Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, jeudi dernier, nous avons achevé l’examen en discussion commune des deux projets de loi sur la justice. Nous avons pu confronter nos points de vue et nos propositions dans un climat apaisé, ce dont je me réjouis.

Je note qu’un consensus s’est dégagé sur l’augmentation des moyens, qui a été saluée sur toutes les travées de cette assemblée. Grâce à cet effort budgétaire, les crédits consacrés à la justice dans notre pays augmenteront jusqu’à près de 11 milliards d’euros en 2027. Nous ne le répéterons jamais assez : c’est une mesure historique.

Nous avons également habilité le Gouvernement à réformer le code de procédure pénale par ordonnance, après qu’il a rassuré la représentation nationale en apportant les garanties nécessaires : ce travail de codification sera d’abord effectué par un comité scientifique, mais suivi étroitement par un comité parlementaire représentatif des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat. En outre, vous vous êtes engagé, monsieur le garde des sceaux, à ce que le nouveau code de procédure pénale n’entre pas en vigueur avant la ratification de l’ordonnance par le Parlement et je vous en remercie.

Par ailleurs, dans neuf à douze juridictions et pendant quatre ans, seront expérimentés les tribunaux des activités économiques, conformément à ce qui figurait – j’en suis très honoré – dans la proposition de loi que François Bonhomme et moi-même avions déposée en novembre 2021. Une contribution pour la justice économique sera mise en place dans ces nouveaux tribunaux afin d’inciter à recourir au règlement à l’amiable des conflits.

Je me félicite également de l’adoption d’amendements déposés par mon groupe, qui tendent à associer toujours plus le Parlement à l’évaluation des expérimentations relatives aux tribunaux des activités économiques et à la contribution pour la justice économique.

Bien évidemment, nous avons avec la majorité sénatoriale quelques points de divergence sur le rôle que joueront les magistrats professionnels, sur le traitement du contentieux des baux commerciaux ou encore sur celui des procédures amiables et collectives des professions réglementées. Certes, la proposition de loi que nous avions présentée en 2021 incluait les professions réglementées du droit, mais les auditions et consultations menées depuis lors ont pu susciter des évolutions sur la question.

Les débats en commission et en séance auront – je l’espère – permis de rassurer certains acteurs du monde agricole, qui avaient fait part de leurs craintes à plusieurs d’entre nous.

Par ailleurs, sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Sueur, dont je tiens à saluer la persévérance et la pugnacité, le Sénat a codifié la récente jurisprudence de la Cour de cassation, qui se reconnaît une compétence universelle en matière de double incrimination pour les crimes contre l’humanité.

Notre groupe, quant à lui, se réjouit d’avoir pu faire adopter quinze amendements sur les cinquante-neuf qui ont connu une issue favorable, notamment celui qui, en droit pénitentiaire, vise à mettre en place une procédure d’alternative aux poursuites disciplinaires.

Concernant le projet de loi organique, nous sommes satisfaits que le Sénat ait approuvé notre proposition visant à préciser les attributions que les magistrats exerçant à titre temporaire dans les fonctions de substitut pourraient se voir confier.

Par ailleurs, nous accueillons favorablement le remplacement du recueil des obligations déontologiques par une charte de déontologie des magistrats.

En dépit de toutes ces belles et nombreuses avancées, certaines dispositions demeurent clivantes, et cela même si les garanties qui les entourent ont été renforcées. Je pense aux perquisitions de nuit, au recours aux moyens de télécommunication pour l’exercice des droits à un interprète et à un examen médical dans le cadre de la garde à vue ou encore à l’activation à distance des appareils connectés. Je le rappelle, ces techniques seront subordonnées à l’autorisation d’un juge et certaines d’entre elles ont d’ores et déjà cours.

Permettez-moi également de regretter le rejet de trois amendements que mon groupe avait déposés et qui avaient pour objet le maintien de la procédure de comparution immédiate lorsque le prévenu n’est pas placé en détention provisoire, le remplacement de la référence aux conditions d’aptitude pour être assesseur de pôle social par une vérification que l’extrait du bulletin n° 2 du casier judiciaire ne comporte pas de mention incompatible avec l’exercice des fonctions et le rétablissement de l’assignation comme seule voie de saisine du juge de l’exécution en cas de contestation de la saisie des rémunérations.

