Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Poutine tente de faire disparaître l’Ukraine. Il a affirmé qu’elle n’était ni un pays ni un État. Le dictateur russe a d’abord grignoté le territoire ukrainien – la Crimée, le Donbass –, avant de tenter une invasion totale.

Cette initiative est, pour l’heure, un échec sanglant. L’offensive s’enlise, mais elle se poursuit. Elle a fait périr des milliers de personnes et en a déplacé des millions d’autres. Malgré l’aide internationale, le sort de l’Ukraine demeure incertain.

Dans sa guerre d’agression qui dure depuis plus d’un an maintenant, Poutine vise délibérément les populations civiles. Il a concentré ses tirs sur les installations énergétiques civiles avant l’hiver, les quartiers d’habitation et même les maternités.

On ne compte plus les exactions commises par les criminels du groupe Wagner ou des Kadyrovites. Les atrocités de Boutcha témoignent de la haine que le Kremlin nourrit contre le peuple ukrainien.

Le rapport des Nations unies publié le 15 mars dernier souligne l’ampleur des exécutions sommaires, la cruauté des actes de tortures et des violences sexuelles commises par les troupes russes contre la population civile ukrainienne.

Malgré la tragédie, grâce au courage ukrainien et au soutien international, l’Ukraine résiste à l’envahisseur. Si Poutine a pour l’instant échoué à prendre le contrôle du pays, il poursuit néanmoins son travail d’effacement en niant la culture ukrainienne, en refusant à la nation ukrainienne le droit de disposer d’elle-même et d’avoir un avenir.

Dans ce contexte, plus de 16 000 enfants ukrainiens auraient été transférés de force des territoires occupés vers les terres russes. Les enfants de l’Ukraine sont son avenir, et la Russie de Poutine cherche à s’en emparer.

Des « camps » et autres « lieux aménagés » auraient été installés sur le territoire russe, certains en Sibérie. Les enfants de tout âge y seraient rééduqués pour devenir prorusses.

Les déportations de jeunes ukrainiens sont également devenues le maillon stratégique d’un système d’adoption mis en place par l’État et géré par la commissaire aux droits de l’enfant en Russie depuis 2021, alors que l’adoption d’enfants étrangers sans le consentement du pays d’origine est interdite en Russie.

Ces transferts forcés d’enfants et leur prétendue rééducation constituent une atteinte, non seulement aux familles concernées, mais également à la nation ukrainienne tout entière. Ces actes sont constitutifs du crime de génocide. Ils visent à effacer dans l’esprit de ces jeunes ukrainiens l’idée même de leur patrie. Nous ne pouvons pas l’accepter.

En adoptant la proposition de résolution européenne portée par notre collègue André Gattolin, que je salue, le Sénat a eu l’occasion d’affirmer son opposition à ces transferts contraires au droit international.

Aujourd’hui encore, nous voulons dire à quel point nous condamnons l’agression de Poutine et les actes commis contre la population ukrainienne. Il faut aussi trouver le moyen de remédier à cette situation. C’est tout l’objet du débat qui nous occupe.

Comme les auteurs de la proposition de résolution européenne l’ont indiqué, il est essentiel de faire toute la lumière sur ces événements. Il faut pour cela mener des investigations poussées sur ces transferts.

Identifier les filières existantes permettra de connaître le mode opératoire et les personnes concourant à ces transferts. Ces individus sont complices d’un crime contre l’humanité et doivent être traités comme tels. Justice doit être rendue.

Ces investigations doivent, en outre, permettre de retrouver les traces d’enfants déjà transférés. Il est indispensable que ces milliers d’enfants soient rendus à leurs familles et retrouvent leur patrie au plus tôt.

Nous l’avons rappelé, les transferts forcés d’enfants sont constitutifs d’un crime contre l’humanité. Tous les acteurs de la communauté internationale, tant les États et les institutions internationales que les ONG, doivent contribuer à faire cesser ces crimes.

