Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Grosvalet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Philippe Grosvalet. « Ils nous narguent. Ils n’hésitent pas à capturer leur proie en notre présence. Ils se posent ensuite sur une branche et là, ils les décapitent. Imaginez qu’une espèce s’attaque de cette manière aux bovins. Là, il y aurait des moyens mis sur la table pour lutter contre. »

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ces propos de mon ami Loïc Leray, ancien président de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), illustrent le désarroi suscité par ce fléau qui s’est abattu sur notre territoire il y a vingt ans.

Il faut se représenter l’ampleur du désastre. Vous avez évoqué les Côtes-d’Armor, monsieur le secrétaire d’État ; je ferai pour ma part allusion à la Loire-Atlantique.

Un seul nid consomme en moyenne l’équivalent de cinq à six ruches par an. En 2022, 1 700 nids ont été détruits dans le seul département de la Loire-Atlantique. Cela fait froid dans le dos, d’autant qu’il faut également prendre en compte les lourdes pertes que nos apiculteurs subissent, 20 % des pertes de colonies d’abeilles étant en effet imputables aux frelons asiatiques.

Or 80 % de la pollinisation nécessaire au maintien et au développement de la production agricole est assurée par les abeilles. Un tiers des aliments que nous mangeons ne pourraient plus être produits si les abeilles venaient à disparaître.

Il ne faut pas non plus oublier le risque sanitaire. Chaque année, plusieurs dizaines de personnes meurent des suites d’une piqûre. Au mois de septembre dernier, à Bressuire, dans les Deux-Sèvres, une école élémentaire a été la cible de l’attaque de frelons asiatiques.

Pour lutter contre cette espèce invasive, les acteurs de nos territoires se sont alliés. Apiculteurs, élus locaux et associations s’organisent et mènent des opérations visant à localiser, piéger et détruire les nids de frelons asiatiques.

Ces initiatives, aussi nécessaires soient-elles, ne peuvent toutefois pas suffire, monsieur le secrétaire d’État. Pis, sans coordination, elles perdent en efficacité. Comme le souligne l’appel lancé par la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire, « la lutte contre le frelon asiatique est devenue une urgence absolue, qui ne concerne plus seulement le milieu des apiculteurs et doit devenir un acte citoyen ».

Depuis vingt ans pourtant, les mesures prises à l’échelon national sont largement insuffisantes.

Le premier rapport interministériel sur cette espèce, publié dès 2010, préconisait l’élaboration d’un plan de lutte national, mais il est demeuré sans suite.

En 2012, huit ans après son introduction en France, le frelon asiatique était classé dans la liste des dangers sanitaires de deuxième catégorie pour l’abeille. Depuis, malgré l’aggravation de la situation, aucune révision de cette classification, en particulier pour classer le frelon asiatique dans la première catégorie, n’a été envisagée.

Des fonds communs pour mener cette croisade sont créés grâce au soutien financier de communes, d’intercommunalités et de départements, mais, encore une fois, l’absence de l’État se fait cruellement ressentir.

À ce stade, la mise en œuvre d’un véritable plan national est une urgence absolue. Celui-ci devra être doté de moyens dévolus à la recherche et aux actions sur le terrain et s’appuyer sur la définition d’objectifs communs et la création d’indicateurs permettant d’évaluer les actions.

Tel est le sens de cette proposition de loi, déposée par notre excellent collègue Michel Masset et soutenue par le groupe RDSE. Par son adoption, mes chers collègues, nous adresserons un message à nos apiculteurs, premières victimes de ce fléau, avec nos maraîchers et nos arboriculteurs.

Ce texte ne sera toutefois pas le remède à tous les maux, car le frelon asiatique n’est pas la première cause de mortalité des abeilles. Celles-ci sont victimes d’abord du réchauffement climatique, des virus et des produits phytosanitaires. Les apiculteurs de l’Unaf ont ainsi observé une chute brutale de 50 % de la production à proximité de cultures traitées aux néonicotinoïdes.

