Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Avec les mesures qui nous sont présentées de nouveau aujourd’hui après avoir été largement censurées par le Conseil constitutionnel en mai dernier, on se dote d’outils de surveillance massive toujours plus prégnants sur notre territoire. Des caméras individuelles portées par les membres des forces de l’ordre et, désormais, par les agents de la RATP et de la SNCF, on passe à la démultiplication des caméras embarquées sur le matériel roulant, en plus des caméras de vidéosurveillance fixes déjà largement implantées dans notre espace public. À tout cela s’ajoute un cadre juridique pour les caméras aéroportées sur des engins volants sans pilote, les drones.

Toujours plus de moyens sont donc déployés pour lutter contre la délinquance, si l’on y ajoute le code de la justice pénale des mineurs et la loi confortant le respect des principes de la République, pour ne citer que les textes les plus récents : le but serait d’arriver au niveau zéro en matière de délinquance. On s’achemine ainsi vers une société totalement aliénée, telle que celle qu’a décrite George Orwell dans 1984. Ce choix est extrêmement grave. Si l’on avance sur la répression, on recule sur les libertés !

Pour ce qui est du volet relatif à la responsabilité pénale, vous répétez à l’envi, monsieur le ministre, que l’on ne juge pas les fous ; hélas, la soif de réformes sécuritaires de ce gouvernement dément vos propos, comme le relève le magistrat Denis Salas : « Dans le vide créé par le déclin de l’État social s’installe une idéologie pénale ségrégative. Ce discours ne se sent plus responsable du vivre ensemble. Il cesse d’énoncer les voies d’une communauté politique où tous auraient leur place. »

Vous pénalisez la maladie mentale, tandis que vous poursuivez la casse de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie. Tout cela est plus qu’inquiétant pour notre cohésion nationale et pour l’avenir que ce genre de politique réserve à notre pays.

Nous continuerons à nous y opposer résolument et nous voterons la question préalable déposée par nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure
Articles 1er, 1er bis, 2, 3, 3 bis A (nouveau), 3 bis et 3 ter (réservés)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, permettez-moi d’exprimer d’abord un regret au sujet du calendrier : alors que les États généraux de la justice ne font que débuter, je trouve regrettable de traiter le sujet de l’irresponsabilité pénale maintenant, qui plus est avec un texte incomplet, dont l’utilité est contestable.

Le Sénat a adopté le 25 mai dernier une proposition de loi, qui découlait d’un rapport de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, rédigée par notre collègue Jean Sol et inspirée d’une proposition que j’avais moi-même déposée.

Monsieur le ministre, vous avez défendu le présent texte en invoquant l’adage Nemo auditur…, mais il se trouve, au vu d’une jurisprudence constante et répétée encore récemment, ainsi que des critiques qu’a suscitées la première version de la proposition de loi que j’avais déposée, que la conclusion est claire : la turpitude du fou, cela ne fonctionne pas. !

Le rapport que vous aviez demandé à MM. Houillon et Rambourg sur ce sujet indique justement qu’il ne convient pas de modifier l’article 122-1 du code pénal. S’il ne faut pas altérer les dispositions qui y figurent aujourd’hui, c’est précisément parce que l’on ne juge pas les fous.

Le débat d’aujourd’hui est donc difficile et, surtout, incomplet. J’aurais souhaité que ce ne soit pas le cas et que le Gouvernement puisse répondre à un certain nombre de questions.

Ainsi, que fait-on des 326 non-lieux pour abolition du discernement et des 13 495 classements sans suite pour irresponsabilité pour troubles mentaux de la personne mise en cause ? Voilà presque 14 000 affaires qui laissent les familles en détresse. Nous ne sommes même pas certains de la qualité du suivi de ces personnes. Aucune disposition n’est non plus reprise de l’excellent rapport d’information de nos collègues Jean Sol et Jean-Yves Roux sur l’expertise psychiatrique.

