Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, sur l’article.

Mme Christine Lavarde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cet article 5, nous allons parler de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), des impôts de production dans leur ensemble, ainsi que du lien entre territorialisation des impôts et action des collectivités.

Le Gouvernement entend supprimer la CVAE en deux temps : 50 % dès 2023 et 50 % en 2024. Il s’agit de réduire notre différentiel de compétitivité, notamment avec l’Allemagne et les États-Unis, différentiel que j’ai d’ailleurs dénoncé lors de la discussion générale. Sur ce point, nous sommes donc d’accord avec le Gouvernement.

En revanche, nous n’approuvons absolument pas les modalités de compensation prévues pour les collectivités territoriales : rien ne nous assure que le versement d’une fraction de TVA permettra de cibler les politiques d’attractivité menées par les collectivités.

Monsieur le ministre, telle que vous la proposez aujourd’hui, cette réforme est trop rapide. Elle n’est pas assez concertée. Pour le dire autrement, nous ne voulons pas revivre ce que nous avons vécu avec la suppression de la taxe d’habitation. Aujourd’hui encore – nous aurons l’occasion d’en discuter lors de l’examen des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » –, des questions se posent quant aux potentiels financiers et fiscaux des collectivités territoriales. À l’évidence, un certain nombre d’éléments ont été mal appréhendés au moment de la réforme, qui a été, elle aussi trop, rapide et insuffisamment préparée.

De manière très juste, M. le rapporteur général a donc proposé de différer la réforme de la CVAE.

Je l’ai également indiqué lors de la discussion générale : les aides que vous proposez aux entreprises pour surmonter la crise de l’énergie sont faillibles. Pour preuve, le taux de recours est très faible ; ainsi l’enveloppe de 3 milliards d’euros ouverte en 2022 n’a-t-elle été consommée, à ce jour, qu’à hauteur de 500 millions d’euros. Il est nécessaire de les aider davantage, notamment quand on voit l’ampleur des aides déployées en Allemagne et aux États-Unis.

Les élus du groupe Les Républicains ont déposé un amendement visant, précisément, à envoyer un signal aux entreprises tout en préservant les ressources des collectivités territoriales. Je ne sais pas si nous aurons l’occasion de le défendre. En tout cas, c’est le message que nous souhaitions faire passer.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.

M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à évoquer à mon tour modestement l’article 5, à la suite de la brillante intervention de notre collègue Christine Lavarde, dont je salue toujours les grandes qualités.

Le produit de la CVAE, impôt qui pèse sur la valeur ajoutée des entreprises, est affecté aux départements et au bloc communal. En 2022, c’est un montant de l’ordre de 9,32 milliards d’euros qui est ainsi intégralement reversé aux collectivités territoriales.

Il s’agit d’un dispositif territorialisé – il est important de le souligner –, et sa répartition reflète réellement l’activité économique des territoires.

La part de CVAE affectée aux régions a été remplacée par une fraction de TVA en 2021. À présent, il nous est proposé de poursuivre le mouvement au cours des deux années qui viennent, en vue d’une suppression complète en 2024, c’est-à-dire à court terme.

La réforme est bel et bien prématurée. À ce titre, Christine Lavarde a exprimé le sentiment de la commission des finances. Le remplacement de la CVAE par une part de fiscalité nationale réduit encore le poids des impôts locaux dans les recettes des collectivités territoriales. La commission des finances sollicite donc un report d’un an de la réforme, afin de mettre en place une véritable compensation.

Au total, la CVAE reversée aux collectivités en 2023 s’élèverait à un peu plus de 11 milliards d’euros.

Je suivrai naturellement avec beaucoup d’attention le débat sur les amendements avant de voter sur l’article.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.

M. Patrick Kanner. Monsieur le ministre, encore un mauvais coup porté aux collectivités territoriales ! Après la disparition de la taxe d’habitation, voici celle de la CVAE !

M. Olivier Véran, porte-parole du Gouvernement, déclarait le 23 septembre dernier sur une grande radio périphérique : « Le Gouvernement est favorable à un dogme : le dogme du “moins d’impôts”. » Si ce « dogme » n’a, pour certains, pas de prix, il a bien un coût, en l’occurrence 8 milliards d’euros.

