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Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945
Examen des conclusions de la commission mixte paritaire

Biens culturels spoliés entre 1933 et 1945

Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 (texte de la commission n° 856, rapport n° 855).

La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945
Article 1er

Mme Béatrice Gosselin, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est une nouvelle fois avec une grande émotion que j’interviens à la tribune alors que nous nous apprêtons, j’en forme le vœu, à adopter définitivement le projet de loi relatif à la restitution des biens culturels spoliés.

Les débats intervenus jusqu’ici dans chacune des deux chambres du Parlement ont démontré combien ce texte était attendu.

Même si nous sommes conscients que les crimes de la Shoah sont irréparables, nous savons qu’il est de notre devoir de faire œuvre de justice et d’humanité en proposant des solutions justes et équitables, conformément aux principes de Washington.

Les spoliations de biens culturels ont porté atteinte aux Juifs d’Europe dans leur dignité, leur culture, leur histoire et leur identité. Elles ne peuvent être dissociées de la politique d’extermination conduite pendant cette période ; c’est pourquoi la restitution des biens qui appartiennent aux collections publiques m’apparaît comme impérieuse : elle fait partie intégrante du travail de mémoire et de justice vis-à-vis de la Shoah.

L’adoption à l’unanimité du projet de loi en première lecture, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, a permis de mettre en évidence le consensus politique qui se dégage autour de ce texte.

Lors de l’examen du premier texte de restitution de biens spoliés, voilà un an et demi, nos deux chambres s’étaient d’ailleurs exprimées en faveur de l’adoption d’un cadre général permettant de simplifier et d’accélérer la restitution des biens spoliés appartenant aux collections publiques.

Le texte n’a que peu évolué par rapport à la rédaction que nous avions adoptée en première lecture. L’Assemblée nationale n’a remis en cause ni l’architecture de la procédure de restitution qui figurait dans le projet de loi initial, à laquelle nous avions souscrit, ni les apports du Sénat destinés à en renforcer la transparence et à en faciliter l’application.

Ses modifications ont visé à approfondir le travail que nous avions amorcé et à sécuriser encore davantage la procédure de restitution. Ainsi, plusieurs d’entre elles ont permis d’apporter une réponse à des préoccupations que nous avions exprimées en séance.

Le texte prévoit désormais la possibilité de solliciter le concours de l’État pour octroyer une compensation financière aux victimes ou à leurs ayants droit en échange du maintien du bien, avec leur accord, dans la collection publique.

Si l’Assemblée nationale a souhaité que le rapport destiné à informer le Parlement des restitutions opérées ne soit finalement transmis que selon un rythme bisannuel, elle en a, en contrepartie, étendu le champ à un certain nombre de données qualitatives sur la recherche de provenance susceptibles de nous satisfaire.

La commission de la culture est convaincue que l’intensification du travail de recherche de provenance est la clef de voûte des restitutions à venir.

En demandant au Gouvernement de nous fournir des éléments sur son action pour contribuer à son développement, nous l’incitons à aller de l’avant. Pour autant, cela ne nous empêchera pas de nous montrer extrêmement vigilants sur ces points lors de l’examen, chaque année, du projet de loi de finances.

Comme nous, en première lecture, l’Assemblée nationale s’est montrée sensible à la nécessité de mieux reconnaître la responsabilité propre du régime de Vichy dans les persécutions antisémites.

La formule à laquelle elle est parvenue pour caractériser les autorités responsables apparaît comme un bon compromis. En évoquant « l’État français entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944 », soit, entre la date du vote des pleins pouvoirs à Philippe Pétain et la date de publication du dernier Journal officiel de l’État français, le législateur reconnaît clairement la responsabilité de l’État pendant cette période – c’est-à-dire celle des autorités politiques comme de l’administration. Il se garde ainsi de revenir en arrière par rapport à la reconnaissance de la responsabilité de l’État français opérée par le Président de la République Jacques Chirac en 1995.

Dans ces conditions, la commission mixte paritaire s’est contentée de strictes modifications rédactionnelles.

J’espère de tout cœur que ce texte recueillera votre approbation unanime. Je crois devoir insister sur le fait que ce n’est pas remettre en cause le caractère inaliénable des collections que d’en demander la levée pour les biens spoliés ; cela répond, au contraire, à une nécessité, tant par devoir vis-à-vis des victimes, que par besoin de légitimité de nos collections elles-mêmes.

