M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre. Ce n’est pas normal, car c’est la puissance publique qui a demandé aux éleveurs d’avoir recours à des patous.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.

Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le ministre, chaque jour, les élus des territoires de montagne font face aux inquiétudes et à la détresse des éleveurs dont les troupeaux ont été attaqués par le loup. Ces attaques se multiplient, comme l’attestent les chiffres présentés chaque année au groupe national Loup. Le coût des indemnisations augmente également.

La surprotection dont bénéficie actuellement le loup, en application de la directive Habitats et de la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, dite convention de Berne, a entraîné l’intensification de sa présence sur toujours plus de territoires, dont certains ne sont, hélas ! pas préparés et n’ont donc pas mis en place les moyens de protection nécessaires pour que les éleveurs puissent être indemnisés.

Les éleveurs ovins et bovins, qui voient des années de sélection génétique anéanties par la répétition des actes de prédation, sont désespérés. Bon nombre d’entre eux abandonnent leur activité, ce qui met à mal l’économie agropastorale, qui est pourtant indispensable à l’aménagement des territoires de montagne et qui contribue à l’entretien de 1,5 million d’hectares de prairies naturelles d’altitude.

Si l’agropastoralisme disparaît, l’accessibilité des espaces d’altitude, ainsi que leur biodiversité et leur sécurisation contre les risques naturels seront compromises.

Les élus de montagne, que je représente aujourd’hui, n’ont pas cessé d’alerter les pouvoirs publics sur l’impossible cohabitation de ce prédateur avec un mode d’élevage pastoral traditionnel, qui fait la fierté de nos montagnes. Dans le massif des Pyrénées, on observe en outre la présence d’autres prédateurs, comme l’ours.

L’inscription, en décembre dernier, de la « transhumance, déplacement saisonnier des troupeaux » au patrimoine culturel immatériel de l’humanité illustre parfaitement la philosophie du nouveau plan national d’actions sur le loup 2024-2029, auquel l’Association nationale des élus de la montagne (Anem) a contribué. Celui-ci prévoit le lancement d’une étude sur la possibilité de faire évoluer le statut du loup au niveau européen, ce qui va dans le sens de la demande de la Commission européenne qui a proposé, le 20 décembre dernier, que le loup passe du statut d’espèce « strictement protégée » à celui d’espèce « protégée », une perspective envisageable si les États membres de l’Union européenne donnent leur accord.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, si le Gouvernement compte défendre clairement le déclassement du statut de protection du loup ?

Par ailleurs, au niveau national, le nouveau plan Loup 2024-2029 prévoit une révision de la méthode de comptage des loups, ainsi qu’une simplification du protocole des tirs de défense, le renforcement des tirs de prélèvement en début de saison et des indemnisations plus justes. Ce plan prévoit aussi la prise en compte de l’impact de la prédation sur la santé des éleveurs.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Frédérique Espagnac. Ces actions et ces indemnisations ont un coût. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, quel sera le financement de la mise en œuvre des actions concrètes de protection ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, merci de porter la voix des élus de montagne.

Voilà trente ans que le loup est réapparu. Je ne saurais dire combien de Premiers ministres, de Présidents de la République et de ministres de l’agriculture se sont succédé depuis lors, mais, en tout cas, c’est la première fois que l’on se préoccupe du pastoralisme, un sujet loin d’être mineur.

La population des loups augmente : nous aurions dû réfléchir à cette question depuis le début, parce que cela fait bien longtemps que les départements concernés, que vous connaissez bien madame la sénatrice, reconnaissent qu’ils ne savent plus comment faire face. (Mme Dominique Estrosi Sassone le confirme.)

Tout est parti d’un certain nombre d’ambiguïtés ou d’incompréhensions à la fois sur le système de comptage des loups, sur les attendus qui étaient les nôtres, ou encore la place du loup dans nos territoires.

Vous avez évoqué le statut de l’animal. Nous devons dire, avec raison, sans démagogie – ce n’est pas mon genre, vous le savez –, que le loup est une espèce remarquable, un symbole de la biodiversité, mais qu’il convient de le gérer différemment, et donc de faire évoluer son statut, en raison de l’évolution dynamique de sa population que, si nous ne faisons rien, nous ne saurons pas enrayer. Une régulation est donc nécessaire.

