Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai, moi aussi, mon intervention par quelques remarques de forme. Elles ont été faites précédemment par mes collègues, mais je tiens tout de même à les formuler.

D’abord, nous regrettons une fois de plus le recours à la procédure accélérée. Se priver de la navette parlementaire n’est pas très compréhensible au regard de l’objectif de cette proposition de loi : garantir l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ensuite, le texte ayant été déposé sous la forme d’une proposition de loi, il n’est accompagné ni d’une étude d’impact ni de l’avis du Conseil d’État. Or il s’agit clairement, encore une fois, d’un projet voulu par le Gouvernement.

J’ajouterai qu’il est incompréhensible que nous abordions ici ces thématiques, alors même qu’un projet de loi sur la protection des enfants est annoncé pour le mois de décembre et qu’un certain nombre de mesures de cette proposition de loi auraient très bien pu y figurer.

Enfin, ce texte souffre de nombreux flous et incohérences juridiques, qui sont dénoncés par les associations et acteurs du secteur.

Pour autant, Mme la rapporteure a réalisé, je tiens à le souligner, un travail important de toilettage du texte, en proposant de réécrire un certain nombre de dispositions, voire tout simplement de les supprimer : 11 articles sur 26 ont ainsi été supprimés.

Il faut dire aussi que dans cette proposition de loi subsistait une habilitation à légiférer par ordonnance, ce qui est quand même un comble pour une initiative parlementaire !

On y trouvait également un article relevant de la loi relative à la bioéthique.

Bref, un patchwork préjudiciable à la qualité du travail législatif.

S’agissant du fond et des objectifs de cette proposition de loi, on ne peut que se réjouir que soient rappelés dans l’exposé des motifs les deux principes fondamentaux, à savoir l’intérêt supérieur de l’enfant et la volonté de donner une famille à l’enfant, et non l’inverse.

Par ailleurs, un certain nombre de dispositions vont dans le bon sens. C’est le cas de la possibilité d’une formation préalable pour les membres des conseils de famille, une demande déjà ancienne ici prise en compte. De même, l’obligation de suivre une préparation préalablement à la délivrance de l’agrément en vue d’une adoption est positive, même si des questions demeurent : qui va assumer cette formation ? Qui la paiera ? Quelle sanction à l’absence de suivi ? Autant de silences préjudiciables.

Le renforcement des droits d’information des pupilles est également très important. Les évolutions apportées à la suite de l’examen en commission au Sénat sont même plutôt satisfaisantes. Nous noterons ainsi le rétablissement des missions des organismes autorisés pour l’adoption (OAA), ainsi que la réintégration, au sein de l’article 13, du consentement à l’adoption, ce qui permet d’éviter une nouvelle forme de procès-verbal d’abandon.

Nous avons fort heureusement évité l’adoption d’amendements réactionnaires revenant, par exemple, sur le droit d’adopter pour les personnes seules.

Des dispositions, comme l’ouverture du droit à adopter pour les couples non mariés, marquent aussi des avancées en matière d’égalité. Notons au passage que cette question ne vise que très partiellement l’objectif affiché de la proposition de loi, à savoir l’intérêt supérieur de l’enfant.

Nous regrettons par ailleurs que cette proposition de loi ne contienne aucune mesure sur l’accompagnement des familles, alors que le coût de l’adoption internationale a augmenté depuis une dizaine d’années. Il serait pourtant utile de repenser l’accompagnement financier des familles qui souhaitent adopter.

Enfin, il est assez incroyable de traiter de l’adoption sans aborder une seconde les problèmes récurrents de l’aide sociale à l’enfance (ASE), ni le problème des moyens dont disposent les départements pour faire face à ces missions. Il s’agit pourtant d’un sujet majeur, rappelé par la Cour des comptes dans son rapport de novembre 2020 qui déplorait « une politique inadaptée au temps de l’enfant ».

Au bout du compte, force est de reconnaître que les mesures de cette proposition de loi ne régleront pas le problème principal : trop peu d’enfants sont adoptés dans notre pays.

Le nombre des adoptions internationales s’effondre depuis plusieurs années et la situation n’est pas vraiment meilleure en matière d’adoptions nationales – les chiffres ont été rappelés par Mme la rapporteure. Cette situation s’explique notamment par le fait que l’âge moyen des pupilles de l’État est de 8,1 ans et que, parmi eux, figure une proportion importante d’enfants à besoins spécifiques. De ce fait, 49 % des enfants pupilles pour lesquels le projet de vie est un projet d’adoption n’ont pas été adoptés, le conseil de famille n’ayant pas réussi à leur trouver une famille.