L’objectivité, la transparence et la collégialité de la procédure mise en place sont de solides garanties. Il nous appartiendra désormais de veiller à ce que ce texte historique et hautement symbolique trouve sa traduction concrète, pour qu’il soit l’instrument de justice auquel nous aspirons. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mon cher Laurent Lafon, madame la rapporteure, ma chère Béatrice Gosselin, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, voilà un mois et demi, je défendais devant vous mon premier projet de loi, relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.

Un peu plus tôt aujourd’hui, l’Assemblée nationale a adopté le texte issu des travaux conclusifs de la commission mixte paritaire du 6 juillet dernier.

Je viens maintenant devant vous pour l’étape ultime de ce parcours démocratique exemplaire, construit à partir du Sénat, dans un esprit de responsabilité dont je souhaite vous remercier très sincèrement.

Ce 13 juillet s’inscrira désormais dans le calendrier comme une date symbole, à quelques jours de la journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux Justes de France, telle qu’instaurée par la loi du 10 juillet 2000 afin de marquer l’anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942.

Ce projet de loi, vous l’avez fait vôtre en proposant des amendements sous la coordination engagée de la rapporteure Béatrice Gosselin.

Vous l’avez fait vôtre en vous inscrivant dans un travail mené de longue date par le Sénat. Je tiens à saluer de nouveau l’engagement de l’ancienne sénatrice Corinne Bouchoux, qui a formulé dès 2013, dans son rapport d’information Œuvres culturelles spoliées ou au passé flou et musées publics : bilan et perspectives, des propositions très constructives.

Vous l’avez fait vôtre en défendant, au nom des Français que vous représentez, une haute idée de la justice et un rapport responsable à notre histoire.

Une fois adopté, ce texte sera la première loi depuis la Libération reconnaissant la spoliation spécifique subie par les Juifs en France et partout, du fait de l’Allemagne nazie et des diverses autorités qui lui ont été liées.

Nous avons eu de nombreux débats sémantiques, ici, comme à l’Assemblée nationale. Ceux-ci étaient importants, car chaque mot compte. Notre rapport à l’histoire nécessite une grande précision.

Je tiens à saluer le travail que vous avez mené en lien avec les députés avec rigueur, solennité et un grand sens éthique pour aboutir aux formulations les plus justes. La qualité et la profondeur de nos débats donnent une force politique toute particulière à ce texte.

Il s’agit d’un projet de loi de justice, de mémoire, mais aussi, et surtout, d’action. En permettant de déroger au principe d’inaliénabilité, il ouvre, pour les musées et les bibliothèques de France, une nouvelle ère de recherches et de restitutions.

Après son adoption, le travail qui a été engagé depuis la création, au ministère de la culture, de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS), va se poursuivre et s’amplifier. Je sais pouvoir compter sur vous pour relayer l’importance des recherches de provenance, pour encourager les professionnels des musées de vos circonscriptions à conduire ces travaux et les collectivités à utiliser l’outil que leur offrira aujourd’hui la loi pour restituer les œuvres spoliées aux Juifs entre 1933 et 1945.

Vous m’avez plusieurs fois interpellée sur l’enjeu des moyens.

La M2RS, que nous avons créée en 2019 au ministère de la culture, est composée de six agents extrêmement engagés ; ils sont tous en tribune aujourd’hui, je tiens à les saluer et à les remercier.

Elle dispose d’un budget de 220 000 euros pour financer des missions de recherche assurées par des chercheurs indépendants, auquel j’ai ajouté 100 000 euros en 2023 pour amorcer une aide aux musées territoriaux qui veulent mener des recherches sur leurs collections. Nous irons encore plus loin en 2024.

N’oublions pas, par ailleurs, le rôle direct des musées et des institutions culturelles. Au musée du Louvre, trois postes à temps plein sont consacrés à la recherche de provenance ; le musée d’Orsay vient d’en créer un ; le musée de la musique en a créé un récemment. Il en va de même de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) – je salue la présence d’Ines Rotermund-Reynard en tribune – et de musées territoriaux, à l’instar du musée Faure d’Aix-les-Bains ou du musée des Beaux-Arts de Rouen. Nous serons au rendez-vous de la montée en puissance des recherches de provenance.

Nous répondrons également aux besoins en matière de formation, j’y tiens énormément.

