Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement, insensible aux arguments du Sénat et au mécontentement croissant de la population, n’a pas infléchi sa position à l’égard de sa stratégie de sortie de crise. Il fait le choix, encore, de l’autorité et de la concentration du pouvoir au détriment de notre bon fonctionnement démocratique, de nos libertés et de la préservation du secret médical.

J’ai déjà exprimé ici ma ferme opposition aux dispositifs proposés dans ce projet de loi. Je réaffirme ce désaccord.

Tout porte à penser que ce virus ne disparaîtra pas totalement de nos vies. Le Gouvernement nous condamne-t-il donc à vivre sous le joug d’infinies prorogations de l’état d’urgence en espérant une éventuelle disparition du virus ? Ce risque, je refuse de l’accepter.

Le seul choix possible est d’apprendre à vivre avec le virus. Il nous faut pour cela mettre en place des solutions pérennes qui nous permettront de sortir du cercle vicieux des prorogations successives d’états d’exception.

Vivre avec le virus implique de posséder un système hospitalier fonctionnel. Or le conseil scientifique estime que 20 % des lits d’hôpitaux sont actuellement indisponibles. Les personnels soignants sont exténués, au bord de la rupture. Les chiffres relatifs à l’absentéisme et aux nombreux départs le prouvent.

Cette situation est la conséquence directe de la politique de santé menée par le Gouvernement, qui est inefficace.

Vivre avec le virus, c’est aussi optimiser l’utilisation des armes que nous possédons. Le vaccin a fait ses preuves. Pourtant, certains de nos concitoyens sont toujours réticents à son utilisation. D’autres, souvent précaires, sont exclus du système de vaccination. La pédagogie envers ces publics doit être développée, tout comme l’information sur la possibilité de recourir à une troisième dose de vaccin. J’appelle aussi le Gouvernement à agir pour faire lever les brevets sur les vaccins. Je le rappelle, la lutte est globale.

Ce débat va se clore par le vote d’une motion tendant à opposer la question préalable à la suite de notre discussion. Je le déplore. Je voterai pourtant la motion, cette issue étant la seule envisageable face à un gouvernement qui persiste à refuser la tenue d’un débat digne de ce nom. (M. Guy Benarroche applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est le onzième texte relatif aux outils de gestion de la crise sanitaire que nous examinons. Le plus souvent, nous nous sommes accordés en commission mixte paritaire. Il n’en est rien en l’espèce, car les positions de l’Assemblée nationale nous inquiètent.

Les dispositions proposées dans ce texte, et que l’Assemblée nationale souhaite voir mises en œuvre jusqu’au 31 juillet 2022, nous posent un problème sérieux : neuf mois, c’est comme si nous en étions encore à lutter contre la crise sanitaire avec des outils votés en février 2021 – autant dire à une autre époque ! Ces neuf mois sans avoir besoin de revenir devant le Parlement auront deux conséquences : le Président de la République s’évitera un débat pendant la campagne présidentielle et le Gouvernement nommé après l’élection présidentielle, qui aura la responsabilité de la fin de la campagne législative, n’aura pas obtenu la confiance du Parlement. Pourtant, il sera titulaire des pouvoirs que l’Assemblée nationale s’apprête à conférer à votre gouvernement, madame la ministre, sans qu’il y ait de contrôle parlementaire possible pendant cette période.

Nous ne pouvons pas accepter que l’Assemblée nationale nous renvoie un texte qui organise l’abandon de ses propres missions constitutionnelles de contrôle de l’action du Gouvernement pendant de nombreux mois, alors qu’un certain nombre de mesures restreignent les libertés. Nous refusons cette situation.

De surcroît, depuis février 2020 et les cafouillages qu’a rappelés notre rapporteur sur les masques et les tests, qui ont été particulièrement criants en France, nous avons la conviction que, si la gestion de la crise sanitaire s’est améliorée, c’est aussi grâce à la vigilance du Parlement.

Il faut l’adhésion de la population pour que les dispositions proposées et mises en œuvre soient efficaces. Or on obtient cette acceptation par la discussion. Quand le Parlement est porteur d’exigences, et le Sénat en a montré l’exemple de nombreuses fois, cela entraîne l’approbation. C’est ainsi que les libertés individuelles sont protégées.