La guerre déclenchée par Poutine pèsera durablement sur les relations internationales et la sécurité de notre continent.

Avant le début de ce conflit, la France a œuvré pour la paix. Elle est aujourd’hui engagée aux côtés de la résistance ukrainienne. En plus de fournir à Kiev les moyens de résister, nous devons œuvrer du mieux possible pour faire cesser les crimes de Poutine.

Nous l’avons fait en envoyant des équipes sur les sites de massacres, comme à Boutcha, pour élucider les crimes passés. Nous devons à présent faire tout notre possible pour préserver l’avenir de l’Ukraine, en commençant par celui de ses enfants. C’est absolument essentiel ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie notre collègue André Gattolin d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat sur le retour en Ukraine des enfants déportés en Fédération de Russie.

Ce débat fait suite au vote, le 17 avril dernier, d’une proposition de résolution transpartisane. Il était particulièrement indispensable que notre assemblée se joigne à l’indignation de la communauté internationale. C’est une question de justice et de respect du droit international !

Depuis plus d’un an, le dictateur russe, dans une guerre ignoble, utilise les moyens les plus abjects. Les civils, les enfants, les femmes en sont les premières victimes. Crimes de guerre, viols comme arme de guerre, enlèvement d’enfants : rien n’arrête Vladimir Poutine. Sa stratégie militaire vise à déshumaniser les victimes et à terroriser les populations. L’armée russe ne recule devant aucune barbarie pour tenter de saper le moral du peuple ukrainien.

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les autorités ukrainiennes estiment que plus de 16 000 enfants ont été enlevés par les autorités russes.

Les enfants enlevés sont amenés dans des camps de « rééducation », qui visent à les endoctriner et à les rendre prorusses. Dans certains cas, un entraînement militaire est également au programme. Leurs conditions de vie dans ces camps sont épouvantables : vêtements sales, insultes, manque de soins… Les témoignages des enfants revenus de ces camps sont difficiles à entendre.

L’objectif de Pouline est de faire adopter ces enfants par des familles russes. C’est à cette fin qu’il a assoupli la loi russe sur l’adoption et la naturalisation des enfants ukrainiens. Selon l’ONG Human Rights Watch, en décembre dernier, 400 enfants ukrainiens avaient déjà été adoptés par des familles russes.

Menaces d’utiliser l’arme nucléaire, bombardements de civils, torture, emploi de mercenaires, attaques contre des établissements médicaux et, depuis quelques mois, enlèvements d’enfants ukrainiens : la Russie ne recule devant aucune exaction pour conduire sa guerre d’agression !

Ces agissements sont inacceptables et doivent cesser. Comme l’a souligné le procureur de la Cour pénale internationale, les enfants ne peuvent pas être traités comme un butin de guerre.

Malgré la qualification de ces agissements comme crimes de guerre par l’ONU et l’émission d’un mandat d’arrêt par la Cour pénale internationale pour « déportation » ou pour « transfert illégal » de personnes, seuls quelque 300 enfants ukrainiens ont pu retrouver leurs familles.

La France doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour contraindre la Russie à organiser le retour de tous les enfants ukrainiens enlevés. Pour ce faire, le Gouvernement doit cesser de privilégier les intérêts économiques en alourdissant les sanctions contre la Russie dans ce secteur et en plaidant pour leur élargissement à l’échelon européen. La France doit également faire son maximum pour soutenir la Cour pénale internationale, mais aussi Eurojust, l’équipe commune d’enquête sur les crimes internationaux présumés en Ukraine, ainsi que le Centre international chargé des poursuites pour le crime d’agression contre l’Ukraine.

Madame la secrétaire d’État, la période appelle non pas à plus de négociation et plus de diplomatie avec la Russie, mais à plus de fermeté et à plus de cohérence entre les paroles et les actes du Gouvernement !