Nous avons mis en place une formation obligatoire sur les spoliations entre 1933 et 1945 pour tous les élèves conservateurs du patrimoine et conservateurs des bibliothèques ; nous avons lancé, cette année, une sensibilisation-formation pour les élèves commissaires-priseurs ; j’ai mentionné plusieurs fois le nouveau diplôme universitaire (DU) de recherche de provenance des œuvres d’art à l’Université Paris Nanterre, et nous allons créer à partir de septembre un nouveau master 2 de recherche de provenance de l’École du Louvre. Il s’agit d’avancées majeures qui datent d’un ou deux ans seulement : un pas de géant après tant d’années d’attente.

Au moment du soixante-quinzième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, lorsque le Président de la République s’est rendu au Mémorial de la Shoah, il a déclaré : « […] le “plus jamais” que nous dicte la Shoah est un impératif catégorique. Le souvenir de l’horreur ne doit pas s’estomper, la Shoah ne doit pas cicatriser. Elle doit rester une plaie vive au flanc de l’humanité, au flanc de notre République. Notre vigilance doit sans cesse être éclairée par notre mémoire. »

Ce projet de loi répond bien à cette nécessité. C’est un texte d’action pour que ce devoir de mémoire et de vigilance se traduise par des actes de justice, qui continuent d’éclairer notre histoire autant que notre avenir. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte, en ne retenant que les amendements présentés, ou acceptés, par le Gouvernement.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945

Examen des conclusions de la commission mixte paritaire
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945
Article 2

Article 1er

Le chapitre V du titre Ier du livre Ier du code du patrimoine est ainsi modifié :

1° L’intitulé est ainsi rédigé : « Sortie des collections publiques d’un bien culturel » ;

2° Est insérée une section 1 intitulée : « Déclassement » et comprenant l’article L. 115-1 ;

3° Est ajoutée une section 2 ainsi rédigée :

« Section 2

« Biens culturels ayant fait lobjet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945

« Art. L. 115-2. – Une personne publique prononce, dans les conditions prévues à l’article L. 115-3 et aux fins de restitution à son propriétaire ou à ses ayants droit, par dérogation au principe d’inaliénabilité prévu à l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, la sortie de ses collections d’un bien culturel relevant de l’article L. 2112-1 du même code ayant fait l’objet d’une spoliation entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945, dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées par l’Allemagne nazie, par les autorités des territoires que celle-ci a occupés, contrôlés ou influencés et par l’État français entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944.

« Par dérogation à l’article L. 451-7 du présent code, le présent article est également applicable aux biens ayant fait l’objet d’une spoliation et ayant été incorporés par dons et legs aux collections des musées de France appartenant aux personnes publiques.

« Le certificat mentionné à l’article L. 111-2 est délivré de plein droit pour les biens culturels restitués en application du présent article.

« D’un commun accord, la personne publique et le propriétaire ou ses ayants droit peuvent convenir de modalités de réparation de la spoliation autres que la restitution du bien. Le cas échéant, la personne publique peut solliciter le concours de l’État.

« Art. L. 115-3. – Pour l’application de l’article L. 115-2, la personne publique se prononce après avis d’une commission administrative, placée auprès du Premier ministre, compétente en matière de réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens intervenues du fait des persécutions antisémites. Cet avis porte sur l’existence d’une spoliation et ses circonstances. Il est rendu public.

« Art. L. 115-4. – Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application de la présente section. Il précise en particulier les règles relatives à la compétence, à la composition, à l’organisation et au fonctionnement de la commission administrative mentionnée à l’article L. 115-3 ainsi que les modalités de réparation de la spoliation autres que la restitution du bien mentionnées au dernier alinéa de l’article L. 115-2. »

Article 1er
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Article 4

Article 2

La sous-section 3 de la section 2 du chapitre Ier du titre V du livre IV du code du patrimoine est complétée par un article L. 451-10-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 451-10-1. – Par dérogation à l’article L. 451-10, les biens des collections des musées de France appartenant aux personnes morales de droit privé à but non lucratif, acquis par dons et legs ou avec le concours de l’État ou d’une collectivité territoriale et ayant fait l’objet d’une spoliation entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées par l’Allemagne nazie, par les autorités des territoires que celle-ci a occupés, contrôlés ou influencés et par l’État français entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944 peuvent être restitués à leur propriétaire ou à ses ayants droit, après avis de la commission mentionnée à l’article L. 115-3 et approbation de l’autorité administrative. Le Haut Conseil des musées de France en est préalablement informé.

« D’un commun accord, la personne morale de droit privé à but non lucratif et le propriétaire ou ses ayants droit peuvent convenir de modalités de réparation de la spoliation autres que la restitution du bien.

« Le décret en Conseil d’État mentionné à l’article L. 115-4 détermine les modalités d’application du présent article. »

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Article 2
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 4

Le Gouvernement remet tous les deux ans au Parlement un rapport dressant l’inventaire des biens culturels des collections publiques, des biens culturels des collections des musées de France appartenant aux personnes morales de droit privé à but non lucratif et des biens figurant à l’inventaire « musées nationaux récupération » ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 et restitués à leurs ayants droit ou ayant fait l’objet d’autres modalités de réparation au cours des deux années écoulées.

Ce rapport rend compte de l’action mise en œuvre par le Gouvernement pour contribuer au développement de la recherche de provenance, notamment en matière de formations supérieures, de recherche universitaire et de moyens humains et financiers affectés à cette recherche au sein des établissements culturels.

Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

Article 4
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.

La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous sommes félicités en mai dernier de l’adoption à l’unanimité du projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.

Nous pouvons aujourd’hui nous réjouir, puisque la commission mixte paritaire est parvenue à une rédaction commune de l’ensemble des dispositions – principalement de nature rédactionnelle – restant en discussion.

Nous saluons cette main tendue vers les familles victimes de spoliations au cours de la Seconde Guerre mondiale.

Il s’agit d’un projet de loi de dignité essentiel, pour répondre du mieux que nous pouvons aux injustices du passé, d’un texte pour apaiser, pour réparer, pour tenter de faire pardonner.

La France fait face à ses responsabilités. À ce titre, je salue la nouvelle rédaction issue de la commission mixte paritaire, qui délimite dans le temps l’implication de l’État français.

Nous rappelions, lors de l’examen du texte, que la question de la provenance des œuvres d’art exposées dans les collections publiques engageait une profonde réflexion sur notre rapport à l’histoire.

Dans ce débat essentiel, ce projet de loi apporte de nouveaux éléments ; il démontre encore une fois l’engagement de la France en matière de politique mémorielle. À ce titre, l’adoption de ce texte à l’unanimité à l’Assemblée nationale comme au Sénat nous honore.

Notre pays est précurseur en matière de réflexion autour de l’enjeu de la restitution de biens culturels. Pourtant, le chemin pour parvenir à ce texte a été long et semé d’embûches.

Nous pouvons nous féliciter de son adoption, même si celle-ci ouvre la porte à de nouveaux défis, tels que la redéfinition des expositions muséales. Comment continuer à faire exister des œuvres après leur départ des collections ? Comment expliquer ces démarches au public et associer les visiteurs à ces réflexions ? Comment reproduire ces œuvres sans les dénaturer ?

Nous avons d’ores et déjà eu l’occasion d’échanger à ce propos et d’évoquer, par exemple, les nouvelles possibilités permises par l’art numérique. Ces réflexions s’annoncent passionnantes dans les années à venir.

Cette loi-cadre permettra de simplifier le départ des collections publiques des œuvres spoliées, en dérogeant au principe d’inaliénabilité. Rappelons que 72 000 domiciles de familles juives ont été entièrement pillés, dont 38 000 à Paris.

Des appartements entièrement vidés de leurs œuvres d’art, sans oublier les livres, les instruments de musique et l’ensemble du patrimoine hérité de générations passées : une forme de violence supplémentaire que nous nous devions de réparer.

En séance publique, notre groupe avait rendu hommage à la mémoire de la résistante Rose Valland, une femme héroïque dont la bravoure a permis de restituer de nombreuses œuvres dès la fin de la guerre.

Je souhaite également, à titre personnel, saluer le travail de longue haleine de Corinne Bouchoux, historienne spécialisée sur le sujet des spoliations des biens juifs, ancienne sénatrice du Maine-et-Loire, mon département, et collègue au sein de la majorité municipale angevine. Ses recherches ont inspiré nos travaux et nous pouvons l’en remercier – elle nous écoute sans doute aujourd’hui.

Notre groupe Les Indépendants – République et Territoires salue l’adoption de ce projet de loi si important. En mai dernier, son examen a été l’occasion d’échanges d’une grande humanité et de témoignages d’une profonde émotion dans cet hémicycle. Nous les garderons en mémoire. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’adoption, à l’unanimité dans chaque chambre, de ce projet de loi-cadre relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 marque l’attachement de la représentation nationale, et donc du Sénat, à la question des restitutions.

