir leur spécialité à des disciplines extramédicales comme l’ergonomie, l’hygiène et la sécurité ou le management, ce qui permettrait aussi d’attirer de nouveaux étudiants non médecins. Il est nécessaire de renforcer les rangs des médecins du travail, spécialité à part qu’il faut par ailleurs rendre beaucoup plus attrayante.

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour présenter l’amendement n° 158.

Mme Émilienne Poumirol. L’article 21 ouvre la possibilité de recourir à des médecins de ville disposant d’une formation en médecine du travail pour contribuer au suivi des travailleurs. Comme mes collègues viennent de l’indiquer, la pénurie de médecins du travail ne saurait justifier ce type d’interventions.

Pour qui connaît l’état de surcharge des médecins généralistes et les déserts médicaux français, cette proposition paraît quelque peu surréaliste. En effet, c’est généralement dans les territoires où l’offre de soin manque que la pénurie de médecins du travail est également la plus élevée. La médecine de soins, qui peine déjà à accomplir ses missions dans de telles conditions, risque de ne pas pouvoir renforcer en plus la médecine du travail.

Il est par ailleurs difficilement envisageable qu’un médecin généraliste puisse jouer un rôle dans la prévention des risques professionnels.

Les suivis médicaux réalisés en médecine du travail ne se limitent pas à la production de certificats de bonne santé ou d’aménagements de poste délivrés sans prendre aucune considération des réalités du terrain et de l’entreprise. La médecine du travail se situe au croisement d’une connaissance précise de l’état de santé du travailleur et des environnements et organisations de travail.

Or, bien que soit prévue une formation en santé au travail du médecin « praticien correspondant », ce dernier ne pourra pas, comme le médecin du travail, se rendre sur le terrain et dans les entreprises pour saisir la réalité des conditions de travail du salarié et de l’environnement dans lequel il opère.

Les aménagements de poste prescrits par un médecin de soins non connaisseur du terrain, loin d’être bénéfiques, pourront ainsi entraîner des situations complexes, pour les travailleurs comme pour les employeurs, du fait d’un décalage entre ses prescriptions, les besoins du travailleur et la réalité de terrain, avec également un risque d’impact en termes administratifs et juridiques.

Je précise pour conclure que cet amendement de suppression est soutenu à la fois par les syndicats de médecins du travail et les syndicats de médecins généralistes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Artano, rapporteur. Ces amendements identiques visent à supprimer l’une des dispositions centrales de l’ANI, à savoir la création du médecin praticien correspondant.

La baisse de la démographie médicale, dans la médecine générale comme dans la médecine du travail, est identifiée depuis longtemps.

Dans le rapport d’information sur la santé au travail de 2019, Pascale Gruny et moi-même avons essayé de réfléchir à des solutions pragmatiques. Le recours à des médecins généralistes bénéficiant d’une formation complémentaire en médecine du travail en faisait partie.

Après la réforme de 2016, il faut compter au moins dix ans pour former de nouveaux médecins du travail et, en attendant, il faut apporter des réponses aux situations que l’on rencontre dans certains territoires.

C’est ce que les partenaires sociaux avaient à l’esprit en élaborant ce dispositif. La commission des affaires sociales l’a encadré pour garantir un bon niveau de connaissances du médecin praticien correspondant.

On reparlera de la question de l’attractivité de la spécialité avec l’article 21 bis, ajouté en commission, qui a trait au droit de prescription du médecin du travail.

Il y a quelques jours, lors de son audition au Sénat, j’ai interpellé Olivier Véran sur le renforcement de l’attractivité de la médecine du travail. Il a évoqué tout d’abord la question de la prescription. Bien souvent, les médecins du travail sont d’anciens médecins généralistes et ils passent d’un statut qui leur permet de prescrire à un statut qui ne le leur permet plus. Il a abordé ensuite les ponts qui peuvent exister en termes de formation. Peut-être faudrait-il simplifier les formations complémentaires permettant d’accéder à la profession de médecin du travail.

La proposition de loi répond en partie à ces problèmes, même si le volet formation relève du règlement.

Quoi qu’il en soit, la commission émet un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Même avis.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Sur ce genre de sujets, il faut en effet faire preuve de pragmatisme.

Bien entendu, il faudrait plus de médecins, on l’a toujours dit ! Attention cependant, quand on propose de réserver des postes d’internes supplémentaires à la médecine du travail : n’oublions pas que le nombre de postes est contingenté. On risque donc de prendre des postes à des spécialités qui manquent également de praticiens.

On peut, me semble-t-il, imaginer une complémentarité entre le médecin du travail et les médecins praticiens correspondants qui permettrait véritablement d’établir des passerelles.

On le sait, il arrive que certains médecins généralistes aient envie de changer de voie à un moment de leur carrière. S’ils découvrent cette spécialité en tant que médecins correspondants, ils auront peut-être envie de devenir médecins du travail.

A contrario, si l’on revalorise la fonction de médecin du travail, si on l’autorise à prescrire, à faire de la vaccination, on peut imaginer que certains d’entre eux seront tentés de suivre les patients, non plus seulement au travail, mais également dans leur cadre de vie au quotidien. Ces passerelles me semblent donc très importantes.

La pénurie ne fait pas de doute et l’idéal serait bien entendu d’avoir des médecins généralistes et des médecins du travail dans tous les territoires.

Si l’on adopte ces amendements de suppression, les territoires désertés le resteront et les territoires qui ont des médecins ne pourront pas avoir de médecins correspondants.

Cette disposition ne remplira pas toutes les cases, mais elle présentera un intérêt dans certains territoires. C’est la raison pour laquelle je proposerai même d’aller un peu plus loin avec les amendements suivants.

