PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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« Pouvoir de vivre » : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ?

Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : «“Pouvoir de vivre” : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que le groupe auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est dans la grande œuvre d’Edgar Morin intitulée La méthode que l’on trouve, dans la partie consacrée à l’éthique, le propos suivant : « À force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. »

Par cette pensée, qui procède d’une longue observation de la vie des hommes sur près d’un siècle et d’une action politique personnelle marquée notamment par la résistance à l’oppression nazie, le grand humaniste pose la question du rapport entre l’urgence et l’essentiel du point de vue de l’homme et de son rapport au monde.

Sur le plan individuel, pour de très nombreux enfants, pour leurs parents, quand ils sont encore là, pour de plus en plus de personnes âgées, l’urgence se vit au quotidien, dans l’accès à la nourriture et au logement. Leur dignité même en est affectée, au-delà de leurs conditions de vie ou de survie humainement inacceptables. C’est un scandale absolu !

Sur le plan collectif, les problématiques liées au climat, à l’environnement et à la biodiversité affectent, on le sait scientifiquement, les conditions de « vivabilité » sur terre.

Les modèles économiques et culturels sont ou doivent être analysés en conséquence.

Des politiques publiques adaptées à ces enjeux collectifs doivent en résulter. Ces politiques doivent être évaluées au regard des réponses qu’elles apportent et des progrès qu’elles permettent dans les trajectoires de vie concernées.

La planification écologique et énergétique doit permettre leur mise en œuvre de manière efficiente. Elle doit bénéficier à l’ensemble des citoyennes et des citoyens de la Nation.

L’essentiel dont parle Edgar Morin est sans doute là, mais on ne peut pas - en tout cas, je le crois - opposer l’urgence à l’essentiel. Morin ne le fait pas, d’ailleurs.

Il nous faut donc conjuguer, prendre en compte ce qui relève de l’urgence individuelle du quotidien et ce qui procède de l’essentiel pour notre avenir collectif.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vous propose donc, au seuil de cette nouvelle année, de débattre de la question suivante : «“Pouvoir de vivre” : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? »

Je voudrais, en quelques minutes, évoquer les différents thèmes de politique publique qui peuvent être abordés pour répondre à cette question fondamentale.

Fondamentale, parce que la question sociale doit demeurer au fondement du pacte républicain. C’est une nécessité absolue, car il y va, je le crois, de l’avenir de notre démocratie et du sens que nous devons donner à la République.

Dans les faits, la question sociale est-elle toujours au fondement du pacte républicain vécu par l’ensemble des citoyennes et des citoyens de notre Nation ? Je ne le crois pas, hélas ! Pas pour tout le monde ! C’est un point crucial et urgent qui doit être pris en compte dans la transition écologique, qui est largement devant nous.

Nous devons partit du postulat suivant - une conviction que, je l’espère, nous partagerons tous - : il n’y aura pas de transition écologique réussie sans la participation et la prise en compte de l’ensemble des citoyennes et des citoyens français, sans une amélioration effective et suffisante de la condition sociale de ceux qui sont aujourd’hui dans une grande difficulté ou dans la souffrance.

J’espère - et je n’en doute pas - que l’expression des groupes du Sénat permettra de nourrir le débat relatif à l’amélioration des politiques publiques nécessaires pour accéder à une alimentation saine et équilibrée, au logement, à la vêture et aux biens matériels indispensables à une vie normale, à l’éducation et à la culture, aux transports et aux déplacements, à l’autonomie personnelle, ainsi qu’à la relation sociale et à la participation à la vie collective.

Au préalable, je voudrais saluer et remercier l’ensemble des organisations syndicales, des associations et des organisations non gouvernementales (ONG) qui se sont regroupées dans le cadre de l’initiative dite du « pouvoir de vivre ».

Les quatre axes majeurs du Pacte du pouvoir de vivre qu’ils proposent consistent à « donner à chacun le pouvoir de vivre dans un cadre commun permettant de protéger notre avenir et celui des générations futures », à « remettre l’exigence de justice sociale au cœur de l’économie », à « préparer notre avenir en cessant de faire du court terme l’alpha et l’oméga de nos politiques publiques », et, enfin, à « partager le pouvoir pour que chacun puisse prendre sa part dans la transformation de nos vies ».