Au risque d’alimenter la machine de guerre de Vladimir Poutine, le Gouvernement continue de coopérer avec la Russie dans certains secteurs. Ainsi, alors que la construction de deux nouveaux réacteurs dans la centrale nucléaire de Paks, en Hongrie, est pilotée par l’entreprise russe Rosatom, le Gouvernement a donné son feu vert à la participation au projet de l’opérateur français Framatome. Cette décision est inacceptable. Si l’industrie nucléaire n’est pas visée par les sanctions internationales contre la Russie, il est important que la France respecte ses engagements. Nous ne pouvons pas participer à des projets qui risquent d’alimenter la machine de guerre russe. Nous comptons sur vous, madame la secrétaire d’État.

Ce matin, le président Zelensky est arrivé à La Haye pour rencontrer les dirigeants de la Cour pénale internationale. À travers ce débat, nous lui transmettons tout notre soutien et nous lui réitérons notre exigence en matière de justice. Il importe que la communauté internationale condamne sans équivoque ces crimes de guerre et ces crimes contre l’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. André Gattolin et Pierre Louault applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la simple évocation du mot « déportation » réveille dans notre esprit et dans l’imaginaire collectif le terrifiant spectre des heures les plus sombres de notre humanité.

Il y a quelques décennies seulement, des millions d’individus innocents étaient déportés et exterminés pour une raison aussi simple qu’épouvantable, à savoir qu’ils étaient juifs.

Aujourd’hui, comme une irrémédiable rengaine historique, le même type d’exactions insoutenables est perpétré contre les enfants ukrainiens lors de leurs déplacements contraints et forcés en Russie.

En effet, le Gouvernement ukrainien déplore la déportation de 19 384 mineurs, soit au moins autant de familles déchirées et de mères brisées par la disparition de leur raison de vivre, de la chair de leur chair. Seuls 361 enfants ont réussi à échapper aux griffes de l’aigle bicéphale grâce aux opérations menées par les ONG.

L’université de Yale dénombre dans son rapport au moins 43 camps – devrait-on les nommer camps de concentration ? –, répartis sur l’ensemble du territoire russe ou contrôlés par la Russie. À cela, il faut ajouter un triste bilan : 500 enfants ont été tués et 1 000 blessés, endeuillant un pays déjà meurtri dans son cœur.

Mes chers collègues, nous le comprenons tous aisément, les 7,5 millions d’enfants ukrainiens présents dans le pays avant l’éclatement de la guerre sont les tristes victimes collatérales d’un conflit qui s’éternise, au grand dam d’une population dont les plaies ouvertes par une telle barbarie ne cicatriseront jamais totalement.

Peut-on parler de crimes d’agression ? Indéniablement ! Peut-on parler de crimes de guerre ? Oui, à n’en pas douter ! Réjouissons-nous que les instances internationales et ukrainiennes se soient dès le début appliquées à réunir les preuves des crimes commis par les Russes en Ukraine.

Que dire ensuite des qualifications de crimes contre l’humanité, voire de génocide ?

La notion de génocide est à manipuler avec une certaine prudence, raison pour laquelle il nous faut en discuter.

Amorcée par de nombreux juristes, la discussion tourne aujourd’hui au débat juridique. Les juges trancheront un jour la question, mais je note que l’ancien garde des sceaux, Me Robert Badinter, considère que « cette forme insidieuse de déportation des enfants ukrainiens vers la Russie [est] une forme de génocide culturel ».

Les actions de l’armée russe en Ukraine témoignent donc, en réalité, d’une intention de détruire et d’humilier la population civile, d’écraser leur identité et leur intégrité.

Au-delà du droit, au-delà des qualifications juridiques du droit pénal international, il est avant tout question de vies humaines. Face aux tortures que sont les déportations, les conséquences de celles-ci sur les vies humaines sont en réalité dramatiques. Si les déportations des enfants de tout âge causent des dégâts multiples, celles des nourrissons ukrainiens risquent d’entraîner pour eux des séquelles psychologiques irréversibles. Et pour cause : imaginons que le conflit s’enlise encore pendant plusieurs années…

Comment rendre possible le retour en Ukraine des enfants déportés en Fédération de Russie si ces mêmes enfants grandissent ailleurs que dans leur pays natal, sans pouvoir s’identifier comme étant Ukrainiens, sans repères ni souvenirs ? Admettons que la situation déjà sidérante à laquelle nous faisons face s’aggrave davantage, ce serait alors toute une nation qui se retrouverait privée d’une partie de ses enfants.

