Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je suis heureuse que le Sénat s’inscrive dans cette même démarche, sur l’initiative du groupe majoritaire de la Haute Assemblée. Et je tiens à saluer l’engagement de MM. les sénateurs Retailleau et Marseille, grâce auxquels nous sommes réunis pour débattre de ce sujet.

Je vous invite, au nom du Gouvernement, à voter pour cette proposition de résolution.

Il faut être tout à fait clair sur deux points.

Le premier est qu’il s’agit bien d’une résolution, qui n’a donc pas de valeur juridique contraignante. Elle ne modifie pas notre droit. Les dispositions qui nous permettent de sanctionner l’antisémitisme restent les mêmes : l’injure publique, la diffamation, la provocation à la haine ou à la violence…

Mais cette résolution, même sans force contraignante, peut servir de base à l’application de la loi et des politiques publiques. Elle sera d’une grande utilité dans les tâches de prévention, de pédagogie comme de répression. Elle permettra de mieux identifier, de mieux caractériser l’antisémitisme.

Le deuxième point, sur lequel je tiens à insister, concerne la critique d’Israël. La résolution précise, et c’est très important, que la définition de l’antisémitisme que nous recommandons n’est pas contradictoire avec la liberté de critiquer les politiques menées par le gouvernement israélien.

Nous pouvons continuer à débattre des orientations de cet État, comme on le fait pour les autres pays, et d’autant plus qu’il s’agit d’un État ami de la France. Comment pourrait-il en être autrement ? C’est une chose normale en démocratie que de dire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous faites. » C’en est une autre, qui nous fait basculer dans la haine et la violence, que d’affirmer : « Vous n’avez pas le droit d’exister ! »

Le Gouvernement, depuis 2017, est totalement mobilisé dans le combat contre l’antisémitisme. Il a durci le ton et dissout de nombreux groupuscules, néonazis et islamistes. Il a augmenté substantiellement les moyens consacrés à la sécurisation des synagogues et des autres lieux sensibles. Une division de lutte contre les crimes de haine a été créée, qui accompagne les enquêteurs pour traquer les infractions racistes et antisémites.

J’ai personnellement signalé à la justice à de nombreuses reprises, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, des faits ou des propos antisémites, comme ceux visant la jeune candidate au concours de miss France, April Benayoum.

Parce que le combat se mène de plus en plus dans l’espace cyber, la plateforme de signalements Pharos fonctionne maintenant sept jours sur sept, et le dialogue avec les acteurs du numérique a été relancé. Un réseau d’enquêteurs et de magistrats formés à la lutte contre la cyberhaine a été mis en place. Grâce à la loi Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, un parquet spécialisé dans le numérique et un observatoire de la haine en ligne ont été créés.

Un effort massif de formation a été accompli, notamment – je tiens à le souligner – auprès des policiers et des gendarmes, mais aussi des enseignants et des magistrats. Notre soutien aux institutions mémorielles a été renforcé et amplifié.

Au total, toutes les mesures de l’ambitieux plan interministériel que nous nous sommes donné en 2018 et que coordonne la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), sous l’autorité du Premier ministre, ont été mises en œuvre ou sont en cours de déploiement.

Je vous le dis, notre arsenal de mesures pour continuer à lutter sans relâche contre l’antisémitisme sera renforcé dans le cadre du prochain plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme qui sera adopté, je l’espère, d’ici à la fin de l’année.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutient pleinement et sans réserve cette résolution. Elle nous apporte un moyen très concret pour lutter avec plus de force contre l’antisémitisme. Elle adresse aussi un message : celui d’une France résolue à agir, d’une France qui ne s’habitue pas à la haine et aux passions mauvaises, d’une France unie – nous en sommes la preuve aujourd’hui – autour de ses valeurs républicaines. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution portant sur la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,

Vu la définition de l’antisémitisme adoptée le 26 mai 2016 par les 31 États membres de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste,

Rappelle sa détermination à lutter contre l’antisémitisme sous toutes ses formes ;

Estime que la définition proposée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste caractérise de manière adéquate l’antisémitisme contemporain ;

Considère que l’application de cette définition ne remet pas en cause la liberté fondamentale de critiquer les politiques menées par l’État d’Israël ;

Juge dès lors qu’elle constitue, tant en matière de prévention que d’éducation, de formation ou de répression, un instrument utile pour mieux lutter contre l’antisémitisme ;

Invite le Gouvernement, dans un travail de pédagogie, à la diffuser auprès des services éducatifs, répressifs et judiciaires.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, portant sur la lutte contre toutes les formes d'antisémitisme
 

9

Nomination d’un secrétaire du Sénat

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe RDPI a présenté la candidature de M. Dominique Théophile en qualité de secrétaire du Sénat.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai prévu par l’article 2 bis du règlement.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Dominique Théophile secrétaire du Sénat.