Nous avons aussi la conviction que débattre et redébattre de ces sujets, c’est non seulement renforcer l’adhésion, mais aussi empêcher la diffusion de fake news, lesquelles se développent quand on évite les débats officiels, notamment au Parlement.

Madame la ministre, nous avons la conviction que mettre le Parlement dans le congélateur pendant neuf mois, c’est affaiblir la lutte contre la crise sanitaire. Or ce n’est pas le moment, car, vous l’avez indiqué, les chiffres, à l’est de l’Europe en particulier, montrent que rien n’est terminé. Ils montrent aussi que, là où la vaccination est questionnée, les contaminations galopent et multiplient les risques de mutation. Rien n’est donc gagné et rien ne saurait être mis en pilotage automatique.

Nous avons trois grands désaccords avec l’Assemblée nationale.

Il y a d’abord la question de la date du 31 juillet 2022. Nous ne pouvons pas croire qu’il soit impossible de se revoir avant le 28 février 2022 pour actualiser les outils et débattre des politiques à mettre en œuvre.

Ensuite, nous n’acceptons pas la communication des données médicales aux directeurs d’école. Cela n’est pas leur rôle. Il n’est pas correct de participer à la violation du secret médical simplement parce que nous n’avons en France que 900 médecins scolaires pour 12 millions d’élèves. Justifier les atteintes au secret médical par un défaut de moyens n’est pas acceptable.

Enfin, nous regrettons que l’Assemblée nationale refuse une territorialisation du passe sanitaire, qui, faute d’un principe général d’obligation vaccinale, que le groupe socialiste a défendu, permettrait de s’affranchir de cette contrainte dans les territoires où la vaccination est suffisamment généralisée.

Sur aucun de ces points majeurs, la majorité présidentielle n’accepte de discuter, n’accepte d’évoluer. La seule chose qui peut me satisfaire, avec mes collègues représentant les Français de l’étranger, c’est la reprise par l’Assemblée nationale des dispositions portant sur les procurations pour les prochaines élections, le 5 décembre 2021, à l’Assemblée des Français de l’étranger.

Nous considérons enfin que, sans définition sur ce que sera, dans quelques semaines, un parcours vaccinal complet, tout cela est prématuré. Le Gouvernement n’a pas été en mesure de nous indiquer sa position sur la troisième dose et la validité du passe sanitaire. Est-ce qu’à un moment elle sera exigée pour tous ? Pour le vaccin Janssen, après deux mois sans piqûre ? Pour les plus de 65 ans et ceux qui souffrent de comorbidités ? Nous n’en savons rien ! Tout est gardé dans le secret du conseil de défense et réservé aux arbitrages présidentiels.

Madame la ministre, est-ce, selon vous, la meilleure manière de faire accepter les évolutions de ces parcours vaccinaux, qui seront pourtant nécessaires ?

À nos yeux, la vaccination est un devoir civique, qui réduit radicalement les risques de subir une forme grave de la maladie et qui limite le potentiel de contamination.

Nous pensons aussi qu’il est indispensable que le passe sanitaire évolue en conformité avec le règlement européen sur le certificat covid-UE dans les prochaines semaines, afin de faire converger les parcours vaccinaux.

Pour toutes ces raisons, madame la ministre, parce que nous n’avons pas aujourd’hui de réponses du Gouvernement sur ces sujets, nous ne pouvons pas accepter les propositions qui viennent de l’Assemblée nationale. Nous souhaitons pouvoir continuer le débat sur ce texte, sur la base de nos principes et de nos inquiétudes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’échec de la commission mixte paritaire a mis en exergue les profondes divergences entre les textes issus de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le vote émis hier soir par nos collègues députés ne pouvait que confirmer les désaccords entre nos deux chambres.

J’en reprends ici les trois principaux.

Tout d’abord, l’Assemblée nationale a rétabli sa refonte de l’architecture actuelle très complexe, avec ses deux régimes de gestion de la crise sanitaire – état d’urgence sanitaire et régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire –, qui avaient été précédemment approuvés par les deux chambres et validés par le Conseil constitutionnel.

Ensuite, le Sénat souhaite limiter au 28 février 2022 la prorogation de la faculté pour le Gouvernement de mettre en œuvre des mesures de freinage de la pandémie, malgré la reprise épidémique.

Enfin, le troisième désaccord porte sur la territorialisation et la gradation du passe sanitaire.