Il est grand temps de cesser avec ce dogme. Pour nous, membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, il n’est pas acceptable de transférer la charge d’un impôt acquitté par les seules entreprises à l’ensemble des Français, désormais appelés à contribuer au financement des collectivités territoriales via la TVA. C’est totalement injuste !

Nous avons lu les amendements de nos collègues de la droite sénatoriale. Certains tendent à reporter cette réforme d’un an ; mais la CVAE serait bien supprimée en totalité à l’issue de ce délai. D’autres, plus complexes, comme l’amendement de M. Retailleau et de Mme Lavarde, visent à instaurer un dégrèvement pour 2023 comme mode de compensation des collectivités territoriales. Mais, en définitive, on aboutirait également à la suppression de la CVAE.

Pour ce qui nous concerne, nous avons les idées claires, et notre positionnement politique est sans ambiguïté : nous ne voulons pas d’une telle suppression. Il faut des ressources pour les collectivités territoriales, comme l’exigent les grands principes de l’article 72 de la Constitution. Nous défendrons un amendement de suppression pure et simple – cela a la vertu d’être clair et compréhensible – de cet article, qui nous semble particulièrement néfaste pour les collectivités territoriales.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, sur l’article.

M. Didier Marie. Monsieur le ministre, la suppression de la CVAE pose a minima trois questions : une question d’opportunité, une question de justice et une question d’efficacité.

Premièrement, elle pose une question d’opportunité.

Est-ce le bon moment ? Peut-on se passer de 4 milliards d’euros dès 2023 et de 8 milliards d’euros dès 2024, alors que notre pays est confronté aux conséquences de la guerre en Ukraine, à l’explosion des prix de l’énergie et à l’inflation, qui pénalise non seulement nos concitoyens, mais aussi bon nombre d’entreprises ?

Est-ce le bon moment au regard des efforts considérables à accomplir dans le domaine de la transition écologique et alors que nous enregistrons l’échec de la COP27 ?

Est-ce le bon moment au regard de l’état de nos services publics ? La perte de recettes liée à une telle disparition de fiscalité représente, par exemple, quatre fois ce que demandent les hôpitaux publics.

Enfin, est-ce le bon moment au regard de l’état des finances publiques et alors que les taux d’intérêt augmentent ?

Deuxièmement, cette suppression pose une question de justice.

Avec la suppression de l’impôt sur la fortune, la flat tax, la réduction de l’impôt sur les sociétés et la suppression de la taxe d’habitation, vous avez déjà privé la Nation de près de 400 milliards d’euros de recettes.

Aujourd’hui, vous faites un cadeau fiscal supplémentaire aux grandes entreprises. Rappelons-le : les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) ne payent pas la CVAE jusqu’à 500 000 euros de chiffre d’affaires. Puis, elles ne se voient appliquer qu’un taux de 0,25 % jusqu’à 3 millions d’euros.

En parallèle, vous transférez la charge du financement des collectivités aux ménages, qui payent la TVA de manière inversement proportionnelle à leur propre richesse.

Troisièmement, cette mesure pose une question d’efficacité.

En rompant le lien entre les entreprises et les collectivités territoriales, vous placez les élus, notamment les maires, face à des choix terribles. À l’heure où l’on met en œuvre le « zéro artificialisation nette » des sols, comment un maire pourra-t-il décider d’accueillir une entreprise ? Il n’obtiendra aucune compensation fiscale à ce titre. Dès lors, il préférera à coup sûr un projet de lotissement, pour lequel il touchera la taxe foncière.

Tout cela est bien dommage.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dominati, sur l’article.

M. Philippe Dominati. Monsieur le ministre, une fois n’est pas coutume, je tiens à féliciter le Gouvernement d’avoir tenu un engagement à l’égard du monde économique et des entreprises en baissant les impôts de production. Je félicite également M. le rapporteur général, qui, comme l’a souligné Mme Lavarde, a relayé l’inquiétude des collectivités territoriales tout en reconnaissant la nécessité de répondre aux difficultés que connaissent les entreprises.

Dans cette enceinte, on défend souvent la dépense publique, mais au seul profit des collectivités territoriales. Personne ici n’aurait la tentation de dire que, tout bien réfléchi, le plan de 5 milliards d’euros dédié à la revitalisation des villes moyennes, dans le cadre du programme Action cœur de ville, devrait être reporté d’un an ou deux pour que l’économie française aille mieux.

