M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Ludovic Haye. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis une dizaine d’années, nous assistons dans notre pays à la création de nombreuses PME et start-up spécialisées dans la défense.

La BITD française regroupe aujourd’hui près de 2 000 entreprises, qui réalisent un chiffre d’affaires total de 30 milliards d’euros. Ces fleurons de la défense nationale occupent déjà une place majeure dans le processus de fabrication de nos armes et la création de l’AID, placée sous le contrôle de la DGA, n’y est pas étrangère.

Reconnues notamment pour leur qualité, ces pépites technologiques françaises suscitent déjà un fort intérêt chez les investisseurs étrangers. Certaines d’entre elles rencontrent toutefois des difficultés de financement qui entravent leur développement, malgré l’intervention de l’État pour assurer leur sécurité financière, via des contrats avec l’armée française. Preligens a ainsi signé un contrat de 240 millions d’euros sur sept ans avec la direction générale de l’armement.

Des sociétés comme Latecoere, Photonis, Aubert & Duval, Exxelia ou encore Segault sont déjà passées sous pavillon étranger, ce qui illustre les fragilités de notre pays en matière de financement et de protection des entreprises.

C’est la raison pour laquelle, lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, le Parlement a souhaité pallier cette anomalie en créant un « livret d’épargne souveraineté ». Les versements sur ce nouveau livret d’épargne réglementé devaient être affectés à l’acquisition de titres financiers contribuant au financement de l’industrie française, notamment des entreprises les plus fragiles.

Bien que de petite taille en comparaison d’autres secteurs industriels, les industries de défense françaises concentrent néanmoins un savoir-faire et un faire-savoir uniques, dont notre pays tire une grande partie de sa puissance militaire.

Cette filière d’excellence, non délocalisable, assure à la France une parfaite maîtrise de nombreuses technologies de pointe et se révèle cruciale pour garantir notre dissuasion nucléaire.

Voilà quelques mois, la chambre haute approuvait la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, non sans alerter sur la nécessité de soutenir les entreprises de la base industrielle et technologique de défense.

Le ministre des armées, M. Sébastien Lecornu, avait notamment parlé de la nécessité de donner de la visibilité à notre BITD, de la protéger et de la promouvoir. Il avait également exprimé son soutien aux dispositions proposées par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat pour développer des mécanismes visant à mieux financer ces entreprises, en particulier les PME.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit parfaitement dans ce contexte : elle prévoit, à l’article 1er, de flécher une partie des encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire. L’article 2, quant à lui, porte sur une demande de rapport d’évaluation.

Mes chers collègues, comme vous le savez, le Sénat avait déjà adopté ce type de disposition, une première fois dans le cadre de la loi de programmation militaire, puis une seconde fois dans le cadre de la loi de finances pour 2024.

Grâce aux alertes constructives et régulières de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le sujet avait été introduit dans la LPM, et le Gouvernement avait ensuite repris la disposition dans la loi de finances pour 2024.

L’objectif de cette proposition de loi est clair : apporter une première réponse aux difficultés de financement des entreprises de l’industrie de défense française. Celles-ci sont en effet confrontées à des problèmes de financement qui sont le plus souvent communs à l’ensemble des petites entreprises, tous secteurs économiques confondus, et non pas propres au secteur de la défense.

Les besoins de financement des entreprises de la BITD sont nombreux. Permettez-moi de revenir sur les trois principaux.

Le premier – le plus important à mon sens, M. le rapporteur l’a rappelé – concerne les fonds propres, dont la faiblesse constitue une difficulté loin d’être réglée, qui affecte les entreprises de la BITD de manière très hétérogène. Force est de constater que le capital-investissement est aujourd’hui quasi inexistant dans le secteur de la défense en France et en Europe.

Le second besoin en découle : il s’agit de l’accès au crédit et au financement bancaire, point essentiel pour la trésorerie, la gestion des stocks et la modernisation des processus des entreprises.

