Mme la présidente. Votre temps de parole est écoulé, monsieur Assouline !

M. David Assouline. Tout à fait, madame la présidente.

Mme la présidente. Il faut m’aider à exercer une présidence juste et respectée, mon cher collègue. (Sourires.)

M. Philippe Tabarot. Merci d’avoir mis fin à cette prise de parole, madame la présidente ; ce n’était pas le cas tout à l’heure !

Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :

Après le mot :

jours

insérer les mots :

précédents et

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Je l’ai dit précédemment, quelques semaines avant la manifestation du 17 octobre 1961, les historiens déploraient déjà les disparitions de plusieurs militants algériens en région parisienne, dont certaines avaient fait l’objet d’une déclaration à la police. Ces mêmes historiens ont établi ces faits de longue date et les ont resitués dans un engrenage de violences qui, en fait, a duré plusieurs semaines.

Dans un souci de retranscription de la vérité, les auteurs du présent amendement, dont je fais partie, demandent que la présente proposition de loi tienne compte des événements qui ont précédé la répression du 17 octobre 1961, et pas seulement de ceux qui l’ont suivie.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Valérie Boyer, rapporteure. La question de la contextualisation des événements du 17 octobre 1961 est importante. Tous les orateurs l’ont souligné dans leurs interventions.

Cependant, cet amendement pose un problème de contexte : l’article 1er vise la répression de la manifestation du 17 octobre en tant qu’événement singulier. Si l’on inclut les jours précédents, il s’agit non plus de la manifestation et de ses conséquences, mais du climat général de violence de l’époque, qui impliquerait de rappeler aussi les violences contre les policiers, celles qui ont découlé de la lutte entre le FLN et le Mouvement national algérien (MNA), ainsi que la pression exercée, par exemple, pour la levée de l’impôt révolutionnaire.

Je signale que ces faits ne sont pas moins importants, puisque Paris était une wilaya. Les indépendantistes algériens démontraient chaque jour, à cette époque, leur volonté d’organiser leur mouvement. Par ailleurs, cette manifestation était interdite.

C’est la raison pour laquelle la commission est défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire lors de la discussion générale, la loi n’a pas vocation à imposer une certaine version de l’histoire officielle. Le travail des historiens appartient aux seuls historiens, et ce travail est en cours. Nous faisons confiance à ces professionnels des sciences humaines pour nous éclairer sur les faits.

Le Gouvernement est donc défavorable à l’amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Je veux tout d’abord saluer votre évolution sur ce texte, madame la rapporteure : vous nous avez expliqué précédemment qu’il fallait replacer la manifestation du 17 octobre dans un contexte général, et vous vous réfugiez désormais derrière la volonté affichée par notre groupe, que l’intitulé de cette proposition de loi traduit parfaitement, de légiférer sur la seule répression des événements ayant eu lieu le 17 octobre 1961.

Contrairement à vous, madame la rapporteure, nous faisons preuve de cohérence et voterons contre cet amendement : nous entendons légiférer sur les faits survenus le 17 octobre 1961 et les événements qui en ont découlé, à savoir les dizaines de milliers d’arrestations, de blessés et de morts que l’on a dénombrés parmi des citoyens français, au cœur de la capitale, à la suite de l’intervention de la police nationale.

Par cohérence, donc, nous souhaitons maintenir la version actuelle de l’article 1er.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la secrétaire d’État, vous ne le savez peut-être pas, mais je suis un homme obstiné : il va falloir que vous me répondiez ! (Sourires.)

Vous nous dites que le travail des historiens est en cours. Je vous pose à nouveau la question : aujourd’hui, les historiens peuvent-ils avoir accès librement à la totalité des sources archivistiques concernant les événements d’octobre 1961 ? (Non ! sur les travées du groupe SER.)

Je vous autorise à me répondre par oui ou par non, cela simplifiera le débat ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 60 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l’adoption 30
Contre 314

Le Sénat n’a pas adopté.

L’amendement n° 1, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :

Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :

La France reconnaît que cette répression, perpétrée par les forces de l’ordre sous l’autorité hiérarchique de la préfecture de police de Paris, constitue un crime d’État.

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. La dénonciation par Emmanuel Macron de « crimes inexcusables pour la République » est une première pierre à l’édifice de la reconnaissance officielle de ce massacre. Cette déclaration ne va cependant pas assez loin.