J’ajoute qu’il est aujourd’hui temps, en France, dans tous les territoires, d’arrêter de décider contre les gens !

M. Marc Fesneau, ministre. Il faut que les mesures soient acceptables pour les habitants, lesquels ne doivent pas avoir le sentiment d’en revenir au combat qui a été, pendant des millénaires, celui des éleveurs. Nous devons être vigilants sur ce point et trouver le bon équilibre. C’est tout le sens du plan Loup.

La recherche permettra peut-être de trouver des solutions alternatives, afin d’effaroucher ou d’éloigner les loups, même si, pour l’instant, celles-ci n’existent pas. On peut aussi réfléchir à la manière de mieux former les chiens.

Enfin, vous m’avez interrogé sur les moyens consacrés à la protection des élevages. L’enveloppe prévue est de 40 millions d’euros environ – ce sont des crédits relevant de la politique agricole commune (PAC) – et sert simplement à acheter des patous, à les nourrir et à installer des clôtures. L’indemnisation, elle, relève du ministère de l’environnement et s’élève à 5 millions d’euros…

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre ! Un autre débat est prévu à la suite de celui-ci. Chacun doit respecter le temps qui lui est imparti.

M. Marc Fesneau, ministre. La passion m’emporte, mais je serai plus concis la prochaine fois…

M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet.

Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre, comme vous le savez, le pastoralisme est un mode d’élevage vertueux, qui favorise, en principe, le bien-être animal, procure des productions locales de qualité en viande, fromages et laitages, avec de nombreuses appellations d’origine protégée (AOP) et indications géographiques protégées (IGP), entretient les paysages, mais aussi les pistes de ski, comme c’est le cas chez moi, en Savoie, ou dans d’autres départements de montagne.

La prédation par le loup, à l’origine d’une énorme pression sur les éleveurs, leurs familles et leurs troupeaux, remet en question ces éléments positifs et bouscule une agriculture et une économie vertueuses. Comment, en effet, nos éleveurs pourraient-ils avoir envie de poursuivre leur activité, alors que 500 constats de dommages ont été dressés pour la seule année 2023 rien que dans mon département, dont seulement 300 avaient donné lieu à une indemnisation à la fin du mois de décembre. Les avances financières sont versées bien trop tard, ce qui oblige nos agriculteurs à effectuer des dépenses qu’ils ne peuvent plus assumer.

Si le loup exerçait déjà des ravages sur les troupeaux d’ovins depuis le début des années 1990, il s’en prend désormais aussi, depuis une petite dizaine d’années, aux troupeaux de bovins, ce qui accroît les pertes financières des éleveurs et entraîne aussi plus de souffrances animales. Les animaux tués se comptent déjà par centaines : près de 130 bêtes ont ainsi été tuées chaque année, et ce depuis deux ans, dans mon département.

Les bovins en alpage ne peuvent pas être protégés comme les ovins ou les caprins. C’est pourquoi un certain nombre d’expérimentations ont été mises en place dans le parc naturel régional des Bauges par exemple, en Savoie : colliers d’effarouchement, chiens de protection, autorisation de procéder à des tirs de défense simple sans attaque préalable. Cette dernière expérimentation semble être très efficace, si bien que la demande est forte pour qu’elle soit généralisée. À l’inverse, celle qui concerne le déploiement de chiens de troupeaux pour la protection des bovins n’est pas du tout souhaitée.

Aussi, monsieur le ministre, afin de faire baisser la pression que subissent les éleveurs et leurs troupeaux et de conserver cette formidable forme d’agriculture qu’est le pastoralisme, pouvez-vous me confirmer que le nouveau plan national d’actions sur le loup et les activités d’élevage permettra de généraliser les tirs de défense simple sans attaque préalable ? Permettra-t-il également d’accélérer les indemnisations et de débloquer suffisamment en amont les avances aux éleveurs, afin qu’ils ne soient plus pénalisés financièrement ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Parmi les différents éléments que vous venez d’évoquer, madame la sénatrice, j’insisterai sur le sujet des tirs.

Il ne faut pas affranchir ces tirs de tout cadre d’exercice. C’est la raison pour laquelle nous devons nous interroger sur le statut du loup : la nature des tirs diffère en effet selon que l’espèce est très protégée ou simplement protégée.

En revanche, nous avons décidé de procéder à un certain nombre de simplifications.

