M. Philippe Tabarot, ministre. S'agissant des péages ferroviaires que vous avez évoqués, je précise que, à la différence des péages relatifs au transport de voyageurs, les péages ferroviaires français demeurent parmi les plus bas d'Europe pour le fret, à 1,08 euro par train-kilomètre contre 2 euros en moyenne européenne.
Nous travaillons également à l'optimisation des sillons via les plateformes services et infrastructures, en intégrant les problématiques de travaux de nuit, comme je viens de le mentionner.
Enfin, concernant l'écotaxe, un sujet que vous suivez avec une attention particulière, vous savez que les régions frontalières peuvent désormais, grâce au travail de votre commission, mener des expérimentations.
Nos amis du Grand Est et de la Collectivité européenne d'Alsace vont ainsi y procéder. Cependant, je me dois de rappeler à certains d'entre vous combien il est regrettable que Ségolène Royale soit à l'époque revenue sur l'écotaxe. Cette mesure représentait 500 millions d'euros de recettes par an, soit 5 milliards d'euros sur dix ans, précisément la somme que nous recherchons aujourd'hui.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le ministre, depuis le vote dans cet hémicycle, le 7 décembre 2022, de la résolution pour le développement du transport ferroviaire déposée par notre groupe, ce sujet, pourtant central pour nos mobilités, notre économie et la transition écologique, est resté le parent pauvre de nos débats.
Ce n'est pas tout à fait le cas, il est vrai, puisque nous avons eu à débattre de la sécurité dans les transports ou de la restriction du droit de grève, stigmatisant les salariés du secteur !
Je salue ces syndicalistes cheminots présents ce soir dans les tribunes, qui défendent sans relâche les droits des salariés de la SNCF, des usagers, ainsi que le service public de transport ferroviaire afin qu'il retrouve la place stratégique dont le pays a besoin.
C'est de cette place que nous débattons, deux ans après les annonces d'Élisabeth Borne, alors Première ministre, qui brandissait un plan à 100 milliards d'euros d'ici à 2040, tentant de faire oublier un contrat de performance particulièrement régressif.
Depuis lors, cette nouvelle donne ferroviaire ne semble plus d'actualité pour le Gouvernement et la situation s'est aggravée. Le transport de voyageurs ne suit pas, en raison du manque d'anticipation et du mauvais état du réseau ; la SNCF applique la loi du marché et le manque d'offre allié à la forte demande conduit à des prix exorbitants au détriment des usagers, les obligeant à se rabattre vers des modes de transport plus polluants comme l'avion ou la voiture.
Alors que les transports constituent plus de 30 % de nos émissions de CO2, l'effort public pour le développement du ferroviaire, saboté par des décennies de libéralisme, n'est pas au niveau des enjeux environnementaux et des engagements pris dans le cadre des accords de Paris. C'est particulièrement vrai pour le fret ferroviaire, alors que 24 % des émissions issues des transports sont liées aux poids lourds et donc au transport routier de marchandises.
En 2021, dans la loi Climat et Résilience, le Sénat avait introduit l'objectif louable de doubler la part modale du ferroviaire d'ici à 2030. Faute de moyens financiers pour les entretenir, les lignes capillaires, qui connectent entrepôts et usines au réseau principal, accusent une moyenne d'âge de 73 ans. Un quart des voies ont été fermées ces six dernières années.
La baisse du trafic ferroviaire est significative : -19,6 % de fret conventionnel et -23,5 % de transport combiné, lorsque, chez nos voisins européens, le transport ferroviaire des marchandises poursuit sa croissance. Il gagne ainsi 22 % en Italie par rapport à 2019, 10 % en Allemagne, 2 % en Suisse.
Le plan de discontinuité décidé par le Gouvernement à la suite des injonctions de la Commission européenne a porté un coup très dur au transport ferré de marchandises.
Le 1er janvier 2025, Fret SNCF, démantelé en deux sociétés, a dû vendre du matériel roulant et abandonner vingt-trois lignes, les plus rentables, bien sûr, sur lesquelles Hexafret, successeur de Fret SNCF, ne peut plus se positionner durant dix ans. Un non-sens dans un pays qui entend se réindustrialiser !
On nous répète que cette entreprise pourrait bénéficier d'une ouverture de son capital, mais qui viendra investir dans une entreprise que l'on oblige à réduire ses parts de marché ?
