M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte de la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports, de l’environnement, de l’économie et des finances.

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Article 42 (début)
Dossier législatif : projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances
 

8

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs
Discussion générale (suite)

Protection de la rémunération des agriculteurs

Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à protéger la rémunération des agriculteurs (proposition n° 718, texte de la commission n° 829, rapport n° 828).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 23

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui autour d’un sujet crucial pour ce qui fait l’identité de la France : notre agriculture et l’avenir de nos agriculteurs. Car, comme j’ai coutume de le dire, il n’y a pas de nation forte sans agriculture forte !

De la capacité de nos agriculteurs à dégager des revenus dépend notre souveraineté alimentaire. De cette capacité dépend aussi l’avenir de nos territoires ruraux, de nos paysages, de notre mode de vie.

Le sujet de la rémunération des agriculteurs est donc capital.

Il l’est parce que la moitié de nos agriculteurs partiront à la retraite dans les dix ans à venir et que la relève a besoin d’un signal clair. Comment s’endetter, même avec passion, sans perspectives de revenus ?

Il l’est aussi parce que l’agriculture n’a probablement jamais eu à affronter autant de défis à la fois : gestion de la ressource, changement climatique, réponses aux attentes parfois contradictoires d’acheteurs se comportant tantôt en citoyens, tantôt en simples consommateurs, le tout dans un monde ouvert, où des modèles agricoles concurrents rivalisent et parfois s’opposent.

Ces évolutions appellent des transitions, et les transitions, disons-le, ont un coût. Pour y faire face, il faut créer de la valeur, mais aussi faire en sorte que celle-ci soit mieux répartie, au profit des agriculteurs.

La question de la rémunération dans la chaîne agroalimentaire est donc une question de souveraineté.

Elle interroge également notre modèle agricole. Ce dernier est fondé sur la qualité, laquelle a un coût. Redonnons à l’alimentation sa valeur nutritionnelle, environnementale et économique.

Nous ne cessons de travailler sur le sujet, avec vous, depuis de nombreuses années. Il était notamment au cœur des États généraux de l’alimentation, avec une approche par filière. Il était également au cœur de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « Égalim », via la mise en place de ce que nous avons appelé la « construction des prix en marche avant ».

Soyons clairs, toutefois : cette loi Égalim, si elle était nécessaire – personne ne souhaite revenir en arrière aujourd’hui –, n’a pas été suffisante. Nous devons donc remettre l’ouvrage sur le métier et ne pas lâcher. La rémunération de nos agriculteurs, comme je le disais, c’est la mère des batailles !

Pourquoi une telle situation encore aujourd’hui ? La loi Égalim a permis de changer de paradigme avec cette « construction des prix en marche avant ». Toutefois, elle n’est pas revenue sur la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, la LME, qui a porté une dérégulation dans la chaîne agroalimentaire et qui, à mes yeux, confondait d’ailleurs politique sociale de pouvoir d’achat et politique économique agricole.

Les politiques sociales sont bien sûr essentielles – à titre personnel, elles sont même la source de mon engagement politique. Mais une politique sociale ne peut pas et ne pourra jamais se faire au détriment du compte de résultat des agriculteurs. Ayons le courage de le dire !

Donc, aujourd’hui, l’objectif est clair : pour améliorer la rémunération perçue dans les cours de ferme, il faut passer de la guerre des prix à la transparence des marges ; il faut sortir de ce jeu de dupes permis par la relation à trois – agriculteurs, industriels, distributeurs – dans la chaîne agroalimentaire. Pour cela, il faut réguler.

La présente proposition de loi, dite « Égalim 2 », portée à l’Assemblée nationale par le député Grégory Besson-Moreau, constitue un texte de régulation revenant sur la LME.

Certains diront qu’elle est complexe… En réalité, elle ne l’est pas. Simplement, elle met en place une régulation, ce qui, par essence, impose d’instaurer de nouvelles règles.

D’autres diront qu’elle se fait au détriment d’untel ou d’untel… Soyons lucides, aujourd’hui c’est l’ensemble de la chaîne alimentaire qui creuse sa tombe avec la guerre des prix !

Au-delà des situations dramatiques dans lesquelles celle-ci plonge nos agriculteurs, que feront effectivement nos industriels s’il n’y a plus d’éleveurs ou d’agriculteurs ? Voyez aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, comment les marges et les capacités d’investissement des industriels ou de la grande distribution ne cessent de diminuer depuis des années.