10

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, portant sur la nécessité de reconnaître le Gouvernement d'unité nationale de Birmanie
Discussion générale (suite)

Reconnaissance du Gouvernement d’unité nationale de Birmanie

Adoption d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, l’examen de la proposition de résolution portant sur la nécessité de reconnaître le Gouvernement d’unité nationale de Birmanie, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Pascal Allizard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 647, [2020-2021]).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, portant sur la nécessité de reconnaître le Gouvernement d'unité nationale de Birmanie
Discussion générale (fin)

M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens d’abord à remercier le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Christian Cambon, de m’avoir confié le soin de suivre la situation en Birmanie, à la suite du coup d’État de février dernier, et de proposer une initiative.

Je remercie également le président du groupe Les Républicains, Bruno Retailleau, d’avoir accepté d’inscrire ce texte rapidement sur le temps du groupe Les Républicains.

Je sais également toute l’attention de M. le président, du Sénat, Gérard Larcher, ainsi que de notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam, présidente du groupe d’amitié France-Birmanie.

Enfin, je sais gré à tous nos collègues représentant les différents groupes politiques du Sénat – ils sont nombreux –, qui ont accepté de cosigner la présente proposition de résolution.

Ce bel élan d’unité et de solidarité démontre à nos amis Birmans, dont certains sont présents en tribune et que je salue, combien le sujet de leur avenir rassemble en France, au-delà des clivages partisans.

Chacun s’en souvient, les élections nationales de novembre 2020 en Birmanie, il y a donc un an à peine, ont été largement remportées – 83 % des voix avec un taux d’abstention très bas – par la Ligue nationale pour la démocratie.

Cette élection porteuse d’espoir traduisait une forte adhésion à la transition démocratique dans laquelle le pays s’est engagé depuis 2015. Quelques mois plus tard, les militaires précédemment au pouvoir ont organisé le 1er février 2021, veille de la rentrée du Parlement, un coup d’État violent afin d’empêcher son installation et de reprendre ainsi les commandes du pays.

Ce coup d’État qui s’est accompagné de la proclamation de l’état d’urgence a plongé le pays dans la violence et la terreur. Si certains des élus « légitimes », issus démocratiquement des urnes, ont pu s’enfuir, d’autres ont été faits prisonniers par la junte. À travers la totalité du pays, la population s’est immédiatement soulevée en appelant à la désobéissance civile et à des manifestations pacifiques – au début – contre le pouvoir militaire, dont la réaction a été de réprimer en arrêtant, en torturant et en tuant des civils.

En plus des personnalités politiques, de nombreux défenseurs des droits de l’homme, journalistes, membres de la société civile, universitaires, enseignants, personnels médicaux, chefs religieux et ressortissants étrangers ont été arrêtés et restent pour la plupart détenus arbitrairement par l’armée birmane.

Dès le mois de février, des élus légitimes en exil ont formé un Gouvernement provisoire d’unité nationale (GUN), plus connu à l’échelle internationale par le biais de son acronyme anglais NUG (National Unity Government), comprenant pour la première fois de l’histoire du pays des représentants de chacune des principales ethnies.

Nous devons soutenir ce Gouvernement d’unité nationale, car il n’y aura pas de solution viable et démocratique sans lui. Monsieur le ministre, c’est toute la raison d’être de cette proposition de résolution : inviter le Gouvernement français à procéder à une reconnaissance du Gouvernement d’unité nationale de Birmanie.

La communauté internationale n’est pas restée inactive face à la crise birmane. Rapidement, mais en vain, la majorité des pays, les instances internationales, l’ONU ont demandé que tout acte de violence cesse et qu’un dialogue soit rapidement ouvert.