Le manque de moyens alloués au transport ferroviaire de marchandises est une aberration à l'heure où nous devons, de façon concomitante, soutenir la réindustrialisation en produisant du matériel roulant ; appuyer les entreprises, pour lesquelles notre pays sera plus attractif avec un réseau de transport ferré développé ; réduire nos émissions de gaz à effet de serre ; retrouver notre souveraineté et donc limiter la place des entreprises étrangères et les financements privés ou d'États étrangers qui les soutiennent. Keolis, par exemple, est ainsi détenue à 30 % par la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Nous le savons, le transport ferroviaire ne peut pas fonctionner sans soutien public, et la recherche de profit, tout comme l'ouverture à la concurrence du secteur, est forcément contraire à l'intérêt général. La recherche de la rentabilité maximum conduit à des suppressions d'emplois, à la dégradation des conditions de travail des salariés, à des économies sur la maintenance des infrastructures et des trains, ainsi qu'à la fermeture de guichets, voire de gares, si le chiffre d'affaires n'est pas à la hauteur souhaitée.
Nous devrions soutenir l'intermodalité en proposant un maillage au plus fin afin de réduire la présence de camions sur les routes. Ce n'est malheureusement pas le choix fait par les gouvernements successifs.
Des financements sont possibles, mon collègue l'a dit et je partage son avis. Nous savons que les premières concessions autoroutières prennent fin en 2030 et nous défendons la renationalisation de ces autoroutes en conservant une logique de péage qui pourrait nous permettre de financer la décarbonation des transports.
Ainsi, 1 milliard d'euros pourraient être alloués au ferroviaire, et 3,4 milliards d'euros aux autres modes, dont la mise en place des services express régionaux métropolitains (Serm).
La France ne peut pas continuer à afficher des ambitions climatiques sans les traduire en actes. La relance du fret ferroviaire est une urgence, une opportunité industrielle, une exigence écologique et sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Madame la sénatrice Varaillas, un certain nombre d'actions ont été menées ces dernières années sur cette question, et des moyens ont été alloués. Je soulignerai ainsi le triplement des aides à l'exploitation, avec en particulier la création d'une aide au wagon isolé, ainsi que le doublement des investissements de l'État en matière d'infrastructures.
S'agissant du plan de discontinuité du fret, la Commission européenne a ouvert, en janvier 2023, une procédure formelle d'examen sur certaines aides dont a bénéficié Fret SNCF. Je le précise d'autant plus sereinement que la décision du plan de discontinuité n'émane pas de moi, mais de l'un de mes prédécesseurs, et qu'elle était justifiée. Vous n'en êtes pas tous convaincus, mais le risque était purement et simplement la disparition de l'activité de Fret SNCF, avec un impact fort sur ses agents. L'emploi de 5 000 cheminots était en jeu !
Aujourd'hui, cette solution permet de sauvegarder ces emplois sans casse sociale, un aspect qui me semble vous tenir à cœur.
La discontinuité négociée reste proportionnée par rapport à une jurisprudence existante en la matière, celle d'Alitalia. En tout état de cause, nous avons garanti le respect de trois lignes rouges que vous partagez : préserver notre outil industriel, éviter les licenciements et prévenir tout report modal supplémentaire vers la route.
Enfin, concernant la question du financement, nous sommes également d'accord – même si nous ne le sommes pas sur la forme de la gestion des futures concessions autoroutières. Il s'agit de l'un des objectifs de la conférence de financement, qui débutera le 5 mai prochain à Marseille en présence du Premier ministre et se déroulera sur dix semaines.
J'ai ainsi souhaité qu'un des quatre ateliers soit spécifiquement consacré au transport de marchandises. Je forme le vœu qu'à l'issue de ces différents débats nous puissions aboutir à un fléchage très marqué des financements vers le transport de marchandises, de préférence en provenance de la route, notamment des autoroutes.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Je remercie tout d'abord nos collègues communistes d'avoir permis ce temps de débat sur les conditions de la réussite de la relance du fret ferroviaire, d'autant que nous sommes en attente du rapport de synthèse du cycle sur le fret ferroviaire de notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Ce débat est opportun à la veille de cette conférence de financement dont les conclusions, particulièrement celle de l'atelier 4, indiqueront si, oui ou non, les ambitions de la France en matière d'essor du fret ferroviaire pourront être réalisées selon une trajectoire adéquate d'ici à 2040.
Monsieur le ministre, concernant cette conférence, le Gouvernement a-t-il la volonté qu'y soient établies et garanties les conditions de financement de la trajectoire d'investissement nécessaire pour l'essor du fret ferroviaire d'ici à 2040 ?
