M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour la réplique.

M. Didier Marie. Je ne reviendrai que sur la COP28, sur laquelle je ne me suis pas attardé tout à l’heure, faute de temps pour l’évoquer plus avant.

Je considère, comme les ONG, que son résultat est plutôt insatisfaisant.

En effet, si le sujet tabou de la sortie des énergies fossiles figure bien dans la déclaration finale, celle-ci ne fixe pas de date précise pour cette sortie.

Par ailleurs, le gaz, énergie fossile, reste une énergie de transition et, pour obtenir un accord, on a laissé à la Chine la possibilité de poursuivre l’utilisation du charbon, là aussi comme énergie transitoire.

Madame la secrétaire d’État, comment, dans ces conditions, atteindre l’objectif de 95 % de baisse de l’usage des énergies fossiles d’ici à 2050 et de limitation à 1,5 degré de l’augmentation de la température dans le délai qui nous est imparti aujourd’hui ? Cet objectif nous semble inatteignable.

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en matière de finances et de budget, le Conseil européen n’a inscrit à son ordre du jour que la question de la révision du cadre financier pluriannuel 2021-2027.

C’est effectivement un sujet d’importance, mais il me semble qu’un autre sujet sera très certainement discuté dans les couloirs : la révision du pacte de stabilité et de croissance (PSC), sur lequel la commission des finances s’est déjà prononcée.

Dans la vision française, défendue par le ministre Bruno Le Maire, que notre commission a auditionné hier, le PSC n’est pas une fin en soi. C’est la garantie de la souveraineté européenne. C’est une nécessité et un moyen, au service d’une Europe prospère. Le PSC doit servir le projet politique européen.

Malheureusement, force est de constater que le conseil Écofin de vendredi dernier a échoué, malgré la bonne volonté de la présidente espagnole… et l’organisation d’un dîner. Il n’a pas été possible de trouver un accord politique.

Le ministre allemand des finances estime que, malgré les nombreux progrès réalisés, les États membres ne touchent pas encore au but. Il considère que les propositions espagnoles de compromis constituent le début d’un autre débat technique, et non sa conclusion.

Les ministres de l’économie ont tout de même réussi à s’accorder sur un point : la clause de sauvegarde pour la réduction de la dette.

Ainsi, pour les pays dont la dette est supérieure à 90 % du PIB, la réduction du ratio dette sur PIB devrait être de 1 % en moyenne par an sur la durée de la période d’ajustement, soit un plan de quatre ans par défaut. Pour les autres pays, dont la dette est supérieure à 60 %, mais inférieure à 90 %, le montant serait fixé à 0,5 %.

Les eurodéputés de la commission des affaires économiques et monétaires ont validé cette approche lundi soir.

Plusieurs points demeurent en discussion.

Le premier est la marge de résilience pour le déficit. Plusieurs États ont demandé, comme pour la réduction de la dette, de différencier l’effort en fonction du niveau d’endettement public. Ainsi, les pays dont la dette publique dépasse 90 % du PIB devraient ramener leur déficit à hauteur de 1,5 % du PIB, tandis que ceux dont l’endettement excessif est situé entre 60 % et 90 % devraient faire converger leur déficit en dessous de 2 % du PIB.

S’agissant du volet correctif, la France a demandé une flexibilité de 0,2 % du PIB par rapport au niveau de 0,5 % qui était prévu pour l’ajustement structurel. Cette flexibilité permettrait aux États membres en situation de déficit excessif - ce sera malheureusement encore notre cas pendant plusieurs exercices budgétaires - de continuer à investir et à faire des réformes.

Le ministre Bruno Le Maire nous a indiqué hier qu’un accord avait été trouvé entre la France et l’Allemagne, mais qu’il nous fallait encore discuter avec l’ensemble des autres États membres, notamment les pays dits « frugaux ».

