Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mmes Jacqueline Eustache-Brinio, Martine Filleul.

1. Procès-verbal

2. Questions d’actualité au Gouvernement

prix de l’énergie

Mme Maryse Carrère ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.

réforme de l’assurance chômage

Mme Raymonde Poncet Monge ; Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion ; Mme Raymonde Poncet Monge.

taxonomie verte européenne

Mme Vanina Paoli-Gagin ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.

ingérences étrangères dans les universités

M. Étienne Blanc ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Étienne Blanc.

lutte contre la fraude fiscale

Mme Nathalie Goulet ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; Mme Nathalie Goulet.

« pandora papers » (I)

M. Éric Bocquet ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Éric Bocquet.

situation financière des collectivités territoriales

M. Michel Dennemont ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.

départ des chercheurs français à l’étranger

M. Yan Chantrel ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Yan Chantrel.

prise d’otage à la prison de condé-sur-sarthe

M. Vincent Segouin ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Vincent Segouin.

situation des sages-femmes

Mme Émilienne Poumirol ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Émilienne Poumirol.

asile et migrations

Mme Catherine Belrhiti ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

statut des sages-femmes

M. Stéphane Demilly ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.

intégration des élèves transgenres

M. Cédric Vial ; Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire.

« pandora papers » (II)

M. Thierry Cozic ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.

situation des étudiants en première année de médecine

M. Alain Houpert ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Alain Houpert.

éoliennes en baie de saint-brieuc

M. Alain Cadec ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

3. Décès d’un ancien sénateur

4. Candidature à une délégation sénatoriale

5. Réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État. – Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale :

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques

Question préalable

Motion n° 19 de M. Jean Louis Masson. – M. Jean Louis Masson ; Mme Catherine Di Folco ; Mme Amélie de Montchalin, ministre ; M. Jean Louis Masson. – Retrait.

Demande de renvoi à la commission

Motion n° 20 de M. Jean Louis Masson. – M. Jean Louis Masson ; Mme Catherine Di Folco ; Mme Amélie de Montchalin, ministre. – Rejet.

Discussion générale (suite)

M. François Patriat

M. Pierre Médevielle

M. Philippe Bas

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Cécile Cukierman

M. Hervé Marseille

M. Jean-Claude Requier

M. Jean Louis Masson

M. Patrick Kanner

Mme Christine Lavarde

Mme Amélie de Montchalin, ministre

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Mme Marie-Noëlle Lienemann

M. Jean-Pierre Sueur

Amendement n° 2 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 1 de M. Jean Louis Masson. – Retrait.

Amendement n° 3 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 4 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 5 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 6 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 7 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 8 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 9 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 10 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 11 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 12 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 13 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 14 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 15 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 16 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 17 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 18 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Vote sur l’ensemble

M. Jean-Pierre Sueur

M. Jean Louis Masson

M. Bruno Retailleau

M. Pierre Médevielle

Mme Françoise Férat

Mme Cécile Cukierman

M. François Patriat

Mme Amélie de Montchalin, ministre

Rejet, par scrutin public n° 1, de l’article unique de la proposition de loi.

6. Ordre du jour

Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Jacqueline Eustache-Brinio,

Mme Martine Filleul.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun de vous sera attentif au respect des uns et des autres, ainsi que du temps de parole.

prix de l’énergie

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe SER. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le Premier ministre, gaz, électricité, carburants : depuis plusieurs mois, les Français font face à des hausses importantes des prix qui mettent en difficulté les plus modestes à l’approche de l’hiver. Ces augmentations s’ajoutent aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire qui ont touché en premier lieu les plus fragiles.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis le début de l’année, le montant mensuel du tarif réglementé du gaz a augmenté de 50,8 %, les tarifs réglementés de l’électricité devraient bondir de 12 % en début d’année et le prix du sans plomb 95 a retrouvé son niveau d’octobre 2018, juste avant la crise des « gilets jaunes ».

Certes, des éléments conjoncturels liés à la reprise économique mondiale expliquent ces tensions sur les prix, avec une demande en forte hausse.

Les facteurs de formation des prix, avec le poids des taxes, accentuent également l’élasticité des tarifs.

La situation illustre aussi la difficulté de l’Union européenne à mettre en place, dans le contexte de la transition écologique, une stratégie énergétique commune profitable aux citoyens européens, alors que les intérêts des États membres sont souvent divergents.

Néanmoins, par-delà ces questions, l’urgence demeure pour nos concitoyens. Vous avez annoncé la mise en place d’un « bouclier tarifaire » pour contenir, d’ici au printemps 2022, la hausse des prix du gaz et de l’électricité. Vous envisagez également de relever au besoin le chèque énergie.

Si ces décisions sont un premier pas que nous saluons, elles restent ponctuelles. Elles ne suffiront pas en cas d’hiver rigoureux ou de nouveau choc d’offre ou de demande. Plus largement, c’est bien notre souveraineté énergétique qui est en jeu, la seule à même, grâce à notre mix, de garantir que l’énergie reste un bien commun accessible.

Comment comptez-vous donc agir pour que l’énergie ne devienne pas, à long terme, un facteur d’inégalités qui grèverait le pouvoir d’achat des Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité.

Mme Bérangère Abba, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Carrère, permettez-moi, tout d’abord, d’excuser Barbara Pompili, actuellement au Luxembourg pour le conseil des ministres de l’environnement.

Ces prix de l’énergie sont effectivement en forte hausse du fait de l’augmentation du prix du gaz liée à l’accroissement de la demande suscitée par la reprise mondiale ainsi qu’à une réduction de certaines productions, notamment en Russie et en Norvège.

Face à cette situation largement due à des facteurs extérieurs, il nous fallait effectivement des réponses pour les ménages. Ainsi, une aide sociale supplémentaire de 100 euros en faveur des quelque 6 millions de foyers français qui bénéficient déjà du chèque énergie sera versée avant la fin de l’année. Elle le sera directement, sans entreprendre de démarche particulière, et arrivera dans les boîtes aux lettres des Français. Elle s’ajoute évidemment au chèque énergie de l’année 2022, qui sera versé en mars.

Par ailleurs, comme le Premier ministre l’a annoncé, nous allons déployer ce bouclier tarifaire qui vise à protéger tous les Français. Les prix du gaz seront bloqués tout l’hiver à leur niveau d’octobre. Sans cela, la facture des Français aurait pu augmenter de 30 %.

S’agissant de l’électricité, l’augmentation des tarifs réglementés sera au maximum de 4 % par rapport à 2021, soit environ 5 euros par mois pour un ménage français qui se chauffe à l’électricité. Nous proposerons donc, lors de la discussion du projet de loi de finances au Parlement, d’ajuster la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) pour atteindre cet objectif de 4 %.

S’agissant du gaz, quand les prix baisseront – sans doute au printemps –, nous diminuerons un peu plus lentement les tarifs afin de revenir à la normale. Il s’agit d’un lissage, à la montée comme à la descente, de manière à en amoindrir les effets pour les ménages français.

Des recettes exceptionnelles liées à la hausse des coûts de l’électricité nous permettent de financer ces baisses de taxes.

M. Jean-François Husson. Les Français paient tout !

réforme de l’assurance chômage

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Joël Bigot et Mme Émilienne Poumirol applaudissent également.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.

Madame la ministre, le 30 septembre, sans attendre que le Conseil d’État ait rendu son jugement sur le fond, sortait le décret d’application de la réforme de l’assurance chômage. Le Conseil d’État avait pourtant suspendu la réforme, considérant que son application constituait « une erreur manifeste de jugement », eu égard à la conjoncture économique.

Vous répondez que les critères de retour à bonne fortune sont désormais remplis et permettent aux demandeurs d’emploi de privilégier les emplois stables et non les parcours d’emploi fractionnés qu’ils privilégiaient, selon vous, du fait d’une allocation trop généreuse.

Sur vos deux critères de retour à bonne fortune, pouvez-vous alors nous indiquer quelle est la part d’embauches en contrats de plus de quatre mois, voire six mois, période désormais requise pour l’indemnisation ? Combien sont en CDI, alors que de multiples lois ont favorisé le recours aux contrats précaires ?

S’agissant de la baisse des chômeurs de catégorie A, encore faudrait-il compléter ce critère avec l’évolution à la hausse des catégories B et C, où se trouvent les salariés qui seront les plus affectés par votre réforme, et de la catégorie D, où atterrissent les contrats de sécurisation professionnelle à la suite de licenciements économiques, comme beaucoup de jeunes du dispositif « 1 jeune, 1 solution » ?

Madame la ministre, quelles sont la pertinence et la robustesse de vos critères de retour à bonne fortune, au regard de la seule justification de la réforme de favoriser l’emploi durable, mais qui paupérise, dès aujourd’hui, les salariés aux parcours d’emploi fractionnés ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Yan Chantrel applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.

Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de lemploi et de linsertion. Madame la sénatrice Poncet Monge, je vous confirme que la réforme de l’assurance chômage est désormais pleinement en vigueur depuis le 1er octobre.

En particulier, un nouveau mode de calcul de l’allocation chômage s’applique, mais uniquement aux demandeurs d’emploi inscrits depuis cette date. En effet, nous pensons que la situation économique et la situation du marché du travail justifient pleinement la mise en œuvre de cette réforme de l’assurance chômage. Vous le savez, nous avons eu 2,4 millions d’embauches ces trois derniers mois, ce qui est un record historique depuis au moins quinze ans.

Je rappelle, par ailleurs, qu’on a 320 000 demandeurs d’emploi de catégorie A de moins et que nous avons créé 415 000 emplois depuis le début de l’année, alors qu’on nous prédisait 230 000 destructions d’emplois. Le contexte est effectivement favorable.

Permettez-moi de revenir sur cette question de la précarité des emplois que vous mentionnez et de rappeler que, précisément, l’un des objectifs de la réforme est de lutter contre le recours excessif aux contrats courts avec le système de bonus-malus qui doit conduire les entreprises à proposer des contrats de travail plus longs.

Par ailleurs, nous voulons aussi encourager ceux qui le peuvent à travailler davantage : c’est le sens du nouveau mode de calcul de l’allocation chômage.

Les clauses de retour à meilleure fortune devraient jouer d’ici à la fin de l’année. Je le rappelle, elles sont fondées à la fois sur le nombre d’embauches en contrat de plus d’un mois et sur la baisse des demandeurs d’emploi sans aucune activité de catégorie A.

Nous n’avons pas inventé ces indicateurs pour l’occasion : il s’agit des indicateurs suivis historiquement par la statistique publique, notamment les déclarations d’embauches. Ils sont, je pense, représentatifs de la situation du marché du travail. On nous aurait reproché d’inventer un indicateur ad hoc pour mettre en œuvre et ces clauses de retour à meilleure fortune.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la réplique.

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre, vous ne répondez pas à ma question puisque, certes, la catégorie A baisse, mais les catégories B et C sont actuellement à 2 178 200 demandeurs d’emploi et la catégorie D a augmenté comme jamais. C’est le réceptacle des suppressions d’emplois et des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) actuellement menés.

En conclusion, je crois plutôt que cette réforme poussera les demandeurs d’emploi à accepter des contrats courts, très courts, tout simplement parce qu’ils seront paupérisés. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

taxonomie verte européenne

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la ministre, « taxonomie verte », « taxonomie écologique », « classification verte » : quel que soit son nom, pour l’heure, l’énergie nucléaire n’en fait pas partie.

Alors que se négocient au niveau européen les seuils d’émissions de CO2 de certaines activités économiques qui entreront dans cette classification, et donc bénéficieront de financements verts et d’aides européennes, notre questionnement, notamment quant aux investissements, s’intensifie à l’approche de la fin de l’année.

Le nucléaire est une filière historique, mais, surtout, d’excellence française. Elle nous garantit une part de souveraineté énergétique dont toute l’Europe bénéficie, y compris ceux de nos voisins qui mettent leur mouchoir sur leur mauvaise conscience d’importateurs d’électricité nucléaire. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Cette énergie a toute sa place dans notre mix énergétique, même si sa part doit diminuer. C’est pourquoi la mobilisation des capitaux nécessaires afin de réaliser des investissements qui le sont tout autant ne peut être entravée. Surtout lorsque les experts ne convergent pas pour démontrer que cette énergie serait préjudiciable à l’atteinte de nos objectifs environnementaux ou à notre combat ultralégitime contre les effets du dérèglement climatique.

La neutralité carbone en 2050 ne pourra pas se faire sans cette technologie bas-carbone. Y consacrer des moyens suffisants revient à financer la recherche pour maintenir sur l’existant des unités toujours plus fiables et efficaces.

Enfin, cela signifie surtout se mettre en capacité d’accroître la sûreté des sites et de mieux garantir leur longévité. Les enjeux économiques et industriels sont immenses pour notre pays.

Je prends pour exemple la centrale de Nogent-sur-Seine, dans l’Aube. Prolonger son activité dans les meilleures conditions assure de garder un haut niveau d’expertise, une verticalité nécessaire dans tous les métiers sur site et sécurise l’évolution de notre mix énergétique.

Madame la ministre, le temps presse. Je sais le Gouvernement investi. Pouvez-vous nous donner l’état des discussions après l’Eurogroupe d’hier et les positions que la France défendra dans les prochains mois ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. Emmanuel Capus. Très bonne question !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, merci de rappeler le caractère absolument stratégique de l’énergie nucléaire dans notre mix énergétique. (Exclamations sur les travées du groupe GEST. – Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Cette énergie est stratégique, car, vous l’avez très bien dit, c’est une énergie indispensable pour décarboner notre économie. Elle est également stratégique parce qu’elle est toujours disponible, à un moment où nos besoins en électricité vont massivement augmenter. Elle est enfin stratégique par sa compétitivité tarifaire pour les particuliers et les entreprises.

Au moment où le prix de l’électricité augmente en Europe – on ne le voit pas encore en France –, on mesure toute l’importance de ne pas être dépendant d’autres pays ou d’autres énergies pour notre mix énergétique.

Je veux vous rassurer, madame la sénatrice, la position de la France est absolument sans ambiguïté… (Marques dubitatives sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. C’est tout et son contraire en même temps !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. … sur la taxonomie, comme sur les autres sujets qui touchent à l’énergie nucléaire. Le nucléaire doit figurer dans la taxonomie. C’est le propos que nous portons, Barbara Pompili, Bruno Le Maire, Clément Beaune et moi-même dans tous nos conseils : conseil compétitivité, conseil climat, conseil affaires économiques et financières (Écofin). Bruno Le Maire l’a encore porté en début de semaine de manière très nette et très précise.

Une voix sur les travées du groupe INDEP. Très bien !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. C’est dans cette direction que nous allons poursuivre les négociations avec fermeté, parce que les faits sont têtus : on ne luttera pas contre le réchauffement climatique sans énergie nucléaire, ce qui n’est évidemment pas contradictoire avec le fait de développer massivement les énergies renouvelables.

Notre stratégie est fondée sur deux piliers : les énergies nucléaires et les énergies renouvelables. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

ingérences étrangères dans les universités

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Étienne Blanc. Monsieur le Premier ministre, une mission d’information sénatoriale vient de commettre un rapport sur les influences étrangères extraeuropéennes au sein de nos universités et du monde académique français.

Il en ressort que des pays étrangers qui ne sont pas démocratiques ou qui ne partagent pas nos valeurs – je veux parler de la Chine, de la Russie ou de la Turquie – se livrent aujourd’hui à de véritables ingérences dans notre monde académique. Ils affectent des moyens considérables au service de leurs influences.

Ressort également qu’en France, les moyens mis à disposition pour connaître, comprendre et lutter contre ces ingérences ne sont plus aujourd’hui totalement adaptés à l’importance du phénomène. Monsieur le Premier ministre, comment, par exemple, surveiller un institut Confucius hébergé dans une université ? On sait désormais que ces instituts ne sont pas là uniquement pour enseigner le chinois ou valoriser la culture chinoise, mais qu’ils se livrent à de véritables exercices d’influence dans les universités qui les hébergent.

Comment protéger une communauté scientifique qui travaille sur la présence des chrétiens en Orient, sur le génocide arménien de 1916, alors que l’accès par le gouvernement turc au territoire et aux archives turques n’est plus facilité ? Cette communauté scientifique subit même parfois des pressions et des menaces inadmissibles.

Monsieur le Premier ministre, l’intégrité scientifique et les libertés académiques sont des marqueurs essentiels dans nos démocraties occidentales. Ce sont des marqueurs essentiels pour nos libertés. Le Gouvernement l’entend-il de la sorte et comment entend-il mieux les protéger ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Monsieur le sénateur Blanc, je salue la très grande qualité, comme toujours, du travail de cette mission que vous présidiez, fruit d’une initiative du groupe RDPI et de son rapporteur André Gattolin.

Cette mission, vous l’avez rappelé, touche un sujet majeur. C’est un sujet qui touche en réalité notre société dans son ensemble, mais qui appelle un traitement particulier s’agissant de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Les vingt-six propositions que vous avez faites, visant cinq grands objectifs, font déjà l’objet d’un travail d’analyse approfondi et rigoureux de la part de mes équipes. Je tiens à rappeler, comme j’ai pu le faire lors de mon audition au mois de septembre, qu’effectivement il nous faut absolument préserver l’intégrité scientifique et la liberté académique, qui sont indissociables.

C’est tout l’objet du deuxième objectif de votre rapport et c’est aussi ce que vous avez souhaité faire dans le cadre de la loi de programmation de la recherche, qui contient des avancées majeures en la matière.

Cet attachement aux libertés académiques et à l’intégrité scientifique ne doit évidemment pas limiter les interactions et les échanges internationaux, mais ceux-ci doivent se réaliser sans naïveté.

Grâce au haut fonctionnaire de défense et de sécurité, à la mission ministérielle sûreté et sécurisation de l’enseignement supérieur et de la recherche, aux 160 fonctionnaires de sécurité défense, au réseau coordonné, au dispositif de protection du potentiel scientifique et technique – nous portons un intérêt tout particulier à la recommandation de la mission qui vise à l’étendre à l’ensemble des disciplines universitaires–, nous nous sommes emparés de ce sujet.

Les conclusions et recommandations de la mission d’information du Sénat convergent très largement avec l’action de mon ministère et, plus largement, celle de ce gouvernement, en lien avec l’ensemble des administrations concernées. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Pierre Cuypers. Vous ne répondez pas à la question !

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour la réplique.

M. Étienne Blanc. Madame la ministre, merci d’avoir salué le travail que nous avons mené avec André Gattolin.

Le sens de ce rapport est de dire : « Attention, il se passe aujourd’hui, du fait des actions d’influence menées par ces pays qui ne partagent pas nos valeurs démocratiques, des phénomènes considérables contre lesquels on ne peut pas lutter avec un sabre de bois. »

Nous sommes donc à la disposition du Gouvernement pour échanger sur ce sujet particulièrement grave. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC – M. André Gattolin applaudit également.)

lutte contre la fraude fiscale

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, mes chers collègues, « la fraude fiscale, simple pacte républicain », le nouveau scandale des Pandora Papers en est une nouvelle illustration après les LuxLeaks, Panama Papers et tant d’autres.

Tout va bien, dormons tranquilles, puisque, quarante-huit heures après ces révélations, l’Union européenne supprime trois territoires de la liste des territoires non coopératifs. Trois paradis fiscaux de moins, c’est vrai que c’est un mauvais timing.

La France allant présider le Conseil européen, monsieur le ministre, quelles mesures entendez-vous prendre pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale alors que notre dette flambe ?

Pendant que certains cachent des millions dans les paradis fiscaux, nos étudiants font la queue devant les banques alimentaires et nos agriculteurs se débattent dans des difficultés infernales ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice Nathalie Goulet, permettez-moi de revenir sur ces révélations.

Il s’agit de quelque 600 journalistes, 117 pays concernés et 12 millions de données qui seraient exploités ou exploitables par ce consortium de journalistes pour mettre au jour des pratiques d’optimisation, d’évasion, voire de fraude fiscale dans un grand nombre de pays, par le biais de sociétés offshore.

À ce stade, les informations dont le Gouvernement et la direction générale des finances publiques (DGFiP) disposent sont les informations révélées par la presse. Comme à chaque fois en pareille circonstance, nous avons donné, avec Bruno Le Maire, des instructions extrêmement claires à la DGFiP consistant à exploiter, à vérifier et à analyser chacune des données mises à sa disposition par ces révélations médiatiques.

Elle a pour instructions de vérifier si des contribuables français sont concernés et, le cas échéant, diligenter les contrôles fiscaux les plus sévères qui soient et de mettre en œuvre, en lien avec le ministère de la justice, les sanctions et procédures judiciaires qui s’avéreraient les plus utiles.

Nous continuons à œuvrer contre la fraude fiscale, à la fois à l’échelle française et à l’échelle européenne. Nous avons permis l’adoption d’une loi de lutte contre la fraude en octobre 2018 – vous aviez été active dans ces débats, madame la sénatrice – avec la création d’une police fiscale. Nous avons renforcé notre système d’information avec, notamment, la pérennisation de la rémunération des aviseurs fiscaux. Enfin, nous développons au niveau européen, sens dans lequel nous poussons, des échanges d’informations extrêmement poussés.

Ainsi, pour 2019, ce sont 107 milliards d’euros de revenus fiscaux complémentaires à l’échelle de l’Union européenne qui ont été trouvés et dégagés par des échanges d’informations portant sur plus de 84 millions de comptes que nous avons pu ainsi investiguer et vérifier.

Il y aurait beaucoup à dire pour développer les différents sujets et priorités que nous avons. Je crois pouvoir revenir, à l’occasion de prochaines questions, sur ce que nous faisons aussi en matière de lutte contre la fraude fiscale, et je veux vous assurer de ma détermination la plus totale à lutter contre cette fraude et à exploiter l’ensemble des données auxquelles nous aurons accès par les révélations que vous avez citées. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, nous sommes toujours dans l’ex post. Votre bilan n’est pas exactement celui que vous dites : vous avez réduit les moyens humains pour le contrôle fiscal et douanier, vous avez démantelé la délégation nationale à la lutte contre la fraude, vous avez perdu du temps pour la mise en place du système de détection précoce de fraude à la TVA – c’est un système de Trade Needs Analysis (TNA) appliqué par tous les pays européens dont on vous a demandé depuis plusieurs années l’application en France, et qui vient seulement de l’être.

Je rappelle que la fraude à la TVA représente 5 milliards d’euros détectés l’année dernière et 10 milliards au niveau de l’Europe.

Le Gouvernement s’est opposé à l’amendement du Sénat qui visait à interdire les aides covid aux entreprises disposant de filiales dans les paradis fiscaux, préférant – allons savoir pourquoi – la circulaire, qui est peut-être mieux que la loi. Vous me le direz peut-être.

Il reste 777 enquêtes préliminaires actuellement ouvertes pour des affaires de fraude fiscale et de blanchiment. Vous vous êtes opposé à la position légitime du Sénat, qui a voté la possibilité de prolongation de ces enquêtes pour ces faits. Délai que vous vouliez réduire sans distinguo dans la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Enfin, pour mener ces enquêtes préliminaires, on ne compte que trois enquêteurs. Je ne suis pas certaine que l’adéquation soit exacte.

Les chiffres publiés attestent de ce bilan désastreux. Le résultat de la lutte contre la fraude a été divisé par deux en 2017. Ces chiffres sont ceux de votre ministère, et vous les retrouverez dans l’excellent ouvrage de Charles Prats, Le Cartel des fraudes – Tome 2, qui traite de fraude fiscale.

Monsieur, le ministre, le projet de loi de finances arrive et j’espère que nous pourrons prendre des mesures vraiment efficaces, car, pour l’instant, le compte n’y est pas. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

« pandora papers » (i)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Éric Bocquet. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance, mais je sais que M. Dussopt me répondra.

En février dernier, un grand journal du soir révélait dans le cadre d’une enquête dénommée « Openlux », l’existence de 55 000 sociétés offshore détenant 6 500 milliards d’euros d’actifs au Luxembourg. Cette semaine, un consortium de journalistes publie une nouvelle enquête, les Pandora Papers – bien que la boîte de Pandore ait été ouverte il y a déjà bien longtemps – par laquelle nous apprenons que 29 000 autres sociétés offshore viennent d’être mises au jour, créées et gérées par quatorze cabinets et officines spécialisés.

M. le ministre Bruno Le Maire s’est déclaré « choqué », quand tous nos concitoyens sont ulcérés par ces révélations incessantes faites par la presse ces dernières années.

Pour les milliardaires concernés, responsables politiques de très haut niveau, sportifs et trafiquants en tout genre, l’objectif est d’échapper à l’impôt et aux juges grâce à cette industrie de l’opacité. Le problème est systémique.

Monsieur le ministre, comptez-vous en rester au choc et à la vérification ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Bocquet, nous ne comptons pas en rester au choc.

Je l’ai dit, nous avons développé des outils de lutte contre la fraude fiscale. Il faut rendre à César ce qui est à César : le développement des outils de lutte contre la fraude fiscale date de plusieurs années. Lorsque l’on regarde les quelques années écoulées, on peut citer la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin II », ainsi que les lois pour la confiance dans la vie politique de 2014, 2017 et 2018.

À chaque fois, les gouvernements successifs ont travaillé pour que les administrations soient dotées d’outils plus performants.

La loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a créé une police fiscale. Les échanges d’information que j’évoquais à l’instant permettent de dégager au niveau communautaire plus de 100 milliards d’euros de revenus supplémentaires via la lutte contre la fraude fiscale.

Vous me demandez si je veux en rester au choc et à la vérification. Nous en restons avant tout à la vérification et, chaque fois que nous le pouvons, menons des contrôles et prononçons des redressements.

Vous avez évoqué un certain nombre d’affaires révélées. Je voudrais revenir sur celle dite des Panama Papers. En la matière, l’administration fiscale française a identifié un certain nombre de contribuables français concernés, nous avons mené à leur terme 657 dossiers soit de régularisation, soit de redressement, à moins qu’ils n’aient fait l’objet d’une judiciarisation. Cela a permis à l’État français de recouvrer plus de 200 millions d’euros (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. David Assouline. Sur 11 000 milliards !