Le rapport d’information réalisé voilà dix ans par notre ancienne collègue Corinne Bouchoux, atteste de l’attention portée de longue date par le Sénat à cette question. Notre chambre a depuis constamment travaillé à améliorer les conditions de restitution des biens culturels.

Cette loi-cadre était attendue, près de quatre-vingts ans après la Seconde Guerre mondiale et près de trente ans après le discours du Vel d’Hiv, dans lequel le président Chirac a reconnu la complicité de la France dans la déportation des Juifs de France.

Les vérités énoncées ce jour-là par le Président de la République se retrouvent dans les formulations auxquelles nous avons abouti dans ce texte.

Les spoliations des Juifs de France participaient de l’horreur du génocide. À la volonté d’effacer les individus, le pillage des biens culturels ajoutait la volonté d’effacer leur héritage et leur histoire.

Au moins 100 000 œuvres ou objets d’art ont été spoliés aux seuls Juifs de France. Si beaucoup ont été restitués juste après la guerre, d’autres n’ont encore pas retrouvé leur propriétaire légitime.

Certains de ces biens culturels se retrouvent aujourd’hui dans nos collections nationales. Le régime d’inaliénabilité, qui impose de passer par des lois, au cas par cas, pour autoriser le déclassement d’œuvres du domaine public, s’avère extrêmement contraignant pour ce type d’opération pourtant consensuelle.

Réparation impossible, restitution nécessaire : tel est, en résumé, l’état d’esprit avec lequel nous avons abordé ce texte et le sens des amendements dont nous avons voulu l’enrichir.

Dans certains cas, nos échanges ont permis de constater que des progrès avaient été accomplis depuis les travaux de Corinne Bouchoux. Les difficultés d’accès aux archives ont disparu mécaniquement, à l’issue de la période protégeant les documents classifiés.

L’introduction, par l’Assemblée nationale, de la mission de soutien de l’État aux collections publiques facilitera la tâche des collectivités territoriales conduisant ces restitutions.

Nous regrettons que d’autres mesures ne figurent pas dans le texte.

Nous avions proposé de renforcer les obligations des collections privées, qui sont simplement encouragées à entreprendre ce travail de restitution. Les collections qui ont reçu l’appellation « musée de France » et qui bénéficient à ce titre de subventions publiques ou de dispositions fiscales avantageuses auraient pu être soumises aux mêmes exigences que les collections publiques.

Nous voterons bien évidemment ce texte, adopté à l’unanimité en commission mixte paritaire. Cette opération « musées propres » ne saurait toutefois clôturer notre travail de mémoire ni nous dispenser d’affronter des questions plus douloureuses, et pour longtemps encore. En tout état de cause, ce texte contribue à ce travail de longue haleine. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme d’un important débat qui a abouti à un consensus.

Après la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, à laquelle notre collègue Catherine Morin-Desailly a beaucoup contribué, et avant une loi attendue sur la restitution des biens culturels, nous examinons aujourd’hui un projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.

Je me réjouis que ce texte ait suscité, dans les deux chambres, une forme d’union sacrée.

Je tiens à féliciter la rapporteure pour son investissement, mais aussi le Gouvernement pour son engagement, sa détermination et sa réactivité sans faille sur le sujet. Il est en effet très important que ce texte soit le premier que vous ayez défendu dans cette chambre, madame la ministre.

Si nous avons débattu de plusieurs points, mes chers collègues, j’estime que ce texte permet une simplification bienvenue, puisque nous n’aurons plus à voter de lois particulières à chaque restitution d’œuvre.

Le Parlement ne se dessaisit pas du sujet pour autant. Un amendement adopté par le Sénat tend en effet à rendre obligatoire la publication des avis de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation (CIVS), ce qui nous permettra de suivre les dossiers.

Dans le cadre des projets de loi de finances, nous débattrons, en outre, des moyens alloués à cette commission, au regard notamment des recherches qu’elle effectue.

Il s’agit, non pas de réparer l’irréparable, mais de faire preuve de justice et d’humanité face à l’horreur absolue, indicible, qu’a été la Shoah.

Nous avons débattu de la dénomination du régime de Vichy.

Dans deux séries d’émissions remarquables, l’une sur Léon Blum, l’autre sur Philippe Pétain, réalisées pour France Inter, de nombreux historiens interrogés par Philippe Collin emploient l’expression « régime de Vichy ».