M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je le confirme !

M. Francis Szpiner, rapporteur. Le chercheur qui semble le plus actif sur le sujet nous indiquait que la tâche est immense, car il n’a en conséquence d’autre choix que d’éplucher chaque procès-verbal.

En tout état de cause, nous pouvons voter un texte de consensus, qui réaffirme que la République a fauté, mais sans aller au-delà, mes chers collègues. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le sénateur Bourgi, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui dans le cadre de la niche socialiste pour débattre d’un sujet de grande importance et sans aucun doute trop longtemps oublié.

Je veux le dire d’emblée, monsieur le sénateur Bourgi : votre proposition de loi a indubitablement beaucoup de sens, et je vous remercie chaleureusement de l’avoir déposée.

En vous écoutant tout à l’heure, je songeais que même si tout n’est pas parfait, l’on peine à imaginer aujourd’hui à quel point les homosexuels ont été maltraités, malmenés et méprisés dans le passé.

Au fond, nous sommes réunis aujourd’hui pour affirmer que la République n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle sait reconnaître ses erreurs et, dans le cas présent, ses fautes.

Votre texte, monsieur le sénateur Bourgi, a pour objet la reconnaissance, par la République française, de la politique de discrimination mise en œuvre pendant près de quarante ans à l’encontre des personnes homosexuelles et des personnes condamnées en raison de leur orientation sexuelle réelle ou présumée.

Si cette politique passée de discriminations fait aujourd’hui honte à notre République, je tiens à rappeler qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Alors que les relations homosexuelles étaient incriminées sous l’Ancien Régime, elles ont été décriminalisées en 1791 au lendemain de la Révolution, de sorte que, pendant plus d’un siècle et demi, aucune incrimination de l’homosexualité n’était en vigueur en France.

Fort de cette législation, notre pays était l’un des plus progressistes, mais tout cela a été balayé avec l’instauration du régime de Vichy qui eut raison de cet acquis. La loi du 6 août 1942 modifiant l’article 334 du code pénal punit en effet d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans quiconque commet un ou plusieurs actes impudiques ou contre-nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans.

Comme vous le rappelez, monsieur le sénateur Bourgi, ces évolutions législatives ont bouleversé et parfois détruit la vie des homosexuels de l’époque, en donnant une base légale à ce qui fut une véritable répression, non pas de ce qu’elles faisaient, mais de ce qu’elles étaient. Cela, nous ne l’acceptons plus, et aujourd’hui non seulement nous le reconnaissons, mais, grâce à votre proposition de loi, nous le dénonçons, monsieur le sénateur.

Au fond, vous substituez à une loi de haine une loi d’unité, de reconnaissance et de mémoire. J’y suis favorable.

Il m’est impossible de ne pas rappeler qu’il fallut attendre Robert Badinter, sa majorité socialiste d’alors et la loi du 4 août 1982 pour que cette disposition soit – enfin ! – abrogée, mettant un terme à quarante années de pénalisation de l’homosexualité.

Lorsque l’on parle de Badinter, tout le monde pense à l’abolition de la peine de mort, qui constitue déjà une œuvre presque complète pour un garde des sceaux.

Après ma prise de fonctions, l’un de mes très anciens prédécesseurs m’avait confessé la difficulté qui fut la sienne de prendre la fonction de garde des sceaux après l’illustre Badinter. « Que voulez-vous, Éric, on n’abolit la peine de mort qu’une seule fois ! », m’avait-il soufflé, mi-résigné mi-philosophe. (Sourires.)

Heureusement pour lui, il avait oublié cette autre œuvre majeure que fut la dépénalisation de l’homosexualité !

Quarante ans plus tard, il est plus que temps de reconnaître sur le plan mémoriel que les condamnations prononcées l’ont été sur le fondement de lois erronées.

Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, chaque condamnation ou mise en cause portant sur une infraction liée à l’homosexualité a eu des conséquences sociales lourdes, souvent dévastatrices, pour qui en a fait l’objet, jusqu’au bannissement de la sphère familiale ou professionnelle.

Si mon ministère ne dispose pas d’informations sur le nombre de ces condamnations – s’agissant d’infractions aujourd’hui abrogées, je me réjouis de ne pas en disposer –, divers travaux de recherche menés sur le sujet conduisent à estimer que plus de 10 000 personnes ont été condamnées entre 1945 et 1982, plus de 90 % d’entre elles ayant effectué une peine de prison ferme.