Le sommet de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) du 24 avril 2021 s’est conclu par un consensus sur cinq points : la nécessité immédiate de mettre fin aux violences, l’ouverture d’un dialogue constructif entre toutes les parties concernées, la désignation d’un envoyé spécial de la présidence de l’Asean pour faciliter la médiation du processus de dialogue, l’aide humanitaire, et enfin la visite en Birmanie de l’envoyé spécial, lequel n’est pour l’heure pas autorisé par les autorités militaires à entrer sur le territoire birman, et ne peut donc pas rencontrer toutes les parties prenantes, notamment les personnalités emprisonnées. Il en est de même, d’ailleurs, pour l’envoyé de l’ONU.

Les ministres des affaires étrangères des pays du G7 ont rappelé que les personnes responsables de violations du droit international relatif aux droits de l’homme devront rendre des comptes.

Au cours des derniers mois, trois séries de sanctions ont été prises par l’Union européenne à l’encontre des responsables de ce coup d’État et des intérêts économiques des forces armées birmanes. Mais ces sanctions ne parviennent pas, pour le moment, à inverser le cours des événements. Je crois qu’un nouveau train de sanctions est en cours de discussion à Bruxelles ces jours-ci.

En ciblant tant les avoirs que les secteurs des pierres précieuses et du bois, ces mesures visent à limiter la capacité de la junte à tirer profit des ressources naturelles du pays. Quant à l’embargo sur les armes et les équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression, il reste en vigueur.

En revanche, la question des revenus pétroliers n’est pas résolue de manière satisfaisante, alors que la population manque cruellement de tout. La pression financière sur les membres de la junte devrait être accrue.

Mes chers collègues, le temps presse, car la situation n’évolue guère favorablement. Elle pourrait progressivement prendre le tour d’une guerre civile marquée par une répression sévère des autorités militaires, d’autant plus que toutes les grandes ethnies participent au Gouvernement d’unité nationale.

Les civils en viennent à s’armer et à s’organiser en groupes de défense, sans pour autant disposer de la formation adéquate, contrairement aux forces de sécurité. Ils lancent désormais des actions de sabotage. Le week-end dernier a ainsi été marqué par de nombreuses violences.

Depuis février, le bilan de cette crise politique est lourd. Selon certaines estimations, 1 120 civils – en réalité certainement beaucoup plus – ont été tués. Nombre d’entre eux sont morts en prison à la suite de tortures. Au moins 6 700 personnes ont été arrêtées. Leurs familles ne savent ni où elles se trouvent ni même si elles sont encore en vie. Parmi eux, des anonymes, des médecins, des infirmières, des journalistes, des artistes.

De nombreux enfants et femmes enceintes ont été assassinés, des enfants ont été enlevés puis défigurés et les photos « avant-après » ont été placardées sur les murs, afin que la population terrorisée ne sorte plus de chez elle.

La liste des atrocités commises s’allonge tous les jours. Elles nous heurtent et nous choquent profondément. La haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a appelé fin septembre à une action urgente pour empêcher que la situation au Myanmar ne se transforme en conflit total. Son bureau a publié un nouveau rapport qui détaille les violations généralisées commises contre le peuple, dont certaines pourraient constituer des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre.

Un fléau n’arrivant jamais seul, la crise sanitaire du covid, amplifiée par l’attitude de la junte, a frappé durement la population. Depuis le mois de février, plus rien n’est fait contre le virus qui fait aujourd’hui des ravages terribles. La plupart des hôpitaux civils sont fermés et aucun médicament, vaccin ou oxygène n’est distribué.

Puisque les soignants ont été parmi les premiers à entrer en résistance contre le coup d’État, nombre d’entre eux ont été arrêtés ; plusieurs centaines d’autres seraient toujours visés par des mandats d’arrêt.

Dans ce contexte, la population continue à se battre pour son droit à la démocratie. Nous ne pouvons pas l’abandonner à son sinistre sort, alors que le pouvoir birman fait brûler des maisons et des villages et piège le terrain avec des mines.

De fait, le temps profite aux militaires qui paraissent en position de force et semblent en passe de s’installer pour durer. Ils parient sur un pourrissement de la situation dans le temps long, qui conduirait certains pays à vouloir normaliser leurs relations avec les autorités en place sans pour autant explicitement les cautionner.