Le débat de ce soir est l'occasion de clarifier les impacts éventuels d'une loi de finances en passe d'être rabotée de façon significative, s'agissant, particulièrement, du programme 203 « Infrastructures et services de transport » qui contient notamment l'action n° 41 « Ferroviaire » et l'action n° 45 « Transports combinés ».
Qu'en est-il précisément ? Le ferroviaire, notamment le fret, est-il ou non touché par ce nouveau reflux budgétaire de l'écologie ? La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, Ulysse Fret 2023-2032, subira-t-elle ce reflux ? La somme de 1,5 milliard d'euros supplémentaires par an d'ici à 2027 et le plan de 4 milliards d'euros pour le fret d'ici à 2032 sont-ils remis en cause ?
Ce débat offre aussi l'occasion de dresser un état des lieux de la situation actuelle du fret, avec les mauvais résultats de 2023, qui ont remis en cause le début de tendance à la hausse qui s'amorçait depuis 2021.
Il est sans doute trop tôt pour connaître les conséquences de la dislocation de Fret SNCF, effective depuis le 1er janvier, notamment un éventuel report modal inversé, mais vous disposez sans doute de données récentes pour nous indiquer où nous en sommes au regard de la trajectoire fixée par la loi Climat et Résilience. Maintenez-vous l'objectif intermédiaire de doublement, soit 18 % de part modale en 2030, ou y renoncez-vous ?
Il serait faux de considérer que l'effort à consentir pour le fret ferroviaire constituerait une charge, une mise sous perfusion coûteuse, faute de modèle économique pour ce mode de transport.
Certes, le wagon isolé nécessite par nature un soutien public pour être rentable ; certes, il s'agit de poursuivre le dispositif de prise en charge des péages dus par les opérateurs à SNCF Réseau, qui place le coût de circulation des trains de fret en France nettement en dessous de la moyenne européenne.
Pour autant, ne perdons pas de vue les formidables atouts du ferroviaire, qui le rendent si compétitif : au moins six fois moins de consommation d'énergie que le camion et neuf fois moins de carbone à la tonne transportée.
Pour que ces avantages puissent déployer tout leur potentiel, des obstacles sérieux doivent être levés. Pour bien les identifier, il convient d'élargir la focale au niveau européen. Les pays dans lesquels la part modale du fret ferroviaire se situe entre 20 % et 30 %, voire au-delà, sont ceux dans lesquels les efforts sur l'infrastructure sont les plus importants et dans lesquels un travail déterminant de rééquilibrage compétitif entre la route et le rail est mené.
Le mode routier, en effet, ne paye guère ses externalités négatives : dégradation des routes, nuisances, engorgement, accidentalité, pollution, contribution forte à l'effet de serre, et j'en oublie. Le pollueur n'est pas le payeur, tant s'en faut, et cela creuse l'écart de compétitivité avec le rail.
En tant qu'Alsacien, du Grand Est, je mesure l'écart avec nos voisins européens. L'Europe d'aujourd'hui offre un contraste saisissant entre, d'une part, l'Espagne ou l'Italie au sud qui ont basculé dans le tout-camion, à l'instar d'une grande partie de l'Europe de l'Est, et, d'autre part, la Suisse, l'Allemagne ou les Pays-Bas, où le fret ferroviaire occupe une place significative, fruit d'investissements importants dans des sillons performants et des terminaux interconnectés, et où le déséquilibre entre la route et le rail est corrigé par des taxes sur les poids lourds élevées.
Dégager de telles recettes permettrait de réaliser les investissements massifs nécessaires pour un réseau plus circulé, grâce à des modernisations telles que la commande centralisée du réseau (CCR) et le système européen de gestion du trafic ferroviaire ERTMS (European Rail Traffic Management System), ainsi que, concernant le fret, pour le maintien et la modernisation des voies de service et de triage. En effet, sans régénération de ces voies d'ici à dix ans, la moitié du trafic fret serait, au mieux perturbée, au pire interrompue.