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. Je crains que ces articles 21 et 21 bis ne s’inscrivent dans une logique de confusion plus que de passerelle.

Certes, le texte pose comme principe que le médecin correspondant ne pourra pas être par ailleurs le médecin traitant du patient. Heureusement qu’il en est ainsi, même s’il aura fallu pour cela que le Conseil d’État le rappelle…

Le médecin praticien correspondant n’aura donc aucune connaissance particulière de ses patients ; il perdra le bénéfice qu’il y a à connaître ces derniers pour les prendre en charge et les orienter dans le parcours de soins.

De façon plus générale, on est en train, texte après texte, de demander aux médecins généralistes à la fois de partager un certain nombre de leurs missions traditionnelles, celles qui sont au cœur de leur métier et qu’ils accomplissent rapidement puisqu’ils y sont habitués, et de prendre en charge d’autres fonctions, qui sont complexes et qui nécessitent une formation complémentaire. J’ajoute que nous disposons de peu d’informations à ce stade sur la formation qui leur sera délivrée et que l’on peut avoir des doutes quant à sa qualité.

En fait, on ne cesse de complexifier la répartition des tâches entre les professionnels de santé. On ne devrait pas gérer les pénuries qui existent dans certaines professions, en chargeant la barque des autres ! Or c’est exactement ce que l’on est en train de faire.

J’imagine que ces amendements ne seront pas adoptés et que cet article ne sera pas supprimé, ce que je regrette. Je voudrais donc dire d’ores et déjà à notre collègue René-Paul Savary que l’amendement qu’il va nous présenter ensuite ne va pas non plus dans le sens d’une simplification.

On est en train, je le répète, de créer des usines à gaz. Ce sera d’ailleurs aussi le cas avec l’article 21 bis qui prévoit la mise en place d’une expérimentation. En ce qui me concerne, j’attends plutôt de la simplification.

En tout cas, sachons entendre les organisations de médecins traitants qui, unanimement, sont opposées à la disposition prévue à l’article 21 de ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Je voudrais tout de même rappeler – je l’ai dit, mais je n’ai pas été entendue – que la passerelle dont vous parlez existe déjà en pratique : elle est assurée par les collaborateurs médecins. Nul besoin d’attendre dix ans pour avoir des médecins du travail, puisque les médecins qui le souhaitent – vous venez de nous dire, monsieur Savary, que des généralistes ont cette envie à un certain âge ou par lassitude – peuvent acquérir une spécialité en médecine du travail après avoir suivi deux ans de formation et de stages. Cette passerelle existe donc bien d’ores et déjà ! D’ailleurs, cela a été dit, une part du temps des médecins du travail est consacrée à la formation de ces collaborateurs médecins.

En fin de compte, vous voulez faire des médecins généralistes des succédanés de médecins du travail ! Et, comme vient de le dire Bernard Jomier, on ne sait rien de la formation qu’ils vont suivre, hormis qu’elle sera donnée à la va-vite, comme si les quatre années de spécialisation pour devenir médecin du travail étaient trop longues ! Je rappelle qu’ils suivent plusieurs disciplines importantes, par exemple en toxicologie.

Quel est le but de tout cela finalement ? Tout simplement, la disparition de la médecine du travail, qui a été créée, je le rappelle, en 1946, et de cette spécialité ! On a parlé du nombre limité de places en internat, mais on doit aussi mentionner la diminution du nombre de postes de professeurs d’université. Tout cela concourt bien à la disparition de ce métier, à sa dépréciation, cet article ne constituant finalement qu’une étape supplémentaire dans ce processus.

Si demain nous n’avons plus de médecins du travail, si demain ce métier est exercé par des médecins généralistes formés à la hâte, qui fera le lien entre la santé et le travail ?

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 68, 120 et 158.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 183 rectifié bis, présenté par MM. Savary, Milon, Babary et Belin, Mmes Belrhiti et Berthet, MM. Bonne, Bouchet, J.M. Boyer, Brisson, Burgoa, Cambon, Cardoux, Charon et Chatillon, Mmes Chauvin et L. Darcos, M. Daubresse, Mmes Delmont-Koropoulis et Deromedi, M. Duplomb, Mmes Estrosi Sassone et Férat, M. B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam, MM. Genet et Gremillet, Mme Imbert, M. Karoutchi, Mme Lassarade, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mmes Malet, M. Mercier et Micouleau, M. Pellevat, Mme Puissat et MM. Sautarel, Sido et Sol, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le titre II du livre VI de la quatrième partie du code du travail est ainsi modifié :

1° L’article L. 4623-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation au même premier alinéa, un médecin praticien correspondant, disposant d’une formation en médecine du travail, peut contribuer, en lien avec le médecin du travail, au suivi médical du travailleur prévu à l’article L. 4624-1, à l’exception du suivi médical renforcé prévu à l’article L. 4624-2, au profit d’un service de prévention et de santé au travail interentreprises. Dans le cadre de ce suivi médical, le médecin praticien correspondant ne peut cumuler sa fonction avec celle de médecin traitant définie à l’article L. 162-5-3 du code de la sécurité sociale. Les modalités d’application du présent alinéa sont déterminées par décret en Conseil d’État. » ;

2° L’article L. 4623-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Cette interdiction n’est pas applicable au médecin praticien correspondant mentionné au dernier alinéa de l’article L. 4623-1. » ;

3° Au premier alinéa de l’article L. 4624-1, les mots : « et, sous l’autorité de celui-ci » sont remplacés par les mots : « , le médecin praticien correspondant et, sous l’autorité du médecin du travail »

La parole est à M. René-Paul Savary.