Ce texte est donc éminemment faible, alors que l’on aurait pu attendre un projet de loi beaucoup plus global. Les familles endeuillées attendent un jugement ; c’est la raison pour laquelle notre commission avait adopté le dispositif qu’elle reprend aujourd’hui.

Monsieur le ministre, le débat contradictoire issu de la procédure Dati, dont vous nous expliquerez, à un moment ou à un autre, qu’il pourra remplacer une procédure de jugement n’en est pas une : il n’aboutit pas au prononcé d’une peine. Il s’agit simplement d’une juridiction d’instruction au deuxième degré.

Même si la Cour de cassation et, plus récemment, le Conseil constitutionnel tentent de rapprocher ses audiences de celles d’une juridiction de jugement, la chambre de l’instruction garde ses spécificités : le débat contradictoire peut se tenir en l’absence de la personne mise en examen, alors que la chambre criminelle de la Cour de cassation a développé une jurisprudence constante de sursis à statuer lorsque le prévenu est hors d’état de comparaître. Seul le pourvoi en cassation est possible contre la chambre de l’instruction, qui exclut les voies de recours ordinaires.

L’irresponsabilité pénale doit donc être revue dans son ensemble, et non par le biais du sparadrap que vous nous proposez aujourd’hui, sachant que les règles de l’article 45 de la Constitution s’appliquent.

Les mesures de sûreté sont en outre évidemment insuffisantes au regard des préconisations du rapport de MM. Houillon et Rambourg.

Nous aurions souhaité un texte plus complet et plus sérieux sur ce sujet, qui mérite mieux que le texte que vous nous avez proposé et qui me laisse l’impression d’un gâchis. Même si nous sommes tout à fait conscients des difficultés qui se posent, le projet de loi dans sa version gouvernementale reste insuffisant. Nous voterons donc le texte présenté par la commission des lois.

Quant aux articles qui portent sur la sécurité, ils sont encore un autre volet de ce texte melting pot. Nous avons été particulièrement attentifs à la préservation des libertés et au respect de la vie privée, notamment pour tous les dispositifs de captation d’images.

Qu’il s’agisse des caméras-piétons, des caméras embarquées dans des véhicules, ou des drones, le recours à l’image est de plus en plus présent dans le quotidien de nos forces de sécurité intérieure, qui n’en sont par ailleurs pas toutes équipées. Chacun comprend l’intérêt de ces images pour prévenir certaines infractions, rechercher leurs auteurs, ou encore s’assurer que les policiers et les gendarmes respectent l’ensemble des règles légales et déontologiques qui doivent encadrer l’action d’une police républicaine.

Il ne s’agit pas pour autant de pouvoir tout filmer. Notre droit fixe des limites ; de ce point de vue, M. le rapporteur Loïc Hervé a su faire preuve de vigilance en faisant respecter ces règles. Le Gouvernement aurait gagné à écouter le Sénat plus tôt, car nous avons déjà remis l’ouvrage sur le métier à plusieurs reprises.

Comme vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera ce texte dans la rédaction de la commission des lois.

Monsieur le ministre, laissez-moi enfin vous redire que, même si nous saluons votre présence au banc du Gouvernement, un sujet d’une telle importance, qui comporte en outre des éléments techniques, aurait mérité que nous puissions débattre avec les ministres directement concernés, dès la discussion générale.

Certes, les mesures relatives à la sécurité doivent être rapidement adoptées, à la suite des décisions du Conseil constitutionnel. En revanche, l’irresponsabilité pénale est un sujet qui mérite une réflexion plus approfondie. Comme M. Sueur l’a rappelé tout à l’heure, nous avons eu un débat de qualité au mois de mai dernier, qui faisait suite à celui que nous avions engagé avec Mme Belloubet en 2018.

