M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Catherine Colonna, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ce débat et de vos interventions, très largement convergentes entre elles, et avec nos propres lignes.

Vous l’avez tous rappelé, le 16 septembre dernier, Mahsa Amini est morte, à 22 ans, sous les coups de la police des mœurs de la République islamique d’Iran, qui l’avait arrêtée au prétexte qu’elle aurait mal porté son voile. Une vie détruite. Et pourquoi ? Pour une mèche de cheveux dépassant d’un voile…

Quelques jours plus tard, une autre jeune fille, puis tant d’autres étaient victimes de la même violence, lorsque la répression du régime s’abattit brutalement sur les manifestantes et les manifestants partout en Iran : de Saqqez, la ville natale de Mahsa Amini, à la ville sainte de Qom ; de Mashhad à Téhéran, de Chiraz à Ispahan ou à Karaj. Tant de vies détruites parce que ces jeunes femmes osaient revendiquer leur liberté, parce qu’elles osaient affirmer que leur dignité valait non pas moins, mais autant que celle d’un homme.

C’est aujourd’hui un même cri qui retentit : « Femmes, vie, liberté ! » C’est ce cri que le régime cherche à étouffer par la censure et par la violence.

À ce jour, les ONG ont fait état de plus de 100 victimes – sans doute le chiffre réel est-il supérieur – et de plus de 1 000 arrestations de militantes et de militants, d’avocats et d’avocates, de journalistes, de citoyens, de femmes et d’hommes unis par la même volonté d’émancipation.

« Femmes, vie, liberté ! » C’est ce cri aussi que la diaspora iranienne entonne en écho de Paris à San Francisco, de Londres à Rome ou à Erbil.

Dès le 19 septembre, la France a condamné avec la plus grande fermeté les violences ayant entraîné la mort de Mahsa Amini et la violence utilisée contre les manifestants.

Comme je l’ai rappelé hier à l’Assemblée nationale, nous avons appelé les autorités iraniennes à respecter le droit de manifester pacifiquement, le droit au rassemblement, ainsi qu’à respecter l’exercice de leur métier par les journalistes. Nous l’avons fait officiellement, et je l’ai fait moi-même auprès de la presse en marge de l’assemblée générale des Nations unies ou ici en France à plusieurs reprises.

Les autorités iraniennes ont considéré qu’il s’agissait d’une forme d’ingérence que de rappeler les principes fondamentaux des droits de l’homme. Elles ont cru bon de le faire savoir à notre ambassade sur place. J’ai donc décidé de faire convoquer le chargé d’affaires de l’ambassade d’Iran à Paris – il n’y a pas en ce moment d’ambassadeur d’Iran –, qui a été reçu vendredi dernier au Quai d’Orsay, où il lui a été clairement dit ce que nous pensons des méthodes iraniennes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui se joue dans les rues de Téhéran et dans les autres villes iraniennes, c’est la liberté. Il y a d’un côté la répression : une répression brutale que nous condamnons dans les termes les plus forts ; une répression menée contre des femmes et des hommes qui manifestent pour le respect de leurs droits et de leur dignité ; une répression que nous avons dénoncée à plusieurs reprises et – je peux vous rassurer sur ce point – que nous continuerons à dénoncer. Nous le faisons au Conseil des droits de l’homme, à Genève. Nous le faisons dans toutes les enceintes internationales. Nous le faisons dans chacun de nos échanges bilatéraux, quel qu’en soit le niveau.

Rappelons aussi que l’Iran a lui-même souscrit aux principes fondamentaux que nous défendons ici, puisqu’il a adhéré au Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies en 1975.

Madame Billon, l’Iran a effectivement été élu à la commission de la condition de la femme des Nations unies, comme le voulait la règle majoritaire qui prévaut au sein de chaque groupe géographique. Au demeurant, cet organe est utile, car il produit des documents de référence sur la situation des droits des femmes dans les pays, ce qui permet de mieux savoir ce qui se passe.