Pour conclure, il me semble que la trajectoire budgétaire favorable, les créations de postes annoncées et l’attitude constructive de nos deux rapporteures – je salue la qualité de leur travail, elles ont permis de sécuriser certaines mesures – sont autant d’éléments qui justifient que nous voterons en faveur des deux textes modifiés.

Enfin, au nom du groupe RDPI, je forme le vœu que la navette parlementaire permette d’avancer sur les points qui continuent malgré tout de nous diviser. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, François-Noël Buffet a parfaitement décrit la situation : la justice est au bord du gouffre et il faut agir. Le constat est partagé sur toutes les travées. C’est également celui qu’a fait le Président de la République, en octobre 2021, lorsqu’il a décidé de lancer les États généraux de la justice, en déclarant qu’il fallait renouer le pacte civique entre la Nation et la justice et garantir l’efficacité du service public.

On prête à Clemenceau la fameuse citation : « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission. ». Dans le monde d’aujourd’hui, on ne crée pas une commission, mais une conférence citoyenne, un grand débat ou bien des États généraux…

De fait, les deux projets de loi qui sont soumis à notre vote – cela a déjà été dit – n’ont qu’un rapport partiel avec les États généraux de la justice. Si vous me permettez de rappeler la formule du procureur Molins – je sais que vous l’appréciez particulièrement, monsieur le garde des sceaux… –, ils n’ont de lien avec les États généraux de la justice que « l’ordre chronologique ».

Commençons par saluer les aspects positifs de ces textes. Les hausses budgétaires sont très importantes, année après année, et l’article 1er du projet de loi d’orientation et de programmation laisse entendre qu’elles se poursuivront. Quelque 10 000 emplois seront créés, certes non ventilés – nous en avons débattu –, mais il était très important d’en prévoir autant.

Parmi les autres points positifs, on peut citer la réduction des délais de jugement, la volonté de transformation numérique, l’instauration d’une équipe autour du magistrat, la revalorisation de certaines professions, notamment celle de gardien pénitentiaire, les investissements immobiliers, la diversification des voies d’accès à la magistrature et l’extension du champ des infractions recevables à l’indemnisation des victimes.

Tout cela est fort positif, mais la réforme systémique à laquelle appelaient les États généraux de la justice n’a pas eu lieu. Il n’y a ni clarification du rôle de la justice, ni renforcement de la première instance, ni révision des décrets dits Magendie – les non-praticiens voudront bien excuser cette précision, mais elle est importante.

En outre, l’absence de certaines mesures nous semble très problématique. Ainsi, on ne trouve rien sur la régulation carcérale, le Gouvernement se contentant de dire qu’il faut construire de nouvelles prisons et qu’il y aura ainsi suffisamment de places pour tous les détenus.

Or – on le sait, car c’est documenté – plus l’on construit de prisons, plus il y a de détention ; et contrairement aux idées reçues, la justice française est de plus en plus sévère et prononce des peines de plus en plus lourdes. Donc, si nous ne mettons pas en place un mécanisme de régulation carcérale, nous ne pourrons jamais mettre un terme à la situation d’indignité évidente dans les prisons françaises. Mais il n’y a rien sur le sujet dans ces textes.

Il n’y a rien non plus sur les violences intrafamiliales. La démarche est pour le moins curieuse : le garde des sceaux a confié à deux parlementaires, dont notre collègue Dominique Vérien, une mission sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Le travail a duré plusieurs mois et a abouti à un grand nombre de propositions, qui auraient bien évidemment trouvé leur place dans le présent projet de loi ordinaire. Or nous n’avons pas pu les introduire, car nous nous serions vu opposer le fameux article 45 de la Constitution. Par conséquent, aucune modalité concernant les violences intrafamiliales ne figure dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, à l’exception de deux lignes dans un rapport annexé.

Laissez-moi m’arrêter un instant sur cette pratique du rapport annexé. J’y vois une nouvelle manière de parler sans s’engager. Il s’agit d’une sorte de littérature qui pourrait s’apparenter à une feuille de route du Gouvernement – prenons-le comme tel –, mais qui n’a aucune valeur normative. Or c’est là que l’on retrouve quelques lignes sur les violences intrafamiliales.

