M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la fraude au compte personnel de formation (CPF) a très fortement augmenté en 2021.

En un an, le nombre de notes transmises à l’autorité judiciaire par Tracfin a triplé et le montant total des enjeux financiers correspondants a quintuplé pour atteindre plus de 43 millions d’euros.

Afin de mieux lutter contre ces pratiques commerciales, plusieurs initiatives parlementaires ont été prises ces derniers mois. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, et qui est en passe d’aboutir, ce qui est une excellente nouvelle, a été déposée par les groupes MoDem, Renaissance et Horizons.

Elle reprend les dispositions du texte de l’ancienne députée de Gironde, Mme Catherine Fabre, présente ce matin en tribune et que je salue. Les trois auteurs, nos collègues députés Bruno Fuchs, Sylvain Maillard et Thomas Mesnier rappellent à juste titre dans l’exposé des motifs que, si le CPF rencontre un succès remarquable, celui-ci s’accompagne de pratiques commerciales agressives, parfois abusives, visant à pousser les individus à acheter des formations contre leur gré : c’est inacceptable.

Ces agissements, que nous sommes très nombreux à subir, parfois quasi quotidiennement, prennent la forme d’appels, de SMS, de courriels, de la part de centres d’appels ou d’organismes de formation. À cette occasion sont souvent diffusées des informations erronées non seulement sur les droits à la formation de l’individu, mais aussi sur l’objet réel recherché par l’organisme. Le temps de la régulation est donc bienvenu.

La semaine dernière, la commission des affaires sociales du Sénat a adopté à l’unanimité et sans modification cette proposition de loi. Cette validation fait suite à celle des députés, début octobre, là encore à l’unanimité.

Nous devons adopter définitivement ce texte, car ce phénomène regrettable, qui touche des milliers d’entre nous, rend plus que nécessaire le renforcement des dispositions en vigueur. C’est la raison pour laquelle notre groupe a souhaité inscrire cette proposition de loi dans son espace réservé de fin d’année.

Notre rapporteur, Martin Lévrier, qui est intervenu à plusieurs reprises sur ce sujet, l’a justement rappelé : lutte contre la fraude et amélioration de la qualité de la formation professionnelle forment un continuum. Si ce texte n’épuise pas le sujet des ajustements à apporter au CPF, il s’agit d’une première réponse importante.

Le dispositif que nous nous apprêtons à voter vise tout d’abord à interdire le démarchage par téléphone, par SMS et par courriel des organismes de formation en vue de lutter contre la fraude au CPF. Pour ce faire, les auteurs de cette proposition de loi proposent d’inscrire cette interdiction et dans le code de la consommation, sur le modèle du dispositif MaPrimeRénov’, et dans le code du travail, dès lors que ce démarchage n’a pas lieu dans le cadre d’une prestation en cours entre un individu et un organisme de formation.

Ils entendent également renforcer les capacités d’action de la Caisse des dépôts et consignations en matière de lutte contre les fraudes et en facilitant les possibilités de recouvrement des sommes indûment perçues.

Ce dispositif tend également à encadrer le recours à la sous-traitance par les organismes de formation intervenant sur la plateforme Mon compte formation.

Sur ce dernier point, monsieur le rapporteur, en réponse à l’inquiétude d’une partie des acteurs du marché de la formation, vous avez alerté le Gouvernement sur la situation des personnes ayant le statut d’autoentrepreneurs, qui auront toutes les difficultés à remplir les critères de la certification qualité Qualiopi. C’est pourquoi il est prévu que la déclinaison de cette disposition soit prise par décret, ce qui permettra une meilleure adaptation aux spécificités de chacun.

Si ce texte est adopté sans modification, sa promulgation devra intervenir rapidement pour qu’il puisse entrer en application dès le début de l’année 2023. Nous sommes, je le crois, très attendus sur ce point.

Madame la ministre, vous avez justement rappelé qu’« il est de notre devoir de dépolluer les pratiques illégales qui créent indûment de la dépense, ternissent l’image du compte personnel de formation et dépossèdent le titulaire de son libre arbitre ». Nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Monique Lubin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour mémoire, le compte personnel de formation a été créé par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Il est entré en vigueur en 2015, en remplacement du droit individuel à la formation.