Nous devons continuer de travailler en ce sens, de manière à conforter les victimes qui attendent un jugement et qui veulent comprendre les décisions prises. En l’état, le texte que vous nous proposez, monsieur le ministre, n’est ni suffisant ni satisfaisant. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a préféré le modifier ; nous le voterons donc dans la rédaction issue de ses travaux. (M. le rapporteur applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si vous avez un jour l’occasion de parcourir les Archives parlementaires, vous découvrirez à la date du 1er août 1789, alors que les membres de la jeune Assemblée nationale constituante sont à quelques jours d’adopter les décrets abolissant les privilèges, lors de la célèbre nuit du 4 août, l’intervention d’Antoine-François Delandine.

Ce juriste était député du Forez, ancienne province rurale située dans l’actuel département de la Loire, qui fut plus tard le berceau de quelques personnalités, telles que Pierre Boulez ou Aimé Jacquet. Si vous en avez l’occasion, faites-y un détour pour y goûter son fromage, la fourme de Montbrison ! (Sourires.)

M. Loïc Hervé, rapporteur. C’est là-bas que nous partirons en vacances !

M. Jean-Claude Requier. Oui, mes chers collègues, le Sénat reste l’assemblée des terroirs et des territoires !

Pour en revenir à mon propos et à un sujet d’importance nationale, le député Delandine, dont la postérité est restée assez limitée, bien qu’il devînt par la suite directeur de la bibliothèque municipale de Lyon, s’exprima en ces termes : « Sans doute, l’homme doit savoir qu’il est libre, mais il faut faire plus que de le lui déclarer, il faut ordonner qu’il l’est ; la loi qui empêchera qu’on attente à sa liberté prouvera mieux que tous les raisonnements que la liberté de l’homme est naturelle et sacrée, cette loi fera plus pour le bonheur public et notre sûreté individuelle que tous les préambules et les préliminaires. »

Que retenir de ces propos, sinon que les temps changent, mais que les principes de notre société paraissent demeurer intacts ? Aujourd’hui comme hier, il ne suffit pas de clamer la liberté pour être libre. La liberté doit se concrétiser dans des dispositifs parfois exigeants et souvent complexes. Nous devons veiller à ce qu’ils s’appliquent à tous, de même que chacun d’entre nous doit pouvoir bénéficier des conditions garantissant sa sûreté, sa sécurité et sa sérénité.

Il me semble qu’au travers de ce projet de loi le Gouvernement veut œuvrer en ce sens. Il y fixe des objectifs pluriels en nous proposant des dispositions sur la responsabilité pénale, qui font suite à l’affaire Halimi, et d’autres qui sont liées à la loi Sécurité globale ou à des questions de procédure pénale.

Comme les orateurs précédents ont pu le rappeler, le Sénat s’était emparé très tôt de certaines de ces questions, dont celle de la responsabilité pénale et des suites législatives à donner à l’affaire Halimi. Je veux saluer à nouveau les travaux menés par nos collègues Jean-Yves Roux, Jean Sol, Nathalie Delattre et Nathalie Goulet. Ils avaient abouti à l’adoption d’une proposition de loi dont l’article 1er du texte que nous soumet la commission reprend l’un des dispositifs.

S’agissant de l’irresponsabilité pénale, ce projet de loi évite un écueil en créant de nouvelles infractions plutôt que de revenir sur le principe fondamental de notre droit qui s’exprime à l’article 122-1 du code pénal.

D’un côté, il faut saluer le dispositif proposé, car il évite d’ouvrir le champ des exceptions au principe de l’irresponsabilité pénale de celui qui souffre d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ; de l’autre, le nouveau texte contient sa part de risque, car il introduit bon nombre de notions qu’il faudra interpréter. Soutenir ce texte imposera donc de faire preuve d’une vigilance renforcée quant à l’application concrète que connaîtront ces infractions si elles viennent à être appliquées.

S’agissant des suites faites à la censure partielle par le Conseil constitutionnel de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, notre groupe reste partagé, tout comme il l’avait été lors de l’examen de ce texte au mois de mars dernier.