Que dire, par ailleurs, de la rude concurrence que les miels étrangers, soumis à des normes moins exigeantes que notre production, font peser sur celle-ci ? Alors que la demande de miel est de l’ordre de 45 000 tonnes par an dans notre pays et que notre production nationale est estimée à 34 000 tonnes, 63 % des apiculteurs français ont rencontré des difficultés à commercialiser leur récolte l’an dernier.

Quoi qu’il en soit, ce texte, que je salue, atteste d’une prise de conscience claire du caractère fondamental de la protection des pollinisateurs pour préserver notre biodiversité.

À l’instar de M. le secrétaire d’État, je conclurai par une citation, mais d’un auteur français :

Elles se fatiguent et nous les hommes,

Devant ce don qui vient du ciel,

En égoïstes que nous sommes,

Nous nous nourrissons du bon miel

Vss vss vss

Des abeilles.

(Rires et applaudissements.)

M. Henri Cabanel. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui des moyens à mettre en œuvre pour stopper la prolifération du frelon asiatique.

Cette espèce qui ne connaît pas de prédateur a crû de manière exponentielle. En effet, un nid qu’on ne détruit pas donne quatre nids l’année suivante.

Telle est certainement la raison pour laquelle, en dépit des nombreux débats dont ce sujet a fait l’objet au sein de notre hémicycle, nous ne sommes pas parvenus à endiguer la progression du frelon asiatique.

Nos prédécesseurs ont tenté de trouver des solutions, mais les résultats parlent d’eux-mêmes : en 2011, le frelon asiatique occupait déjà 50 % du territoire national ; aujourd’hui, 90 % de la France hexagonale est colonisée par cet insecte.

Plusieurs pays européens tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Italie, l’Espagne et le Portugal sont également touchés.

Le frelon asiatique a été aperçu pour la première fois en 2004 dans le Lot-et-Garonne. Désormais présent dans quasiment tous les départements, il est aujourd’hui classé parmi les espèces exotiques envahissantes.

Cette espèce constitue une menace grave pour la biodiversité, en particulier pour la filière apicole. Le frelon asiatique est un prédateur actif des abeilles, lesquelles composent 80 % de son régime alimentaire, si bien que 20 % de la mortalité des ruchées lui sont imputables. Les pertes annuelles pour la filière apicole sont estimées à plus de 12 millions d’euros.

Je ne peux donc que féliciter notre collègue Michel Masset, qui, par sa proposition de loi, permet au Sénat de se pencher une nouvelle fois sur cette question. Le groupe RDPI partage la volonté d’instaurer un cadre législatif de coordination nationale.

Il y a une semaine, sur proposition du rapporteur Jean-Yves Roux, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a approuvé à l’unanimité ce texte. Celui-ci prévoit, en sus des actions déjà menées, d’instaurer un plan national de lutte contre le frelon asiatique doté de moyens spécifiques.

Décliné sous forme de plans départementaux, il permettra de coordonner des mesures plus efficientes, coconstruites avec les apiculteurs, les acteurs économiques, les élus locaux et les scientifiques, sous l’égide de l’État.

Les orientations nationales et les indicateurs de suivi des actions de surveillance, de prévention et de destruction mises en œuvre localement, la classification des départements en catégories en fonction de l’importance des dégâts causés, l’accompagnement financier des collectivités territoriales et les financements alloués à la recherche d’outils de lutte efficace seront intégrés à ce plan national.

Enfin, ce texte introduit le principe d’une indemnisation des dommages pour les apiculteurs concernés.

La commission a souhaité préciser les dispositifs créés par l’adoption de plusieurs amendements. Le régime d’indemnisation prévu par cette proposition de loi a ainsi été recalibré au bénéfice des chefs d’exploitation apicole dont une partie essentielle du revenu provient de la vente des produits de la ruche.