Tout d’abord, le préfet coordonnateur du plan Loup pourra, en lien avec le préfet de département, faire en sorte que les procédures d’autorisation de tir soient plus rapides, afin de pouvoir agir lorsqu’un loup exerce une pression. Nous avons analysé l’expérimentation que vous avez mentionnée, madame la sénatrice, mais le statut actuel de l’espèce ne permet pas sa généralisation. Nous devons donc améliorer les procédures.

Il est aussi prévu dans le plan Loup de renforcer l’équipement des louvetiers, leur formation, d’accroître les effectifs, afin qu’ils soient plus nombreux sur le terrain.

Il sera par ailleurs possible de passer d’un à deux, voire trois tireurs dans certains cas dérogatoires.

Toutes ces mesures sont compatibles avec le statut actuel de l’espèce. Si ce dernier évoluait, on pourrait évidemment prendre des mesures de nature différente.

Enfin, vous avez évoqué un point à propos sur lequel je ne m’étais pas encore exprimé : il s’agit, d’une part, de la rapidité des procédures d’indemnisation – un certain nombre d’évolutions, que plan Loup vise à amplifier et à déployer, sont en cours – et, d’autre part, du versement des avances aux éleveurs, en particulier pour la protection de leurs troupeaux.

Ce second sujet est très complexe. Je n’entrerai pas dans le détail, car il s’agit de crédits européens, mais nous réfléchissons à des mesures qui permettraient aux éleveurs de ne plus percevoir ces avances douze ou dix-huit mois plus tard, ce qui leur cause de réels problèmes de trésorerie. Le problème est loin d’être simple ; la preuve en est que mes prédécesseurs n’ont pas su le résoudre.

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Monsieur le ministre, l’objectif du plan Loup 2018-2023 était ambitieux – trop ambitieux certainement. Sauvegarde de l’espèce et protection des troupeaux sont des objectifs parfois difficiles à concilier. Si j’en juge par tout ce que j’entends dans cet hémicycle et, surtout, sur le terrain, nous en sommes loin !

En Occitanie, pas moins de dix départements ont déclaré la présence du loup. Sa prolifération prend aujourd’hui une dimension nationale. Pour les éleveurs, particulièrement ceux de brebis, elle constitue un véritable fléau, auquel ils doivent faire face.

Je prends l’exemple de la Haute-Garonne et des départements voisins des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées-Atlantiques et de l’Ariège. Nous avons le triste privilège de cumuler toutes les formes de prédation : celles des loups, des ours et des vautours.

Les lenteurs et les hésitations de la Commission européenne ne sont pas de nature à favoriser la réactivité dont nous devrions faire preuve pour conserver notre pastoralisme et l’attractivité de ce métier. La sauvegarde de nos éleveurs est une condition sine qua non au maintien de nos surfaces de pâturage et d’estive. C’est un vrai sujet pour l’aménagement du territoire et le maintien d’activités touristiques.

Le phénomène d’hybridation des loups avec des chiens errants n’avait pas non plus été anticipé. Quid, monsieur le ministre, d’un véritable plan de régulation évolutif et réaliste pour le loup, mais aussi pour les autres prédateurs ? Quelles sont les conclusions de la consultation publique menée en fin d’année sur le plan Loup 2024-2029 ?

Nos éleveurs ont besoin de solutions pragmatiques à court et moyen terme ; à défaut, les abattages clandestins ne cesseront de se multiplier. D’où ma question : à quand une vraie régulation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, j’ai déjà répondu sur un certain de nombre de points, mais votre question me donne l’occasion d’approfondir ma réponse.

Il est vrai que vous êtes élu d’un département où l’on observe la présence de plusieurs grands prédateurs, même si les problématiques ne sont pas de même nature.

Si nous pouvons débattre aujourd’hui de la prédation lupine, c’est parce que le dénombrement des loups a été réalisé. Il faut à cet égard saluer le travail de comptage qui est réalisé, ce qui n’est, hélas ! pas le cas pour l’ours.

La question qui se pose dans un département comme le vôtre, monsieur le sénateur, est celle de l’action conjuguée de l’ensemble de ces prédateurs. L’enjeu est donc de trouver un équilibre pour que la présence du loup, même si son statut pourrait évoluer, ne se surajoute pas à d’autres facteurs de prédation déjà très importants.