En face des autorités, il y a une aspiration à la liberté, non seulement face aux auteurs de la répression, mais partout. Car cette aspiration à la liberté, nous la voyons s’exprimer partout. Les femmes d’Iran veulent vivre libres, et un grand nombre d’Iraniens les suivent désormais. Des villages kurdes d’Iran aux métropoles du Baloutchistan, de la Caspienne au Golfe, les femmes d’Iran veulent vivre libres. Les femmes d’Iran veulent que leurs droits soient garantis. Les femmes d’Iran aspirent à ce que leur égale dignité soit respectée. Le courage des femmes iraniennes force l’admiration et nous oblige. Nous soutenons leurs aspirations et nous continuerons à les soutenir, mesdames, messieurs les sénateurs.

Nous sommes en première ligne pour agir avec nos partenaires européens. Notre réponse doit être à la hauteur de l’enjeu. En ce sens, nous avons lancé dès la semaine dernière, avec nos partenaires européens, des travaux afin de sanctionner les auteurs de la répression. Il s’agira de geler les avoirs et de retirer le droit de voyager aux individus identifiés comme responsables des violences. Madame la sénatrice Carlotti, nous espérons que ce soit fait d’ici huit à dix jours. Mais – dois-je le rappeler ? – nous sommes vingt-sept pays.

Madame Vogel, les négociations sur le retour au Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) se sont conclues par la présentation d’un texte que l’Iran n’a pas, pour l’heure, accepté. En d’autres termes, elles ne se déroulent pas. La conclusion d’un accord aurait un fort intérêt pour empêcher l’Iran d’accéder au seuil nucléaire, ce qui – chacun en conviendra – serait de loin préférable.

Nous resterons totalement mobilisés aux côtés des Iraniens qui se battent pour leur droit à la dignité. Comme vous le savez, les violations des droits de l’homme en Iran n’ont – hélas ! – pas attendu les événements récents. Nous continuerons d’appeler l’Iran à mettre fin aux discriminations et à toutes les formes de violence envers les femmes et les filles, à interdire les mariages précoces et à permettre l’accès des Iraniennes à leurs droits en matière de santé sexuelle et reproductive.

Il ne s’agit pas seulement de l’obligation de porter le voile. L’oppression que subissent les femmes iraniennes est brutale, inscrite dans les lois de la République islamique autant que profondément enracinée dans les mœurs du régime. Aucune société, nous le savons, ne peut se développer sereinement si elle n’assure pas l’égalité entre femmes et hommes, qui est une condition du développement et le gage d’une société libre, un élément fondamental de la justice indispensable à nos vies.

Ce combat essentiel n’est donc pas notre seul combat, parce qu’une société injuste avec les femmes est, tout simplement, une société injuste pour tous.

Nous continuerons à dénoncer les arrestations arbitraires de cinéastes, de militants des droits de l’homme, de femmes et d’hommes engagés pour la défense de la liberté d’expression, d’étudiants, de journalistes. Nous continuerons à dénoncer les exécutions auxquelles il est procédé, y compris les exécutions de mineurs.

Nous le faisons et nous le ferons, parce que c’est notre responsabilité. Nous le faisons et nous le ferons, parce que nous avons le droit moral et politique de défendre les valeurs qui sont les nôtres.

Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, nous le disons tous ensemble : la femme est l’égale de l’homme, en Iran comme ailleurs ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat d’actualité sur le thème : « Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l’homme en Iran ».

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

5

Place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale

Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de notre délégation aux outre-mer, sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale.

Les orateurs de la délégation ayant demandé le débat se sont partagé le temps de parole.

Dans le débat, la parole est à Mme Annick Petrus, au nom de la délégation aux outre-mer.

Mme Annick Petrus, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2017, la France s’est dotée par décret d’une stratégie nationale pour la mer et le littoral conçue pour une durée de six ans.

Les outre-mer représentant 97 % de l’espace maritime français, la délégation aux outre-mer du Sénat a souhaité évaluer cette politique publique, qui se situe à la croisée de tous les grands enjeux actuels : les enjeux géopolitiques et sécuritaires, mais aussi les enjeux de valorisation économique, énergétique et scientifique, les enjeux de communication, avec la question des transports maritimes et du câblage sous-marin, sans oublier les enjeux climatiques et environnementaux.