À cet égard, alors qu’on observait jusqu’alors une certaine frilosité des banques, la guerre en Ukraine a permis un changement de paradigme. Il n’en demeure pas moins que la fragilité, ou la robustesse, financière de l’entreprise demandeuse reste un critère essentiel dans l’octroi de crédits. Autre critère, plus ou moins assumé : l’image que peut renvoyer le monde de la guerre et de l’armement, même si, dans ce domaine également, les choses s’améliorent.

Des efforts ont notamment été entrepris ces deux dernières années pour rapprocher l’industrie de la défense du monde bancaire. Les industriels ont souligné le rôle majeur joué par le réseau des référents défense au sein des grandes banques, en lien avec la DGA. Dans le même temps, certaines banques ont assoupli leur doctrine d’intervention dans le secteur de la défense.

Le troisième besoin, enfin, est l’accompagnement à l’export. Plusieurs outils ont été mis en place par la puissance publique pour accompagner les entreprises, par l’intermédiaire de garanties et d’assurances. Ces dispositifs sont gérés, au nom et pour le compte de l’État, par Bpifrance Assurance Export. S’ils sont ouverts à l’ensemble des entreprises, ils bénéficient plus particulièrement à celles de la défense.

Plus que jamais, la menace protéiforme internationale nous renforce, si cela était encore nécessaire, dans notre conviction qu’il faut soutenir concrètement notre industrie de défense.

Ce message n’a pas été seulement entendu par le Gouvernement. Il a heureusement été anticipé dès 2017, puisque nous aurons, au terme des deux mandats du Président de la République, plus que doublé le budget de la défense française.

L’industrie française de défense est bien placée pour contribuer au réarmement et au renforcement de la souveraineté européenne. Il est impératif de bien prendre conscience et de faire comprendre qu’une BITD forte assure à nos armées, en toute indépendance, la capacité de défendre nos intérêts partout où la France se doit d’intervenir.

Mes chers collègues, la France et l’Union européenne ont plus que jamais besoin d’une industrie de défense forte et performante. L’orateur Cicéron disait en son temps : « Quand les armes parlent, les lois se taisent. » Il nous incombe de faire en sorte que les lois parlent, afin d’en disposer : elles sont les garantes de notre sécurité et de notre liberté.

Vous l’aurez compris, le groupe RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi quau banc des commissions. – MM. Olivier Cigolotti et Philippe Folliot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour l’examen d’un texte visant à mobiliser une partie des ressources financières du livret A et du livret de développement durable et solidaire afin de soutenir les petites et moyennes entreprises du secteur de la défense.

Cette proposition soulève des enjeux majeurs qui touchent à la fois à nos priorités nationales et à nos valeurs démocratiques. Dans un monde multipolaire marqué par des tensions géopolitiques permanentes, la France, comme l’ensemble de ses voisins, se trouve confrontée à des défis sécuritaires de taille.

La guerre est de retour, en Europe comme au Moyen-Orient, et menace la souveraineté des nations. Ces troubles ont mis en lumière la nécessité impérieuse, pour notre pays, de renforcer ses capacités de défense.

Dans ce contexte, il est regrettable que notre industrie ne soit pas en mesure de répondre à la demande croissante d’équipements militaires. En dépit des nombreuses revendications quant à la supériorité de notre armée en Europe, notre effort de défense restera limité à 1,9 % du PIB en 2024, soit moins que l’objectif établi par l’Otan.

Je tiens à rappeler qu’en comparaison avec les pays européens, la France a réduit au minimum, ces dernières années, sa capacité à réagir souverainement aux conflits internationaux. Si la fin des dividendes de la paix nous presse d’agir pour garantir la sécurité de notre pays, elle ne doit pas faire oublier que cette situation est le résultat de choix politiques antérieurs.

Malgré la nécessité de ce réarmement, je m’interroge sur la pertinence du véhicule retenu pour le financer, tant ce dernier soulève des préoccupations légitimes.

Si je me réfère aux déclarations du ministre de l’économie, je note que le Gouvernement ne partage pas complètement les visées de ce texte. Sur les ondes d’une grande radio nationale, Bruno Le Maire est même allé jusqu’à déclarer : « Ce n’est pas mon choix. On peut trouver d’autres façons de financer l’effort de défense, qui est indispensable. Le livret A, pour moi, c’est le logement social. »

Une fois n’est pas coutume, je partage son point de vue. Modifier les objectifs originels du livret A sans mener au préalable un véritable débat démocratique détournerait cet outil de ses enjeux prioritaires. Cela risquerait, une fois de plus, d’abîmer la confiance des Français envers leurs représentants.