Cette prise de conscience, certes tardive, ne doit pas faire oublier que d’autres menaces existent. Je pense à la coccinelle asiatique qui, à l’instar du frelon, gagne du terrain d’année en année. Depuis son arrivée massive, la coccinelle à deux points, naturellement présente chez nous, a vu sa population baisser de 40 %.

En tant qu’Ultramarine, je ne peux pas passer sous silence les menaces qui pèsent sur nos territoires souvent insulaires. Certes, le frelon asiatique qui nous préoccupe aujourd’hui n’a pas été recensé dans nos territoires, mais les espèces exotiques envahissantes sont l’une des principales menaces qui planent sur l’exceptionnelle biodiversité des outre-mer.

Je pense notamment au poisson-lion, qui menace l’équilibre des récifs coralliens en mer des Caraïbes, ou au crabe vert, qui nuit à l’aquaculture à Saint-Pierre-et-Miquelon. Ces espèces envahissantes sont impliquées dans 53 % des extinctions d’espèces recensées dans les territoires ultramarins.

L’escargot carnivore de Floride est, quant à lui, responsable de l’extension de près de cinquante-sept espèces d’escargots endémiques de Polynésie française.

Ces espèces envahissantes sont autant de bombes à retardement, dont les conséquences seront terribles. Je rappelle que les outre-mer accueillent 10 % de la biodiversité mondiale en termes d’espèces. Ne pas se préoccuper dès aujourd’hui de ces menaces, c’est accepter passivement que des espèces endémiques disparaissent à tout jamais.

En conclusion, cette proposition de loi est un texte de bon sens, qui permettra enfin à l’État de conduire une politique publique nationale adaptée à chaque territoire. Le groupe RDPI votera donc en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Jocelyne Antoine et M. Thierry Cozic applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

Mme Nicole Bonnefoy. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après maintes initiatives parlementaires, nous débattons d’un sujet qui me tient à cœur : la présence du frelon asiatique sur notre territoire et ses conséquences sur la survie des abeilles.

Je remercie nos collègues du RDSE, en particulier Michel Masset, d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de nos travaux.

Comme de nombreux collègues, j’ai récemment interrogé le Gouvernement, par le biais d’une question écrite, sur l’absence notable de stratégie nationale de lutte contre la prolifération du frelon asiatique. Dans sa réponse, le Gouvernement indique qu’il n’y a quasiment plus rien à faire : « L’espèce ne présente pas de danger supérieur par rapport à d’autres hyménoptères… Si cette situation venait à changer du fait de l’extension de l’espèce, la question de sa réglementation serait à réexaminer. »

Le 25 octobre dernier, Sarah El Haïry, alors secrétaire d’État chargée de la biodiversité, reconnaissait la faiblesse de la réponse de la stratégie nationale biodiversité 2030, qui ne prévoit, en matière de lutte contre les espèces exotiques invasives, que 500 opérations coups de poing par an.

Comme le souligne également le rapporteur Jean-Yves Roux, il est évident que des opérations ponctuelles ne sont pas en mesure de répondre à l’enjeu que constitue la recrudescence du frelon asiatique à pattes jaunes.

Cet insecte, introduit par mégarde en 2004 dans le Lot-et-Garonne, se plaît apparemment dans nos contrées et colonise aujourd’hui à grande vitesse nos voisins européens. Aucun territoire n’est épargné.

En 2011, j’ai moi-même déposé une proposition de loi tendant à créer un fonds de prévention contre la prolifération du frelon asiatique afin de pallier les défaillances de l’État et d’organiser concrètement la lutte sur le territoire en mettant en cohérence les actions utilement menées par les départements et les collectivités locales dans leur ensemble. Beaucoup d’entre elles financent du reste pour partie la destruction de nids, aident à l’acquisition de pièges sélectifs et programment des opérations de prévention au printemps.

Nous souscrivons donc à l’inscription dans la loi d’une stratégie nationale. Sans réponse globale, il sera impossible de remédier à cette problématique qui touche tous nos concitoyens au quotidien et occasionne de sérieuses nuisances.