Si nous comprenons la nécessité des dispositions proposées et leurs objectifs, nous considérons que certains mécanismes comportent encore des risques : même si ceux-ci ne sont plus d’ordre constitutionnel, il n’en reste pas moins que ces dispositions remettent en question une certaine idée de notre société en élargissant toujours plus l’usage des drones et de la vidéosurveillance.

Enfin, une disposition spécifique du texte soulève quelques inquiétudes, à l’article 12. Il y est prévu la possibilité de maintenir en détention provisoire une personne présentée devant une juridiction incompétente en raison d’une erreur sur sa majorité ou sa minorité. Il y a lieu de s’interroger sur un tel dispositif, qui risque de faire peser sur les prévenus, au demeurant mineurs, les dysfonctionnements des juridictions.

Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que le groupe du RDSE n’est pas unanime. Au titre de sa diversité, chacun de ses membres bénéficiera d’une pleine liberté de vote.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous avons déjà examiné et, pour certains d’entre nous, voté six lois relatives à la justice, alors que la réforme de la justice pénale des mineurs entreprise sur votre initiative est entrée en vigueur, alors que des mesures ont été adoptées qui devaient rétablir la confiance dans la justice – monsieur le ministre, le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a bel et bien été voté, nous sommes dans l’après ! –, alors que les cours criminelles départementales, qui n’étaient qu’une expérimentation – il ne devait y en avoir que neuf, selon Madame Belloubet –, ont été généralisées, de sorte qu’on ne peut plus en débattre, alors enfin que, à l’évidence, monsieur le ministre, tout est déjà tranché, voilà que s’entamerait une vaste consultation, voilà que s’ouvrent des États généraux de la justice !

Monsieur le ministre, nous sommes entre nous, ou presque… (Sourires.) Ne pensez-vous pas qu’il eût été préférable que de tels États généraux précédassent la mise en œuvre de ces lois, leur adoption, leur vote, leur discussion ? Ne pensez-vous pas que cela eût été simplement raisonnable ?

On nous explique maintenant que s’ouvre l’ère des États généraux de la justice, mais nous sommes ici pour examiner un texte sur la responsabilité pénale, en l’absence du ministre de la justice. Il y a là quelque chose de totalement incongru ! Comment voulez-vous que nous ne pensions pas, comme tout le monde à vrai dire, qu’il s’agit simplement d’offrir à M. le Président de la République l’occasion de prononcer un premier discours à l’ouverture des États généraux, puis un second à leur clôture ? Personne n’est dupe ! Il y a là quelque chose qui ne va pas.

Le texte dont nous devons pourtant débattre est pour le moins bizarre. Alors que l’on nous fait souvent reproche d’introduire des cavaliers législatifs, il est composé de deux parties très différentes qui ne sont jointes l’une à l’autre que pour les besoins de la cause – sans doute faut-il que soient adoptées le plus grand nombre de dispositions possible, en dépit des États généraux ! Nous voilà donc dans l’obligation de voter en une seule fois sur deux sujets, alors que nous avons le droit d’avoir un point de vue différent sur chacun d’entre eux.

Le crime terrible, abominable, barbare dont a été victime Sarah Halimi a provoqué dans toute la Nation une émotion qui perdure aujourd’hui. Il a donné lieu à une décision de justice qui a considéré tout à la fois qu’il s’agissait d’un crime antisémite et que son auteur était irresponsable. Cela suscite une interrogation légitime de la part de nos concitoyens : si l’intention est antisémite, comment l’auteur du crime peut-il être irresponsable et privé de discernement ?

Voilà pourquoi, sur l’initiative de Mme Goulet et de M. Sol, notre assemblée a examiné deux propositions de loi sur le sujet. Notre groupe restera fidèle à la position qu’il avait alors défendue. Considérant qu’il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre, nous sommes profondément attachés au maintien en l’état de l’article 122-1 du code pénal, car il n’y a pas lieu de le compléter.