Quant à la procédure, nous avons travaillé – nous pouvons le dire – dans de très mauvaises conditions. Le texte a été adopté le 3 mai en conseil des ministres, puis examiné en commission le 31 mai, alors qu’il s’agit de deux projets de loi, l’un comprenant vingt-sept articles, l’autre douze, assez techniques – c’est peu dire et n’y voyez pas d’injure. Il me semble que ce n’est pas là ce qu’on appelle « travailler dans de bonnes conditions » et j’ai cru comprendre que les circonstances seraient les mêmes à l’Assemblée nationale.

Pour ce qui est de la réécriture du code de procédure pénale par ordonnance, nous y avons beaucoup réfléchi et, comme d’autres groupes dans cet hémicycle, nous y étions peu favorables. Toutefois, l’encadrement qui est finalement prévu dans le texte nous semble très positif, et cela alors même que l’article 3 du projet de loi complexifie curieusement le code de procédure pénale – j’y reviendrai. Nous sommes donc a priori favorables à la réécriture du code de procédure pénale par ordonnance.

Certaines mesures restent peu abouties, dont la réforme de la justice économique avec l’instauration d’un tribunal des activités économiques ou l’accès à la profession d’avocat, sujet sur lequel vous avez dû être saisi à plusieurs reprises, monsieur le garde des sceaux.

Si un certain nombre de points positifs pouvaient nous inciter à voter en faveur de ces textes, des modifications importantes intervenues en séance nous ont conduits à revoir notre position.

Tout d’abord, en ce qui concerne l’instauration de la possibilité d’activation à distance des appareils connectés, qu’il s’agisse d’appareils téléphoniques, d’ordinateurs, de télévisions ou de systèmes comme Alexa ou Siri, nous avions demandé que les journalistes soient exonérés de cette mesure. En effet, la liberté d’informer est une liberté constitutionnelle, mais notre demande a été refusée.

Ensuite, M. Retailleau a demandé l’instauration d’une charte déontologique des magistrats et M. Bonnecarrère a présenté un amendement visant à rappeler la nécessité de leur impartialité. Dans le même temps, une saisine a été adressée par le garde des sceaux au Conseil supérieur de la magistrature, demandant que soient précisées les modalités d’exercice du droit de grève et de la liberté d’expression des magistrats, y compris sur les réseaux sociaux et dans les audiences solennelles. Manifestement, il s’agissait d’envisager un système de suspicion et de limitation des droits d’expression des magistrats, y compris dans le cadre syndical.

Enfin, et je salue l’intervention de notre collègue Jean-Pierre Sueur, nous avons tout de même obtenu – seul sujet de satisfaction – la rédaction a minima de la modification de la règle concernant la nécessité de la double incrimination en cas de crime de guerre, de crime contre l’humanité ou de génocide.

Vous l’aurez compris, monsieur le garde des sceaux, nous avions a priori une vision positive de ces textes, nonobstant leurs manques. Nous attendons beaucoup de la navette parlementaire et nous ne nous interdisons pas de modifier notre vote dans la suite des débats, si nous obtenons des garanties sur les sujets que j’ai évoqués, à savoir la régulation carcérale, la protection du droit d’expression des magistrats et la protection des journalistes dans le cadre des interceptions à distance.

Par conséquent, nous nous abstenons pour l’instant, mais nous pourrions reconsidérer notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous devons prendre position sur deux projets de loi primordiaux pour la justice française. La semaine dernière, en séance, les débats ont été riches et parfois clivants ; ils nous conduisent à porter aujourd’hui un regard nuancé sur ces deux projets de loi.

Commençons par les aspects que nous considérons comme positifs.

En ce qui concerne le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, le groupe CRCE ne peut que soutenir les objectifs affichés du texte, à savoir ceux d’une justice plus rapide, plus claire, en somme d’une justice moderne. Le recrutement prévu de 1 500 magistrats et 1 500 greffiers d’ici à 2027 est une réponse apportée par le Gouvernement aux importantes lacunes d’effectifs.

En ce qui concerne le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, nous soutenons bien évidemment l’ouverture du corps judiciaire sur l’extérieur, la modernisation de l’institution judiciaire, tant dans sa structuration que dans son fonctionnement, et la protection des magistrats dans le cadre de leur exercice professionnel.

Aussi, nous nous réjouissons de l’adoption de quatre de nos amendements au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, qu’ils visent l’allongement du délai pour contester une mise en examen et une mise sous statut de témoin assisté, l’extension de la compétence des pôles cold cases du tribunal judiciaire de Nanterre ou encore une meilleure prise en compte de l’expérience professionnelle acquise dans un État membre de l’Union européenne pour accéder à la profession d’avocat. Nous considérons donc, comme d’autres dans cet hémicycle, que nous avons apporté notre pierre à l’édifice.