Tout d’abord, nous considérons que, bien que la répression ait été orchestrée par le préfet de police de Paris, Maurice Papon, la responsabilité de tels massacres est à chercher au plus haut sommet de l’État français et qu’elle découle à la fois d’une décision et d’un contexte politique.

Ensuite, les historiens ont établi la volonté de dissimulation de l’État. Pendant plus de trente ans, le bilan officiel n’a fait état que de trois victimes, alors que nous savons aujourd’hui – et nous le savions déjà à l’époque – que la répression a causé plusieurs dizaines de morts.

Enfin, les travaux des historiens montrent que la violence de la répression du 17 octobre 1961 est à mettre en regard des techniques de répression coloniale : près de 12 000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri, au stade de Coubertin et au palais des sports notamment. Certains furent torturés lors de leur interrogatoire par les forces de l’ordre.

Dans un souci de retranscription de la vérité et de transmission de la mémoire, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande à ce que soit reconnue comme crime d’État la répression sanglante des manifestants algériens qui a été commise sous l’autorité du préfet de police de Paris Maurice Papon.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Cet amendement tend à faire reconnaître la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 comme crime d’État. Or la commission des lois a considéré que la reconnaissance de la responsabilité de la France ne pouvait pas faire consensus, d’autant plus que la notion de crime d’État, comme vous le savez, mon cher collègue, n’a aucune valeur juridique.

La commission est donc défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Lors de mon intervention en discussion générale, j’ai déjà indiqué ce que nous pensions de ce type de proposition.

Que l’on évoque la « responsabilité » de la France, comme dans notre proposition de loi, ou un « crime d’État », comme dans l’amendement de notre collègue, cela revient au même.

Il en irait tout autrement si M. Benarroche avait parlé de « crime contre l’humanité », parce qu’il s’agit d’une infraction dont les conséquences juridiques sont très différentes. Heureusement, il n’est pas utile d’ouvrir un tel débat dans le cas qui nous intéresse cet après-midi.

En revanche, le fait de qualifier ces faits de crime d’État me semble être une évidence. Raisonnons différemment : si on ne les désignait pas de cette façon, comment les nommerait-on ? On parlerait d’une bavure ou du déchaînement de policiers de base, sur les épaules desquels on ferait peser toute la responsabilité, ou encore de la seule responsabilité du préfet de police.

Autrement dit, on tenterait de nous faire croire que le gouvernement de l’époque laissait le principal préfet de France, celui de Paris, le principal agent de l’État, faire ce qu’il veut au cœur de la capitale, qu’il ne rendait jamais compte de ses décisions à l’exécutif et qu’il agissait comme s’il était en dehors de l’État.

Reconnaître un crime d’État, c’est donc reconnaître les faits. Selon moi, ce point ne relève pas de la controverse historique, mais d’une volonté politique de dissimuler ou non les faits.

Les événements du 17 octobre sont-ils spécifiques ? Après tout, la question se pose car, dans un contexte de guerre, on constate tout un tas de débordements. La réponse à cette question est naturellement : oui, bien entendu ! Je le répète, cette manifestation, pacifique, s’est déroulée au cœur de Paris ; elle rassemblait des Français et, pourtant, il y a eu des dizaines de morts !

À l’époque, personne n’avait fait mention – j’ai regardé dans les archives de toute la presse, y compris Le Figaro ! – de violences contre les policiers. Les policiers blessés…

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. David Assouline. … l’ont été dans le cadre de la répression. Je le redis, la reconnaissance par la France de ce crime d’État me semble constituer une évidence.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Nous avons fait le choix de présenter un texte d’équilibre. Nous l’avons d’ailleurs dit, il revient aux historiens d’établir avec précision les faits, et il nous revient de poser un acte politique. C’est pourquoi notre groupe n’est pas favorable à la qualification de crime d’État et votera contre cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Merci, madame la présidente, de laisser libre cours à mon obstination et de me laisser poser pour la troisième fois une question qui est restée jusqu’ici sans réponse.