En adoptant un point de vue plus macroéconomique, il est aussi nécessaire d’identifier les mesures budgétaires qui ont à la fois des effets climatiques et sociaux.

L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) a pour cela évalué l’impact socioéconomique du budget. Cinq dimensions d’impact social ont ainsi été mises en évidence : les inégalités de revenus, la pauvreté, l’emploi, la santé et l’accès aux besoins et services fondamentaux que sont l’énergie, une eau propre, la nourriture et les infrastructures.

Dans le cadre de l’introduction de notre débat de ce soir, je voudrais en quelques mots souligner la problématique de la valorisation du carbone.

Les tentatives de mise en place passées - qui ont été autant d’échecs - mettent en effet en évidence la difficulté qu’il y a à concilier des objectifs écologiques, économiques, sociaux et politiques dans la justice sociale.

Ces difficultés non encore surmontées à ce jour expliquent en grande partie les échecs répétés de la fiscalité du carbone en France, pour ne prendre que cet exemple.

L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) dégage de cette analyse trois enjeux prioritaires pour fonder une politique de conciliation : d’abord, traiter de l’évolution globale des finances publiques ; ensuite, négocier un système d’accompagnement transitoire des ménages et des entreprises les plus vulnérables à court terme ; enfin, inscrire l’ensemble de ces réflexions au sein de discussions collectives qui associent l’ensemble des parties prenantes à la coconstruction d’un contrat social de transition écologique.

Tout ou presque reste à faire à cet égard ! Le grand débat national, la Convention citoyenne pour le climat, le Conseil national de la refondation ont été des contre-exemples de ce qu’il est nécessaire de faire pour mobiliser nos concitoyens.

En tout état de cause, le désintérêt croissant des Français à l’égard des élections et la dégradation de la confiance dans les institutions de la République et du respect qui leur est dû doivent nous interroger aussi sur le bien commun et notre capacité à faire ou à refaire société.

L’économie qui va progressivement apparaître dans le cadre de la transition écologique devra aussi intégrer une exigence de solidarité et de justice sociale.

Transition écologique et justice sociale ne relèvent pas de registres séparés ; elles doivent être conciliées pour construire un avenir national partagé. Comme doivent être conciliés « l’urgent » et « l’essentiel » chers à Edgar Morin.

En définitive, l’heure est à la construction d’un nouveau pacte politique, social et écologique. Un pacte pour tous et pour la planète, dans la dignité de tous et le respect de chacun. Un pacte qui nous engage tous et qui redonne sens à la République.

Vos interventions, mes chers collègues, permettront, je l’espère, à M. le ministre de nous expliquer comment le nouveau gouvernement entend prendre en compte ces exigences et ces urgences qui détermineront le dynamisme et la prospérité de notre pays dans le cadre des transitions multiples en cours. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comment vous remercier, monsieur Montaugé, de me permettre de passer cette soirée avec vous pour débattre sur ce thème : « Quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? » ? (Exclamations amusées.)

Je vous répondrai, d’abord, à travers le propos que je vais tenir devant vous, puis à travers les questions que vous aurez tout loisir de me poser par la suite.

Je ferai, pour commencer, deux remarques liminaires.

Premièrement, je veux souligner l’importance de ce sujet. De la même manière que l’on mesure la solidité d’une chaîne à celle de son maillon le plus fragile, on est forcément attentif, dès lors que l’on est un tant soit peu attaché à notre République et à sa cohésion, à ce que les politiques de transition aussi lourdes que l’on mène permettent aux plus fragiles de ne pas se sentir écartés sur le bord du chemin.

Deuxièmement, même si la transition écologique peut apparaître comme un « choc », pour reprendre un mot de l’intitulé de notre débat de ce soir, un autre choc se ferait sentir encore plus fortement sur notre cohésion et sur nos politiques de solidarité : celui de l’inaction climatique.

Nous discutons des coûts, nous discutons des modalités, nous discutons de la façon dont il faut conduire ces politiques, mais il y a une constante : ne pas agir nous coûterait beaucoup plus cher que d’investir dans cette transition.