Avec mes collègues rapporteurs Philippe Folliot, et Marie-Laure Phinera-Horth, je fais globalement un constat paradoxal et préoccupant : notre stratégie nationale, pourtant indissociable des outre-mer, ne les associe pas à la hauteur de leurs atouts et de leur potentiel.

C’est pourquoi nous estimons que, pour la prochaine stratégie en cours de préparation, la méthode et les orientations devront être radicalement revues si nous voulons construire la puissance maritime à laquelle la France peut légitimement prétendre.

Pour cela, nous formulons dans notre rapport vingt propositions, articulées autour de trois axes majeurs.

Premièrement, il convient de replacer les outre-mer au cœur de notre stratégie maritime nationale. Selon nous, les orientations de cette stratégie doivent absolument être rehaussées et faire l’objet d’un grand débat devant le Parlement, précédé naturellement par une concertation dans les territoires concernés.

Deuxièmement, nous devons consolider notre souveraineté maritime pour crédibiliser les ambitions françaises avec des moyens adaptés, notamment aux plans militaire et technologique.

Troisièmement, il faut faire de la stratégie maritime le moteur de la transition économique des outre-mer, afin d’en faire un levier de développement pour nos territoires encore insuffisamment tournés vers la mer.

Ces deux derniers volets vont être à présent développés par mes deux collègues rapporteurs.

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, au nom de la délégation aux outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Folliot, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur la question des enjeux de souveraineté relatifs à la stratégie maritime et à la déclinaison de celle-ci dans les outre-mer, si nous avions mis un point d’interrogation à la fin de notre rapport, j’aurais répondu par un mot congru !

Les outre-mer ne sont pas considérés à la hauteur des enjeux qui les concernent. Comme cela a été rappelé, ils représentent 97 % de notre zone économique exclusive.

Les premiers enjeux se posent en matière de souveraineté. Nous avons eu des échanges avec des marins-pêcheurs de Guyane qui nous ont fait part de la façon dont ils étaient agressés dans leur quotidien. Nous avons pu constater aussi un certain nombre de difficultés, réelles, au regard de l’exercice de la souveraineté.

Monsieur le ministre, vous le savez mieux que quiconque, nous sommes face à un trou capacitaire pour surveiller notre zone économique exclusive. Certaines zones sont oubliées ou totalement laissées à l’abandon, comme La Passion-Clipperton.

Nous devons nous poser une question simple. Pour notre pays, est-ce important ou non ? L’absence de réponse depuis de nombreuses années est délétère, tout comme le manque de moyens affectés. Les forces de souveraineté, par exemple, sont passées d’un peu plus de 8 000 effectifs en 2008 à tout juste 7 000 aujourd’hui. Est-ce satisfaisant, au vu des enjeux géopolitiques du moment ? On parle d’Indo-Pacifique, mais ce ne sont que des mots ! Il est urgent que notre pays décline une stratégie avec des actes. Et ces actes ne pourront exister qu’au travers de l’atout exceptionnel que représentent nos outre-mer.

Notre délégation aux outre-mer souhaite qu’il y ait une réelle prise de conscience de tels enjeux et une réelle volonté d’y répondre. Jusqu’à présent, cela n’a pas été le cas. Espérons qu’il en aille différemment demain. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, au nom de la délégation aux outre-mer.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis ravie de prendre la parole pour évoquer la situation de nos territoires ultramarins. Notre rapport, tout comme les autres rapports publiés par notre délégation sénatoriale, met en lumière des problématiques souvent propres aux outre-mer et malheureusement parfois méconnues à l’échelon national.

J’en veux pour preuve la situation des ports dans nos régions. Grâce à leur position stratégique, ces infrastructures pourraient devenir des pôles importants pour le transport mondial. Pourtant, à l’exception de Port-Réunion, qui figure parmi les quatre meilleurs ports français, les autres exigent un sérieux effort de modernisation.