Le passage en économie de guerre, comme le revendiquent les auteurs de ce texte, est confiné au rang de mots dont on peine à comprendre les tenants et aboutissants concrets. Une telle mobilisation économique doit revêtir une certaine onction démocratique, tant elle redéfinirait les priorités nationales pour les mois et les années à venir.

Or notre pays vit une crise du logement qui ne cesse de s’aggraver : on dénombre aujourd’hui près de 4 millions de personnes mal logées et 330 000 personnes sans domicile. Dans le même temps, la France est condamnée pour inaction climatique et le Gouvernement rabote le budget dédié à l’écologie de 2 milliards d’euros d’investissements, en raison de prévisions de croissance pour 2024 volontaristes et erronées.

S’il est impératif d’admettre que la sécurité et la défense de notre pays sont des priorités indéniables, celles-ci ne peuvent supplanter des urgences nationales, au risque de les aggraver.

Par ailleurs, je m’interroge sur l’efficacité d’un tel dispositif. L’enjeu, en effet, me semble tout autre. C’est, en substance, ce que nous dit la Fédération bancaire française, quand elle déclare que l’industrie de l’armement ne fait pas l’objet d’une stigmatisation particulière de la part des banques, mais que ses difficultés tiennent plus à la nature même des normes imposées au financement des activités de ces entreprises. On peine à comprendre en quoi agir sur le volume et le flux changera quoi que ce soit.

Enfin, je tiens à rappeler que les investissements des Français en faveur du secteur de la défense sont d’ores et déjà en hausse. Au travers de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, dont l’enveloppe globale est estimée à 400 milliards d’euros, le ministre des armées a en effet annoncé un doublement des dépenses d’ici à 2030.

L’effort de défense doit donc être porté par d’autres outils financiers. Face à cet état de fait, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a déposé, sur l’initiative de Rachid Temal, un amendement tendant à créer un livret d’épargne défense souveraineté. Ce dispositif plus volontariste est nettement plus démocratique. Les entreprises du secteur de la défense, souvent victimes de la frilosité des banques à les financer, seraient aussi bien plus aptes à lever des fonds.

Face à un sujet aussi sensible, notre conviction profonde est celle de la nécessité d’une approche équilibrée, réaliste, et respectueuse de nos principes fondateurs.

En conclusion, le groupe SER déterminera son vote à la lumière du sort qui sera réservé à ses amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Barros applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France fait partie des pays dont les taux d’épargne des ménages sont les plus élevés du monde.

Au troisième trimestre 2023, quelque 17,2 % du revenu disponible étaient ainsi épargnés. En affinant cette statistique, on constate que l’épargne réglementée des ménages atteint, sur la même période, un montant total de plus de 926 milliards d’euros.

Ces chiffres élevés sont une véritable spécificité française dont nous pouvons être fiers. Cela étant, si l’épargne des Français est l’une des plus importantes du monde, sa mobilité et sa performance posent question. Nos compatriotes plébiscitent majoritairement les placements prudents : épargne réglementée ou fonds en euros des contrats d’assurance vie.

S’il ne nous appartient pas, en tant que législateurs, de changer les comportements de nos compatriotes, nous pouvons néanmoins agir sur la mobilité de ce capital. Au-delà de l’aspect purement financier, l’épargne française est un atout qui peut et doit être mis au service de notre souveraineté. Certains grands gestionnaires d’actifs ne s’y trompent d’ailleurs pas en convoitant une manne financière qu’il leur tarde de faire vivre ailleurs.

Citons aussi ces pays qui ont constitué des fonds souverains, aujourd’hui opérationnels et offensifs : Russie, Chine, Arabie saoudite, Qatar et Norvège. Ces structures sont devenues de véritables instruments de puissance dont leur État d’origine n’hésite pas à faire usage.