L’Allemagne a fait un pas, en proposant que l’ajustement budgétaire pour la période 2025-2027 tienne compte de la charge de la dette supplémentaire liée à l’augmentation des taux d’intérêt. L’Italie souhaiterait que cette flexibilité soit rendue permanente.

Enfin, selon les dernières propositions, la Commission européenne doit créer un mécanisme de compte de contrôle permettant de suivre les déviations à la baisse ou à la hausse par rapport à la trajectoire fixée des dépenses budgétaires nettes.

Si l’on se fonde sur le rapport de la Commission, il pourrait être possible, in fine, d’ouvrir une procédure pour déficit excessif basée uniquement sur la dette publique.

Sur ce point, le Portugal demande qu’un État en situation d’excédent budgétaire ne puisse faire l’objet d’une telle procédure pour déficit excessif – la situation des différents États membres explique leur position.

Pour leur part, les députés européens de la fameuse commission Finances ne souhaitent pas de critères quantitatifs pour le déficit public. En revanche, ils ont une vision moins restrictive du compte de contrôle que la Commission.

Hier, devant notre commission des affaires européennes, le ministre Le Maire a déclaré que, s’il n’y avait pas d’accord d’ici à la fin du mois de décembre, clairement, il n’y aurait pas d’accord du tout !

Au regard de l’ensemble de ces éléments, partagez-vous, madame la secrétaire d’État, l’optimisme du ministre Le Maire sur la possibilité d’un accord au sein du Conseil avant la fin de l’année 2023, donc sur la mise en place d’un trilogue au mois de février 2024 ?

Pensez-vous également qu’en cas d’échec les négociations pourraient être rouvertes par la présidence belge ? (M. le président de la commission des affaires européennes applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Louis Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Louis Vogel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui s’ouvre demain va se dérouler dans un contexte très préoccupant pour l’Europe. Didier Marie en a déjà parlé.

Permettez-moi de revenir un instant sur ce contexte, avant d’examiner les deux sujets intéressant plus particulièrement Les Indépendants – République et Territoires qui seront discutés demain.

Alors que les élections européennes auront lieu dans un peu plus de six mois, l’Europe et l’idée européenne sont à la croisée des chemins.

Certains pays se sont déjà laissé séduire par les sirènes du populisme, qui remettent en cause l’idée même d’Europe.

Le dernier en date n’est autre que les Pays-Bas, pourtant pays fondateur de l’Union, où le parti d’extrême droite, dit « de la liberté », vient de gagner les élections législatives.

Même l’arrivée au pouvoir en Pologne de Donald Tusk, ancien président du Conseil européen, grâce à la victoire d’une coalition pro-européenne majoritaire, ne peut faire oublier que ce sont bien les ultraconservateurs de Droit et justice (PiS) qui sont arrivés en tête des élections législatives polonaises, après huit ans de pouvoir au cours desquels ils n’ont cessé de combattre les valeurs européennes.

Un sondage paru en novembre dernier donne une projection du prochain Parlement européen qui n’est pas pour nous rassurer.

Le groupe de droite ultraconservatrice nationaliste des Conservateurs et réformistes européens, dont Victor Orbán est en train de se rapprocher, se renforcerait. Le groupe d’extrême droite et d’eurosceptiques Identité et démocratie, dont fait partie le RN, se renforcerait également.

Si ces projections venaient à se confirmer, ces groupes et leurs alliés compteraient un peu plus de 80 membres, ce qui leur donnerait les moyens d’entraver le fonctionnement des institutions européennes, comme ils le font déjà à l’Assemblée nationale.

Lors de la campagne pour les élections européennes, les uns ne parleront que de souveraineté et d’immigration, les autres n’évoqueront que l’urgence climatique.

Ces objectifs ne sont pas incompatibles avec l’Europe : le pacte sur la migration et l’asile et le Green Deal en sont la preuve.