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Vous dites 11 000 milliards, monsieur Assouline, comme s’il s’agissait de 11 000 milliards français ! Je vous parle, moi, des 657 contribuables français détectés dans les Panama Papers. Vous devriez vous en féliciter et féliciter l’administration plutôt que de faire des comparaisons qui n’ont ni queue ni tête. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

L’essentiel, pour moi, c’est que l’administration est au travail et que, quand elle travaille, cela paie et permet de sanctionner les fraudeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.

M. Éric Bocquet. Ces scandales successifs qui se traduisent à chaque fois par des milliards en fuite pour la République nécessitent une réaction déterminée.

Vous le savez, nous sommes constructifs et nous nous permettons de vous suggérer trois pistes d’action immédiate.

Premièrement, vous pouvez recréer des postes de contrôleur dès le projet de loi de finances qui vient devant le Parlement dans quelques jours. Pour rappel, 38 000 emplois ont été supprimés depuis 2002 dans les finances publiques.

Deuxièmement, vous pouvez créer l’observatoire de la lutte contre la fraude fiscale, annoncé en 2018, jamais mis en place. Nous sommes candidats à titre bénévole. (Rires sur les travées du groupe CRCE.)

Troisièmement, la France va présider le Conseil de l’Union européenne à partir de janvier 2022. L’Union européenne a décidé hier de retirer de la liste des paradis fiscaux les Seychelles, en plein cœur des révélations du dernier scandale. Inscrivez à l’agenda de ce semestre une mise à jour de cette liste en y incluant notamment le Luxembourg et Chypre. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

situation financière des collectivités territoriales

M. le président. La parole est à M. Michel Dennemont, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Michel Dennemont. Ma question s’adresse à M. le ministre chargé des comptes publics.

Monsieur le ministre, le Gouvernement s’est engagé tout au long de la crise pour soutenir les collectivités locales, menacées par une fragilisation de leurs budgets.

En 2020 et en 2021, après avoir pris l’essentiel du coût de la crise à son compte, l’État a vu son solde se dégrader de près de 8 %. À l’inverse, les collectivités locales, qui n’ont pas ménagé leurs efforts, ont dans l’ensemble réussi à équilibrer leurs comptes grâce à ce soutien inédit de l’État.

Beaucoup l’ont reconnu et ont salué cet effort sans précédent, mais certains ont choisi, il y a quelques jours, d’alimenter la polémique, en dénonçant une baisse de 50 millions d’euros des dotations, ce qui témoignerait selon eux d’un mépris du Gouvernement à leur endroit.

Cette polémique est censée nous faire oublier l’ensemble des efforts financiers consentis par l’État durant la crise, alors même que le sujet de la discorde représenterait au total moins de 0,2 % du budget des régions.

Et pourtant, le Gouvernement a tenu ses engagements vis-à-vis de celles-ci : il a en effet compensé leurs pertes de recettes, qui s’élèvent à 192 millions d’euros, sans compter les 600 millions d’euros de crédits d’investissement débloqués dès 2020 pour soutenir leurs finances sinistrées.

C’est dans ce contexte que nous avons pu lire avec un certain étonnement que les régions et le Gouvernement ne semblaient pas partager la même vision de la réalité du pays. On comprend mieux ce slogan quand on sait que, parmi les actuels présidents de région, pas moins de deux sont déjà candidats à l’élection présidentielle, mais on peut douter que de telles déclarations servent la clarté et la sincérité du débat public.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rappeler l’ensemble des mesures prises durant la crise pour soutenir les finances des collectivités locales et, singulièrement, celles des régions dans l’Hexagone comme en outre-mer ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Dennemont, permettez-moi d’abord de vous dire tout le plaisir que nous avons à vous retrouver dans cet hémicycle et à vous retrouver tout court. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Vous m’interrogez sur les mesures prises par l’État pour accompagner les collectivités locales, et plus particulièrement les régions, pendant la crise.

Sachez qu’en matière d’accompagnement la garantie apportée par l’État aux collectivités pour leurs pertes de recettes, que ce soit sous la forme de compensations ou d’avances remboursables, les aides sectorielles et les aides à l’investissement ont représenté un total de 10,5 milliards d’euros. C’est cette somme que l’État a débloquée pour soutenir les collectivités.

Pour ce qui concerne les régions, cette compensation s’est traduite par le transfert d’une part de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour un montant évalué à plus de 900 millions d’euros, contre un versement de 350 à 400 millions d’euros chaque année en moyenne.

Surtout, nous avons garanti aux régions qu’elles percevraient un produit de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) pour les années 2020 et 2021 équivalent au montant qu’elles ont perçu en 2019, soit l’année où les recettes de CVAE ont enregistré leur plus haut historique, à savoir 9,75 milliards d’euros.

Pour les régions d’outre-mer, l’effort de l’État s’est traduit par l’intégration dans le panier des ressources garanties des recettes liées à l’octroi de mer et à la taxe spéciale de consommation sur les carburants, ce qui représente un montant supplémentaire de 80 millions d’euros.

Nous avons aussi pris des mesures, vous l’avez dit, monsieur le sénateur, pour soutenir l’investissement local et, donc, celui des régions, et ce à hauteur de 600 millions d’euros. Nous allons d’ailleurs continuer à les accompagner, notamment dans le cadre des contrats de plan État-région qui sont en cours de négociation.

Par ailleurs, les régions bénéficieront d’un regain de leurs ressources traditionnelles, puisqu’elles vont bénéficier, du fait de la dynamique des recettes de TVA, de 780 millions d’euros en 2022, ce qui laisse augurer un redressement tout à fait singulier de leurs finances.

Enfin, le Premier ministre s’est récemment engagé devant le congrès des régions de France à compenser à hauteur de 100 millions d’euros la baisse des frais de gestion perçue au titre du financement de la formation professionnelle : ce sont donc 100 millions d’euros supplémentaires pour les régions. (M. le Premier ministre acquiesce.)

Les régions disposaient, à la fin de l’année 2020, d’un excédent supérieur à 5 milliards d’euros, ce qui leur permettait de faire face à leurs besoins en matière d’investissement.

Grâce aux mesures annoncées par le Gouvernement – je veux parler des différentes garanties qui leur sont accordées, de l’accompagnement qui leur est octroyé en matière d’investissement ou de l’augmentation de leurs ressources, via la dynamique des recettes de TVA ou la baisse de leurs frais de gestion –, nous aidons également les régions à faire face à leurs engagements et à accompagner l’État et les Français sur le chemin de la reprise. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

départ des chercheurs français à l’étranger

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Je salue sa première prise de parole dans notre hémicycle ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Yan Chantrel. Merci, monsieur le président. C’est un honneur de représenter les Françaises et les Français établis hors de France au sein de notre assemblée.

Mes chers collègues, il y a un an jour pour jour, notre compatriote Emmanuelle Charpentier recevait le prix Nobel de chimie. Établie hors de France depuis vingt-quatre ans, elle déclarait alors : « Je pense que la France aurait du mal à me donner les moyens que j’ai en Allemagne. La recherche scientifique a besoin d’être soutenue par le Gouvernement. »

Un an plus tard, le constat est sans appel. La semaine dernière, le journal Le Monde publiait une enquête accablante sur le déclin de la recherche en France, qui mettait en relief des moyens en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE, des salaires indignes, des équipements vieillissants, ainsi que la dégradation des conditions de travail qui affecte la productivité de la recherche française.

Loin de régler le problème, la loi de programmation de la recherche (LPR) votée en 2020 consacre le manque d’ambition du Gouvernement, en accroissant la précarisation des contrats et les inégalités entre laboratoires.

En tant que conseiller consulaire et désormais sénateur représentant les Français de l’étranger, j’ai rencontré des centaines de compatriotes, doctorantes et doctorants, chercheuses et chercheurs, qui, devant ce manque cruel de moyens, ont fait le choix d’exercer leur métier et de vivre leur passion à Washington, à Cambridge, à Belém ou encore à Sydney.

À l’heure ou la planète est confrontée à des bouleversements climatiques et sanitaires majeurs, comment le Gouvernement compte-t-il donner à la recherche française les moyens de répondre à l’urgence ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Monsieur le sénateur Chantrel, permettez-moi également de vous féliciter de votre élection en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France. Je sais que nous aurons l’occasion de nous revoir dans le cadre des travaux menés par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

Monsieur le sénateur, contrairement à ce que titre le journal Le Monde, ce n’est pas la recherche française qui est en déclin : ce sont les financements accordés à la recherche française ces vingt dernières années qui sont en cause. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.) Ces moyens, ignobles, ne nous ont en effet pas permis de garder nos talents. (M. Martin Lévrier applaudit.)

En réalité, c’est ce gouvernement qui est en train d’inverser la tendance. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe SER.) Ainsi, pour la première fois, nous observons une hausse sensible du nombre de candidatures de doctorants étrangers.

Par ailleurs, nous investissons 25 milliards d’euros dans la recherche au travers de la loi de programmation de la recherche, et la dotons de 500 millions d’euros cette année dans le cadre du projet de loi de finances, soit deux fois plus que lors des précédents quinquennats. Voilà la réalité, monsieur le sénateur !

Je parlerai également des 7 milliards d’euros supplémentaires investis dans le cadre du plan Innovation Santé 2030, afin de soutenir le secteur de la santé, dont nous avons vu à quel point il avait besoin d’être encouragé. Il faut aussi mentionner les 7,8 milliards d’euros consacrés, dans le plan de relance, au périmètre couvert par mon ministère, à savoir l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation.

C’est cet investissement qui nous permettra de préserver plus de 2 000 emplois hautement qualifiés dans la recherche et le développement,…

Mme Laurence Cohen. Chez Sanofi ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. … autant d’emplois qui auraient pu manquer à notre pays.

Pour la première fois également, nous nous engageons à proposer à nos jeunes chercheurs une rémunération supérieure à deux SMIC, à augmenter de 30 % les salaires des doctorants, et à créer 650 postes supplémentaires, au-delà des départs à la retraite.

Enfin, pour la première fois cette année, je le répète, des chercheurs internationaux demandent à revenir dans notre pays, qu’ils aient été formés en France ou ailleurs : ainsi, 180 demandes sont parvenues à mon ministère cette année.

Voilà, monsieur le sénateur, ce que c’est de croire en la recherche française ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour la réplique.

M. Yan Chantrel. Madame la ministre, je constate que votre réponse n’est vraiment pas à la hauteur de l’urgence des défis climatiques et sanitaires auxquels nous devons faire face. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe RDPI, ainsi quau banc du Gouvernement.)

Concernant le budget 2022, les augmentations annoncées sont très en deçà de ce qui était prévu dans la loi de programmation de la recherche. Quant aux investissements planifiés à l’horizon 2030, ils sont beaucoup trop tardifs pour répondre aux différentes crises climatiques et sanitaires, qui appellent une réaction immédiate. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

prise d’otage à la prison de condé-sur-sarthe

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Vincent Segouin. Monsieur le garde des sceaux, une nouvelle prise d’otage a eu lieu hier dans la prison de haute sécurité de Condé-sur-Sarthe, pourtant l’une des plus sécurisées de France, je tiens à le souligner. Un détenu est parvenu à prendre deux surveillants en otage avec une arme artisanale.

Depuis 2013, année de création de cette prison, nous en sommes déjà à la sixième prise d’otage selon le même protocole. En 2019, à la suite d’un attentat terroriste islamiste et d’une prise d’otage, j’alertais votre prédécesseur, qui me promettait des moyens supplémentaires pour les gardiens et m’assurait de sa détermination à renforcer la sécurité dans les prisons. Qu’en est-il ?

En réalité, deux ans après, rien n’a changé. Les violences et le mépris constituent le quotidien de nos gardiens. Il y a toujours autant d’armes artisanales et de téléphones qui circulent sans que les agents puissent fouiller systématiquement les détenus et les visiteurs.

Hier, vous vous êtes déplacé pour rencontrer les surveillants. Voici ce que vous avez déclaré à la presse : « J’ai pu rencontrer la jeune surveillante. Elle est profondément choquée d’avoir vu son collègue avec un poinçon sous la gorge. Avec les psychologues, nous allons tout faire pour l’aider à passer cette épreuve difficile. » J’en conclus que, pour vous, la solution, c’est le psychologue ! (Exclamations sur les travées du groupe RDPI. – M. le garde des sceaux sindigne.)

Vous avez poursuivi en disant : « J’ai tenu à rencontrer le personnel pénitentiaire. Le personnel a présenté des difficultés et des revendications. Nous allons travailler à toutes ces questions. »

Bilan : nos interventions ne servent à rien, et vous redécouvrez la situation à chaque événement sans y remédier !

Enfin, vous avez terminé votre intervention en déclarant : « Je remercie les détenus qui ont été particulièrement responsables, parce qu’ils sont restés dans leurs cellules, alors que le preneur d’otage les avait ouvertes. »

Voilà la vérité ! Vous avez sans cesse de la compassion pour les détenus, en tout cas plus que pour les gardiens et les victimes ! (Exclamations sur les travées des groupes RDPI et SER. – Vives protestations au banc du Gouvernement.)

Je réitère donc ma question de 2019 : quand allez-vous permettre aux gardiens d’effectuer des fouilles systématiques et les équiper de pistolets à impulsion électrique comme ils vous le demandent ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Segouin, hier, j’ai tenu à rencontrer immédiatement les victimes pour les assurer du soutien de mon ministère, du soutien du Gouvernement et de celui de la Nation tout entière. J’ai également tenu à remercier les ÉRIS, les équipes régionales d’intervention et de sécurité, qui sont intervenues sur place et qui ont permis de dénouer ce drame, ainsi que le RAID.

J’ai dit, parce que c’est vrai – et souffrez que je le redise –, que certains détenus n’avaient pas adhéré à ce que l’un des leurs avait commis : non seulement ces détenus s’en sont désolidarisés, mais ils ont permis la reddition de leur compagnon de détention. C’est la vérité !

Ensuite, je tiens à dire que j’ai tout de suite rencontré le personnel, car il était indispensable que nous ayons un échange. Je suis allé là-bas avec le directeur de l’administration pénitentiaire, que j’ai moi-même fait nommer. C’est un ancien de la pénitentiaire, et il sait naturellement de quoi il parle.

Alors, monsieur le sénateur, disons-nous les choses très clairement.

Tout d’abord, les fouilles systématiques sont prohibées – vous devriez le savoir – par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), notamment depuis un arrêt Frérot contre France. Nous avons légiféré en 2019 – il y a peu, donc –, et les fouilles sont désormais permises et parfaitement autorisées dans certaines conditions.

Pour le reste, je tiens à vous dire qu’un travail est actuellement mené, en lien avec les représentants des personnels, pour renforcer la formation des surveillants. C’est là une de leurs attentes.

S’agissant du volet budgétaire, nous avons fait ce que vous n’avez pas fait. Dans le prochain projet de loi de finances, 100 millions d’euros seront consacrés à la sécurisation des établissements pénitentiaires : 45 millions d’euros seront dédiés à la sécurisation anti-drones et au brouillage des communications, 20 millions d’euros au déploiement d’un système d’alerte géolocalisé, le reste étant destiné à l’achat de filins et à la sécurisation des parkings notamment.

M. Marc-Philippe Daubresse. Et pour les places de prison ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. En outre, une expérimentation sur l’armement des surveillants pénitentiaires est en cours, notamment à la centrale de Condé-sur-Sarthe pour laquelle, je le sais, monsieur le sénateur, vous vous mobilisez, comme d’ailleurs Mme la sénatrice Nathalie Goulet, qui suit ces questions depuis fort longtemps.

Je vous annonce également que le budget 2022, si vous le votez, permettra de créer 600 emplois supplémentaires dans l’administration pénitentiaire.

Un dernier mot, monsieur le sénateur : le risque zéro n’existe pas,…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Temps de parole dépassé !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … et les personnels que j’ai rencontrés en ont parfaitement conscience. Pour autant, nous ne devons naturellement pas céder au fatalisme. Cette réalité doit nous pousser à agir, et c’est la raison pour laquelle nous avons pris toutes ces mesures. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour la réplique.

M. Vincent Segouin. Comme votre prédécesseur, vous vous réfugiez derrière les droits de l’homme (Exclamations sur les travées du groupe SER et au banc du Gouvernement.) et dites que vous ne pouvez rien changer. J’imagine que vous allez oublier ce dossier et le redécouvrir à la prochaine tragédie ! (M. le Premier ministre et M. le garde des sceaux protestent.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous ne respectez rien, ni la Constitution ni la CEDH !

M. Vincent Segouin. Monsieur le garde des sceaux, si, vraiment, vous êtes incapable d’apporter des solutions concrètes, pourquoi ne vous inspirez-vous pas des mesures de sécurité mises en place par le P-DG d’Aéroports de Paris qui, lui, garantit bel et bien cette sécurité ? D’ailleurs, heureusement ! Sinon,…

M. le président. Il faut conclure.

M. Vincent Segouin. … beaucoup d’avions n’arriveraient pas à destination.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Quelle honte ! Un bel exemple de zemmourisation des esprits !

situation des sages-femmes

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Émilienne Poumirol. Ma question s’adresse à M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.

Les 24, 25 et 26 septembre 2021, les sages-femmes ont déclenché un mouvement de grève dans plus de 150 maternités et dans plus de 60 % des cabinets libéraux. Une nouvelle mobilisation aura lieu demain, jeudi 7 octobre, pour la sixième fois cette année.

Face au manque de reconnaissance, aux contrats précaires, aux salaires insuffisants, aux tâches et aux responsabilités de plus en plus lourdes, y compris au niveau de l’accueil des urgences gynécologiques, et face au manque chronique d’effectifs, elles sont toujours plus nombreuses chaque année à quitter les maternités pour se tourner vers le secteur libéral.

Ces conditions de travail, qui se détériorent sans cesse, mettent à mal la permanence et la qualité des soins. Rappelons que, cet été, le Conseil national de l’ordre des sages-femmes tirait la sonnette d’alarme en faisant observer que le manque d’effectifs dans les maternités ne permettait plus de garantir la sécurité des patientes, et que de nombreuses maternités avaient dû fermer leurs portes.

Le 16 septembre, monsieur le ministre, vous avez annoncé une revalorisation financière de 100 euros brut par mois, inférieure aux propositions pourtant formulées par l’inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, dans le cadre d’un rapport remis cet été.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Non, vous vous trompez !

Mme Émilienne Poumirol. Mais cette annonce ne permet pas de traiter les causes profondes du mal-être des sages-femmes.

Comment améliorer, sans moyens réels, la prise en charge des femmes ? Comment rendre la profession attractive ? Ce déficit d’attractivité sans précédent des maternités est dès lors un enjeu de santé publique majeur.

Monsieur le ministre, il est urgent d’entendre l’inquiétude et la colère des sages-femmes. Leurs revendications dépassent la seule défense de leur profession : c’est avant tout les femmes, leur santé physique et mentale et celle des nouveau-nés que les sages-femmes défendent. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Poumirol, je vous remercie de votre question. Ici, sur toutes les travées, tout le monde est d’accord pour dire que les sages-femmes font un travail formidable et précieux, et qu’elles méritent la reconnaissance de la représentation nationale.

Madame la sénatrice, pardonnez-moi, mais, à la mi-septembre, à la suite des travaux menés par l’IGAS, j’ai annoncé non pas une revalorisation des salaires des sages-femmes exerçant à l’hôpital de 100 euros, mais une revalorisation de 365 euros par mois en moyenne. Ce n’est pas tout à fait la même chose !

Grâce au Ségur de la santé et à quelques annonces complémentaires, les sages-femmes exerçant à l’hôpital percevront 4 500 euros net de plus par an. (M. François Patriat applaudit.) Personne ne dit que c’est trop, mais je vous défie de trouver dans les archives un exemple de revalorisation salariale d’agents publics qui équivaudrait à plus de 4 000 euros net par an. C’est simple, il n’y en a pas !

Grâce aux mesures annoncées par ce gouvernement, une sage-femme percevra près de 4 000 euros net par mois en fin de carrière. Encore une fois, personne ne dit que c’est trop, mais, de grâce, ne limitez pas le montant ce cette revalorisation à un niveau qui ne correspond pas à la réalité : ce n’est pas 100 euros, mais 360 euros net par mois en moyenne dont bénéficieront les sages-femmes, dont 180 euros grâce au Ségur de la santé, 100 euros de primes, et l’équivalent de 60 à 70 euros qui découle de la révision des grilles indiciaires.

Cet effort de la Nation représente 80 millions d’euros par an ; c’est un effort justifié, tout à fait normal, auquel il faut ajouter 18 millions d’euros dans le cadre de la convention médicale en cours de signature entre les syndicats libéraux et l’assurance maladie.

Madame la sénatrice, je veux vous dire, sans aucune provocation, que depuis un an et demi et mon entrée en fonction, ce gouvernement a autant augmenté les salaires des soignants de notre pays que les gouvernements de droite et de gauche réunis depuis plus d’un siècle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Sophie Primas. Et les sages-femmes exerçant une activité libérale ?

M. Olivier Véran, ministre. Encore une fois, personne ne dit que c’est trop, mesdames, messieurs les sénateurs, mais, vous le constaterez, dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, cela correspondra à 10 milliards d’euros de revalorisation salariale.

Par ailleurs, les sages-femmes ont demandé la création d’une sixième année d’études : avec Frédérique Vidal, nous avons donc décidé de lancer une mission de préfiguration sur le sujet. Elles ont également demandé à être reconnues en tant que profession médicale : on va le leur accorder en créant une filière médicale au sein de la fonction publique hospitalière et en faisant en sorte qu’elles relèvent désormais des directions des affaires médicales.

Votre question, madame la sénatrice, m’a permis à la fois de redonner les chiffres exacts et de réaffirmer le soutien du Gouvernement à cette profession médicale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Sophie Primas. Quid des sages-femmes libérales ?

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour la réplique.

Mme Émilienne Poumirol. Certes, monsieur le ministre, j’entends bien les réformes que vous avez menées et les efforts très récents que vous avez consentis, mais il n’en demeure pas moins qu’il reste beaucoup de travail, notamment en ce qui concerne la réforme des études ou le statut des sages-femmes, qui constituent, je crois, le sujet le plus important, puisqu’il s’agit de leur principale revendication. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

asile et migrations

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, le pacte européen sur la migration et l’asile a suscité peu d’écho médiatique, mais le sujet n’en est pas moins primordial pour les Français.

La décision de la Commission européenne de mettre en œuvre ce pacte est une bonne nouvelle, alors que la pression migratoire ne fait que s’accentuer.

Je souhaiterais vous interroger sur une proposition importante, bien qu’absente du projet présenté le 23 septembre 2020.

Le pacte prévoit aujourd’hui un filtrage à l’entrée incluant l’identification de toutes les personnes franchissant sans autorisation les frontières de l’Union européenne ou ayant été débarquées après une opération de sauvetage.

Cependant, cette approche axée uniquement sur nos frontières risque de rendre inefficace notre volonté de traiter et d’anticiper l’immigration.

Le Conseil européen du 29 juin 2018 était parvenu à s’entendre sur un point intéressant : la création de plateformes de débarquement en dehors des frontières de l’Union européenne. Il s’agit d’examiner les demandes d’asile dans des centres gérés et financés par les pays européens.

Ces hot spots présenteraient l’avantage d’anticiper les flux et de faire jouer la solidarité européenne, en répartissant les demandeurs avant qu’ils n’échappent aux radars des autorités. Ils enverraient un message clair, qui démontrerait l’unité européenne et, surtout, dissuaderait les passeurs. Cette délocalisation a été récemment votée par le Parlement danois grâce au soutien de l’ensemble de l’échiquier politique.

D’autres pays pourraient suivre cette voie, mais un programme européen aurait beaucoup plus de poids. Bien sûr, il faut convaincre les pays de départ de l’intérêt d’une telle coopération, ainsi que ceux où se situent les principaux points de passage, mais une action coordonnée des instances européennes et des États membres nous permettrait d’obtenir la force d’entraînement nécessaire.

Madame la ministre, la France va-t-elle enfin agir pour traduire la proposition du Conseil européen de juin 2018 en actes ? Va-t-elle se mobiliser pour rendre effectif un traitement de l’immigration qui nous permettra de ne plus subir ces flux et empêchera les drames humains ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, nous avons longuement discuté hier, dans l’après-midi et en soirée, du paquet européen sur la migration et l’asile. Je remercie d’ailleurs les sénatrices et les sénateurs qui ont pris part à ce débat.

Notre position, longuement exposée hier, est très claire : dans la droite ligne de la volonté affichée par le Président de la République, nous sommes favorables à un équilibre entre humanité et fermeté.

Le droit d’asile ne doit pas être dévoyé. C’est d’ailleurs le sens des négociations européennes qui se déroulent en ce moment. Les échanges se poursuivent, et vous savez que les différents pays abordent cette question avec une volonté de cohérence et d’harmonisation des règles.

Le but est que l’ensemble des États européens, qu’il s’agisse de pays de première entrée ou de pays comme la France, puissent appliquer les mêmes règles de manière cohérente et dans un climat de confiance mutuelle. C’est l’objectif que nous viserons dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne.

Demain matin aura justement lieu une réunion de l’ensemble des ministres européens chargés des questions d’asile et des migrations pour avancer sur ce thème et poursuivre les négociations.

Au sujet du Danemark, je tiens à préciser, comme je l’ai fait hier, que la loi qui a été votée n’a pas de valeur contraignante : il s’agit seulement d’objectifs. Par ailleurs, ce n’est pas à ce stade la ligne retenue dans le cadre des discussions à l’échelon européen, et ce n’est en tout cas pas la position qui sera défendue par la France dans le cadre de la future présidence de l’Union européenne.