L’ensemble de la chaîne agroalimentaire doit donc avoir le courage d’admettre qu’il lui faut recréer de la valeur et mieux la répartir. Sans cela, ce sera un abandon de nos politiques agricoles, en faveur d’importations dont le volume ne cesse de croître dans notre pays.

Les dernières négociations commerciales l’ont bien montré, sans régulation des rapports de force, notre souveraineté alimentaire se trouvera affaiblie. Alors, oui, l’État n’a d’autre choix que d’entrer dans les rapports de force, comme, d’ailleurs, nous l’avions fait lors des dernières négociations commerciales.

L’objectif de cette loi Égalim 2, en définitive, est de rééquilibrer les rapports de force, en contraignant les acteurs à sortir du jeu de dupes découlant du ménage à trois dans la chaîne agroalimentaire.

En quoi ce jeu consiste-t-il précisément ? Le producteur demande à l’industriel d’augmenter les prix ; ce dernier lui répond qu’il y était favorable, mais que la grande surface a refusé ; la grande surface, quant à elle, explique qu’elle y était favorable, mais qu’elle a craint de voir l’industriel conserver toute la marge liée à l’augmentation… Ainsi s’installe un jeu de dupes portant préjudice à l’agriculteur.

Face à cela, la loi Égalim 2 tend à instaurer des dispositifs solides en matière de transparence et de régulation : la contractualisation pluriannuelle ; la non-négociabilité de la matière première agricole ; la non-discrimination du tarif pour sortir d’une théorie des jeux consistant avant tout à négocier à la baisse les propositions des industriels ; enfin, le détail du « ligne à ligne » pratiqué par la grande distribution.

Ce texte contient donc des éléments susceptibles de changer la donne, sans toutefois revenir à des dispositifs des temps passés, qui, eux aussi, ont prouvé leurs limites.

En effet, régulation ne signifie pas administration du commerce ; on peut conforter sans mettre un terme à toute forme de négociation ou reproduire des pratiques d’antan ayant démontré leurs travers. Il faut maintenir une concurrence saine et bénéfique, tout en limitant les excès engendrés par les rapports de force déséquilibrés que j’évoquais à l’instant.

Ce texte, dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale, a été adopté à l’unanimité, dans un bel esprit transpartisan. Je sais pouvoir aussi compter sur le Sénat et la sagesse des sénateurs pour dépasser les clivages sur ce sujet d’intérêt national que constitue l’avenir de notre agriculture.

Le Gouvernement aura à émettre un avis sur vos propositions, mesdames, messieurs les sénateurs.

Sachez tout d’abord que je n’aurai qu’une seule boussole au cours de nos débats : l’impact des mesures prises sur la rémunération des agriculteurs et la création de valeur tout au long de la chaîne.

Ne rognons pas, en particulier, sur la transparence. Certes, celle-ci impose parfois de changer d’habitudes, contraindra certains à le faire, ce qui n’est jamais aisé. Mais c’est aussi un gage de confiance.

Or, on ne changera pas la nature des relations entre industriels et distributeurs sans introduire de la confiance, sans garantir aux distributeurs qu’ils peuvent payer plus, parce que les industriels paient correctement les agriculteurs. Nous devons passer de la défiance à la confiance, de relations d’opposition à des relations de collaboration.

Ensuite, comme pour toutes relations humaines, intervenir dans les rapports de force suppose une certaine mesure.

Prenons, par exemple, le sujet des marques de distributeur, ou MDD. J’ai vu, madame la présidente et madame la rapporteure de la commission, que vous aviez proposé à ce sujet des mesures en commission. Je vous en remercie, car ces mesures sont nécessaires au regard des débouchés qu’elles représentent pour nos agriculteurs. Mais il nous faut aussi trouver le juste milieu entre mettre un terme à certaines dérives et trop entraver.

Enfin, la force de notre démocratie, c’est aussi d’avoir le courage de dénoncer des pratiques qui ne sont pas admissibles, d’interpeller pour que les règles dépendant d’organisations comme l’Union européenne et ne répondant pas aux attentes des consommateurs puissent évoluer.