Ces chiffres nous interpellent et nous obligent à œuvrer ensemble à reconnaître clairement et sans aucune ambiguïté la mise en œuvre de cette législation déshonorante.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui présentée vise cet objectif et doit, à ce titre, retenir toute notre attention et toute notre bienveillance.

J’en viens aux différentes dispositions du texte.

L’article 1er prévoit la reconnaissance par la République française de sa responsabilité dans la politique de discrimination mise en œuvre à l’encontre des homosexuels ou présumés tels et condamnés sur le fondement d’infractions aujourd’hui abrogées.

J’y suis favorable sur le principe et je sais que le rapporteur Szpiner y apportera par voie d’amendement certaines précisions intéressantes. Cette rédaction de compromis présentera surtout l’avantage de permettre, sous toute réserve, l’adoption par le Sénat d’un texte important pour l’apaisement de notre société. Dans le contexte actuel, j’estime qu’il serait vraiment dommage de s’en priver.

L’article 2 crée un nouvel article dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Celui-ci prévoit la répression de toute contestation, négation, minoration ou banalisation de la déportation, pendant la Seconde Guerre mondiale et depuis la France, de personnes en raison de leur homosexualité.

Il ne fait aucun doute – j’y insiste – que des personnes homosexuelles ont bien été déportées pendant la Seconde Guerre mondiale et qu’il s’agit de crimes atroces.

Toutefois, j’émets une réserve quant à la constitutionnalité de cette nouvelle infraction. En effet, le Conseil constitutionnel a déjà jugé que le législateur ne pouvait créer d’incrimination réprimant pénalement la contestation d’une vérité historique lorsqu’elle est établie par la loi, en raison de l’atteinte portée à la liberté d’expression. Une reconnaissance judiciaire préalable est nécessaire, ce qui n’est, en l’état, pas le cas.

L’article 3 crée, au bénéfice des personnes condamnées en application des infractions visées à l’article 1er, une allocation forfaitaire d’un montant de 10 000 euros ainsi qu’une allocation variable en fonction du nombre de jours de privation de liberté, dont le montant a été fixé à 150 euros par jour. Est également prévu le remboursement de l’amende dont les personnes reconnues coupables se sont acquittées en application de leur condamnation.

Il s’agit là d’une mesure d’indemnisation qui nécessite d’apporter la preuve d’une condamnation ancienne. Or, celle-ci est difficile à produire tant pour ce qui est du principe de la condamnation, c’est-à-dire du jugement même, que pour sa mise à exécution, à savoir l’application de la peine. La mise en œuvre de cette mesure apparaît donc extrêmement complexe.

Enfin, l’article 4 institue, auprès de la Première ministre, une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité, chargée de statuer sur les demandes d’indemnisation présentées.

Cette disposition semble relever plutôt du domaine réglementaire et poser, là encore, des difficultés probatoires du fait de l’ancienneté des faits pouvant donner lieu à indemnisation.

Vous l’aurez compris, au regard des réserves que j’ai exprimées sur les articles 2, 3 et 4, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse du Sénat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement approuve le principe de cette proposition de loi, qui permet de reconnaître la mise en œuvre, pendant quarante ans, d’une politique de discrimination et de répression pénale qui n’aurait jamais dû exister.

S’il est toujours complexe de regarder les lois d’hier avec les lunettes d’aujourd’hui, il y va, ici, des principes fondamentaux, non négociables, de notre République, ceux de la liberté, de l’égalité et, bien évidemment, de la fraternité.

C’est pourquoi il est impératif de reconnaître non seulement les errements du passé, mais aussi leurs terribles conséquences pour plusieurs générations de nos compatriotes.

Reconnaître une erreur n’est pas une marque de faiblesse, loin de là. C’est affirmer que nos principes fondamentaux valent plus que notre orgueil, car l’orgueil d’être Français repose aussi sur le fait d’assumer toute l’histoire de notre pays. Et, lorsque l’on a fait fausse route, il convient de le dire, pour montrer aux générations futures que notre République et les principes universels qui la sous-tendent triomphent toujours. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en abrogeant le deuxième alinéa de l’article 331 du code pénal, la loi du 4 août 1982 a participé à la dépénalisation de l’homosexualité. On a fêté l’an dernier les 40 ans de ce texte ; c’est dans ce contexte de commémoration que notre collègue Hussein Bourgi a pris l’initiative, heureuse, de déposer cette proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982.