Devant cette situation, nous estimons que la première urgence est tout simplement d’appliquer le droit positif. Ainsi, les améliorations mises en place par la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant et par les décrets qui l’ont suivie n’ont eu pour l’instant que peu d’effet, en raison de la faiblesse des moyens accordés aux départements pour les mettre en œuvre. Il en résulte une grande iniquité territoriale.

Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, que j’ai l’honneur de présider, a pris le temps d’examiner ce texte. Pour l’ensemble des raisons que je viens de développer, et à l’aune des efforts qui ont été fournis, notamment par la commission des lois et en particulier par Mme la rapporteure, nous ne nous opposerons pas à ce texte. Cela ne veut pas dire pour autant que nous voterons en sa faveur ! (Sourires sur différentes travées. – Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Nous avions saisi la nuance !

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque l’on pense adoption, on imagine souvent – du moins c’était mon cas avant de travailler sur ces sujets – une famille avec un enfant adopté à l’étranger. Disons-le, cette vieille image stéréotypée ne correspond plus du tout à la réalité de l’adoption. Elle n’y correspond plus, parce qu’il n’y a plus d’enfants étrangers à adopter ou, en tout cas, de moins en moins : en 2010, plus de 3 500 enfants avaient été adoptés dans un pays étranger ; en 2020, ils n’étaient plus que 244 à l’avoir été.

Dans les pays d’origine de ces enfants, la baisse de la mortalité et la hausse du niveau de vie ont permis aux pouvoirs publics de mener des politiques sociales et familiales. Le développement des moyens de contraception est une raison supplémentaire qui explique la baisse drastique du nombre d’enfants confiés à l’adoption internationale.

La réalité aujourd’hui, c’est aussi que les rares enfants mineurs adoptés ou confiés à l’adoption, qu’il s’agisse d’adoption internationale ou nationale d’ailleurs, sont souvent des enfants à besoins spécifiques, dont le parcours de vie est compliqué et qui nécessitent une attention particulière. Cette situation ne correspond pas, dans un grand nombre de cas, à celle que les adoptants envisagent.

L’image que l’on se fait de l’adoption a également changé. Celle d’une famille qui voulait un enfant ne correspond plus à la réalité. Aujourd’hui, c’est un enfant que l’on confie à une famille. Cette inversion du sujet est majeure et replace l’enfant au cœur des dispositifs. Nous devons offrir à cet enfant une famille, qui l’aidera à grandir et à se développer harmonieusement.

Dès lors que l’on pense à l’enfant avant tout, l’adoption devient l’un des outils de la protection de l’enfance, un outil bien supérieur à ce que propose l’aide sociale à l’enfance pour sauver un enfant. Il existe, bien sûr, quelques réussites d’enfants qui ont été confiés à l’ASE – j’en salue une plus particulièrement, que j’admire aujourd’hui et à qui je fais un clin d’œil –, mais pour une réussite, combien d’échecs ?

C’est pourquoi, dès 2016, une loi a mieux défini le délaissement et permis à des enfants qui auraient dû passer leur jeunesse dans un foyer de l’ASE de la passer dans une famille aimante.

Il nous reste cependant encore des efforts à fournir pour rendre l’adoption des mineurs en France plus facile, plus fiable et plus rapide. J’en veux pour preuve ces chiffres, déjà évoqués précédemment : en 2019, plus de 10 000 familles avaient reçu l’agrément permettant d’adopter un enfant et 3 248 enfants avaient le statut de pupille de l’État ; pourtant, cette même année, 706 adoptions seulement ont eu lieu – c’est trop peu.

La réalité de l’adoption en France aujourd’hui, c’est aussi que l’immense majorité des adoptions sont des adoptions simples, qui concernent très majoritairement des majeurs.

Devant ce panorama de l’adoption en 2021, quels sont les apports de cette proposition de loi ?

Dans les grandes lignes, relevons l’élargissement de la possibilité d’adopter aux personnes liées par un PACS ou en concubinage, l’instauration d’un écart d’âge maximum de 50 ans entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des adoptés, la possibilité pour le tribunal de prononcer l’adoption de mineurs de plus de 13 ans ou de majeurs protégés lorsqu’ils ne sont pas en état d’y consentir, la création d’une obligation de formation préalable à la prise de fonction des membres du conseil de famille des pupilles de l’État.