En ce qui concerne la consultation publique sur le plan Loup 2024-2029, nous avons reçu près de 14 000 réponses, que nous sommes en train d’étudier.

Celles-ci sont plutôt défavorables : certains tenaient apparemment à exprimer leur point de vue sur le sujet, comme ils en ont le droit.

Toutefois, nous devons avancer sur ce dossier, car nous sommes dans une impasse. Nous savons tous – je l’ai déjà dit – comment cela se termine quand on décide contre les gens. (Mme Frédérique Espagnac acquiesce.) Un certain nombre de règles existent. Nous avons tous intérêt à ce que chacun reste dans le cadre de la loi. Il convient donc de veiller à ce que toutes les exigences soient compatibles. Or, dans certains territoires, elles ne le sont pas.

J’en viens au dénombrement. Nous devons travailler, comme je l’ai demandé, à une harmonisation du comptage des loups à l’échelle européenne. On ne peut pas à la fois réfléchir à la question du loup au niveau européen et accepter que les dénombrements suédois, italien ou autrichien soient différents du nôtre. Ce dernier est plutôt assez performant, nous dit-on – et je crois que c’est assez juste –, mais il faut qu’il soit compatible avec les autres si l’on veut procéder à des comparaisons ; à défaut, un dénombrement au niveau européen n’aurait aucun sens.

Nous devrons aussi réexpliquer comment fonctionne notre système de comptage, parce que certains acteurs, notamment les éleveurs, ont des doutes – il faut bien le dire. C’est ainsi que l’on recréera de la confiance à son égard. À mes yeux, c’est très important. (M. Pierre Médevielle acquiesce.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet.

Mme Sylvie Vermeillet. Tout d’abord, permettez-moi de remercier nos collègues du groupe Les Républicains d’avoir choisi de consacrer ce débat à la question du loup et de sa cohabitation avec l’élevage français.

Sénatrice du Jura, présidente de comité de massif, j’associe à ma question mon collègue du Doubs, Jean-François Longeot.

Nous pouvons témoigner, monsieur le ministre, que la prédation du loup sur les bovins et les équins est devenue en quelques années un enjeu majeur dans nos départements respectifs. Plus de cent animaux ont été tués en deux ans. La prédation croît de manière exponentielle, traumatisant les troupeaux et les éleveurs.

Dans le massif du Jura, le pâturage des bovins repousse l’enfrichement. Il est à l’origine de paysages typiques : les pré-bois. La biodiversité qu’ils abritent est particulièrement remarquable. Une politique spécifique visant à les préserver est d’ailleurs déployée conjointement par l’État et les régions depuis plus de vingt ans.

En raison de ce mode d’élevage extensif et éloigné des bâtiments d’exploitation, les troupeaux de bovins et de chevaux concernés sont, par nature, non protégeables. Il n’est donc pas possible de mettre en place des mesures de protection strictes, comme les clôtures. Les élevages restent donc sans défense face aux attaques du loup.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, quand peut-on espérer la mise en place d’un zonage général des espaces d’élevages bovins et équins non protégeables, lequel pourrait être annexé au plan Loup et encadrer spécifiquement les tirs de défense simple en cas d’attaques constatées ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, votre région est, d’une certaine façon, un front de colonisation – je le dis sous le contrôle du président Longeot. Des élevages qui n’étaient pas du tout concernés par cette problématique sont désormais touchés. C’est pourquoi nous avons soulevé dans le plan Loup la question de la non-protégeabilité de certains espaces.

Je me suis rendu récemment chez un éleveur du Doubs dont le troupeau avait été victime d’une attaque dans la nuit : avec des parcelles de 1 000 ou 2 000 mètres carrés, parce que l’usage est de faire des lots, il m’apparaissait évident que ni la présence de patous ni l’installation de clôtures ne pourraient protéger ces espaces, sauf à arracher des haies, ce qui serait original et iconoclaste. Il convient, à mon sens, de mettre fin à ce genre de pratiques, qui sont susceptibles d’agacer, et de tenir compte du parcellaire. (M. Guillaume Gontard proteste.)

C’est la réalité, monsieur Gontard ! Il faut décrire la réalité telle qu’elle est, sinon on crée de la désespérance ! Lorsque les parcelles font 1 500 mètres carrés et sont entourées de haies, il faut expliquer comment on peut installer des clôtures pour empêcher les loups de passer. (Marques dapprobation sur les travées du groupe UC.)