Monsieur le ministre, cette proposition de résolution marque le fait que nous arrivons à un tournant. Pour éviter de glisser vers une reconnaissance de facto de la junte, il est indispensable de traiter avec la seule autorité légitime en l’état actuel, le Gouvernement d’unité nationale et ses représentants, pour réenclencher un processus de transition démocratique.

La France entretient des contacts réguliers avec ce Gouvernement d’unité nationale. Ainsi, la commission des affaires étrangères du Sénat a auditionné le 30 juin dernier plusieurs de ses membres. Parmi les attentes qu’ils ont exprimées devant la commission, celle concernant la nécessité de reconnaître la légitimité du Gouvernement d’unité nationale « encore plus clairement » nous apparaît on ne peut plus explicite.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, sur ces travées, nos pensées vont vers toutes les victimes civiles de la répression, ainsi que vers toutes les personnes emprisonnées ou déplacées. Il est temps que cette situation cesse dans ce pays meurtri où, en outre, la sécurité alimentaire est menacée et la pauvreté progresse.

Vous comprendrez donc le sens de cette proposition de résolution. Pour monter l’attention du Parlement français, un texte quasi identique a d’ailleurs été déposé à l’Assemblée nationale par des collègues députés.

Nous mesurons tous la nécessité, pour les Européens, de s’affirmer davantage à propos de ce dossier et dans cette région, tout en maintenant un dialogue équilibré avec les États-Unis et la Chine, comme l’actualité internationale nous le commande.

Monsieur le ministre, nous comptons sur vous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. André Guiol. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)

M. André Guiol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en quelques mois, la Birmanie est passée de l’espoir au désespoir.

La participation massive des Birmans aux élections de novembre 2020 avait conduit à la victoire de la Ligue nationale pour la démocratie. Ce résultat aurait pu consolider la fenêtre progressiste ouverte en 2015 par quelques généraux réformateurs.

Hélas, en février dernier le coup d’État de l’armée birmane est venu plonger le pays dans un chaos que les auteurs de la proposition de résolution ont rappelé : répression, assassinat, détention ou déplacement guettent tous ceux qui contestent le nouveau régime.

La situation sécuritaire est en effet dramatique. À travers tout le pays, les forces armées birmanes répriment des manifestations pourtant pacifiques.

Alors que les généraux prétendaient seulement vouloir assurer le transfert du pouvoir, ils n’ont fait que déclencher un séisme politique et humanitaire largement condamné sur la scène internationale.

Au-delà des atteintes aux droits de l’homme qui nous émeuvent au premier rang, c’est aussi la situation économique qui nous inquiète. Cela a été souligné : l’économie est au point mort.

Les organisations non gouvernementales (ONG) et les agences de l’ONU font état de conséquences dramatiques.

Le Programme des Nations unies pour le développement constate une aggravation de la pauvreté, et le Programme alimentaire mondial alerte sur la hausse des foyers de malnutrition. Cette crise est un véritable retour en arrière pour les Birmans.

Malgré une situation compliquée, malgré les risques, malgré les moyens de la junte, force est de reconnaître le courage de la population, dont une grande partie a entendu l’appel à la désobéissance civile formulée par le Gouvernement d’unité nationale.

Entre la dictature et la révolution, le peuple birman a choisi. Il a choisi la liberté, et même les armes à travers la « force de défense populaire ».

Dans ces conditions, le soutien de la communauté internationale est indispensable pour appuyer cette quête de liberté. Le groupe du RDSE est donc naturellement favorable à toutes les initiatives dans ce sens.

Mais quelles sont les options ? Disons-le, elles ne sont pas nombreuses.

Il y a bien le régime de sanctions que la communauté internationale a mis en place depuis mars dernier. Mais nous savons combien les généraux ont imbriqué les intérêts militaires et les intérêts économiques du pays, notamment à travers les fameux conglomérats de l’armée et le Conseil administratif de l’État.

Monsieur le ministre, comment cibler les sanctions sans aggraver la situation humanitaire ? Comment également obtenir un soutien plus net des acteurs de la région ?