Non seulement ils ne sont pas incompatibles avec l’Europe, mais l’Europe est même le seul moyen de les réaliser. Je crois qu’il faut le répéter ! Il faut faire taire les fossoyeurs de l’Europe.

Comme je l’ai dit, deux sujets préoccupent plus particulièrement les membres du groupe Les Indépendants.

Le premier est la révision du cadre financier pluriannuel jusqu’en 2027. Notre groupe l’a évoquée au cours de l’examen du PLF 2024.

Nous croyons à des ressources propres solides qui permettraient d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés collectivement. Il faut se donner les moyens d’une politique. Nous croyons aussi qu’il est temps de mettre fin aux rabais dont bénéficient certains pays.

Comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, de nouveaux chiffres ont été mis sur la table, et la base de la discussion portera sur la proposition de Charles Michel, à savoir des crédits portés à 22,5 milliards d’euros.

Bien sûr, nous sommes également inquiets des répercussions sur les contributions nationales de ces crédits, notamment sur la nôtre.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous communiquer la position de la France et les lignes rouges que notre pays s’est fixées à cet égard ?

Le second sujet qui nous préoccupe est l’ouverture des négociations d’adhésion de l’Ukraine, dont il a déjà beaucoup été question ce soir.

Les membres de notre groupe croient résolument en une « Europe puissance », donc en une Europe approfondie, comme nous l’appelons de nos vœux.

Ce sujet soulève la question de la réforme du processus d’élargissement.

Madame la secrétaire d’État, comment appréhendez-vous les négociations sur l’Ukraine ? Plus spécifiquement, quelle est la position de la France sur la réforme du processus d’élargissement ?

Quoi qu’il en soit, je ne veux pas terminer sans vous assurer de tout notre soutien pour ce dernier Conseil européen de 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Didier Marie applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat. Sur la révision du pacte de stabilité et de croissance, que vous avez décrit avec précision, madame Lavarde, je souhaite faire trois remarques.

La première concerne la dette et sa trajectoire d’ajustement. Nous avons avancé très significativement par rapport à la règle du vingtième, qui, comme vous le savez, a été définie avant la covid-19.

Pour ce qui est du déficit, comme vous l’avez dit, une flexibilité sera possible, y compris en cas de procédure pour déficit excessif, pour les investissements dans la transition énergétique et pour tenir compte des réformes mises en œuvre. C’est très important pour que nous puissions avoir de la croissance et mener ces transitions, alors même que nous ajustons nos finances publiques.

Comme Bruno Le Maire, je suis confiante sur la possibilité de conclure de nouvelles règles pour le 1er janvier 2024.

Monsieur le sénateur Vogel, d’abord, la Pologne montre, comme vous l’avez souligné, qu’il est possible d’inverser la tendance populiste, puisque c’est un gouvernement du parti populaire européen (PPE) – pour reprendre le terme européen –, ayant réaffirmé son soutien à l’Union européenne, qui va être mis en place.

En même temps que les élections législatives, un référendum sur l’avortement était organisé, pour lequel le taux de participation a été particulièrement élevé. La proposition du précédent gouvernement populiste a été rejetée à 70 %.

Pour ce qui concerne le cadre financier pluriannuel, la ligne de la France est très claire. Nous voulons : une augmentation mesurée, qui ne pèse pas trop sur nos finances publiques, mais qui garantisse en priorité le soutien à l’Ukraine ; la mise en œuvre du Pacte sur la migration et l’asile et des accords avec la rive sud de la Méditerranée ; et, bien sûr, le fonds de souveraineté européenne puisque, pour être puissant géopolitiquement, il faut s’assurer de disposer d’une force industrielle.

Enfin, s’agissant de la réforme du processus d’élargissement de l’Union européenne, qui a été largement portée par la France, vous avez fait allusion, madame Lavarde, à la réforme des traités. J’ai déjà été interrogée sur ce point : à cet égard, il n’y a ni totem ni tabou, mais ce n’est pas une fin en soi. Nous ferons ce qui est nécessaire pour mettre en œuvre les politiques dont nous souhaitons qu’elles soient prioritaires lors de la prochaine mandature de la Commission.