Toutefois, des réserves demeurent.

Dans la mesure où le projet de loi prévoit la géolocalisation en temps réel et l’activation de micros et de caméras pour capter le son et l’image dans le cadre des affaires de terrorisme, de délinquance et de crime organisé, nous considérons qu’il accentue une surenchère sécuritaire qui est déjà mal reçue par nos concitoyens – vous le savez, monsieur le garde des sceaux, et nous en avons débattu. Un recours à de tels usages est disproportionné et nous souhaitons que la procédure pénale respecte les droits de la défense.

Nous voulons rappeler que, au stade de l’enquête, le mis en cause demeure présumé innocent et il convient également de souligner que le principe de loyauté de la preuve régit l’enquête et s’impose à tout agent de police. Le groupe CRCE dénonce une disposition qui n’est nullement conforme à un tel impératif et qui envoie un signal particulièrement inquiétant à tous les justiciables.

Une telle intrusion dans la vie privée n’est pas suffisamment entourée de garanties, et cela même si le recours à la géolocalisation est prévu uniquement dans le cadre d’infractions punies d’au moins dix ans d’emprisonnement.

Nous nous inquiétons de ce que nous pourrions qualifier d’« effet cliquet ». Une fois rendues acceptables pour le terrorisme, ces pratiques de surveillance seront-elles étendues progressivement à des infractions de droit commun ? C’est un risque que nous ne voulons pas négliger et nous regrettons que, par ce type de disposition, le Gouvernement cherche à mettre en place une surveillance généralisée.

Bien que nous ayons porté la proposition de loi de Mme Éliane Assassi visant à mettre fin à la surpopulation carcérale par le biais d’amendements, nous n’avons pas été entendus.

Mes chers collègues, ne faisons pas l’autruche, la sonnette d’alarme a été tirée et la surpopulation carcérale atteint un niveau record : plus de 73 000 détenus pour à peine plus de 60 000 places. Nous considérons que la construction de nouvelles places de prison n’est pas une réponse suffisante. Après l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 30 janvier 2020, une énième condamnation de la France pour conditions indignes de détention semble inévitable.

Encore une fois, le statu quo l’emporte sur l’humanité. Or on ne peut pas accepter le discours selon lequel aucune solution ne peut être envisagée ni rendue possible sauf à favoriser le populisme dans notre pays.

Est-il vraiment nécessaire de rappeler que le respect des droits fondamentaux de tous ne doit jamais être une option et que l’emprisonnement demeure un facteur de récidive ?

Il est plus que temps d’enclencher une réflexion sérieuse sur notre système carcéral. Un mécanisme de régulation carcérale, aussi contraignant soit-il, doit s’inscrire dans une réflexion globale sur la nécessité d’engager une politique carcérale réductionniste en France. Comme le souligne la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté dans son dernier rapport d’activité, l’inertie doit cesser. La lutte contre la surpopulation carcérale doit devenir une politique publique dotée de moyens propres et durables.

Enfin, concernant le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, nous considérons que l’amendement adopté à son article 1er est préoccupant pour la liberté syndicale de la magistrature. Le groupe CRCE considère que conditionner la liberté syndicale, corollaire de la liberté d’expression et de la liberté d’opinion, au principe d’impartialité revient ni plus ni moins à la neutraliser.

D’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, vous ne partagez pas cette volonté, puisque vous n’avez pas été favorable à cet amendement.

Nous sommes certains que cette disposition fera l’objet d’une censure pour inconstitutionnalité, si elle est maintenue à l’issue de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.

Les événements survenus au sein du tribunal judiciaire de Mamoudzou ne sauraient suffire à provoquer une réaction législative et encore moins un bâillonnement de nos magistrats. Nous soutenons les magistrats lorsqu’ils font valoir que l’appartenance syndicale ne saurait servir de fondement à la mise en cause de leur impartialité et nous nous opposons à ce qu’une telle atteinte soit inscrite dans la loi.

Le groupe CRCE considère également que l’ajout d’une charte de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire, telle qu’elle a été défendue dans l’hémicycle, n’est pas la bienvenue. Le recueil des obligations déontologiques des magistrats est suffisant. Ne les accablons pas d’obligations superflues et vides de sens.