Il en va ainsi de l’indication de l’origine des ingrédients composant les produits alimentaires. Aujourd’hui, le consommateur veut savoir d’où provient son alimentation et doit pouvoir le savoir. Comme nous menons ensemble le combat des clauses miroirs, qui commence à produire ses effets à Bruxelles, nous devons mener ensemble celui de l’origine. Le présent texte, j’en suis convaincu, peut nous y aider.

Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je sais compter sur votre engagement et sur votre sagesse, qui n’a d’égal que votre pragmatisme, pour que cette loi soit opérationnelle et apporte un bénéfice à nos agriculteurs dès les prochaines négociations commerciales.

Je souhaite que, grâce à vous, demain, dans les différents cadres de négociation de France, on parle agriculture et compte de résultat, on pense agriculteurs et création de valeur, on signe des contrats avec, chevillée au corps, la volonté de préserver la souveraineté alimentaire de notre pays.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai entamé cette discussion générale en insistant sur l’aspect capital du sujet. Je sais quelle importance on attache aux questions portant sur l’agriculture dans cet hémicycle. C’est pourquoi je ne doute pas un instant de la qualité des débats qui auront lieu au cours des prochaines heures.

Je voudrais clore mon propos en saluant la qualité des travaux menés par Mme la rapporteure et Mme la présidente de la commission, que ce soit au sein de la commission ou dans le cadre de la préparation de l’examen du présent texte en séance publique.

Nous avons déjà longuement échangé avec plusieurs d’entre vous sur les différents sujets qui devraient nous occuper cet après-midi ; soyez sûrs que j’en débattrai avec un esprit très constructif et le souci de l’efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la juste rémunération des agriculteurs est un sujet essentiel. Il l’est tout d’abord sur le plan humain, mais c’est aussi un sujet de justice sociale, de dignité économique, de viabilité, de pérennité des exploitations françaises et de souveraineté alimentaire.

Les agriculteurs nous nourrissent. Il n’est pas concevable qu’un nombre croissant d’entre eux ne puisse même pas se verser l’équivalent d’un salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC).

Ces « entrepreneurs du vivant », comme vous les appelez, monsieur le ministre, alors même qu’ils investissent des sommes parfois colossales dans leurs exploitations, vivent sous la menace d’aléas climatiques, mais aussi sous la pression de charges grandissantes. Pour relever ces défis, ils travaillent plus de douze heures par jour, sept jours sur sept.

Procédure, malgré leurs efforts, leurs revenus n’ont cessé de diminuer au cours des dernières années. Bon nombre « subissent » une précarité, qui les pousse parfois jusqu’à l’acte ultime, comme l’a souligné le récent rapport de nos collègues Françoise Férat et Henri Cabanel.

Ce constat n’est pas nouveau. Pour autant, et en dépit des appels répétés du Sénat à traiter les différentes causes de cette situation – alourdissement des charges, concurrence déloyale de produits importés, pertes de compétitivité… –, les initiatives des dernières années ont échoué à inverser durablement la tendance.

Le texte de l’Assemblée nationale n’échappe pas à ce constat. Il ne corrige que partiellement les défauts de la loi Égalim 1, sur lesquels nous avions longuement insisté lors de l’examen de celle-ci au Sénat et dans le cadre du comité de suivi présidé par mon collègue Daniel Gremillet.

Le ruissellement attendu n’a pas été au rendez-vous. Les acteurs de l’aval n’ont pas spontanément reversé les sommes dégagées par le dispositif de seuil de revente à perte – le fameux SRP –, mis en place dès février 2019 pour mieux rémunérer les agriculteurs.

Je dirai quelques mots sur l’architecture initiale de la proposition de loi, avant de revenir brièvement sur le travail en commission.

Notons tout d’abord que la vente de produits agricoles devra désormais passer par des contrats écrits. Le prix sera déterminé en tenant compte d’indicateurs de référence et pourra fluctuer selon une clause de révision automatique.

En aval, l’industriel devra afficher la part des matières premières agricoles dans son tarif fournisseur lorsque ces matières représentent plus de 25 % du volume du produit, cette part devenant alors non négociable. Le prix du contrat pourra lui aussi fluctuer selon une clause de révision automatique.

Ce faisant, la proposition de loi ambitionne de renforcer la « construction du prix en marche avant », en sanctuarisant les matières premières agricoles tout au long de la chaîne de valeur.