Face à de tels risques, l’action n’est plus une option ! Je ne reprendrai pas à mon compte l’ensemble des critiques formulées dans cet hémicycle contre les instances internationales que sont l’ONU et l’Unicef, mais je dois également reconnaître que je m’interroge. Si l’action de l’Unicef déçoit, est-ce pour autant de sa responsabilité ?

Autrement dit, la situation actuelle ne doit-elle pas nous conduire à repenser le fonctionnement et l’articulation avec l’ONU de cette instance mondialement reconnue ?

Depuis sa création le 24 octobre 1945, chaque fois qu’un événement a eu des conséquences tragiques pour les enfants dans le monde, l’Unicef s’est engagée en agissant sur le terrain de manière concrète et incontestable.

Mais dans la guerre entamée depuis plus d’un an en Ukraine, guerre qui, malheureusement, figurera peut-être demain dans nos livres d’histoire comme étant l’un des conflits majeurs du XXIe siècle, force est de constater que l’action de l’Unicef devrait être renforcée. C’est pour atteindre cet objectif, dans l’intérêt des enfants, qu’ils soient ukrainiens aujourd’hui ou d’une autre nationalité dans les affrontements de demain, que la question de la réforme de l’ONU se pose inévitablement à nous.

Alors que les acteurs du conflit en Ukraine ont incité hier à l’escalade en appelant à « éliminer » le président ukrainien Volodymyr Zelensky en représailles à une attaque présumée de drones contre le Kremlin, imputée par Moscou à Kiev qui, de son côté, nie toute implication, nous devons préparer le moment où le dictateur Vladimir Poutine et ses complices seront traduits en justice.

Comme le souligne l’auteur Raoul Marc Jennar « si les historiens révèlent des faits, les juges, eux, doivent examiner les intentions, rechercher les mobiles, analyser les modalités d’exécution, identifier et entendre les auteurs directs et indirects ainsi que les victimes ».

Pour reprendre les récents mots de Me Robert Badinter lors de la présentation de son dernier ouvrage, « nous avons le devoir de préparer le jugement d’hommes comme Poutine et de réunir toutes les preuves à cette fin ».

Je salue l’implication d’André Gattolin sur ce sujet et je le remercie d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous évoquons ici un drame, à savoir le plus grand transfert de masse de population en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Qui plus est, il s’agit d’enfants…

Ces transferts forcés ont commencé en 2014 dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie, en Crimée et dans le Donbass. Mais ils s’opèrent désormais malheureusement à très grande échelle depuis l’agression russe du 24 février 2022 contre l’ensemble de la nation ukrainienne.

Selon certaines sources, jusqu’à 700 000 enfants sont actuellement en Russie. La Russie qualifie ces déplacements de « mises à l’abri ». Le défenseur des droits ukrainien estime, lui, qu’au minimum 150 000 enfants ont été ainsi déportés. Un peu plus de 19 000 enfants sont identifiés de manière formelle sur le territoire russe.

Il existe 43 centres, dans lesquels seraient passés au minimum 6 000 enfants, selon les sources et les observations. Cela a été rappelé, ces centres sont de pseudo-colonies de vacances forcées en zone occupée. Des rafles, dont les descriptions font parfois froid dans le dos, ont lieu dans les écoles et les centres d’aide sociale à l’enfance dans les territoires occupés par la Russie. Des séparations sont effectuées dans les zones de combat ou lors du passage par les centres de filtration, comme ce fut le cas en particulier lors de l’évacuation de Marioupol. Voilà comment l’on sépare les enfants de leurs parents. Voilà comment l’on transfère de manière forcée des enfants ukrainiens vers la Russie !