Depuis près de vingt ans, avec une grande constance, les rapports pointent ce que seraient les conséquences à la fois pour les individus et pour notre société d’une absence de politique climatique : selon le rapport Stern de 2006, entre 5 % et 20 % du PIB.

Les derniers scénarios de l’Ademe, publiés en décembre, se situent dans cette fourchette : différer un certain nombre de ces politiques en considérant qu’il n’y a pas d’urgence nous coûterait, estime-t-elle, sept points de PIB annuel d’ici à la fin du siècle. C’est absolument considérable.

L’inaction climatique, ce serait l’appauvrissement de notre pays et de tous les Français. Je n’ai donc pas peur de dire que la transition écologique est en elle-même une politique sociale en ce qu’elle vise à préserver notre prospérité et nos modes de vie dans un monde qui change, sans que nous puissions arrêter ce changement.

Évidemment, j’entends parfaitement, à la place qui est la mienne, les critiques, les interrogations qui se font jour sur les politiques que nous menons pour accélérer cette transition ; de même, j’entends les débats sur la fin du monde et la fin du mois. Pour tout vous dire, comme nombre d’entre vous dans cet hémicycle, où que vous siégiez, cette question est au cœur de mon engagement politique.

Je comprends les inquiétudes légitimes des sénateurs qui ont provoqué ce débat qui nous réunit ce soir. En répondant à ces questions, je vous invite à bien mesurer que, faute de trouver des réponses qui permettent de conduire cette politique de transition à la fois au bon rythme et d’une façon suffisamment ambitieuse et solidaire, nous alimenterions un populisme qui a deux facettes, les uns expliquant que ne pas faire tout, tout de suite, revient à ne rien faire, les autres prétendant qu’on irait toujours trop vite, ce qui, à la fin, ne ferait qu’« emmerder » les Français.

Au cours de ces derniers mois, auprès des personnes ayant subi les inondations dans le Pas-de-Calais ou de celles qui ont été victimes des écoulements d’eau dans la vallée de la Vésubie, ou au cours de ces dernières heures, dans les contacts que j’ai eus – notamment avec le préfet de l’île - avec ceux qui ont été confrontés au cyclone que vient de connaître La Réunion, j’ai pu mesurer que c’est bien notre inaction qui pourrait, à terme, provoquer bien plus de réactions et d’« emmerdements » que les réponses que nous tentons d’apporter, au bon rythme et de manière adaptée.

Et parce que je refuse qu’elle serve de carburant aux extrêmes, je suis persuadé que l’écologie peut être à la fois bonne pour la planète et bonne pour le pouvoir d’achat, bonne pour la planète et bonne pour notre souveraineté industrielle. Je suis convaincu qu’écologie doit rimer avec économie, loin de toute forme d’hypocrisie, que la réindustrialisation permet à la fois de créer de la richesse, donc des emplois mieux rémunérés, et des dispositifs de solidarité.

Il faut en finir avec ce modèle d’une mondialisation débridée qui détruit une partie de notre tissu industriel, de nos emplois, aggrave notre bilan carbone et notre dépendance à des modes de production basés sur le charbon, à l’autre bout du monde, alors même que nous nous efforçons de décarboner notre mix énergétique.

Les exemples sont multiples et, au travers des questions que vous me poserez, vous aurez sans doute l’occasion de zoomer sur tel ou tel aspect propre à la réalité de vos territoires ou sur des faits qui vous ont été rapportés par nos concitoyens.

Je ne me lancerai pas dans une revue de détail consistant à balayer l’ensemble des champs ; je me contenterai de citer trois exemples.

Premier exemple, celui de la mobilité, dont nous savons l’importance dans notre pays, d’autant plus si l’on est attaché à la ruralité, à ces espaces peu denses où elle prend une acuité particulière.

Certes, il y a ceux qui pensent que la voiture serait, par nature, l’ennemi de la transition écologique, mais nous pouvons trouver des modes de déplacement qui permettent de préserver la liberté individuelle là où des transports en commun ne seraient ni pertinents ni efficaces au regard des densités de population.