Je rappelle qu’une seule piqûre suffit pour provoquer un grave choc anaphylactique chez une personne allergique.

Le frelon asiatique à pattes jaunes constitue de surcroît une véritable menace pour la biodiversité, au premier chef pour les abeilles. La croissance exponentielle de l’espèce est en cela une catastrophe pour les apiculteurs, qui voient leurs ruches décimées en un rien de temps. Certaines attaques peuvent provoquer la perte de 80 % des ruches, si bien que les apiculteurs confrontés à la présence du frelon préfèrent déplacer leurs ruches pour préserver leurs colonies d’abeilles.

En somme, le préjudice annuel cumulé pour la filière apicole est évalué à près de 12 millions d’euros, sans compter les dommages indirects sur l’agriculture et l’arboriculture.

Autre conséquence, le stress que ces attaques suscitent emporte de lourdes conséquences sur la production de miel des abeilles. Certes, des muselières peuvent être placées à l’entrée des ruches pour diminuer les effets de ce stress, mais celui-ci demeure, en raison de la pression exercée par les frelons asiatiques en vol stationnaire, qui menacent d’agripper chaque ouvrière imprudente.

Au-delà des seules abeilles, qui ne représentent que 12 % du bol alimentaire de ce prédateur hors pair, le frelon asiatique dévore de nombreux insectes pollinisateurs. Toute l’entomofaune est concernée, sans compter les dévastations causées par le frelon sur les fruits mûrs.

Pour préserver la biodiversité et la pollinisation, qui est un service écosystémique majeur pour nos cultures agricoles, il est donc crucial de protéger nos apiculteurs.

Tout en saluant à ce titre l’indemnisation instaurée par ce texte, je regrette que les évolutions apportées par les travaux de la commission aient restreint l’ambition initiale d’indemniser l’ensemble des apiculteurs.

Je crois pourtant que l’on ne naît pas apiculteur, mais qu’on le devient. Les apiculteurs détenant une dizaine de ruches sont en effet les plus nombreux et ce sont eux que les attaques de frelons dissuadent de poursuivre cette activité. Il faudrait donc pouvoir garder l’objectif initial du texte pour répondre efficacement à la détresse de la filière.

Protéger nos apiculteurs et l’ensemble des habitants implique de prendre des mesures pour détruire les nids lorsque les frelons menacent non seulement la santé publique, mais aussi les ruchées.

J’estime en outre que le préfet de département est la personne la plus adéquate pour agir. Le rôle qui lui est conféré est une reconnaissance de la responsabilité de l’État dans la lutte contre cette espèce.

J’estime qu’il est tout aussi utile de reconnaître le rôle des maires aux côtés du préfet, car ils sont les acteurs publics de proximité accessibles aux habitants. Nous en discuterons lors de l’examen des articles.

Enfin, afin d’être cohérents dans la lutte contre le frelon asiatique, il s’agira pour nous de veiller à ce que les destructions de nids n’entraînent pas une pollution collatérale en raison des produits insecticides injectés. Pour cela, des conditions doivent être remplies, telles que l’utilisation de produits peu ou pas nocifs pour l’environnement, mais aussi l’enlèvement des nids détruits, qui, s’ils étaient laissés à l’abandon, pourraient contaminer les sols et la faune environnante.

La prévention doit également être encadrée, en particulier pour éviter la diffusion de mauvaises pratiques de piégeage qui pourraient nuire à d’autres insectes. Les méthodes les plus sélectives possible doivent être mises en avant.

En résumé, cette proposition de loi offre un cadre législatif efficace pour lutter contre le frelon asiatique de manière uniforme sur le territoire. Nombre de nos concitoyens attendaient un tel cadre depuis vingt ans. Cette proposition de loi peut également contribuer à améliorer les conditions de travail des apiculteurs. Le bilan est donc positif.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra ce texte d’intérêt général qui corrige l’incurie manifeste de l’État, laquelle n’a que trop duré. Nous tenterons néanmoins de l’améliorer par voie d’amendement lors de la discussion qui s’ouvre. Je vous invite à nous soutenir dans cette démarche en votant les mesures que nous proposerons, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Kristina Pluchet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Masset applaudit également.)