Néanmoins, pour vous répondre sur la question des contrôles aux frontières, puisque vous l’avez évoquée, vous savez qu’il existe en Europe une volonté de moderniser les systèmes d’information, et de renforcer les effectifs de Frontex pour doter cette agence par étapes d’un corps de 10 000 agents d’ici 2027. C’est la position ambitieuse que défend la France dans le cadre des négociations qui se déroulent en ce moment au niveau européen. (M. François Patriat applaudit.)

statut des sages-femmes

M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Stéphane Demilly. Monsieur le ministre de la santé, je souhaite revenir sur la situation des sages-femmes.

Celles-ci seront en grève demain, et ce n’est pas la première fois cette année. En effet, depuis janvier, ces professionnels sont déjà descendus plusieurs fois dans la rue pour réclamer davantage de reconnaissance, que ce soit par le biais d’une revalorisation salariale – on vient d’en parler – ou par une augmentation des effectifs dans les maternités.

À la suite des premières mobilisations, le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles et vous-même avez confié une mission à l’IGAS sur l’évolution de la profession de sage-femme.

En effet, malgré toutes les compétences requises et les tâches assumées, les sages-femmes ont aujourd’hui le sentiment de ne pas être reconnues à la juste valeur du travail effectué. Pis encore, elles ont parfois l’impression d’être « maltraitantes » faute de pouvoir accorder le temps nécessaire à chaque patiente. Cette situation s’explique aussi par une pénurie criante de gynécologues dans les hôpitaux. Elles le disent toutes, monsieur le ministre : les sages-femmes ont à cœur de s’occuper au mieux des patientes.

Vous avez déjà formulé plusieurs propositions pour la profession. Ainsi, les sages-femmes travaillant à l’hôpital recevront une prime et bénéficieront d’une revalorisation salariale mensuelle à partir de janvier 2022. C’est bien, c’est un premier pas, mais c’est loin de répondre à toutes les revendications et, surtout, à la profondeur du malaise.

Comme l’a dit ma collègue Poumirol, il me semble que d’autres recommandations de l’IGAS mériteraient plus d’attention de la part du Gouvernement. Des dirigeants d’établissement privé m’ont interpellé à ce sujet, et j’imagine aisément qu’ils ne sont pas les seuls à s’inquiéter de la situation.

Monsieur le ministre, quelles autres réponses allez-vous apporter pour traiter ces iniquités et répondre aux demandes légitimes de cette belle profession ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes Viviane Artigalas et Émilienne Poumirol applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Demilly, je vous remercie de votre question.

J’ai déjà répondu tout à l’heure à propos des revalorisations salariales. Je le redis, l’effort de la Nation s’élèvera à 100 millions d’euros supplémentaires par an pour les 20 000 sages-femmes exerçant dans notre pays, que ce soit en ville ou à l’hôpital. Il s’agit de la plus forte revalorisation salariale jamais consentie. Vous pouvez estimer que ce n’est pas suffisant, mais cela représente tout de même plus de 4 000 euros par sage-femme chaque année. Très honnêtement, je pense que c’est vraiment un geste significatif.

En matière de formation, la demande des sages-femmes portait sur la création d’une sixième année d’études. Je l’ai dit, Frédérique Vidal et moi-même avons dit oui. Une mission de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche est en train de préfigurer cette réforme.

S’agissant des missions exercées par les sages-femmes, le rapport de l’IGAS suggérait de leur permettre d’établir des arrêts de travail, de réaliser des actes de dépistage, de prendre en charge les infections sexuellement transmissibles : nous l’avons autorisé, et vous l’avez du reste voté dans le cadre de l’examen de la loi dite « Rist ».

Nous avons également répondu positivement à une autre demande tendant à la reconnaissance du statut de sage-femme référente. Ce statut, que nous pouvons décliner avec la profession, existe désormais.

On nous a demandé de développer les centres périnataux de proximité et les maisons de naissance : nous y avons donné suite. Ainsi, dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, non seulement nous les avons généralisés, mais nous avons créé de nouveaux établissements, avec vingt centres de périnatalité et maisons de naissance supplémentaires.

Monsieur le sénateur, il arrive fréquemment que les syndicats nous interpellent sur tel ou tel sujet et que des conflits sociaux éclatent – ainsi va notre pays. Dans ces cas-là, nous n’arrivons pas toujours à fournir les réponses et nous tentons d’expliquer pourquoi nous n’y parvenons pas.

Mais, s’agissant des sages-femmes, profession que j’affectionne, que je connais bien et que j’ai à cœur, comme toute la représentation nationale, de soutenir, ce n’est pas le cas. J’ai récemment débattu en visioconférence avec les sages-femmes qui le souhaitaient : plus de 8 500 d’entre elles se sont connectées pour échanger librement avec moi pendant une heure, réunion au cours de laquelle j’ai pu faire toutes ces annonces.

Je le répète : nous avons revalorisé les salaires ; nous avons accordé une sixième année d’études ; nous avons aussi confirmé le statut médical des sages-femmes au sein de la fonction publique et modifié la gouvernance de l’hôpital pour qu’elles puissent être représentées au même titre que les médecins par les commissions médicales d’établissement – j’ai fait publier des circulaires en ce sens.

Que reste-t-il ? La seule revendication qui n’a pas connu un sort favorable porte sur le fait de leur accorder le statut de praticien hospitalier, c’est-à-dire le statut de médecin hospitalier, au même titre que les gynécologues ou les chirurgiens cardiaques par exemple. En vérité, l’IGAS ne le souhaite pas, tout simplement parce que l’on devient chirurgien après dix ans d’études…

M. le président. Il faut conclure.

M. Olivier Véran, ministre. … contre cinq ans d’études seulement aujourd’hui pour une sage-femme – même si le cursus passera bientôt à six ans.

Il n’empêche : la revalorisation que nous accordons permettra aux sages-femmes de gagner près de 4 000 euros de plus en fin de carrière.

Mme Sophie Primas. À l’hôpital !

M. Olivier Véran, ministre. Ce geste fort à leur endroit n’est peut-être pas suffisant pour tout le monde, mais on ne pourra pas dire que l’on n’a rien fait ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

intégration des élèves transgenres

M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cédric Vial. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, qui vient de publier une circulaire censée répondre à la situation des élèves transgenres dans le milieu scolaire. Il s’agit là d’un sujet grave, que je regrette de voir traiter ainsi avec tant de légèreté.

S’il est un fait que la société doit prendre en compte des situations d’élèves ou de jeunes confrontés à ce que l’on appelle désormais une dysphorie de genre, cette circulaire place désormais les directeurs d’établissement et les personnels enseignants en charge d’instituer une nouvelle identité de genre choisi par l’élève à partir de son seul ressenti intime, ce qui se traduit, entre autres, par un changement de prénom.

Est-ce bien de la responsabilité des équipes enseignantes d’être, à la fois, officiers de l’état civil, de fait, pour officialiser une identité d’usage, et gendarmes en charge de faire respecter cette nouvelle identité au sein de leur établissement ?

M. Cédric Vial. Sous peine de quelle sanction, d’ailleurs ?

La responsabilité de l’équipe éducative consiste à écouter, orienter et protéger les élèves. Mais est-ce bien le rôle des enseignants de les accompagner dans une transition identitaire individuelle et de l’opérer en première ligne, comme préconisé par M. le ministre, avec une médiation avec les familles pour favoriser cette transition ?

Par son texte, celui-ci incite également à des accompagnements de transitions précoces, souvent irréversibles, et dont les conséquences, si elles sont effectuées trop précipitamment, peuvent être négatives pour le jeune et son équilibre.

S’il est légitime de prendre en considération ces situations quand elles existent, et de leur apporter une réponse adaptée et individualisée, l’approche de ce texte est tout autre. M. le ministre demande, par exemple, le changement des règlements intérieurs sur les tenues vestimentaires pour faire des exceptions la règle. C’est un pas de plus vers une stratégie de déconstruction, qui nie l’altérité des sexes et créera plus de difficultés qu’elle n’en résoudra. Nous aurions préféré voir M. Jean-Michel Blanquer s’inspirer, plutôt que de l’activiste militante du même nom, du philosophe Jean-Jacques Rousseau lorsque celui-ci écrit : « Les vrais besoins n’ont jamais d’excès. ».

Je lui pose donc cette question : monsieur le ministre, l’école est-elle encore ce sanctuaire au sein duquel on protège les élèves des excès et des violences de la société, comme des discours militants ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’éducation prioritaire.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Je vous prie tout d’abord, monsieur le sénateur Cédric Vial, d’excuser Jean-Michel Blanquer, qui n’a pu être présent parmi nous et m’a chargée de vous répondre.

Je vous remercie de cette question. Elle me donne l’occasion de redire que la mobilisation de toutes et de tous est évidemment indispensable pour créer des environnements scolaires propices, favorables et garantissant le droit des élèves à l’intégrité, au bien-être, à la santé et à la sécurité.

Avec Jean-Michel Blanquer, nous avons effectivement fait le choix de publier un texte qui pose les enjeux du sujet, tout en donnant des éléments pour comprendre et accompagner les situations individuelles, comme vous l’avez dit, et des éléments pour bâtir une politique de prévention de la transphobie à l’échelle de l’établissement scolaire.

Cette circulaire, monsieur le sénateur Vial, n’a pas vocation à traiter l’ensemble de la question des mineurs transgenres ou en questionnement sur leur identité de genre.

Elle vise à donner des clés aux personnels pour accompagner et protéger tous les élèves et, en particulier, prendre en compte les élèves transgenres. Il s’agit d’harmoniser des pratiques, notamment demander l’usage du prénom choisi dans le cadre de la reconnaissance de l’identité de genre dès lors que les représentants légaux ont donné leur accord.

Ce texte a surtout été écrit, monsieur le sénateur Vial, pour que les élèves transgenres puissent réussir leur scolarité dans les mêmes conditions que tous les autres élèves et que la reconnaissance de leur identité de genre, comme corollaire à leur réussite, soit un impératif qui s’impose à tous. Car ces élèves ont, bien sûr, les mêmes droits que les autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C’est n’importe quoi !

« pandora papers » (ii)

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic. Ma question s’adresse au ministre de l’économie, des finances et de la relance, représenté ici par M. le ministre Olivier Dussopt.

Le chiffre – 11 300 milliards de dollars – est si vertigineux qu’il ne représente plus rien dans l’imaginaire collectif, si ce n’est, mes chers collègues, qu’il pèse cinq fois le produit intérieur brut de la France ! Nul besoin d’être haut fonctionnaire pour comprendre que l’évasion fiscale nous coûte un « pognon de dingue ».

OffshoreLeaks, ChinaLeaks, Panama Papers, et j’en passe, qu’est-ce qui a changé depuis ? Pas grand-chose ! Sauf que de révélations en révélations, les chiffres sont chaque fois plus colossaux. Chacun de ces scandales vient révéler l’incapacité du Gouvernement à surveiller efficacement ces territoires opaques du monde financier.

Alors que d’aucuns dissertent doctement sur l’idée de travailler jusqu’à 67 ans – pourquoi pas 80, tant qu’on y est –, le Gouvernement sait parfaitement déployer toute l’énergie qui sied lorsqu’il s’agit de traquer de fantomatiques acheteurs d’écrans plats. Mais dès lors que l’on touche aux 1 % des plus riches, il est aux abonnés absents !

Nous devons sortir du mythe selon lequel le système offshore est un outil neutre, simplement mal utilisé par certains. En lui-même, ce système est porteur d’inégalités, car il permet de rompre le contrat social et pousse les plus riches à faire sécession.

Certains sur ces travées étaient bien plus prolixes quand il s’est agi d’aborder le séparatisme religieux ; leurs voix se font moins sonores lorsque ce séparatisme se fait financier. Je ne doute pas, mes chers collègues, que vous sortirez prochainement de ce silence assourdissant.

Pas d’« argent magique », donc, pour les services publics, mais beaucoup d’argent caché au service des plus riches.

M. David Assouline. Les écrans plats !

M. Thierry Cozic. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner clairement les mesures que vous comptez mettre en place afin d’arrêter cette hémorragie que constitue la fuite des capitaux français dans des paradis fiscaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Comme je l’ai indiqué en réponse aux questions précédentes sur le même sujet, la direction générale des finances publiques (DGFiP) est pleinement mobilisée pour exploiter et analyser l’intégralité des données révélées par la presse dans le cadre de l’affaire Pandora Papers, et ce sur ma demande et celle de Bruno Le Maire.

Cette affaire, je tiens à le préciser, est une affaire internationale concernant 117 pays dans lesquels 600 journalistes ont mené des investigations. Les chiffres « énormissimes » qui viennent d’être rappelés ne concernent donc pas uniquement la France.

J’ai également eu l’occasion de souligner que, dans le cadre d’un autre scandale financier – les Panama Papers –, les investigations de la DGFiP ont permis de régulariser 657 dossiers, les autres dossiers ne concernant pas des contribuables français.

Que faire, me demandez-vous, monsieur le sénateur Cozic ? Nous appliquons la loi de 2018, avec la création d’une politique fiscale. Nos services, malgré le confinement et l’arrêt des contrôles sur pièces que celui-ci a entraîné en 2020, sont parvenus à encaisser près de 8 milliards d’euros de redressements et de sanctions, uniquement en France, dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale.

Au niveau européen, les échanges de données, portant sur 84 millions de comptes et concernant plusieurs milliers de milliards d’euros d’actifs, ont permis à l’Europe de détecter des fraudes et d’encaisser plus de 100 milliards d’euros de revenus complémentaires.

Nous avons mis en place des systèmes nouveaux, y compris d’information. Nous avons par exemple pérennisé le système de la rémunération des aviseurs, système proposé par votre collègue de l’Assemblée nationale, Christine Pires Beaune. Nous avons aussi développé des systèmes d’analyse de données – data mining, en mauvais français – et cette analyse de données, associée à l’intelligence artificielle, nous a permis de procéder à 800 millions d’euros de redressements l’année dernière.

C’est pourquoi, monsieur le sénateur Cozic, face à votre colère, je ne peux qu’exprimer un regret : vous auriez pu voter les outils et les crédits permettant à l’administration fiscale de développer cette analyse de données ; vous ne l’avez pas fait ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Exclamations sur les travées du groupe SER.)

situation des étudiants en première année de médecine

M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Houpert. Madame la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, à la suite de votre réforme du premier cycle des études de médecine, les étudiants en première année de médecine à Paris ont eu une vingtaine de minutes pour préparer un oral sur des thèmes aussi variés que le racisme ou les barrières de corail.

L’idée était de diversifier les profils des futurs soignants, en leur posant des questions de société… Admettons ! Mais le résultat est qu’une quarantaine d’étudiants, en tête des classements à l’écrit, n’ont pas dû avoir des avis suffisamment éclairés sur la vie sous-marine. Cet oral, qui comptait pour 70 % de leur note finale, les a déclassés, barrant ainsi leur passage en seconde année, sans possibilité de redoubler.

Cette injustice flagrante a conduit plusieurs de ces étudiants médecins à saisir la justice. Médecin, j’ai moi-même vécu la dure réalité d’une première année de médecine pendant laquelle on sacrifiait toute une vie au profit des révisions. Je partage totalement le sentiment de ces étudiants d’avoir été volés.

Madame la ministre, que comptez-vous faire aujourd’hui pour ces étudiants sacrifiés ? Je vous demande de réétudier leur dossier afin de leur permettre de devenir les médecins dont notre pays a besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Permettez-moi tout d’abord, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Houpert, de saluer les dizaines de milliers d’étudiants qui, cette année, entament ou poursuivent leurs études de santé. Je veux leur dire à quel point leur présence a été importante durant la pandémie que nous venons de vivre.

M. François Bonhomme. Ça va les rassurer !

Mme Frédérique Vidal, ministre. Permettez-moi de saluer les 17 660 jeunes qui, cette année, entament leur deuxième année de formation médicale. Ils sont 2 663 de plus que l’année dernière.

Pour répondre précisément à votre question (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), monsieur le sénateur Houpert, personne ici ne souhaiterait que les jurys de concours soient menés par les politiques. Les épreuves que vous évoquez ont été pensées par des professeurs de médecine, en vue du recrutement de leurs futurs collègues. Il me paraît important que l’on puisse respecter le choix de ces jurys.

Mais venons-en à la vraie question qui a été traitée par la loi ayant modifié en profondeur les études de santé. Je viens d’évoquer le numerus apertus et les 2 600 jeunes supplémentaires poursuivant des études de santé ; mentionnons surtout la possibilité de démarrer ses études et de faire des stages d’externat et d’internat partout sur le territoire.

M. François Bonhomme. Ce n’est pas la question !

Mme Frédérique Vidal, ministre. Comment voulez-vous lutter contre les déserts médicaux, en concentrant toute la formation médicale dans 34 grandes villes françaises ?

M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas la question !

Mme Frédérique Vidal, ministre. Le vrai sujet, c’est donc les moyens que nous mettons en place pour arrêter la désertification médicale.

M. François Bonhomme. Avec la barrière de corail ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. Aux jeunes dont vous parlez, je veux dire que tout est mis en œuvre pour qu’ils puissent à nouveau présenter ce concours en deuxième année. Nous ferons tout pour les accompagner ! (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour la réplique.

M. Alain Houpert. Vous n’avez pas répondu à ma question, madame la ministre, et je regrette votre manque d’empathie.

Notre pays peut-il se permettre de sacrifier plusieurs dizaines d’étudiants brillants, appelés à devenir de bons citoyens, sous prétexte qu’ils n’ont pas d’avis sur des sujets de société ? Je ne le pense pas.

Si j’ai besoin d’informations sur les coraux, madame la ministre, je ne vais pas chez mon médecin ; j’appelle l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’Ifremer. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Henri Cabanel, Mmes Anne-Catherine Loisier et Laurence Cohen applaudissent également.)

éoliennes en baie de saint-brieuc

M. le président. La parole est à M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Cadec. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique, dont je regrette d’ailleurs l’absence.

Lors de son déplacement en Polynésie française, à la fin du mois de juillet, le Président de la République a déclaré à propos du développement des parcs éoliens : « Là où ils créent trop de tensions, dénaturent et défigurent le paysage, il faut savoir ou les adapter ou y renoncer. » Je saisis l’occasion de cette déclaration pour attirer l’attention sur le parc éolien offshore de la baie de Saint-Brieuc.

Ce parc est d’abord un projet mal né. Sans prise en compte des particularités des fonds marins, sans étude d’impact sérieuse et sans véritable concertation avec les principaux utilisateurs – les pêcheurs – de l’espace maritime concerné, il est effectivement en passe de faire l’unanimité contre lui.

Il apparaît clairement que les travaux nécessaires à son implantation provoquent la destruction des fonds marins. Ces désordres, préjudiciables à la biodiversité, vont impacter directement les activités de la pêche côtière et, par conséquent, le gisement de coquilles Saint-Jacques de la baie.

Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais j’en ai marre de ce masque… (M. Alain Cadec retire son masque. – Protestations sur les travées du groupe SER et au banc des ministres.)

Par ailleurs, défigurer le paysage du cap Fréhel, classé au titre des grands sites de France, en implantant 62 éoliennes de 207 mètres de haut à 15 kilomètres des côtes, serait un non-sens. Pour mémoire, la tour Montparnasse mesure 210 mètres.

Que les choses soient claires, mesdames, messieurs les ministres : les énergies renouvelables, en particulier l’éolien offshore, doivent être développées en complément de notre production nucléaire, mais pas n’importe où, pas n’importe comment et pas à n’importe quel prix !

Compte tenu des propos du Président de la République, le Gouvernement serait-il prêt à renoncer à ce projet et à réfléchir à une ambition alternative plus réaliste et plus adaptée aux caractéristiques de nos côtes ? Je pense à l’éolien flottant, qui a la particularité d’être implanté plus loin des côtes et ne nécessite pas de forages profonds.

Cerise sur le gâteau, le Conseil d’État ayant relevé des irrégularités, le parquet national financier vient de se saisir du dossier d’attribution de ce marché à Iberdrola. Sans commentaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Veuillez remettre votre masque, mon cher collègue. Nous avons une discipline collective et je demande à chacun de la respecter. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. le Premier ministre applaudit également.)

La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité.

Mme Bérangère Abba, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Comme vous le savez, monsieur le sénateur Cadec, pour atteindre nos objectifs climatiques, nous avons besoin d’électrifier nos usages et, dans ce contexte, pour garantir l’approvisionnement électrique des Français, nous devons développer massivement les énergies renouvelables, dont l’éolien terrestre et maritime.

Notre pays dispose du deuxième gisement potentiel d’Europe pour l’éolien en mer. Cette source d’énergie, durable, sûre, compétitive et non émettrice de CO2, est une chance, une chance pour la Bretagne – si l’on considère le parc de Saint-Brieuc dont nous parlons ici –, pour le mix énergétique français et pour le climat.

L’idée, avec ce parc, est de produire l’équivalent de la consommation électrique de 835 000 habitants en Bretagne, alors que cette région, sur le plan de la sécurité d’approvisionnement, importe 85 % de sa consommation. En outre, le projet sera pourvoyeur d’emplois, avec des fondations qui seront fabriquées à Brest, le port de construction et le port de maintenance étant installés dans les Côtes-d’Armor.

L’impact visuel sera limité, comme vous le savez. Nous parlons de l’équivalent d’une silhouette que l’on verrait de l’autre bout d’un stade de foot. Les pêcheurs professionnels, qui se sont inquiétés du projet, ont été entendus et une concertation très large a été organisée avec toutes les parties prenantes, ce qui a, d’ailleurs, entraîné certaines adaptations. Il n’est pas question que ce projet éolien exclue les usages de la mer et les activités de pêche resteront possibles.

L’impact environnemental marin ou sur l’avifaune a également été étudié, notamment au travers de travaux menés par le CNRS. La plus grande attention est donc portée aux risques environnementaux sur toute la conduite du chantier et dans son exploitation.

Comme vous, monsieur le sénateur Cadec, nous avons été très sensibles à l’incident qui s’est produit cet été. Il s’avère que, quand nous avons caractérisé ces huiles, elles se sont révélées biodégradables, selon les normes classiques. Il n’est pourtant pas question, évidemment, de voir de tels incidents se reproduire et des travaux ont été réalisés, à cette fin, sur le navire de forage.

Près de dix ans après l’attribution de ce parc éolien, le projet a su évoluer pour tenir compte des attentes et des besoins des parties prenantes. Des études inédites ont été menées sur les impacts et les nombreux contentieux ne l’ont jamais remis en cause.

En transparence et avec la plus grande vigilance, il me semble donc nécessaire de laisser ce projet se poursuivre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 13 octobre 2021, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Décès d’un ancien sénateur

Mme la présidente. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jacques Bellanger, qui fut sénateur des Yvelines de 1986 à 1995 et de 1997 à 2004.

4

Candidature à une délégation sénatoriale

Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre l'examen par le Parlement de la ratification de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État
Discussion générale (suite)

Réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État

Rejet d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à permettre l’examen par le Parlement de la ratification de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État, présentée par MM. Bruno Retailleau, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Guillaume Gontard, Jean-Pierre Sueur et François Noël Buffet (proposition n° 807 [2020-2021], résultat des travaux de la commission n° 858 [2020-2021], rapport n° 857 [2020-2021]).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Patrick Kanner et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre l'examen par le Parlement de la ratification de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État
Question préalable

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est le fruit d’une initiative transpartisane ; c’est suffisamment rare pour être souligné. Je tiens en particulier à saluer Jean-Pierre Sueur, à qui elle doit beaucoup.

Il ne s’agit en aucun cas de nier les différences qui existent entre nous : vous pouvez compter sur moi pour tenir ferme sur nos convictions.

Il ne s’agit pas non plus de se liguer contre le Gouvernement pour lui jouer quelque mauvais tour, madame la ministre. Au reste, il nous donne lui-même régulièrement l’occasion de nous opposer à lui…

Il s’agit simplement de nous rassembler sur ce que nous considérons comme un socle commun de convictions. Cela peut arriver, et c’est heureux : nous ne sommes pas en guerre civile, nous sommes en France et nous siégeons dans un même hémicycle.

Madame la ministre, c’est tout d’abord en faveur des droits du Parlement que nos convictions convergent. À cet égard, la question qui se pose a trait aux formes, mais elle est fondamentale.

Jamais sous la Ve République un gouvernement n’aura tant recouru aux ordonnances. Je suis d’inspiration gaulliste et je sais que notre pays a besoin des ordonnances ; mais, en la matière, vous avez franchi tous les caps. Au total, 304 ordonnances ont été publiées depuis le début du quinquennat. Madame la ministre, contestez-vous ce chiffre ?

En même temps, si j’ose dire (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.), les ratifications sont de moins en moins fréquentes. En effet, seules 55 de ces ordonnances ont été ratifiées. Madame la ministre, contestez-vous ce chiffre ?

Ainsi, au 30 septembre dernier, le nombre d’ordonnances avait déjà bondi de 150 % par rapport à l’avant-dernier quinquennat. Or, j’y insiste, moins de 20 % d’entre elles – très exactement 18 % – sont ratifiées à ce jour.

Cela signifie que le Gouvernement gouverne…

M. Bruno Retailleau. … et fait la loi en dehors du Parlement. Certes, la Constitution l’y autorise ; mais il ne prend même pas la peine de solliciter les assemblées pour ratifier les ordonnances.

Pourtant, depuis la dernière révision constitutionnelle, l’article 38 est on ne peut plus clair à cet égard : les ordonnances ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.

Comme un certain nombre d’entre nous, j’ai lu vos propos publiés ce matin, madame la ministre. Votre déclaration, je dois le dire, est une insulte au Parlement.

M. Bruno Retailleau. Elle révèle, de votre part, un mépris total ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)

Individuellement, nous ne sommes rien, ou si peu de chose ; c’est collectivement que vous nous insultez. Nous représentons les Français ; nous sommes la représentation nationale.

Madame la ministre, ce qui fait « naufrage », c’est ce gouvernement, qui en vient à refuser tout débat ; c’est cet exécutif, qui dénie au Parlement jusqu’au droit de s’exprimer et qui, fuyant ses responsabilités, en est réduit à se défausser sur un bouc émissaire, à savoir la haute fonction publique.

Voilà le véritable naufrage : je le dis solennellement à cette tribune.