Quelques réserves sur ce dernier point : l’intérêt du passe sanitaire a été compris par les Français, mais, malheureusement, ils sont encore trop nombreux à ne pas être vaccinés. Le virus circule entre les départements. Les connaissances sur l’épidémie sont évolutives et l’apparition d’un nouveau variant encore plus contagieux reste une hypothèse crédible. Une circulation accrue du virus au cours de la période hivernale n’est plus une probabilité. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) elle-même s’alarme aujourd’hui du rythme « très préoccupant » de la transmission du virus en Europe.

L’efficacité de la protection du vaccin semble baisser au cours du temps, d’où l’importance de la campagne de rappel. Le variant delta, identifié désormais dans 100 % des séquences analysées, présente une contagiosité plus élevée. « Nous n’avons pas atteint le seuil d’immunité collective », selon le Conseil d’État et l’OMS.

Comment imaginer que le texte dénaturé qui est sorti de notre assemblée après la première lecture, avec l’assouplissement des mesures qu’il aurait engendré, aurait pu répondre à une nouvelle vague déjà forte à nos frontières et perceptible en France ?

Dire que la volonté du Gouvernement était de dessaisir le Parlement de ses prérogatives ou encore qu’il voulait enjamber les élections à venir est, de la part de la majorité des membres du Sénat, une figure de style.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est pourtant la réalité !

M. Martin Lévrier. Nous le savons tous ici : en cas de réenclenchement du régime de l’état d’urgence sanitaire, le Gouvernement fera toujours appel à la validation du Parlement au bout de quatre semaines pour les mesures les plus lourdes.

Enfin, comment peut-on limiter ce débat à une problématique franco-française ? En Europe, les hospitalisations liées au covid-19 ont plus que doublé en une semaine. Le nombre de nouveaux cas par jour est en hausse depuis près de six semaines. Le nombre de nouveaux morts par jour est lui aussi en hausse depuis un peu plus de sept semaines, avec environ 250 000 cas et 3 600 décès quotidiens. Et nous aurions dû baisser la garde ?

Le personnel soignant, sur le pont depuis l’origine de cette crise, n’aurait pas supporté le changement de cap que vous proposiez à l’aube de la période hivernale.

L’expérience acquise depuis dix-huit mois doit nous conforter dans l’utilisation d’une méthodologie et d’outils éprouvés et compris par l’ensemble de nos concitoyens.

Le « en même temps », qui allie sécurité sanitaire et liberté individuelle, a largement fait ses preuves et continue à les faire. Le contretemps que proposait le Sénat en modifiant toute l’architecture du système mettait, quant à lui, en péril les bons résultats déjà obtenus et, surtout, fragilisait la protection que nous devons à nos concitoyens. Aussi, je me réjouis du vote des députés hier soir.

Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, mais aussi parce que nous avons toujours été contre les débats tronqués, nous nous opposerons à la motion qui sera proposée tout à l’heure.

Mme le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le temps presse, la commission mixte paritaire n’est pas parvenue à s’accorder sur un texte commun. Il nous faut cependant décider des moyens dont le Gouvernement pourra disposer afin de gérer la pandémie en cours.

Bien sûr, la situation est bien meilleure qu’il y a quelques mois. Les Français ont fait maintes fois la preuve de leur sens des responsabilités en respectant, depuis plus d’une année maintenant, les mesures barrières. Ils ont également largement plébiscité la vaccination, avant même que le passe sanitaire ne les y incite plus fortement.

L’amélioration de la situation sanitaire dans notre pays, qui compte parmi les mieux vaccinés au monde, ne doit pas nous faire baisser la garde : la pandémie est toujours en cours. La Russie peut en témoigner : le pays est à l’arrêt jusqu’au 7 novembre prochain ; lors de la semaine passée, plus de 1 000 personnes sont décédées du covid chaque jour, ce qui constitue un record depuis le début de la pandémie.

Plus près de nous, plusieurs pays européens connaissent une reprise épidémique qui nous appelle à rester vigilants. Près de 40 000 contaminations quotidiennes ont ainsi été recensées au Royaume-Uni sur les sept derniers jours. L’Allemagne a vu les hospitalisations liées à la covid-19 grimper de 40 % en une semaine.

Nos propres services de santé enregistrent déjà une hausse des hospitalisations, même si la vaccination permet à notre pays de mieux résister. En effet, le vaccin réduit de 92 % le risque d’hospitalisation chez les plus de 50 ans.