L’objet du CPF était de rendre son efficacité à l’appareil de formation professionnelle initialement organisé par la loi Delors de 1971, qui a institué la possibilité pour le salarié de bénéficier, sur son initiative, d’un congé de formation rémunéré. Il s’agissait également d’obliger les entreprises de plus de dix salariés à participer au financement des actions de formation.

S’inscrivant dans cette continuité, la loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, votée sous majorité socialiste en 2014, a donc permis de jeter les bases d’une véritable sécurité sociale professionnelle.

Elle a en effet mis en place le compte personnel d’activité, qui regroupe les droits du salarié avec le compte personnel de formation, le compte de prévention de la pénibilité et le compte engagement citoyen.

On sait le sort réservé par l’actuel gouvernement à ces acquis sociaux, alors que nous avions, par la loi de 2014, renforcé la place des partenaires sociaux en faisant de la formation professionnelle un élément central du dialogue social. Nous rappelions également notre attachement au mouvement de décentralisation de la formation professionnelle vers les régions.

En 2018, lors des discussions engagées ici même sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, nous dénoncions un texte qui allait fragiliser l’édifice que nous avions construit. Le projet de loi présenté par la ministre du travail d’alors devait en effet prétendument constituer un volet « sécurité des transitions professionnelles » en contrepartie des ordonnances Travail visant à « fluidifier » le marché du travail, auxquelles nous étions et demeurons foncièrement opposés.

En tout état de cause, le compte n’y était pas. Nous n’avons pu que constater qu’il s’agissait de la première réforme de la formation professionnelle qui ne fasse pas consensus depuis 1971. Elle a abouti à une véritable recentralisation.

Dans une logique qui porte la marque de fabrique de l’actuel Président de la République et de ses ministres, le Gouvernement s’est en effet assis sur la démocratie sociale en instaurant la monétisation du compte personnel de formation, en dépit du rejet unanime de cette évolution par les partenaires sociaux.

En monétisant le CPF, en supprimant les intermédiaires et en imposant le recours à une plateforme numérique, la majorité disait vouloir libérer les salariés et leur offrir plus de droits. Nous nous inquiétions de la pérennité des financements du CPF et des risques induits par la désintermédiation et la monétisation : il semble que nous ayons eu raison !

Concernant les enjeux du financement, le rapport d’information relatif à France Compétences publié en juin 2022 par trois sénateurs, dont notre collègue Corinne Féret, corapporteure de la mission à l’origine de ce document, souligne que les besoins de financement n’ont pas été anticipés. Ainsi, France Compétences, établissement public chargé du financement et de la régulation de la formation professionnelle, pourrait afficher un déficit de 5,9 milliards d’euros en 2022 !

Le problème de la fraude au CPF, sujet de la présente proposition de loi, était également en germe dans la loi de 2018. Le résultat est connu : entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 2022, les signalements de SMS indésirables ont été multipliés par quatorze ; les déclarations de soupçon liées à une potentielle fraude au CPF ont été multipliées par onze ; 32 400 signalements ont été effectués auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), gestionnaire du dispositif, au premier semestre 2022. Le préjudice estimé dans le cadre des plaintes pénales déposées par la CDC entre mars 2020 et mai 2022 s’élève à 27 millions d’euros. Les fraudes détectées par Tracfin sont passées de 8 millions d’euros en 2020 à 43 millions d’euros en 2021, soit une augmentation de l’ordre de 450 % !

Les propositions portées par le présent texte sont nécessaires et consensuelles ; nous y souscrivons, bien sûr.

L’article 1er interdit toute prospection commerciale des titulaires d’un CPF par voie téléphonique, par SMS, mais aussi par courrier électronique ou en ligne sur un service de réseaux sociaux.

Dans le but de permettre le contrôle effectif de l’interdiction du démarchage des titulaires du CPF, l’article 2 étend les pouvoirs des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour les habiliter à rechercher et à constater les infractions ou les manquements à cette interdiction.