Au travers de la réforme portuaire de 2012, marquée par la création des grands ports maritimes, le législateur a grandement amélioré le fonctionnement des ports. Toutefois, ces poumons économiques sont en manque de moyens alors qu’ils doivent s’adapter à l’explosion du trafic par porte-containers. En Guyane, par exemple, les navires sont déchargés essentiellement avec les grues de bord, faute de portique ou de grue sur les quais. La lenteur de ces opérations impacte le coût du fret et, par conséquent, grève le budget des ménages guyanais. Nous devons garder à l’esprit que ces ports permettent de sécuriser l’approvisionnement des biens de consommation et des matériaux de construction pour des populations extrêmement dépendantes de l’extérieur.

Très riche et instructif, le rapport de la délégation préconise de nombreuses pistes, comme un port flottant extérieur pour le plateau des Guyanes ou l’évolution du statut du port de Longoni à Mayotte, lorsqu’un certain nombre de freins auront été levés.

Chers collègues, nous avons le devoir de rester vigilants, car ces ports demeurent la principale, et parfois l’unique porte d’entrée de nos territoires.

J’entends profiter de ma présence à cette tribune pour évoquer un autre dossier sensible : la pêche. Les professionnels guyanais ont profité des auditions pour exposer une situation catastrophique. Ils doivent faire face à une baisse importante de la production en raison d’une pêche qui est illégale, non déclarée et non réglementée. Cette activité intensive est généralement le fait de navires étrangers venus du Brésil ou du Suriname. Nonobstant les efforts de la marine nationale, les moyens doivent être réajustés pour accroître la pression sur les navires étrangers. Actuellement, l’État ne consacre que 120 jours à cette lutte dans les eaux guyanaises, contre une présence de 300 jours dans le canal du Mozambique. Cette différence de traitement interpelle les professionnels, qui doivent faire face à des pêcheurs étrangers de plus en plus violents. Même les actions en mer de la marine nationale sont comparées à des opérations de guerre.

Chers collègues, j’en parle ici avec émotion, car la filière a perdu il y a quelques mois son chef de file, Georges-Michel Karam, qui s’était battu pour la préservation de la pêche en Guyane. Et cette filière assure encore l’approvisionnement de la population en produits de la mer. Mais pour combien de temps ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à saluer le travail substantiel des rapporteurs et à vous remercier de m’avoir invité.

À la question de savoir si les outre-mer sont à la hauteur des enjeux, je répondrais que c’est la prise en compte des outre-mer partout et tout le temps, par l’ensemble des décideurs publics français, qu’il nous faut améliorer, et pas simplement sur la mer. Il y a là un enjeu fort.

La France dispose du deuxième espace maritime mondial ; elle le doit à ses outre-mer. Mieux : elle est le seul pays au monde à être présent sur les quatre océans. Cette profondeur stratégique unique lui confère un rôle central dans le concert international.

Le premier enjeu de la place des outre-mer dans la stratégie maritime est effectivement celui de la souveraineté. Les vastes espaces maritimes et littoraux de la France d’outre-mer sont aussi des joyeux de la biodiversité marine et littorale, qui s’étend du pôle Nord au pôle Sud, de la forêt boréale de Saint-Pierre-et-Miquelon aux colonies de manchots empereurs des Terres australes, en passant par le merveilleux lagon de Mayotte. Ces joyaux, que je connais tous, sont convoités. En plus, ils font face au défi du changement climatique. Leur préservation doit constituer une priorité absolue.

Par ailleurs, les outre-mer sont très dépendants de la mer pour assurer le développement économique et la vie quotidienne des populations. La création de valeur, qui est désormais mon leitmotiv, passe nécessairement par le développement d’une économie bleue durable et résiliente et par des ports en bonne santé.

Votre rapport met au premier plan l’enjeu de la souveraineté. C’est une priorité que je partage. Si la France n’est pas capable d’assurer sa pleine souveraineté dans ses espaces maritimes, il est inutile de parler d’environnement et, plus encore, de développement économique. Assurer la souveraineté de nos espaces maritimes, c’est d’abord être en capacité de les surveiller par la terre, par la mer et dans les airs. La France assure une présence militaire permanente dans la quasi-totalité des territoires, y compris ceux qui sont inhabités. Cette présence est plus forte dans le canal du Mozambique, où les enjeux de souveraineté sur la mer sont plus importants, qu’au large de la Guyane.