Il est si difficile de savoir où sont ces enfants et de les identifier que seuls 360 d’entre eux ont pu revenir en Ukraine, auprès de leurs parents. Souvent, les familles prennent des risques importants pour aller les chercher et les ramener dans leur pays. Certains retours se font sur la base d’échanges entre prisonniers russes et enfants ukrainiens, mais cela reste marginal.

Comme le président ukrainien l’a rappelé dans une interview, la plupart des enfants du personnel de la centrale nucléaire de Zaporijjia, à Enerhodar, ont été capturés et les parents ont été victimes d’un chantage : soit ils prenaient la nationalité russe, soit ils ne revoyaient plus leurs enfants. Voilà comment fonctionne la Fédération de Russie !

C’est sur la base de toutes ces preuves que deux mandats d’arrêt ont été émis par la Cour pénale internationale à l’encontre, d’une part, du président russe et, d’autre part, de Maria Lvova-Belova, la prétendue commissaire russe aux droits de l’enfant. Il est clair que le reste de la chaîne de commandement et d’exécution de ces crimes ne restera pas non plus impuni. Le mandat d’arrêt de la CPI conduit aujourd’hui les autorités d’Afrique du Sud à suggérer au président russe de ne pas se rendre au sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), car il risquerait de se trouver en état d’arrestation.

On sait aussi grâce à de multiples témoignages que les enfants ainsi transférés de force vers la Russie subissent des formations idéologiques. On les oblige à renoncer à la nationalité ukrainienne, on les monte contre la nation ukrainienne et contre leurs anciens parents, on nie leur filiation. Ces éléments constituent des infractions sous-jacentes au crime de génocide. Il n’est pas du tout impossible que, à la fin, l’ensemble de la chaîne de commandement et d’exécution de ces crimes puisse être accusée de crimes de génocide.

Cela a été rappelé, la société russe, malgré une propagande et des incitations très fortes à l’adoption, demeure particulièrement réservée sur les faits commis. Finalement, peu d’adoptions ont lieu. Ce sont surtout des institutions religieuses sans contrôle, où la maltraitance est le lieu commun, qui « recueillent » ces enfants dans les conditions les plus terribles. La société russe, malgré la propagande pourtant très forte de son régime, n’est donc pas dupe et n’accompagne pas nécessairement les exactions des autorités russes.

La rupture des liens de filiation pour les quelques centaines d’enfants qui ont été adoptés, l’effacement de leur état civil ukrainien alors que leurs parents biologiques sont vivants, sont aussi des crimes.

Madame la secrétaire d’État, il faudra être particulièrement vigilant. Ni la France ni aucun État européen ne doit reconnaître les nouveaux documents d’identité émis par la Russie après l’effacement d’un état civil préexistant et la mise en place d’identités inexactes, fausses, falsifiées. C’est un point important.

Certes, nous devons parler des sanctions, car il ne doit y avoir d’impunité pour personne, mais le plus urgent, aujourd’hui, est de penser à ces enfants, de faire en sorte qu’ils puissent revenir le vite possible en Ukraine et retrouver leur famille.

Sur ce point, je dois saluer la mobilisation de la France et d’un certain nombre d’éléments de la société civile française.

Ainsi, l’association Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ! a transmis des communications très précises au bureau du procureur de la Cour pénale internationale.

Le Conseil national des barreaux (CNB) a effectué des missions en Ukraine. Elle y a envoyé la première délégation officielle d’avocats européens et a fait des propositions très précises.

L’application Reunite Ukraine, initialement créée par des Français vivant à l’étranger ayant connu l’expérience de séparations forcées d’enfants, a évolué. Elle a été développée, en particulier avec les autorités ukrainiennes, en vue de permettre aux familles ukrainiennes de se retrouver lorsque c’est possible.