Cela étant, il y a plus grave encore que cette remise en cause des droits du Parlement. En effet, toucher à la haute administration, c’est toucher à l’administration tout entière : c’est, partant, toucher à l’État lui-même et à la haute idée que nous nous en faisons.

Évidemment, sur ces travées, nous avons différentes conceptions de l’État. À plusieurs reprises, nous avons avancé des propositions, qu’il s’agisse du temps de travail ou du statut. Pour notre part, nous sommes favorables au statut (Mme la ministre le conteste.), mais pour les fonctions régaliennes.

Madame la ministre, vous devriez lire plus souvent nos déclarations et parcourir un certain nombre de nos textes : certes, nous sommes pour un élargissement du recours à la contractualisation, mais en dehors des fonctions régaliennes.

Quoi qu’il en soit, sur l’ensemble de ces travées, nous avons cette même certitude : une réforme de l’ENA ne fait pas une réforme de l’État.

Si, à six mois de l’élection présidentielle, vous en êtes réduits à un tel expédient, c’est sans doute pour masquer, en toute hâte, le peu de mesures que vous avez prises pour réformer l’État. D’ailleurs, où sont les promesses du Président de la République ? Au cours de ce quinquennat, 50 000 postes de fonctionnaires devaient être supprimés. Y en aura-t-il un seul ? Nous en discuterons en examinant le projet de loi de finances, bien entendu.

Cette réforme de la haute fonction publique risque fort de rester comme le sommet du « en même temps », au point d’en devenir l’archétype.

À ce titre, je pense aux grands corps et tout spécialement aux préfets. Qui a tenu l’État pendant la crise des gilets jaunes, sinon les forces de l’ordre et le corps préfectoral ?

M. Bruno Retailleau. Votre Premier ministre lui-même n’a cessé de vanter le « couple maire-préfet ».

La préfectorale n’est pas une sinécure. Être préfet, ce n’est pas posséder un titre ou une charge. Ces fonctions exigent une longue expérience. Le corps préfectoral, c’est une école de l’État régalien : commander des troupes, qu’il s’agisse de pompiers, de policiers ou de gendarmes, cela s’apprend.

Au terme de votre réforme, sans doute n’y aura-t-il plus de corps, mais vous allez devoir créer une usine à gaz pour revenir au point de départ en créant un cadre d’emplois. En définitive, rien ne changera, comme on dit chez Visconti. C’est là que sera le « en même temps ».

En outre, votre réforme entraîne deux graves remises en cause.

Tout d’abord, vous vous attaquez à l’État tel que l’a voulu le général de Gaulle quand il a refondé la République. Il le dit à Alger dès juin 1944 : dans l’ordre politique, notre choix, c’est la démocratie et c’est la République. Il va plus loin en explicitant : la démocratie, c’est rendre la parole au peuple. Son propos est sans ambiguïté.

Refonder la République, c’est remettre sur pied l’administration autour du Gouvernement, à Paris, mais aussi localement. Ainsi le général de Gaulle charge-t-il l’administration, notamment la haute fonction publique, d’une mission particulière : articuler deux temporalités, à savoir le cycle court de la démocratie, rythmé par les élections, et le cycle long, gage de la permanence républicaine.

Or – c’est précisément ce que nous vous reprochons – vous risquez d’enfermer notre haute fonction publique dans le temps politique, dominé par les cycles courts, au moment même où les politiques publiques sont confrontées à des choix de longue durée. Je pense en particulier à la transition écologique et au communautarisme.

Ensuite – c’est également un sujet de fond –, l’administration est le bras séculier de l’État. Je le répète : toucher à la première, c’est s’en prendre au second.

Derrière votre réforme, il y a cette idée faussement moderne et vraiment anglo-saxonne : instituer un vaste système des dépouilles. Néanmoins, vous ne sauriez ignorer que le modèle américain possède de solides contrepoids, dont nous ne disposons pas pour notre part. C’est un régime fédéral, dans lequel les orientations du pouvoir central ne s’imposent pas nécessairement aux États fédérés.

Mes chers collègues, n’oublions pas non plus la force du Parlement américain : elle est bien supérieure à celle de l’Assemblée nationale et du Sénat français !

Ce sont là autant de contrepoids qui viennent équilibrer le système des dépouilles.

Madame la ministre, j’observe également une différence fondamentale avec le modèle français : chez nous, l’État précède la Nation. Certes, notre manière commune d’habiter le monde, c’est l’État-nation. Mais en France, c’est l’État qui a fait la Nation ; ce n’est pas le cas en Allemagne ou en Italie par exemple. Et si vous cassez la confiance du peuple français dans son administration, vous risquez d’aggraver encore la crise démocratique.

Enfin, je sais que l’on a souvent reproché à l’ENA une forme de consanguinité sociale. Toutefois, le problème n’est pas spécifique à cette école : c’est celui de l’école tout court.

Nous en parlions il y a quelques instants au sujet des études de médecine, lors des questions d’actualité au Gouvernement : notre école nous tire vers le bas. (M. Guillaume Chevrollier applaudit.)

Bien entendu, nous voulons la méritocratie républicaine. Bien entendu, il faut réformer l’État, car son organisation n’est pas parfaite : nous l’avons maintes fois dit. Trop souvent, nous souffrons de voir notre État se déliter et de constater la défiance des Français à son égard.

Toutefois, cette défiance frappe plus vivement encore le monde politique. Si j’osais, je dirais que je me mets dans le même panier que la haute fonction publique : dans un cas comme dans l’autre, ce sont des serviteurs de l’État qu’il s’agit.

À mon sens, vous avez tort de vous défausser sur ce que l’on a pu qualifier d’« État profond ». Vous avez tort de choisir un bouc émissaire. C’est toujours au patron d’assumer les responsabilités, non à ses collaborateurs.

Bien sûr, il fallait une réforme,…

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. C’est pour cela que nous la faisons !

M. Bruno Retailleau. … mais une réforme d’une autre ampleur. Il eût fallu viser beaucoup plus haut, au lieu de se contenter d’une mise en cause si facile et, en somme, si petite, de notre haute fonction publique, qui fait la spécificité de l’administration française et qui est reconnue à travers le monde.

Cette remise en cause tient, soit de la naïveté et de l’angélisme, soit du populisme et du cynisme. Pour notre part, nous ne céderons ni aux uns ni aux autres.

Le redressement de l’État exige beaucoup plus et, surtout, le dévouement de nos agents publics mérite beaucoup mieux ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons cette après-midi la proposition de loi tendant à permettre l’examen par le Parlement de la ratification de l’ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État.

Cette ordonnance remanie en profondeur la conception française de la haute fonction publique de l’État, héritée de l’ordonnance du 9 octobre 1945, prise par le général de Gaulle.

Si elle a connu depuis lors des aménagements dans son fonctionnement, la haute fonction publique française, telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’en demeure pas moins structurée par un certain nombre de principes fondamentaux, parmi lesquels figurent l’affirmation du primat d’une fonction publique de carrière, la logique de corps, ou encore l’indépendance des fonctions juridictionnelles et des inspections générales.

En remettant en cause lesdits principes, cette ordonnance procède à un changement de paradigme majeur ; au travers de ses dispositions, c’est bien le fonctionnement de l’État lui-même qui est en jeu.

C’est dire combien le débat que nous nous apprêtons à consacrer à cette réforme est essentiel. Pourtant, il aurait bien pu ne jamais avoir lieu. En effet, non seulement le Gouvernement a choisi de mener cette réforme par voie d’ordonnance, mais il n’a pas montré d’empressement particulier à inscrire son projet de loi de ratification à l’ordre du jour du Parlement.

Peut-être profite-t-il des décisions prises par le Conseil constitutionnel les 28 mai et 3 juillet 2020 à la suite de questions prioritaires de constitutionnalité, qui remettent en cause l’obligation d’une ratification expresse, pour s’exonérer de ses obligations ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Aussi, il faut savoir gré aux présidents Bruno Retailleau, Patrick Kanner, Hervé Marseille et Guillaume Gontard, au président de la commission des lois, François-Noël Buffet, et à notre collègue Jean-Pierre Sueur d’avoir déposé cette proposition de loi. Le présent texte nous permet aujourd’hui d’ouvrir le débat parlementaire sur le bien-fondé des mesures prises dans ce cadre.

Comme vous le savez, cette ordonnance traduit l’engagement de l’exécutif à réformer la haute fonction publique de l’État. Elle vient avant tout concrétiser l’annonce phare du Président de la République : la suppression de l’École nationale d’administration et du système dit « des grands corps ». Elle s’inspire en partie du rapport de la mission Thiriez, remis en février 2020.

Cette ordonnance se fonde sur l’article 59 de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, dont j’étais corapporteur avec Loïc Hervé, lequel était notamment chargé de ce sujet. Lors du travail de préparation du rapport, notre collègue avait envisagé de supprimer l’article en question, le champ de la demande d’habilitation étant beaucoup trop large et même douteux sur le plan constitutionnel. Il a préféré proposer une nouvelle rédaction, plus encadrée.

Si l’article 59 a ouvert un large champ d’habilitation, les garde-fous qu’il comporte – la garantie du principe d’égal accès aux emplois publics, fondé « sur les capacités et le mérite », ainsi que la prise en compte « des spécificités des fonctions juridictionnelles » – sont largement issus de la rédaction adoptée par le Sénat.

Comprenant seize articles, l’ordonnance a trois objectifs principaux : tout d’abord, dynamiser les parcours de carrière de l’encadrement supérieur ; ensuite, rénover la formation initiale et continue ; enfin, décloisonner la haute fonction publique de l’État. Je n’évoquerai qu’une partie de ces dispositions.

En lieu et place de l’École nationale d’administration (ENA), l’article 5 crée l’Institut national du service public (INSP), qui formera les administrateurs de l’État. Ce nouveau corps constituera le corps unique de sortie de l’INSP, là où les élèves de l’ENA sont actuellement affectés dans dix corps distincts.

Toutefois, la répartition des élèves à la sortie de l’ENA est bien moins éclatée qu’il n’y paraît : les administrateurs civils, corps interministériel par excellence, constituent en effet le premier corps de sortie, avec plus de la moitié des affectations. En parallèle, les corps du Conseil d’État, de la Cour des comptes et des trois inspections générales réunis regroupent moins d’un quart des postes de sortie – je ferme ici cette parenthèse.

Que deviendront les actuels corps de hauts fonctionnaires dans la réforme voulue par le Gouvernement ?

Si les statuts des corps de fonctionnaires autres que juridictionnels relèvent de la seule compétence du pouvoir réglementaire, certaines dispositions législatives de l’ordonnance ouvrent la voie à la fonctionnalisation d’une grande partie des emplois de la haute fonction publique de l’État.

Il en va ainsi des inspections générales : en vertu de l’article 6 de l’ordonnance, les emplois au sein des services d’inspection générale seront désormais occupés par des agents recrutés, nommés et affectés pour une durée renouvelable.

L’article 10 permet quant à lui une généralisation des statuts d’emplois, qui pourront déroger à certaines dispositions du statut général de la fonction publique. Bon nombre de postes pourraient être concernés, des fonctions diplomatiques aux fonctions préfectorales.

Les juridictions administratives et financières se voient quant à elles réserver un traitement distinct, imposé par des exigences constitutionnelles et conventionnelles. L’ordonnance n’en prévoit pas moins de nouvelles modalités d’accès et de déroulement de carrière pour leurs membres.

Le Conseil d’État et la Cour des comptes conserveront leurs corps respectifs. En revanche, ces derniers ne seront plus accessibles directement à l’issue de la scolarité, mais uniquement après une première expérience comme administrateur de l’État. Le grade d’auditeur dans ces juridictions sera remplacé par un statut d’emploi d’une durée maximale de trois ans. Un comité consultatif sélectionnera les candidats, tandis que l’entrée dans le corps sera soumise à l’avis d’une commission d’intégration.

De plus, l’ordonnance diffère de deux ans l’affectation des élèves de l’INSP dans les tribunaux administratifs, les cours administratives d’appel et les chambres régionales des comptes.

Enfin, l’ordonnance ouvre aux agents contractuels les fonctions juridictionnelles de maître des requêtes en service extraordinaire au Conseil d’État et de conseiller référendaire en service extraordinaire à la Cour des comptes, ainsi que les fonctions de magistrat de chambre régionale des comptes.

Je n’entrerai pas davantage dans le détail des dispositions de l’ordonnance, faute de temps, mais aussi et surtout faute de visibilité quant à leur portée véritable.

De fait, les dispositions de l’ordonnance devront être détaillées par voie réglementaire. Or, à l’heure actuelle, ce vaste chantier n’est qu’à peine entamé : seul le décret fixant la liste des corps et cadres d’emplois dont les membres peuvent être nommés auditeurs au Conseil d’État et à la Cour des comptes a été publié à ce jour.

Madame la ministre, d’après le calendrier indiqué par votre cabinet, ce chantier réglementaire devrait aboutir au cours du premier trimestre de 2022.

Dans ces conditions, la commission a jugé difficile de se prononcer sur des dispositions d’une portée incertaine. Certains contours de la réforme se précisent d’ailleurs au gré des annonces gouvernementales : ainsi, nous avons appris la semaine dernière que les principes de la réforme seraient appliqués à l’ensemble des inspections générales actuellement constituées en corps, et non pas seulement aux inspections générales accessibles à la sortie de l’ENA.

Au-delà de l’inspection générale des finances, de l’inspection générale de l’administration et de l’inspection générale des affaires sociales, l’inspection générale de l’agriculture, l’inspection générale des affaires culturelles ou encore l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche sont donc également concernées.

Cet exemple le prouve : l’ordonnance dont nous débattons aujourd’hui n’est finalement, si vous me permettez l’analogie, que la partie émergée de l’iceberg. Pouvons-nous nous contenter, en la ratifiant, de donner maintenant un blanc-seing au Gouvernement pour attendre patiemment qu’il précise la portée de la réforme envisagée ? Je ne le pense pas.

À cette incertitude réglementaire s’ajoute une incertitude d’ordre jurisprudentiel.

Madame la ministre, vous n’êtes pas sans savoir que cette ordonnance n’a pas laissé indifférents un certain nombre de syndicats et d’associations représentant plusieurs corps de la haute fonction publique d’État. Au cours de l’été, elle a fait l’objet de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité auprès du Conseil d’État. Lors de l’audience du 20 septembre dernier, le rapporteur public a recommandé le renvoi au Conseil constitutionnel d’une partie de ces questions ; mais, pour l’heure, le Conseil d’État n’a pas encore statué sur ce renvoi.

Ces questions prioritaires de constitutionnalité pendantes épaississent encore le brouillard entourant la portée exacte de l’ordonnance.

Dès lors, la commission a estimé qu’elle ne pouvait mener, en l’état, la réflexion de fond qu’imposerait une réforme d’une telle ampleur. Elle n’a donc pas pu adopter cette proposition de loi. En revanche, nous souhaitons que son examen cette après-midi soit l’occasion d’un vrai débat : il n’est pas tolérable que le Parlement soit mis à l’écart, face à des enjeux si importants pour la haute fonction publique de l’État, pour le fonctionnement de l’État lui-même et pour le lien de confiance qui doit unir l’État aux Français.

Madame la ministre, vous avez été parlementaire : ne l’oubliez pas. Il n’y a aucune agressivité de notre part. Notre volonté, c’est simplement que le Gouvernement reconnaisse le rôle du Parlement. La loi se construit par le dialogue, non par des passages en force ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, permettez-moi de vous remercier : en effet, vous me donnez aujourd’hui l’occasion de défendre notre réforme de l’État devant les représentants des Français.

Cette réforme de la haute fonction publique est la plus ambitieuse jamais conduite depuis 1945 : après le discours de M. Retailleau, parsemé de fausses informations, marqué par la mauvaise foi, le cynisme et les mensonges,…

Mme Amélie de Montchalin, ministre. … il me semble utile de sortir du brouillard, si brouillard il y a. (M. Jean-Michel Houllegatte sexclame.)

D’ailleurs, monsieur le sénateur, votre propos n’a pas manqué de me surprendre. Vous êtes issu d’une majorité qui, à de multiples reprises, a tenté de réformer la haute fonction publique sans y parvenir. Vous nous présentez aujourd’hui l’ambition de mener une autre réforme, mais, malheureusement, vous ne soumettez aucun amendement au débat.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Transformer la France, c’est effectivement transformer l’État, et transformer l’État, c’est aussi transformer sa haute fonction publique. C’était un engagement du programme d’Emmanuel Macron en 2017.

Je tiens à citer le Président de la République, car il est toujours important de se référer aux engagements pris : « Le statut des fonctionnaires ne sera pas remis en cause, mais il sera modernisé et décloisonné, par un assouplissement du système rigide des corps. Nous mettrons en particulier fin au système des grands corps ». Ne vous déplaise, cette réforme était donc une promesse faite aux Français.

Depuis 2017, le Gouvernement, avec le soutien de la majorité, a conduit avec détermination cette réforme ambitieuse de notre fonction publique.

Madame la rapporteure, vous le savez : la loi de transformation de la fonction publique, adoptée en août 2019, garantit une plus grande ouverture en renforçant la mobilité. Ce texte essentiel a ouvert la voie à la réforme de la haute fonction publique que je viens défendre aujourd’hui devant vous.

À cet égard, je tiens à situer notre réforme dans le temps long, que vous évoquiez vous-même, monsieur Retailleau, pour vous permettre d’en apprécier à la fois la nécessité et la portée.

En 1945, notre pays sortait exsangue d’une guerre qui commandait de tout reconstruire. Le général de Gaulle engageait alors une refonte sans précédent de nos institutions et de notre administration.

La refondation de la haute fonction publique était au cœur de ce projet de restauration de l’État. Ainsi furent créés par ordonnance, non sans résistance à l’époque, l’École nationale d’administration et le corps des administrateurs civils. Il était en effet impérieux d’incarner la méritocratie républicaine et de garantir, de nouveau, l’efficacité de l’État. Comme vous le savez, Michel Debré fut l’architecte de ce projet.

Aujourd’hui, notre pays fait face à des besoins nouveaux,…

M. Julien Bargeton. Bien sûr !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. … radicalement différents de ceux de 1945 : bouleversements technologiques, choc climatique, crises sanitaires, besoin réaffirmé de proximité, etc. La France du XXIe siècle, n’est plus celle de 1945, et l’État doit donc de nouveau s’adapter.

En dépit de cet impératif, l’État s’est rigidifié, et sa haute fonction publique avec lui : les corporatismes se sont renforcés.

C’est bien des corporatismes que la France est malade. Ils nourrissent la bureaucratie et le centralisme, auxquels cette majorité a décidé de s’attaquer.

Combien de gouvernements avant nous ont promis de s’atteler à cette réforme de la haute fonction publique ? Ils ont tous échoué. Aucun ne l’a conduite jusqu’à son terme.

Je vous rappelle que la suppression de l’ENA figurait déjà dans le programme commun de 1972.

En 1995, le Président Chirac promettait, en parlant du classement de sortie de l’ENA, de mettre fin à « une caste qui se coopte ». En 1997, son Premier ministre, Alain Juppé, annonçait à son tour qu’il allait supprimer l’ENA.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. En 2008, une commission mandatée par le Président Sarkozy promettait d’aboutir à un nouveau mode de recrutement « moderne et transparent » pour nos hauts fonctionnaires. Après les juges, c’est le Sénat qui a fait obstacle à la suppression du classement de sortie de l’ENA.

Enfin, après avoir demandé à Mme Lebranchu de réformer les grands corps, François Hollande a renoncé à toute réforme, après la publication d’une pétition des élèves de l’école et face à la levée de boucliers des corporations.

Bref, après plusieurs décennies de promesses, l’ENA est toujours là,…

M. Julien Bargeton. Exactement !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. … avec son classement, avec sa « caste qui se coopte », comme le disait le président Chirac, et avec ses grands corps.

Mesdames, messieurs les sénateurs, contrairement aux majorités précédentes, que vous avez soutenues, ce gouvernement et sa majorité ont enfin le courage de mener cette réforme à son terme. D’ailleurs – j’y reviendrai –, c’est vous, parlementaires, qui avez habilité le Gouvernement à conduire ce chantier. Forts de cette habilitation, nous avons pris nos responsabilités et nous nous présentons devant vous.

Cette réforme exige de la détermination et de la conviction, tout d’abord pour parler aux Français de ce que nous faisons pour eux, ensuite pour parler aux hauts fonctionnaires de ce que nous faisons pour eux ; pour parler de la transformation profonde de l’État que nous menons.

Cette transformation repose sur un constat simple et répond à une ambition claire : dans la France de 2021, nos concitoyens n’ont plus les mêmes attentes qu’il y a trente ou soixante-dix ans. Ils demandent un État de proximité, un État efficace au service de tous.

J’en suis convaincue : la proximité, l’efficacité et l’égalité sont les trois conditions absolues de la restauration de l’autorité de l’État.

Pour répondre à ces préoccupations, nous avons décidé de nous attaquer à la racine du problème.

Le premier sujet, c’est la formation. Nous devons changer la formation initiale et continue, pour que nos hauts fonctionnaires comprennent la France dans son intimité et dans sa complexité et pour que nous puissions adapter nos politiques publiques, afin de les différencier selon les territoires.

Nous devons faire en sorte que tous nos hauts fonctionnaires acquièrent une culture commune, pour que les décisions ne soient plus prises en silos – les élus locaux sont les premiers à s’en plaindre et ils ont raison.

Demain, les administrateurs de l’État, les directeurs d’hôpitaux, les magistrats judiciaires et les commissaires de police seront tous formés ensemble, pour répondre à ces différents enjeux que sont la transition écologique, le respect de la laïcité et de toutes les valeurs républicaines, les défis numériques ou encore la lutte contre les inégalités et la pauvreté.

En résumé, à la différence de l’ENA, nous voulons une école qui forme, non une école qui classe.

M. Bruno Retailleau. Ça, c’est les Bisounours !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce sera la mission du futur Institut national du service public, qui offrira le tronc commun de quatorze écoles de service public dès 2022, renforcera le rôle de la formation continue pour tous les hauts fonctionnaires, développera les liens avec le monde académique et de la recherche et, ce faisant, participera au rayonnement européen et international de la France.

Le second sujet, le second problème que nous voulons traiter à la racine, c’est la gestion des carrières.

Nos hauts fonctionnaires doivent occuper des postes opérationnels et assumer des missions concrètes, dans les territoires, plus en prise avec le quotidien de nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est vraiment de la langue de bois !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. En effet, avant de pouvoir juger, contrôler, inspecter ou diriger, il faut avoir administré. Il faut s’être confronté aux réalités du terrain.

M. Jean-Pierre Sueur. Et les préfets et les sous-préfets, que font-ils ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce n’est pas la Haute Assemblée qui me contredira.

Par « administrer », nous n’entendons pas le fait d’édicter des normes depuis une administration centrale, à Paris. Au contraire, nous voulons des cadres supérieurs davantage présents dans les administrations déconcentrées pour garantir un État territorial fort et une action publique différenciée. Nous voulons des hauts fonctionnaires affectés à des postes opérationnels.

Ainsi, dès cette année, nous avons doublé le nombre de postes proposés au ministère du travail et au ministère des solidarités et de la santé à la sortie de l’ENA. En parallèle, nous avons divisé par deux le nombre de postes dans les grands corps. En effet, après la crise sanitaire, et alors que nous devons relever le défi de la relance, c’est bien dans ces ministères et dans leurs services déconcentrés que nous avons besoin de nos nouveaux hauts fonctionnaires.

Vous parliez de confiance, monsieur Retailleau. Pour que les Français fassent confiance à l’État, ils doivent voir que l’État s’organise, s’adapte et se soucie des enjeux prioritaires de son époque.

Or s’il y a bien deux ministères qui ont besoin d’être renforcés aujourd’hui, ce sont le ministère des solidarités et de la santé et le ministère du travail. Cette position est, nous le voyons bien, unanimement défendue.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ce que nous disons est clair. Notre ambition est forte. Cette réforme est désormais irréversible.

M. Jean-Pierre Sueur. Irréversible ? Mais encore faut-il qu’elle soit adoptée ! C’est à nous de la voter !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Néanmoins, il m’importe d’expliquer aux Français ce qui se joue aujourd’hui dans cet hémicycle.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous êtes devant le Parlement et vous signez le passage en force du Gouvernement !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Permettez-moi de vous dire que je considère pour le moins étonnant d’inscrire à l’ordre du jour votre propre texte, afin de le rejeter purement et simplement. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Inscrire à l’ordre du jour la ratification d’une ordonnance pour ne pas la ratifier, je dois dire que c’est assez inédit dans les annales parlementaires !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est votre agression qui est une première !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Le Gouvernement s’était réjoui de voir le Sénat se saisir de ses prérogatives constitutionnelles d’amendement et d’écriture de la loi, et prendre ainsi l’initiative d’inscrire la ratification de cette ordonnance à son ordre du jour.

Nous étions prêts à un débat important et évidemment légitime.

M. Jean-Pierre Sueur. Il suffisait de présenter un projet de loi !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous pensions que nous débattrions d’un texte amendé, qui nous aurait permis d’entendre vos contre-propositions respectives et de connaître votre vision de la haute fonction publique et de l’État de demain.

Or il n’y a aucun amendement en débat. Que devons-nous en déduire ?

M. Jean Louis Masson. Moi, j’ai déposé des amendements ! Vous racontez n’importe quoi !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Aucun amendement n’a été déposé par les cosignataires de la proposition de loi, monsieur Masson.

M. Bruno Retailleau. Mme le rapporteur vous a répondu sur ce point !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Que devons-nous déduire de ce jeu politique ? Que M. Retailleau et M. Sueur ne se sont peut-être pas entendus pour déposer des amendements communs ? Que vous ne partagez pas la même vision de l’État ?

M. Jean-Pierre Sueur. Pas du tout !

Mme Cécile Cukierman. Nous partageons la même vision de la démocratie, madame la ministre !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Qu’il n’y aurait donc pas lieu de réformer la haute fonction publique, et que tout doit rester en l’état ?