L’article 2 bis, introduit en séance publique à l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, met de nouveaux outils à disposition de la CDC pour faciliter le recouvrement des fonds versés de manière indue ou à la suite d’une fraude du titulaire du CPF.

L’article 3 prévoit d’imposer aux organismes de formation d’adresser à la Caisse des dépôts et consignations une demande de référencement sur la plateforme Mon compte formation.

L’article 4, également introduit en séance publique à l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, tend à étendre aux sous-traitants certaines des obligations liées au référencement des organismes de formation sur la plateforme Mon compte formation. Actuellement, lorsqu’un organisme de formation a recours à un sous-traitant pour effectuer les actions de formation proposées sur son catalogue, ce dernier n’est pas soumis aux conditions générales d’utilisation.

Nous souscrivons à ces nécessaires corrections. Toutefois, à l’instar de l’ensemble des concitoyens de notre pays, nous sommes fatigués de naviguer d’usines à gaz en usines à gaz. Le démantèlement de la démocratie sociale par le Gouvernement et les choix dommageables qu’il opère en matière de droit du travail ont des conséquences que nous commençons à peine à réparer.

En raison de son caractère bien particulier, nous voterons en faveur de ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation et à interdire le démarchage de ses titulaires a été adoptée à l’unanimité le 6 octobre 2022, en première lecture, à l’Assemblée nationale. Elle vise à mettre fin au démarchage incessant et intempestif émanant d’organismes parfois fictifs.

La création du compte personnel de formation, couplée à la monétisation des heures de formation, a entraîné l’émergence d’un démarchage agressif, avec son lot de fraudes. Pas un jour ne passe sans sa cohorte de SMS, d’appels ou de mails invitant à utiliser son crédit CPF.

Cette situation insupportable pour nos concitoyens s’explique évidemment par la loi Pénicaud de 2018, qui a transformé un dispositif comptabilisant des heures de formation en un montant financier à utiliser. Il est d’ailleurs difficilement acceptable que l’ancienne ministre du travail, à l’origine du big-bang de la formation professionnelle de 2018, s’apprête à entrer au conseil d’administration de Galileo Global Education, énorme groupe d’enseignement supérieur privé et acteur majeur de la formation initiale et continue.

Toujours est-il que l’interdiction de la prospection commerciale des titulaires d’un compte personnel de formation, assortie de sanctions pour les entreprises contrevenantes, est une bonne nouvelle.

Il est regrettable qu’il ait fallu attendre quatre ans pour s’attaquer à ce fléau et doter de prérogatives de contrôle les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

La montée en puissance du CPF s’est accompagnée d’une hausse massive des fraudes et des tentatives de fraude. Entre 2020 et 2021, le nombre de déclarations de soupçon liées à une fraude potentielle au CPF a été multiplié par onze et celui des dossiers transmis à la justice par Tracfin, par trois.

Nous avons, d’un côté, des organismes fictifs, qui ont des pratiques frauduleuses, de l’autre, des organismes réels, qui effectuent du démarchage agressif. L’opprobre est jeté sur l’ensemble des organismes de formation, y compris ceux qui ne sont pas dans l’illégalité. Espérons que le référencement des organismes de formation sur le portail numérique Mon compte formation permettra de faire le tri entre les organismes sérieux et les autres.

Je voudrais profiter de mon intervention pour alerter sur la présence d’organismes de formation aux pratiques sectaires, qui piègent des salariés utilisant leur compte personnel de formation. Dans son dernier rapport d’activité, la Miviludes (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) fait état d’une augmentation globale des dérives sectaires, avec un record de 4 020 saisines en 2021 et une hausse de 86 % entre 2015 et 2021.

Les formations de coaching, de techniques de vente, de développement personnel ou de techniques de soins non reconnues font l’objet d’un nombre très important de signalements. Face à ses dérives, il nous faut renforcer la formation permanente des agents chargés du contrôle.

Enfin, je voudrais souligner que l’examen de cette proposition de loi se fait dans un contexte de restriction de l’accès à la formation professionnelle après que le Gouvernement a instauré un reste à charge.