Relevons aussi l’obligation de suivre une préparation préalablement à la délivrance de l’agrément en vue d’adoption, pour que les candidats soient mieux informés de la réalité du parcours de l’adoption et sensibilisés au profil des enfants effectivement proposés à l’adoption.

Finalement, on le constate, cette proposition de loi n’apporte pas grand-chose. Elle aurait dû, d’ailleurs, compléter le projet de loi relatif à la protection des enfants et chronologiquement lui succéder. Hasard du calendrier ou pas, nous travaillons à l’envers.

Je souhaite cependant insister sur deux points.

Premièrement, je regrette la suppression de l’obligation d’accompagnement des adoptants par des structures expérimentées dans le cas d’une adoption internationale. Nous aurons l’occasion d’en débattre, mais j’ai tendance à croire qu’en la matière un supplément de protection, tant pour l’adopté que pour les adoptants, est bon à prendre. Cet accompagnement visait, non pas à contraindre qui que ce soit, mais bien à prémunir les adoptants et les adoptés contre des pratiques illicites.

Les fermes à bébés – oui, vous m’avez bien entendue – ont comme « clients » non pas des organismes autorisés pour l’adoption ou l’Agence française de l’adoption (AFA), mais bien des adoptants individuels qui participent, souvent à leur insu, à l’exploitation du corps de la femme, du début à la fin. (Marques dapprobation sur des travées des groupes SER et CRCE.)

Deuxièmement, je note la suppression, au nom de la cohérence législative, de la disposition permettant à l’Agence française de l’adoption d’appuyer les départements pour l’accompagnement et la recherche de candidats à l’adoption nationale. Je connais et je salue l’engagement de notre rapporteure, pour que cette disposition soit inscrite dans le projet de loi relatif à la protection des enfants. J’espère qu’elle y parviendra, car une telle mesure est indispensable, afin de permettre aux départements, qui ne disposent pas toujours de ces compétences en leur sein, de bénéficier de celles de l’AFA.

En définitive, ce texte est pauvre et c’est bien dommage ! Ses faibles apports sont néanmoins utiles, car en matière de protection de l’enfance et d’amélioration des procédures d’adoption, tout progrès est bon à prendre. Rappelons-le, c’est l’une des réponses à la protection de l’enfance. En ce sens, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si la loi ne peut résoudre toutes les difficultés de l’adoption, ce sont bien les pratiques et les mentalités qu’il est nécessaire de faire évoluer.

Je salue la volonté de faciliter l’adoption pour les candidats, qui transparaît dans cette proposition de loi. Cette volonté ne s’oppose en rien à la préoccupation de sécuriser la situation de l’enfant et de lui donner une famille.

La politique de l’adoption, qui suppose que l’intérêt de l’enfant soit de le maintenir autant que possible dans sa famille biologique, doit évoluer.

Le Sénat a adopté en 2020 la proposition de loi déposée par Josiane Costes, du groupe RDSE, visant à apporter un cadre stable d’épanouissement et de développement aux mineurs vulnérables sur le territoire français. L’exposé des motifs de ce texte soulignait que les réformes législatives menées jusqu’alors, et qui avaient cherché à préserver un équilibre entre la préservation des droits liés à la parentalité et l’intérêt de l’enfant, constituaient un obstacle à l’adoption.

Il nous faut en finir avec la suspicion, voire la culpabilisation, de celles et ceux, en couple ou non, qui désirent un enfant. Désirer un enfant, lui proposer des conditions de développement et d’épanouissement, n’est ni nuisible ni pathologique. C’est au contraire le maintien déraisonnable dans sa famille biologique qui peut être préjudiciable à un enfant, comme peut l’être d’ailleurs une reprise précipitée, sans entretien avec le tuteur et sans convocation du conseil de famille.

La substitution du terme « délaissé » au terme « abandonné » va dans ce sens. Le groupe RDSE souhaite même réduire à un mois le délai d’instruction par le juge pour les enfants de moins de 3 ans, ainsi que le prononcé de la déclaration judiciaire de délaissement au bout de six mois. Vont aussi dans ce sens les réductions de délais d’instruction et la clarification du début de la période de placement. Il s’agit de raccourcir ce parcours du combattant des candidats à l’adoption, qui est une cruelle mise à l’épreuve.