Une circulaire est en cours d’élaboration. Je ne suis pas sûr que l’on puisse circonscrire de grandes zones, mais il faut que l’on définisse des types d’élevage et de structures agricoles qu’il n’est pas possible de protéger, car telle est la réalité – M. Patriat le sait – de la Bourgogne-Franche-Comté et de bien d’autres territoires.

Dans les fronts de colonisation, c’est un sujet très important. Nous y travaillons : la circulaire devrait être prête dans les semaines qui viennent.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour la réplique.

Mme Sylvie Vermeillet. Merci, monsieur le ministre, pour votre lucidité à ce sujet.

Je tiens particulièrement à appeler votre attention sur l’indemnisation des éleveurs. Il importe de prendre en compte la valeur génétique des animaux, ainsi que l’évacuation des carcasses des animaux victimes de prédation, enjeu qui s’ajoute au traumatisme moral des éleveurs.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre, il est frustrant de ne disposer que de deux minutes pour ce débat qui est certes passionnant,…

Mme Dominique Estrosi Sassone. Et passionné ! (Sourires.)

M. Guillaume Gontard. … mais dont les termes sont mal posés : plus de 50 % de la viande ovine consommée en France est importée. Hasard du calendrier, nous venons d’adopter une proposition de résolution relative au projet d’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur. Les mêmes élus qui soutiennent le libre-échange nous expliquent maintenant que tous les maux de l’élevage sont liés au loup ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Les données sont pourtant formelles. Alors que le nombre de loups augmente dans les zones où il est déjà présent, le nombre d’attaques stagne, voire baisse. (Protestations sur les mêmes travées.)

M. Guillaume Gontard. Le dernier plan Loup, œuvre de Nicolas Hulot, semble avoir plutôt bien fonctionné : il a favorisé l’indispensable cohabitation entre le loup et les activités humaines et a surtout permis de redynamiser l’élevage ovin et le pastoralisme. Pourquoi ne pas en avoir dressé le bilan ?

Essayons tout de même. Selon la Mutualité sociale agricole (MSA), le secteur ovin est l’un des secteurs agricoles où le renouvellement des exploitations est le plus important : de l’ordre de 90 %, alors qu’il n’est que de 50 % pour l’élevage bovin – il atteint parfois 150 % dans certains territoires. Les départements où l’élevage ovin diminue, – la Haute-Vienne, l’Allier, le Lot – ne sont d’ailleurs pas ceux où la présence du loup est importante.

En proposant un plan Loup axé sur la seule facilitation des tirs, vous avez donc réussi l’exploit, monsieur le ministre, de réunir contre vous les éleveurs et les associations environnementales ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Certes, le retour de ce prédateur constitue une contrainte réelle pour les éleveurs, mais ils y font résolument face. Plutôt que de vous battre à Bruxelles pour un – inutile ! – déclassement du statut de protection du loup,…

Mme Dominique Estrosi Sassone. Ce n’est pas inutile !

M. Guillaume Gontard. … qui ne changera d’ailleurs rien, vous feriez mieux de vous mobiliser contre les traités de libre-échange et pour une refonte de l’incohérent mode de calcul des surfaces pastorales éligibles à la PAC. Nos éleveurs attendent des réponses concrètes et un accompagnement, notamment pour les frais et les contraintes engendrés par les chiens de protection. Ils n’ont pas besoin de démagogie !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Qui fait de la démagogie ?

M. Guillaume Gontard. Reposons les termes de ce débat, monsieur le ministre : comment comptez-vous garantir réellement l’avenir du pastoralisme ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur Gontard, vous êtes pourtant élu d’une région où la prédation est forte.

M. Guillaume Gontard. Cela fait vingt-cinq ans que l’on attend des réponses !

M. Marc Fesneau, ministre. Je ne vous fais pas grief de tenir ce discours, mais quand vous êtes éleveur ovin et que vous êtes attaqué quinze fois par an, croyez-vous vraiment que vous avez envie de poursuivre votre activité dans la joie, le bonheur et l’allégresse ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Monsieur Gontard, il faut décrire la réalité, parce qu’à force de proférer des contre-vérités vous nourrissez tous les populismes ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Vincent Delahaye. Absolument !

M. Marc Fesneau, ministre. C’est exactement ce que vous êtes en train de faire et c’est précisément ce que je ne veux pas.