Mme Kristina Pluchet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis plus de dix ans, nos apiculteurs sont aux prises avec le fléau du frelon asiatique. Cet insecte, sans prédateur connu en Europe, ravage sans cesse leurs ruches et leur activité.

Au-delà de l’activité apicole, la biodiversité et la production agricole sont également affectées. Si nos abeilles disparaissent, c’est un tiers du contenu de nos assiettes qui disparaîtra.

La prolifération particulièrement rapide et étendue de cet insecte exotique envahissant induit une pression dommageable sur l’ensemble des pollinisateurs et sur notre entomofaune, déjà objet d’inquiétudes, et fragilise de la sorte de nombreuses activités fruitières et maraîchères, ainsi que l’équilibre de nombreuses autres chaînes alimentaires, y compris ornithologiques.

L’ensemble de ces alertes m’ont incitée à déposer, il y a plus d’un an, une proposition de loi visant à définir et coordonner les moyens de lutter efficacement contre le frelon asiatique. Par ce texte, je souhaitais défendre la cause apicole, la biodiversité et notre souveraineté alimentaire.

C’est donc avec le plus grand intérêt que j’accueille aujourd’hui cette proposition de loi. Je salue son auteur ainsi que son rapporteur pour la qualité de nos échanges, qui ont permis de croiser nos travaux.

Il est en effet plus que temps que le Gouvernement, comme il le fait pour d’autres espèces problématiques, engage un plan national de lutte, seul à même de contenir cet insecte ravageur.

Je souhaite également souligner la qualité du travail mené auprès de nombreux acteurs, qui a permis de dépasser la fausse logique de destruction des nids et de percevoir l’importance de la connaissance du cycle de vie de cet hyménoptère pour un ciblage efficace de la lutte.

Dans un contexte de dépenses publiques contraintes, la lutte doit donner la première place à une prévention efficiente fondée sur l’utilisation d’outils efficaces et de techniques de lutte éprouvées.

Rien ne serait plus fâcheux que des moyens substantiels manquent leur objectif par une mauvaise compréhension d’une lutte à laquelle les acteurs de terrain, ceux qui ont une connaissance fine de ce prédateur et le savoir-faire, n’auraient pas été suffisamment associés.

La destruction des nids, menée si possible avant la migration des reines reproductrices, constituera l’autre volet de la lutte.

Le recours par les apiculteurs à l’indemnisation que cette proposition de loi prévoit permettra par ailleurs de mesurer l’efficacité de notre politique de lutte et sera, je l’espère, d’autant plus limité que la prévention et la destruction auront été bien menées.

Je terminerai en soulignant l’importance de pouvoir s’appuyer sur une règle nationale fédératrice pour mobiliser l’ensemble des acteurs de la lutte. La seule réglementation actuelle issue de la transposition de règles européennes ne saurait suffire à fonder un plan de lutte ambitieux dans notre pays, qui est actuellement le plus touché par le frelon asiatique.

Vigilante sur ces points, je soutiens ce texte, que je voterai, car il marque une prise de conscience nationale et collective du danger que constitue le frelon pour nos écosystèmes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC.)

M. Pierre Jean Rochette. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte est à la fois une madeleine de Proust et un film de science-fiction. Nous défendons aujourd’hui Maya l’abeille face au frelon asiatique qui veut la dévorer. Cela nous ramène à notre enfance ! (Sourires.)

Le sujet peut paraître léger, mais il ne l’est pas, car c’est de notre biodiversité qu’il s’agit. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le secrétaire d’État, si les abeilles venaient à disparaître, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre. Qu’elle soit d’Albert Einstein ou non, cette affirmation emporte son pesant de vérité.