C’est pourquoi nous avons proposé – il reste à en débattre – d’ajouter, après l’article 122-9 du code pénal, un article ainsi rédigé : « Est pénalement responsable la personne qui a volontairement provoqué une perte de discernement aux fins de commettre l’infraction, notamment par la consommation de boissons alcooliques, de drogues toxiques, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de substances ayant des effets similaires. »

Nous avons aussi proposé de définir dans la loi le discernement comme étant « la conscience de l’acte commis, de ses conséquences et la capacité à en apprécier la nature et la portée ».

Nous défendrons ces mêmes dispositions à l’occasion de l’examen du présent texte. Même si la rédaction en reste discutable, nous voterons l’article 1er dans sa rédaction actuelle, quand bien même notre amendement ne serait pas adopté. En revanche, l’article 2 nous paraît trop large et trop imprécis pour que nous puissions le soutenir. Il fragiliserait juridiquement le dispositif, dans la mesure où il serait très difficile de prouver que l’auteur d’un crime qui aurait ingéré des substances avant de le commettre en connaissait les effets au moment des faits.

J’en viens au second volet de ce projet de loi ; je veux dire très clairement que nous soutiendrons une partie des mesures qui y figurent, en particulier celles qui répriment les atteintes contre les forces de l’ordre et celles qui renforcent le contrôle des armes à feu pour en limiter le trafic.

En revanche, l’extension de la vidéosurveillance nous pose problème, dans la mesure où les conditions ne nous paraissent pas suffisamment bordées pour garantir le respect des libertés publiques, qu’il s’agisse de l’utilisation des drones ou de la vidéosurveillance en garde à vue. Même si nous ne nous y opposons pas dans le principe, nous ferons des propositions pour l’encadrer davantage.

Nous ne soutiendrons pas non plus la disposition relative au vol à l’étalage ; nous nous en expliquerons.

Nous nous opposerons aussi à la prise forcée d’empreintes sur des mineurs non accompagnés, conformément aux recommandations qui figurent noir sur blanc dans l’étude d’impact. L’idée de contraindre physiquement des enfants à justifier de leur identité ne nous paraît ni proportionnée ni judicieuse.

Sur tous ces sujets, nos amendements reprendront soit la position de la Cour de cassation, soit celle de la CNIL, soit celle du Conseil national des barreaux.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Beaucoup a déjà été fait en ce sens !

M. Jean-Pierre Sueur. Certes, monsieur le rapporteur, mais on peut encore faire bien davantage pour préciser ces dispositifs et garantir les libertés publiques.

Mes chers collègues, c’est donc au regard du sort qui sera réservé à nos amendements que nous déterminerons notre vote sur l’ensemble, en regrettant – je le redis – de devoir in fine émettre un seul vote sur un texte si disparate. Cela ne nous paraît pas logique. Adoptée en raison tant des circonstances que de la constitution de ce texte, cette méthode n’est ni cohérente ni conforme à l’idée que nous nous faisons d’une bonne législation. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais exprimer la satisfaction du groupe RDPI devant l’introduction dans ce projet de loi de deux dispositions qui nous semblent majeures. L’une, relative à notre droit pénal, porte sur la redéfinition du champ de l’irresponsabilité ; l’autre, relative aux moyens dont disposent les forces qui assurent la sécurité publique, concerne l’utilisation des caméras sur drones.

Le premier point constitue une évolution significative, voire majeure, de notre droit. En effet, nous continuons d’être confrontés à des cas graves de criminalité qui ne trouvent pas de solution satisfaisante à cause d’une définition à nos yeux trop large de la notion d’irresponsabilité. L’affaire du meurtre de Sarah Halimi reste symbolique de ces manquements à la justice élémentaire, mais Mme Goulet a très justement rappelé qu’il en existait bien d’autres.

Dans notre droit, comme dans tous les systèmes légaux issus de la philosophie des Lumières, sont exonérés de responsabilité les auteurs de meurtre ou d’atteinte grave à la personne que leur état mental a privés de discernement, c’est-à-dire de maîtrise de leur volonté, au moment des faits.

Cependant, comme l’a expliqué de manière lumineuse l’avocate générale de la Cour de cassation dans l’affaire Halimi, cette législation ne prévoit aucune règle particulière dans le cas où la perte de discernement résulte d’un comportement conscient, par l’absorption de substances psychoactives.

Cette exonération de responsabilité pénale dans des cas d’agression extrême, fondée sur un agissement volontaire, choque les citoyens et chacun d’entre nous. Au-delà de l’opinion publique, il s’agit d’une question de principe, car une telle exonération heurte la définition de la culpabilité : dans une société de liberté et de responsabilité, on ne peut pas excuser un comportement d’agression par une addiction elle-même coupable.

C’est la raison pour laquelle nous approuvons pleinement les premiers articles du projet de loi, même si nous ne suivons pas Mme le rapporteur sur l’article 1er, lorsqu’elle considère que les cas sont rares et difficiles à prouver. Je rappellerai en réponse, non sans malice, que l’étymologie du mot « assassin » renvoie précisément aux membres d’une secte musulmane, active au Moyen-Orient durant le XIe siècle, que leur chef endoctrinait pour qu’ils commettent des assassinats sous l’empire du haschich, c’est-à-dire d’une substance stupéfiante.

Je me réjouis que nous ayons en revanche une analyse partagée de l’article 2, qui porte sur les cas les plus fréquents : non pas ceux dans lesquels la prise de substances proactives avant un acte prémédité serait volontaire et exceptionnelle, mais ceux où l’auteur des faits est tombé dans une addiction qu’il sait pouvoir lui faire commettre des actes graves.

Il me semble que cette réforme législative est bienvenue, car elle rétablit une cohérence tant légale que morale dans cette partie de notre code pénal.

L’autre novation forte de ce projet de loi porte sur l’utilisation des images obtenues à l’aide de drones par les forces de police. Parler de « novation » n’est pas sans ironie, alors que nous débattons depuis longtemps du sujet et que les deux assemblées ont voté la mesure, à une nette majorité, lors de l’examen de la loi Sécurité globale.

Nous avions – du moins pour un grand nombre d’entre nous et de manière collective – mésestimé les limites et les précautions nécessaires pour que l’utilisation de cet outil de sécurité, tout à fait performant, ne soit pas étendue jusqu’à prendre l’aspect d’une surveillance généralisée, quand bien même son but serait louable.

Dans sa décision du 20 mai dernier, le Conseil constitutionnel a confirmé que l’utilisation par les forces de police des caméras sur drones comme moyen d’information instantanée était conforme aux règles supérieures du droit. Il a cependant précisé que leur encadrement devait s’inspirer du régime applicable aux caméras fixes.

Je remercie M. le ministre de nous avoir apporté, au travers de l’amendement n° 83, le chaînon manquant, c’est-à-dire la possibilité de se saisir de ces images dans le cadre des procédures judiciaires.

L’encadrement qui est proposé se conforme en réalité à ce que le Conseil constitutionnel suggérait dans sa décision, et il paraît raisonnable. Il entraînera néanmoins vraisemblablement une période de rodage, car l’approbation d’une période de surveillance ainsi organisée par une commission départementale, avec peut-être cent jurisprudences différentes, supposera des ajustements.

Pour terminer, monsieur le ministre, je veux insister sur la nécessité d’élargir encore le droit d’utiliser des drones aux polices municipales. En effet, elles en auront besoin dans certains cas, certes limités. Nous avions trouvé un accord avec l’Assemblée nationale à ce sujet. Il faut donc rétablir cette possibilité.

Dans l’ensemble, les dispositions de ce texte sont utiles pour agir contre la criminalité ; nous aurons entre nous à ce sujet un dialogue exigeant, mais responsable.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons une fois encore le sujet délicat de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. La mort de Sarah Halimi a suscité à juste titre une vive émotion parmi nos concitoyens. La justice a rendu dans cette affaire une décision que beaucoup de Français n’ont pas comprise. La consommation régulière de stupéfiants par l’auteur de ce crime avait conduit à l’abolition de son discernement au moment des faits, et à la déclaration de son irresponsabilité pénale.