Si l’on doit beaucoup à la loi du 4 août 1982, il ne faut pas oublier que la France fut, dès 1791, le premier pays au monde à décriminaliser les relations homosexuelles. En effet, sous l’Ancien Régime, l’homosexualité constituait un crime puni de mort et de nombreux homosexuels ont été brûlés vifs à Paris.

Aujourd’hui, nul ne saurait contester la triste réalité de la discrimination sur le fondement de l’orientation sexuelle qui s’est exercée de 1942 à 1982, conformément à la loi pénale instaurée sous le régime de Vichy. Nous ne pouvons que regretter que, au cours de ces quatre décennies, le code pénal français ait contenu des dispositions visant certains actes homosexuels, dispositions qui conduisirent à des condamnations par les juridictions françaises.

Maintenir une telle discrimination au sein de notre société était indigne de la France. C’est pourquoi l’objectif de la proposition de loi que nous examinons cet après-midi apparaît bien légitime.

Au vu du temps qui m’est imparti, je ne m’étendrai pas sur le détail des cinq articles du texte ; je veux simplement dire que, du fait de son ambition, cette proposition de loi présente un intérêt symbolique majeur ; M. le garde des sceaux l’a déjà souligné. Il est fondamental que la France, après d’autres pays, reconnaisse officiellement la répression judiciaire dont ont été victimes les personnes homosexuelles.

Toutefois, il faut bien constater, avec notre rapporteur, que ce texte se heurte à plusieurs obstacles.

Tout d’abord, la réparation financière entraînerait un contournement de la prescription.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ça n’a rien à voir !

M. Alain Marc. Ensuite, la création d’un délit de contestation, négation, minoration, ou banalisation outrancière de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France durant la Seconde Guerre mondiale apparaît superflue – le terme est sans doute mal choisi –, dans la mesure où cette infraction est déjà couverte par le droit en vigueur.

Enfin, la période retenue dans la proposition de loi, de 1942 à 1982, ne me semble pas pertinente dans la mesure où la République n’a pas à assumer les crimes du régime de Vichy.

M. Alain Marc. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, une réparation symbolique me paraît indiscutable : elle permettra d’affirmer la faute de la République et de reconnaître sa responsabilité. C’est aussi l’honneur de celle-ci que de savoir reconnaître ses erreurs, comme vient de le dire M. le garde des sceaux.

Très sensibles à l’objectif des auteurs de ce texte, mais estimant indispensable de pallier plusieurs difficultés juridiques, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires détermineront leur vote en fonction des modifications qui seront apportées à la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous aurez tous reconnu l’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

À lui seul, cet article porte tous les idéaux universalistes de la Révolution française. Imprégnée de l’héritage des Lumières, la période révolutionnaire fit de la France un refuge pour tous les combattants de la liberté. C’est par cette aspiration à éclairer les peuples du monde que nos aïeux ont posé les bases juridiques de l’État moderne et progressiste, et qu’ils ont acté des avancées sociales inédites, comme le divorce par consentement mutuel en 1793, la première abolition de l’esclavage en 1794 et, bien sûr, la première dépénalisation de l’homosexualité en 1791, ou plus précisément – les mots ont leur importance – la suppression du crime de sodomie, qui était jusqu’alors puni par le feu.

Premier pays au monde à légiférer en ce sens, la France réintroduisit pourtant dans sa législation la répression pénale de l’homosexualité par la loi du 6 août 1942. L’abject gouvernement de Pétain, promoteur de la « Révolution nationale » et ouvertement homophobe, pénalisa les relations entre personnes de même sexe dès lors que l’une d’entre elles avait entre 13 et 21 ans.

À la Libération, le rétablissement de l’ordre républicain ne modifia qu’à la marge cette disposition pénale discriminatoire qui resta malheureusement en vigueur jusqu’en 1982.