Depuis 2017, la marine nationale déploie de nouveaux navires mieux adaptés aux besoins des outre-mer. C’est un renouvellement sans précédent : treize nouveaux bâtiments dédiés uniquement aux outre-mer auront été livrés au 1er janvier 2026.

Les moyens aériens traditionnels sont, eux aussi, en cours de renouvellement. Ceux-ci doivent être complétés par d’autres équipements, comme les drones ; le ministère des armées y travaille.

Nos vastes ZEE donnent à la France des droits exclusifs d’exploration, d’exploitation, de préservation et de gestion des ressources. Il faut les protéger contre les appétits de tout un chacun à l’extérieur, mais également mieux les connaître.

On met souvent en avant le fait que les outre-mer représentent 97 % de notre espace maritime. Mais on oublie souvent que leur part dans la biodiversité française est de 80 %. Pourtant, s’il est un domaine où les outre-mer devraient être montrés en exemple, c’est bien celui de la protection de la biodiversité.

Comme vous le savez, la France prend des initiatives fortes pour la protection des coraux et des mangroves. Grâce à la réserve naturelle nationale des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), notre pays a déjà atteint l’objectif de classer 30 % de ses espaces maritimes et terrestres en aires protégées. C’est un apport considérable des outre-mer à la stratégie française.

Préserver la biodiversité, c’est aussi mieux la connaître. Les îles Éparses constituent de magnifiques espaces d’observation du changement climatique et font l’objet de débats internationaux. Avec la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, je signerai bientôt une feuille de route permettant de pérenniser les efforts de la recherche dans ces îles. Les moyens importants du plan France 2030 consacrés à la connaissance des grands fonds marins ont pleinement vocation à être utilisés dans les outre-mer. Je pense ici au Pacifique, mais aussi à la surveillance du volcan sous-marin de Mayotte.

La connaissance et la protection des milieux marins figurent au cœur des perspectives de développement de l’économie bleue. Celle-ci occupe déjà une part non négligeable de l’économie des outre-mer. Dans les départements et régions d’outre-mer, elle représente ainsi entre 5 % et 10 % du PIB. Elle est principalement centrée sur le triptyque port – beaucoup reste à faire –, pêche et tourisme, ces trois domaines devant s’adapter aux enjeux du XXIe siècle : changement climatique et souverainetés économique, énergétique et alimentaire.

La fonction centrale des ports dans l’approvisionnement des territoires doit être consolidée. Ceux-ci doivent également accélérer leur transition écologique. L’activité des bateaux de croisière sera développée uniquement si tous les ports sont électrifiés. À défaut, il y aura des réactions hostiles, et cela ne marchera pas.

J’ai la conviction que les grands ports ultramarins peuvent jouer le rôle d’accélérateurs de la transition énergétique outre-mer, notamment en termes d’emploi de carburants alternatifs. Les ports veulent également s’adapter aux évolutions des normes de transport. Je pense aux annonces récentes de la Compagnie maritime d’affrètement-Compagnie générale maritime (CMA-CGM) sur la desserte des Antilles ; nous y reviendrons.

Le secteur de la pêche figure au cœur du défi de l’autonomie alimentaire dans les outre-mer. Il est ahurissant que plus de 80 % du poisson consommé aux Antilles soit importé. Les pêcheurs ultramarins doivent pouvoir pêcher mieux. C’est le sens de notre combat en faveur du renouvellement des flottes.

L’économie bleue dans les outre-mer comprend aussi des secteurs en devenir, comme l’industrie navale ou les énergies marines renouvelables, pour lesquelles les outre-mer font preuve d’excellence ; c’est déjà le cas de la Polynésie, et cela le sera bientôt pour la Guyane.

Il est difficile de résumer en quelques minutes 97 % de la puissance maritime française. Je vous remercie de la faire valoir dans le cadre de votre rapport et de ce débat ; c’est fondamental. Si ces sujets ne sont pas suffisamment évoqués, nous en sommes tous responsables.