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.

Mme Christine Lavarde. Vous avez dit, madame la secrétaire d’État, que de nouvelles règles seraient définies au 1er janvier. J’ai du mal à partager votre optimisme. Peut-être un accord sera-t-il conclu par les ministres des finances avant la fin de l’année 2023, mais cela ne veut pas dire que de nouvelles règles seront posées.

En effet, comme je l’ai souligné, les parlementaires européens membres de la commission des affaires constitutionnelles ont pris des positions assez différentes. Même si ces divergences ne présagent pas du vote qui interviendra en séance plénière du Parlement européen, elles tendent à le dessiner.

Le trilogue sera donc relativement compliqué. Nous souhaitons tous partager votre optimisme. Pour autant, au cas où ces discussions n’aboutiraient pas, j’aimerais que vous me répondiez sur un point que vous n’avez pas évoqué : la Belgique a-t-elle déjà inscrit à l’ordre du jour du Conseil ce sujet ? Si ce dernier devait être enterré, nous basculerions de nouveau dans le système qui prévalait avant la crise de la covid-19, et dont chacun a pu mesurer les limites.

M. le président. La parole est à M. Louis Vogel, pour la réplique.

M. Louis Vogel. Vous avez parlé, madame la secrétaire d’État, au sujet du cadre financier pluriannuel, d’augmentation « mesurée » ; or cet adjectif ne veut pas dire grand-chose… Je vous remercie néanmoins de nous avoir indiqué quelles priorités permettent d’indexer cette « mesure ».

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa.

Mme Brigitte Devésa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de sa séance du 22 novembre dernier, le Parlement européen, réuni à Strasbourg, a adopté une résolution tendant à la révision des traités. Cette résolution fait suite à la Conférence sur l’avenir de l’Europe, qui s’est achevée en mai 2022.

Dans ce texte récemment adopté, le Parlement défend des réformes qui visent à « consolider la capacité de l’Union à agir, ainsi qu’à donner davantage la parole aux citoyens ». On y trouve une liste de dix-sept thématiques, abordées de manière parfois très précise.

Je citerai quelques exemples des propositions que contient cette résolution votée par nos collègues du Parlement européen.

Il faut noter, dans le champ institutionnel : la volonté de donner davantage de compétences au Parlement européen dans le processus décisionnel et de lui donner le droit d’initiative législative ; la révision de la composition de la Commission européenne, réduite à quinze membres et dotée d’un président élu qui sera libre de choisir son collège en fonction de ses préférences politiques, mais en gardant à l’esprit l’équilibre géographique et démographique ; enfin, un mécanisme de censure individuel des commissaires.

La résolution met également en avant la publication des positions des États lors des réunions du Conseil.

Toujours dans le champ institutionnel, cette résolution prévoit un passage du vote à l’unanimité au vote à la majorité qualifiée dans certains cas, notamment en matière de politique étrangère.

M. Didier Marie. Très bien !

Mme Brigitte Devésa. Si l’on regarde de plus près les différentes thématiques, on peut notamment lire que l’Union aurait une compétence exclusive en matière d’environnement, de biodiversité et de négociations sur le champ climatique.

En matière de défense, la résolution préconise la mise en place d’une Union de la défense, comprenant des unités militaires et une capacité permanente de déploiement rapide, sous commandement opérationnel de l’Union.

Dans le domaine de l’éducation, la résolution prévoit : l’élaboration de normes et d’objectifs communs pour une éducation qui promeut les valeurs démocratiques et l’État de droit ; la promotion de la coopération entre les systèmes éducatifs, tout en protégeant les traditions culturelles et les diversités régionales ; ou encore, l’établissement de normes communes en matière de formation professionnelle pour accroître la mobilité des travailleurs.