Un débat vous a opposé voilà quelques jours à M. le président de la commission des finances pour savoir qui, de M. Hollande ou de M. Macron, s’était montré le plus favorable à l’économie en termes de fiscalité. J’observe pour ma part que, pendant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le niveau de prélèvements obligatoires n’a été inférieur que pendant une année à ce qu’il était sous le quinquennat de François Hollande. J’espère qu’il n’en sera pas de même pendant le second quinquennat.

Pour une fois que vous faites un effort significatif de réduction des impôts, je vous approuve.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, sur l’article.

M. Daniel Breuiller. Les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires tiennent à dire à quel point la suppression de la CVAE est une erreur et même une faute.

Monsieur le ministre, notre pays, nous disiez-vous l’autre jour, est le plus attractif pour les entreprises : doit-on être encore plus attractif qu’attractif ?

Vos dogmes deviennent ingérables. Il faut à la fois moins d’impôts et moins de déficits publics. Mais, en supprimant la CVAE, vous creusez le déficit public de 8 milliards d’euros supplémentaires ; vous commencez tout de même à entendre que cette mesure posait problème, si bien que vous avez décidé de l’étaler sur deux ans.

Je suis encore plus surpris que la majorité sénatoriale puisse soutenir une telle mesure, même partiellement différée. En effet, cet impôt lie les entreprises aux territoires tout en apportant à ces derniers les recettes nécessaires à leur bon fonctionnement.

Compenser ainsi la suppression de la CVAE, c’est finalement prélever sur les ménages une ressource qui, auparavant, venait des entreprises. En outre – vous le savez –, la TVA est un impôt socialement injuste.

Il convient donc d’annuler la suppression envisagée et de rétablir cet impôt, qui n’a pas empêché notre pays d’être le plus attractif pour les entreprises, et de cesser d’affaiblir les collectivités territoriales. C’est une ardente priorité.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.

M. Pascal Savoldelli. Dans le prolongement de certaines interventions, je dresserai trois constats.

Tout d’abord, la CVAE, qui – tout le monde le sait ici – est issue de la taxe professionnelle, présente un certain nombre d’avantages. En effet, contrairement à la taxe professionnelle, elle est – en tout cas, elle commençait à l’être – un rempart contre l’évasion et l’optimisation fiscales.

Ensuite, pour que notre pays garde son unité et sa cohésion, il est très important de conserver une territorialisation de la valeur ajoutée. Sinon, les territoires – communes, départements, régions – seront mis en concurrence. Et cette concurrence s’exacerbera au point qu’une commune, un département ou une région aspirera à une position de monopole. Ce n’est pas bon pour la cohésion nationale.

Enfin – je vous livre ma propre expérience –, avant le vote de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) j’ai présidé l’agence de développement économique en Val-de-Marne. À ce titre, j’ai sollicité plus de 400 patrons, du plus petit au plus grand, qu’ils soient à la tête de modestes TPE ou de groupes comme Ricard ou Sanofi.

À l’époque, la préoccupation principale de ces patrons, toutes catégories confondues, ce n’était pas la taxe professionnelle, devenue ensuite la CVAE : c’étaient les transports, la sécurité, les modes de garde d’enfants pour leurs salariés ; c’était tout ce qui environne l’entreprise. Tout cela, c’est ce que l’on demande aux collectivités territoriales.

Bref, si l’on se soucie de l’entreprise et du développement économique, il ne faut pas retirer cet impôt aux collectivités territoriales : il faut continuer à territorialiser la valeur ajoutée des entreprises.

M. Éric Bocquet. Très bien !

Mme la présidente. Je suis saisie de huit amendements identiques.

L’amendement n° I-19 est présenté par Mme Vermeillet, MM. Delcros, J.M. Arnaud, Canévet, Capo-Canellas, Delahaye, Maurey, Mizzon et les membres du groupe Union Centriste.

L’amendement n° I-232 rectifié bis est présenté par Mme Micouleau, MM. Chatillon et Belin, Mme Belrhiti, MM. J.B. Blanc, J.M. Boyer, Brisson, Calvet et Daubresse, Mmes Dumas, Dumont et Gruny et MM. Le Gleut et Savary.

L’amendement n° I-401 rectifié ter est présenté par M. Le Rudulier, Mme Pluchet, MM. Rojouan et Paul, Mme Raimond-Pavero, M. Decool, Mme Herzog, MM. Tabarot, Frassa et Laugier et Mme Petrus.

