M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Nadège Havet, rapporteure pour avis de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cinq minutes, c’est le temps dont je dispose aujourd’hui pour vous faire part de mon rapport sur la proposition de loi du député Didier Le Gac, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale.

Cinq minutes, c’est bien plus de temps qu’il n’en aura fallu au dirigeant de P&O Ferries pour licencier 786 marins. En effet, après un message vidéo de trois minutes, 786 marins ont dû quitter sur-le-champ leur navire et leur emploi, pendant que leurs remplaçants, moins bien rémunérés et aux conditions de travail dégradées, attendaient sur le quai pour monter à bord.

C’est donc peu dire que le texte dont nous débattons aujourd’hui, qui vise à lutter contre le dumping social sur le transmanche, est attendu dans le secteur du transport maritime par les armateurs, par les syndicats du secteur et par les gens de mer eux-mêmes.

La concurrence déloyale exercée par les compagnies utilisant une main-d’œuvre à bas coût ne laisse en réalité que l’alternative suivante aux opérateurs historiques : disparaître ou adopter le nouveau modèle. Cela implique d’en finir avec le pavillon français, pas assez compétitif, dans le transmanche.

Pour compléter le propos de Mme Procaccia, rapporteur au fond, dont je salue le travail sur un sujet qu’elle ne connaissait pas, j’insisterai sur deux raisons, bien éloignées des préoccupations protectionnistes ou anticoncurrentielles, qui justifient d’empêcher cette situation.

La première est un enjeu de sécurité des navigations. Sur le transmanche, les navires réalisent des manœuvres d’accostage jusqu’à dix fois par jour et traversent la mer perpendiculairement aux principales routes de circulation, dans ce qui est le deuxième détroit le plus fréquenté au monde.

Ce rythme extrêmement intense se traduit chez tous les gens de mer, et pas seulement les officiers, par des journées de travail de seize heures, voire plus, et par une très forte fatigue à mesure que le temps à bord s’allonge. C’est pourquoi, historiquement, sur cette zone, les gens de mer alternent entre une ou deux semaines à bord et une ou deux semaines de repos à terre.

Les compagnies qui ont choisi le modèle low cost emploient des gens de mer qui peuvent rester six semaines à bord, le nombre de dix-sept semaines ayant même été évoqué. Ils passent systématiquement au moins les deux tiers de l’année en mer.

Or la parité entre durée à terre et temps en mer et la limitation du temps à bord sont des éléments clés pour la sécurité des navigations. L’épuisement du personnel multiplie le risque d’incidents à bord. Surtout, en cas d’incident, chacun à bord, de l’agent d’accueil des passagers aux officiers, a un rôle défini à jouer. Comment bien remplir ce rôle alors que l’on a accumulé la fatigue durant des semaines ? Doit-on attendre un drame humain ou une pollution grave pour légiférer et garantir la sécurité des navigations ? La réponse est non !

La seconde raison est un enjeu de souveraineté.

Les navires de la marine marchande sous pavillon français sont fréquemment mobilisés lors des opérations militaires françaises à l’étranger. Lors de l’intervention de la France au Koweït, deux navires de Brittany Ferries, le Coutances et le Quiberon, ont convoyé des troupes et du matériel français sur place. Chaque année, des navires de Brittany Ferries sont mobilisés lors des exercices de contre-terrorisme maritime Armor.

Il est donc essentiel pour notre souveraineté d’éviter la disparition d’un pan entier de notre marine marchande, alors que la guerre est de retour sur le sol européen et que les tensions géopolitiques croissent partout sur la planète, notamment dans l’Indopacifique.

Ce texte répond avec efficacité à une situation d’urgence. C’est pourquoi, dans mon rapport pour avis, j’ai proposé une adoption conforme du texte issu de l’Assemblée nationale. Cette solution me semblait opportune, car, la procédure accélérée n’ayant pas été déclarée, la durée de la navette parlementaire pourrait ne pas laisser assez de temps au Gouvernement pour prendre avant le mois de janvier 2024 les décrets auxquels l’application de la loi est suspendue.

Telle n’est pas l’option retenue par la commission des affaires sociales. Cependant, je me félicite que mes collègues n’aient pas apporté de modifications substantielles au texte sur le volet concernant le transmanche.

J’espère, donc, monsieur le secrétaire d’État, que la navette pourra se poursuivre le plus rapidement possible. Je me réjouis à cet égard que l’examen du texte figure dans le décret portant convocation du Parlement en session extraordinaire. Le dispositif devra en effet être mis en œuvre au début de l’année 2024, en même temps que celui qu’ont déjà adopté nos voisins britanniques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Françoise Gatel et Colette Mélot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 8 décembre 2022 au petit matin, le capitaine Michael Michieli embarque à bord de son bateau de pêche, accompagné de deux matelots, au port de l’île de Jersey. En parallèle, le ferry Commodore Goodwill est en route de Guernesey à Jersey. Le bâtiment, long de 126 mètres, bat pavillon des Bahamas, mais effectue des liaisons régulières entre les îles anglo-normandes, le Royaume-Uni et la France.

Ce 8 décembre, le ferry, dont l’équipage compte 24 personnes, transporte des camions et cinq passagers. Le vent vient du nord, il fait 4 degrés Celsius. Soudain, vers cinq heures trente, le capitaine actionne la corne de brume, cinq fois. Il annonce ensuite par haut-parleur : « Ceci n’est pas un exercice ». Quelques instants après, le ferry heurte le bateau de pêche, qui coule instantanément.

Aucune trace des membres de l’équipage du chalutier n’est visible. Pendant des heures, des hélicoptères et des avions de la sécurité civile et de la marine nationale cherchent le capitaine et ses deux matelots, en vain. Ce n’est que la semaine suivante que l’on retrouve les corps des deux matelots au fond de la mer. Le corps du capitaine, lui, n’est retrouvé que le 26 avril.

Nous attendons toujours les conclusions définitives de l’enquête, mais il est évident que ce naufrage n’est pas un incident isolé. Le risque de collision en mer est bien réel, surtout dans la Manche, deuxième route maritime au monde. En effet, 25 % du trafic maritime mondial traverse ce détroit. À cela s’ajoutent les bateaux de pêche : pour le seul côté, français, on en compte 302.

Le risque est encore plus grand quand les membres d’équipage, sous-payés, sont épuisés.

Employeurs et armateurs s’ingénient à réduire toujours plus les coûts de la main-d’œuvre : des marins et marines, des agents d’escale, des matelots, des chefs de quart, et j’en passe.

En mars 2022, cela a été rappelé, P&O Ferries a licencié 786 employés en quatre minutes en leur ordonnant dans un message vidéo de quitter le navire dans la demi-heure. Sur le quai attendaient leurs remplaçants, des intérimaires venus du monde entier, recrutés par l’intermédiaire d’une société prestataire de main-d’œuvre, payés deux fois moins que le salaire minimum sur les deux rives, française et britannique, et travaillant à des rythmes intenses et dangereux.

Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. En effet, les syndicats estiment que Brittany Ferries a supprimé 250 postes en CDI, pour les laisser vacants ou pour les remplacer par des intérimaires, toujours au nom de la recherche du profit.

Ce dumping social, dont les conséquences sont néfastes et dangereuses, est évidemment inacceptable.

D’une part, les conditions de travail se dégradent massivement. Leurs salaires ne leur suffisant plus, et parce qu’ils ne bénéficient d’aucune protection juridique, les employés travaillent des mois pour un salaire de misère afin d’échapper à une misère plus grande encore.

D’autre part, le remplacement des employés expérimentés par des intérimaires et des prestataires corvéables à merci est dangereux. Quand vous ne connaissez pas le navire sur lequel vous travaillez pendant seulement quelques semaines, le risque d’un incident est beaucoup plus grand.

Il est donc grand temps de mettre fin à cette dangereuse course vers le moins-disant social.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires se félicite que cette proposition de loi introduise un salaire minimum sur les ferries et un minimum de temps de repos pour les gens de mer, soit une journée de repos par journée en mer.

Madame le rapporteure, je tiens à vous remercier de votre travail, et plus particulièrement de votre amendement adopté en commission visant à préciser que le décret d’application sur la durée de repos doit garantir la sécurité et permettre de lutter contre la pollution maritime.

Cependant, le dumping social touche tous les aspects de l’organisation du travail, et pas seulement la rémunération et le temps de repos. Ce n’est pas pour rien que le code du travail français va bien au-delà de ces deux aspects. C’est pourquoi cette proposition de loi doit, selon nous, être complétée par l’instauration d’autres minima sociaux. C’est seulement en garantissant un ensemble complet de droits sociaux aux travailleurs et travailleuses que nous pourrons réellement mettre fin au dumping social.