Alors que les abeilles ont été décimées au cours des dernières décennies en Europe, nous prenons conscience, peut-être un peu tardivement – mais mieux vaut tard que jamais –, de leur place centrale dans notre existence et de notre fragilité sans elles.

Les abeilles contribuent à maintenir les équilibres de la biodiversité. Elles sont un chaînon primordial de notre sécurité alimentaire. Au-delà de l’apiculture, c’est plus largement d’agriculture dont il est question ; je crois que nous soutenons unanimement le monde agricole et la ruralité, mes chers collègues.

Près des trois quarts de la production de nourriture dans le monde reposent sur les frêles ailes des abeilles. Elles sont nos meilleures alliées en matière de pollinisation ; de nombreuses espèces en dépendent.

Dans les territoires que les abeilles ont désertés, les hommes cherchent les moyens de les remplacer. En Chine, la pollinisation se fait manuellement. Aux États-Unis, ce sont les drones qui accomplissent cette tâche.

Les chiffres sont sans appel : nous perdons nos abeilles. Un cocktail de facteurs est à l’origine de cette triste réalité, dans la composition duquel figurent les pollutions en tout genre, notamment les pollutions causées par les produits phytosanitaires, les monocultures, qui n’offrent plus la diversité essentielle à nos butineuses, et la réduction des espaces où elles trouvent de quoi butiner. S’y ajoute le frelon asiatique, qui a pris d’assaut tout le territoire à la vitesse de l’éclair et qui est à la fois totalement dévastateur pour les abeilles et dangereux pour nos populations.

Dans ce contexte alarmant, je remercie l’auteur de cette proposition de loi, que je salue. Je remercie également le rapporteur, ainsi que le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, du travail accompli, qui semble mettre tout le monde d’accord.

Il est temps que nous organisions efficacement notre riposte contre les conséquences néfastes de la colonisation du frelon asiatique.

La mise en place d’un plan national de lutte contre le frelon asiatique à pattes jaunes est nécessaire.

L’inclusion de toutes les parties prenantes à la concertation et les accompagnements financiers prévus pour les collectivités territoriales devraient assurer l’efficacité de ce plan.

La déclinaison territoriale du plan national en autant de plans départementaux de lutte permettra quant à elle de répondre aux spécificités locales.

Enfin, le suivi des actions de surveillance, de prévention, de piégeage sélectif et de destruction constituera un indicateur fiable des bonnes pratiques et des évolutions. Nous pourrons ainsi prévenir et organiser les prochaines étapes.

La création d’un droit à une indemnisation proportionnée aux dommages causés par les frelons asiatiques marque également une avancée. L’association de l’interprofession apicole et de l’Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation à la détermination du montant forfaitaire est un point positif, car leur technicité est un atout.

En conclusion, nous devons inverser la tendance et arrêter le déclin des abeilles dans notre pays, mes chers collègues. Une action coordonnée de l’État, des apiculteurs, des collectivités locales et de tous les acteurs en présence est urgente. Il y va de notre avenir et de nos équilibres.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc ce texte des deux mains. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Antoine. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)

Mme Jocelyne Antoine. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe RDSE, en particulier le sénateur Michel Masset, de cette proposition de loi qui nous donne l’occasion de nous saisir d’un sujet trop longtemps négligé.

Je remercie également le rapporteur Jean-Yves Roux de la qualité de son analyse et des apports introduits dans le texte, qui me satisfont pleinement.

Je m’exprime à la fois en tant que sénatrice de la Meuse, département affecté par ce frelon à pattes jaunes venu d’Asie, et en tant qu’apicultrice et femme d’apiculteur amateurs, puisque mon mari et moi possédons cinq petites ruches au fond de notre jardin. Il n’en demeure pas moins que ce frelon asiatique arrive sur notre verger et perturbe nos ruches.

Le texte que nous examinons ce matin donne de l’espoir aux apiculteurs professionnels, qui subissent les conséquences économiques de l’installation de cet insecte sur la production de miel en France, mais également aux modestes amateurs qui entretiennent les traditions rurales en produisant quelques pots de miel pour leurs enfants et leurs petits-enfants – cela aussi est en danger. Je suis donc très heureuse de prendre la parole sur ce texte aujourd’hui.