Je pense en particulier à l’Association des nations d’Asie du Sud-Est, dont certains des membres détournent les yeux tandis que d’autres normalisent leurs relations avec la junte.

Que penser également de la Chine et de la Russie, qui se sont abstenues lors du vote de la résolution de l’ONU du 18 juin dernier ? Sans avoir souhaité le coup d’État, ces deux puissances autoritaires et décomplexées sont fort logiquement mal à l’aise quand il s’agit d’appuyer le retour à la démocratie à l’extérieur, sans parler de leurs intérêts géostratégiques.

Cela dit, il ne faut pas baisser les bras, car les opposants birmans, comme ils l’ont maintes fois exprimé, attendent un soutien international, et notamment la reconnaissance du Gouvernement d’unité nationale.

Monsieur le ministre, la proposition de résolution présentée devant le Sénat aujourd’hui nous invite à mettre en œuvre cette reconnaissance.

Fidèle à ses valeurs, la France, avec l’appui qu’elle doit rechercher de la part de ses partenaires européens, ne peut qu’apporter son soutien à une représentation qui émane des élections libres de 2020.

Mon groupe, je l’ai dit, est favorable à toute démarche qui aiderait le peuple birman à reprendre son destin en main grâce à un gouvernement civil qui, en outre, a donné des gages d’intégration de toutes les minorités ethniques du pays dans un cadre fédéral. Mes chers collègues, le RDSE votera donc la proposition de résolution.

Le coup d’État birman constitue une véritable infraction aux conventions internationales. Nous devons notre soutien au peuple birman qui fait preuve d’un grand courage et d’une détermination à retrouver le chemin de la démocratie.

J’ajouterai que l’issue de cette crise pourrait également démontrer la capacité de la communauté internationale à maintenir la stabilité dans la zone Asie-Pacifique, ce qui est une nécessité dans un monde déjà suffisamment fracturé.

Aujourd’hui, la pression internationale se porte sur l’Afghanistan, et à juste titre ; mais il convient aussi de ne pas oublier la Birmanie : les Birmans aussi sont dans la nuit. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. André Vallini.

M. André Vallini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les élections de novembre 2020 remportées par la Ligue nationale pour la démocratie, l’armée birmane a pris le pouvoir par la force le 1er février dernier.

Depuis cette date, la police et l’armée n’hésitent pas à réprimer par la force toute opposition. En six mois, près de 1 000 civils dont 75 mineurs ont été abattus, des centaines d’entre eux ont disparu et plus de 5 400 personnes sont derrière les barreaux.

Malgré cette dureté du régime, la résistance continue de s’organiser courageusement face à la dictature. Il est donc nécessaire d’intensifier les efforts de la communauté internationale pour soutenir les démocrates birmans.

Je vais aborder successivement l’action de l’ONU, puis celle de l’Union européenne, et enfin celle de la France.

Concernant l’action de l’ONU, non seulement la résolution de l’Assemblée générale adoptée fin juin pour appeler tous les États membres à empêcher l’afflux d’armes vers le pays n’est pas contraignante, mais la Russie et surtout la Chine ont de surcroît bloqué toute résolution ferme au Conseil de sécurité : la ligne de front entre l’autoritarisme – et c’est un euphémisme – dont la Chine est le centre, et l’aspiration démocratique commune à tant de peuples en Asie passe aujourd’hui par les rues de Rangoon, comme elle est passée hier par celles de Hong Kong et de Bangkok.

Certes, lors de l’Assemblée générale en cours, la Birmanie – tout comme l’Afghanistan d’ailleurs – a été retirée de la liste des discours, et l’ambassadeur choisi par Aung San Suu Kyi a conservé son siège auprès de l’ONU. Mais la dictature birmane se sait protégée par ses alliés russes et, surtout, chinois.

En mars 2021, Tom Andrews, expert indépendant onusien, a présenté devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies cinq pistes pour qu’une action internationale efficace puisse voir le jour.

Premièrement, arrêter les flux de fonds vers les militaires birmans, en imposant des sanctions ciblées aux entreprises commerciales de la junte, notamment la Myanmar Oil and Gas Enterprise, principale source de revenus de l’État birman.

Deuxièmement, imposer un embargo international sur les armes.