Bien sûr, l’information, l’accompagnement des candidats comme la préparation préalable à l’agrément pour les personnes souhaitant accueillir des enfants étrangers et des pupilles de l’État sont dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Le groupe RDSE souhaite d’ailleurs étendre à tous les départements la validité d’un agrément, ainsi que le refus de celui-ci.

La proposition de loi, objet de notre débat, vise à répondre à deux grands objectifs : faciliter et sécuriser le recours à l’adoption, d’une part ; renforcer le statut de pupille de l’État, d’autre part.

Concernant la facilitation et la sécurisation du recours à l’adoption, le texte consacre, en une mesure phare, l’ouverture de l’adoption conjointe par des personnes liées par un pacte civil de solidarité ou par des concubins. Nous souhaiterions également encourager la négociation de conventions avec les pays prohibant l’adoption, afin de trouver des solutions qui protègent les enfants recueillis, qui se retrouvent sans statut une fois en France.

Le texte clarifie les effets de l’adoption simple sur la filiation, en précisant que l’adopté bénéficiera d’un double lien de filiation, le lien nouveau s’ajoutant au lien originel.

Il instaure un écart d’âge maximum de 50 ans entre les adoptants et le plus jeune des adoptés, afin d’éviter que plusieurs générations ne séparent l’enfant adopté de ses parents électifs. Des exceptions en cas d’adoption de l’enfant du conjoint ou de conditions particulières sont toutefois laissées à l’appréciation du juge.

Concernant le renforcement du statut de pupille de l’État, le texte introduit un bilan d’adoptabilité pour tous les enfants admis sous ce régime, bilan médical qui se veut un préalable utile au projet d’adoption.

Il introduit aussi une obligation de formation préalable des membres du conseil de famille et renforce l’obligation d’information du pupille par son tuteur.

Le texte pose encore le caractère supplétif de la tutelle assurée par le conseil départemental par rapport à la tutelle des pupilles de l’État, plus protectrice en ce qu’elle prévoit l’intervention du conseil de famille.

Enfin, il permet d’assouplir les règles concernant le congé d’adoption.

Ce texte n’est peut-être pas la réforme d’envergure attendue, mais il a pour objectif de faciliter l’adoption, tout en sécurisant la situation de l’enfant. Par conséquent, le groupe RDSE le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Brigitte Lherbier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, membre, puis présidente pendant des années d’un conseil de famille des pupilles de l’État dans le Nord, j’ai travaillé sur le placement administratif et judiciaire des enfants de mon département de 1980 à 2012 pour des travaux universitaires. Je suis devenue conseillère générale et j’ai continué à me documenter sur ce sujet jusqu’à mon arrivée au Sénat il y a quatre ans.

J’ai vu défiler pendant toutes ces décennies des enfants aux histoires souvent tragiques, des fratries séparées ou placées ensemble chez des assistants familiaux ou en foyers, des bébés jusqu’aux jeunes majeurs, tous assoiffés d’amour.

Dans tous les cas, l’adoption, si elle devenait possible, était la plus belle des solutions à proposer à ces enfants délaissés. Quelquefois, avant que ces enfants ne deviennent « adoptables », l’attente avait été trop lourde, trop longue : l’enfant était abîmé psychologiquement, et même physiquement, quand il se présentait pour la première fois devant le conseil de famille en qualité de pupille de l’État.

Adopter, c’est vouloir aimer et éduquer un enfant. J’ai en tête des petits enfants « fanés par la vie », que j’ai vu reprendre vigueur, quand ils se sont sentis entourés par « leurs » parents, qu’ils attendaient depuis si longtemps.

Chaque cas est un cas particulier. Si la loi encadre, épaule et surtout fait confiance aux familles adoptantes, des solutions adaptées peuvent toujours être trouvées dans l’intérêt de l’enfant. J’ai vu des enfants plus âgés, de plus de 10 ans, s’intégrer dans des familles. J’ai vu des enfants trouver leur place, souvent dans de grandes familles, alors même qu’ils avaient un handicap.

Les conseils de famille doivent éviter de s’autocensurer dans leurs propositions. L’adoption simple, par exemple, est pour moi une réelle solution dans de nombreux cas où les liens familiaux ont été distendus ou dans des situations de parents incapables, physiquement ou mentalement, d’exercer l’autorité parentale.