Madame la secrétaire d’État, vous nous dites que le travail des historiens est en cours. Rassurez-moi, les historiens peuvent-ils accéder librement à la totalité des archives, ou alors – et c’est plutôt mon interprétation – la loi du 30 juillet 2021, que le gouvernement auquel vous appartenez a présentée comme une loi contribuant à l’ouverture des archives, a-t-elle déjà fait son ouvrage, c’est-à-dire qu’un certain nombre des pièces concernant les événements du mois d’octobre 1961, qui étaient jusqu’ici consultables, ne le sont plus ?

L’article L. 212-26 du code du patrimoine vous offre la faculté de déclasser toutes ces archives par simple arrêté. Je crois que le Gouvernement devrait prendre, dès aujourd’hui, l’engagement de promulguer un tel arrêté. Il s’agirait d’une très bonne nouvelle pour les historiens, car vous leur permettriez de travailler en toute sérénité sur ces documents.

Je vous remercie par avance pour votre réponse, madame la secrétaire d’État.

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. Je ne suis pas favorable à ce que l’on qualifie cette répression de « crime d’État ». En effet, l’État de l’époque n’était pas l’État d’aujourd’hui. C’est du reste la raison pour laquelle le président Jacques Chirac, en 1995, avait parlé de la responsabilité de la France, et non de celle de l’État.

Dans la mesure où les faits dont nous débattons se sont déroulés dans un contexte de colonisation, peut-être devrait-on plutôt les désigner comme un « crime de la France ».

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.

M. François Bonhomme. Les termes figurant dans le dispositif de cet amendement posent question. Ils laissent entendre qu’il y aurait eu une volonté de dissimulation orchestrée par l’État, un mensonge d’État, un crime d’État.

Notre collègue Benarroche pousse en réalité la logique initiale du texte jusqu’au bout. Cette proposition de loi s’inscrit en effet dans une logique de génuflexion forcée, de pensée victimaire.

Ce texte, comme bien d’autres auparavant, vient se heurter à la nécessité de protéger la matière historique de ce genre d’intervention politique. Si la loi commence à prescrire la vérité historique, nous sommes forcément sur une pente glissante.

Par ailleurs, pardonnez-moi de le dire ainsi, madame la secrétaire d’État, mais vous ne répondez pas aux questions !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Rassurez-vous, je vais le faire !

M. François Bonhomme. De mon point de vue, votre attitude n’est ni correcte ni respectueuse du Parlement.

M. François Bonhomme. Nous vous posons des questions tout à fait légitimes, qui participent du droit d’interpellation des parlementaires. Il n’est pas convenable de garder le silence, quoi que l’on pense par ailleurs des questions qui vous sont posées de façon répétée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Pour en revenir à cet amendement, je suis évidemment très défavorable à une commémoration de cette nature, car elle contribuerait à accentuer la pente glissante que je décrivais à l’instant. Cette mesure ne va ni dans le sens de l’apaisement ni dans celui de la vérité historique.

Mme la présidente. Je précise à votre attention, monsieur Bonhomme, que Mme la secrétaire d’État avait demandé la parole il y a déjà quelques instants et qu’elle interviendra après M. Éric Kerrouche, à qui je donne immédiatement la parole pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. Dans la mesure où je suis, comme M. Ouzoulias, un universitaire, je veux m’assurer, madame la secrétaire d’État, que vous avez bien compris la question toute simple qu’il vous a posée (Rires sur des travées du groupe SER.) : oui ou non, les historiens peuvent-ils faire leur travail sur cette période ? S’ils ne peuvent pas le faire, ferez-vous en sorte que tel soit le cas ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Messieurs les sénateurs, j’ai bien entendu à la fois votre question et votre interpellation. Je vais y répondre précisément,…

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. … puisque l’amendement n° 3 rectifié de Mme Benbassa va m’en donner l’occasion. (Exclamations amusées sur les travées des groupes CRCE et SER.)

M. Éric Kerrouche. Passons tout de suite à la saison 2 ! (Sourires.)

M. Pierre Ouzoulias. Ce n’est plus le Sénat, c’est une série Netflix… (Nouveaux sourires.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 61 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l’adoption 29
Contre 315

Le Sénat n’a pas adopté.