Je le répète, nous devons maintenir notre vigilance dans les prochains mois.

Le projet de loi que nous examinons de nouveau aujourd’hui détaille les mesures dont l’exécutif estime avoir besoin pour faire face à la crise.

Le passe sanitaire, et c’est normal, concentre toutes les attentions. Sa mise en place ayant permis d’accélérer significativement le taux de vaccination de la population, certains souhaitent le voir disparaître en considérant qu’il a rempli sa mission.

Nous savons cependant que les anticorps contre la covid-19 ne sont pas éternels. Une troisième dose sera sans doute nécessaire. Si tel est le cas et que nous ne souhaitons pas recourir à la vaccination obligatoire, il faudra sans doute maintenir le passe sanitaire.

Reste la délicate question de la durée des pouvoirs consentis au Gouvernement. C’est sur ce point que porte le plus grand désaccord. Le Sénat aurait voulu un nouveau débat à la fin du mois de février prochain, juste avant la suspension des travaux parlementaires.

Le Gouvernement et les députés souhaitent, quant à eux, que les mesures envisagées durent jusqu’à la fin du mois de juillet prochain, c’est-à-dire lorsque le Président de la République aura été élu et le gouvernement formé.

Lors des prochains mois, la gestion de la crise sanitaire devra s’accommoder de la campagne pour l’élection présidentielle. Si la situation l’exige, le Parlement peut effectivement siéger durant la suspension de ses travaux, mais le contexte de la campagne n’offre pas nécessairement les meilleures conditions pour la tenue sereine d’un tel débat.

Il n’en reste pas moins que les pouvoirs en cause sont exceptionnels, et qu’il est délicat de les confier à l’exécutif jusqu’à la fin juillet – un exécutif que nul ne connaît encore, je vous le rappelle.

Il n’y a pas de réponses simples à toutes ces questions. Beaucoup de doutes planent sur les prochains mois, mais nous avons néanmoins une certitude : la pandémie ne va pas disparaître immédiatement, et notre pays, comme le reste du monde, va devoir continuer à lutter contre le virus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.

M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, deux jours après l’échec de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire que nous soumet le Gouvernement, nous nous retrouvons pour une nouvelle lecture de ce texte.

Que de regrets ! Que d’amertume !

Le Sénat, une fois encore, avait fait preuve en première lecture d’un réel esprit de responsabilité, notamment au travers du travail remarquable de son rapporteur, Philippe Bas, dont la logique constructive et rationnelle a été animée par une même exigence depuis le début de la crise : autoriser l’exécutif à agir, sous le contrôle régulier du Parlement et sous réserve de la proportionnalité et de la stricte nécessité des mesures restrictives de libertés.

Le Sénat, une fois encore, s’était posé en défenseur d’un double équilibre : entre la préservation de la santé des Français et le respect des principes de l’État de droit, d’une part ; entre un régime d’exception portant en lui-même des moyens exceptionnels de gestion de crise et les libertés fondamentales inscrites dans notre Constitution, d’autre part. C’est pour maintenir ces équilibres que notre assemblée a accepté à de multiples reprises, depuis mars 2020, de confier au Gouvernement des pouvoirs inédits sous la Ve République – à de multiples reprises, certes, mais chaque fois pour des périodes n’excédant pas deux à quatre mois.

Mais, une fois encore, le Gouvernement et sa majorité ont balayé d’un revers de main les principales propositions de la Haute Assemblée, propositions qui n’avaient pourtant rien d’irrationnel.

L’Assemblée nationale a choisi de rétablir largement son texte initial, en particulier sur ses mesures centrales : la prorogation jusqu’au 31 juillet de la plupart des régimes dérogatoires et mesures afférentes, y compris le passe sanitaire, l’absence de territorialisation de son application, ou encore l’accès des directeurs d’établissements scolaires aux données virologiques de leurs élèves ; voilà, pour nous, autant de lignes rouges franchies.

L’argument du rapporteur de l’Assemblée nationale suivant lequel la sortie des régimes actuels d’urgence sanitaire serait source d’instabilité et d’imprévisibilité apparaît quelque peu douteux.