En effet, le projet de loi de finances pour 2023, que nous avons adopté mardi dernier en première lecture, va contraindre les salariés à prendre en charge 20 % à 30 % du coût de leur formation. Cette remise en cause du droit à la formation, qui pénalisera en premier lieu les salariés les plus modestes et les privés d’emplois, est évidemment inacceptable. Nous défendons une formation professionnelle accessible tout au long de la vie aux travailleurs et aux privés d’emplois, intégralement financée par les entreprises.

Nonobstant cette disposition, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Mmes Véronique Guillotin et Marie-Pierre Richer applaudissent.)

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a réformé le compte personnel de formation, créé en 2014. Le principe d’un droit à la formation comptabilisé en heures a ainsi été remplacé par une monétisation en euros.

Sur le site du ministère de l’économie et des finances, des chiffres s’affichent en gros caractères : au 30 septembre 2021, 38,8 millions de titulaires d’un compte personnel de formation ; montant moyen de 1 500 euros par CPF ; 2,86 millions de dossiers acceptés entre novembre 2019 et fin septembre 2021… N’importe quel malfaisant pas très malin a alors vite fait de comprendre, par une soustraction et une multiplication, qu’environ 36 millions de salariés n’ont pas mobilisé leurs 1 500 euros de CPF et qu’il y avait là une source gigantesque d’arnaque… ce qui n’a pas manqué pas de se produire ! Ce sont même des malfaisants très malins qui ont sauté sur l’aubaine.

Les premières fraudes furent relativement simples : fausses formations, fausses identités… Malgré le renforcement des dispositifs de contrôle, Tracfin a constaté en 2021 une persistance, voire un renforcement, de la fraude, qui s’adapte au fur et à mesure des tentatives de sécurisation.

Désormais, on constate des inscriptions fictives à des formations non suivies, un démarchage agressif et même des incitations aux inscriptions au travers d’offres de cadeaux. Derrière ces pratiques se cachent des réseaux de criminalité organisée, dont des affairistes déjà connus dans le cadre de fraudes aux certificats d’économies d’énergie et qui ont mis la main sur le dispositif.

Plusieurs dossiers ont donné lieu à des saisies pénales effectives pour un total de 3,5 millions d’euros. Parmi les vingt dossiers transmis, dix mettent en lumière des réseaux de fraudeurs particulièrement structurés et rattachés à des groupes criminels organisés.

Voici un exemple réel. La société A, spécialisée dans la formation continue d’adultes, créée en septembre 2020 par M. X, qui la dirige, n’emploie aucun salarié et reçoit plus de 8 millions d’euros de la Caisse des dépôts et consignations au titre du CPF sur la base de fausses attestations de stagiaires. Une part importante de ces sommes est transférée à des personnes physiques et morales liées à M. X, dont des sociétés actives dans le secteur du BTP ou celui du conseil, pour 1 million d’euros, à une association présidée par le frère de M. X, pour 3 millions d’euros, et à deux membres de la famille de M. X pour 200 000 euros. Une partie des fonds versés sur le compte de l’association est notamment utilisée pour l’achat de véhicules ou de montres de luxe par le frère de M. X. Enfin, 300 000 euros ont été transférés à des personnes physiques enregistrées comme stagiaires de la société A ayant initialement sollicité le paiement du CPF.

Au cours de l’année 2021, la Caisse des dépôts et consignations a mis fin aux versements à la société A en raison de graves soupçons de fraude. Plus de 2 millions d’euros d’avoirs ont finalement pu être saisis et confisqués par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), mais 6 millions se sont potentiellement évadés !

C’est pourquoi, sans hésiter et sans état d’âme, et afin de rendre impossibles ces pratiques de démarchage dans les meilleurs délais, nous voterons conforme le texte qui nous est proposé aujourd’hui.

Il faut que cette situation cesse au plus vite : il s’agit non pas de mettre en place des procédures dématérialisées plus complexes, mais de réussir à bloquer l’accès aux numéros des bénéficiaires. En effet, ce sont non pas les personnes déjà éloignées du numérique qu’il faut écarter, mais bien les bandits financiers.