M. Julien Bargeton. Ce sont des conservateurs !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Que tout changement est hors de propos ?

Mme Cécile Cukierman. C’est caricatural !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Vous dites qu’il faut une autre réforme. Mais, dans ce cas, de quelle réforme s’agit-il ? Où sont les amendements ? Où sont les propositions ?

Je reconnais bien là les conservatismes de tous bords (Vives protestations sur les travées des groupes Les Républicains et SER.), dont je ne partage évidemment pas la vision.

Je reconnais bien là une alliance contre-nature sur plusieurs travées, sans cohérence, sans vision, qui n’a pour objet qu’une opposition stérile et complète au Gouvernement.

M. Julien Bargeton. Très juste !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Les Républicains, les socialistes, les écologistes et les centristes semblent s’accorder, au fond, sur une seule chose : il ne faudrait rien changer.

M. Jean-Pierre Sueur. Si, le Gouvernement ! (Sourires sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Voilà une belle alliance…

M. Jean-Pierre Sueur. Vous faites exprès de ne pas comprendre notre message !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Cette politique politicienne ne me semble pas à la hauteur des enjeux. Elle ne me semble pas digne de cette Haute Assemblée que je respecte et aux questions de laquelle je me suis toujours soumise (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et SER.).

Il m’avait pourtant semblé avoir lu et entendu des propositions relatives à la fonction publique, formulées notamment à la droite de cet hémicycle. Dans le programme du parti Les Républicains, rendu public ces derniers jours, il est écrit en toutes lettres, monsieur Retailleau, que vous comptez supprimer le statut de la fonction publique et conserver les grands corps – un projet source au minimum d’incohérence, voire d’injustice.

Et à la gauche de cet hémicycle, je dois dire que je n’ai entendu aucun projet !

Avant de conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, il m’appartient de lever un malentendu. J’ai entendu dire que cette réforme n’avait pas été concertée,…

Mme Amélie de Montchalin, ministre. … qu’elle aurait été fomentée dans le secret des dieux…

Mme Amélie de Montchalin, ministre. … et qu’elle serait déconnectée des attentes de nos concitoyens et de nos hauts fonctionnaires.

M. Jacques Grosperrin. Vous l’avez faite pour faire plaisir aux gilets jaunes ! C’est du populisme !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je souhaite ici rétablir la vérité.

Tout d’abord, je ne suis pas devant vous parce que la Constitution m’y autorise. Je suis devant vous aujourd’hui parce que vous m’y avez autorisée. En effet, c’est bien ici, au Sénat, que l’article 59 de la loi de transformation de la fonction publique, dont Mme Di Folco était le rapporteur, a été amendé, enrichi et voté. Vous l’avez validé ensuite pendant la réunion de la commission mixte paritaire réunie sur ce texte.

Si je suis devant vous, c’est donc bien parce que vous m’y avez autorisée. C’est le principe d’une ordonnance. Nous ne faisons pas la loi en cachette, nous la faisons parce que vous nous autorisez à la faire !

M. Bruno Retailleau. En ce cas, inscrivez la ratification de l’ordonnance à l’ordre du jour !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il s’agit donc bien d’un texte issu d’une CMP conclusive, qui s’inscrit évidemment dans un cadre constitutionnel et qui respecte, par définition, le Parlement.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Par ailleurs, s’agissant de l’ordonnance en tant que telle, depuis ma prise de fonction et même avant, dans le cadre du rapport commandé à M. Frédéric Thiriez, que vous avez rencontré, l’ensemble des parties prenantes ont été consultées. Les instances formelles et obligatoires ont été réunies et des tables rondes rassemblant des associations représentatives des différents corps ont été organisées.

Personne n’a été laissé à l’écart de cette réforme, je dis bien personne, et surtout pas les hauts fonctionnaires eux-mêmes. En effet, ils ont été formellement interrogés au cours d’une consultation inédite de plusieurs semaines, à laquelle plus de 7 300 d’entre eux ont répondu – exercice absolument sans précédent, que j’ai tenu à mener, visant à nous assurer de la cohérence des décisions que nous prenions avec leurs attentes.

Cette consultation leur a d’ailleurs permis de rappeler la force de leur attachement au service public et à ses valeurs, mais aussi de souligner combien ils attendaient, précisément, que nous prenions des mesures pour les accompagner dans leurs carrières, leurs formations, leurs mobilités, leurs vies personnelles et professionnelles, autant d’éléments auxquels nous répondons par le biais de cette réforme.

Nous répondons aussi à l’enjeu majeur de l’égalité entre les femmes et les hommes, que cette réforme contribuera à faire avancer. (M. Jacques Grosperrin sexclame.)

Je souhaite donc ici remercier très sincèrement l’ensemble des hauts fonctionnaires et des parties prenantes qui ont rendu cette réforme possible.

Voilà, en quelques mots, l’esprit de cette réforme et de cette ordonnance que vous soumettez aujourd’hui, comme je viens de le souligner, à la ratification expresse de votre assemblée.

Le Gouvernement ne reculera pas devant les réflexes corporatistes, toujours bruyants, mais jamais réellement représentatifs, qui se dressent dès qu’ils sont menacés.

Je regrette donc profondément que nous ne puissions pas débattre aujourd’hui, projet contre projet. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)

Je regrette le choix qui a été le vôtre de consacrer ce temps parlementaire précieux à un débat par définition stérile, qui se résume à une opposition de principe.

M. Julien Bargeton. C’est sûr !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Soyez assurés de la détermination qui est la mienne, sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, à mener à bien cette réforme majeure et indispensable.

M. Jacques Grosperrin. Quelle agressivité !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Cette réforme se poursuivra coûte que coûte.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez décidé de ne pas nous entendre !

M. Jacques Grosperrin. Pourquoi tant de haine ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. En effet, ce débat, même limité et inabouti de votre fait, renforce profondément notre conviction que cette réforme est plus que jamais nécessaire, contre les corporatismes, contre les immobilismes, pour les agents publics, pour l’État, pour la France et pour les Français.

C’est la raison pour laquelle je donnerai bien sûr un avis favorable à cette proposition de loi, qui propose la ratification d’une ordonnance posant les jalons de la réforme de notre haute fonction publique la plus ambitieuse depuis 1945. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre l'examen par le Parlement de la ratification de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État
Demande de renvoi à la commission

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Jean Louis Masson d’une motion n° 19.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi n° 807 (2020-2021) tendant à permettre l’examen par le Parlement de la ratification de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État.

La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.

M. Jean Louis Masson. Madame la ministre, avec cette réforme, ce que vous voulez introduire en France, ce n’est ni plus ni moins que le système américain des dépouilles ! L’arbitraire le plus total prévaudra pour la gestion des hauts fonctionnaires, car ce sera le Gouvernement qui décidera au jour le jour de ce qu’il en est.

C’est très grave ! Vous faites croire à nos concitoyens que cette réforme donnera plus de chances aux gens qui viennent de la base. Vous leur dites : « Vous qui venez de la base, vous allez voir, avec cette réforme, vous aurez plus de chances. » Or ce n’est pas vrai !

Ceux qui auront le plus de chances, ce sont ceux qui bénéficieront de piston et ceux qui seront soutenus. Et le pauvre petit gars qui, peut-être, aurait pu très bien réussir dans ses études et obtenir un bon classement se retrouvera complètement marginalisé s’il n’a pas la possibilité d’être soutenu par sa famille, par des relations ou par tel ou tel réseau.

C’est extrêmement grave ! Vous faites le contraire de ce que vous dites. Vous faites quelque chose d’antidémocratique et vous mettez à bas en définitive toute la réforme de la fonction publique de 1945.

Jusqu’à présent, le personnel de la fonction publique a toujours été géré en fonction du mérite et des capacités de chacun, appréciés sur la base d’éléments objectifs.

Ainsi, les nominations et les promotions dépendent de la valeur personnelle et de la réussite aux concours et examens – y compris pendant toute la carrière, car il existe des concours internes – et non d’appréciations subjectives. Le système, à défaut d’être parfait, est au moins juste.

Or, sous couvert d’une fausse égalité des chances, le Gouvernement veut remplacer ce système par une logique de nominations au jour le jour, en fonction d’appréciations totalement subjectives et arbitraires.

Cela permettra de généraliser un favoritisme systématique et profondément injuste. C’est déjà le cas actuellement pour la nomination de certains préfets à des fonctions n’ayant rien à voir avec l’administration préfectorale, ou pour certains ambassadeurs. Citons à titre d’exemple un ambassadeur ou une ambassadrice chargée des pôles – on ne voit pas le rapport avec la diplomatie… Il en va de même parfois pour des conseillers d’État ou des fonctionnaires d’autres grands corps, qui sont nommés au tour extérieur.

Ces gens-là sont-ils nommés en raison de leurs compétences ou grâce à leurs relations et à divers trafics d’influence, ou encore pour régler des problèmes politiques ? Je pose la question, mais vous en connaissez la réponse.

La carrière d’un fonctionnaire doit dépendre de sa valeur. Hélas, avec le système qui sera mis en place, ceux qui réussiront sont ceux qui ont des relations familiales, ceux qui font partie de réseaux occultes – par exemple, la franc-maçonnerie – ou ceux qui ont un piston politique !

Mme Cécile Cukierman. Sérieusement ?

M. Jean Louis Masson. Cette réforme veut faire croire aux Français qu’ils auront tous la même chance, mais c’est complètement faux. Et ce n’est pas en dénigrant ceux qui contestent votre réforme, comme vous l’avez fait tout à l’heure envers M. Retailleau,…

Mme la présidente. Monsieur Masson, il faut conclure.

M. Jean Louis Masson. … et comme vous l’avez fait aussi à mon égard,…

Mme la présidente. C’est terminé, monsieur Masson !

M. Jean Louis Masson. Heureusement que j’ai déposé deux motions. Ainsi, je pourrai terminer mon propos tout à l’heure.

M. François Patriat. J’en ai déjà assez entendu…

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Cette motion nous étant parvenue tardivement, la commission n’a pu l’examiner ce matin. J’émettrai donc un avis à titre personnel, qui sera défavorable.

Le but de cette proposition de loi est précisément d’ouvrir un vrai débat ce soir. Il est hors de question, par conséquent, d’opposer à son examen une question préalable.

Je voudrais par ailleurs répondre à Mme la ministre sur un point. Ce que nous faisons aujourd’hui relève non pas d’une alliance contre-nature, mais d’une volonté commune, partagée sur toutes les travées, de dialoguer avec vous sur cette proposition de loi.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. L’avis est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce sera le même avis que celui qui vient d’être exprimé par Mme la rapporteure.

À ma connaissance, selon le règlement du Sénat, une question préalable s’applique lorsqu’il n’y a pas lieu de délibérer. Or s’il n’y a pas lieu de délibérer, pourquoi avoir inscrit la proposition de loi à l’ordre du jour, à moins que cette démarche ne traduise une opposition totale à toute réforme, ce qui aurait au moins le mérite de la cohérence ?

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cette motion. Je suis, en revanche, évidemment prête à débattre d’amendements ou de propositions de fond, dont je déplore l’absence.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. J’ai déposé cette motion, car j’aurais beaucoup apprécié que la commission des lois abroge l’article 59 de la loi de transformation de la fonction publique, qui a permis cette ordonnance.

La commission des lois n’a pas été à la hauteur. Il fallait qu’elle décide cette abrogation, qui aurait entraîné celle de l’ordonnance. C’est cela qu’il fallait faire !

Telle est la raison pour laquelle j’ai déposé cette motion tendant à opposer la question préalable. Cependant, je ne souhaite pas qu’elle soit adoptée (Exclamations ironiques sur les travées des groupes RDPI et INDEP.), car j’ai déposé également une motion tendant au renvoi en commission, sur laquelle j’ai quelque chose à dire.

Je retire donc cette première motion, madame la présidente.

Mme la présidente. La motion n° 19, tendant à opposer la question préalable, est retirée.

M. Pierre Médevielle. Déposer un texte pour qu’il ne soit pas adopté, c’est incroyable !

M. Claude Malhuret. C’est la journée des dupes ! (Sourires.)

Demande de renvoi à la commission

Question préalable
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre l'examen par le Parlement de la ratification de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État
Discussion générale

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Jean Louis Masson, d’une motion n° 20.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5 du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale la proposition de loi n° 807 (2020-2021) tendant à permettre l’examen par le Parlement de la ratification de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État.

La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.

M. Jean Louis Masson. Madame la ministre, lors des questions au Gouvernement du 9 septembre 2021, je vous ai posé la question suivante, que je reprends mot pour mot.

La carrière des fonctionnaires était jusqu’à présent organisée sur des bases claires, tenant compte de leur réussite aux concours et aux examens. Elle dépendait donc de critères objectifs.

À défaut d’être parfait, ce système était au moins juste. Or, sous couvert d’une fausse égalité des chances, le Gouvernement veut le remplacer par des nominations et des promotions au jour le jour, fondées sur des appréciations qui seront inévitablement arbitraires.

Cela conduira inéluctablement à des passe-droits. On le voit déjà, par exemple, pour certaines nominations au tour extérieur d’inspecteurs généraux ou de conseillers d’État, je le répète. Des personnes sont ainsi nommées davantage grâce à leurs relations qu’en raison de leurs compétences.

M. Claude Malhuret. Vous n’avez rien d’autre à dire ?…

M. Jean Louis Masson. C’est ce que je vous ai dit. Vous avez très bien compris, lorsque j’ai posé cette question, que je défendais les hauts fonctionnaires et la fonction publique en général, dans sa configuration issue de la loi de 1945.

Voilà ce que je vous ai dit, madame la ministre. J’ai été très clair sur ce point.

Or vous m’avez fait une réponse stupéfiante. Vous ne m’avez pas répondu sur le fond. Pis, vous avez tenu à mon égard des propos désobligeants et d’une totale mauvaise foi, comme vous l’avez fait à l’encontre de M. Retailleau tout à l’heure !

M. Claude Malhuret. Pauvre victime…

M. Jean Louis Masson. Vous avez prétendu que je critiquais la compétence et le travail des fonctionnaires, alors que j’avais dit exactement le contraire. Je cite vos propos, madame la ministre : « Ministre de la fonction publique, je ne saurais laisser passer qu’à coups de complotisme ou de fake news vous remettiez en cause la compétence et l’engagement de ses hauts fonctionnaires. »

Répondre ainsi à un parlementaire en lui faisant dire exactement le contraire de ce qu’il a dit, c’est honteux, madame la ministre ! Vous n’êtes pas digne de votre fonction !

Vous pouvez accuser les gens de propager des fake news s’ils le font en effet. En revanche, vous ne pouvez pas leur faire dire ce qu’ils n’ont pas dit pour les accuser ensuite de mensonge. Vous êtes de mauvaise foi, c’est honteux !

Vous ne faites pas honneur à M. Macron. Vous ne faites pas honneur au Gouvernement. (Exclamations.)

M. Jean-Claude Requier. Ni vous au Parlement !

M. Jean Louis Masson. Je tenais à vous le dire par le biais de cette motion tendant au renvoi en commission, car c’est indigne. J’ai été scandalisé en vous entendant et j’ai décidé de déposer cette motion pour vous dire ce que je pensais de vous. (Murmures.)

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Cette motion nous étant également parvenue tardivement, comme la précédente, elle n’a pu être examinée par la commission. Je vais émettre à titre personnel un avis à son sujet.

Notre volonté politique commune est vraiment que le débat ait lieu aujourd’hui et que le texte soit rejeté.

L’avis est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Défavorable, et je ne m’étendrai pas sur le reste.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 20, tendant au renvoi à la commission.

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

Demande de renvoi à la commission
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre l'examen par le Parlement de la ratification de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État
Article unique

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Patriat.

M. François Patriat. Madame la ministre, à la différence de M. Masson, je me permets de le dire, je considère que vous faites tout à fait honneur à votre fonction (M. Julien Bargeton applaudit.)

J’ai écouté vos propos, comme j’ai écouté ceux de mes collègues et comme je les écouterai encore, dans le plus grand respect, sans les interrompre.

Nous vivons un rendez-vous singulier.

Comme l’a souligné Mme la rapporteure, dont je salue le travail, nous ouvrons la première discussion parlementaire d’une proposition de loi de ratification d’une ordonnance. C’est la première fois que cela se produit.

Néanmoins, ce qui est singulier, c’est surtout que les auteurs de cette proposition de loi voteront tout à l’heure, comme ils l’ont fait en commission, contre le texte qu’ils ont eux-mêmes écrit et dont ils ont souhaité l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée. Avouez que c’est assez surprenant et paradoxal !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est innovant !

M. François Patriat. Le processus est inédit, bien qu’il soit attendu dans son aboutissement. En fait, ce rejet vous permet, mes chers collègues, d’afficher une opposition ferme et entière à la réforme de l’encadrement supérieur de l’État conduite par le Gouvernement. Cela, nous l’avons bien compris.

Toutefois, là encore, admettez que l’on peut s’étonner d’un rejet délibéré et en bloc d’une proposition de loi dont la force était justement d’ouvrir à toutes sortes de modifications l’ensemble des dispositions de l’ordonnance contestée sur ces travées, le véhicule de nos collègues se trouvant finalement limité par ses propres auteurs à un moyen de débat, à rebours du vecteur de propositions et de solutions de rechange de fond qu’il aurait pu être. Dont acte.

Au-delà de ce choix innovant, et même disruptif, si j’ose dire, de la majorité vastement élargie de notre assemblée, plusieurs points pouvaient nous rapprocher.

Déjà, nous ne contestons pas le principe ni l’initiative d’inscription d’une proposition de loi de ratification à l’ordre du jour de notre Haute Assemblée. Je vous l’ai dit.

Il est tout à fait loisible au législateur d’y procéder, dès lors que, passé le délai d’habilitation, seule la loi peut modifier l’ordonnance, et dès lors, aussi, qu’une telle inscription garantit la tenue au Parlement d’un débat sur la réforme de la haute fonction publique de l’État. C’est également possible dès lors, enfin, que cette inscription permet au Gouvernement de répondre à des craintes qui doivent être entendues et de faire un état des lieux du vaste chantier réglementaire en cours, qui sera déterminant pour les contours concrets de la réforme.

Je pense notamment à la création des statuts d’emplois et aux garanties qui y seront attachées en matière d’indépendance, mais également de compétences impliquées par la spécificité de certaines fonctions.

Pourtant, le rejet en bloc décidé par nos collègues de la majorité traduit mal la réalité du débat et de ses termes.

L’opposition au texte de ratification viserait, pour certains, à fustiger le contenu de la réforme, voire l’idée même d’une réforme de la haute fonction publique, et, pour d’autres, à prendre acte d’une difficulté d’appréciation de l’ordonnance, liée à des procédures pendantes et à un vaste chantier réglementaire en cours.

S’agissant de ce dernier argument de l’impossibilité matérielle, permettez-moi de souligner que le calendrier d’examen de la proposition relève d’un choix de la majorité sénatoriale et qu’il peut donc difficilement être imputé à des tiers.

Pour ce qui est du rejet en bloc de la réforme, celui-ci ne traduit pas les points de convergence qui auraient pu se dessiner au moins sur les objectifs.

Nous aurions pu trouver des objectifs communs. L’idée de réformer la haute fonction publique n’est pas réductible à une lubie d’un président de la République et de son gouvernement, qui se rendraient au chevet des passions tristes d’une partie de la société en s’attaquant à l’élitisme et au modèle français et en jetant d’un même mouvement l’opprobre sur ceux qui composent l’encadrement supérieur de l’État, ceux-là mêmes dont on connaît le plein engagement, que les adaptations nécessitées par la crise sanitaire ont rappelé, comme vous l’avez souligné, madame la ministre.

Est-il besoin de démontrer l’ancienneté du débat sur la réforme de la haute fonction publique, en rappelant le rapport Bloch-Lainé de 1969 ou même l’ambition du président Sarkozy de supprimer le classement de sortie de l’ENA ? Vous avez rappelé aussi la volonté de M. Alain Juppé, et d’autres encore, comme le président Hollande, d’en faire autant.

En effet, plusieurs objectifs de la réforme pourraient autoriser une certaine convergence de vue de plusieurs groupes. Je pense, bien sûr, au renforcement de l’interministérialité, dans la continuité de l’ordonnance de 1945 qui faisait déjà état dans l’exposé de ses motifs d’une « spécialisation et [d’]un cloisonnement excessifs » des administrations.

Pour affermir cette interministérialité, l’ordonnance du 2 juin 2021 décloisonne la haute fonction publique en renforçant les mobilités et en mettant fin au déterminisme du classement de sortie. Elle dynamise les parcours de carrière de l’encadrement supérieur, en mettant en place une gestion des ressources humaines plus stratégique, interministérielle et, surtout, davantage individualisée.

Au cœur de cette réforme se loge un autre point sur lequel nous pouvions nous entendre : la meilleure valorisation des fonctions opérationnelles, par les exigences de mobilité, et les conditions d’accès posées pour certains corps et certains grades – en cohérence avec l’idée, que je partage bien volontiers, du terrain comme première compétence, comme niveau où les décisions concrètes doivent être prises.

Je soulignerai pour terminer la dissonance entre le rejet en bloc qui nous est proposé cette après-midi et le rapport du Sénat sur la loi de 2019 de transformation de la fonction publique, dans lequel étaient défendus les objectifs suivants, qu’il me semble retrouver dans la présente réforme : la création d’un tronc commun d’enseignements relatifs aux services publics, à la déontologie et aux ressources humaines ; la prise en compte des expériences professionnelles et de la connaissance des territoires ; enfin, le développement de la formation continue des agents et la meilleure gestion de leurs parcours de carrière.

Voilà des thèmes qui nous étaient communs, que nous pouvions défendre, mais qu’aucun d’entre vous n’a repris. L’idée était d’inciter l’État à construire une véritable politique de ressources humaines envers ses hauts fonctionnaires.

Avec courage, détermination et conviction – pour reprendre vos mots, madame la ministre –, le groupe RDPI ne se ralliera pas au rejet en bloc, qui traduit mal les positions passées et les points de convergence possibles sur les objectifs de la réforme. Il soutiendra l’adoption de la proposition de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)

M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aborde deux sujets importants. Malheureusement, elle apporte une réponse incompréhensible.

Le premier sujet concerne les ordonnances. Depuis des décennies, sous ce gouvernement comme sous les précédents, nombre d’entre elles ne sont pas ratifiées, et elles le sont de moins en moins.

Une fois l’habilitation votée, le Parlement perd la maîtrise des dispositions qui sont décidées par l’exécutif. Le défaut de ratification n’entraîne pas, en l’état de la jurisprudence constitutionnelle, la caducité de l’ordonnance. Le seul dépôt du projet de loi de ratification suffit à sa validité.

Cet état de fait incite évidemment le Gouvernement à se passer de l’avis du Parlement sur un certain nombre de textes.

Cette méthode est condamnable, parce qu’elle constitue un contournement de l’esprit de la procédure d’habilitation à légiférer par ordonnances. Alors que l’article 38 de la Constitution dispose qu’une ordonnance ne peut être ratifiée que de manière expresse, la pratique se dispense d’une telle ratification. Cet entre-deux n’est pas satisfaisant, et cette PPL a le mérite de poser le problème.

Le second sujet abordé par ce texte est celui du fond de cette réforme.

Il y a longtemps qu’elle était souhaitée et envisagée par la droite et le centre. Les nécessités d’ouvrir la haute fonction publique, d’ancrer les carrières dans les territoires, de réformer l’ENA, de lutter contre le déterminisme ne datent en effet pas d’hier.

En 2008, le président Sarkozy jugeait déjà « choquant » que « le résultat d’un concours passé à 25 ans oriente toute une vie professionnelle ». Il a tenté à plusieurs reprises de supprimer le classement de sortie de l’ENA, sans y parvenir.

Aujourd’hui, le Gouvernement réalise la réforme que la droite et le centre appelaient de leurs vœux.

Les fonctionnaires issus du futur Institut national du service public devront tous se confronter à la réalité du terrain, en occupant des fonctions opérationnelles. Cette expérience est indispensable pour pouvoir conseiller ou juger les politiques menées par l’État.

La mobilité est également incontournable pour connaître les postes de celles et ceux que l’on sera amené à encadrer. Enfin, il est sain que les carrières de nos hauts fonctionnaires évoluent en fonction des résultats de l’évaluation de leur action.

Cette réforme n’est peut-être pas parfaite, elle ne va peut-être pas assez loin, mais elle va déjà bien plus loin que quiconque ne l’a fait depuis 1945.

Dans leur démarche contre la réforme proposée et pour la procédure de ratification, les auteurs de cette PPL se sont tiré une balle dans chaque pied, et une troisième on ne sait où, puisqu’il n’y a que deux pieds !

Première balle dans le pied : le Parlement peut toujours modifier les dispositions d’une ordonnance à l’expiration du délai d’habilitation. Pourquoi ne pas avoir amendé le texte de l’ordonnance et voté sur un texte amélioré par le Sénat, plutôt que de voter contre le propre texte que l’on dépose ?

Évidemment, il aurait fallu que les quatre groupes soient d’accord sur la réforme et les amendements à proposer, ce qui semble bien plus compliqué que de censurer le texte du Gouvernement.

Deuxième balle dans le pied : qui, parmi nos concitoyens, comprendra que l’on dépose une proposition de loi de ratification dans le but de rejeter cette même proposition ? Cette démarche est inédite. Elle figurera peut-être un jour dans un recueil des moments savoureux du Sénat !

Troisième balle, qui a certainement rejoint l’une des deux autres : le texte de ratification amendant l’ordonnance aurait pu continuer son cheminement parlementaire en portant les modifications du Sénat. Mais, en votant contre son adoption, notre chambre enterre cette possibilité au moment même où elle la rend possible.