Troisièmement, établir la responsabilité des crimes commis par le biais des tribunaux nationaux ayant recours à la compétence universelle, si le Conseil de sécurité refusait de renvoyer l’affaire devant la Cour pénale internationale (CPI).

Quatrièmement, travailler directement avec la société civile locale et les ONG pour fournir une aide humanitaire.

Cinquièmement, enfin, ne pas reconnaître la junte militaire en tant que gouvernement légitime représentant le peuple du Myanmar.

On sait que la junte birmane ne changera son comportement que si son moteur économique, et donc financier, est menacé par la communauté internationale.

Les mesures à prendre devraient donc inclure non seulement des sanctions ciblées et un embargo international sur les armes, mais surtout des restrictions financières pour réduire les revenus de la junte issus des industries extractives.

Certes, la réponse de l’ONU aux crimes de la junte birmane est bridée par la crainte d’un veto russe et surtout chinois au Conseil de sécurité, mais ce dernier doit faire le nécessaire pour faire respecter la résolution de l’Assemblée générale de juin dernier afin que cesse l’afflux d’armes au Myanmar.

Concernant l’action de l’Union européenne, celle-ci condamne le coup d’État chaque mois depuis février. Elle a décidé d’une aide humanitaire s’élevant à un peu plus de 20 millions d’euros, et a aussi annoncé des sanctions individuelles contre des responsables du coup d’État ainsi que contre des entités économiques liées à l’armée. Ces mesures visent bien sûr à limiter la capacité de la junte à tirer profit des ressources naturelles du pays.

L’Union européenne peut-elle faire plus ? Malgré son poids économique considérable, elle joue hélas un rôle minime sur la scène internationale. Souvent caricaturée comme un géant économique, mais un nain politique, l’Union européenne peine à transformer sa force économique en influence diplomatique, et chacun sait qu’il n’existe en effet pas à proprement parler de politique étrangère européenne, puisque chaque État membre de l’Union conserve une entière souveraineté dans la conduite de sa politique étrangère, ce dont certains se réjouissent, d’ailleurs.

Pour autant, avec la Birmanie, l’Union européenne a une occasion de plus à saisir pour faire davantage entendre sa voix dans le monde, pour défendre son approche multilatérale jamais démentie, et exprimer sa volonté de faire respecter le droit international.

Concernant enfin l’action de la France, la réponse de notre pays se résume hélas à des condamnations de principe, car elle se retranche derrière les positions adoptées par l’Union européenne.

C’est en réalité une position biaisée, gênée, entravée par la présence de Total dans un conglomérat d’exploitation de gaz, source précieuse de liquidités pour les militaires putschistes.

En mai dernier, Total a annoncé que les actionnaires d’un gazoduc qu’il exploite en Birmanie allaient cesser de percevoir des versements – parmi eux figure une entreprise liée à l’armée birmane. Le groupe pétrolier a précisé qu’il allait continuer ses opérations en Birmanie, mais qu’il respecterait les sanctions internationales si elles venaient à être prises.

Si cette mesure est saluée par les ONG, son impact reste cependant très limité sur le comportement de la junte. C’est donc l’ensemble de ses paiements à la junte que Total doit suspendre. La France doit adopter une approche volontariste et proactive pour atteindre cet objectif. Comment faire ?

Une solution proposée par plusieurs ONG est que, au lieu de payer la Myanmar Oil and Gas Enterprise, entreprise gazière et pétrolière d’État en lien avec Total, la multinationale française verse les sommes correspondantes sur un compte protégé. Cet argent serait alors conservé jusqu’à ce que la Birmanie ait un gouvernement légitime et démocratiquement élu.

En conclusion, malgré les efforts de l’Asean, les sanctions européennes et les condamnations du G7 ou de l’ONU, la crise perdure et la démocratie est confisquée en Birmanie, où le peuple s’enfonce dans la violence et la souffrance.

Avec cette résolution, la France appelle à la libération sans condition des prisonniers et à une reconnaissance du Gouvernement d’unité nationale de Birmanie.

Pour que la France regagne l’estime des peuples qui attendent beaucoup d’elle, notamment en Asie, ce sont les libertés et les droits de l’homme qu’elle doit défendre en Birmanie comme partout dans le monde où ils sont menacés.

Le groupe socialiste votera évidemment cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe Les Républicains.)