Pour toutes ces raisons, le groupe CRCE s’abstiendra sur les deux textes. Cette abstention est empreinte de vigilance et nous suivrons avec attention les évolutions introduites à l’Assemblée nationale et l’issue des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, disons-le franchement, ces deux textes ne constituent pas le grand soir de la justice. Si on peut saluer une volonté sincère, y compris en matière budgétaire, de réparer une justice qui en a bien besoin, on peut sans doute regretter que ces textes ne soient pas plus ambitieux au regard des conclusions des États généraux de la justice. Mais chaque pas est une avancée !

En ce qui concerne la magistrature, la massification du recrutement est une impérieuse nécessité. Il est primordial que nous puissions enfin avoir un nombre de magistrats et de greffiers à la hauteur des standards européens. Il y va de la qualité de notre justice, ainsi que des conditions de travail du personnel judiciaire.

En ce sens, la commission des lois a fait le choix de porter à 1 800 le nombre des nouveaux greffiers au lieu des 1 500 initialement prévus. Il s’agit là de respecter le ratio entre les magistrats et les greffiers.

En outre, toujours en matière de recrutement, dans la continuité des travaux de Laurence Harribey et Marie Mercier, nous avons souhaité poursuivre l’augmentation du nombre de postes dans les Spip.

En effet, la prévention de la récidive doit rester au cœur de la politique pénale. La punition ne peut se concevoir sans l’idée qu’un jour le condamné réintégrera le corps social. Réinsérer, c’est protéger la société.

Le projet de loi organique prévoit également d’ouvrir et de diversifier le recrutement des magistrats. C’est une nécessité si l’on veut apporter du sang neuf à l’institution et éviter l’uniformisation des parcours et des profils.

Cette logique doit se poursuivre jusque dans la formation dispensée à l’École nationale de la magistrature (ENM) qui ne doit pas craindre de se confronter au monde réel, notamment aux enjeux des entreprises ou des collectivités territoriales et des élus locaux, comme le préconisait notre collègue Françoise Gatel dans un amendement. Nous n’avons pas adopté cet amendement, mais nous savons que la directrice de l’ENM est sensible à cette ouverture sur le monde non judiciaire. Des progrès ont déjà été faits en ce sens, faisons-lui confiance !

Enfin, la responsabilité des magistrats est un sujet important de ce projet de loi organique. Le texte élargit la capacité de saisine du Conseil supérieur de la magistrature et notre commission a choisi de redéfinir la faute disciplinaire pour plus de clarté. C’était une nécessité tant l’indépendance et l’impartialité sont les deux biens les plus précieux de la magistrature.

À ce sujet, si le groupe Union Centriste a défendu un amendement visant à rappeler le principe d’impartialité dans la loi, il considère bien évidemment qu’il n’est pas question d’empêcher un syndicat de s’exprimer sur des questions d’intérêt public, ni même de confondre la fonction individuelle du magistrat avec son expression collective.

Cependant, nous tenons à inscrire dans le texte une exigence constitutionnelle : les principes d’indépendance et d’impartialité sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles. Par ailleurs, l’exigence d’impartialité est aussi une exigence conventionnelle. L’exercice de la liberté d’expression syndicale n’est limité que pour autant que ces exigences constitutionnelle et conventionnelle d’impartialité seraient mises en cause.

Reprendre dans la loi un principe rappelé par le Conseil constitutionnel est une mesure qui devrait plutôt rassurer. L’impartialité n’est pas un gros mot.

Sur le projet de loi ordinaire, concernant le rapport annexé, je sais que certains – et certaines… – nourrissent une certaine déception de ce que les mesures préconisées dans le rapport Plan rouge VIF n’y aient pas été intégrées, en dehors de celles qui portent sur les pôles spécialisés. Le choix a été difficile, vous vous en doutez, mais nous ne souhaitions pas inclure un rapport dans le rapport…

Cela dit, j’ai bien entendu la volonté du garde des sceaux et de la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances de mettre en œuvre rapidement un grand nombre de nos propositions. Je n’ai pas de raison de douter de cet engagement.