En effet, les mesures proposées par le Sénat, au travers de deux nouveaux dispositifs, comprenaient pour l’essentiel des outils déjà existants, sous des formes et des modalités adaptées à la situation sanitaire actuelle.

Le texte voté la semaine dernière par notre assemblée prévoyait ainsi de maintenir à la disposition du Gouvernement des pouvoirs exceptionnels de régulation des déplacements et des rassemblements, ou encore de mise en œuvre du passe sanitaire.

En contrepartie, il fixait un rendez-vous parlementaire en février prochain, afin d’amener l’exécutif à rendre compte formellement devant le Parlement de son usage de ces pouvoirs, mais aussi afin d’évaluer la proportionnalité des mesures exceptionnelles à l’aune de l’évolution de la situation épidémique.

Aucun argument sérieux ne nous a été opposé sur la question de la date de fin du dispositif sanitaire, date qui n’est in fine qu’un nouveau rendez-vous du débat parlementaire, permettant une reconduite des dispositifs si la situation épidémique l’exige. Les diverses solutions de remplacement qui ont pu être promises – débat sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution ou remise de rapports – ne sauraient nullement remplacer la discussion en bonne et due forme d’un projet de loi aux termes duquel le Parlement autorise le Gouvernement à continuer d’assumer ses pouvoirs.

Je vois dans l’attitude de l’Assemblée nationale un nouvel affaissement de la mission législative du Parlement, une volonté affichée de s’affranchir de sa mission de contrôle, sous prétexte que la gestion de crise exige une prise de décision rapide.

Toutefois, les parlementaires ont déjà démontré leur réactivité en siégeant la nuit, voire le week-end, quand la situation l’exigeait.

M. Stéphane Le Rudulier. En outre, si cet impératif de rapidité était réel et sérieux au mois de mars 2020, il n’en demeure pas moins que nous ne sommes plus aujourd’hui dans la même situation, que nous ne subissons plus la même urgence. Comme M. le rapporteur l’a rappelé, en mars 2020, nous étions démunis : pas de masques, pas de tests, pas de gel hydroalcoolique, pas de vaccin, pas de traitement ! Aujourd’hui, nous avons progressé dans tous ces domaines, y compris sur la connaissance même du virus.

Alors, est-il légitime de réduire ainsi le contrôle parlementaire exercé sur des pouvoirs dérogatoires accordés à l’exécutif, sous prétexte de l’approche de grandes échéances électorales ? La réponse est évidemment « non » ! Je n’ai d’ailleurs toujours pas compris en quoi ce contrôle empêcherait tout débat serein au sein de nos deux assemblées parlementaires.

Enfin, la disposition permettant aux directeurs d’école de prendre connaissance du statut virologique des élèves semble véritablement porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. Il reviendra d’ailleurs au Conseil constitutionnel d’en juger, à l’aune notamment de sa décision du 11 juin dernier portant sur le secret médical, qui laisse présager une inconstitutionnalité de la mesure en question.

Face à l’opposition intransigeante du Gouvernement et de sa majorité, notre rapporteur nous invite à maintenir notre position historique et nous proposera tout à l’heure d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable.

Convaincus du fait que nous ne pouvons pas vivre indéfiniment dans un régime d’exception et fermement opposés à la méthode disproportionnée employée par le Gouvernement, les élus de notre groupe voteront cette motion. Plus encore, nous déposerons, dès les prochaines heures sans doute, un recours devant le Conseil constitutionnel,…

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Stéphane Le Rudulier. … afin qu’il vérifie la constitutionnalité de certaines dispositions qui nous paraissent problématiques et hautement sensibles du point de vue des droits et des libertés fondamentaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne pensais pas de nouveau ouvrir mon propos en relevant l’absence dans notre hémicycle de M. le ministre de la santé. Peut-être est-il encore à Blois ?…

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Il est à l’Assemblée !

M. Guy Benarroche. Au regard des discussions ayant eu lieu hier à l’Assemblée nationale et des références permanentes aux propositions équilibrées que le Sénat a faites sur ce texte, mais qui ont malheureusement été rejetées en commission mixte paritaire et en commission à l’Assemblée nationale, il me semble que, si le ministre de la santé ne souhaite pas venir au Sénat, le Sénat est pour sa part parvenu jusqu’à lui, même s’il n’a pas été entendu !