C’est bien le souci de prendre en compte cette dimension sociale et d’accompagner les plus fragiles qui nous a conduits à mettre en place cette mesure permettant d’acquérir en leasing une voiture électrique. Ainsi, pour 100 euros par mois, c’est-à-dire le montant d’un plein, il sera possible de disposer d’un tel véhicule, ce qui permettra de répondre en partie aux impératifs d’une transition écologique solidaire. Je me félicite d’ailleurs du succès de ce dispositif – les réservations ne cessent de se multiplier –, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir dans les prochains jours.

Ensuite, j’évoquerai le logement, qui représente la première dépense des ménages.

Même si elle fait parfois l’objet de débats, qu’il s’agisse du calendrier fixé ou des contraintes retenues, la politique menée dans ce domaine ne doit pas nous faire oublier cette réalité : si nous luttons contre les passoires énergétiques, c’est d’abord pour rendre du pouvoir d’achat à ceux qui, parce qu’ils vivent dans des biens mal isolés, se retrouvent avec des factures dont le montant dépasse de très loin celui qu’ils acquitteraient si leur habitation avait fait l’objet de suivi et de travaux.

Quand deux logements ont deux classes d’écart au titre du diagnostic de performance énergétique (DPE), la facture énergétique varie du simple au double à la fin du mois. L’enjeu de cette politique n’est donc en aucun cas de contrarier les propriétaires, mais de résorber la facture énergétique acquittée des ménages et la facture climatique payée par notre pays.

En réduisant les consommations ou en soutenant la réindustrialisation, notre but est in fine de recréer, dans notre pays, des opportunités et des emplois. Et, dans ce domaine, je ne crains pas les comparaisons avec nos voisins : les politiques de transition écologique dans lesquelles nous sommes engagés se déploient non seulement à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle européenne. Elles sont encore parfois un peu timides, mais, à l’échelle mondiale, l’Europe a pris un train d’avance dans ce domaine, même si nous devons encore trouver le bon rythme.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la politique d’adaptation au changement climatique, à laquelle on pense souvent moins qu’aux politiques d’atténuation, est précisément à la croisée de chemins entre, d’une part, la préservation de nos paysages, de nos identités et de nos modes de vie et, de l’autre, le soutien à nos concitoyens les plus fragiles, envers qui nous avons un devoir de solidarité.

En ce sens, adapter notre pays à la perspective d’une France à +4 degrés, c’est d’abord se préoccuper de ceux qui seront les plus exposés si nous ne le faisons pas.

J’aurai certainement l’occasion de développer ces différents sujets au cours du débat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le ministre, nous sommes confrontés chaque année à des crises écologiques de plus en plus graves.

La France est l’un des dix États les plus exposés aux risques climatiques et ces événements ont des effets négatifs sur notre santé.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a ainsi identifié les principaux risques sanitaires que le changement climatique est susceptible de renforcer, qu’il s’agisse de la santé professionnelle, des maladies infectieuses, de la qualité de l’air, à laquelle de nombreux problèmes sont liés, ou de la santé mentale.

Les facteurs de risques environnementaux contribuent à la survenue d’au moins une centaine de pathologies et traumatismes, et ce sont les plus défavorisés qui supportent la plus forte charge de morbidité liée à l’environnement.

À titre d’exemple, la pollution atmosphérique affecte en priorité les personnes vivant dans des immeubles en bordure d’axes routiers très fréquentés et dans des zones industrielles, ou ceux qui vivent à proximité de sites et de sols pollués. Il s’agit bien sûr de nos concitoyens les plus défavorisés.

De plus, selon Unicef France, « les enfants pauvres sont généralement plus vulnérables à la pollution de l’air, parce qu’ils sont soumis au cours de leur vie à davantage d’expositions néfastes ».

Les défis environnementaux sont donc également des défis sociaux, qui touchent en priorité nos concitoyens les plus vulnérables et accroissent les inégalités.

Quelles politiques comptez-vous mettre en œuvre pour assurer la soutenabilité de notre système de santé face à l’aggravation des conséquences sanitaires liées au changement climatique ? Comment allez-vous préserver notre pacte social, qui doit garantir le droit à la santé pour tous ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice – corrigez-moi si je me trompe : c’est également le médecin qui m’interroge sur ces sujets –, vous en conviendrez : il est difficile de répondre en deux minutes à des questions si vastes.