En matière de migration, il est préconisé une politique commune renforcée de l’Union en matière d’immigration, et, dans le domaine de la santé, la fixation d’indicateurs communs pour les systèmes de santé.

Cette résolution a toutefois été adoptée à une faible majorité : 291 voix pour et 274 contre.

Ce texte permet d’amorcer, notamment au travers des thématiques qu’il aborde, un renforcement du fédéralisme européen. C’est la seconde fois que le Parlement européen prend une telle initiative : en juin 2022, les eurodéputés avaient déjà adopté une résolution appelant à modifier les traités.

Pour qu’une telle réforme puisse s’opérer, il faut que la résolution soit inscrite à l’ordre du jour du Conseil européen. Il n’en fut rien l’année dernière ; et tel ne sera pas non plus le cas pour la réunion qui débute demain.

Aussi vous demanderai-je au nom du groupe Union Centriste, madame la secrétaire d’État, si cette résolution est le signe d’une prochaine révision de nos traités. Il est en effet légitime que le Parlement européen prenne l’initiative d’un tel projet.

M. Didier Marie. Très bien !

Mme Brigitte Devésa. Mais ne pourrait-on parler de déni si celui-ci, alors qu’il a été valablement adopté, n’était pas ensuite examiné par le Conseil ?

Nous pensons qu’un débat doit avoir lieu, au regard du vaste champ des thématiques abordées dans cette résolution. Celle-ci a d’ailleurs suscité de nombreuses réactions, portant notamment sur de potentielles atteintes à la souveraineté des États et sur la remise en cause du sacro-saint principe du vote à l’unanimité.

Une réforme des traités apparaît nécessaire dans la perspective du prochain élargissement de l’Union européenne, qui ne fait presque plus de doute. Le nombre de candidats à l’adhésion est en effet en augmentation. À ce jour, huit États sont candidats à l’adhésion : la Turquie, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, l’Albanie, l’Ukraine, la Moldavie et la Bosnie-Herzégovine.

Nous sommes tous conscients ici que la guerre en Ukraine a bouleversé le fonctionnement de l’Union européenne. L’obtention rapide par l’Ukraine du statut de candidat a soulevé de nombreuses réactions dans les Balkans.

« L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », disait Jean Monnet. La question de l’élargissement de l’Union devra donc être tranchée rapidement : il faudra décider comment élargir et à quels États.

Sur la forme, si une réforme de nos traités devait intervenir avant un élargissement, celui-ci serait élaboré sur le long terme. En effet, nous le savons tous, le processus de révision des traités – depuis l’initiative de révision jusqu’à la ratification définitive par l’ensemble des États – prend des années ; il sera d’autant plus long en l’occurrence que plusieurs États ont déjà fait part de leur hostilité à toute révision.

Une révision des traités semble néanmoins opportune, et la présidente de la Commission européenne a indiqué y être favorable. Elle entraînerait toutefois un élargissement post-révision d’ici à plus d’un an, a minima, sans garantie de succès.

Nos collègues Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et Gisèle Jourda ont rendu l’année dernière un rapport d’information intitulé Comment donner suite à la Conférence sur lavenir de lEurope ?, dans lequel ils soulignaient qu’il existait dans les traités des formes de souplesse institutionnelle permettant de faire avancer la construction européenne sans passer par la procédure de révision. Il en est ainsi, notamment, de la composition de la Commission européenne.

Il convient de citer également l’article 352 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, aux termes duquel le Conseil peut prendre, à l’unanimité, des mesures visant à atteindre les objectifs des traités.

Quant à l’article 122, il prévoit que l’Union européenne peut prendre des mesures temporaires en cas de crise. Lesdites mesures peuvent être prises à la majorité qualifiée, notamment en matière de fiscalité.

Des amorces de solutions existent donc déjà dans les textes applicables. Si l’élargissement de l’Union devait se faire à brève échéance, s’appuyer sur les dispositifs en vigueur serait une piste à privilégier.