M. Jean-Pierre Sueur. Pas du tout !

M. Pierre Médevielle. Si ! Comprenne qui pourra.

M. Jean-Pierre Sueur. Le Gouvernement pourra l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale !

M. Pierre Médevielle. Notre groupe soutient les ambitions de la réforme de la haute fonction publique proposée par cette ordonnance. C’est d’ailleurs aussi le cas des deux groupes de droite qui présentent cette PPL, puisque, en habilitant le Gouvernement à prendre cette ordonnance, ils montraient bien qu’ils allaient dans le sens de cette réforme.

Parce qu’il s’agit d’une réforme longtemps attendue, nous allons rester logiques avec nous-mêmes. En remerciant les auteurs de ce texte de nous en donner l’occasion, mais contrairement à leurs recommandations, notre groupe votera donc en faveur de cette PPL, en regrettant, hélas, qu’elle soit mort-née. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas. Madame la ministre, vous me permettrez tout d’abord de vous dire que nous avons modérément goûté le ton et le contenu des propos que vous avez tenus à l’égard du Sénat dans Le Figaro de ce matin. Je n’ai pas non plus beaucoup apprécié la manière très polémique dont vous avez abordé le débat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)

Pour ma part, je souhaite que nous nous en tenions au fond, sur lequel il y a, à mon sens, matière à discuter.

Pour répondre à un argument que vous avez utilisé, il me semblait que la recherche de terrains d’entente entre la droite et la gauche était au fondement même du macronisme. Par conséquent, je ne vois pas ce qui vous choque dans le fait que plusieurs présidents et membres de groupes différents se soient associés pour obtenir l’inscription de la ratification de votre ordonnance à l’ordre du jour du Sénat.

Cette inscription, précisément, vous ne l’aviez pas obtenue. Vous devriez donc être satisfaite, tant la consécration législative de votre travail est dans l’ordre de la Constitution et constitue une légitimation que vous ne pouvez pas obtenir par une simple signature des membres de l’exécutif.

C’est là un vain débat, que j’entendais évacuer dès le début de mon intervention.

À vous écouter, madame la ministre, je suis un peu surpris : nous n’aurions pas d’autre option que d’approuver votre texte ou de l’amender. Dans le débat parlementaire, il arrive aussi – je souhaite que ce soit le cas le moins souvent possible – que l’on rejette un texte, parce qu’on le juge non amendable et que l’on refuse de s’inscrire dans les dispositions qu’il prévoit.

M. Claude Malhuret. Pas quand on l’a soi-même déposé !

M. Philippe Bas. Il en va ainsi de votre ordonnance. Je comprends que cela vous contrarie, mais c’est la nature même du débat démocratique que d’échanger des convictions ; les nôtres sont différentes des vôtres, admettez-le, s’il vous plaît.

M. Julien Bargeton. Mais elles sont proches de celles des socialistes !

M. Philippe Bas. Nous rencontrons deux difficultés avec cette ordonnance sur la haute fonction publique.

La première touche au fonctionnement de la démocratie parlementaire, dans le respect de la lettre et de l’esprit de la Constitution.

La seconde touche au fonctionnement de l’État, dans le respect de nos traditions républicaines, avec pour seul impératif – je sais que vous le partagez et je n’attaque pas votre bonne foi –, la qualité du service public. Nous empruntons des chemins différents pour atteindre ce second objectif.

Ces deux difficultés sont graves et nous conduisent à rejeter votre ordonnance, en formant le vœu que l’Assemblée nationale en débatte à son tour ; cela dépend naturellement de vous, mais aussi des groupes qui la composent.

La difficulté qui se pose, s’agissant du respect du Parlement en démocratie, tient, tout d’abord, à l’abus des ordonnances, qui me paraît vraiment incontestable – les chiffres en attestent –, et, ensuite, à la carence des ratifications. Cela fait tout de même beaucoup, et vous devez comprendre que nous, représentants de la Nation, en soyons extrêmement irrités.

En ce qui concerne le premier point, oui, les ordonnances de l’article 38 sont tout à fait essentielles constitutionnellement, et je ne conteste pas cet article. Que dit-il, toutefois ? Que le Gouvernement peut nous demander de l’habiliter à légiférer par ordonnance pour appliquer son programme.

Le programme n’est pas précisément défini dans la Constitution, mais le seul endroit où l’on en parle de nouveau, c’est à l’article 49 : « Le Premier ministre […] engage […] la responsabilité de son gouvernement sur son programme ». Vous voyez le niveau auquel se situe le pouvoir d’habilitation du Parlement : il s’agit de choses essentielles.

Au fil des années, et pas seulement d’ailleurs sous cette mandature, on a vu se dégrader le niveau d’exigence des lois d’habilitation au regard de la politique générale du Gouvernement, mais je ne conteste pas, après tout, que la réforme de la haute fonction publique de l’État puisse faire l’objet d’ordonnances quand elle est au cœur du programme du Gouvernement.

J’observe simplement que le Premier ministre, au moment où il a fait sa déclaration de politique générale, a oublié de le mentionner. Ce n’est donc pas dans le programme, même si cela ne vous empêche évidemment pas d’agir.

L’abus d’ordonnances se caractérise par la banalisation du recours aux ordonnances : 14 par an entre 1984 et 2007 ; 30 par an entre 2007 et 2012 ; 54 par an entre 2012 et 2017 ; 64 par an depuis 2017. Vous avez l’excuse de la covid, il est vrai ; je consens donc à défalquer les ordonnances liées à l’urgence sanitaire.

Sans que cela soit seulement du fait de ce gouvernement, il y a bien abus d’ordonnances. Si nous sommes ici tellement en colère à propos de votre ordonnance, c’est aussi pour signifier au Gouvernement qu’il est temps pour vous et pour nous de donner un coup d’arrêt à cette pratique, quand elle est abusivement mise en œuvre.

On pourrait penser que, puisque l’on fait des ordonnances, on fait moins de lois ; ce serait logique. Le pire est qu’il se produit le contraire : plus on fait de lois, plus on fait aussi d’ordonnances. Nous assistons donc à une saturation de l’action publique par la loi ; tout se passe comme si la fin ultime de toute action du Gouvernement était de légiférer. Notre pays est dans une confusion croissante. Je vous épargne les chiffres, mais je les tiens à votre disposition, et vous les connaissez d’ailleurs, madame la ministre.

Ce sont là de très mauvaises pratiques. Les Français n’y comprennent plus rien. Leurs entreprises, leurs administrations, leurs associations, leurs collectivités n’y comprennent plus rien. Il est temps de mettre un terme à cette inflation législative à laquelle contribuent les ordonnances.

Quant aux ratifications, ce gouvernement est vraiment un très mauvais élève : 62 % de textes ratifiés sous le quinquennat du président Sarkozy, 42 % sous le mandat du président Hollande et, pour les quatre premières années du quinquennat du président Macron, 18 %. On passe de près des deux tiers à moins du cinquième ! Ce n’est pas correct. il faut que l’alarme soit donnée et que l’on cesse de multiplier les ordonnances et de diviser le nombre de ratifications, comme nous le voyons aujourd’hui.

J’en viens à votre réforme, que je n’approuve pas. Je ne considère pas que rebaptiser l’ENA « INSP » et y adjoindre les formations pour d’autres catégories de fonctionnaires constitue un réel progrès ; je ne vois pas, au moment où nous parlons de l’amélioration de la prise en compte des métiers, pourquoi il faudrait fondre dans un grand magma toutes les formations des hauts fonctionnaires.

Vous avez fragilisé, non pas des corps, mais des institutions constitutionnelles, en modifiant les modalités du recrutement et en les fondant non pas sur le mérite intellectuel, mais sur la pratique administrative.

Sachez que, à la Cour des comptes et au Conseil d’État, les qualités opérationnelles ne sont pas les premières qui sont nécessaires pour réussir à maîtriser les outils et les concepts intellectuels mis en œuvre dans ces institutions constitutionnelles.

Quant à l’interministérialité, le corps des administrateurs civils l’exprime. Que voulez-vous rendre plus interministériel ? Peut-être la pratique a-t-elle été mauvaise, mais alors, corrigeons-la ; nous y parviendrons facilement s’il y a une volonté politique durable.

Je voudrais vous signaler enfin que votre ordonnance – ce n’est pas son moindre défaut –, dans ses premiers articles, relève purement et simplement de l’instruction du Premier ministre.

Voilà une ordonnance qui traite de sujets qui relèvent de circulaires ! Oui, il faut une gestion prévisionnelle des emplois, mais cela n’a pas à figurer dans une ordonnance. Oui, il faut une gestion des ressources humaines efficace, mais cela n’a pas à figurer dans une ordonnance. Les quatre premiers articles n’ont vraiment pas leur place dans un texte législatif.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas approuver cette ordonnance, et je remercie les auteurs de la proposition de loi de ratification d’avoir enfin trouvé le moyen pour que nous en débattions au Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a pris la regrettable habitude de court-circuiter le Parlement en légiférant par ordonnances dans des proportions sans commune mesure avec ce que la Ve République avait connu jusqu’à présent.

Votre absence de considération pour le pouvoir législatif ne semble pas connaître de limite. Nous nous retrouvons donc dans une position invraisemblable : nous devons nous autosaisir de la ratification de vos ordonnances pour provoquer le débat parlementaire.

S’agissant du sujet qui nous occupe, la réforme de la haute fonction publique, rien, absolument rien ne justifiait le recours à l’ordonnance pour nombre d’articles, ni l’urgence, totalement absente, ni la technicité du sujet. Transformer la haute administration pour l’adapter aux enjeux du XXIe siècle, réformer l’ENA et les grands corps, cela nécessitait un débat politique digne de ce nom devant la représentation nationale.

Madame la ministre, ne faites donc pas semblant de ne pas comprendre notre démarche commune.

Il y aurait beaucoup à dire. Si nous réprouvions la loi de transformation de la fonction publique de juin 2019, qui affaiblissait le statut de fonctionnaire et ouvrait grande la porte des emplois publics à des contractuels recrutés en dehors des concours, souvent dans des conditions précaires, cette ordonnance, qui en émane, n’est pas à rejeter en bloc.

La réforme de l’ENA, transformée en Institut national du service public, était nécessaire. L’intégration systématique des grands corps d’État pour les élèves arrivés en tête du classement de sortie était une pratique d’un autre temps : un symbole fort de la déconnexion croissante entre les élites politico-administratives et la population, a fortiori dans notre État jacobin, dans lequel ces administrations sont concentrées dans la capitale.

A contrario, rendre obligatoire pour les futurs diplômés un exercice de cinq années dans les services déconcentrés de l’État est une très bonne mesure.

La création d’un corps unique des administrateurs de l’État laisse également espérer plus de mobilité des hauts fonctionnaires au sein de la sphère publique, ainsi que des carrières qui ne soient plus cantonnées à un seul ministère, choisi pour quarante ans dès la sortie de l’ENA.

Inclure dans la formation des administrateurs des modules relatifs à la transition écologique, à la transformation numérique de nos économies ou encore aux enjeux de la pauvreté relève du bon sens. « Enfin ! », pourrions-nous dire.

Nous n’avons néanmoins pas beaucoup d’illusions sur les évolutions du contenu pédagogique de l’École. Dans une logique néolibérale toujours prégnante, on continuera très certainement à y apprendre que la dépense publique est un problème et l’intervention publique dans le secteur économique une hérésie.

Nous sommes circonspects sur la suppression du corps des préfets. Nous craignons que cela n’ouvre beaucoup trop les administrations préfectorales à des profils venus du privé. De ce fait, nous nous inquiétons de l’affaiblissement du sens du service public et de l’intérêt général chez les serviteurs de l’État, pour ne pas dire de la multiplication des conflits d’intérêts.

C’est bien là que le bât blesse et que nous sommes dans l’incapacité de vous faire confiance. Votre philosophie, exprimée par la loi de 2019, est l’ouverture de la fonction publique et la multiplication des allers-retours entre le public et le privé.

Nous nous opposons fermement au pantouflage des grands serviteurs de l’État. Or tout laisse à penser que cette ordonnance, loin de lutter contre ce phénomène délétère, va le favoriser. Ce texte est en effet très général, et l’essentiel de ses dispositions est renvoyé au règlement. L’absence de débat parlementaire est ici préjudiciable, tant il aurait permis d’encadrer le travail réglementaire du Gouvernement.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la ratification de cette ordonnance et nous espérons que l’exécutif reviendra devant le Parlement pour présenter une ambitieuse réforme de la haute fonction publique. Plus largement, nous demandons l’organisation d’un débat annuel au Parlement sur la gestion des ressources humaines de l’État. Cela doit faire partie de notre mission de contrôle.

Pour conclure, il y a quinze jours, le collectif Nos services publics publiait une enquête dans laquelle 80 % des agents interrogés se déclaraient « confrontés à un sentiment d’absurdité dans l’exercice de leur travail ». C’est un élément de souffrance au travail. L’heure est donc grave, et il convient d’en tenir compte dans nos réformes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ferai tout d’abord une remarque sur la forme : la multiplication du recours aux ordonnances n’est pas nouvelle, mais elle s’est fortement accélérée depuis le début de ce quinquennat.

Faut-il rappeler que la force des ordonnances se trouve dans son utilisation parcimonieuse ? En y ayant trop souvent recours, on retire au Parlement sa capacité de faire la loi. Cela s’ajoute, en outre, à la jurisprudence qui permettra, demain, à cette ordonnance de devenir loi sans même repasser devant le Parlement.

On pourrait s’interroger sur la concordance de ces évolutions à l’esprit même qui a fondé notre République et qui a présidé aux grands moments révolutionnaires de notre histoire : la volonté de renforcer la séparation des pouvoirs et non de la réduire.

Sur le fond, ne nous y trompons pas : une réforme est aujourd’hui nécessaire pour garantir l’indépendance de la haute fonction publique et sa capacité, non pas à décider à la place des élus ou des ministres, mais à aider, à conseiller, à éclairer et à apporter la perspective du temps long, au-delà de la durée du mandat. Combien de fois avons-nous entendu des ministres, ici même ou plus souvent dans les couloirs ou dans la presse, expliquer que certains hauts fonctionnaires du ministère des finances décidaient à leur place ?

Votre constat des dérives dans la haute fonction publique d’État et dans la formation de cette dernière est sans doute juste et il pourrait être partagé ici, mais il ne faudrait pas pour autant remplacer un entre-soi par un autre. Il ne faudrait pas, demain, mettre en place une haute fonction publique d’État plus dépendante encore du pouvoir en place et liée à lui par un entre-soi non plus seulement social, mais fondé sur les relations communes et d’autres réseaux.

Le véritable enjeu est de mener une réflexion pour déterminer comment toujours mieux former les hauts fonctionnaires et assurer l’égalité républicaine. Ce n’est pas en supprimant l’ENA que l’on réglera cette question, qui exige, au contraire, un débat sur l’ensemble de la politique éducative de notre pays, pour rendre toute sa place à l’école, dès le début du parcours, et pour garantir la réussite de tous. Ce n’est pas en clamant « égalité des chances » que nous relèverons ce défi.

N’oublions pas, en outre, que l’ENA a été dessinée au sortir de la guerre pour remplacer une administration qui était compromise avec le régime de Vichy. La question de l’indépendance vis-à-vis du pouvoir est donc centrale ; on ne peut pas simplement l’évacuer.

L’objectif était alors de faire de ce fonctionnaire formé un homme, et non un simple rouage de l’administration. Or ce que vous nous proposez aujourd’hui ne répond en rien à ce défi aussi moderne, en ce début du XXIe siècle, qu’il l’était au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Il n’est pas question de rester dans l’existant, mais il me semble que nous avons encore le droit de nous opposer à votre réforme.

Madame la ministre, la démocratie, cela consiste non pas à changer pour changer, mais à débattre, et c’est sur cela que nous nous retrouvons, pour nous affronter autour de propositions différentes. Dès lors, nous pouvons nous accorder pour débattre et nous opposer à ce texte, alors même que nous ne défendons pas, les uns et les autres, les mêmes idées sur le sujet.

Je ne ferai pas miennes les formules que vous avez utilisées, mais il me semble que le « naufrage politique » n’est pas celui du Sénat aujourd’hui. Toute réforme peut être revue ; aucune n’est irréversible.

Vous semblez avoir pour objectif, en niant toute possibilité de débat entre la gauche et la droite, de vous retrouver au second tour de l’élection présidentielle face à un chroniqueur plus animé par la haine des autres que par l’amour de la République. Ce n’est pas ainsi que l’on réussit un quinquennat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Mme Catherine Belrhiti applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Marseille. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Hervé Marseille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, lors de son intervention à l’occasion de la convention managériale de l’État, le 8 avril dernier, le Président de la République a précisé les contours d’une réforme de la haute fonction publique et, cédant aux exigences de l’instant, a annoncé la suppression de l’ENA, rebaptisée Institut national du service public (INSP).

L’ordonnance du 2 juin 2019 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique d’État, que la présente proposition de loi vise à ratifier, concrétise l’engagement présidentiel de réformer la haute fonction publique.

Outre l’ENA, elle supprime aussi les grands corps d’État, privilégie les missions opérationnelles pour les premiers emplois, crée des évaluations régulières des pratiques professionnelles et valorise la prise de risques.

La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 avait habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnances dans le cadre de l’article 38 de la Constitution. Or, si cet article dispose qu’un projet de loi de ratification doit être déposé devant le Parlement, il n’en rend pas l’examen obligatoire.

En l’espèce, le Gouvernement a bien déposé un projet de loi de ratification à l’Assemblée nationale le 29 juillet 2021. Toutefois, depuis cette date, rien n’indique qu’il ait l’intention d’inscrire ce texte à l’ordre du jour. Il esquive ainsi le débat parlementaire sur une réforme pourtant substantielle de l’administration.

En se saisissant lui-même de la question, le Sénat est à l’origine de la première discussion au Parlement d’une proposition de loi de ratification d’une ordonnance. Une initiative rare, qui dépasse les clivages politiques, puisque cette proposition de loi est cosignée par quatre présidents de groupe. Je regrette, à mon tour, la polémique qui s’est fait jour sur un sujet qui ne le méritait pas.

Avant d’évoquer spécifiquement l’ordonnance du 2 juin 2021, le débat de cette après-midi nous offre l’occasion d’évoquer plus généralement l’usage des ordonnances par le Gouvernement depuis plusieurs mois.

Les chiffres sont très clairs : il n’y a jamais eu autant d’ordonnances que pendant ce quinquennat : 303 ordonnances au 20 septembre dernier, soit 46 % de plus que durant la période 2012-2017. Évidemment, la crise sanitaire justifie une partie de ces textes, mais cette tendance avait largement commencé auparavant.

Ce recours excessif aux ordonnances vient d’ailleurs d’être dénoncé dans l’étude annuelle du Conseil d’État : « Malgré l’utilité indéniable des ordonnances en période de crise, une utilisation massive accentue fortement le déséquilibre institutionnel au profit du pouvoir exécutif ». Autrement dit, la victime est toujours la même victime : le Parlement !

Pour ne rien arranger, une récente décision du Conseil constitutionnel vient jeter le trouble sur cette question. En effet, dans deux décisions de mai et juillet 2021, le Conseil a reconnu une valeur législative aux ordonnances du Gouvernement non ratifiées par le Parlement, ce qui n’est pas sans fragiliser le principe constitutionnel selon lequel la loi, expression de la volonté générale, ne peut naître que de la délibération publique.

Plus spécifiquement, je rappelle que l’article 38 de la Constitution exige que les ordonnances soient ratifiées de manière expresse. Avec les décisions précitées du Conseil, certains ont évoqué même la création d’une législation par voie gouvernementale.

Face à cela, que peut faire le Sénat ? Notre Haute Assemblée est depuis longtemps mobilisée sur ces questions. Nous avons récemment encore été force de proposition, puisque notre règlement vient d’intégrer des outils permettant d’opérer un contrôle plus étroit de la législation déléguée, c’est-à-dire des ordonnances de l’article 38.

Nous avons ainsi ajouté le suivi des ordonnances aux missions des différentes commissions permanentes du Sénat et renforcé leur information sur les intentions du Gouvernement quant à leur publication et leur ratification. Voilà pour la forme.

Cette proposition de loi ouvre les conditions d’un vrai débat sur l’opportunité et l’intérêt d’une telle réforme. Je rappelle en préambule que, en effet, le Sénat n’a pas émis d’objections à l’habilitation à la mener par voie d’ordonnances en 2019.

Comme vous le savez pourtant, mes chers collègues, une habilitation n’est pas un blanc-seing. Si le Gouvernement nous avait donné des orientations en 2019, tout n’était pas sur la table. J’en veux un exemple, parmi d’autres : la suppression de l’ENA. Pourquoi supprimer l’ENA pour la remplacer par une autre école, qui ne change ni ses modalités d’accès, ni son classement de sortie, ni même les épreuves du concours externe ?

Parler de suppression est d’ailleurs une supercherie : rien n’a été supprimé, en réalité. On veut faire nous faire croire que l’on a cassé le moule de cette fameuse technocratie qui serait la cause de tous nos maux.

Pourquoi supprimer les grands corps de l’État, refuges d’excellence et de méritocratie qui rendaient la haute fonction publique attractive ? Le remplacement des grands corps par un large corps commun interministériel à la gestion centralisée nous garantit-il une meilleure fonction publique ? Certains craignent au contraire une politisation des fonctionnaires, notamment des ambassadeurs et des préfets.

Pendant la crise sanitaire, on célébrait tous les matins les vertus du couple maire-préfet, pilier de l’État unitaire décentralisé. Pourquoi aujourd’hui déconstruire un symbole de la République, autour duquel s’est forgée la Nation ? La fonctionnalisation des postes de préfets de département et de région pourrait introduire, demain, le doute sur la qualité de nominations, non plus seulement fondées sur le mérite et l’expérience, mais motivées par la faveur politique.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous avons, avec les membres de mon groupe, une double déception : sur la forme, car le Gouvernement a tenté d’échapper au débat parlementaire normal sur cette réforme ; sur le fond, car le Gouvernement n’a pas résisté à quelques mesures qui ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Aussi, et pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste ne prendra pas part au vote. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant de rejoindre les bancs du Sénat, j’ai eu l’honneur et le plaisir d’exercer le beau métier de professeur d’histoire-géographie.

L’histoire de France est intrinsèquement mêlée à celle des idées politiques, et elle connaît quelques passages incontournables.

Parmi ceux-là, je pense aux dernières années de l’Ancien Régime, quand les États généraux venaient d’être convoqués. Il y avait alors une critique presque systématique du mode de prise de décision des gouvernants. Le juriste Guillaume Le Trosne, s’exprimant au sujet de celui qui décidait, qu’il soit Roi, ministre ou administrateur, écrivait : « S’il veut entreprendre de tout diriger par lui-même, de la distance où il se trouve, celui qui administre risque de ne rien voir, de confondre les objets dans l’éloignement et de porter un jugement faux et incertain sur des détails mal aperçus, ou d’après des rapports infidèles ».

Le reproche était assez classique et attendu pour l’époque, la volonté d’un seul homme, même oint du droit divin, ne pouvant plus légitimer une décision. Si je mesure bien la distance historique avec laquelle il faut recevoir cette citation, elle résonne néanmoins par deux fois dans notre discussion d’aujourd’hui.

Une première fois au sujet des ordonnances. La tendance à y recourir s’accroît toujours un peu plus et donne le sentiment d’un gouvernement qui entreprendrait « de tout diriger par lui-même », laissant au Parlement le seul soin de l’y habiliter et de n’en contrôler le respect que du bout des lèvres.

Sur ce point, les membres du groupe RDSE ont déjà eu l’occasion de le souligner : ils sont réticents par principe au recours aux ordonnances sur des sujets éminemment politiques. Le débat parlementaire doit demeurer l’essence de notre République.

Le second point concerne notre haute fonction publique. Les termes du débat qui entouraient la place des intendants, ancêtres des préfets et figures de la monarchie administrative du XVIIIe siècle, sont finalement assez proches de ceux que nous retrouvons au sujet de nos hauts fonctionnaires, auxquels il est reproché une organisation en corps nettement distincts et trop isolés et dont certaines règles et certains statuts constitueraient des sortes de privilèges perçus comme injustifiables.

Certes, la comparaison des époques doit rester anecdotique. Toutefois, ce détour historique est riche d’enseignements quant à la nécessité de réformer la haute fonction publique.

Il faut non seulement que l’on cesse de l’envisager comme un corps coupé de la société, mais aussi qu’elle n’agisse plus comme une nouvelle noblesse qui se substituerait aux représentants de la Nation. L’administration doit demeurer avant tout un outil au service de l’application des décisions des élus, nationaux comme locaux.

Je salue donc l’initiative des auteurs de cette proposition de loi. Nous connaissons les problèmes que pose la formation de l’encadrement supérieur. Ils sont identifiés et dénoncés depuis longtemps. Les modes de recrutement, notamment, sont encore trop marqués par la reproduction sociale et la consanguinité des réseaux de pouvoirs. Les allers-retours entre le public et le privé sont également source de conflits d’intérêts.

De ce point de vue, le remplacement de l’École nationale d’administration par l’Institut national du service public constitue une réponse attendue, mais qui ne saurait être satisfaisante. Les attributions des deux établissements restent, en effet, largement comparables, puisque l’institut assurera la formation initiale des fonctionnaires, notamment de ceux qui sont destinés à l’encadrement supérieur de l’État.

L’enjeu se trouve donc dans les modalités d’organisation de cette formation et dans la concrétisation du nouveau dispositif. En quoi permettra-t-il de former des hauts fonctionnaires qui seront plus en phase avec les territoires et qui seront plus aptes à comprendre le sens du service public, lorsque celui-ci s’exerce dans sa diversité locale ? En quoi les élèves de ce nouvel institut se démarqueront-ils véritablement des promotions d’énarques ?

Les mêmes interrogations planent au-dessus du nouveau corps d’administrateurs de l’État qui aura vocation à accueillir les anciens élèves de l’INSP. L’ordonnance le crée sans le préciser, laissant le soin au seul pouvoir réglementaire d’en décrire les attributions. La logique interministérielle que devra porter ce nouveau métier mérite des éclairages supplémentaires.