Je veux vous répéter, madame la ministre, combien notre pays a subi en spectateur les décisions solitaires et tardives d’un président qui n’écoutait que lui-même pour faire le choix entre confinements, couvre-feux et limitations des déplacements, d’un président qui se cachait derrière les recommandations d’un conseil ad hoc monté de toutes pièces, d’un président qui ignorait les compétences des institutions existantes, comme le Haut Conseil de la santé publique ou même Santé publique France, et les outrepassait même, quand cela l’arrangeait.

Malgré la réticence des deux tiers des parlementaires à vous laisser les mains libres pendant huit mois, malgré le mauvais signal envoyé d’un désir tout politique d’enjamber la consultation légitime du Parlement en cas de reprise épidémique à une période peut être trop proche des échéances électorales aux yeux du président, vous persistez !

Après avoir réfléchi trop tard, vous voulez désormais décider trop tôt !

Nous refusons pour notre part de nous prêter à cet exercice déviant du pouvoir ; nous ne pouvons vous accorder – ni à ce gouvernement-ci ni à celui qui, encore inconnu, lui succédera – un blanc-seing jusqu’à la fin du mois de juillet.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Guy Benarroche. Rappelons que notre groupe a régulièrement lancé l’alerte, dès le début du débat, sur le risque d’une généralisation trop importante du passe sanitaire, à la fois dans le temps, dans son périmètre, dans les activités et les lieux qu’il toucherait, ou même dans les maladies ou causes diverses qui justifieraient sa mise en œuvre.

L’efficacité du passe sanitaire en tant que tel, c’est-à-dire son simple pouvoir de limiter l’accès des personnes non vaccinées ou non testées à certains lieux de vie a été très peu étudiée et encore moins quantifiée sur le moyen terme.

Ces derniers mois, il nous est apparu que son efficacité était surtout liée à l’incitation à la vaccination qu’il a suscitée ; notre groupe reconnaît à cet égard la force de l’outil vaccinal dans la lutte contre la pandémie. C’est d’ailleurs pourquoi nous souhaitons en priorité, avant que l’on ne parle de mettre en place des mesures restrictives pour lutter contre le virus, un déploiement efficace de l’outil vaccinal.

Les plus fragiles, les plus précaires, les plus éloignés de l’épicentre de notre vie sociale ne sont pas suffisamment vaccinés. Le passe sanitaire aura-t-il un effet protecteur sur ces populations ?

À ce jour, moins de la moitié des personnes éligibles à la troisième dose, c’est-à-dire les plus vulnérables, celles qui en ont particulièrement besoin, y ont eu recours.

Or, madame la ministre, vous avez depuis le début des débats refusé de parler de la troisième dose, de son intégration éventuelle au passe sanitaire, de sa généralisation et même de l’échec de la campagne actuelle pour le public cible. (Mme la ministre fait un geste de dénégation.)

La moitié des personnes complètement vaccinées aujourd’hui ont reçu leurs deux doses avant le 1er juillet 2021. Comment pouvez-vous présenter un texte permettant des mesures extraordinaires jusqu’en juillet 2022 sans discuter de cette baisse annoncée de l’immunité de la population générale vaccinée ? Ce projet de loi est-il le cache-nez d’annonces à venir sur une campagne de généralisation de la troisième dose ?

Aurore Bergé, présidente déléguée du groupe La République en Marche à l’Assemblée nationale, était interrogée ce matin sur la possibilité d’associer cette troisième dose au passe sanitaire ; à la remarque : « Vous dites que c’est une nécessité, mais pour autant, pour l’instant, ce n’est pas inscrit sur le passe sanitaire, contrairement aux deux autres doses », voici ce qu’elle a répondu : « Pour l’instant, non : ce rappel vaccinal n’est pas encore en population générale ». Pourquoi ne voulez-vous pas en discuter maintenant ? Pourquoi ne répondez-vous jamais aux questions qui vous sont posées par les parlementaires du Sénat, madame la ministre ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Parce qu’on n’a pas la réponse !

M. Guy Benarroche. Je le répète : ce projet de loi va trop loin en créant un état d’urgence de précaution contre un risque non quantifié.

Je le redis : le passe sanitaire a un effet pervers ; c’est une illusion de croire en la protection qu’il offrirait alors que le virus circule activement et que l’immunité décline. Cette illusion, accompagnée du relâchement flagrant des gestes barrières, est un danger plus grand que vous ne voulez l’admettre.