Face à ces enjeux mondiaux, les pouvoirs publics, et plus particulièrement le législateur, doivent s’emparer du sujet. Nous devons faire de cette spécificité française un atout au service de nos petites et moyennes entreprises de l’industrie de défense.

Un constat est aujourd’hui sans appel : contrairement à nos fleurons industriels, le tissu de TPE, PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui composent aujourd’hui la base industrielle et technologique de défense française manque de fonds propres.

Nombreuses sont d’ailleurs ces entreprises, détentrices de savoir-faire uniques au monde, à faire de la sous-traitance pour de grands groupes. Améliorer leur capacité de financement représente non seulement un enjeu économique en termes d’emplois et de savoir-faire industriels, mais aussi un enjeu pour la souveraineté française.

Avec d’insuffisantes ressources propres, nos petites et moyennes entreprises de la défense sont plus que jamais exposées à des menaces de rachats hostiles ou de prises de participation étrangères, comme cela a été rappelé. Je pense par exemple à la pépite française Photonis, qui a longtemps été sous la menace d’un rachat par un groupe américain.

Certes, le dispositif de contrôle des investissements étrangers assure un tamis protecteur, mais il n’est pas automatique et a déjà été pris en défaut par le passé.

Très souvent, le blocage de Bercy pour les petites et moyennes entreprises est la conséquence indirecte de difficultés à croître au même rythme que la concurrence étrangère.

Face au retour de la guerre en Europe et aux nombreux périls ailleurs dans le monde, le développement de notre BITD est donc indispensable. Derrière ces enjeux économiques et financiers, il est en effet question de l’équipement de nos armées.

Depuis plusieurs décennies, la France a choisi une voie étroite, mais courageuse : celle de l’indépendance. Le prix à payer est de soutenir coûte que coûte notre BITD, afin de conserver les moyens d’une armée aux équipements et aux armements modernes. Si cela venait à faillir, nous serions obligés de faire comme nombre de nos voisins européens : acheter à l’étranger, au prix d’une perte d’indépendance et d’autonomie stratégique.

Ainsi se profile l’équation à laquelle nous devons sans cesse trouver de nouveaux moyens de répondre. La présente proposition de loi devrait y contribuer et, à ce titre, je me réjouis de l’initiative de notre collègue Pascal Allizard.

En Européenne convaincue mais vigilante, je souhaiterais également élargir le spectre de la réflexion. Avec le retour de la guerre à ses frontières, l’Union européenne avance ses arguments pour remettre en état une défense européenne.

Plusieurs dispositifs ont été lancés par la Commission en ce sens et les montants affectés s’envolent. L’European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act (Edirpa), par exemple, est déjà doté de 300 millions d’euros. De récentes déclarations font état, par ailleurs, d’une montée en gamme, à hauteur de 100 milliards d’euros, de la défense européenne. En complément du texte que nous examinons, c’est un soutien dont notre tissu de petites et moyennes entreprises pourrait profiter.

Les critères d’attribution de ces aides devront privilégier des entreprises 100 % européennes, un critère qu’il est difficile de discerner en raison du jeu des participations et des logiques conglomérales. De même, rien n’est encore dit sur d’éventuels critères de préférence communautaire dans les contrats de fourniture.

Saluons la volonté, mais restons prudents et fidèles à notre stratégie d’indépendance. Soyons pragmatiques et faisons bon usage également de nos différents instruments. En un mot, votons sans ambiguïté cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà une semaine, le Président de la République déclarait que l’envoi de troupes occidentales sur le sol ukrainien ne pouvait être exclu. Depuis, exégèses et polémiques se multiplient, en France et même au-delà de nos frontières.

Force est de constater que l’exécutif a atteint son objectif : l’ambiguïté stratégique bat son plein. Une telle ambiguïté peut être lourde de conséquences, bien sûr, mais n’oublions pas que c’est Poutine, et lui seul, qui est le responsable de la guerre d’agression en Ukraine.

Une chose est sûre : pour entretenir cette ambiguïté stratégique, mieux vaut avoir de solides arguments, des arguments suffisamment robustes pour faire douter les puissances, qui, à défaut d’être nos ennemis directs, sont les ennemis de nos alliés. C’est pourquoi nous sommes très nombreux, ici, à soutenir le réarmement du pays.

Nous l’avons récemment exprimé de façon univoque en votant, très largement, la loi de programmation militaire présentée par le Gouvernement. Avec plus de 400 milliards d’euros de dépenses prévues pour la période 2024-2030, l’effort est sans précédent. Je tiens, au nom du groupe Les Indépendants, de nouveau à le saluer.

Le contexte international nous oblige à cet effort. Alors qu’une nouvelle aide des États-Unis est bloquée par leur Congrès, les Européens prennent conscience du fait qu’ils pourraient bientôt être les seuls à soutenir, matériellement et moralement, l’Ukraine.

En ce jour de Super Tuesday outre-Atlantique, Trump est en passe d’être désigné candidat officiel des Républicains pour la présidentielle de novembre prochain, et il a déjà recommencé à faire de la géopolitique à coups de tweets expéditifs annonçant notamment la fin du soutien américain à l’Europe face à la Russie.

Les Européens se rappellent désormais que, pour maîtriser leur destin, il faut que leurs nations se réarment. À cet égard, il est urgent de marquer le coup.

Nous devons entrer en économie de guerre : la puissance publique doit intervenir dans le secteur économique pour indiquer les priorités stratégiques nécessaires au réarmement de la Nation. Notre commissaire européen, Thierry Breton, a déjà recouru à cette expression, dont il connaît parfaitement la portée.

L’économie de guerre, c’est aussi le titre utilisé par notre collègue député Christophe Plassard, dont je salue la présence en tribune, pour son rapport d’information publié il y a près d’un an. Ce rapport, parmi nombre de propositions d’action très concrètes, recommandait, notamment, de mobiliser l’épargne privée pour massifier les financements de l’industrie de la défense.

Depuis, l’idée a fait son chemin, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Elle a même été retenue par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2024. Néanmoins, elle n’a pas encore trouvé son véhicule législatif. En effet, à chaque fois qu’une disposition en ce sens a été adoptée dans un texte de loi, celle-ci a été censurée par le Conseil constitutionnel, au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.

C’est pourquoi je me réjouis que nous examinions enfin un véhicule législatif ad hoc, ce qui devrait permettre d’éviter que la mesure ne connaisse encore le même sort.

La mobilisation de l’épargne des Français doit devenir un outil de politique publique en phase avec nos objectifs stratégiques. C’est ce que le groupe Les Indépendants a déjà défendu à plusieurs reprises, et encore récemment avec l’adoption de ma proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises.

Cela est encore plus vrai depuis la crise sanitaire, la « surépargne covid » n’ayant pas disparu. Aujourd’hui, je le rappelle, les encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire avoisinent les 550 milliards d’euros. Au vu de notre endettement public, cette manne privée est considérable.

À titre personnel, il me semble que la création d’un livret spécifique dédié au financement des entreprises de la défense aurait le mérite de la clarté et de la transparence pour les épargnants citoyens. C’est la ligne que notre groupe avait défendue dans ses différentes propositions qui prévoyaient de mobiliser l’épargne privée vers d’autres objectifs.

Cependant, compte tenu de l’urgence de la situation, il me semble que la solution la plus efficace à court terme doit être privilégiée. C’est pourquoi la mobilisation d’une partie de l’enveloppe d’ores et déjà prévue pour le financement des entreprises nous paraît être, à ce stade, la mesure la plus pertinente.

Notre groupe accueille donc très favorablement cette proposition de loi. Je vous présenterai tout à l’heure deux amendements qui s’inscrivent dans la même logique et qui visent à accélérer le passage à une véritable économie de guerre. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canévet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste tient à souligner les différents paradoxes de la situation.

En effet, nous examinons ce texte alors que nous venons de voter une loi de programmation militaire pour la période 2024 à 2030, après une loi précédente qui avait déjà largement accru les moyens dédiés à la défense.

La situation internationale se caractérise par des conflits géopolitiques un peu partout autour de nous. Les questions de défense prennent donc une importance toute particulière. Au niveau de l’Union européenne, on assiste à une réelle prise de conscience de la nécessité d’améliorer les outils de défense. À cet égard, le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, est venu dire au Sénat combien l’Europe soutenait l’accroissement de l’effort des industries de défense dans les États membres, de façon à assurer une forme de dissuasion et à respecter nos engagements de fourniture d’armes.

Le paradoxe, c’est que nous sommes dans une période où les critères ESG prennent de plus en plus d’importance, dans le cadre plus global du développement durable. Quand on analyse la situation, on se rend compte que la prise en compte de ces critères empêche un certain nombre d’acteurs financiers d’accompagner comme ils le devraient, et comme c’est leur mission, les projets de développement dans le domaine de la base industrielle et technologique de défense.

Tel est le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui : comment trouver les outils adéquats pour assurer ce financement ? Je tiens à saluer la proposition de Pascal Allizard. D’autres l’ont dit avant moi, le recours aux livrets réglementés n’est sans doute pas la meilleure solution. Car il faut que nous puissions assurer également le financement d’autres secteurs, comme le logement social, même s’il est bien précisé que c’est sur la partie non concernée par celui-ci que se porterait l’effort d’orientation des crédits.

Nous devons tout de même trouver le moyen de financer de façon beaucoup plus durable les besoins de la BITD. À cet égard, je salue l’initiative du rapporteur Dominique de Legge, et je remercie Mme la ministre d’avoir répondu par avance à la proposition de ce dernier de transmettre au Parlement les éléments permettant de mieux appréhender le sujet.

Je dois reconnaître que le Gouvernement est déjà largement intervenu, notamment par Bpifrance, pour renforcer les fonds propres des entreprises de la BITD, mais il reste encore beaucoup à faire pour accompagner les projets. Nous le savons bien, les investissements dans la recherche en matière de défense profitent également à l’ensemble des entreprises du secteur civil. Cela est observé un peu partout, y compris en France, notamment dans le domaine maritime. Il faut donc encourager cet effort.

Quels seraient les meilleurs moyens de financement pour accompagner les besoins de notre BITD ? Peut-être faudrait-il s’orienter vers l’assurance vie, la collecte de janvier dernier ayant été importante – près de 16 milliards d’euros. Il y a là une voie à explorer, mais je ne veux pas anticiper les propositions que pourra faire le Gouvernement. Mon collègue Olivier Cigolotti complétera tout à l’heure la position du groupe Union Centriste sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rachid Temal. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite d’abord remercier Pascal Allizard pour le dépôt de cette proposition de loi, qui nous permet d’avoir ce soir un débat fort intéressant sur la question du financement de la base industrielle et technologique de défense.

Pour présenter la position du groupe socialiste, j’organiserai mon propos autour de trois points : la nécessité, la cohérence et la pédagogie.

La nécessité, d’abord : après avoir voté la loi de programmation militaire, il nous faut travailler sur la BITD afin de permettre à notre pays d’être toujours puissant et fort dans le monde, et de garder son rang au niveau international, de garantir notre autonomie stratégique, d’avoir demain un rapport plus sain avec l’Otan et surtout de faire en sorte que l’Europe soit plus forte avec la France – le seul État membre doté de l’arme nucléaire.

D’autres l’ont dit avant moi, la parenthèse « heureuse » qui s’était ouverte à la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec l’ONU pour réguler les relations internationales, s’est refermée : dorénavant, la guerre, avec la question du rapport de force militaire, redevient en quelque sorte une norme. C’est un véritable retour en arrière.

Enfin, il faut une BITD puissante pour aller jusqu’au bout de la loi de programmation militaire que nous avons votée collectivement. C’est une façon de développer l’emploi dans de nombreuses entreprises, tout en faisant en sorte que nos forces armées aient les moyens nécessaires, demain, de mener des combats. C’est également un moyen d’améliorer nos exportations, ce qui n’est pas inintéressant dans notre situation, et de prendre toute notre part dans un secteur concurrentiel, y compris face à nos alliés. Aussi, il me paraît essentiel de mener ce travail.

La cohérence, ensuite : au-delà de ce qui a été fait par Pascal Allizard, je souhaite saluer le travail fait à ses côtés par Michel Boutant, Yannick Vaugrenard et Gisèle Jourda, qui est ici ce soir.