Au vu de ces différents éléments, nous comprenons très bien les remarques de la commission des lois quant aux incertitudes qui entourent cette ordonnance. Nous comprenons également la demande des auteurs de cette proposition de loi, qui veulent qu’une telle réforme ne se fasse pas sans un vrai débat public. Il reste toutefois assez curieux de voir les auteurs d’un texte voter contre ce même texte !

En réalité, nous sommes favorables à ce texte sur le fond, mais nous nous y opposons pour des raisons de forme. En conséquence, le groupe RDSE s’abstiendra.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. On nous explique, pour justifier cette réforme, que ceux qui s’y opposent seraient d’horribles conservateurs, partisans du statu quo. Pour ma part, je ne crois pas que ce soit le cas, car nous sommes ici non pas pour réformer pour réformer, mais pour réformer ce qui doit être réformé.

En ce sens, il me semble que le concours d’entrée de l’ENA et surtout le classement de sortie mériteraient d’être revus. Pour avoir côtoyé pendant quarante ans de vie parlementaire des gens issus de cette école, je m’interroge parfois sur les critères de sélection qui ont prévalu, tant pour l’admission que pour le classement de sortie des élèves.

Je ne suis donc pas contre le changement. Encore faut-il que les évolutions que l’on décidera fassent primer l’objectivité sur la subjectivité. Or la réforme œuvre en sens inverse. C’est la raison pour laquelle j’y suis farouchement opposé.

En réalité, je peine à comprendre la position de la commission des lois. Soit on est pour la réforme, soit on est contre. Et si la commission des lois penche pour la seconde option, il fallait qu’elle présente un texte d’abrogation de l’article 59 de la loi habilitant le Gouvernement à prendre ces ordonnances. Certains collègues ont mentionné un manque de logique. Je crois que celui-ci est flagrant !

Pour ma part, je n’ai pas voté cet article, car j’étais opposé à ce que le Gouvernement soit habilité à légiférer par ordonnance.

La commission des lois a exercé sa responsabilité en le votant et, exceptionnellement, je suis d’accord avec Mme la ministre : c’est une méthode pour le moins curieuse que de commencer par voter l’habilitation pour venir se plaindre ensuite.

Il importe désormais, et c’est essentiel, que nous tranchions la question. Tel est le sens des amendements que j’ai déposés. Il faut approuver l’ordonnance ou ne pas le faire. Si nous choisissons de ne pas l’approuver, nous devons adopter un article visant à supprimer l’article 59, de sorte que le Gouvernement ne pourra pas prendre d’autre ordonnance.

Telle est la conduite que nous devons suivre. Rien ne sert de répéter que l’on ne comprend pas et que l’on ne prendra pas part au vote, faute d’en saisir tout l’enjeu. Il nous appartient de présenter des amendements. Si la commission des lois avait adopté certains de ceux que j’ai déposés…

Mme la présidente. Mon cher collègue, vous avez dépassé votre temps de parole.

La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’ordonnance qui nous intéresse transforme en profondeur la conception républicaine que nous avons de la haute fonction publique de l’État, telle qu’elle est issue de l’ordonnance du 9 octobre 1945 et des travaux du Conseil national de la Résistance.

Le Président de la République l’avait annoncé en grande pompe en clôture du grand débat en 2019 : il allait supprimer l’ENA. Poursuivant une logique de bouc émissaire, il a tenu sa promesse. Plus encore, l’ordonnance propose de diversifier le mode de recrutement, d’ouvrir la haute fonction publique et de dynamiser la gestion des carrières.

« Dynamiser », « ouvrir », « diversifier », « flexibiliser », ces mots répétés à l’envi, de manière abusive en ces temps de campagne électorale, perdent de leur force dans l’esprit de nos concitoyens. Les mots lassent. Les actes manquent. Ils manquent pour convaincre que la République mérite encore d’être notre idéal commun, le socle de notre identité. Ces mots sont issus du lexique vaporeux de la « start-up nation » chère au Président de la République.

Pour redonner corps à notre République, il faut une action déterminée en faveur de l’égalité.

L’égalité consiste notamment à donner aux jeunes la possibilité de s’insérer, quelles que soient leurs origines et leurs conditions. Elle se conforte en donnant plus à ceux qui ont moins, afin que tous puissent accéder à la haute fonction publique. Elle doit permettre à chacune et à chacun de se mettre au service de l’État, quand bien même ils viendraient d’un quartier prioritaire de la ville ou d’une zone de revitalisation rurale. La méritocratie républicaine rime avec la promesse républicaine.

Néanmoins, ne jetons pas un voile pudique sur les concours de la haute fonction publique. Ils se posent comme un modèle suprême d’égalité, mais chacun sait qu’ils ne sont accessibles qu’à un public trié sur le volet, possédant les clés d’entrée pour les meilleurs lycées et les classes préparatoires. Mes chers collègues, vous le savez aussi bien que moi, les réussites de quelques transfuges de classe ne doivent pas masquer cette réalité structurelle.

Réserver quelques places au concours est généreux, mais sans effet structurel. La sélection sociale s’effectue sur le long terme, avec une succession d’entonnoirs.

Plutôt que de tenir la promesse d’égalité, le Gouvernement préfère détricoter la haute fonction publique, dans un vase clos. Désormais, dans la « start-up nation », les dirigeants des administrations choisiront les hauts fonctionnaires à qui ils confieront des responsabilités. Les préfets seront installés par intérim, les inspecteurs généraux de l’éducation nationale disparaîtront, et il en ira de même de l’indépendance des fonctions juridictionnelles. Le fait du prince, même encadré, deviendra la règle.

Madame la ministre, vous n’y pouvez rien, mais votre méconnaissance de l’administration est grande. Vos préjugés culturels sur la nécessité de transposer les méthodes de gestion des cadres dirigeants du secteur privé à la fonction publique de l’État sont surannés. Tout cela n’est que régression. Est-il vraiment surprenant dès lors que vous souteniez celui qui loue le système des dépouilles américain – le fameux spoil system – et qui reprend à son compte l’expression conspirationniste d’« État profond » ?

Le politique, quand il gouverne, veut paraître moderne. Quoi de plus normal ? Dans votre logique ultralibérale, les fonctionnaires sont des freins et l’administration est inutile. Votre idée est non seulement d’importer les méthodes du privé, mais aussi de réduire les impôts et d’amoindrir l’État, ainsi que ceux qui le servent. En réalité, vous croyez fondamentalement, et je le respecte, à la « main invisible » du marché et à son avatar macronien, la théorie du ruissellement.

Vous vous trompez de priorité. L’actualité, c’est l’exigence d’un lien entre l’administration et ses administrés et de la connaissance du terrain par les hauts fonctionnaires. Cette préoccupation est unanimement partagée. Comment ne pas voir le fossé qui se creuse entre les citoyens et des hauts fonctionnaires qui se détachent des réalités vécues ? Nous sommes tous d’accord sur ce diagnostic et sur le principe qu’il faut restaurer le lien de confiance qui s’est distendu entre l’État et les Français.

Pourtant, la solution n’est ni le délitement de la haute fonction publique ni le remplacement de l’ENA par une ENA bis. Tout a été dit sur le sujet depuis le début de cette discussion générale. Et en même temps, vous avez pensé que cette remise en cause lourde et structurelle ne méritait pas l’examen de la représentation nationale !

Le 2 juin dernier, lors des questions d’actualité au Gouvernement, notre collègue Jean-Pierre Sueur vous interrogeait en ces termes : « Madame la ministre, vous engagez-vous, au nom du Gouvernement, à ce que l’ordonnance relative à la haute fonction publique adoptée ce matin donne lieu à une ratification explicite, au terme d’un vrai débat parlementaire ? » Vous n’avez pas répondu à la question, parce que vous souhaitiez, et c’est encore le cas aujourd’hui, que la ratification se fasse sans débat.

Même si l’ordonnance a fait l’objet de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité, dont l’une a été partiellement renvoyée au Conseil constitutionnel, vous estimez qu’elle pourra se concrétiser par le biais des décrets d’application, dont nous ne connaissons pas le contenu.

Madame la ministre, plusieurs de mes collègues vous l’ont déjà dit, nous ne voulons pas donner de blanc-seing au Gouvernement.

Certes, nous nous sentions bien seuls, avec nos collègues communistes, lorsque nous nous sommes opposés à cette habilitation, lors de l’examen du projet de loi de transformation de la fonction publique, en 2019. Nous avions proposé, à deux reprises, en commission puis en séance, un amendement de suppression.

Cependant, il faut reconnaître que la situation a évolué, et nos collègues sur le côté droit de cet hémicycle l’ont admis. Nous devons donc, à présent, remercier les coauteurs de la proposition de loi, grâce auxquels nous aurons un véritable débat. Peut-être celui-ci vous semblera-t-il insuffisant, madame la ministre ? Il sera pour nous l’occasion de vous dire : « Non, cela suffit ! »

On constate une dérive dans l’utilisation de l’article 38 de la Constitution. Le Gouvernement légifère deux fois plus par ordonnances que sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et le nombre d’ordonnances a augmenté de 20 % par rapport à ce qu’il était sous le gouvernement de M. Valls, qui a dû faire face, ne l’oublions pas, aux attaques terroristes. Et ces chiffres ne tiennent pas compte des ordonnances prises en 2021 pour lutter contre la pandémie.

Plus de la moitié des textes relevant du domaine de la loi sont pris par ordonnance depuis l’arrivée du Gouvernement. En 2020, on a atteint un record de 73 % de textes pris par ordonnances. Les enjeux ne sont pas anecdotiques, ou purement techniques : il s’agit de la privatisation de la SNCF, de la loi Pacte, c’est-à-dire relative à la croissance et la transformation des entreprises, de la santé publique et, à présent de la réforme de la fonction publique d’État, qui ne compte pas moins de 2,4 millions d’agents. Aucun d’eux ne justifie le recours à l’article 38, puisqu’ils n’impliquent ni complexité technique ni urgence.

Toutefois, pour ce gouvernement, tout semble urgent. La procédure accélérée est systématique. Le recours aux ordonnances atteint un niveau record. Les projets de loi déguisés en propositions de loi se multiplient. Loin de s’embarrasser du débat, le Gouvernement pense avoir raison tout seul, tout le temps, contre tout le monde.

Est-il devenu si urgent de réformer la fonction publique d’État, alors qu’elle est en place depuis 1945 ? La réforme n’aurait-elle pas pu supporter quelques semaines de débat, madame la ministre ?

Votre rapport au temps parasite l’activité législative. Vos projets de loi sont de plus en plus réactionnels. Un fait divers, une loi. Une déclaration, une autre loi. L’intervention d’un lobby, et c’est encore une autre loi. Le temps d’examen des textes se réduit comme peau de chagrin, ce qui dégrade, je vous le dis très sincèrement, le travail parlementaire, celui de la représentation nationale.

Votre rapport au temps se limite à une succession d’instants, sans profondeur historique ni projection dans l’avenir. Vous nous privez de toute négociation sociale et de délibération collective. Vous ne vous projetez pas même à l’horizon d’une génération. Votre nouveau monde est flou, dans un présent perpétuel, indéfini, sans histoire ni utopie, incapable de mettre à distance le contingent.

L’utilisation des ordonnances reflète la posture jupitérienne du Président de la République, les dérives d’un pouvoir à bout de souffle, pétri de certitudes, dans un système institutionnel fermé à l’expression citoyenne et à ses représentants.

À tenir à distance le Parlement, les corps intermédiaires et le dialogue social, à leur préférer un lien direct avec les Français qui ressemble davantage à une pratique plébiscitaire du pouvoir qu’à un véritable dialogue, vous faites le lit du populisme ; vous comprendrez aisément l’allusion, en cette période d’hypersondages.

Nous aurons des désaccords sur le fond, mais nous rappelons au travers de cette proposition de loi que le Parlement n’est pas le supplétif du pouvoir exécutif. Il doit être le partenaire d’un dialogue respectueux et fructueux, si le Gouvernement le veut bien.

Pour conclure, madame la ministre, Le Figaro a publié ce matin des propos que vous avez tenus à l’égard de la représentation nationale. Laissez-moi vous dire, en toute franchise, qu’ils sont scandaleux et indignes de vos fonctions. Je n’ai pas autorité pour vous demander de retirer ces mots particulièrement déplacés, mais j’espère que la décence et le sens de la responsabilité vous seront, en l’espèce, de bon conseil. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Madame la ministre, la France est caractérisée par une administration de grande qualité, loyale et performante. La gestion de la crise sanitaire en a été une nouvelle illustration sur bien des plans.

Cette administration est constituée de fonctionnaires qui servent l’État, au sens noble du terme, en exécutant la politique d’un Gouvernement élu démocratiquement et responsable des résultats devant les citoyens. Tel était en tout cas le modèle en vigueur jusqu’à présent.

Comme le relève le rapporteur Catherine Di Folco, l’ordonnance remet en cause un certain nombre de principes consubstantiels à la haute fonction publique française, depuis 1945 : le primat d’une fonction publique de carrière, la logique de corps ou encore l’indépendance des fonctions juridictionnelles et des inspections générales.

La réforme de la haute fonction publique, engagée par la mission Thiriez, met l’accent sur quelques travers des corps administratifs : la diversité sociale et académique des recrutements est limitée, la formation continue reste faible, voire inexistante, les carrières sont très dépendantes des résultats au concours de recrutement, le phénomène de « rentes » dans certaines fonctions n’est plus acceptable, enfin, les missions d’inspection sont parfois confiées à des débutants.

L’ordonnance portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État va cependant bien plus loin. Elle détruit l’ENA, pour la recréer immédiatement sous un pseudonyme. Elle détruit des corps de fonctionnaires dont certains obéissent à une logique de métier, alors que la critique ne visait initialement que la rente et les critères de promotion de grade. Elle se fixe pour objectif un corps A+ regroupant tout l’encadrement supérieur, sur lequel seraient alignés les contractuels recrutés pour ces mêmes fonctions.

Des zones d’ombre demeurent encore, et un certain nombre de textes d’application doivent être pris dans les prochains mois.

La réforme a longtemps ignoré les corps techniques de l’État. C’est la raison pour laquelle, madame la ministre, le 2 septembre dernier, vous avez missionné Mme Guillou, ainsi que MM. Berger et Lavenir, pour la mettre en œuvre dans ce domaine. La lettre de mission laisse à penser que les conclusions sont déjà écrites, à savoir agréger les corps techniques au grand corps des « administrateurs de l’État ».

Quelle erreur ce serait que de mettre tous les corps administratifs et techniques dans un même moule ! Certes, il faut harmoniser les situations statutaires pour favoriser les mobilités, mais on ne peut faire fi des spécificités de métiers et de compétences.

Un corps trop grand, agrégeant plus de 10 000 personnes, ne permet pas une gestion à la maille individuelle. La pratique des administrateurs civils conduit à développer une gestion par ministère, fonctionnant sur des parcours internes. Les grands corps, dont les effectifs restent peu nombreux, permettent au contraire de construire et de valoriser des parcours interministériels ; je puis en témoigner.

L’ouverture aux contractuels participe d’un nouveau modèle, dont le principe consiste à aller chercher des compétences pour une faible durée de temps sur le marché privé.

Si ce mode de fonctionnement est souhaitable, à condition de rester une voie complémentaire, il remet en question le modèle d’une fonction publique de carrière, où l’on ne sert pas les intérêts privés, ni avant de prendre son poste, ni en le quittant. La question de la déontologie ne manquera pas de se poser pour ces recrutements de compétences, puisqu’il est interdit d’exercer pendant plusieurs années des activités dans le même domaine entre secteur public et secteur privé.

En ce qui concerne plus spécifiquement les ingénieurs, le problème est non pas seulement de modèle, mais aussi de compétence. Un ingénieur n’est pas un cadre A+ qui serait interchangeable avec un juriste ou un comptable. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

Il s’agit d’un fonctionnaire d’un haut niveau de formation scientifique, pouvant aller jusqu’au doctorat. Il raisonne en projets et non en processus. Il maîtrise un domaine thématique, comme l’armement, la statistique, l’aménagement, l’environnement ou le numérique, et le monde économique lui est familier.

La diversité que l’on recherche pour la haute fonction publique doit inclure une diversité des modes de pensée. Or le corps unique et standardisé des « administrateurs de l’État » ne le permettra plus.

Le modèle promu par l’ordonnance se rapproche du mode de gestion des enseignants. Faudra-t-il bientôt qu’un haut fonctionnaire capitalise un nombre de points pour faire mobilité, comme c’est le cas lorsqu’un enseignant souhaite changer d’académie ? En forçant le trait, voilà ce à quoi pourrait conduire une gestion en masse et non plus individualisée !

Pour le dire autrement, je ne suis pas convaincue que le modèle d’une fonction publique composée uniquement de fonctionnaires administratifs et d’expertises contractuelles mobilisées à la volée, permette à l’État de mener une politique industrielle, environnementale, d’armement ou d’aménagement qui soit à la hauteur des enjeux auxquels notre pays doit répondre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Les sujets qui ont été abordés sont nombreux. Je vais essayer d’y répondre, car je considère que ce débat est utile.

Je tiens tout d’abord à remercier le président Patriat, le sénateur Médevielle et d’autres parmi vous, comme le président Requier, qui ont rappelé, de manière factuelle, que la réforme de la haute fonction publique a déjà une longue histoire et que le consensus existe sur un certain nombre de sujets.

Certains parmi vous ne souhaitent pas voter la ratification, mais reconnaissent l’importance de la qualité du service public, que M. Bas l’a rappelé, et celle de la formation, qu’il faut ouvrir pour prendre en compte les enjeux de notre temps. Malgré leur opposition à la ratification, ils souhaitent débattre de ces sujets, dans la plus stricte cohérence des majorités auxquelles ils ont appartenu.

En effet, Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac, Alain Juppé, François Hollande – dans le désordre, et sans remonter jusqu’au programme commun de 1972 – n’ont fait que reprendre ce que l’on dit partout depuis plus de trente ans, à savoir que la réforme du système ne doit pas remettre en cause l’engagement des hommes et des femmes qui en font partie, mais les conditions dans lesquelles ils exercent leur métier. Il n’y a rien d’indécent à s’inscrire dans cette continuité.

Monsieur Kanner, vos propos m’ont attristée, car vous n’avez fait que m’intenter un procès en illégitimité, sous prétexte que je ne suis pas fonctionnaire. Selon vous, je ne connaîtrais pas l’administration et, parce que je suis jeune, je n’aurais pas de vision de l’histoire.

M. Jean-Pierre Sueur. Il n’a jamais dit cela !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Vous vous servez de ces arguments pour insinuer que nous irions trop vite. Certes, nous allons vite, mais cela fait trente ans que l’on parle de cette réforme et nous avons pris un retard immense.

Les 7 000 hauts fonctionnaires que j’ai interrogés s’accordent massivement pour dire que, malgré leur extrême attachement à l’État, ils ont besoin d’accompagnement, de visibilité et de mobilité. Ils souhaitent donc qu’on leur donne la capacité de mieux faire ce qui les engage au quotidien, c’est-à-dire servir les Français. Par conséquent, nous agissons, et nous ne redoutons pas de dire que nous le faisons vite.

Pour ce qui est des préfets, nous ne faisons qu’appliquer des textes qui ont été écrits par des majorités précédentes, notamment par le gouvernement de M. Valls. Celui-ci avait en effet proposé la même réforme sur les préfets que celle que nous menons.

Quant au nombre d’ordonnances que nous avons prises et que vous jugez considérable, sans faire un cours de droit public – ce n’est pas le lieu ici –, je tiens à rappeler que, en dehors de la période de crise sanitaire, que M. Bas a rappelée à juste titre, le Gouvernement n’y a pas eu davantage recours que sous le quinquennat précédent.

M. Philippe Bas. C’était déjà trop !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. On peut considérer que l’article 38 de la Constitution n’est plus adapté à la démocratie française telle qu’elle se pratique désormais, mais il faut alors réformer la Constitution.

Pour en rester à la question démocratique, il me semble que la crise sanitaire a montré notre capacité à débattre. Nous l’avons fait notamment lorsqu’il fallait que nous défendions des projets de loi ne suscitant pas forcément l’accord de tous. En réalité, chacun dans cet hémicycle appartient à un groupe politique dont il porte l’héritage en matière de réformes, et je regrette que nous n’ayons pas trouvé l’occasion de confronter nos visions.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous n’en avez pas !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. J’ai formulé des propositions, moi, monsieur Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Elles consistent à déconstruire le texte de 1945 !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Elles figurent dans une ordonnance qui a été déposée et dont chaque article témoigne clairement des intentions du Gouvernement.

Les ordonnances s’inscrivent dans un cadre démocratique. Si leur principe pose problème, il faut changer la Constitution.

M. Bruno Retailleau. C’est leur ratification qui pose problème !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je suis très heureuse d’être devant vous pour en débattre. J’aurais d’ailleurs aimé que cela donne lieu à des contre-propositions de votre part, pour éviter un débat stérile, qui tourne en rond, où chacun se positionne pour ou contre sans discussion de fond. Le Parlement s’honorerait à mener un débat de fond.

M. Jean-François Husson. C’est ce qu’il fait !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Monsieur Bas, vous me reprochez de remettre en question l’alliance entre la gauche et la droite.

Vous négligez cependant une petite différence politique, lorsque vous me dites que je ne peux être déçue d’une telle alliance, dans la mesure où je la revendique. En réalité, si nous faisons travailler ensemble la droite et la gauche, c’est pour agir, certainement pas pour tout bloquer, ni pour trouver comme seul point de convergence l’idée de ne rien faire. Nous considérons, au contraire, que des hommes et des femmes de valeur, issus de toutes les travées, peuvent partager une vision qui les porte à l’action plutôt qu’à l’immobilisme.

M. Jean-François Husson. Tout cela, c’est de la rhétorique !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Vous avez longuement évoqué le recrutement des fonctionnaires. Je suis très honorée de pouvoir dire que la réforme de la fonction publique a été l’occasion de concrétiser une décision majeure, qui figurait déjà dans une ordonnance datant du mois de février dernier et qui porte sur la création des classes « Talents du service public ».

Monsieur Kanner, dans votre région des Hauts-de-France, à Roubaix, à Tourcoing, à Valenciennes et à Lille, depuis maintenant un mois, des centaines de jeunes, répartis dans neuf classes, disposent d’un tuteur, d’un logement d’étudiant et de 4 000 euros de bourse complémentaire, car il s’agit d’étudiants boursiers, pour préparer des concours auxquels ils n’auraient jamais pu se présenter s’il avait fallu qu’ils viennent à Paris, rue Saint-Guillaume ou place du Panthéon, d’autant qu’ils ne se seraient pas sentis légitimes pour cela.

Dans la région Occitanie, qui est représentée par un certain nombre d’entre vous, nous avons ouvert sept classes préparatoires Talents, à Tarbes, à Toulouse, à Montpellier. Nous en avons fait autant dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, à Lyon, à Clermont-Ferrand et dans la banlieue de certaines agglomérations. Ces classes attirent désormais 1 500 étudiants, qui viennent des territoires les plus ruraux et les plus populaires, ainsi que des outremers.

Nous considérons que ces jeunes peuvent constituer une nouvelle génération de fonctionnaires, engagés pour leur pays, quels que soient leur origine et leur milieu social. Nous menons ainsi la plus grande réforme jamais conduite en matière d’égalité. Nous renforçons d’ailleurs un dispositif que le président Sarkozy avait introduit.

M. Jean-François Husson. Vous semblez regretter le président Sarkozy… (Sourires.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Quant aux leçons que certains voudraient nous donner, du côté gauche de l’hémicycle, elles me paraissent fort malvenues.

J’entends des critiques sur le fait que nous ne défendrions pas assez l’égalité républicaine, alors que c’est précisément ce que nous faisons.

S’agissant de l’INSP, sa création ne se résume pas à un changement de nom. Elle vise à revoir en profondeur le contenu des formations initiales et à créer des liens avec le milieu de la recherche académique. Quelle bizarrerie, en effet, veut que nous soyons le seul pays au monde où les meilleurs chercheurs, récompensés par le prix Nobel, ne rencontrent jamais les hauts fonctionnaires ?

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est pas vrai !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. L’apport académique des premiers serait pourtant d’un secours appréciable aux seconds, car les décisions qu’ils doivent prendre portent souvent sur des sujets complexes.

Nous devons investir massivement dans la formation continue et nous assurer que les uns et les autres puissent échanger et se former ensemble, même après cinq, dix ou quinze ans d’expérience professionnelle. En effet, qui pourrait tout apprendre à l’ENA, en une seule fois ?

Le changement de modèle porte aussi sur le tronc commun, qui n’est pas, comme je l’ai entendu, un grand tout, une grande fusion ou une grande absorption des écoles de service public.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais combien les valeurs de la République, la laïcité et l’égalité de traitement vous sont chères (M. Bruno Retailleau approuve.), car nous sommes un pays républicain, dont la tradition ne consiste pas, comme chez nos voisins anglo-saxons, à importer des concepts conduisant à couper la société en petits morceaux, plutôt qu’à l’envisager comme un tout.

Sur ce sujet, il n’y avait pas de formation commune aux magistrats judiciaires, aux commissaires de police, aux officiers de gendarmerie, aux futurs préfets, aux directeurs d’hôpitaux et aux administrateurs territoriaux. Pourtant, c’est absolument nécessaire si nous voulons qu’ils puissent examiner ensemble les situations. (Marques dironie sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)

M. Bruno Retailleau. Pas du tout !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est absurde !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. De la même manière, pour ce qui concerne la transition climatique, nous devons proposer un tronc commun de formation. (Mme Cécile Cukierman sexclame.) En effet, si nous confions cette question uniquement à celles et à ceux qui travaillent au ministère de la transition écologique, nous n’y arriverons jamais ! Sur tous ces sujets, nous défendons donc bien un tronc commun.

J’en viens au reproche de politisation. En fait, celui-ci concerne plus le passé que le futur. Depuis Napoléon, les préfets sont nommés par le pouvoir exécutif. Depuis François Ier, les ambassadeurs sont nommés par le pouvoir exécutif.