L’amendement n° I-463 est présenté par MM. Cozic, Féraud, Marie, Kanner, Raynal et Stanzione, Mme Harribey, MM. Gillé et Michau, Mme Briquet, M. Éblé, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, P. Joly et Lurel, Mme Artigalas, MM. Assouline et J. Bigot, Mmes Blatrix Contat et Bonnefoy, MM. Bouad et Cardon, Mme Carlotti, M. Chantrel, Mmes Conconne et de La Gontrie, MM. Devinaz, Durain, Fichet et Jacquin, Mmes Jasmin et G. Jourda, MM. Kerrouche et Leconte, Mmes Le Houerou et Lubin, M. Mérillou, Mme Monier, MM. Montaugé, Pla et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, MM. Sueur, Temal, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° I-588 est présenté par MM. Breuiller, Parigi, Gontard, Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Labbé, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

L’amendement n° I-707 rectifié bis est présenté par MM. Wattebled, A. Marc, Levi et Laménie, Mme Gatel et M. P. Martin.

L’amendement n° I-843 est présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° I-1327 rectifié est présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Corbisez, Fialaire, Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux.

Ces huit amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Bernard Delcros, pour présenter l’amendement n° I-19.

M. Bernard Delcros. Cet amendement tend tout simplement à supprimer l’article 5.

Les élus du groupe Union Centriste ne sont évidemment pas opposés par principe à la baisse des impôts de production. Mais, disons-le franchement, le moment n’est pas du tout opportun.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit un déficit à 5 %, une dette qui atteint 3 000 milliards d’euros et un recours à l’emprunt de l’ordre de 270 milliards d’euros, soit plus qu’en 2022. Tout cela repose sur des données macroéconomiques que, certes, nous acceptons – en la matière, les prévisions sont évidemment difficiles –, à savoir une croissance à 1 % et une inflation qui n’est pas maîtrisée, compte tenu de l’incertitude pesant sur le contexte européen et même mondial.

Dès lors, la suppression de cet impôt de production ne nous semble vraiment pas une bonne idée pour 2023.

En ce moment, on explique à tous les élus que la situation financière du pays ne permet pas d’indexer la dotation globale de fonctionnement (DGF). Une telle mesure coûterait un peu moins de 1 milliard d’euros. Or, en supprimant la CVAE, on va se priver de 4 milliards d’euros de recettes l’année prochaine et de 8 milliards d’euros en deux ans.

La baisse des impôts de production, la suppression, même pour moitié l’an prochain, de la CVAE, ne nous paraît pas une priorité nationale.

Monsieur le ministre, les entreprises ne seront pas oubliées en 2023 : l’amortisseur d’électricité que vous mettez en place, lui, nous semble prioritaire. Lorsque le prix du mégawattheure dépassera 325 euros, les entreprises pourront bénéficier d’une aide à hauteur de 50 %. C’est ainsi la moitié de cette dépense qui sera prise en charge par l’État.

Il s’agit selon nous d’une aide bien ciblée et utile aux entreprises, donc d’une priorité pour 2023.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour présenter l’amendement n° I-232 rectifié bis.

M. Jean-Baptiste Blanc. Je ne m’étendrai pas sur cet amendement, que je considère comme défendu.

Je formule simplement une observation à l’intention de M. Kanner. L’impôt en question, qui a succédé à la taxe professionnelle, est en réalité condamné depuis 1999, lorsque Dominique Strauss-Kahn en a supprimé la part salaires. Vous le défendez aujourd’hui, mais vous l’avez condamné en d’autres temps.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Petrus, pour présenter l’amendement n° I-401 rectifié ter.

Mme Annick Petrus. Cet amendement est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic, pour présenter l’amendement n° I-463.

M. Thierry Cozic. Cet amendement, que je présente au nom du groupe socialiste, vise à supprimer la nouvelle baisse de CVAE proposée par le Gouvernement au mépris de l’équilibre des comptes publics et des besoins de financement de nos politiques publiques.

Les cadeaux aux entreprises et aux plus aisés, sans contrepartie aucune, ne peuvent plus être l’alpha et l’oméga de la politique économique du Gouvernement.

Monsieur le ministre, je tiens à revenir sur la manière dont la décision a été prise. Un simple coup de téléphone donné par votre ministre de tutelle, la veille de son intervention le 12 septembre dernier sur LCI, a entériné cette mesure, malgré toute son importance.