S’y ajoutait une seconde infraction, visée à l’article 330 du code pénal, qui réprimait plus sévèrement tout outrage public à la pudeur s’il consistait en « un acte contre nature avec un individu de même sexe ». Là aussi, le choix des mots en dit long sur une époque que nous espérons tous révolue.

Durant quatre décennies, nous avons eu affaire à une discrimination pénalement acceptée. Il est important de rappeler que, dès 1978, notre Haute Assemblée avait adopté une mesure visant à abroger le délit d’homosexualité ; hélas, cette mesure avait fait l’objet d’un désaccord avec l’Assemblée nationale – c’était un autre temps. Il fallut attendre la loi du 4 août 1982 pour que l’homosexualité fût officiellement dépénalisée en France.

Rappelons d’ailleurs que, à l’échelle du monde, l’homosexualité demeure illégale dans 69 États sur 197. Et lorsqu’on analyse les positions politiques du nouveau président argentin Javier Milei sur les enjeux de société, on se dit que rien n’est définitivement acquis.

À l’occasion du quarantième anniversaire de la loi du 4 août 1982, Hussein Bourgi et ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont fait inscrire à l’ordre du jour de notre assemblée l’examen de cette proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982.

Je veux depuis cette tribune saluer, amicalement et fraternellement, notre collègue Hussein Bourgi. Par ses engagements récurrents sur ce sujet, il honore notre Haute Assemblée.

Si la commission des lois n’a pas adopté cette proposition de loi, il me semble que c’est pour mieux la réécrire. Nous examinerons dans quelques instants les amendements qu’elle nous soumet. À ce propos, je remercie le rapporteur Francis Szpiner pour la qualité de son analyse et de son raisonnement juridique, qui nous a tous marqués.

Permettez-moi de revenir sur les trois principaux articles du texte.

L’article 1er vise à reconnaître la responsabilité de la République française dans l’application de dispositions pénalisant l’homosexualité. Bien qu’il convienne de recentrer l’article sur la période allant de 1945 à 1982 et de simplifier la description du motif de responsabilité, le groupe Union Centriste soutient avec force cette mesure.

Pour reprendre les mots du rapporteur, « le législateur s’est fourvoyé » en opérant une discrimination sur le fondement de l’orientation sexuelle. Il s’agit d’un fait indiscutable ; je ne doute pas que nous serons unanimes, dans cet hémicycle, à le reconnaître. En aucun cas, notre République ne peut réprimer un individu pour ce qu’il est. En démocratie, tout citoyen répond de ses actes et non de son identité, de sa religion ou de son orientation sexuelle. Ainsi, durant quatre décennies, la France a laissé subsister ce que le garde des sceaux Robert Badinter qualifiait de « pesanteur d’une époque odieuse de notre histoire ».

L’article 2 crée pour sa part un délit de contestation, minoration ou banalisation outrancière de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale.

Si l’intention est louable, l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 couvre déjà la déportation des homosexuels. Aussi, comme le souligne le rapporteur, l’autonomisation de ce délit viendrait perturber les contentieux en cours. Je rappelle qu’en l’état actuel du droit un individu qui exprime publiquement toute contestation de l’existence de crimes contre l’humanité ou toute négation, minoration ou banalisation de ces derniers encourt une peine maximale d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende. La déportation des homosexuels relève clairement de ce dispositif.

Enfin, l’article 3 fixe les modalités de la réparation financière à laquelle seraient éligibles les personnes condamnées pour homosexualité. Le rapporteur a dit l’essentiel sur cet article et je n’irai pas plus avant dans l’analyse.

Dorénavant, nous devons collectivement tirer les enseignements du passé pour les transmettre aux générations futures. La loi permet à la République de se confronter à ses responsabilités passées, mais c’est bien l’éducation et la transmission qui évitent à une nation d’oublier son histoire. Cette mission nous incombe au quotidien.

À titre personnel, je me souviens d’avoir reçu l’association SOS homophobie comme invité d’honneur lors du congrès des maires des Hautes-Alpes en 2022.

J’en profite pour saluer les multiples actions menées par les associations pour lutter contre l’homophobie et contre toutes les formes d’exclusion. Soutenons-les !

Apaiser la mémoire de ceux qui sont morts est indispensable. Comme vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi, dans sa version réécrite en un article unique qui, je l’espère, fera consensus.