La nomination des directeurs d’administration centrale et des chefs d’inspection générale – je me tourne vers M. le questeur Bas, qui connaît très bien les procédures de décision et de nomination en conseil des ministres – ne sera pas modifiée : les préfets seront nommés tous les mercredis en conseil des ministres, comme ils l’ont toujours été.

La différence, c’est que nous réduisons le tour extérieur de nomination du Gouvernement au Conseil d’État et à la Cour des comptes. Nous voulons précisément maintenir, alors que telle n’était pas votre proposition initiale, un corps et un statut de la fonction publique protégeant de nominations qui ne seraient que pure contractualisations ; certains, sur vos travées, défendent d’ailleurs cette position.

Nous visons exactement l’inverse d’une politisation ! À partir du moment où nous mettons en avant les compétences, la transparence et l’ouverture réelle des procédures de recrutement, nous nous éloignons de la pratique des nominations décidées, vous le savez, au regard non pas des compétences, mais des appartenances, notamment politiques, et des accointances personnelles.

En ce qui concerne les préfets, je souhaite apporter certaines clarifications. Être préfet, c’est un métier. Ce n’est ni un titre, ni un statut, ni un droit à vie. C’est avant tout un engagement à servir un territoire et des projets et à faire travailler ensemble les acteurs publics, les élus territoriaux, les entreprises, bref l’ensemble des acteurs qui font la réussite de ce territoire.

Il y aura toujours des préfets et des sous-préfets. Ils seront toujours nommés par le pouvoir exécutif. Mais nous voulons qu’il n’y ait plus de préfet sans affectation territoriale et qu’il n’y ait plus de préfet sans une fonction réelle.

Être un patron dans un département ou une région n’oblige pas à être membre d’un corps. Cela oblige, vous l’avez dit, à avoir des compétences, à avoir été formé, à avoir une expérience, ce qui n’implique pas l’appartenance à un corps.

Aujourd’hui, nous avons 270 préfets et 140 postes territoriaux. Les 130 personnes qui ne sont pas en poste pourraient utiliser leurs compétences et exercer des missions pour lesquelles nous avons besoin d’hommes et de femmes engagés et connaissant bien l’État.

Je le redis, la réforme que nous proposons a été étudiée au cours du précédent quinquennat et esquissée voilà plus de dix ou quinze ans. En effet, ce corps était le seul où grade et emploi se confondaient. Pour celles et ceux d’entre vous qui connaissent bien la fonction publique, c’est une bizarrerie, que nous allons enfin résorber.

S’agissant du corps des administrateurs de l’État, il est parfois complexe de vous suivre collectivement : certains disent que tout va bien, tandis que d’autres, je pense en particulier à Hervé Marseille, affirment que le système n’est pas attractif.

On le voit bien, il existe un cloisonnement entre corps, qui crée des hiérarchies implicites, des cloisonnements et des accès différenciés à telle ou telle fonction. Au fond, face à cet échec, nous voulons la réaffirmer la promesse de 1945.

Dans ce corps des administrateurs de l’État, la revalorisation réelle des fonctions et la reconnaissance collective seront assurées. Il y aura une réelle mobilité entre les métiers, avec une vraie évaluation, parce que la qualité compte. Sur le sujet des corps techniques, la mission est en cours. Je la suivrai avec beaucoup d’attention. Vous avez rappelé certains objectifs, qui sont, me semble-t-il, nécessaires.

Enfin, monsieur Kanner, vous avez affirmé que nous avions manifestement des difficultés avec le dialogue social. Je vous le dis avec beaucoup d’humilité, depuis le mois de juillet 2020, je m’occupe matin, midi et soir du dialogue social.

J’ai pris mes fonctions en essayant de trouver avec les organisations syndicales une manière d’avancer sur trois sujets.

Le premier est la protection santé complémentaire, ou mutuelle des fonctionnaires. C’est un sujet qui s’inscrit dans le temps long, puisqu’il est en discussion depuis une quinzaine d’années. Nous avons trouvé un accord majoritaire permettant, à partir de 2022, à tous les agents de l’État d’avoir une prise en charge de 15 euros par mois de leur mutuelle santé. Ce n’est pas un privilège ! Se soigner, nous l’avons vu au cours de la crise sanitaire, est essentiel.

Surtout, l’ensemble des agents publics, d’ici à 2026, bénéficiera d’une prise en charge par l’employeur de 50 %, équivalente à celle qui est versée aux personnes travaillant dans le privé. C’est un progrès social majeur, acquis grâce au dialogue social.

Nous avons également conclu, au cours des dernières semaines, un accord majoritaire sur la négociation collective dans la fonction publique, qui a permis à celle-ci, quelques semaines après que j’ai ouvert une négociation sur le télétravail, d’être à la pointe du progrès dans le cadre d’une nouvelle organisation du travail.

Cette négociation a fait l’objet d’un accord unanime de l’ensemble des organismes syndicaux et des organisations des employeurs publics. Elle traite du droit à la déconnexion, de l’égalité entre les hommes et les femmes et du télétravail, afin de sortir d’un télétravail subi, pour aller vers un télétravail choisi.

Surtout, nous devons cesser d’être vus, en tant qu’employeurs publics, comme une organisation à côté de la société, toujours en retard, et loin des évolutions de notre temps.

Toutes ces avancées, je les revendique en tant qu’avancées collectives. Si nous y sommes arrivés, c’est parce que nous avons travaillé dans le cadre du dialogue social.

M. Patrick Kanner. Il n’y a pas eu d’augmentation du point d’indice depuis 2017 !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. C’est la raison pour laquelle j’ouvre une conférence sur les perspectives salariales. En effet, il y a des sujets qui ne se règlent pas en un après-midi, à coups de points d’indice. Je pense aux carrières, aux contractuels, aux mobilités, à l’attractivité et à la gestion des carrières. Je traiterai de ces sujets avec la même ambition d’un dialogue social approfondi.

Enfin, la réforme de la haute fonction publique, je tiens à vous le dire, a fait l’objet d’instances formelles et informelles et de discussions avec les organisations syndicales. Elle a recueilli non pas un avis contraire unanime, mais, à l’inverse, un soutien des uns ou des autres sur des points essentiels. Globalement, des éléments très positifs remontent des organisations syndicales. Il serait caricatural de considérer que nous n’écoutons personne et choisissons systématiquement le passage en force.

Quoi qu’il en soit, je vous remercie des échanges que nous venons d’avoir. Il me semblait utile de revenir, dans le détail, sur un certain nombre d’éléments. Simplement, j’aurais aimé connaître votre vision, puisque, manifestement, certains d’entre vous ne sont pas d’accord avec cette réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.

proposition de loi tendant à permettre l’examen par le parlement de la ratification de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’état

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre l'examen par le Parlement de la ratification de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

L’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est ratifiée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la ministre, vous nous demandez d’exprimer une vision. Mais alors, il fallait présenter un projet de loi, parce que la haute fonction publique et son avenir exigent une loi globale, qui soit l’occasion de clarifier, de débattre et de rendre lisible aux Français ce que l’on fait. En effet, ces derniers n’ont rien compris à votre histoire, en particulier s’agissant des mutations. Tout cela est hypertechnique et, dans bien des cas, selon moi, dangereux.

Vous nous expliquez maintenant qu’il fallait faire des contre-propositions ! Pour ma part, mes chers collègues, je ne vote jamais, sauf cas rarissime, les habilitations à légiférer par ordonnances. Le Parlement doit se faire respecter ; il faut dire non ! Nous ne l’avons pas fait. Désormais, avec le principe validé selon lequel la non-ratification fait loi, nous sommes totalement dépossédés de notre pouvoir, y compris pour modifier ce que contient l’ordonnance.

J’approuve la démarche visant à mettre les pieds dans le plat : on ne peut pas accepter cette méthode, qui est d’ailleurs révélatrice du contenu de la réforme.

Pour ma part, je suis pour une haute fonction publique qui soit indépendante et neutre, mais qui ne soit pas un État dans l’État. Pour ce faire, elle ne doit être ni soumise, de manière abusive, au pouvoir de l’exécutif, ni ignorante de l’importance du Parlement et des partenaires sociaux dans l’élaboration des réflexions et des solutions.

Or, justement, plus notre système institutionnel dévalorise le Parlement, plus votre culture du spoil system s’applique pour les hauts fonctionnaires, moins ceux-ci sont en respiration avec la réalité de ce pays, moins ils sont porteurs, dans la durée, d’une certaine complexité, entre la nécessité d’être efficaces, mais aussi de suivre la ligne politique du Gouvernement et de prendre en compte l’inscription dans le temps de ce qu’est l’État, qui n’est pas seulement un instrument aux mains du Gouvernement.

Enfin, le sujet majeur n’est pas traité, à savoir l’indépendance des hauts fonctionnaires par rapport aux lobbies et aux puissances économiques. Lors de l’examen de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, je me suis aperçue que 70 % des hauts fonctionnaires ayant œuvré sur ce texte travaillaient dans les grandes banques.

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce sujet central n’est pourtant jamais traité ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, depuis le début de notre débat, vous dites quelque chose de faux, car vous affirmez que vous faites une réforme, alors que tel n’est pas le cas. En effet, votre ordonnance n’est qu’une déconstruction du texte de 1945. Vous prenez tous les articles un à un et vous les abolissez.

Vous mettez ainsi à mal une construction républicaine qui nous réunit tous. Comprenez-vous cela ? C’est très important ! Cessez de dire que vous faites une réforme. Vous déconstruisez ce qui a été construit, à partir de la Résistance, avec le général de Gaulle, Michel Debré et bien d’autres. Vous le savez aussi bien que moi. Dès lors, pourquoi ne le dites-vous pas ?

Il n’y aura plus de corps d’inspection. L’indépendance des inspecteurs généraux, y compris à l’égard du ministre, auxquels ils ont le devoir de dire la vérité, sera mise à mal.

Quant au corps des préfets, il existe bel et bien ! Cela fait quarante ans que je travaille avec des préfets, et j’ai une haute estime pour eux. Vous aurez demain des préfets intermittents, intérimaires, fonctionnalisés, contractualisés. Je vois très bien de quoi il s’agit : c’est un système qui met en cause toute une cohérence républicaine, laquelle est nécessaire à l’heure de la décentralisation.

Pour ma part, je suis à la fois pour une forte décentralisation et pour un pouvoir de l’État fort et solide. Cela ne signifie pas un État omnipotent ; il s’agit simplement de laisser ce dernier faire ce qu’il a à faire avec cohérence.

Madame la ministre, vous ne menez pas une réforme : vous vous contentez de déconstruire le texte de 1945. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et Les Républicains.)

Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

La loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique et l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État sont abrogées.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Mes chers collègues, nous sommes pour ou contre la réforme, mais nous ne pouvons pas nous quitter en ne décidant rien !

Cet amendement, particulièrement radical dans sa rédaction, vise à supprimer la réforme, en abrogeant l’ordonnance et en demandant au Gouvernement de tout reprendre à zéro et de gérer correctement la situation.

Cette proposition s’inscrit dans la logique de ceux qui ont considéré que cette réforme n’était pas bonne. Faire un débat pour le plaisir ne sert à rien ; il vaut mieux rester à la maison. Il nous faut voter et dire si nous sommes pour ou contre la réforme. L’adoption de cet amendement permettrait à ceux qui le souhaitent d’exprimer leur désaccord avec la réforme et de rejeter le système dans son ensemble.

Sinon, nous aurons discuté pendant deux heures pour rien, et tout continuera comme avant.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Monsieur Masson, les dispositions de l’amendement n° 2 vont au-delà de ce que vous venez de dire. Il s’agit en effet d’abroger non seulement la présente ordonnance, mais aussi la loi de transformation de la fonction publique. Vous êtes hors sujet, et d’ailleurs il n’est pas question de toucher à cette loi.

La commission est donc défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je pense, comme Mme la rapporteure, que cet amendement va bien au-delà du sujet. La loi de transformation de la fonction publique, promulguée en août 2019, est porteuse de nombreuses avancées ayant fait l’objet de multiples débats.

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Pour ma part, je suis contre l’ordonnance et je n’ai pas voté la loi en question.

Indépendamment de cela, rassurez-vous, madame le rapporteur, j’ai déposé des amendements de repli visant à supprimer chaque article de l’ordonnance. Rassurez-vous, j’ai de la suite dans les idées !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de dix-sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 1, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Remplacer le mot :

ratifiée

par le mot :

abrogée

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 1 est retiré.

En conséquence, la discussion commune ne se justifie plus. Les seize amendements suivants vont donc être examinés successivement.

L’amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article premier de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Cet amendement vise à répondre à l’objection soulevée par Mme le rapporteur, puisqu’il s’agit de supprimer l’article 1er de l’ordonnance.

On ne peut pas dire que l’on n’est pas d’accord avec la réforme et refuser de voter des amendements visant à supprimer les articles de l’ordonnance, qu’il convient, selon moi, de réduire à néant.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Il n’est pas question d’abroger les articles de l’ordonnance. La commission, qui manque d’éléments, a proposé la non-ratification. Le chantier réglementaire reste à mener, et des missions, notamment la mission Bassères, n’ont pas encore rendu leur rapport. Mme la ministre a également créé une nouvelle mission sur l’attractivité de la fonction publique. Nous manquons donc d’informations pour ratifier.

Par conséquent, la commission est défavorable à l’ensemble des amendements déposés par M. Masson.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Dans la mesure où mon avis sera constant, je puis d’ores et déjà me dire défavorable aux seize amendements restant en discussion.

Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour indiquer que le chantier réglementaire se poursuit. Il est important que je puisse venir vous rencontrer en commission des lois ou dans un autre cadre, pour détailler la manière dont nous reconstruisons, dans l’esprit de 1945 de défense de la République, de son unité, de son efficacité et de sa proximité.

Je ne m’exprimerai pas sur ces seize amendements, mais je me tiens bien évidemment à la disposition de celles et ceux qui souhaiteraient connaître en détail la manière dont nous mettrons en œuvre les principes figurant dans cette ordonnance. Je reste à votre disposition sur ce sujet majeur.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est trop aimable ! (Sourires sur les travées des groupes CRCE, SER et Les Républicains.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 2 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Cet amendement tend à s’inscrire dans la même logique que le précédent.

Je constate que la commission et l’ensemble de mes collègues sont très heureux d’avoir discuté pendant deux heures pour rien. Discutons donc cinq minutes de plus pour examiner mes amendements les uns après les autres !

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 3 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Continuons à perdre notre temps ! Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 5 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 4 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 5 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 6 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame la présidente, avec le même argumentaire que précédemment.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 8 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 7 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame la présidente, avec le même argumentaire que précédemment.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 9 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 10 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 8 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame la présidente, avec le même argumentaire que précédemment.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 11 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 9 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame la présidente, avec le même argumentaire que précédemment.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 11 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 12 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 10 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame la présidente.

Je fais remarquer au passage que, les sénateurs non inscrits ne disposant que d’un temps de parole très limité, j’aurais pu prendre deux minutes pour présenter chaque amendement. Mais j’ai de la compassion pour mes collègues qui ne partagent pas mon point de vue !

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 12 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 11 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 13 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 14 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 12 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 14 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 15 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 13 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 15 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 16 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 14 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 16 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 17 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 15 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 17 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 18 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - L’article 16 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État est abrogé.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 18 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre l'examen par le Parlement de la ratification de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, il est probable que, à une large majorité, le texte ne sera pas ratifié.

Je veux maintenant vous poser en face une question très importante : dès lors qu’une assemblée du Parlement refuse, ce qui est son droit et, selon moi, son devoir, un texte ayant autant de conséquences, que ferez-vous ? Je vous demande une réponse précise.

Selon moi, le Gouvernement a deux solutions.

La première, c’est d’en prendre acte et, a minima, de saisir l’Assemblée nationale, qui pourrait débattre de cette question, avant la réunion d’une commission mixte paritaire. Si cette dernière n’aboutissait pas, un nouveau débat se tiendrait devant le Sénat et l’Assemblée nationale, celle-ci ayant le dernier mot. Ainsi, le Parlement dans son ensemble serait saisi d’un sujet aussi essentiel pour la République. J’espère que vous adopterez cette première solution et que vous nous l’annoncerez ici.

La seconde solution – je m’adresse à vous personnellement, madame la ministre – est de ne pas prendre en compte la position du Sénat. Vous avez dit tout à l’heure à cette tribune que la réforme était « irréversible ». Si tel est le cas, alors que l’une des deux assemblées du Parlement a marqué, en s’appuyant sur des arguments forts, son désaccord, cela pose un réel problème.

Je vous le dis en face, si vous adoptiez cette seconde attitude, ce serait profondément antirépublicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Je ne partage pas du tout l’avis de notre collègue Jean-Pierre Sueur. La Constitution, c’est la Constitution. Le Gouvernement n’est pas obligé, parce que le Sénat rejette ce texte, de le soumettre à l’Assemblée nationale.

Le Sénat n’avait qu’à assumer ses responsabilités et rejeter cette ordonnance. Tout le reste n’est que de la mascarade ! On gesticule pour faire croire que l’on fait quelque chose ici. Mais quel que soit le vote d’aujourd’hui, il ne se passera rien. Il fallait prendre position sur l’ordonnance ; on ne l’a pas fait, il faut l’assumer.

À mes yeux, tout cela est du cinéma. Je ne participerai donc pas au vote.

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Je voudrais revenir sur la signification de notre initiative commune et sur le vote qui aura lieu, par scrutin public, me semble-t-il, dans quelques instants.

Nous voterons, avec d’autres, contre cette proposition de loi. Nous voulons ainsi manifester notre opposition à l’ordonnance. Depuis le début, madame la ministre, vous faites mine de ne pas comprendre ! Nous n’en pouvons plus de la dépossession des pouvoirs du Parlement.

Le recours incessant aux ordonnances permet au Gouvernement de faire la loi. Soit. Toutefois, y compris au temps du général de Gaulle et de ses successeurs, les ordonnances étaient ratifiées. Aujourd’hui, ce qui marque votre pratique des ordonnances, c’est que vous ne voulez plus ratifier. Ainsi, seulement 18 % des textes sont ratifiés. D’un côté, toujours plus d’habilitations ; de l’autre, toujours moins de ratifications !

C’est cela qui nous choque, d’autant plus qu’il s’agit, en l’espèce, de réformer la haute fonction publique, notre administration, donc l’État, au moment où, la France traversant une crise civique et démocratique, la défiance monte à son égard.

Il faut refaire l’État pour lui donner davantage de puissance de protection et davantage d’impulsion. Or ce que vous nous avez proposé, madame la ministre, ne réglera rien du tout. La vision pseudo-managériale dont témoigne votre propos ne convient pas aux missions de long terme qui sont celles de l’État. C’est ce que nous avons voulu dire.

Néanmoins, notre vote sera avant tout un vote de protestation contre le mépris dont vous gratifiez le Parlement en le dépossédant de ses droits, ce mépris que vous avez si bien exprimé ce matin dans Le Figaro, madame la ministre – je vous remercie de l’avoir fait : c’est très éclairant ! (Mme Cécile Cukierman sesclaffe.)

Il sera aussi, et d’un même mouvement, un vote d’opposition à cette vision en définitive très technocratique, par laquelle le politique, abdiquant son courage et sa responsabilité, se défausse sur la haute fonction publique.

Je voudrais dire à tous les fonctionnaires, de quelque niveau que ce soit, qu’ils sont l’honneur du pays. Notre haute fonction publique, de nombreux pays de par le monde nous l’envient ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour explication de vote.

M. Pierre Médevielle. La période précédant l’élection présidentielle, qui est souvent une période agitée – j’ai parlé de « balles » lors de la discussion générale, et l’on entend des balles siffler plus que des balles perdues –, nous offre parfois des alliances étonnantes.

Nous regrettons que cette alliance-ci n’ait pas été en mesure de formuler des propositions, aucun amendement n’ayant été déposé, sinon ceux de M. Masson. C’était donc une alliance de blocage et de refus.

Cette réforme, nous l’appelions de tous nos vœux, à droite et au centre. Nous avons voté l’habilitation ; souhaitant rester lisibles, crédibles et clairs – je doute que les gens qui suivent notre séance comprennent exactement ce qui s’y passe – s’agissant d’une réforme que, je le redis, nous appelions de tous nos vœux, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront en grande majorité pour ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat, pour explication de vote.

Mme Françoise Férat. Nous avons abordé ce débat avec toute l’objectivité qui était possible.

Force est de constater que les arguments des uns et des autres, et les vôtres en particulier, madame la ministre, ne nous permettent pas de trancher en faveur de ce texte.

Le groupe Union Centriste ne participera donc pas au vote.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Je formulerai quelques remarques, madame la présidente. Nous ne voterons pas cette proposition de loi, pour les raisons que j’ai rappelées lors de la discussion générale et que ma collègue Marie-Noëlle Lienemann, parmi bien d’autres, a rappelées elle aussi.

Il ne faut duper personne : coexistent ici – nous avons été un certain nombre à le dire – un débat de forme et un débat de fond.

Sur la forme, le recours excessif, parfois même abusif, aux ordonnances, ainsi que la possibilité accrue de non-ratification posent, année après année, un véritable problème de séparation des pouvoirs.

Par ailleurs, sur le fond, madame la ministre, nous ne partageons pas votre vision de la réforme de la fonction publique dans son ensemble et, en l’occurrence, de la haute fonction publique. Il y va de ce qui fait la grandeur de l’État, un État qui doit répondre aux nombreux défis et enjeux de demain sans négliger l’exigence de continuité.

Je dirai un mot, enfin, pour rassurer ceux qui ont fait part de leurs inquiétudes : il n’y a là aucune alliance contre-nature. Qu’il s’agisse de propositions de loi, d’amendements ou de rapports, le Sénat sait régulièrement voter de façon unanime, en tout cas transpartisane, à l’image, d’ailleurs, de ce qui se passe dans un certain nombre de communes – voyez la composition de certaines équipes municipales.

Il n’y a donc pas lieu d’hystériser cette situation. Oui, il y a ce soir, comme il y a eu dans le passé et comme il y aura encore dans l’avenir, une rencontre entre plusieurs groupes politiques autour d’un même vote. C’est aussi cela, savoir prendre les bonnes décisions en s’inspirant des réalités vécues !

Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.

M. François Patriat. Le groupe RDPI votera bien entendu ce texte, et cela pour trois raisons.

Premièrement, cette réforme de la fonction publique, Mme la ministre l’a très bien dit, est demandée depuis des années, voire des dizaines d’années. Tout le monde souhaitait s’y atteler, personne ne l’a faite. Et la présente réforme répond aux nécessités de notre temps.

Deuxièmement, le Gouvernement, que certains accusent d’aller trop vite aujourd’hui, tient ses engagements, ce qui n’est pas si fréquent. Il les tient, et vous lui reprochez de le faire dans la précipitation ? Il a pourtant beaucoup consulté, et sa réforme répond à des impératifs reconnus.

Troisièmement, non, ma chère collègue, il n’y a pas d’alliance contre-nature, mais il y a bien une alliance de la carpe et du lapin – nous y sommes habitués. Le seul projet de l’opposition sénatoriale, c’est « tous contre Macron », « tous contre le Gouvernement ».

M. Bruno Retailleau. Nous avons voté les deux tiers des textes qui nous ont été soumis !

M. François Patriat. Quoi qu’il fasse, c’est sujet à réprobation, à refus, à rejet – je le dis en toute amitié à mes collègues ici présents.

Cette posture, ce soir, tourne au ridicule. Quand les Français s’apercevront que les tenants d’une proposition de loi qu’ils ont eux-mêmes déposée ont, au bout du compte, voté contre, ils auront non pas de quoi rire, peut-être, mais en tout cas de quoi réfléchir.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je continue d’affirmer que cette réforme est nécessaire. Elle a été promise par tous les gouvernements qui nous ont précédés. Nous avons, nous, été au bout de la rédaction d’une réforme qui a d’ailleurs été validée par le Conseil d’État et qui avait fait l’objet de très nombreuses consultations.

Monsieur le président Retailleau, vous vous adressez aux fonctionnaires. Je tiens à dire néanmoins que, dans le programme du parti qui est le vôtre, il est écrit en toutes lettres que vous voulez supprimer le statut des fonctionnaires !

Ce que vous avez dit, hélas, ne saurait convaincre les Français, car aucun contre-projet concret n’y est esquissé ; or c’est bien là tout l’enjeu. L’honneur du Parlement aurait été de décider soit de ratifier soit d’abroger. Mon impression est que nous n’avons pas de réponse claire à la question de savoir ce que vous auriez fait à notre place. Vous vous exprimez, mais par un vote qui n’est pas très lisible.

J’ai en tout cas été heureuse de pouvoir venir vous parler de ce sujet, et je serai évidemment tout aussi heureuse de revenir vous en parler si vous m’invitez à l’avenir.

M. Patrick Kanner. Et la réponse à M. Sueur, madame la ministre ?

M. Jean-Pierre Sueur. J’ai posé une question précise et essentielle. Je constate que Mme la ministre n’y a pas répondu !

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’article unique de la proposition de loi tendant à permettre l’examen par le Parlement de la ratification de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État.

J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, l’autre, du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 1 :

Nombre de votants 276
Nombre de suffrages exprimés 257
Pour l’adoption 32
Contre 225

Le Sénat n’a pas adopté.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre l'examen par le Parlement de la ratification de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État
 

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Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 7 octobre 2021 :

À dix heures trente :

Vingt-neuf questions orales.

À quatorze heures trente :

Débat sur le thème : « Les droits des personnes en situation de handicap sont-ils effectifs et respectés ? » ;

Débat sur le thème : « Harcèlement scolaire et cyberharcèlement ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures dix.)

 

nomination dun membre dune délégation sénatoriale

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a présenté une candidature pour la délégation aux droits des femmes et à légalité des chances entre les hommes et les femmes.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Hussein Bourgi est proclamé membre de la délégation aux droits des femmes et à légalité des chances entre les hommes et les femmes.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER