Mme Valérie Boyer. Ce que la loi a fait, la loi peut le défaire – je dirais même, doit le défaire.

Le 6 décembre 2012, on a imposé sans concertation une journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, fixée le 19 mars, date d’entrée en vigueur du prétendu cessez-le-feu issu des accords d’Évian.

En effet, la date du 19 mars est officiellement celle à laquelle un cessez-le-feu a été décrété en Algérie, au lendemain des accords d’Évian. L’ancien chef de l’État Nicolas Sarkozy disait : « Pour qu’une commémoration soit commune, il faut que la date célébrée soit acceptée par tous. Or chacun sait qu’il n’en est rien, le 19 mars reste au cœur d’un débat douloureux. »

Jacques Chirac, qui avait été sous-lieutenant durant ce conflit, choisit avec discernement une autre date d’anniversaire, celle du 5 décembre. Puis, il y eut le 25 septembre, une date qui apaise.

Même François Mitterrand estimait que l’on ne pouvait retenir la date du 19 mars, car « il y aurait confusion dans la mémoire de notre peuple. Ce n’est pas l’acte diplomatique rendu à l’époque qui pourrait s’identifier à ce qui pourrait apparaître comme un grand moment de notre histoire, d’autant plus que la guerre a continué, que d’autres victimes ont été comptées et que, au surplus, il convient de ne froisser la conscience de personne ».

C’est pour cette raison que je souhaitais tout à l’heure évoquer les événements qui se sont déroulés après le 19 mars. En effet, on ne peut pas séparer les mémoires ; toutes les mémoires blessées de la guerre d’Algérie doivent être reconnues et commémorées.

C’est pour cette raison, aussi, que je tenais à citer M. Jean Tenneroni sur cette question précise de la date du 19 mars, qui n’est pas propre à apaiser les mémoires, indépendamment, d’ailleurs, de l’origine, de la confession ou du parcours des Français d’Algérie.

Voici donc un changement que l’on pourrait apporter, pour tenter d’apaiser les mémoires et, en tout cas, ne pas les mettre en concurrence.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tabarot, pour présenter l’amendement n° 34 rectifié ter.

M. Philippe Tabarot. Avant de défendre cet amendement, ce que je ferai avec plaisir, je dirai un mot à l’attention de Mme la rapporteure et Mme la ministre, qui ont refusé de soutenir nos précédents amendements, notamment s’agissant de la qualité de Français de nos amis harkis.

Ce qui nous a été dit, c’est qu’il y aurait des difficultés par rapport à quelques Marocains et Tunisiens, et cela semblait être un souci pour vous. En revanche, exclure du dispositif de l’article 2 pratiquement 50 000 harkis ne semble vous poser aucun problème !

S’agissant de la date du 19 mars, celle-ci marque l’entrée en vigueur de funestes accords d’Évian, qui n’ont jamais signifié la fin des combats et des exactions. Après cette date, de sinistre mémoire, des milliers de harkis et de pieds-noirs ont perdu la vie dans des assassinats et des massacres, comme ceux de la rue d’Isly et du 5 juillet à Oran.

Commémorer les accords d’Évian, c’est commémorer l’abandon et la douleur subie par ceux qui se battaient pour la France. Si la France souhaite honorer la mémoire des harkis, qui l’ont choisie pour ce qu’elle était et pour les valeurs qu’elle portait, alors nous ne pouvons accepter d’honorer le 19 mars 1962, cette date marquant le début des exactions à leur encontre, ainsi qu’à l’encontre des pieds-noirs – le fameux « la valise ou le cercueil », que j’ai précédemment évoqué à la tribune.

Le présent amendement vise donc à abroger la loi de M. Hollande du 6 décembre 2012 relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Je vous demande, mes chers collègues, de soutenir cet amendement particulièrement symbolique.

Profitant de ce qui me reste de temps de parole, j’ajoute un dernier point : nous sommes vraiment le seul pays au monde à célébrer une défaite… Car le 19 mars 1962 est une défaite ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Non, c’est la paix !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. C’est un sujet important et douloureux que nous évoquons ici, et l’on voit bien à quel point il divise.

Néanmoins, la question ne me semble pas pouvoir être tranchée dans le présent texte : même si je comprends les interventions des uns et des autres, elle doit être portée à un autre moment.

Je demande donc le retrait de ces deux amendements identiques, faute de quoi j’émettrais un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. Effectivement, le sujet est profond et difficile.

La date du 19 mars, sur un plan factuel et historique, marque ce que l’on appelle le « cessez-le-feu » à la suite de la signature des accords d’Évian.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. On sait, toujours sur un plan historique, que les violences ont continué au-delà de cette date – d’ailleurs, nous avons voté la fameuse carte du combattant pour les services effectués en Algérie du 3 juillet 1962 au 1er juillet 1964, ce qui montre bien que des combats ont encore eu lieu durant cette période. Néanmoins, les accords d’Évian prévoient bien l’arrêt de la lutte.

S’agissant des journées mémorielles, je suis tout de même assez frappée de voir, aux cérémonies du 19 mars, un certain nombre de personnes que je ne vois jamais à celles du 5 décembre, et inversement. Et c’est un peu la même chose pour le 25 septembre…

Il me semble donc que nous devrions collectivement, avec sagesse, dignité et intelligence, nous orienter vers une date unique. Mais, je puis vous le dire, mesdames, messieurs les sénateurs, nous n’y sommes pas prêts !

Voilà cinq ans que j’entretiens un échange permanent avec les associations. Nous menons, en commission, un travail soutenu et de confiance. Mon sentiment est que nous ne sommes pas encore prêts, même si nous allons progressivement avancer.

À cet égard, je suis très heureuse que, pour les commémorations du soixantième anniversaire des accords d’Évian – ne parlons pas de la fin de la guerre d’Algérie –, un accord ait été trouvé entre les associations pour organiser une cérémonie d’ampleur, rassemblant tout le monde, à une date qui ne sera ni le 19 mars ni le 5 décembre. Ces deux dates étant officielles, il y aura bien sûr des commémorations, mais nous travaillons avec les associations à ce rassemblement sur une seule et même date. Ce sera – je crois que l’annonce a été faite – le 18 octobre.

Le texte que nous examinons aujourd’hui concerne les harkis et leurs familles. La date du 19 mars est, bien entendu, douloureuse pour eux. Mais je ne pense pas qu’il faille l’ôter de ce calendrier, qui est complexe.

Pour rencontrer beaucoup de jeunes dans les établissements scolaires, je puis dire qu’il est très difficile, dans le cadre d’un travail de mémoire, de construire des messages simples à destination de la jeunesse quand on a plusieurs dates de commémoration différentes. La sagesse voudrait donc que, progressivement, nous allions vers une date unique. Cela étant, j’y insiste, nous ne sommes pas encore tout à fait prêts.

Pour finir, je voudrais revenir sur l’évocation par Mme Boyer des exactions commises rue d’Isly le 26 mars 1962. Cette question n’entre pas du tout dans le périmètre du projet de loi, puisque, je le répète, nous traitons aujourd’hui de la question des harkis.

Toutefois, madame la sénatrice, sachez que j’ai participé, le 26 mars dernier, à la cérémonie organisée par les associations au mémorial du quai Branly et que, à cette occasion, j’ai déposé une gerbe au nom du Président de la République. Celui-ci tient donc compte, aussi, de la mémoire des rapatriés et des faits qui se sont déroulés après la date du 19 mars 1962.

J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.

Mme Michelle Gréaume. Pour être fructueux, le travail de mémoire doit se réaliser ensemble, sans omettre les aspects les plus douloureux. Ce n’est malheureusement pas le sens des amendements que nous examinons maintenant et dont l’objet véritable est, au détour d’un projet de loi de reconnaissance de la Nation, de tenter de réécrire l’histoire.

La guerre d’Algérie a pris fin le 19 mars 1962, avec l’entrée en vigueur du cessez-le-feu prévu par les accords d’Évian. Cette date est celle qui est reconnue par les autorités françaises et algériennes pour la commémoration dans notre pays. Le 5 décembre, journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, ne correspond à aucune date historique.

C’est surtout l’objet de ces amendements, niant la responsabilité de l’Organisation armée secrète (OAS) dans la tuerie de la rue d’Isly, qui est inacceptable.

Les historiens ont reconnu la responsabilité des activistes d’extrême droite de l’OAS dans la fusillade du 26 mars 1962, ayant entraîné le décès de 80 Européens d’Algérie envoyés contre les forces de police. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Tabarot. Quelle honte ! Cessez de dire des choses pareilles !

Mme Valérie Boyer. Vos propos sont scandaleux !

Mme Michelle Gréaume. Ce sont ces mêmes terroristes qui ont massacré de nombreux militants communistes en Algérie et tenté d’assassiner le général de Gaulle lors de l’attentat du Petit-Clamart.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Vous ne savez pas de quoi vous parlez !

Mme Michelle Gréaume. Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera contre ces amendements identiques, dont les auteurs revisitent et réécrivent l’histoire de la guerre d’Algérie, au mépris des milliers de victimes qu’elle a suscitées.

M. Philippe Tabarot. Porteurs de valises !

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. Je suis quelque peu étonnée de voir apparaître ces amendements identiques, au détour d’un texte portant sur la reconnaissance et la réparation envers les harkis, et ressurgir le thème de la date du 19 mars, depuis longtemps cher à certains de nos collègues.

Il fallait bien choisir une date, et celle du 19 mars marque tout de même la signature des accords d’Évian, qui ont mis fin à la guerre. Certes, des exactions, des assassinats et des massacres ont été commis de tous côtés par la suite, mais cela n’ôte pas sa validité à la date, et je ne crois pas que toutes les exactions aient cessé après le 11 novembre 1918 ou, plus encore, après le 8 mai 1945.

Il me semble que le cessez-le-feu a constitué un moment essentiel. Cette date du 19 mars, effectivement arrêtée sous la présidence de François Hollande, le 6 décembre 2012, revêt une importance extrême, notamment pour les appelés du contingent qui se trouvaient alors en Algérie. De nombreuses associations d’anciens combattants d’Algérie, du Maroc et de Tunisie y sont d’ailleurs très favorables, comme la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (Fnaca), une association très présente dans ma région.

M. Philippe Tabarot. Une seule association !

Mme Émilienne Poumirol. Personne ne nie les événements qui se sont déroulés après le 19 mars. Néanmoins, cette date marque le début de la paix, et nous nous devons de la célébrer.

Nous voterons donc contre ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Je ne comprends pas bien non plus ce que viennent faire ces amendements dans l’examen de ce projet de loi. Nous évoquons ici la reconnaissance de la Nation envers les harkis et la prise en compte de toutes les situations qu’ils ont connues, sans distinction ni discrimination ; et voilà que certains de nos collègues ressortent un vieux leitmotiv, qui, on le sait bien, leur tient à cœur.

Le cessez-le-feu du 19 mars 1962 a été un soulagement pour des milliers de familles, qui ont vu leurs enfants revenir. C’est la date à laquelle la Fnaca, forte de plusieurs milliers d’adhérents, rend chaque année hommage aux victimes de ces conflits.

Pour rappel, depuis 1963, quelque 4 000 lieux de mémoire ont été installés dans nos villes, avec des plaques commémoratives ou des noms de rue. On y rend hommage aux victimes chaque 19 mars.

Ce que vous nous proposez aujourd’hui, madame Boyer, monsieur Tabarot, c’est au fond de supprimer un symbole de paix, comme l’a fort bien dit ma collègue Michelle Gréaume ; c’est d’opposer, une fois de plus, les populations les unes aux autres. (M. Philippe Tabarot proteste.)

Vous voulez que l’on débaptise certaines de nos rues, que l’on retire certaines de nos plaques commémoratives, afin que la mention du 19 mars 1962 n’apparaisse plus nulle part. D’autres ont déjà osé le faire ! D’autres ont déjà réécrit l’histoire ! Deux maires issus du Front national ont ainsi débaptisé des rues portant ce nom et retiré les plaques commémoratives du 19 mars 1962. Pourtant, oui, cette date est celle du cessez-le-feu, qui a mis fin à la guerre d’Algérie.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.

M. Olivier Paccaud. On ne choisit jamais une date de commémoration par hasard. Certaines, comme le 11 novembre ou le 8 mai, s’imposent par le poids de granit de l’histoire. Mais d’autres doivent être le fruit d’échanges et de discussions. Cela a d’ailleurs été le cas du 14 juillet : arrêtée par le Parlement, à cause non pas du 14 juillet 1789, mais du 14 juillet 1790, la date de la fête nationale a donné lieu à un débat extrêmement poussé.

Dans le cas présent, vous avez vous-même souligné, madame la ministre, que le 19 mars était une date très douloureuse.

En effet, contrairement à ceux qui accusent M. Philippe Tabarot et Mme Valérie Boyer de vouloir réécrire l’histoire, je tiens à observer que le sang a continué de couler après le 19 mars 1962. Et il a coulé d’une façon encore plus atroce, puisque ceux qui ont été massacrés se trouvaient sans défense, sans protection, et l’ont été précisément du fait que, à compter du 19 mars, les troupes officielles avaient rangé leurs armes.

Il y a bien eu un accord, précisément le 18 mars 1962, entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République algérienne. Mais, j’y insiste, le sang ne s’est malheureusement pas arrêté de couler. Le 19 mars 1962 a inauguré des calendes de la haine, pendant lesquelles des dizaines de milliers de personnes sont mortes dans des conditions si terribles que je n’ose même pas les décrire.

Je vous rejoins, madame la ministre : j’espère que nous aboutirons à une date unique. Mais, sincèrement, fixer la commémoration au 19 mars constitue un non-sens historique, une faute morale et une provocation envers les sacrifiés. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot, pour explication de vote.

M. Philippe Folliot. L’examen de ces amendements nous renvoie à des débats qui ont maintes fois eu lieu ici, dans cet hémicycle, ainsi que dans d’autres assemblées.

Pour ma part, je ne les voterai pas, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, comme plusieurs de nos collègues l’ont rappelé, nous débattons d’un projet de loi de reconnaissance envers les harkis, et non d’un texte relatif à des actes mémoriels ou des journées nationales du souvenir de tel ou tel événement.

Ensuite, bien entendu, le 19 mars est une date qui fait débat, comme d’autres dates commémoratives, d’ailleurs. Je le dis très sincèrement, tout le monde reconnaît la réalité historique que nos collègues cherchent à dénoncer. Effectivement, des exactions ont été commises après le cessez-le-feu du 19 mars, et nombre de harkis et de leur famille en ont été victimes. Nul ne le conteste !

Pour autant, les propos de Mme la ministre, indiquant qu’il faut prendre le temps de chercher et de trouver un cadre consensuel dans lequel inscrire ce travail de mémoire, ont une très grande importance.

Nous chercherons ce cadre spécifique, mais n’oublions pas qu’une loi du 28 février 2012 a fait du 11 novembre, date de commémoration de la Première Guerre mondiale, une date du souvenir de tous les morts pour la France de toutes les guerres et tous les conflits. C’est aussi, me semble-t-il, un élément important.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Comme le débat doit être serein, et nous avons tous raison de le vouloir ainsi, prenons les choses simplement.

Effectivement, nous examinons la question des harkis. (M. Philippe Tabarot sexclame.) Le mieux est donc de se concentrer sur le sujet, d’autant que, comme nous avons pu le constater, il n’est pas simple à traiter.

Par ailleurs, certaines réalités historiques ne peuvent être contestées. La date du 19 mars est celle de la fin des combats, donc, de fait, de la « guerre d’Algérie », même s’il a fallu attendre 1999, sous le gouvernement de Lionel Jospin, pour que l’expression soit officialisée. Personne ne peut prétendre le contraire !

Chacun peut reconnaître, aussi, que des exactions terribles ont été commises de part et d’autre entre le 19 mars 1962 et le début du mois de juillet de la même année, marquant les populations des deux pays. C’est également incontestable !

Monsieur Paccaud, vous avez souligné que la date du 14 juillet avait été arrêtée par le Parlement. Celle du 19 mars a été fixée par une loi de la République ; elle s’impose donc à nous.

Plutôt que de tenter de la supprimer par amendement – je n’étais pas loin d’évoquer un cavalier législatif –, je propose d’avoir un vrai débat parlementaire sur la question. Chacun aura son avis sur la date à arrêter, mais le Parlement y retrouvera toutes ses lettres de noblesse.

En tout cas, il ne me semble pas que l’on puisse aujourd’hui, par amendement, revenir sur une loi, celle qui institue la date commémorative du 19 mars, ou prétendre que certaines réalités historiques n’en sont pas.

Par conséquent, je ne voterai pas ces amendements identiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Bien que je respecte la préoccupation des auteurs de ces amendements – dans notre assemblée, le respect est très important, me semble-t-il –, je suivrai néanmoins l’avis de la commission, exprimé par Mme la rapporteure.

Premièrement, nous sommes associés aux cérémonies du 19 mars, comme à celles du 5 décembre. Cela fait partie de notre mission : nous participons aux cérémonies nationales, comme la journée nationale d’hommage aux harkis, instaurée à l’article 1er bis du présent projet de loi. Ces différentes dates ont été fixées par la loi, et nous la respectons.

Deuxièmement, avec le président Jean-Claude Requier et notre collègue Cécile Cukierman, je rencontre très régulièrement, au nom de nos groupes respectifs, des représentants des associations patriotiques pour évoquer avec eux leurs sujets de préoccupation, en particulier lors de l’examen des lois de finances.

Aussi, je le répète, je soutiens la position de Mme la rapporteure.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Nous examinons un texte relatif aux harkis et nous devons tout faire pour que réparation leur soit donnée des préjudices qu’ils ont subis, afin de leur rendre la dignité à laquelle ils aspirent.

Aussi, je ne comprends vraiment pas pourquoi certains de nos collègues ont cru bon de déposer ces deux amendements polémiques. Certes, nous devons prendre le temps de les examiner, mais ils affaiblissent notre discussion. C’est la raison principale pour laquelle nous ne les voterons pas.

J’en invoquerai une seconde. Comme Valérie Boyer – j’étais sans doute un peu plus âgé qu’elle –, je suis arrivé d’Afrique du Nord ma valise à la main ; de fait, le mois de mars 1962 n’évoque pas de bons souvenirs pour ma famille et nous ne commémorons donc pas cette date pas, en raison de toutes les exactions qui ont eu lieu à ce moment-là et des morts qu’elles ont causées. Sur ce point, je suis d’accord avec vous.

Pour autant, ne réécrivons pas l’histoire, madame Boyer, monsieur Tabarot. Au départ, dans ma ville, ces exactions ont été le fait de l’OAS. Soyons clairs !

J’ai vécu là-bas, et je sais bien, pour les avoir vécues avec mes parents, ce qu’elles ont été ; vous savez de quoi je veux parler. Elles ont été commises par les deux parties, dans une guerre qui fut une vraie guerre d’indépendance.

M. Philippe Tabarot. C’est l’OAS qui a massacré 100 000 harkis ?

M. Guy Benarroche. Monsieur Tabarot, je ne vous ai pas interrompu !

Par conséquent, c’est dans la sérénité, en prenant le temps nécessaire et en impliquant les différentes parties prenantes que nous devons débattre de la date à laquelle certains événements doivent être commémorés, et non pas au détour de l’examen d’un projet de loi sans rapport avec le sujet, en invoquant de mauvais prétextes.

On ne peut pas opposer les morts d’un côté aux morts de l’autre, les exactions de certains aux exactions des autres, ce qui s’est passé rue d’Isly à ce qui s’est passé ailleurs. Il n’est pas possible de le faire, ce soir, ici au Sénat, au détour d’un texte sur les harkis ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.

Mme Valérie Boyer. Mes chers collègues, je me permets simplement de poser une question : soixante ans après 1962, serions-nous ce soir dans cet hémicycle pour parler des harkis s’il n’y avait pas eu de massacres après le 19 mars de cette année-là ? Bien sûr que non !

Les harkis ont été massacrés parce qu’ils ont été abandonnés, parce que, comme l’a fort bien dit notre collègue Olivier Paccaud, ils ont été désarmés.

M. Rachid Temal. Désarmés par qui ?

Mme Valérie Boyer. Je suis d’accord avec vous, mon cher collègue : il faut examiner ce texte dans la sérénité. Lorsque j’étais députée, j’avais déposé plusieurs propositions de loi portant sur la date du 19 mars et sur la reconnaissance de ce qui s’est passé rue d’Isly le 26 mars 1962 et à Oran le 5 juillet de la même année.

Madame la ministre, moi aussi, chaque 26 mars, je me rends aux cérémonies en souvenir des 80 Français tués rue d’Isly, à Bab-El-Oued, parce qu’un tel événement doit être commémoré ; je fais de même chaque 5 juillet, en souvenir des 700 personnes tuées à Oran le 5 juillet 1962 et enterrées en catimini au Petit-Lac, parce qu’un tel événement doit être commémoré ; et, bien évidemment, chaque 25 septembre, je me rends au monument érigé en hommage aux harkis, tout comme chaque 5 décembre je rends hommage à tous les morts d’Afrique du Nord.

Aujourd’hui, nous examinons en effet un texte relatif aux harkis, qui sont concernés au premier chef, comme tous les Français des trois départements d’Algérie, par ce qui s’est passé après le 19 mars. C’est la raison pour laquelle nous demandons depuis des années, avec un certain nombre de mes collègues, dont Philippe Tabarot, que cette date soit revue.

Comme je le disais tout à l’heure en présentant mon amendement, ce qu’une loi a fait, une autre loi peut le défaire. Fixons une date unique pour rassembler et réconcilier les mémoires plutôt que de les diviser. Le 19 mars n’est pas une bonne date. (M. Olivier Paccaud applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou, pour explication de vote.

M. Serge Mérillou. Je n’avais pas prévu d’intervenir sur ce projet de loi, mais je tiens tout de même à dire que le 19 mars est une date historique, marquant la fin d’une bien trop longue guerre – sept ans –, qui a fait énormément de victimes. Ce fut un soulagement dans tout le pays.

Certains disent que, après le 19 mars, il y a eu des morts et que l’on a assisté à des règlements de comptes. Mais le 8 mai 1945 marque la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que les règlements de comptes ont aussi été très nombreux après cette date. Malheureusement, et c’est ainsi, une guerre ne cesse pas forcément au moment du cessez-le-feu, même si l’histoire retient cette date.

À quoi peut-on bien rattacher la date du 5 décembre, sinon à une quelconque décision politique ? En tout cas, ce n’est pas une date historique. Bien évidemment, je ne voterai pas ces deux amendements identiques : la quasi-totalité des anciens combattants d’Algérie est très attachée à la date du 19 mars, parce qu’ils savent qu’elle marque la fin d’une période qui fut pour eux très difficile.

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. La commission a bien compris l’esprit qui sous-tend ces deux amendements identiques, ainsi que les positions des uns et des autres. Nous mesurons tous, dans nos départements, combien cette question est complexe : certaines associations sont favorables au 19 mars, au contraire d’autres. Le débat mérite donc d’être soulevé.

Moi aussi, je serais très favorable à ce que soit fixée une date unique pour commémorer cette histoire douloureuse ; néanmoins, la commission a jugé que nous ne pouvions trancher ce débat au détour de deux amendements déposés sur ce projet de loi. C’est pourquoi, aussi intéressant que soit ce sujet, elle a émis un avis défavorable.

Comme elle l’aurait fait pour tout autre texte, elle s’est attachée à ne pas retenir des amendements tombant sous le coup de l’article 40 ou de l’article 45 de la Constitution, même si, chacun le sait, cette procédure est toujours désagréable pour leurs auteurs – cela m’est arrivé plusieurs fois, comme à beaucoup d’entre vous –, d’autant plus si la question est digne d’intérêt. C’est ainsi que se fait la loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Requier. Puisque chacun prend la parole, à mon tour de m’exprimer ! (Sourires.)

Je ne m’attendais pas à ce que soit évoquée ce soir la date du 19 mars. Certes, on peut en débattre, mais, comme l’a dit tout à l’heure l’un de nos collègues, elle a un caractère officiel et marque le cessez-le-feu en Algérie, et non pas, malheureusement, la fin des morts et des exactions, nombreuses tant du côté algérien que du côté français. Ainsi va l’histoire, on ne peut pas l’oublier. Mais, je le répète, cette date marque officiellement la fin de la guerre.

En 1962, j’avais 15 ans. Quand les accords d’Évian ont été signés, un dimanche, les bals et les orchestres se sont arrêtés et l’on a annoncé partout que c’était la fin de la guerre d’Algérie.

Souvenez-vous, mes chers collègues : on a envoyé là-bas non seulement l’armée d’active, mais aussi, sans leur demander leur avis, les appelés du contingent, qui ont compté dans leurs rangs de nombreux morts. Le soulagement fut grand dans les familles, parmi les parents, parmi les conjoints. Même si, et l’on ne peut que le regretter, des morts ont été comptés par la suite, on ne peut effacer cette date.