Enfin, des parlementaires, à l’Assemblée nationale et au Sénat, ont déposé, à l’instar de notre collègue André Gattolin, des propositions de résolution visant à rappeler que nous ne saurions tolérer la situation actuelle et que, au-delà de la constatation et de la punition de ces transferts forcés, il est indispensable de réagir au plus vite.

Cela a été dit, la Russie prétend que c’est au nom du droit humanitaire qu’il fallait sortir les enfants des zones de conflit. Dans l’absolu, cela est vrai, mais ce n’est pas à des belligérants qu’il revient de le faire ! Le fait pour un belligérant d’agir ainsi est en soi un crime de guerre.

Par ailleurs, une telle initiative, même si elle n’émane pas d’une partie au conflit, ne peut être mise en œuvre que de manière momentanée, sans cacher l’identité des personnes déplacées ou empêcher leur identification. Or les autorités russes agissent de cette façon et, en outre, nient l’identité ukrainienne de ces enfants, le fait qu’ils sont séparés de leurs familles et l’existence de crimes de filiation.

Il ne s’agit donc en rien d’une action de protection ! C’est une action de séparation, visant à couper les enfants de leurs origines, de leurs parents. C’est un crime de guerre, et probablement un crime de génocide. C’est la raison pour laquelle il n’est pas tolérable de laisser ces actes impunis ou de ne pas aller au bout de notre démarche.

Madame la secrétaire d’État, au regard de l’implication de notre pays, de notre société civile et du Parlement français, le Gouvernement doit, lui aussi, prendre un certain nombre d’engagements.

J’évoquerai aussi l’Unicef, qui est une agence des Nations unies, lesquelles fonctionnent comme elles le peuvent compte tenu de la place qu’occupe la Russie au sein du Conseil de sécurité.

Tout d’abord, il est indispensable que nous exercions aujourd’hui, avec nos partenaires européens et l’ensemble des pays qui sont sensibles à cette question, une pression maximale afin de permettre à l’Unicef, qui y est prête, de se rapprocher des enfants qui ont été emmenés en Russie. La France doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour que cela soit fait.

Ensuite, l’Unicef doit pouvoir observer la situation, rédiger un rapport sur tous les actes constitutifs d’infractions et permettre l’identification de l’ensemble des enfants ukrainiens qui sont en Russie afin que ceux-ci puissent revenir dans leurs familles.

Enfin, il est important que la conférence sur cette question, annoncée par la présidente de la Commission européenne, se tienne à un haut niveau et qu’y participent des représentants de l’ONU, de l’Unicef et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

Il conviendrait aussi, madame la secrétaire d’État, compte tenu de la situation, que vous preniez l’initiative de remettre sur le métier la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur élargissant la compétence du juge français pour connaître des crimes contre l’humanité, des crimes de génocide et des crimes de guerre.

À ce stade, nous devons être vigilants sur ces actions. La France doit être à l’avant-garde de la mobilisation pour défendre la capacité d’agir de l’Unicef. Rien ne doit manquer à notre solidarité avec l’Ukraine et son peuple dans son combat pour la liberté. Longue vie aux enfants d’Ukraine ! Slava Ukraïni ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, RDPI, RDSE, UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui sur l’initiative de notre collègue André Gattolin et du groupe RDPI braque, à raison, le projecteur sur l’un des drames les plus terribles vécus par les enfants d’Ukraine au cours de la guerre déclenchée par la Fédération de Russie contre ce pays.

Les transferts forcés massifs et les déportations d’enfants ukrainiens vers la Russie constituent un crime injustifiable, que la proposition de résolution que nous avons adoptée nous appelle, très justement, à condamner.

Bien que les chiffres en la matière ne soient pas totalement établis, il est en effet avéré que ces transferts forcés, totalement contraires au droit international et aux conventions, sont massifs.