Devant ce constat de fraude exponentielle, l’article 1er du texte tend à interdire la prospection commerciale des titulaires de CPF, sauf sollicitation explicite dans le cadre d’une action de formation en cours.

Voilà qui est très bien, mais la vraie question est de savoir comment les acteurs du grand banditisme ont libre accès à ces fichiers. Face à la circulation de nos informations personnelles dans tous les clouds du monde, reste-t-il une possibilité de verrouillage ? Car, faute d’agir sur la sécurité des fichiers, après s’être fait arnaquer hier sur les dossiers d’isolation, aujourd’hui sur les dossiers de formation, l’État et les citoyens se feront arnaquer demain sur d’autres dossiers. Et ce sera toujours plus juteux, plus organisé, plus efficace et de plus grande ampleur !

L’article 2 prône le contrôle par l’échange et le croisement d’informations entre les services, ce qui semble de pur bon sens, sinon élémentaire. C’est du fonctionnement des services en silo que naissent et prospèrent les supercheries les plus énormes. Les outils informatiques auraient dû permettre depuis longtemps le recoupement systématique des données – et dans tant de domaines ! Ce dispositif mériterait d’être généralisé.

Vous aurez compris que cette proposition de loi va dans le bon sens, mais qu’elle intervient – comme toujours, hélas ! – a posteriori, alors que l’on a été débordé et que le torrent semble bien difficile à contenir.

Je pose à cette occasion la question des moyens du contrôle et de son coût. J’imagine et j’espère que tout est calibré à la hauteur de l’enjeu. Mais ne répondez pas ici, des oreilles malhonnêtes pourraient écouter… (Sourires.)

Voilà quelques mois, lors de l’examen de la proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, nous avions décidé de ne pas aller au-delà du dispositif Bloctel, qui permet théoriquement de se protéger, afin de respecter des milliers d’emplois de salariés honnêtes. Nous sommes aujourd’hui dans un autre cas de figure : l’interdiction du démarchage au compte CPF ne contrariera que des opérations frauduleuses. Alors, allons-y ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le compte personnel de formation a fait l’objet d’une réforme en 2018, dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

L’objectif, que nous partagions, était de rendre les droits à la formation plus lisibles et plus accessibles, en créant notamment une plateforme internet sur laquelle chaque personne pourrait connaître le montant de ses droits – désormais visibles en euros –, choisir et payer directement sa formation, sans intermédiation.

Lancée à la fin de 2019, la plateforme Mon compte formation a permis l’activation de 19 millions de profils et l’augmentation très nette du nombre d’entrants en formation dans toutes les catégories professionnelles, ce qui est à souligner. Les femmes, plus souvent à temps partiel, bénéficient de l’alignement des droits, avec un compte alimenté de 500 euros par an pour tous les salariés effectuant au moins un mi-temps, et 800 euros pour les moins qualifiés ou en situation en handicap.

Cette réforme, que nous jugions souhaitable à l’époque et dont nous constatons aujourd’hui le succès, a rendu les Français plus libres d’évoluer professionnellement. Nous savons à quel point la question de la formation est centrale dans la recherche de l’adéquation entre les profils des demandeurs d’emploi et les offres présentes sur le marché du travail.

Mais tout changement entraîne des effets de bord et nous sommes en plein dedans : la montée en puissance du CPF s’est en effet accompagnée d’une hausse massive des fraudes, des tentatives de fraude, ainsi que d’un harcèlement par appels téléphoniques, par SMS, par courriels ou par démarchages sur les réseaux sociaux, comme l’ont souligné les orateurs précédents.

Le phénomène a pris une ampleur considérable depuis plusieurs mois – je crois que beaucoup d’entre nous peuvent le confirmer pour l’avoir également subi. Au-delà des pratiques commerciales agressives, voire abusives, des informations erronées sont véhiculées, induisant en erreur les titulaires des comptes ou les poussant à acheter des formations contre leur gré.

C’est aujourd’hui une nuisance réelle, qui a envahi le quotidien des Français et qui met en péril la crédibilité du dispositif et du secteur de la formation professionnelle.