Cette décision on ne peut plus verticale n’a évidemment pas été prise après consultation des associations d’élus, et pour cause : elles y étaient toutes opposées. À rebours de ce que vous pouvez déclarer dans la presse, on déplore un manque d’écoute de l’ensemble des élus.

J’anticipe d’ores et déjà l’argument que vous allez m’opposer : vous allez assurer une compensation. Pour ma part, je n’en suis pas convaincu. Il faut d’ailleurs aller au-delà des logiques comptables, car il ne s’agit pas uniquement d’une question de finances publiques.

En supprimant la CVAE, vous faites bien plus que supprimer une ligne du budget de l’État : c’est une conception de la décentralisation que vous remettez en cause. Les maires nous le disent et vous le disent : il est nécessaire de faire contribuer les entreprises au financement des services dont elles et leurs salariés sont bénéficiaires.

En supprimant cet article, vous rompez le lien fiscal entre les collectivités territoriales et leurs administrés. Ce qui est bien plus dommageable, c’est que le contrat social s’en trouve incidemment remis en cause. C’est en effet ce contrat social qui unit localement entreprises et territoires en leur forgeant un destin commun local.

Voilà pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour présenter l’amendement n° I-588.

M. Daniel Breuiller. Notre amendement vise à maintenir la CVAE et, partant, à supprimer l’article 5.

Comme je l’ai indiqué, faire disparaître la CVAE est une erreur et même une faute.

Le contexte économique, les besoins de financement des services publics et de la transition écologique ne permettent pas de renoncer à des recettes fiscales.

La COP27 se termine : elle vient d’annoncer à quel point l’aggravation du dérèglement climatique s’accélère et appelle des réponses nouvelles.

Les entreprises elles-mêmes ont besoin d’un environnement de qualité, qu’il soit fourni par l’État via la formation des ingénieurs ou par les collectivités territoriales, sous forme de transports, d’actions sociales et culturelles ou d’offres de logements pour les salariés.

Affaiblir les collectivités territoriales alors qu’elles doivent faire face à tant de défis, à l’heure où elles sont en première ligne pour lutter contre l’inflation, contre la pauvreté, pour développer l’accès à l’emploi et la qualité de vie, c’est une erreur !

Une compensation par la TVA fera peser une charge supplémentaire sur les simples citoyens. En outre, elle ne contribuera pas à réduire le déficit public de notre pays, tant s’en faut !

Dans un tel contexte budgétaire, il n’y a pas de marge de manœuvre pour des baisses d’impôt non compensées par de nouvelles recettes. Ce sont les termes du Premier président de la Cour des comptes.

La fin de l’abondance est pour tous. Il n’est donc pas question de supprimer 4 milliards d’euros d’imposition en faveur des entreprises, de surcroît en menaçant la transition écologique, la vie des collectivités territoriales et la capacité de l’État à réduire sa dette, ce qui est une nécessité.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour présenter l’amendement n° I-707 rectifié bis.

M. Marc Laménie. Cet amendement est défendu !

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° I-843.

M. Éric Bocquet. Monsieur le ministre, on ne peut pas s’étonner de la manière dont les associations d’élus ont réagi à l’annonce de la suppression de la CVAE. Comme cela a été rappelé, cette mesure s’inscrit dans un processus de suppression d’impôts locaux à l’œuvre depuis plusieurs années.

Où est votre limite ? Votre objectif, est-ce le « zéro impôt » pour le monde économique ? Dans ce cas, il faudrait l’annoncer clairement, car c’est une vraie question.

Je ne suis pas toujours un aficionado des rapports de la Cour des comptes, même si je reconnais la qualité du travail qu’elle mène. Mais il faut l’écouter de temps en temps. Dans le rapport qu’elle a présenté à la commission des finances du Sénat au mois d’octobre dernier, elle relève que l’injustice fiscale est renforcée à chaque nouvelle affectation de TVA en compensation de la disparition d’une mesure fiscale. La Cour des comptes conclut : « […] en considérant que la TVA est essentiellement payée par les ménages, les impositions des ménages ont progressé de 19,8 % là où la fiscalité économique a reculé de 31,9 % entre 2021 et 2020. »

Il faut arrêter de nous parler des finances publiques et de la pression fiscale sur les ménages, ou de réciter toute autre litanie dont vous avez le secret. Nous sommes clairement face à un transfert de charges des entreprises vers les ménages.