Certaines familles sont prêtes à accueillir des enfants dans le cadre de familles plurielles, si elles obtiennent appui et confiance de la part des structures spécialisées. Certes, le consentement de l’enfant me semble souvent nécessaire dès qu’il peut s’exprimer. C’est de sa vie à lui qu’il s’agit, de son avenir.

Pendant le placement en vue d’adoption, tout doit être fait pour que le changement de vie se fasse en douceur, en intelligence.

Au cours de ces nombreuses années, j’ai souvent rencontré des couples d’assistants familiaux qui renonçaient à leur salaire pour adopter l’enfant qu’ils avaient élevé.

L’aide financière, sous condition de ressources, semblait tellement nécessaire dans certains cas, que le conseil de famille était gêné et même inquiet devant un tel renoncement.

Beaucoup a été réalisé depuis quarante ans. Les certitudes s’estompent, pour rechercher l’intérêt de l’enfant avant l’intérêt de sa famille biologique. Le jusqu’au-boutisme au détriment de l’enfant ne doit plus exister. Grandir sans objectif, sans avenir et surtout sans amour provoque des dégâts irréparables. Les prisons sont remplies d’histoires de jeunes déstructurés, sans famille.

Il faut agir en amont et le plus vite possible, éviter au maximum à des enfants de grandir en institution sans fil conducteur, sans le lien continu de l’amour d’une famille à soi. Vous en avez la volonté, monsieur le secrétaire d’État, je le sais. Je vous ai rencontré à Marcq-en-Barœul, peu après votre entrée au Gouvernement, dans un foyer de l’association SPReNe, où je suis administratrice.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Absolument !

Mme Brigitte Lherbier. Vous nous y aviez exposé votre feuille de route. Personnellement, j’y étais très favorable.

Je voterai cette proposition de loi au nom des enfants, qui comptent sur nous tous pour grandir dans l’amour d’une famille sans avoir l’angoisse de l’avenir incertain. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux remercier chacun d’entre vous pour leurs interventions.

Je voudrais en premier lieu vous adresser un message d’optimisme, dans un esprit constructif, car j’ai pu sentir poindre, dans certains propos, quelque déception.

Je vous rappelle qu’il en a été de même, lorsque le projet de loi relatif à la protection des enfants a été déposé. Or, à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale – personnellement, je crois que le Parlement joue un rôle essentiel pour enrichir les textes –, les acteurs du secteur ont plutôt salué ce texte. Quand il fut annoncé qu’il ne serait examiné au Sénat qu’au mois de décembre, nombreux sont ceux qui considéraient ce délai comme trop long. Je me dis donc finalement que ce texte n’est peut-être pas si mal…

Je suis convaincu qu’il en est de même pour la présente proposition de loi.

Il est vrai que toutes ces thématiques participent de la protection de l’enfance – vous l’avez tous souligné. Nous aurions alors pu les traiter dans un seul texte. Il s’avère que la vie parlementaire est ce qu’elle est. Un travail avait été engagé à la demande du Gouvernement par des parlementaires – Corinne Imbert et Monique Limon. Le rapport qui a résulté de ce travail a donné lieu à une proposition de loi, à laquelle s’ajoute un projet de loi sur la protection des enfants.

Je crois donc pouvoir dire que, trois ans après mon entrée en fonction à la tête de ce secrétariat d’État, les actions que nous menons pour une plus grande protection des enfants gagnent en cohérence.

Madame la rapporteure, nous aurons l’occasion de débattre des points précis que vous avez soulevés, notamment des quatre mesures pour lesquelles l’intérêt de l’enfant n’était pas, selon vous, évident.

Nous reviendrons ainsi sur l’article 9 bis. Il me semble tout de même, à cet égard, que la filiation de l’enfant va dans le sens de son intérêt !

Nous reparlerons des organismes autorisés pour l’adoption (OAA), notamment du rôle que certains jouent sur le territoire national. Je crois qu’il est nécessaire de clarifier ce rôle en ce qui concerne l’accompagnement des familles dans le cas d’une adoption d’un enfant à besoins spécifiques. Nous devons aussi prendre en considération le fait que l’un de ces OAA place des enfants sans apporter les mêmes garanties que le placement public. Je vous ferai la démonstration qu’il est nécessaire de passer par l’aide sociale à l’enfance, en ce qu’elle est la garante d’un certain nombre de droits et de sécurités pour les enfants.

En ce qui concerne la question des discriminations, je défendrai la présence d’une personnalité qualifiée en cette matière au sein du conseil de famille. Il a été dit qu’il s’agissait d’un sujet secondaire ; je pense au contraire qu’il est assez central.

Madame la rapporteure, je suis convaincu que ce texte permettra l’adoption d’un nombre plus élevé d’enfants à besoins spécifiques. Plusieurs des mesures qu’il contient y contribueront : l’information et la formation des prétendants à l’agrément ; la formation des conseils de famille ; la possibilité, sur décision judiciaire, de prononcer l’adoption d’un enfant qui n’est pas en mesure d’y consentir ; la possibilité de procéder régulièrement à une évaluation psychologique, physique et éducative de l’enfant pour faire évoluer son projet de vie.

Ce dernier point est important, parce qu’un enfant qui n’est pas adoptable à un moment donné du fait d’une pathologie peut éventuellement, lorsque celle-ci se stabilise, le devenir. Il est donc souhaitable que le conseil de famille revoie régulièrement ces dossiers pour permettre, le cas échéant, l’adoption de ces enfants.

Il est vrai que cela relève largement de la pratique, madame la rapporteure. Je prends un exemple : dans le Pas-de-Calais, à côté de votre département, madame la sénatrice Lherbier – j’en profite pour vous remercier d’avoir rappelé le moment que nous avons partagé –, le psychologue du service de l’aide sociale à l’enfance a annoncé il y a quinze ans que le département allait se « spécialiser » – pardonnez-moi d’utiliser ce mot – dans l’adoption des enfants à besoins spécifiques. Il a développé toute une pédagogie pour accompagner les candidats à l’adoption sur le chemin de l’adoption de ces enfants.

Vous savez, j’ai participé, avec Corinne Imbert et Monique Limon, à une table ronde réunissant des parents qui, pour certains, avaient adopté un enfant autiste sévère avec déficience mentale, pour d’autres, un enfant paraplégique. Ce n’est pas facile, comme il n’est pas facile d’être parent de manière générale, mais ils nous ont dit être les plus heureux des parents. C’est donc possible, et nous devons avancer sur ce chemin.

Madame Vogel, vous avez évoqué l’absence de vision globale sur la protection de l’enfance. Je ne suis pas du tout d’accord avec vous et je vous rappelle que le projet de loi relatif à la protection des enfants a été examiné ce matin même par la commission des affaires sociales du Sénat et qu’il sera inscrit à votre ordre du jour début décembre.

Vous déplorez aussi l’absence de vision sur l’adoption internationale, mais celle-ci est structurellement en baisse – il y a eu 300 adoptions internationales en 2019, elles étaient dix fois plus nombreuses dix ans auparavant – et la raison en est simple : si nous voulons respecter la convention de La Haye du 29 mai 1993, ce qui est notre cas, il faut, avant toute chose, essayer de trouver des parents dans le pays d’origine de l’enfant. C’est ce qui explique la baisse structurelle de l’adoption internationale contre laquelle nous ne pouvons ni ne souhaitons lutter. (Mme Dominique Vérien marque son approbation.)

Nous reviendrons sur la question des adoptions illégales, qui est un réel sujet, même si nous n’adhérerons sans doute pas totalement à ce que vous proposez. En tout cas, je ne veux pas que nous occultions ce sujet.

Nous reviendrons également sur la question des ordonnances, et j’aurai l’occasion de lever toutes les suspicions. Ces ordonnances ne sont pas du tout l’expression ou la preuve de la fragilité juridique initiale de ce texte, madame Harribey. Il se trouve tout simplement que, pour les praticiens – et je sais que cela tient à cœur à Mme la rapporteure qui en fait partie –, le droit à l’adoption, qui s’est construit par sédimentation et dont les principales dispositions sont réparties entre le code civil et le code de l’action sociale et des familles, est devenu totalement impraticable. Un seul exemple : la notion d’« abandon » existe encore à un certain nombre d’endroits.

La rédaction initiale de cet article relatif aux ordonnances, quelque peu maladroite, pouvait susciter un certain nombre de questions – ce fut d’ailleurs le cas à l’Assemblée nationale, je ne vous le cache pas. Nous vous proposerons un amendement avec une formulation plus précise et plus encadrée. L’idée consiste, tout en restant à droit constant, de présenter les choses plus clairement afin de mieux mettre en avant les principes que nous défendons et d’aider les praticiens qui les mettent en œuvre chaque jour.