Le Président de la République a demandé au garde des sceaux de proposer une modification de la loi, afin que la consommation de stupéfiants ne puisse pas exonérer l’auteur des faits de sa responsabilité pénale.

Notre chambre avait proposé une rédaction visant à permettre la tenue d’un procès lorsque le trouble mental trouvait au moins partiellement sa cause dans un fait fautif de l’auteur. La commission a choisi de remplacer la formule du Gouvernement par celle du texte adopté le 25 mai dernier.

Nous comprenons parfaitement la position de la commission, qui souhaite qu’un procès se tienne. En même temps, il nous paraît utile d’aboutir à une rédaction qui permette de juger ceux qui s’intoxiquent volontairement afin de commettre une infraction et d’exclure pour eux le régime de l’irresponsabilité pénale.

Dans le texte que nous examinons, le Gouvernement nous propose de créer de nouvelles infractions tendant à réprimer la consommation volontaire de substances psychoactives ayant entraîné une abolition du discernement au cours de laquelle un crime a été commis et pour lequel l’auteur est déclaré pénalement irresponsable.

Nous soutenons pleinement l’intention du Gouvernement de ne pas laisser impunis ceux qui auront porté atteinte à autrui après avoir consommé des substances psychoactives. Nous saluons aussi les ajouts utiles du Sénat.

À cet égard, nous nous félicitons que les députés aient explicitement inscrit dans le texte que la consommation d’alcool ou de stupéfiants constitue une circonstance aggravante de la commission d’infractions. Cette solution, que le Sénat avait portée le 25 mai dernier, nous paraît essentielle.

Il s’agit d’un message de clarté et de fermeté qu’il est indispensable de relayer auprès de nos concitoyens. L’ivresse n’est pas et ne doit jamais être autre chose qu’une circonstance aggravante.

Dans cette même logique de fermeté, nous saluons le renforcement des peines en cas de violences commises à l’encontre des agents des forces de sécurité intérieure ou des membres de leur famille. Ces actes sont intolérables et doivent être punis en conséquence de leur gravité. Nous avons le devoir de protéger ceux qui nous protègent.

L’insécurité du quotidien est aussi composée d’infractions moins graves, mais bien plus fréquentes, qui empoisonnent la vie des Français. Les vols en font partie. Nous soutenons l’extension de la procédure de l’amende forfaitaire aux vols simples dont l’objet est de faible valeur.

Cette procédure respecte les droits de la victime, puisqu’elle pose comme préalable son indemnisation. Surtout, elle permet que ces infractions mineures fassent l’objet d’une réponse pénale rapide et adaptée.

Le projet de loi apporte également plusieurs modifications bienvenues au régime juridique de la sécurité intérieure. Nous soutenons celles qui améliorent la qualité de la réserve civique, devenue réserve opérationnelle. Avec une formation obligatoire et des missions élargies, la réserve sera en mesure d’épauler mieux encore nos forces de l’ordre.

Par ailleurs, plusieurs dispositions de la loi Sécurité globale qui avaient été censurées par le Conseil constitutionnel ont été réintroduites dans ce texte, assorties de garanties plus solides pour le respect de la vie privée. Nous nous en réjouissons. Il est en effet indispensable de doter nos forces de l’ordre d’un cadre qui leur permette d’avoir recours aux caméras aéroportées sans que cette utilisation porte atteinte aux libertés de nos concitoyens.

Le projet de loi que nous examinons apporte une réponse bienvenue au sujet de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental résultant de la consommation de substances psychoactives. Il conforte en outre le respect de la loi pénale et renforce la sécurité dans notre pays. L’ensemble du groupe Les Indépendants votera donc en faveur de ce texte.