Il est important que le Sénat affirme que l’homophobie est inacceptable dans ce pays et que la République ne s’est pas bien comportée envers certains de nos concitoyens en les discriminant en raison de leur orientation sexuelle. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier Hussein Bourgi et l’ensemble de nos collègues du groupe socialiste, qui nous donnent l’occasion, dans un moment où la France recule si souvent sur ses grands principes, de la faire grandir.

Il y a dans l’histoire des nations, comme dans les vies des femmes et des hommes que nous sommes, des horreurs que le passé ne peut jamais contenir. Elles débordent sur notre présent, elles assombrissent notre avenir, non seulement parce que leur souvenir blesse nos mémoires, mais aussi et, peut-être, surtout parce qu’il détruit une certaine image de nous-mêmes, de la société et du pays que nous voudrions être – parce que, entre ce que nous disons être, le grand pays des droits humains et des Lumières, et ce que nous avons fait, il y a parfois un gouffre dans lequel nous avons très peur de sombrer.

Or, reconnaître et réparer ces fautes, même et surtout les pires, est l’unique promesse crédible que nous pouvons faire aux victimes, ainsi qu’à nous-mêmes, pour rappeler que nous ne voulons plus jamais les revivre.

C’est le lot des grandes nations, de celles qui veulent progresser et devenir meilleures, que de cesser de nier les horreurs qu’elles ont produites : elles acceptent de porter la pleine responsabilité de leurs fautes afin d’alléger, un tant soit peu, la souffrance de celles et ceux qui en ont payé le prix, en refusant d’y ajouter le poids du déni et du mépris, en reconnaissant que jamais cela n’aurait dû arriver.

C’est pourquoi la France a déjà adopté un certain nombre de lois mémorielles. Mais la France a eu la mémoire sélective, car certaines personnes n’ont jamais, jusqu’à présent, pu bénéficier d’une reconnaissance officielle des violences, des discriminations et des condamnations qu’elles ont subies. Il est donc plus que temps d’agir.

La loi de 1942, que la France a choisi de faire sienne à la Libération, qu’elle a ainsi reprise à son compte, reconnaissant de fait une continuité juridique en la matière avec le régime de Vichy, a établi des crimes sans victimes. Les homosexuels étaient coupables d’être. Ils ont été persécutés, emprisonnés, fichés, intimidés, menacés, blessés ou tués parce qu’ils existaient.

Les lesbiennes, quant à elles, n’étaient généralement pas considérées comme coupables d’exister, car l’on considérait tout simplement qu’elles n’existaient pas !

D’ailleurs, dans toute l’histoire des violences contre la communauté LGBT, les lesbiennes ont été moins condamnées pénalement que les autres, non parce qu’on les respectait davantage, mais parce qu’on les respectait trop peu pour reconnaître leur existence.

Le minimum, pour une société dont la devise est « Liberté, égalité, fraternité », est de reconnaître sa responsabilité dans les persécutions subies par les personnes LGBT entre 1942 et 1982. Le minimum est aussi de réparer la faute reconnue, car reconnaître sans réparer, c’est ne reconnaître qu’à moitié.

À ce propos, même si nous sommes tous d’accord, depuis le début de cette discussion générale, pour dénoncer l’horrible régime discriminatoire qui fut en vigueur entre 1942 et 1982, il n’en reste pas moins qu’il a fallu attendre 2010 pour que le « transsexualisme » – c’était le terme employé – soit retiré de la liste des affections psychiatriques ; 2013, pour que le régime du mariage en France cesse d’être homophobe ; 2018, pour que les personnes décédées du sida, ou simplement porteuses du VIH, puissent de nouveau bénéficier de soins funéraires ; 2021, enfin, pour que les règles d’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) cessent d’être lesbophobes – nous attendons toujours qu’elles cessent d’être transphobes.

Jusqu’en 2016, l’État français forçait les personnes trans à subir une stérilisation afin d’être reconnues pour qui elles étaient. Aujourd’hui encore, une personne trans, même adulte, en pleine possession de ses moyens, ne peut pas décider légalement de qui elle est : il faut qu’un juge accepte sa requête. En revanche, les personnes cisgenres voient leur identité de genre reconnue depuis toujours, sans d’ailleurs avoir jamais rien eu à faire pour cela.

La France a été condamnée à trois reprises par les Nations unies pour les traitements – les mutilations – qu’elle fait subir aux personnes intersexes, souvent dès la naissance.

Peut-être, dans quarante ans, adoptera-t-on une loi pour demander pardon aux personnes trans stérilisées de force, à celles qui n’ont pas pu tenir et se sont suicidées, ainsi qu’aux personnes intersexes qui ont été mutilées.

Mais il y a une chose que nous pouvons faire dès aujourd’hui pour avoir moins à regretter demain : l’égalité, réelle et totale, pour toutes les personnes LGBT ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.

M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme disait un vieux penseur barbu, « celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre. »

Or cette proposition de loi nous permet justement de revenir sur certaines pages de notre histoire et de les regarder en face.

En effet, de quoi parlons-nous ? Hussein Bourgi l’a dit tout à l’heure, nous parlons de milliers d’hommes qui, en France, ont été réprimés en raison de leur orientation sexuelle : nous parlons de quarante ans de répression pénale de l’homosexualité.

Il y eut, bien sûr, en 1942, cette loi promulguée par le régime de Vichy pour poursuivre les hommes coupables d’avoir des relations sexuelles avec des hommes.

Il y eut aussi, en 1960 – Hussein Bourgi l’a rappelé –, l’adoption de cet amendement du député Paul Mirguet, qui entendait classer l’homosexualité comme un fléau social et punir d’emprisonnement de simples signes d’affection entre adultes consentants du même sexe.

Aux milliers de personnes condamnées sur le fondement de ces dispositions, il faut ajouter les innombrables victimes de la répression et des innombrables raids sur les lieux de rencontre.

Il fallut donc attendre la loi Forni de 1982 pour mettre un terme à la répression pénale de l’homosexualité en France. Je veux aussi citer Jack Ralite, ministre de la santé, qui retira cette même année l’homosexualité de la liste des maladies mentales.

Toute une génération a donc vécu avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Elle a vécu dans la peur, sous la menace. Toutes ces vies ont été brisées. Certains ont subi l’opprobre social, d’autres le licenciement, d’autres encore, quand ce n’était pas les mêmes, la rupture familiale. L’homosexualité, à cette époque, se vivait dans la honte.

Face à cela, deux questions se posent.

Premièrement, comment se fait-il que cette discrimination inscrite dans notre droit ait pu perdurer aussi longtemps ? Si elle a pu durer quarante ans, jusqu’en 1982, époque qui n’est pas si lointaine, c’est parce que l’inscription de l’homophobie dans la loi avait ses soutiens et qu’il se trouvait des responsables politiques, des ministres et des parlementaires, pour la défendre. Il serait un peu simple de prétendre que c’était la faute de la société : des responsables politiques militaient pour cette homophobie d’État !

Et ce n’est pas faire injure à notre Haute Assemblée que de rappeler que, en 1982, le Sénat a voté contre la dépénalisation de l’homosexualité. Je me suis replongé dans les arguments du rapporteur Étienne Dailly qui, pour justifier son vote et celui de la majorité sénatoriale, exposait que l’homosexualité était un dérèglement physiologique et que les homosexuels étaient des enfants égarés.

Deuxièmement, pourquoi l’homophobie a-t-elle persisté et survécu à la dépénalisation de l’homosexualité ? Pourquoi des hommes et des femmes continuent-ils d’être victimes d’homophobie ? N’est-ce pas parce que, aujourd’hui encore, dans toute la société, y compris à son plus haut niveau, certains tiennent tous les jours des propos homophobes ?

Je veux, en conclusion de mon propos, rappeler une phrase prononcée à l’Assemblée nationale, lors de l’examen du texte sur le pacte civil de solidarité (Pacs), par la députée communiste de Seine-Saint-Denis Muguette Jacquaint en réponse à Christine Boutin, qui faisait mine de pleurer sur les souffrances des homosexuels. Muguette Jacquaint lui répondit : « Quand ils vous entendent, je comprends qu’ils souffrent ! »

Cet exemple exprime bien le fait que ce n’est pas l’homosexualité qui fait naître la souffrance, mais l’homophobie. Tout ce qui permet de lutter contre l’homophobie est bon à prendre ; tel est le cas de ce texte, à la fois pour ses victimes d’hier et pour ceux qui y sont confrontés aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)