Je ne souhaite pas que l’on revienne sur la présence du loup : il doit rester sur notre territoire, mais dans des conditions acceptables pour tous. La démagogie que vous dénoncez, monsieur le sénateur, n’est donc pas de mon côté !

La problématique de l’élevage ne se résume pas à la présence lupine, mais quand une pression excessive du loup s’ajoute, dans certaines zones, à des contraintes importantes, en raison notamment du changement climatique…

M. Guillaume Gontard. On supprime le loup alors ?

M. Marc Fesneau, ministre. Je n’ai jamais dit cela, et vous le savez très bien ! Relisez mes discours. De grâce, pour une fois, arrêtez la caricature ! Cela fera le plus grand bien au débat public.

Nous devons faire évoluer le statut de l’espèce, parce que cela changera les choses.

M. Marc Fesneau, ministre. Cela ne signifie pas que l’on compte éradiquer le loup, monsieur Gontard, mais que l’on tient compte de la réalité ! (M. Guillaume Gontard proteste vivement.) Laissez-moi finir, je ne vous ai pas interrompu !

Dans certains territoires, la pression lupine est telle que l’élevage ne peut pas se maintenir,…

M. Marc Fesneau, ministre. … que les éleveurs – on le sait très bien – ne s’installent plus, que la friche progresse. Quand des incendies se déclareront, monsieur Gontard, qu’aurez-vous gagné en termes de biodiversité ? Rien ! (Mme Dominique Estrosi Sassone acquiesce.) Tout cela parce que vous n’aurez pas été capable, et que nous n’aurons pas été capables ensemble, de changer d’attitude.

Changez de posture, monsieur le sénateur ! Si nous parvenons à travailler ensemble sur ces questions et à faire évoluer notre regard, nous pourrons avancer sur d’autres sujets relatifs à la biodiversité. À force de polariser l’attention sur le loup, on ne peut plus débattre de rien…

M. Guillaume Gontard. Tout à fait !

M. Marc Fesneau, ministre. Or nous devons pouvoir parler du reste, et pas seulement des traités de libre-échange.

Je vous rappelle à cet égard que les accords dont vous parlez n’existent pas aujourd’hui. (M. Guillaume Gontard manifeste sa désapprobation.) Le traité avec le Mercosur n’existe pas, monsieur Gontard ! Ces accords ne peuvent donc pas être la cause des problèmes que nous connaissons aujourd’hui, même si nous devons être vigilants pour la suite. Un peu de lucidité, monsieur le sénateur ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les éleveurs d’animaux victimes de prédations vivent un enfer. Il faudrait aussi de parler des éleveurs qui sont victimes d’attaques et qui ne sont pas reconnus comme tels. Tout cela freine l’installation des jeunes éleveurs dans de nombreux territoires, notamment dans les zones de montagne.

Les préjudices causés par les attaques de loups sont directs, mais aussi indirects : stress des troupeaux, avortements des animaux, problème de la gestion des cadavres, etc.

Aujourd’hui, le statut juridique de protection du loup empêche de mener une véritable politique d’élevage.

Il est par ailleurs indispensable de reconnaître aux patous un véritable statut. La multiplication de ces chiens est à l’origine de nombreux conflits entre éleveurs et randonneurs ; elle crée aussi une multitude de problèmes aux élus locaux, qui sont de plus en plus souvent interpellés par leurs administrés ou des touristes au sujet de la présence de ces chiens qui, pour les observateurs non avertis, ressemblent beaucoup à des loups.

Quant à la méthode de comptage, déjà évoquée, elle demeure discutable.

Il est donc urgent d’avancer sur cette question. Il y va de l’avenir de l’élevage et, donc, de notre souveraineté alimentaire, qui nous est chère à toutes et tous dans cet hémicycle, et de l’aménagement du territoire. Nous savons que la baisse du pastoralisme rime souvent avec la fermeture des territoires et, donc, la prochaine apparition de vrais problèmes en matière de biodiversité. (Mme Dominique Estrosi Sassone opine.)

Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à autoriser la saisine directe des louvetiers par les éleveurs pour procéder à des tirs de défense, à faire en sorte que l’État prenne à sa charge le coût du ramassage des cadavres, et à élaborer un statut du chien de protection ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Frédérique Espagnac applaudit également.)