La création de valeur dans les outre-mer, mon leitmotiv, et la définition d’une feuille de route économique pour chaque territoire sont au cœur de la mission que le Président de la République m’a confiée. Je m’attelle à la remplir. Il y aura nécessairement une forte nuance bleue, tant la mer est liée aux outre-mer, et réciproquement.

L’État – c’est votre souhait, et c’est le mien – accompagnera les territoires dans le développement d’une économie bleue durable et résiliente, pour que les outre-mer soient réellement au cœur de la stratégie maritime de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Le port de Saint-Pierre-et-Miquelon est le dernier port d’intérêt national ultramarin directement géré par un service déconcentré de l’État, la direction des territoires, de l’alimentation et de la mer (DTAM).

Tous les acteurs dénoncent unanimement l’absence de cohérence et, parfois, de coordination dans la prise de décisions, et des infrastructures vieillissantes nécessitant une rénovation ou d’importantes opérations de maintenance. Les besoins sont structurels et les atouts demeurent inexploités. Pourtant, le maintien des liaisons maritimes est vital pour l’archipel, ne serait-ce que pour le ravitaillement de la population. L’absence de stratégie de l’État en matière d’économie bleue est particulièrement frappante pour l’archipel et le condamne au repli.

La stratégie nationale adoptée en 2017 prévoyait l’élaboration d’un document stratégique par bassin. Celui-ci n’a jamais vu le jour, malgré l’élaboration d’un diagnostic. Sur mon territoire, la création d’un établissement public portuaire, souhaitée par l’ancienne ministre de la mer, n’est pas la réponse aux difficultés. Le simple respect des institutions existantes comme le conseil portuaire serait déjà un minimum.

Le rapport de la préfiguratrice du grand port maritime formule des hypothèses de recettes inquiétantes, que je ne cautionnerai jamais. Je pense aux droits d’anneaux de plaisance exorbitants ou à une possible taxe sur les transports locaux de passagers à bord des ferries. Il est prévu que l’équilibre d’ensemble repose sur un nombre d’usagers insuffisant.

Avant même d’évoquer la gouvernance, l’État doit livrer sa vision sur la place qu’il souhaite accorder à notre archipel en matière maritime.

Monsieur le ministre, pouvez-vous me confirmer que Saint-Pierre-et-Miquelon fera partie de la stratégie nationale et qu’il y aura un ambitieux volet de remise à niveau des infrastructures fortement dégradées de l’archipel ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur Artano, vous connaissez mon attachement à cet archipel.

La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, a habilité le Gouvernement à créer par voie d’ordonnance un grand port maritime à Saint-Pierre-et-Miquelon. Entre 2017 et 2022, l’État a investi 30 millions d’euros, dont 6 millions d’euros pour la rénovation des digues, 15 millions d’euros pour la construction d’un quai de croisière et 3 millions d’euros pour engager la rénovation des quais de Miquelon et celle des quais de commerce à Saint-Pierre.

Les discussions en vue d’autres investissements seront menées lors du prochain contrat de plan, que nous allons bâtir ensemble.

Faut-il un grand port maritime géré directement par l’État sous la forme d’une concession ? Nous aborderons ce sujet lors de mon prochain déplacement à Saint-Pierre-et-Miquelon, et nous déciderons ensemble en optant pour ce qui sera le plus efficace ; il n’y a aucun interdit.

La desserte maritime, interne comme externe, en passagers comme en marchandises, est un vrai sujet. Le droit en la matière est clair. Dans son avis du mois de juin dernier, le Conseil d’État a rappelé que le transport des marchandises relevait de l’État et que celui des passagers relevait de la collectivité territoriale.

À la suite de la réunion du 7 septembre dernier avec le Président de la République, peut-être faudra-t-il envisager des évolutions.

Le préfet a engagé, à ma demande et à celle du secrétaire d’État chargé de la mer, un travail conjoint avec la collectivité territoriale en vue d’expérimenter le transport de fret par les ferries de la collectivité sur une courte durée. Nous devons travailler avec nos voisins et, souvent, amis canadiens. Ce sera l’objet principal de mon déplacement à Miquelon, qui aura lieu à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine.