Mme la présidente. L’amendement n° 13, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

Il émet, à la demande du Gouvernement, un avis sur les projets de textes réglementaires ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises.

II. - Alinéa 3

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je ne désespère pas d’arriver à vous convaincre en défendant mes amendements. C’est la mission que l’on m’a confiée… (Sourires.)

Comment faire en sorte que le haut conseil soit le plus efficace possible, comme nous le souhaitons tous ?

Il faut lui permettre d’assumer pleinement ses compétences et ses responsabilités, tout en veillant à ce qu’il puisse concentrer ses moyens là où son rôle est le plus important. Il ne nous semble donc pas nécessaire de rendre la saisine du haut conseil obligatoire pour les projets d’acte réglementaire. Si tel était le cas, sa charge de travail serait considérable et pourrait nuire à la qualité de ses travaux, ainsi qu’à l’agilité et à la réactivité qu’on attend de lui.

Cela pourrait de surcroît ralentir l’examen de projets de loi ou de décret ayant les impacts les plus directs sur les entreprises et faire courir, à l’inverse, un risque d’annulation sur des projets de texte réglementaire pour non-consultation du haut conseil. Bref, cette obligation pourrait être source d’insécurité juridique.

Nous proposons enfin de supprimer l’avis du haut conseil sur les projets d’acte de l’Union européenne ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises, pour les mêmes raisons de ciblage de son action.

Monsieur le président de la commission des affaires européennes, je ne fais absolument pas fi de votre prise de parole éclairée, mais nous estimons indispensable, j’y insiste, de concentrer les missions du haut conseil, en tout cas dans un premier temps.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ? Toujours aussi cruel ? (Sourires.)

Mme Elsa Schalck, rapporteure. En effet, j’en suis vraiment navrée (Mêmes mouvements.), mais l’avis sera défavorable sur les deux mesures contenues dans cet amendement.

Vous proposez d’abord de transformer la saisine obligatoire en saisine facultative. Nous ne souhaitons pas voir le haut conseil engorgé par de trop nombreuses missions. Au contraire, il faut un système fonctionnel et opérationnel. C’est pourquoi, et nous y reviendrons, la question des moyens est très importante. Cela dit, il ne nous paraît pas opportun d’avoir deux régimes différents de saisine pour, d’un côté, les projets de loi et, de l’autre, les projets de texte réglementaire. En effet, l’inflation normative concerne tous les textes, qu’ils soient législatifs ou réglementaires, et l’avis du haut conseil sur les projets de décret sera précieux. C’est pour cette raison qu’il nous paraît nécessaire de conserver le caractère obligatoire de la saisine à cet égard.

Le second point concerne la suppression de la saisine sur les projets d’acte de l’Union européenne. Nous le savons, la Commission européenne réalise déjà à son niveau des « tests PME ». Pour autant, il ne nous semble pas inutile de prévoir l’avis du haut conseil sur de tels projets en amont. Nous souhaitons même, à travers d’un amendement de la commission que nous allons examiner dans un instant, lui confier expressément une mission de lutte contre la surtransposition des normes européennes, un sujet que nous avons largement évoqué lors de la discussion générale.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 13.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par MM. Gontard et Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Fernique, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par les mots :

, de la santé, des droits sociaux et de l’environnement

La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Cet amendement vise à exclure les normes justifiées directement par la protection de la santé, des droits sociaux et de l’environnement de la compétence du haut conseil à la simplification pour les entreprises au même titre que celles qui concernent la protection de la sécurité nationale, comme c’est déjà prévu par la proposition de loi.

Il s’agit de garantir que les attributions confiées au haut conseil en amont de la production normative ne permettent pas d’amoindrir la prise en compte des facteurs sociaux, sanitaires, environnementaux et de gouvernance par les entreprises, ce qui conduirait à des reculs sous prétexte de simplification.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Cet amendement vise à exclure du champ de compétence du haut conseil un certain nombre de normes. Sa portée est considérable et ne correspond évidemment pas à l’objectif de la proposition de loi.

Certaines normes sont incontestablement positives et nécessaires quand elles visent la protection de la santé ou de l’environnement, mais on voit bien à quel point l’inflation législative guette tous les domaines. Pour ne donner qu’un seul chiffre, le code de l’environnement a augmenté de 653 % en volume depuis 2002.

Pour toutes ces raisons, l’avis est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. J’éviterai toute argumentation superfétatoire : pour les mêmes raisons que celles qu’a invoquées Mme la rapporteure, j’émets un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 4 rectifié quater est présenté par MM. Capus, Brault et Chasseing, Mme L. Darcos, M. Grand, Mme Lermytte, MM. V. Louault et A. Marc, Mme Paoli-Gagin et MM. Verzelen et L. Vogel.

L’amendement n° 9 est présenté par Mme Schalck, au nom de la commission.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 13

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il alerte également, le cas échéant, sur la surtransposition de normes européennes dans le droit français.

La parole est à M. Emmanuel Capus, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié quater.

M. Emmanuel Capus. La surtransposition des normes européennes dans le droit français est une vraie source de complexité. C’est la raison pour laquelle il nous apparaît important que le haut conseil puisse également alerter le législateur sur ces risques.

J’avais déposé un premier amendement qui était légèrement différent de celui de Mme la rapporteure. Là encore, la commission m’a demandé de le rectifier pour le rendre identique au sien, ce que j’ai fait volontiers.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l’amendement n° 9.

Mme Elsa Schalck, rapporteure. La commission vous remercie, mon cher collègue.

Je considère que l’amendement n° 9 est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Il me semble que le Gouvernement fait déjà tous les efforts pour éviter les surtranspositions de directive. Bruno Le Maire avait d’ailleurs pointé ce problème en amont des Rencontres de la simplification. Je ne suis pas certaine qu’il faille inscrire cette mission dans la loi.

Considérant que vos amendements sont satisfaits, j’en sollicite le retrait ; faute de quoi, l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 rectifié quater et 9.

(Les amendements sont adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er bis, modifié.

(Larticle 1er bis est adopté.)

Article 1er bis (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Intitulé de la proposition de loi (début)

Article 1er ter (nouveau)

Une dotation, destinée à couvrir les frais de fonctionnement du Haut Conseil à la simplification pour les entreprises et le coût des travaux qui lui sont nécessaires, est prévue par la loi de finances de l’année.

Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par MM. Capus, Brault et Chasseing, Mme L. Darcos, M. Grand, Mme Lermytte, MM. V. Louault et A. Marc, Mme Paoli-Gagin et MM. Verzelen et L. Vogel, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Je ne vais peut-être pas avoir le même succès qu’avec les deux amendements précédents… (Sourires.)

Madame la présidente, mes chers collègues, je suis tiraillé entre ma qualité de vice-président de la délégation aux entreprises, fidèle au président Rietmann, et ma qualité de vice-président de la commission des finances.

Au premier titre, je suis ainsi très favorable à ce que l’on donne le maximum de pouvoirs et de moyens à ce haut conseil que nous sommes en train de créer. Au second titre – il y a peu de membres de la commission des finances en séance aujourd’hui –, je suis extrêmement sensible à la défense de nos équilibres budgétaires et à la maîtrise de notre dette et de nos engagements financiers.

Est-il vraiment indispensable de prévoir une dotation pour faire vivre cet organe, dès lors qu’il est placé sous l’égide du Premier ministre ? J’ai bien conscience que l’adoption de mon amendement reviendrait à priver de quelques subsides les services du Premier ministre, mais ces derniers n’ont-ils pas suffisamment de ressources pour subvenir aux besoins du haut conseil ?

En résumé, c’est un amendement de suppression de la dotation prévue dans le texte de la commission. Nous éviterons ainsi une nouvelle dépense, qui, en toute logique, entraînerait la création d’une nouvelle recette dans la prochaine loi de finances.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Monsieur Capus, ne soyez pas tiraillé. Il n’y aura pas de simplification sans action forte, donc sans moyens appropriés au service de cette politique. C’est la condition pour pouvoir changer à la fois de culture et de paradigme.

Évidemment, nous sommes aussi conscients de la nécessité de veiller à la soutenabilité des finances publiques, mais je rappellerai que ce Haut Conseil aura des missions qui ne sont aujourd’hui effectuées par aucune instance. Même avec l’appui des services du Premier ministre, auxquels il sera rattaché, il lui sera impossible de s’attaquer au flux et au stock à effectif constant. Je crois que tous les sénateurs ici présents partagent notre constat.

Enfin, je rappelle que le travail de simplification mené par le haut conseil permettra aussi – du moins, nous l’espérons – de dégager des économies, le coût macroéconomique que représente le poids des normes étant estimé a minima à 60 milliards d’euros par an.

J’y insiste, cette dotation doit être votée. Aussi, je demande de retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Vous m’avez fait douter, monsieur le sénateur Capus, avec vos tiraillements. Me voilà aussi désormais tiraillée ! (Sourires.)

M. Emmanuel Capus. C’est contagieux ! (Mêmes mouvements.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Pour le dire le plus simplement possible, la création de ce haut conseil me semble indispensable, soit dit sans flagornerie ou amitié envers le sénateur Rietmann. Je l’appelle d’ailleurs de mes vœux depuis bientôt une décennie. Il me semble tout aussi indispensable qu’il ait les moyens de travailler correctement. Comme il sera placé au plus haut niveau, au sein des services du Premier ministre, il devrait pouvoir bénéficier des moyens y afférents.

En tant qu’ancienne députée membre de la commission des finances de l’Assemblée nationale, je ne peux pas non plus faire fi de considérations tenant à nos finances publiques.

Pour toutes ces raisons, vous ne serez pas surpris que je sois favorable à votre amendement, même si je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’aborder une nouvelle fois ce sujet au moment des débats sur le projet de loi de finances, dès la troisième semaine de septembre.

Ne soyez plus tiraillé, monsieur le sénateur… (Nouveaux sourires.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er ter.

(Larticle 1er ter est adopté.)

Article 1er quater (nouveau)

Les modalités d’application de la présente loi sont précisées par décret en Conseil d’État – (Adopté.)

Articles 2 à 4

(Supprimés)

Article 1er ter (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Intitulé de la proposition de loi (interruption de la discussion)

Intitulé de la proposition de loi

Mme la présidente. L’amendement n° 10, présenté par Mme Schalck, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Remplacer le mot :

rendant

par les mots :

visant à rendre

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Elsa Schalck, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, sans doute le meilleur d’entre tous… (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Après moult hésitations, tergiversations et tiraillements, j’émets un avis favorable. (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 10.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

La parole est à M. Olivier Rietmann.

M. Olivier Rietmann. Je tiens à remercier l’ensemble de mes collègues pour leurs différentes interventions et l’excellent état d’esprit qui a régné au cours de nos échanges.

J’adresse des remerciements tout particuliers à Mme la rapporteure, Elsa Schalck (Mme Frédérique Puissat applaudit.), qui a fait un travail exceptionnel sur cette proposition de loi. Elle a réussi à faire en sorte qu’un texte voulu par quelqu’un plutôt proche du monde des entreprises et pas du tout juriste réponde à toutes les exigences en matière d’applicabilité.

Merci également à tous mes collègues de la commission de loi, ainsi qu’à Mme la ministre et à son équipe. J’espère que nous allons continuer dans le même état d’esprit pour faire aboutir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.

Je vous rappelle que les explications de vote et le vote par scrutin public solennel sur l’ensemble de la proposition de loi se dérouleront le mardi 26 mars, à quatorze heures trente.

La suite de la discussion est renvoyée à cette séance.

L’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Intitulé de la proposition de loi (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Discussion générale

11

Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre délégué, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis honoré de me trouver devant vous aujourd’hui afin de vous présenter les principaux sujets qui seront traités lors du Conseil européen des 21 et 22 mars.

Je souhaite également profiter de cette occasion pour prendre un peu de recul, sept ans après le discours de la Sorbonne, et alors que, avec les élections européennes, se clôtureront la mandature du Parlement européen et, plus largement, le cycle institutionnel européen.

Ce sommet européen se tiendra à un moment charnière pour l’avenir de l’Europe. Ensemble, les chefs d’État et de gouvernement aborderont des sujets prioritaires pour l’Union : le soutien à l’Ukraine, l’Europe de la défense, l’avenir d’une Europe élargie, le conflit au Proche-Orient, le soutien à nos agriculteurs, la préparation de l’agenda stratégique, ainsi que la réponse aux défis migratoires.

Si l’on s’arrête un instant sur l’ordre du jour de ce Conseil européen, on constate qu’il n’y a pas un sujet qui ne reflète les priorités de l’agenda de souveraineté tel que dessiné par le Président de la République dès 2017, puis décliné à l’occasion du sommet de Versailles, au lendemain du début de la guerre menée par la Russie en Ukraine.

Il y a sept ans, pourtant, l’idée d’une souveraineté européenne apparaissait, pour certains de nos partenaires, au mieux comme une idée abstraite, au pire comme une utopie française. Elle s’est pourtant peu à peu frayé un chemin au sein du débat européen jusqu’à s’y ancrer comme une évidence et une nécessité.

Face aux chocs et aux crises inédites que notre Union a vécus et continue de vivre, le combat que la France a mené dans le but d’arrimer le projet européen à cette ambition a peu à peu résonné chez nos partenaires et trouve plus que jamais un écho en Europe.

Très tôt, la France a ainsi appelé de ses vœux une Europe forte dans le monde, capable de parler d’une seule voix et de prendre en main sa sécurité. Nous avons conduit un véritable plaidoyer en faveur d’une plus grande convergence stratégique et de l’avènement d’une Europe de la défense qui assume sa propre sécurité de manière croissante, en complémentarité avec l’Otan.

La pandémie et la guerre ont toutes deux joué un rôle de catalyseur vis-à-vis de la souveraineté européenne. L’invasion russe de l’Ukraine, en particulier, a conduit les États membres à briser ensemble des tabous et à transcender des lignes que nous pensions immuables. Certains de nos partenaires européens nous disent : « Les idées que nous adorions détester il y a encore quelques années sont désormais devenues nos idées ! »

Ainsi, au lendemain du 24 février 2022, l’Allemagne a amorcé son Zeitenwende, la Pologne a massivement investi dans ses capacités de défense et le Danemark, à l’issue d’un référendum historique, décidait de rejoindre la politique commune de sécurité et de défense.

En quelques jours seulement, nous avons été capables de décider, de façon inédite et historique, de recourir à la Facilité européenne pour la paix (FEP) afin de financer des livraisons d’armes à un pays en guerre.

Aujourd’hui, face à une Russie qui mise sur l’incapacité des partenaires de l’Ukraine à la soutenir dans une guerre longue, il nous faut poursuivre nos efforts et approfondir la réflexion sur les modalités de notre soutien, sans tabou, pour faire plus, mieux et différemment, à l’instar de l’initiative engagée par le Président de la République le 26 février dernier.

Tel est bien l’esprit du sommet de Versailles, lequel, quelques semaines seulement après le retour de la guerre sur le continent européen, avait contribué tout à la fois à concrétiser le réveil stratégique européen et à poser les premiers jalons d’une base économique et industrielle européenne plus solide, tournée vers le renforcement de ses capacités de production.

Tirant également les leçons de la pandémie de covid-19, l’agenda de Versailles avait constitué un tournant essentiel pour l’Europe en visant la réduction de nos vulnérabilités et dépendances stratégiques dans les domaines de l’énergie, des matières premières, des semi-conducteurs, de la santé, du numérique et de la sécurité alimentaire, ainsi que le renforcement des capacités européennes en matière de défense.

En l’espace de deux ans, l’Union a été au rendez-vous de ces promesses en donnant une impulsion décisive à la politique industrielle européenne ; le travail législatif s’est mis en marche et a abouti à des textes européens ambitieux ayant pour but de renforcer la production et de prévenir de la sorte les pénuries de semi-conducteurs et de médicaments, ainsi que de garantir un approvisionnement sûr, diversifié et durable en matières premières critiques.

En parallèle, nous sommes parvenus, dans le sillage des engagements pris lors du sommet, à nous affranchir d’une dépendance pourtant bien ancrée à l’égard des combustibles fossiles russes et avons entrepris de relocaliser une partie de la production de technologies énergétiques propres sur le continent européen.

Nous devons désormais, dans le contexte du soutien indéfectible à l’Ukraine, renforcer encore notre autonomie et notre résilience. Cela implique en particulier d’achever rapidement la mise en œuvre de l’agenda de Versailles pour libérer l’Union européenne de toutes ses dépendances, notamment sur le volet capacitaire de défense. Nous devons également progresser très vite sur le thème de la sécurité alimentaire.

S’agissant du volet de défense, qui sera au cœur des discussions du Conseil européen, la Commission et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) ont présenté, le 5 mars dernier, une stratégie et un programme d’investissement pour l’industrie de défense européenne.

Face à un environnement stratégique toujours plus instable, il nous faut nous doter sans délai de tous les outils nécessaires et, surtout, produire, acheter et investir davantage en Européens. Ce changement d’échelle est plus que jamais nécessaire pour fournir à l’Ukraine la profondeur stratégique dont celle-ci a impérativement besoin, mais aussi pour renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement de nos armées et préparer l’avenir.

Ainsi, il est dans notre intérêt collectif d’envoyer un signal clair et d’assumer une ambition renouvelée pour l’investissement dans les capacités de défense européennes, en mobilisant pour ce faire toutes les ressources européennes à notre portée, y compris l’emprunt, le recours à la Banque européenne d’investissement (BEI), la mobilisation des intérêts des avoirs russes, dans le respect du cadre juridique que nous avons adopté, ou encore le recours à l’épargne privée. De cela dépendra notre crédibilité face à la Russie en tant qu’alliés de l’Ukraine et vis-à-vis de nos partenaires de l’Otan.

Dans la perspective des échéances à venir, il convient d’expliquer de manière très claire à nos concitoyens le tournant décisif pris par l’Union européenne depuis le déclenchement de la guerre d’agression russe en Ukraine. L’Europe contribue à la sécurité collective et protège les citoyens européens. Disons-le clairement, en renforçant les capacités de défense de l’Union européenne, il ne s’agit pas de créer une alternative à l’Otan, c’est tout l’inverse : une Europe qui assume davantage de responsabilités pour sa propre sécurité et qui se donne les moyens de le faire nous rend tous plus forts, plus performants, mais aussi plus crédibles aux yeux de nos partenaires.

Le Conseil européen se penchera également sur des sujets clés pour l’avenir de notre continent tels que l’élargissement, avec une discussion sur les éléments présentés par la Commission, le cadre de négociations pour l’Ukraine et la Moldavie et le rapport de progrès sur la Bosnie-Herzégovine.

Vous le savez, à l’aune du conflit en Ukraine, la France défend la nécessité géopolitique d’une Europe élargie, comme l’a rappelé avec force le Président de la République au printemps dernier lors de la conférence du GlobSec – pour Global Security Forum – à Bratislava.

Je rappelle également que, dans la perspective de l’élargissement, c’est l’adoption d’un agenda politique clair, notamment à travers l’agenda stratégique, qui nous permettra de définir les réformes opportunes et nécessaires qui garantiront un fonctionnement efficace des institutions.

Le Conseil européen se penchera évidemment sur la situation au Proche-Orient, en insistant notamment sur l’urgence à faire appliquer le droit international humanitaire à Gaza, conformément à nos valeurs.

Enfin, puisque le sujet des migrations sera également abordé, nous avons affirmé dès 2017 qu’une Europe plus souveraine devait être en mesure de maîtriser ses frontières. À ce titre, l’accord historique sur le pacte sur la migration et l’asile permettra de doter l’Union européenne d’une politique migratoire et d’asile européenne solide, cohérente et efficace.

En parallèle, concernant la dimension externe, il nous faut intensifier notre dialogue avec les pays partenaires afin de prévenir les départs irréguliers et d’améliorer la coopération en matière de retour.

Tels sont, en quelques mots, les principaux sujets qui seront abordés au Conseil européen de cette semaine. Vous le constatez, ils traduisent au fond une forme de victoire idéologique du logiciel français de souveraineté européenne. Ma conviction est que nous devons à présent poursuivre cette dynamique ambitieuse de réduction des dépendances et de renforcement de la souveraineté en achevant rapidement la mise en œuvre de l’agenda de Versailles, tout en le renforçant.

Avec le Président de la République, c’est bien le message que nous porterons au Conseil européen jeudi et vendredi.

Mme la présidente. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission.

Mme Catherine Dumas, vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 1er février dernier, la présidente de la Commission européenne se félicitait d’un « bon jour pour l’Europe » et le président Zelensky évoquait « une victoire commune sur la Russie » : les Vingt-Sept venaient de s’accorder sur un programme de soutien supplémentaire de 50 milliards d’euros pour l’Ukraine.

À la veille du prochain Conseil européen, cette belle unité n’est déjà plus. Les propos du Président de la République du 26 février, affirmant ne pas exclure l’envoi de troupes au sol en Ukraine, ont surpris nos alliés et la plupart d’entre eux ont pris leurs distances. À cela s’ajoutent de nouvelles tensions avec notre partenaire allemand. Dans ces conditions, il n’est même pas besoin de se demander quel effet a produit au Kremlin cette étrange conception de l’ambiguïté stratégique…

Mes chers collègues, le sujet est trop sérieux, trop grave, pour donner lieu à des effets de manche : c’est de la sécurité des Français et de l’Europe qu’il s’agit. Au-delà de la forme, la manière d’assurer une présence sur le territoire ukrainien sans franchir le seuil de belligérance reste à clarifier. Surtout, pour quoi faire ? Au service de quelle stratégie ? S’il s’agit de dissuader les Russes de se rapprocher de la Transnistrie, alors il faudra y consacrer davantage que des formateurs et des démineurs.

Notre commission ne cesse de le répéter : le vrai sujet du soutien à l’Ukraine est la fourniture de munitions. Nous ne sommes pas capables de fournir à ce pays les armes et les munitions dont il a besoin. C’est vrai pour la France, mais malheureusement aussi pour l’Europe. La discrétion en la matière des États-Unis, qui viennent d’accorder à l’Ukraine un maigre paquet d’aide de 300 millions de dollars, n’est pas rassurante. Cette stratégie est-elle même compatible avec l’élargissement de l’Union européenne à l’Ukraine ?

À défaut de pouvoir soutenir l’effort de guerre ukrainien et de donner une signification stratégique à l’élargissement de l’Union, la décision du dernier Conseil européen ressemble à une fuite en avant. Nous faisons des promesses d’adhésion à un pays à qui nous n’avons pas été capables de donner le tiers des munitions que nous lui avons promises. Est-ce responsable ?

Au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien menace toujours d’embraser la région entière. À la sidération du 7 octobre a succédé une impuissance totale de la communauté internationale face à une guerre qui se prolonge et à une situation humanitaire chaque jour plus catastrophique. La France prend sans doute sa part dans la recherche de solutions, mais la capacité d’initiative européenne semble pour le moment bien faible, alors même que les pays européens sont depuis longtemps des bailleurs majeurs du processus de paix au Proche-Orient.

Certains États membres ont fait des propositions audacieuses, comme l’Espagne et l’Irlande, qui demandent une évaluation, voire une remise en cause de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël.

La Belgique, que son rôle de présidente du Conseil contraint pourtant à la neutralité, a estimé que la question méritait d’être posée.

Comment rapprocher les positions européennes sur ce conflit ? Quelle position la France portera-t-elle sur ce sujet si sensible à l’occasion du Conseil européen ?

Monsieur le ministre, la recomposition violente du monde se poursuit ; on pourrait même soutenir qu’elle s’accélère. Les pays européens doivent jouer tout leur rôle et préserver les intérêts de nos populations – à commencer par leur sécurité –, mais cela suppose que nous disposions d’une stratégie commune et que nous soyons capables collectivement de défendre des positions fortes et claires.

Monsieur le ministre, nous attendons que le Gouvernement agisse en ce sens à l’occasion de la prochaine réunion du Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)