Par ailleurs, à en juger par l’intervention M. le secrétaire d’État, nous allons avoir cet après-midi de riches discussions sur le champ d’application des différentes dispositions de cette proposition de loi, du fait notamment des rédactions retenues par l’Assemblée nationale, mais aussi sur l’intitulé du texte, qui ne correspond pas au fond, ce qui a pu entraîner des confusions.

Pour les écologistes, la lutte contre le dumping social doit évidemment être la plus large possible et s’appliquer au maximum de situations, même si d’éventuels effets de bord doivent aussi être contrôlés.

Nous attendons donc un certain nombre de clarifications de la part du Gouvernement, notamment sur les décrets d’application et sur le champ d’application de chacun des articles, lesquels ont provoqué des migraines chez nombre d’entre nous.

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, nous regrettons que la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise ne soit pas assortie d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État, contrairement au texte de nos collègues britanniques. Cela aurait rendu la proposition de loi plus lisible et nous aurait permis de mieux apprécier ses dispositions.

Cela étant, quel que soit son point d’atterrissage, ce texte constituera une avancée sociale. Aussi, nous le soutiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, déposée par le député Didier Le Gac, vise à lutter contre le dumping social pratiqué par certains armateurs étrangers en refusant les pratiques concurrentielles déloyales dans les eaux françaises.

Ce texte fait écho au licenciement brutal, en mars 2022, de 786 marins de la compagnie britannique P&O Ferries, sans préavis, par visioconférence, et à leur remplacement par des marins non européens, de diverses nationalités, majoritairement des Philippins. Les navires de la compagnie, initialement sous pavillon britannique, étaient passés sous pavillon chypriote. L’objectif de la compagnie était bien de réduire ses coûts en augmentant le temps de travail, en diminuant les temps de repos et en abaissant le salaire horaire des marins.

Les compagnies françaises font face à une concurrence déloyale très brutale, notamment sur les liaisons maritimes entre la France et l’Angleterre.

Le transport transmanche s’effectue dans un couloir de navigation parmi les plus empruntés au monde, dans lequel on dénombre plus de 700 passages de navires par jour. Les deux compagnies Irish Ferries et P&O Ferries concentrent aujourd’hui 30 % du marché transmanche.

Le Brexit est venu accroître le risque de généralisation du dumping social en sortant les relations maritimes entre les ports français et le Royaume-Uni du cadre réglementaire européen, notamment des règles de protection des travailleurs mobiles internationaux.

Ainsi, la proposition de loi que nous examinons tend à restaurer la justice sociale en renforçant la protection des marins, mise à mal par la concurrence de compagnies se livrant à des pratiques commerciales déloyales.

Pour ce faire, il est proposé d’imposer l’application du salaire minimum français aux équipages de toutes les compagnies maritimes, quel que soit leur pavillon, assurant des liaisons régulières internationales de passagers touchant un port français.

Il est également proposé de mettre en place une durée de repos à terre au moins équivalente à la durée d’embarquement des marins, afin d’assurer la sécurité de la navigation et de lutter contre les pollutions marines.

Enfin, la fourniture, par les marins résidant à l’étranger, d’un certificat d’aptitude médicale à la navigation répondant aux exigences minimales fixées à l’échelon international est également prévue.

À l’Assemblée nationale, les députés ont souhaité profiter de ce véhicule législatif pour lutter contre le dumping social sur toutes les façades maritimes et dans toutes les activités en reprenant le dispositif de l’État d’accueil, qui impose les mêmes règles en matière de droit du travail et de salaire aux navires transportant des voyageurs entre deux ports français et aux navires qui travaillent dans les eaux françaises.

Ils ont ainsi ajouté deux articles dans le texte.

L’article 1er bis visait à renforcer les sanctions pénales en cas de non-respect des conditions sociales minimales françaises sur les navires étrangers assurant la liaison entre la Corse et le continent, sur les navires de travaux, de service et d’exploitation des éoliennes en mer et sur les yachts battant pavillon autre que français.

L’article 1er ter prévoyait des sanctions administratives pour permettre à l’administration de sanctionner plus facilement le manquement des employeurs et des armateurs à ces obligations sociales.

Nous regrettons que ces deux articles visant à sécuriser le dispositif de l’État d’accueil aient été supprimés par la commission des affaires sociales du Sénat. C’est la raison pour laquelle nous proposerons de les rétablir afin de permettre l’extension du champ d’application du texte au-delà du transmanche. Nous souhaitons ainsi renforcer nos moyens de lutte contre les compagnies qui viennent fausser le jeu de la concurrence en ne respectant pas les conditions salariales minimales des marins.

Nous attendons de connaître le sort qui sera réservé à l’amendement du Gouvernement visant à modifier les dispositions initiales du texte, mais notre groupe votera bien sûr cette proposition de loi. Nous espérons par ailleurs que la navette parlementaire aboutira le plus rapidement possible afin de répondre aux attentes très fortes du secteur. Il s’agit de faire en sorte que la loi puisse entrer en vigueur si possible dès le mois de janvier 2024, car il y a urgence ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui au Sénat pour examiner la proposition de loi visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche et à renforcer la sécurité du transport maritime, l’intitulé du texte ayant été complété à la suite de l’adoption de l’amendement de notre rapporteur, dont je salue la qualité du travail.

Cette proposition de loi est la réponse aux agissements scandaleux de la compagnie P&O Ferries, dont les navires battent pavillon chypriote : le 17 mars 2022, elle a licencié 786 marins britanniques sans préavis ni la moindre consultation des organisations syndicales. Dans la foulée, cette compagnie a embauché des salariés venant de pays où la main-d’œuvre est à bas coût et où le droit du travail et le salaire minimum britannique ne sont pas respectés.

Face à cette situation intolérable, les acteurs français de la liaison transmanche et les élus ont lancé un appel, le 5 novembre 2022, à Saint-Malo, pour demander collectivement d’agir contre le dumping social. Cette initiative a été relayée par l’ensemble des parlementaires bretons, qui vous ont alerté dans un courrier commun, monsieur le secrétaire d’État.

Le trafic maritime transmanche représente la zone de navigation la plus dense d’Europe : un camion fait la traversée par bateau toutes les cinq secondes ; un navire y entre et en sort toutes les trois minutes ; 91 000 personnes la traversent quotidiennement.

La bonne nouvelle, c’est que le besoin de légiférer est partagé des deux côtés de la Manche. En effet, un projet de loi de même nature doit être adopté du côté britannique. J’insiste par ailleurs sur le fait que les scandaleux licenciements de marins le 17 mars 2022 ont été rendus possibles par le Brexit.

Cette proposition de loi vise donc à protéger tous les marins et à imposer le versement du salaire minimum français aux équipages de toutes les compagnies maritimes, peu importe leur pavillon, dès lors qu’elles assurent des liaisons régulières internationales de passagers touchant un port français. Les lignes concernées seront définies par décret.

La proposition de loi impose également une durée de repos à terre au moins équivalente à la durée d’embarquement des marins afin d’assurer la sécurité de la navigation et de lutter contre les pollutions marines. La durée maximale d’embarquement sera également déterminée par décret.

Je serai donc très attentif, monsieur le secrétaire d’État, à la rédaction de ces décrets, qui doivent répondre aux attentes des différents acteurs.

Je suis par ailleurs très conscient du caractère contraint de cette proposition de loi. Nous devons veiller à ce qu’elle ne soit pas considérée comme contraire à la Constitution ou au droit de l’Union européenne.

Il faut sécuriser le dispositif en veillant, en particulier, à la stricte proportionnalité des sanctions prévues en cas de manquement à ces obligations. De plus, il ne faut pas brouiller notre message commun de lutte contre le dumping social sur le transmanche en introduisant des mesures sans rapport avec l’objet du texte.

Il est urgent de tordre le cou à la concurrence déloyale que nous connaissons aujourd’hui et que l’on peut assimiler à une forme d’esclavage dans le milieu marin.

Notre groupe est également favorable à l’alignement des sanctions pénales prévues en cas de non-conformité des certificats d’aptitude médicale étrangers, ainsi qu’à l’adoption de l’amendement de notre rapporteur, qui vise à étendre cette disposition aux gens de mer autres que les marins.

Si nous sommes favorables à ce texte, nous serons toutefois vigilants sur un certain nombre de points, tout d’abord, je l’ai déjà dit, à la rédaction des décrets, instruits que nous sommes sur la propension du Gouvernement à passer en force sans dialogue ni écoute.

Nous serons ensuite attentifs à l’évolution de la législation du côté britannique. Un texte a certes été voté par le Parlement britannique le 28 mars dernier, mais il n’entrera pleinement en vigueur qu’après l’adoption de dispositions réglementaires au début de l’année 2024.

Cette proposition de loi est un appel à la responsabilité et à la mobilisation partout en Europe pour lutter contre le dumping social dans le domaine maritime. Que compte faire le gouvernement français, monsieur le secrétaire d’État, pour promouvoir cette législation ?

Tout en restant très vigilants sur ces différents points, nous voterons bien sûr ce texte visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche et à renforcer la sécurité du transport maritime. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai mon intervention en ayant une pensée pour les soixante-dix-huit morts et les centaines de disparus lors du naufrage d’un navire la semaine dernière au large du Péloponnèse, ainsi que pour les migrants qui meurent chaque mois dans la Manche.

Ces drames doivent nous conduire à renforcer les sanctions internationales contre les passeurs, qui profitent de la détresse au mépris des vies humaines.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise vise à lutter contre le dumping social sur le transmanche. L’objectif est de fixer des normes minimales de travail pour les marins des navires en activité dans le transmanche afin de lutter contre la concurrence des compagnies maritimes qui tirent les droits sociaux vers le bas. Cette concurrence affecte nos compagnies qui opèrent sur les lignes au départ de Bretagne, de Normandie, des Hauts-de-France, ainsi que l’activité du port sec de Calais-Eurotunnel.

Le transport maritime fait l’objet depuis de nombreuses années d’un dumping social massif, y compris sous l’égide de l’Union européenne, dont le principe de concurrence libre et non faussée a brisé beaucoup de normes et même remis en cause la continuité territoriale et les liaisons intérieures.

Les compagnies les moins regardantes socialement ont vu dans le Brexit l’occasion de développer des stratégies commerciales agressives, afin de s’imposer sur le marché du cabotage entre le continent et les côtes britanniques. Elles ont cassé les prix et appliqué les droits sociaux les plus réduits possible en ayant recours au pavillon chypriote.

Le point de départ de cette proposition de loi est le licenciement de 786 marins le 17 mars 2022 par la société P&O Ferries, au cours d’une visioconférence de trois minutes, et leur remplacement par des personnels issus de pays extraeuropéens à faible coût de main-d’œuvre.

À 6 dollars de l’heure, le groupe propose un salaire inférieur de moitié au minimum français ou britannique, alors que les rythmes de travail sont particulièrement intenses.

La rotation des équipages est un puissant élément de réduction des coûts de la main-d’œuvre. Chez P&O Ferries, les contrats de travail temporaires prévoient jusqu’à 17 semaines consécutives passées à bord des navires et 82 heures de travail hebdomadaire pour les personnels d’exécution. En outre, ils n’intègrent pas les repos compensateurs et les congés payés.

Cette situation n’est pas complètement nouvelle, puisqu’en 2014, déjà, mon collègue Éric Bocquet avait rédigé un rapport d’information, Le droit en soute : le dumping social dans les transports européens, dans lequel il mettait en garde contre les conséquences du dumping social dans le transport maritime et recommandait d’appliquer le critère de rattachement au droit du pays du port dans lequel les gens de mer exercent régulièrement leur activité.

Le 31 janvier 2023, nos collègues députés communistes Sébastien Jumel et Jean-Paul Lecoq ont déposé une proposition de loi visant à lutter contre le dumping social dans le cabotage maritime transmanche, qui allait plus loin que le texte proposé par le groupe Renaissance.

Ce dernier constitue néanmoins un progrès pour les marins en fixant l’obligation de verser un salaire minimum équivalent au Smic français et en prévoyant une organisation du travail fondée sur l’équivalence entre la durée d’embarquement et le temps de repos à terre.

Cette proposition de loi va dans le bon sens, mais elle reste au milieu du gué. En effet, elle ne prend pas en compte les rythmes de travail, élément essentiel à la sécurité en mer.

Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera néanmoins ce texte. Nous pensons en effet qu’il y a véritablement urgence. Cette proposition de loi ne réglera pas l’ensemble des problèmes et il nous reste beaucoup à faire pour lutter efficacement contre le dumping social, mais il s’agit d’un premier pas. Monsieur le secrétaire d’État, faites en sorte qu’un véritable travail soit engagé pour aller encore plus loin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Mélanie Vogel et M. Joël Bigot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Manche est l’une des mers les plus fréquentées au monde. Quatre ans après le Brexit, elle est au cœur de la relation franco-britannique. Le trafic de passagers et de fret représente en effet une activité importante pour les ports de nos deux pays.

Jusqu’à récemment, le transport transmanche était caractérisé par la bonne qualité des relations entre les principaux concurrents du marché, des compagnies françaises et anglo-saxonnes pour l’essentiel. Cet équilibre garantissait des conditions de travail décentes pour les marins et une sécurité accrue pour les passagers, dans un contexte de trafic dense, où la formation des travailleurs de la mer se doit d’être optimale pour éviter les accidents.

Les choses ont commencé à changer au printemps 2021, lorsque le transporteur irlandais Irish Ferries s’est mis à lancer des traversées France-Angleterre low cost sous pavillon chypriote, en payant ses marins au rabais pour des semaines de travail à rallonge. La compagnie anglaise P&O Ferries lui a emboîté le pas, jusqu’à licencier brutalement, en mars 2022, près de 800 marins britanniques. Grâce au pavillon chypriote, P&O Ferries a ensuite remplacé ces marins par des salariés colombiens et des intérimaires bien moins rémunérés.

Ces pratiques, qui peuvent à juste titre être qualifiées de dumping social, sont une forme de concurrence déloyale nuisant à la compétitivité des transporteurs français sur le marché transmanche. Elles menacent les conditions de travail et les droits sociaux des marins de nos deux pays et, en soumettant les gens de mer les moins qualifiés à des cadences de travail déraisonnables, comme cela a été rappelé, elles multiplient les risques d’accident et de catastrophe écologique.

Or ces abus sont rendus possibles par l’insuffisance du droit en vigueur, qui soumet les navires non pas au droit du travail des pays dans les eaux desquels ils naviguent, mais plutôt à celui, moins protecteur, du pays dont ils battent pavillon.

La présente proposition de loi est donc bienvenue, d’autant qu’elle fait écho à un texte similaire déjà adopté par le Parlement britannique et promulgué le 28 mars dernier. Il était en effet nécessaire que nos pays coordonnent leurs efforts pour proposer un cadre commun qui limite les risques d’insécurité juridique pour les marins et les entreprises de transport transmanche.

L’objet du présent texte est ainsi d’appliquer les garanties essentielles des droits du travail français et britannique, au premier chef le salaire minimum, aux équipages de toutes les compagnies maritimes, quel que soit leur pavillon, effectuant des liaisons régulières de passagers touchant un port français. Je remercie les rapporteures, Catherine Procaccia et Nadège Havet, d’avoir éclairci les dispositions de cette proposition de loi et d’en avoir enrichi le contenu en commission.

Grâce au travail du Sénat, la sécurité de la navigation et la lutte contre les pollutions marines seront mieux prises en compte pour déterminer la durée maximale d’embarquement des marins, et donc leur durée minimale de repos à terre. Non seulement les marins, mais aussi tous les gens de mer, qu’ils soient mécaniciens, cuisiniers, hôtes ou hôtesses de bord, devront disposer d’un certificat d’aptitude médical valide garantissant la plus grande sécurité des passagers.

Avec les membres du groupe Union Centriste, je soutiens l’adoption de la présente proposition de loi, qui permettra de rétablir un juste équilibre entre concurrence et protection des droits des travailleurs sur le trafic transmanche. Il n’est pas tolérable que des entreprises dictent aux États le droit du travail s’appliquant dans leurs propres eaux territoriales.

Restera ensuite au Gouvernement le soin de préciser le cadre d’application de la loi, et notamment les lignes de trafic concernées par ses dispositions. En l’état, le texte prévoit que ces lignes seront déterminées « selon des critères d’exploitation, notamment la fréquence de touchée d’un port français par un navire, fixés par décret en Conseil d’État ». Il pourrait être judicieux, monsieur le secrétaire d’État, que la fréquence de touchée soit alignée sur celle qui est prévue par la loi britannique adoptée en mars, à savoir un minimum de cent vingt touchées par an.

Pour respecter la volonté du législateur, il conviendra également de faire en sorte que ce texte s’applique en priorité au transmanche, et avec discernement aux autres mers ou océans. Je pense en particulier à l’article 1er ter, que le Gouvernement semble vouloir rétablir.

Enfin, un travail de coordination avec le Gouvernement britannique s’imposera pour préciser lequel, du salaire minimum français ou britannique, s’imposera aux transporteurs. Bien que les différences entre les deux salaires soient faibles, évitons de plonger les compagnies dans l’incertitude et limitons les pratiques d’optimisation sociale susceptibles d’en découler.

Au bénéfice de ces observations, mon groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.Mme Colette Mélot applaudit également.)