Toujours sur la forme, en matière d’élargissement, les Français seront-ils invités à s’exprimer par le biais d’un référendum, pour valider, ou non, l’élargissement proposé ? La question se pose !

Enfin, sur le fond, à qui l’Union doit-elle s’ouvrir ? L’élargissement doit-il s’effectuer en une seule fois à l’ensemble des pays ayant le statut de candidat et remplissant toutes les conditions fixées, ou se dérouler en plusieurs phases, et, dans ce cas, sur quels critères ?

Les réponses à ces questions nous permettraient de disposer d’une réelle vision tant de l’élargissement de l’Union que des réformes institutionnelles nécessaires. Ces thématiques seront également au cœur des débats des prochaines élections européennes.

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, deux sujets principaux sont à l’ordre du jour du Conseil européen qui s’ouvre demain : d’une part, les questions extérieures, portant notamment sur l’Ukraine, le Proche-Orient, l’élargissement de l’Union ; d’autre part, les questions intérieures, en particulier financières.

Le point par lequel je commencerai mon intervention, la cybersécurité, est au croisement de ces deux thèmes puisqu’il concerne une menace qui vient souvent de l’extérieur, mais qui peut avoir des conséquences économiques particulièrement lourdes sur le plan intérieur.

Corapporteure de la proposition de résolution européenne sur la cybersolidarité, qui a été présentée aujourd’hui, je ne reviendrai pas ici en détail sur la position de la commission des affaires européennes du Sénat.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Heureusement ! (Sourires.)

Mme Audrey Linkenheld. Je soulignerai toutefois notre souhait que nos entreprises en ce domaine soient des champions européens, pour mieux nous défendre et mieux réagir en cas d’attaque majeure.

Ce qui est valable pour relever le défi cyber l’est aussi pour relever les défis économiques et climatiques.

Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain considèrent que devront sortir renforcés de ce Conseil l’esprit de solidarité, notamment face à la guerre, mais pas seulement, et la coopération active sur le plan industriel. Or force est de constater que les discussions en cours, tant sur le cadre financier pluriannuel que sur le pacte de stabilité et de croissance ne sont pas à 100 % tournées vers la solidarité et la coopération.

Notre groupe a encore des doutes sérieux quant à l’issue de ce concert européen.

S’agissant du cadre financier et du budget de l’Union, nous restons demandeurs d’un véritable fonds de souveraineté de grande ampleur pour faire face aux besoins colossaux en investissement au service de la transition juste.

Au vu de l’Inflation Reduction Act, la Commission devrait, au lieu de racler les fonds de tiroir, proposer mieux que cette plateforme des « Technologies stratégiques pour l’Europe », dite Step, dotée de quelques milliards d’euros seulement.

Sans champions tertiaires et industriels européens, comment accélérer la transition et la décarbonation de nos modes de production et de transport ? Comment préserver notre souveraineté et notre autonomie énergétique, économique et, à terme, politique si chaque État membre continue de dépendre de partenaires extraeuropéens ?

Oui, nous avons besoin que l’Europe unie investisse davantage grâce à ses ressources propres dans sa réindustrialisation et la transformation de son économie. Les États dits « frugaux » ne peuvent pas méconnaître la conséquence du manque d’investissements qu’ils provoquent, lequel rejaillira négativement sur chacun des États membres.

J’en viens donc au pacte de stabilité et de croissance, puisque ce sont souvent les mêmes pays qui se montrent très demandeurs d’une réactivation des règles relatives au déficit et à la dette publique. Chacun convient, des plus libéraux aux plus interventionnistes, que ces règles sont obsolètes, complexes, inefficaces, inappliquées et inapplicables.

Notre groupe salue l’intégration dans les discussions en cours du sujet des investissements publics en faveur du climat et de l’environnement. Pour autant, tenir compte de ces investissements pour accepter une réduction plus lente du déficit n’est pas la même chose que de les exclure carrément du calcul.