Tracfin évalue la fraude à 43 millions d’euros en 2021. Nous devons y mettre un terme au plus vite. Cette proposition de loi, nécessaire et bienvenue, vise à rappeler que le CPF est un outil destiné à ceux qui le détiennent et non aux organismes de formation. Les Français doivent impérativement garder la main sur leurs droits.

Les dispositifs jusqu’ici mis en place pour contrôler la qualité des formations et sanctionner les manquements et les fraudes n’ont malheureusement pas permis de lever toutes les difficultés. Il s’agit donc de mettre en place des barrages filtrants, afin de compliquer les contournements du dispositif, à défaut de pouvoir totalement les supprimer.

Pour ce faire, cinq solutions concrètes ont été retenues.

Premièrement : l’interdiction, avec amendes dissuasives, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, de toute prospection commerciale visant les titulaires d’un CPF, à l’exception des sollicitations intervenant dans le cadre de prestations en cours.

Deuxièmement : la sécurisation de l’échange d’informations entre les acteurs mobilisés dans la lutte contre la fraude au CPF.

Troisièmement : le renforcement des pouvoirs de recouvrement des indus de la Caisse des dépôts et consignations.

Quatrièmement : le renforcement des modalités de contrôle du référencement des organismes de formation sur Mon compte formation.

Cinquièmement, enfin : l’encadrement du recours à la sous-traitance des organismes de formation pour imposer aux sous-traitants les mêmes exigences et donner à la Caisse des dépôts et consignations les moyens de contrôle, de vérification et d’intervention adéquats.

Des ajustements sont nécessaires et les solutions proposées ici semblent consensuelles. Cette proposition de loi a été adoptée voilà quelques semaines à l’Assemblée nationale ; si nous l’adoptons à notre tour sans modification – et nous avons bien entendu le message (Sourires.) –, elle pourra s’appliquer sans délai. Pour cette raison, pour que ces nuisances cessent au plus vite, le groupe du RDSE votera en faveur de ce texte sans modification. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI. – Mme Marie-Pierre Richer applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, utilisable par tous, tout au long de la vie active, y compris en période de chômage, le compte personnel de formation est au moins un succès quantitatif avec un doublement des effectifs chaque année, 500 000 formations demandées en 2019, plus de 1 million en 2020 et plus de 2 millions en 2021.

Toutefois, si la monétisation du CPF a favorisé sa démocratisation, elle a également eu des effets pervers avec une fraude en tout genre et des démarchages abusifs.

Dans le sillage du CPF, un lot de pratiques douteuses, incontrôlables et incontrôlées sont apparues : usurpations d’identité et détournements des droits, nuisances par des appels et sollicitations intempestives.

Le CPF, qui pèse pour 2,7 milliards d’euros de dépenses, soit un cinquième du budget de France Compétences, attire désormais une délinquance économique organisée, comme le démontrent les 440 enquêtes ouvertes par le service central de renseignement criminel de la gendarmerie.

La recrudescence atteint même des sommets : selon la cellule de renseignement financier nationale Tracfin, l’année 2021 a été marquée par la plus forte hausse de faux organismes détectés avec un préjudice cumulé de 43,2 millions d’euros après démarchage téléphonique ou en ligne, soit une multiplication par six de la fraude en seulement un an.

Force est donc de constater que le récent guide de prévention contre les arnaques publié par le ministère de l’économie et des finances n’aura pas été efficace, non plus que les timides campagnes de sensibilisation. L’action du Parlement est donc pleinement nécessaire pour endiguer ce phénomène.

Pourtant, dès 2018, le Sénat avait à la fois mis en garde et exprimé des réserves sur la monétisation et la désintermédiation du CPF.

Le Gouvernement avait déclaré qu’il s’agissait d’un « pari ». Si celui-ci a permis à un plus large public d’accéder à la formation, il a aussi occasionné des dérives que l’on s’efforce de traiter au travers du présent texte.

Cette proposition de loi est donc la bienvenue afin de contrer des pratiques qui siphonnent des crédits destinés à la formation professionnelle, un programme déjà difficilement pilotable compte tenu des rallonges budgétaires répétées et votées à France Compétences en lois de finances. Le CPF n’a par conséquent pas un seul euro à perdre !