Enfin, en contrepartie de l’effort de transparence demandé aux transformateurs, il est prévu que les produits dont la construction du prix est dévoilée dans les conditions générales de vente bénéficient d’un principe de non-discrimination tarifaire, c’est-à-dire qu’aucune baisse de tarif ne pourra être exigée par la distribution sans proposer en échange des services avérés. Pour vérifier ceux-ci, un dispositif de « ligne à ligne » est instauré, détaillant avec plus de précision qu’aujourd’hui les avantages commerciaux proposés en échange.

Cette proposition de loi, attendue, présente aux yeux de la commission quatre faiblesses, auxquelles nous avons tenté de remédier.

Premièrement, elle ne touche que 20 % du revenu agricole environ, puisqu’elle n’agit que sur une part des matières premières agricoles liées à la vente en grandes et moyennes surfaces (GMS), celles qui représentent plus de 25 % d’un produit, et qu’elle exclue les marques de distributeur. En outre, elle ne dit rien sur les charges croissantes et onéreuses qui affectent lourdement le revenu des agriculteurs.

Deuxièmement, cela a été souligné, elle propose un schéma d’une grande complexité, conduisant à tendre encore davantage les relations, voire à ouvrir de nouveaux contentieux. In fine, elle s’éloigne de l’efficacité opérationnelle qu’elle prétend viser.

Troisièmement, elle déséquilibre la négociation commerciale entre industriels et distributeurs, au-delà de la nécessaire transparence du coût des matières premières agricoles. Elle fragilise en effet le maillon des transformateurs et industriels, en les conduisant à dévoiler toutes leurs marges à la grande distribution.

Quatrièmement, elle porte préjudice à la médiation des relations commerciales, laquelle constitue pourtant une démarche amiable, privilégiée par les acteurs.

Face à ces constats, la commission des affaires économiques a tout d’abord renforcé, en le simplifiant, le mécanisme de transparence. Rendu plus opérationnel pour les acteurs économiques, celui-ci concerne désormais toutes les matières premières agricoles et devient de ce fait plus lisible pour le consommateur et plus impactant sur le revenu de l’agriculteur.

La commission a également rééquilibré le rapport de force entre acteurs des négociations commerciales, encadré les MDD qui échappaient à toute « construction en marche avant du prix », encadré les pénalités logistiques qui pouvaient être des outils de pressions abusives et renforcé le médiateur pour favoriser le règlement amiable des conflits.

Dans le détail, nous avons validé les grandes lignes de la contractualisation écrite, tout en permettant aux interprofessions de donner leur avis avant l’exemption éventuelle de telle ou telle filière. Il convient, en effet, de nous assurer que nous n’adoptons pas aujourd’hui une loi qui sera vidée de son contenu dans les prochains mois.

Concernant les relations en aval, nous avons simplifié les dispositifs de transparence au choix du transformateur et élargi le périmètre à toutes les matières premières agricoles, assurant ainsi un niveau de transparence et de sanctuarisation de ces matières, désormais soumises à la non-négociabilité des prix.

Ainsi, dans le respect des contrats qu’ils ont signés, les fournisseurs de produits alimentaires pourront afficher la part agrégée que représentent l’ensemble des matières premières agricoles, sous forme d’un pourcentage de leur tarif, ou bien choisir de certifier la part de l’évolution tarifaire découlant de la fluctuation du coût des matières premières agricoles.

Pour donner un exemple, ils devront indiquer quelle part les matières agricoles représentent dans le prix d’un yaourt à la fraise vendu 1 euro, et, si cette part est égale à 80 centimes, la négociation ne pourra pas porter sur ces 80 centimes.

Quelle que soit l’option choisie par le transformateur, donc, le coût des matières premières agricoles cranté dans le contrat sera ainsi sanctuarisé dans la négociation.

L’option qui contraignait le fournisseur à dévoiler au distributeur le détail des prix d’achat de chacune de ses matières premières agricoles représentant plus de 25 % du volume du produit, était non seulement complexe, mais donnait au distributeur accès à la comptabilité précise de l’industriel. Nous l’avons donc écartée, tout comme le seuil des 25 %, inéquitable et préjudiciable à l’objectif de meilleure rémunération des agriculteurs.