Exclure ces investissements revient à accepter que la soutenabilité climatique soit prioritaire.

Ne pas les exclure, mais les tolérer, signifie que l’on reporte à plus tard une application plus stricte des règles, alors même que la lutte contre le réchauffement climatique se prolongera forcément après 2027, avec des jalons en 2030 et 2050.

Par ailleurs, les négociations sur les investissements verts semblent retenir aussi des critères, voire des conditions, liés à des réformes structurelles. Or, derrière ces réformes, se cache rarement la taxation du capital, des superprofits ou des super-riches, mais plus souvent la remise en cause de protections sociales.

Être moins endettés, mais pas moins inégalitaires, peut nous mener tout droit à l’avènement de solutions populistes, voire autoritaires, qui vont à l’encontre de la raison d’être de l’Union européenne. Le signal qu’attendent les Européens de la part de leurs gouvernants et de leurs représentants est d’abord un signal en faveur de la paix et de la justice.

Madame la secrétaire d’État, comment la France compte-t-elle résoudre ce paradoxe européen, avec un nouveau pacte faisant mine de soutenir les investissements verts nationaux et un budget européen qui n’intègre pas le véritable fonds de souveraineté dont notre continent a pourtant besoin pour faire face aux défis du XXIe siècle soulignés par la COP28.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat. Madame Devésa, nous sommes d’accord, sur le fond, avec ce que vous avez dit sur l’élargissement de l’Union, et qui était très intéressant.

L’élargissement va de pair avec la réforme de l’Union européenne, laquelle ne doit pas venir après ledit élargissement, comme d’aucuns l’avaient demandé : les deux doivent intervenir parallèlement.

Comme vous l’avez indiqué, cela prendra du temps : deux, trois, cinq ou dix ans. Il est difficile de le dire aujourd’hui parce que cet élargissement doit être basé sur le mérite et sur le respect de conditions liées à l’État de droit et aux acquis du marché unique, qui formeront le socle de cette Europe élargie.

Parallèlement à l’élargissement, nous allons réformer l’Union européenne, ce qui pose la question des politiques prioritaires ; vous en avez énoncé certaines. Ce travail sera engagé lorsque la présidence belge en aura lancé le processus.

Entre-temps, il sera bien sûr possible de travailler sur certains aspects politiques, comme la politique étrangère et de sécurité commune (Pesc) ou la fiscalité, lorsque nous serons favorables aux changements proposés. En effet, ces modifications peuvent être adoptées à la majorité qualifiée et ne nécessitent pas de modifier les traités.

Pour ce qui concerne la réponse à l’Inflation Reduction Act, la présidence belge a demandé à Mario Draghi – vous le savez – un rapport sur la compétitivité de l’Union européenne, qui vise précisément à corriger, ou à tout le moins à amender, les politiques existantes afin d’apporter une vraie réponse à l’IRA (Inflation Reduction Act).

Nous espérons que ce rapport, qui sera remis en juin, nous aidera à réduire la bureaucratie et à financer des investissements stratégiques. Même si de tels investissements existent déjà, il faut en effet que le fonds de souveraineté croisse. Par ailleurs, les investissements stratégiques dans l’industrie se font aujourd’hui au travers de projets important d’intérêt européen commun (Piiec), lesquels sont au nombre de trois, dont l’un consacré au cloud, et impliquent à peu près vingt pays. Disant cela, je réponds dans une certaine mesure à votre question portant sur la solidarité et la souveraineté. Mais nous souhaitons aller plus loin.

J’en viens au sujet du pacte de stabilité et de croissance : il ne serait dans l’intérêt de personne de ne pas avancer sur la question des règles budgétaires. Les discussions à cet égard vont d’ailleurs reprendre puisque les trilogues seront menés sous la présidence belge.