Comme cela a été évoqué, le manque d’action concertée explique que la prolifération du frelon n’ait pu être endiguée. En 2004, lorsque le frelon a été introduit sur notre territoire, de nombreux rapports indiquaient qu’il ne survivrait pas au climat européen. Il nous a depuis détrompés, en proliférant de manière importante. Pour résider à la frontière avec la Belgique, je puis témoigner qu’il ne s’est du reste pas arrêté à nos frontières. Nos voisins européens sont également concernés.

Si nous avons beaucoup tardé, ce texte nous donne aujourd’hui de l’espoir.

Je reviens sur les trois principaux préjudices causés par ce frelon.

Comme l’ont rappelé le secrétaire d’État et plusieurs collègues, le premier préjudice concerne la santé humaine, et c’est une apicultrice qui vous le dit, mes chers collègues ! En 2021, dans le Calvados, où 300 nids ont été détruits, on a dénombré 120 attaques de frelons qui ont provoqué 60 passages aux urgences et 2 décès – oui, 2 décès !

Au-delà des apiculteurs, les bûcherons et les élagueurs, du fait du positionnement des nids dans les arbres, les charpentiers et les couvreurs, car les nids peuvent également se cacher sous les toitures, les entrepreneurs en espaces verts, mais aussi le jardinier du dimanche, le frelon pouvant également nicher au niveau du sol, sont eux aussi directement confrontés au risque d’attaque.

Je rappelle de plus que 7 % de la population française est allergique aux hyménoptères.

L’invasion du frelon emporte donc un véritable enjeu de santé publique.

Le deuxième préjudice, économique, est lié à la chute du nombre d’abeilles et au déficit de pollinisation qui en découle, celui-ci affectant la production de fruits, en particulier de pommes et de poires.

Le colza est également concerné, même s’il est moins souvent cité que les fruitiers. Je suis élue d’un département où le potentiel céréalier est fort. Or les pertes liées au manque de pollinisation peuvent aller jusqu’à 10 % de la production d’un champ de colza, du fait de la diminution drastique du nombre d’abeilles et d’autres insectes pollinisateurs.

Mes collègues l’ont rappelé, un nid de frelons composé de 2 000 individus mange onze à douze kilogrammes d’insectes par an. Il s’agit d’insectes divers et variés, mais la ruche se distingue comme un réservoir vital, car elle leur fournit le plus gros potentiel de nourriture : c’est donc là qu’ils attaquent.

Troisième préjudice, le frelon asiatique porte atteinte à notre biodiversité.

En l’absence d’une vraie politique d’État, les apiculteurs tentent tant bien que mal d’atténuer les dégâts. Dans le cadre des plans départementaux, nous plaçons depuis la semaine dernière des pièges sélectifs, qui capturent les frelons asiatiques et laissent ressortir les autres insectes. Cela nous permet d’attraper les mères et les reines colonisatrices et de les détruire, car c’est la bonne période pour le faire. Il n’est pas possible de nous attaquer aux nids de frelons, vu l’importance et l’ampleur de la prolifération, mais nous devons nous efforcer de contenir celle-ci en détruisant les reines – les « fondatrices », comme on les appelle.

Or nous sommes dans la période de l’année où ces fondatrices sont seules et peuvent donc être piégées. Nous venons de commencer à le faire dans le cadre des plans départementaux, soutenus par les collectivités territoriales et par les groupements de défense sanitaire des abeilles (GDSA).

Après des années d’atermoiement, nous examinons enfin un texte ambitieux, à la hauteur des enjeux auxquels nous devons faire face – mieux vaut tard que jamais. Le groupe Union Centristes votera en faveur de cette proposition de loi ; en ce qui me concerne, je le voterai des deux mains ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP. – M. Marc Laménie applaudit également.)