Face à la fraude, les pouvoirs publics ne sont pourtant pas restés inactifs. Je tiens à saluer plus particulièrement le travail des forces de l’ordre, qui, grâce à des enquêtes minutieuses et complexes, ont réussi à démanteler plusieurs réseaux de faux organismes au cours des dernières semaines, dont un dans les Alpes-Maritimes, à Cannes-Mandelieu, pour un préjudice de 8,2 millions d’euros.

Cette proposition de loi permettra non seulement d’en finir avec ces escroqueries, mais aussi de restaurer l’image dégradée du CPF, lequel, faute de réponse adaptée, perd en visibilité.

En effet, bon nombre de Français ne prennent plus les appels ou textos au sérieux, risquant ainsi de se détourner de leur CPF, pourtant essentiel au cours de leur carrière professionnelle.

À l’avenir, la question du financement des formations sera aussi un enjeu de nature à réduire la fraude, tout particulièrement celle qui est consentie par des actifs dans le cadre de la revente de codes d’accès CPF.

Comme l’a proposé et voté le Sénat le 28 novembre dernier, dans le cadre de l’examen des crédits de la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2023, instaurer un plafonnement de prise en charge par le CPF du coût de certaines formations serait de nature à sécuriser le CPF au travers d’un mécanisme de régulation.

J’espère ainsi que l’amendement adopté au Sénat, accueilli par un avis de sagesse du Gouvernement, obtiendra votre soutien, madame la ministre, une fois le 49.3 de nouveau dégainé à l’Assemblée nationale.

Ce qui est vrai pour le budget de la sécurité sociale l’est aussi pour la formation : ce qui est gratuit n’a pas de valeur. Si nous voulons que les salariés participent plus activement non seulement à la lutte contre la fraude, mais aussi à leur parcours professionnel, sans se contenter de répondre à un appel ou à un message leur signalant qu’ils ont du crédit sur leur CPF, il faudra en passer par un reste à charge encadré, sans pour autant en faire une barrière tarifaire.

Cette piste avait d’ailleurs été mise en lumière par l’excellent rapport de Mmes Frédérique Puissat, Corinne Féret et vous-même, monsieur le rapporteur.

Enfin, en matière de prévention contre la fraude, l’arsenal de la Caisse des dépôts et consignations contient les « conditions générales d’utilisation » (CGU), auxquelles doivent se conformer les 44 000 organismes de formation, dont certaines start-up innovantes, essentiellement digitales. Plusieurs de ces organismes qui ont dynamisé le secteur m’ont fait part d’une rigidité dans la mise à jour des conditions générales d’utilisation et de délais très courts pour s’y conformer, avec un risque juridique contractuel pour les formations proposées.

Cette question ne relevant pas du domaine de la loi, je n’ai finalement pas déposé d’amendement visant à laisser aux organismes un délai minimal de mise à jour des CGU. Toutefois, je tiens à vous signaler, madame la ministre, que bon nombre d’entre eux sont inquiets.

De l’aveu même du rapport de la commission des affaires sociales, les CGU ont été modifiées à plusieurs reprises, mais la mise à jour demande un important travail juridique que ces organismes ne sont pas tous en mesure de fournir, puisque ce n’est pas leur cœur de métier.

À ce titre, l’article 3 inscrit dans la loi les conditions du référencement des formations sur Mon compte formation et établit un contrôle des formations éligibles au financement CPF, au travers de la certification qualité Qualiopi, de la législation fiscale, de la sécurité sociale, mais aussi de la satisfaction aux CGU établies par la Caisse des dépôts et consignations. Pouvez-vous rassurer ces organismes sur ce point précis ?

Il serait regrettable qu’un excès de règles contraignantes succède à un excès de simplification. Ces organismes souhaiteraient donc que la Caisse des dépôts et consignations fasse preuve de plus de souplesse.

Pour conclure, le groupe Les Républicains votera ce texte en l’état, les dispositifs proposés permettant de rendre plus efficaces les efforts déployés pour lutter contre les abus de fraude au CPF. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur et M. François Patriat applaudissent également.)