Comme le rappelle M. Bouvier, professeur de droit public : « Il n’est pas, d’une manière générale, de pouvoir politique autonome sans pouvoir fiscal. »

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l’amendement n° I-1327 rectifié.

M. Jean-Claude Requier. L’amendement est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à vous saluer toutes et tous au début de cette nouvelle journée de travail.

Vous connaissez les enjeux de ce débat, au cours duquel un certain nombre d’orateurs ont déjà pu s’exprimer. Est-on pour ou contre la réduction d’un impôt qui pèse sur les entreprises ? Si oui, à partir de quelle date ? Et avec quelles garanties apportées aux entreprises,…

M. Éric Bocquet. Ah ! (Sourires sur les travées des groupes CRCE et SER.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Pardon, aux collectivités…

M. Pascal Savoldelli. Ce n’est pas pareil !

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Chers collègues, les entreprises ont également besoin de garanties pour une raison simple, qui tient à notre déficit de compétitivité économique.

En 2022, les impôts de production représentent 5,6 % de la valeur ajoutée des entreprises en France. À cet égard, notre pays reste sensiblement au-dessus de la moyenne européenne. Si nous n’allégeons pas ces impôts le plus tôt possible, dès la sortie de crise, nous serons donc en plus grande difficulté que nos voisins.

J’entends les arguments relatifs à l’endettement. Et n’oublions pas que le déficit de notre commerce extérieur est pour le moins préoccupant.

Évidemment, nous persistons à penser qu’il faut baisser les impôts des entreprises.

Faut-il le faire tout de suite, dans les conditions prévues par le Gouvernement ? De notre point de vue, la réponse est non. Il faut en particulier apporter un certain nombre de garanties aux collectivités pour ne pas reproduire le mauvais film de la suppression de la taxe d’habitation.

C’est la raison pour laquelle la commission a adopté un amendement tendant à différer l’entrée en vigueur de la suppression de la CVAE. Nous pourrons ainsi bâtir un système de compensations juste et équilibré.

Encore une fois, nous refusons tout remake de la suppression de la taxe d’habitation, dont ce projet de loi de finances contient encore les scories, qui perturbent, fragmentent et suscitent la contestation dans les territoires.

L’objectif que nous devons chercher à atteindre, c’est celui que je viens d’indiquer ; cela ne se limite pas à la suppression pure et simple de la CVAE.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ouvrons avec l’article 5 l’un des débats majeurs du projet de loi de finances : la suppression de la CVAE.

Vous le savez : depuis 2017, conformément à la volonté du Président de la République, nous avons engagé une politique visant à renforcer notre industrie. Nous nous sommes efforcés d’inverser la tendance que notre pays connaissait depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, à savoir la désindustrialisation, la suppression massive d’emplois industriels et d’usines.

Notre conviction est que l’inversion de cette tendance passe par une meilleure compétitivité et une moindre pression fiscale sur les entreprises, notamment dans le secteur de l’industrie. Il n’y a pas de miracle : si l’on veut voir renaître l’industrie dans notre pays, il faut baisser l’impôt qui pèse sur elle.

S’y ajoutent évidemment des enjeux de formation professionnelle. Je pense par exemple à l’apprentissage et aux filières d’avenir, dans lesquelles il faut investir. Sur tous ces sujets, dont nous pourrions débattre longuement, nous sommes aussi, je le crois, au rendez-vous.

Cela étant, l’enjeu de la compétitivité est absolument majeur, et nous avons fait le choix de nous y attaquer dès 2017. Ce week-end, nous avons débattu de la baisse massive de l’impôt sur les sociétés que nous avons engagée au cours des dernières années.

Les impôts de production sont, eux aussi, un élément fondamental. C’est la raison pour laquelle nous avons fait le choix de les baisser massivement, notamment dans le cadre du plan de relance. Quand nous avons amorcé cette trajectoire, les impôts de production étaient sept fois plus élevés en France qu’en Allemagne.

Le fait qu’un pays taxe sept fois la production que son voisin entre évidemment en compte dans la décision que prend un grand groupe, industriel ou non, au moment de choisir un site pour implanter une nouvelle activité. En l’occurrence, cela a pénalisé pendant des années l’industrie de notre pays !