Je mets aux voix l’article 1er.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 62 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l’adoption 94
Contre 236

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi relative à la commémoration de la répression d'Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris
Article 2

Après l’article 1er

Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Benbassa, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’accès des archives relatant cette période doit être assuré de plein droit et sans entrave à tous les citoyens.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Le 9 mars dernier, Emmanuel Macron déclarait vouloir faciliter l’accès aux archives classifiées depuis 1971. Cette période inclut les années sombres de la guerre d’Algérie, y compris la répression du 17 octobre 1961 et les jours qui la suivent.

Cette promesse a rapidement été rompue par le Gouvernement lui-même qui, profitant de la loi Sécurité globale, a restreint cette prétendue ouverture aux documents classés secret-défense.

Désormais, tout conservateur des archives doit effectuer un travail supplémentaire d’interprétation pour déterminer si tel ou tel document connaît une perte de valeur opérationnelle, et donc pour savoir s’il est consultable : il s’agit d’une double peine pour les chercheurs dont les travaux sont entravés et empêchés par toutes ces lourdeurs administratives.

Au-delà de cette restriction, je pense aux familles qui vivent dans la douleur et l’incompréhension de leur propre histoire. Longtemps, il a existé une omerta sur cette partie de l’histoire franco-algérienne.

Les enfants et les petits-enfants français de parents algériens, qui n’ont évidemment vécu ni l’événement dont nous débattons ni la guerre, n’ont plus à tolérer ce silence ; ils sont en droit de chercher et de connaître la vérité puisque celle-ci se trouve dans les archives, dont une part seulement est accessible.

Il est temps, soixante ans après, de soigner cette blessure mémorielle. Il est de notre devoir de contribuer à ce travail d’histoire et de mémoire, en ouvrant définitivement l’accès aux archives à tous les citoyens, afin de compléter les travaux historiques déjà engagés. Le droit à l’information, à la recherche, à la science est inaliénable.

Je veux dire un dernier mot pour répondre à M. Bonhomme. Il existe différentes histoires mémorielles, mon cher collègue, il n’y a pas que la guerre d’Algérie. Songez aux Arméniens et à bien d’autres peuples encore. Je ne vois pas bien quels pourraient être les critères sur le fondement desquels on jugerait que l’une mériterait d’être reconnue et pas l’autre.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Croyez bien que je le regrette, madame la secrétaire d’État, mais je vais donner la position de la commission avant la vôtre sur cette question des archives. (Sourires.)

L’amendement de Mme Benbassa tend en effet à ce que l’accès aux archives, pour la période qui nous intéresse, soit ouvert de plein droit à tous les citoyens.

Il est dans l’intérêt de chacun que la recherche historique puisse se fonder sur les sources. C’est une évidence. S’agissant de la manifestation du 17 octobre 1961, je rappelle néanmoins que les archives de la préfecture de police et de la justice sont ouvertes aux historiens depuis maintenant plus de vingt ans, par dérogation à la loi de 1979 sur les archives.

Je rappelle aussi que M. Jean-Paul Brunet (Mme Esther Benbassa et M. Rachid Temal protestent.) a écrit deux ouvrages sur le sujet, qui reposent sur une exploitation particulièrement minutieuse des archives.

M. Rachid Temal. Un peu orientés !

Mme Valérie Boyer, rapporteure. D’ailleurs, je vous invite à les lire : l’un de ces ouvrages est conservé par la bibliothèque du Sénat ! (Nouvelles protestations sur des travées des groupes CRCE et SER.) D’autres fonds ont récemment été déclassifiés, et j’espère que les archives encore manquantes seront retrouvées.

Je profite de l’occasion qui m’est donnée, madame la secrétaire d’État, pour vous demander des précisions concernant les archives militaires, notamment sur les événements de la rue d’Isly, dont on nous a dit qu’elles auraient disparu. Nous aimerions aussi obtenir des réponses sur les disparus d’Algérie, au sujet desquels nous ne disposons toujours pas d’éléments probants et concluants (M. Rachid Temal sexclame.) : cela fait maintenant plus de soixante ans que les familles attendent le retour de leurs disparus et restent sans réponse.

M. Jean-Marc Todeschini. Parlons de la Syrie et de Bachar el-Assad !

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Je le redis, un important travail a été conduit par les historiens sur la base des archives existantes. Le présent amendement veut ériger en principe l’accès à toutes les archives de cette période pour tous les citoyens. Or cela ne nous semble pas possible, et la commission émettra un avis défavorable.

Pour conclure, je souhaite revenir sur les propos que vous avez tenus précédemment, madame Benbassa. Vous avez affirmé que le Parlement s’occupait de lois mémorielles. C’est tout à fait exact : je vous signale que la loi que vous avez pris pour exemple pour illustrer votre propos, c’est-à-dire la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien, est une loi mémorielle précisément parce que cette reconnaissance n’a aucune portée normative. Ce texte ne crée pas d’infraction pénale sanctionnant la négation du génocide du 24 avril 1915. C’est la raison pour laquelle cette affaire est pendante depuis 2001 pour tous les génocides reconnus par la loi française.

La présente proposition de loi est effectivement un texte symbolique, sans valeur normative, et c’est aussi la raison pour laquelle nous en discutons de cette manière. Je crois qu’il faut souligner la différence entre ce texte et les lois pénalisant le négationnisme, à l’instar de la loi Gayssot.

Avis défavorable.

M. Rachid Temal. Bref, deux poids, deux mesures !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Mme la rapporteure a déjà partiellement répondu à propos des archives de la préfecture de police.

En complément, j’indique que le ministère de la culture, dont je salue le travail, a également engagé une démarche visant à créer une dérogation plus générale pour les archives de la guerre d’Algérie, dérogation qui devrait porter sur l’ensemble des fonds archivistiques, quel que soit leur lieu de conservation, ce qui permettra une ouverture plus large de l’accès à l’ensemble de ces documents.

C’est pourquoi, madame la sénatrice, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la secrétaire d’État, je crains que vous n’ayez pas tout à fait suivi l’actualité législative du Gouvernement : le 30 juillet 2021 a été votée, sur l’initiative de l’exécutif, une loi qui restreint l’accès aux archives, y compris celles qui dataient de plus de cinquante ans, et qui étaient jusqu’à présent communicables. De ce point de vue, cette loi a constitué un recul archivistique net.

Votre réponse engage le Gouvernement dans son ensemble, madame la secrétaire d’État. Dois-je en conclure que les dispositions de la loi du 30 juillet 2021, qui restreignent la communicabilité des archives, ne s’appliqueraient pas aux événements du mois d’octobre 1961 ?

C’est une parole forte que j’attends de vous, parce que derrière nos débats, il y a des archivistes, des historiens qui sont prêts à engager des recours s’ils ne pouvaient pas accéder librement à ces archives.

Par ailleurs, la même loi du 30 juillet 2021, au travers de l’article L. 213-3-1 du code du patrimoine, vous oblige et oblige les Archives nationales, quand il s’agit de documents respectant les critères fixés par ce texte, à rendre publics le déclassement et le récolement des pièces, et les délais de communicabilité. Si vous restreignez l’accès à ces archives, il faudra nous indiquer de quelles archives il s’agit, les raisons pour lesquelles vous le faites et la durée de cette restriction.

Encore une fois, madame la secrétaire d’État, nous attendons une réponse très précise de votre part sur ce dossier. Le sujet est important : aujourd’hui, certains étudiants ont dû arrêter leurs travaux en raison des incertitudes qui pèsent sur la communicabilité de ces archives. On ne peut pas suspendre tous les travaux de recherche au motif que les Archives nationales sont dans l’incapacité de répondre aux chercheurs sur ce point !

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. J’indique au préalable que nous voterons cet amendement.

Je rappelle par ailleurs que certaines archives n’ont jamais été retrouvées. Je pense en particulier au rapport du préfet de police de l’époque, Maurice Papon, sur les événements. Ce dossier, comme bien d’autres pièces, est toujours considéré comme disparu. C’est un véritable sujet de préoccupation et l’un des éléments qui ont conduit à la situation que nous connaissons actuellement.

Je veux également apporter mon soutien à mon collègue Ouzoulias, car il a parfaitement raison : aujourd’hui, chacun voit bien que le monde de la recherche est en difficulté. Depuis la réforme, les archivistes doivent évaluer chaque pièce, une à une, pour déterminer si telle ou telle peut être consultée.

Le déclassement des archives est nécessaire pour enfin comprendre ce qui s’est passé le 17 octobre 1961. Cela vaut pour les archives liées à cet événement, mais également pour l’ensemble des archives de notre pays, dès lors, évidemment, qu’elles ne portent pas atteinte à la sûreté de l’État.