Sur la question des ordonnances prévues à l’article 2 pour clarifier ou simplifier le code de procédure pénale, le groupe Union Centriste se réjouit du compromis trouvé par la commission. Il ne s’agit pas d’un dessaisissement du Parlement, qui conserve la mission de simplifier le code une fois que le Gouvernement aura terminé la clarification à droit constant. Cela nous paraît la meilleure solution pour fournir aux acteurs de la chaîne pénale le code de procédure pénale lisible et efficace qu’ils appellent de leurs vœux depuis longtemps.

Sur l’article 3, je pense que nous sommes arrivés à une position d’équilibre, en particulier grâce à l’amendement de Bruno Retailleau qui vise à limiter la géolocalisation par l’activation d’un appareil électronique à distance aux infractions punies d’au moins dix ans d’emprisonnement.

Monsieur le garde des sceaux, vous m’avez expliqué que dans une telle limite, ce contrôle ne pourrait s’appliquer aux proxénètes. Je vous proposerai volontiers d’alourdir les peines pour proxénétisme, car cinq ans d’emprisonnement, ce n’est pas cher payé pour de l’esclavage !

Mme Monique Lubin. Très bien !

Mme Dominique Vérien. Nous avons également exclu du champ de la captation d’images et de sons, comme le préconisait le Conseil d’État, les personnes travaillant ou habitant dans les lieux protégés, comme les cabinets médicaux, les cabinets d’avocats ou les entreprises de presse. Cet élargissement protège donc les journalistes, pour peu qu’ils appartiennent à une société de presse.

Enfin, l’expérimentation relative aux tribunaux des activités économiques est évidemment une mesure positive, puisqu’elle était réclamée de longue date par le Sénat.

Quant à la contribution économique, j’ai pris bonne note, monsieur le garde des sceaux, de ce que vous aviez entendu nos inquiétudes et que vous nous proposeriez des solutions afin de préserver les petites entreprises et de ne pas rendre cette justice inaccessible.

Bien qu’il reste encore quelques allers-retours à prévoir, le groupe Union Centriste votera ces textes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme l’écrivait Albert Camus dans Les Justes, « on commence par vouloir la justice et on finit par organiser une police ». C’est un peu mon sentiment à la suite de l’examen des deux projets de loi qui sont aujourd’hui soumis à notre vote.

Je suis très inquiète – et je ne suis pas la seule ! – de la tournure que prennent certaines mesures, notamment la possibilité d’activer à distance tout appareil électronique prévue à l’article 3 du projet de loi ordinaire.

Cette disposition, bien qu’elle ait été amendée par le Sénat, pourrait ouvrir la voie à une surveillance intrusive et généralisée remettant en question le droit fondamental au respect de la vie privée. Les garanties envisagées seront-elles suffisantes ?

Privilégier la sécurité au détriment de la liberté individuelle, c’est nous orienter vers une société que personne ne souhaite.

Imaginez-vous un seul instant ces instruments législatifs entre les mains d’un gouvernement extrémiste ? Nous aurons alors signé de nos propres mains l’arrêt de mort de notre État de droit. Il est impératif de veiller à ce que notre système judiciaire ne permette pas de dériver vers un État policier.

Je regrette que le texte ne mette pas davantage l’accent sur l’administration pénitentiaire, la mal-aimée des missions incombant à la justice – certains d’entre nous l’ont déjà dit.

Il est vrai que vous avez augmenté considérablement le budget du ministère, mais, si c’est pour construire toujours plus de prisons, votre démarche est vaine. Vous le savez autant que moi, sinon mieux : la création de nouvelles places de prison ne fera pas baisser le taux de surpopulation carcérale. La logique du « tout carcéral » n’a jamais fait ses preuves. Il est donc temps de mener une réflexion sérieuse autour des peines alternatives et de la réinsertion.

Je pense également aux détenus vulnérables et qui ne reçoivent pas de soins : ils n’ont absolument pas leur place en cellule et devraient plutôt être admis en service psychiatrique.

Monsieur le garde des sceaux, il y a encore tant à faire pour réformer la justice. Je vous le concède : tout ne se fait pas du jour au lendemain. Il n’est pas possible de rattraper trente années d’immobilisme politique en matière judiciaire comme cela.

Je ne suis pas de mauvaise foi, et je ne peux nier les efforts qui sont entrepris pour redresser notre système judiciaire. Il faut poursuivre cette dynamique en matière budgétaire, mais il est encore possible de réformer d’une façon plus complète, plus équitable, plus transparente et plus respectueuse des droits et des libertés. (Applaudissements sur des travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

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