Créé en 2009, le groupe santé-environnement (GSE), qui associe les parlementaires, a précisément ce rôle : éviter autant que possible de scinder les différents sujets que vous évoquez. À l’inverse, il entend souligner les convergences qui existent entre eux et qui sont au cœur de nos réflexions.

J’ai le souvenir de plusieurs débats menés dans cet hémicycle, y compris sur les zones à faibles émissions (ZFE), au cours desquels je me suis efforcé de rappeler que le Gouvernement menait avant tout, non une politique environnementale, mais une politique de santé publique. J’ai ainsi pu insister sur les 40 000 décès liés à la mauvaise qualité de l’air, ainsi que sur les deux ans d’espérance de vie que perd en moyenne chaque Français à cause de ce phénomène, qui doit nous mobiliser.

C’est la même boussole qui nous a guidés dans l’élaboration du plan Eau.

À cause de la sécheresse, on a beaucoup parlé des problèmes de quantité d’eau, mais toute une partie du plan, présenté le 30 mars dernier, porte sur la qualité de cette ressource.

En effet, nos eaux ne sont de bonne qualité qu’à 44 % : moins il y aura d’eau, plus les risques de concentration des résidus augmenteront, avec de nombreux impacts sur la santé humaine. Voilà pourquoi nous devons accélérer notre transition en la tournant davantage vers les modèles agroécologiques : il y va tout simplement de la préservation de la santé et de notre équilibre démographique.

De même, il y a quelques semaines à Nairobi, nous nous sommes battus pour obtenir un traité sur l’élimination des plastiques. À son insu, chacun d’entre nous en ingère de grandes quantités, et pour cause : on en trouve partout. Ces nanoparticules, liées à l’émiettement d’un certain nombre d’emballages, notamment les sacs, finissent par coloniser la faune, la flore et nos propres organismes, ce qui n’est pas sans conséquence sur notre santé.

Nous sommes bel et bien au cœur des problématiques que vous évoquez. Il n’y a pas, d’un côté, une politique environnementale qui ne se préoccuperait pas de la santé et, de l’autre, une politique de santé qui ne se préoccuperait pas des questions d’environnement.

Les liens entre ces politiques, nous continuons de les renforcer. D’ailleurs, dès ce matin, j’ai commencé à échanger sur ces sujets avec ma collègue Catherine Vautrin.

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour la réplique.

Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le ministre, il existe évidemment un lien très étroit entre santé et environnement. À ce titre, le concept One Health a été développé il y a longtemps déjà.

Il existe bien les plans nationaux santé environnement (PNSE), mais je regrette que l’on poursuive souvent des politiques en silos. Chaque ministère suit sa propre feuille de route,…

M. le président. Il faut conclure.

Mme Émilienne Poumirol. … mais il n’échange pas suffisamment avec les autres.

M. le président. La parole est à Mme Else Joseph.

Mme Else Joseph. Depuis plusieurs années, la transition écologique n’a cessé d’être mise en avant par les pouvoirs publics. Elle a été déclinée dans différents textes et dispositifs et plus personne ne conteste aujourd’hui sa nécessité, mais son efficacité dépend de la mise en œuvre concrète d’un certain nombre d’initiatives.

Monsieur le ministre, ma question porte plus précisément sur la rénovation des logements.

Tout d’abord, comment faire en sorte que nos concitoyens s’y retrouvent dans ce maquis d’aides et de dispositifs ? Ils ont besoin de la clarté ; or, pour l’heure, nous sommes face à un empilement illisible, fruit des annonces des gouvernements successifs, et l’accompagnement reste, lui, défaillant.

Un journal à grand tirage reconnaissait la semaine dernière que le réseau d’accompagnateurs agréés, Mon Accompagnateur Rénov’, ne permettait pas un suivi suffisant des chantiers : il se limite en effet à un appui administratif. Il n’y a pas de maître d’œuvre, alors que les travaux doivent être planifiés et supervisés.

Ensuite, on déplore un déficit de main-d’œuvre. Les artisans locaux ont du mal à recruter. Ils sont confrontés à la concurrence d’opérateurs malveillants et peu scrupuleux. Où sont les contrôles de nos services quand on constate des offres aussi malhonnêtes qu’alléchantes ?

Enfin, les nouveaux dispositifs proposés soulèvent des difficultés.

Telle qu’elle a été conçue pour 2024, MaPrimeRénov’ est trop restrictive : cette aide ne couvre pas tous les logements, ce qui conduira, pour certains ménages, à un reste à charge excessif. Elle impose aussi comme condition préalable un système de chauffage décarboné et la mixité énergétique est exclue. Pourtant, en prévision du développement du biogaz, il eût été logique de ne pas exclure les chaudières à gaz. Ce sont donc les ménages aux revenus les plus modestes qui sont écartés.

Comment toucher tous les territoires sans créer de disparités dans notre République, déjà si fracturée ? Comment aider nos communes à rénover leurs bâtiments ?

Dans le département dont je suis l’élue, avec le plan « Une nouvelle ambition pour les Ardennes », qui fait suite au pacte Ardennes, la région a pris les devants en décidant d’aider les communes et de former les habitants à la sobriété énergétique. Or de telles démarches font cruellement défaut à l’échelle nationale ; c’est une des raisons pour lesquelles la transition écologique peine à devenir à la fois populaire et concrète.

Monsieur le ministre, nous avons besoin d’une écologie de solutions et non de punitions. Je vous remercie par avance de votre réponse.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Joseph, étant donné le thème de ce débat, je ne m’attarderai pas sur le cas des collectivités territoriales. Je rappelle toutefois que les crédits du fonds vert, comme les aides complémentaires annoncées en faveur des écoles, visent précisément à les accompagner. S’y ajoute le tiers-financement, qui devrait connaître un décollage cette année. On observe à ce titre de premières initiatives prises par Action Logement, par la métropole d’Orléans et par d’autres acteurs encore, pour mettre en œuvre ce dispositif permettant de lancer des chantiers sans avancer d’argent.

Pour ce qui concerne MaPrimeRénov’, quand on regarde d’où l’on vient, on mesure le succès remporté d’un point de vue quantitatif comme d’un point de vue social.

En 2017, c’était un crédit d’impôt dont les deux tiers étaient orientés vers les plus riches ; aujourd’hui, les deux tiers des sommes mobilisées sont orientés vers les plus pauvres, même si nous sommes face à un sujet que je ne méconnais pas, à savoir celui du reste à charge. Toujours est-il que MaPrimeRénov’ permet d’assurer 700 000 rénovations par an : c’est colossal.

On constate parfois des difficultés en matière de suivi ou l’embolisation de certains processus. Nous avons donc une double ambition en simplifiant l’attribution de cette aide : la rendre plus efficace et plus performante.

Au 1er janvier dernier, nous avons agi en ce sens, notamment en encourageant certains monogestes qui peuvent être utiles pour obtenir des résultats rapides à des coûts plus faibles. Ces dispositions doivent également favoriser des rénovations plus globales, permettant d’aller plus loin.

En parallèle, il faut créer un dispositif d’accompagnement, de suivi et de contrôle. Comment ? En décentralisant. (Mme Else Joseph acquiesce.)

Je vous livre en toute franchise le fond de ma pensée : je souhaite que le projet de loi de décentralisation de la politique du logement permette de traiter la question de la rénovation énergétique, comme nous avons traité celle de la délégation des aides à la pierre.

Il ne s’agit en aucun cas d’obliger les territoires à exercer cette compétence. En matière de construction, nous avons dit aux acteurs territoriaux qui le souhaitaient : vous avez un objectif national et, en face, des budgets permettant de l’atteindre. Ce faisant, nous avons totalement transformé les choses. Or, dans le domaine de la rénovation énergétique, qui mieux qu’un maire ou un président de région pourra, demain, repérer celui qui n’est pas un margoulin ? Qui pourra mieux contrôler, vérifier, poursuivre le cas échéant et faire la promotion des dispositifs en vigueur ?

Je ne le dis pas parce que je suis au Sénat et parce que Gérard Larcher l’a rappelé ce soir même dans son discours de vœux, mais parce que j’en suis convaincu : c’est la solution si l’on veut accélérer.