Dès lors que le fournisseur est tenu en amont par un contrat écrit, qui contient une clause de révision automatique des prix, et que cette clause est reprise dans le contrat aval avec le distributeur, l’objectif de traçabilité et de transparence de l’ensemble des matières premières agricoles est atteint.

Le distributeur, informé de l’évolution de la part agrégée de ces matières par l’industriel, devra la rémunérer à la hauteur demandée.

Pour que l’ensemble du secteur alimentaire participe à la recherche d’une rémunération plus juste de l’amont, la commission a adopté un encadrement des produits vendus sous MDD, soit près de 30 % des denrées, jusque-là exemptés d’indicateurs et de clauses automatiques de révision des prix.

Nous avons également renforcé les pouvoirs du médiateur des relations commerciales agricoles, en lui permettant notamment d’être arbitre, si et seulement si les deux parties en conviennent.

Enfin, la commission a souhaité que le Gouvernement puisse établir une transparence totale sur le montant et l’usage fait par les distributeurs de la cagnotte issue du relèvement du seuil de revente à perte encaissé depuis février 2019.

Ce relèvement a-t-il servi l’objectif pour lequel il a été mis en place, à savoir la meilleure rémunération des agriculteurs, et pas uniquement de ceux qui intègrent les MDD ? Quels sont les effets collatéraux, notamment au regard du cagnottage et des baisses de prix sur les légumes et fruits frais ou sur les rayons détergents et cosmétiques ? Bref, y a-t-il des « victimes collatérales » du SRP ?

S’agissant de l’affichage de l’origine des denrées, la commission privilégie l’efficacité à la déclaration d’intention. Nous l’avons vu avec la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires, une loi française peut vite devenir inapplicable, lorsque, sur le fond ou la forme, elle ne respecte pas le droit européen.

Chaque assemblée législative ayant ses prérogatives, il nous appartient, au Sénat français, de respecter le droit européen quand nous écrivons la loi, charge à nous de prendre par ailleurs des résolutions ou de nous exprimer sur les évolutions du droit européen que nous jugeons souhaitables.

Nous n’avons donc pas conservé la rédaction de l’article 3 bis, qui créait une nouvelle pratique commerciale trompeuse, explicitement interdite par le droit européen, donc non applicable en France et, dans l’intention, potentiellement préjudiciable aux entreprises qui « fabriquent en France ».

Afin d’apporter des réponses concrètes et rapides aux abus constatés en matière d’étiquetage, la commission privilégie la transcription du règlement européen à l’article 4, précisant que, si l’origine d’un produit alimentaire n’est pas la même que l’origine de son ingrédient principal, le consommateur devra en être informé de façon explicite.

Désormais, donc, si l’on prend l’exemple d’un logo attestant de la fabrication en France d’un jambon issu d’un porc espagnol, cette origine espagnole devra être portée à la connaissance du consommateur et affichée distinctement sur l’emballage.

En l’état actuel du droit, c’est une avancée en matière d’information du consommateur et de protection du logo France. Mais il est évident que le Parlement européen devra revenir sur ce dossier pour répondre aux attentes légitimes des consommateurs.

Fort de cette traçabilité opérationnelle renforcée, le texte issu du Sénat devrait permettre de redonner cette valeur tant attendue aux matières premières agricoles, et une plus juste rémunération aux agriculteurs.

Toutefois, le sujet, nous le savons, n’est pas épuisé pour autant, cette proposition de loi ne constituant qu’une étape dans la nécessaire régulation des relations commerciales. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture répond au besoin essentiel de se nourrir, mais elle est également une activité fondatrice de la vie humaine en société.

C’est pourquoi, pendant longtemps, les autorités publiques ont fait le choix – j’y insiste – de fixer des prix minimaux pour sauvegarder les intérêts des producteurs en période de surabondance ou, au contraire, des prix maximaux pour protéger les consommateurs des effets de la spéculation en période de pénurie. Il y avait alors une reconnaissance de la spécificité de l’agriculture dans notre société.

Puis vint la libéralisation de ce secteur, l’agrandissement des parcelles, l’utilisation massive des produits phytosanitaires et tant d’autres choses… Depuis lors, notre agriculture connaît une crise, devenue structurelle.