Combien d’enfants ukrainiens sont-ils concernés parmi les centaines de milliers déplacés par la guerre ? Nous ne le savons pas exactement. Selon un système de collecte de données géré par le gouvernement ukrainien, 16 000 enfants auraient été transférés de force vers la Russie avant la fin du mois de février. L’ONG américaine Conflict Observatory recense, de son côté, 6 000 enfants et l’ONG Human Rights Watch évoque plusieurs milliers d’enfants.

Il est donc manifeste que les transports forcés sont massifs et violent gravement le droit humanitaire international. Ils constituent au minimum un crime de guerre, comme l’a d’ailleurs souligné l’ONU dans son rapport publié à la mi-mars.

Les constatations déjà établies montrent comment la Russie inscrit ces transferts forcés dans son projet d’annexion ultranationaliste des territoires occupés en tentant de russifier l’identité et l’avenir de ses enfants, déniant ainsi leurs droits, leur histoire familiale et le droit international.

L’auteur de la proposition de résolution insiste à juste titre sur la nécessité d’identifier, de documenter et de recenser tous les cas de transfert forcé et de déportation d’enfants, afin de se donner les moyens d’enrayer ce sinistre projet et d’en condamner les responsables.

Le crime qui frappe ces enfants n’est malheureusement que l’une des nombreuses facettes des drames que provoque cette guerre dans la vie et pour l’avenir des enfants ukrainiens qui vivent dans les territoires visés par le conflit.

L’Unicef dénonce en permanence les multiples ravages dont sont victimes les enfants à cause des guerres. Près de 250 millions d’enfants dans le monde grandissent en zone de conflit et 125 millions sont directement touchés par les violences de tous ordres, comme en témoigne la situation actuelle en Ukraine.

Les enlèvements de masse visant les enfants font partie des nouvelles tendances inquiétantes relevées par l’Unicef dans les conflits. S’y ajoutent la situation des déplacés et des réfugiés, la perte des parents, la destruction des maisons familiales, les violences sexuelles, les blessures, dues notamment aux bombardements en zones peuplées, la déscolarisation, l’errance en cas de perte de la famille, la malnutrition, les maladies. Voilà ce que vivent les enfants dans les zones de guerre en Ukraine !

Le plus terrible, c’est que ces maux et traumatismes vécus affectent non seulement le présent de ces enfants – tel sera le cas tant que durera cette guerre –, mais aussi toute leur vie future. Les arracher à leur pays et à leur famille est une violence de plus, que le projet politique de Poutine rend plus insupportable encore.

Les transferts forcés d’enfants ukrainiens sont le miroir grossissant, et particulièrement inhumain, de toutes les blessures psychiques qu’impose la guerre aux enfants d’Ukraine ; les enfants en sont victimes lors de toutes les guerres, car ils sont toujours extrêmement vulnérables en raison de leur âge et de leur dépendance aux adultes.

Il y a déjà plusieurs mois, en août 2022, la directrice générale de l’Unicef, Catherine Russell, lançait déjà un cri d’alarme sur cette situation, en déclarant : « La quasi-totalité des enfants en Ukraine vivent des événements traumatisants et ceux qui ont fui courent un risque élevé d’être séparés de leur famille et d’être victimes de violence, de maltraitance, d’exploitation sexuelle et de traite des êtres humains. » Nous savons que la Russie exploite honteusement cette détresse au travers des transferts forcés.

Notre débat d’aujourd’hui nous invite à entendre l’appel formulé par la même Catherine Russell en conclusion de la déclaration précitée : « L’Unicef appelle par conséquent à un cessez-le-feu immédiat en Ukraine et à la protection de tous les enfants. Si les enfants en Ukraine ont un besoin immédiat de sécurité, de stabilité, d’accès sans danger à l’éducation, de services de protection de l’enfance et de soins psychosociaux, c’est de paix dont ils ont besoin par-dessus tout. »

Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a soutenu, pour toutes ces raisons, la proposition de résolution déposée au Sénat, et se réjouit de l’initiative prise par nos collègues du groupe RDPI de proposer un débat sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, RDPI, RDSE et UC. – Mme Pascale Gruny applaudit également.)