Comme pour toute libéralisation, on nous avait promis que le marché garantirait un revenu suffisant aux producteurs, sans qu’il soit besoin de soutiens spécifiques ou de mécanismes de stabilisation des marchés. C’est tout le contraire qui s’est produit : une grande partie des agriculteurs et agricultrices ne parvient pas à vivre du fruit de son travail !

Le choix d’orienter la politique agricole commune, la PAC, donc les décisions des agriculteurs, en fonction des signaux du marché n’a servi que l’industrie agroalimentaire, dans certaines filières très concentrées, et la grande distribution, organisée, il faut le dire, en véritable cartel. Pis, les gains de productivité dus à l’évolution des techniques n’ont bénéficié ni aux producteurs ni aux consommateurs ; seuls les transformateurs et, surtout, la grande distribution en ont tiré profit.

Cette crise est donc la traduction de la libéralisation forcenée. Elle est la résultante de la liberté accordée dans la fixation des prix d’achat à une poignée de centrales d’achat et d’enseignes de la grande distribution, qui, vous le reconnaissez vous-même, monsieur le ministre, ont à elles seules profité des centaines de millions d’euros de la première loi Égalim.

Elle est la résultante d’un aveuglement, ayant fait des filières agricoles des « chaînes de subordination » dans lesquelles l’exploitant agricole n’est souvent plus qu’un « sous-traitant », comme le disait Fernand Braudel.

Ce constat n’est pas nouveau ; nous l’avons toutes et tous dressé. En 2009, déjà, le groupe communiste à l’Assemblée nationale soumettait une proposition de loi pour un droit au revenu des agriculteurs. En quinze ans, rien n’a changé ! Vous essayez d’imposer le principe de la contractualisation à l’amont de la filière, tout en préservant une certaine forme de flexibilité et tout en étant évasifs sur les contraintes de l’aval.

Pourtant, cela fait des années que nous mettons en lumière la nécessité d’indicateurs publics et contraignants, d’un suivi rigoureux des prix et des marges de chacun des acteurs de la filière, de l’établissement d’un prix minimum indicatif pour chaque production, mais aussi d’un prix plancher d’achat aux producteurs, qui doit compléter l’encadrement de la contractualisation.

En effet, le contrat ne permettra pas, à lui seul, de rééquilibrer une relation commerciale, surtout si les prix doivent être fixés de manière indépendante par chaque producteur ou organisation avec son acheteur.

Pour cette raison, nous savions et nous avions dit que la première loi Égalim ne fonctionnerait pas, qu’elle ne remettrait pas en cause la domination des acteurs de l’aval. Elle restait effectivement enfermée dans la doxa posée par la LME en 2008 : la libéralisation des échanges, la dérégulation des activités commerciales et le refus de reconnaître une exception agricole.

Le constat est aujourd’hui implacable : les coûts de production augmentent, mais les prix payés aux producteurs stagnent ou diminuent, et le revenu paysan continue de se dégrader au profit des grands groupes agro-industriels.

Malheureusement, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui ne changera pas fondamentalement la donne.

Certes, on peut saluer la création d’un comité de règlement des différends commerciaux agricoles et le renforcement de son rôle après le travail effectué en commission, ou encore la sortie du prix des matières premières agricoles du cadre de la négociation tarifaire entre industriels et distributeurs.

Toutefois, comme le soulignait notre ancien collègue Jean Bizet dans son rapport sur l’agriculture et le droit de la concurrence, la contractualisation est privée de l’essentiel de ses effets par le primat donné à la préservation de la concurrence, preuve de la méconnaissance de la spécificité de ce secteur.

De plus, il faut s’attaquer à la concentration toujours plus importante de la grande distribution et de l’industrie agroalimentaire, porter la nécessité d’un système assurantiel public et universel pour protéger les agriculteurs, un encadrement des prix, une protection du foncier agricole, un soutien à l’installation des agriculteurs ; et la liste n’est pas exhaustive.

Surtout, il faut renoncer à la multiplication des accords de libre-échange, qui menacent tout autant l’agriculture nationale que l’environnement.

Si nous voulons conserver notre agriculture, nous devons nous en donner les moyens, c’est-à-dire rompre avec la logique libérale. Cette rupture est urgente, au regard non seulement de la protection de notre agriculture et de celles et ceux qui la font vivre, qui nous font vivre, mais également de l’urgence environnementale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)