Jusqu'à présent, la France a manqué d'une réelle volonté d'augmenter les prélèvements sur le transport routier. Pour ce qui concerne l'application de la directive Eurovignette, nous nous en tenons au minimum, alors qu'il faudrait actionner résolument les leviers du système d'échange de quotas d'émission EST (Emissions Trading System) et de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
De ce déséquilibre favorable au routier découlent les autres obstacles qui entravent l'essor du ferroviaire : la capacité insuffisante d'un réseau vieillissant, le déficit de qualité de service qui privilégie le voyageur au détriment du fret, la pénalisation du fret par la réalisation des travaux de nuit, une ponctualité défaillante pour les trains de fret et, enfin, le déficit d'organisation conduisant à la sous-exploitation de la complémentarité entre le routier et le ferroviaire, alors que le potentiel du transport combiné est si prometteur.
Comme si les difficultés à surmonter n'étaient pas suffisantes, voilà que les camions de très gros tonnage, de quarante-quatre tonnes, en transit, voire les mégacamions atteignant soixante tonnes et vingt-cinq mètres de long, nous menacent de leur impact désastreux et de leur concurrence. Le Sénat, par une résolution européenne dont j'ai été corapporteur avec Pascale Gruny, vient d'exprimer sans ambiguïté sa désapprobation, que vous affirmez partager, monsieur le ministre.
Quelles sont donc les perspectives dans ce trilogue crucial, inscrit, me semble-t-il, à l'ordre du jour du Conseil européen de juin consacré aux transports, pour que ce projet de directive révisée ne se fasse pas au détriment du fret ferroviaire ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le sénateur Fernique, en matière d'investissement, l'État a démontré son engagement. Les chiffres parlent d'eux-mêmes, puisque, comme je l'ai déjà dit, nous y consacrons 370 millions d'euros par an.
Une enveloppe significative – 100 millions d'euros – est spécifiquement dédiée au transport par wagon isolé. J'en parle d'autant plus volontiers que ce budget est passé de 70 millions à 100 millions d'euros l'année dernière, soit une hausse de 30 millions d'euros. Je peux vous assurer, compte tenu des divers coups de rabot dont il est si souvent question ces derniers temps dans cet hémicycle, qu'être parvenu à augmenter ce budget à un tel niveau l'an passé n'est pas un mince exploit. J'en suis particulièrement fier, et j'espère que l'on restera sur cette même dynamique lors du projet de loi de finances pour 2026, pour tenir les engagements pris dans le cadre de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire.
Concernant la transformation de Fret SNCF, les résultats sont plutôt encourageants. Hexafret et Technis, qui sont opérationnels depuis janvier dernier, suivent leur trajectoire budgétaire. Une réorganisation sociale se déroule actuellement, conformément aux engagements que je vous rappelle : aucun licenciement économique, tandis que les deux tiers du personnel ont déjà retrouvé une place au sein du groupe ; maintien des services, évitant tout report vers la route.
J'ai par ailleurs une bonne nouvelle à vous annoncer, celle de la signature toute récente d'un très gros contrat d'Hexafret pour le marché de la sidérurgie, ainsi que la probable prochaine signature d'un autre contrat avec des céréaliers. Vous le voyez, Hexafret fonctionne et fonctionne même plutôt bien.
Je manque de temps, hélas, pour aborder l'ensemble des sujets que vous avez évoqués. Je me contenterai de vous répondre sur la qualité de service sur les réseaux : sont engagées un certain nombre d'actions pour la sécurisation des sillons réservés au fret, la refonte des systèmes d'information de SNCF Réseau, la mise en place d'indicateurs adaptés, la mise en œuvre de plateformes de services et d'infrastructures. Je vous le dis sincèrement : il semble que, plus que jamais, ceux qui utilisent les infrastructures de SNCF Réseau pour le transport de marchandises sont plutôt satisfaits du service rendu actuellement pour pallier les manques de ces dernières années, notamment pour ce qui est de la qualité du service.
L'ensemble des mesures que je viens de citer visent à rétablir une qualité indispensable pour faire prospérer le fret et nous permettre de tenir les engagements pris dans le cadre de la loi Climat et Résilience.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier sincèrement le groupe communiste de l'organisation de ce débat, qui peut certes sembler technique, mais qui est en fait très politique, tant l'activité de fret a un impact majeur et pourtant très mal évalué, que ce soit en matière d'écologie, d'aménagement du territoire, d'économie, d'industrie, de défense, d'alimentation ou en matière sociale.
Oui, le fret ferroviaire est un vecteur essentiel de la réindustrialisation du pays et du continent.
Oui, le fret ferroviaire est un maillon essentiel de notre système de défense à l'heure du retour de la guerre sur notre continent et de la nécessité de repenser notre stratégie nationale et européenne.
Oui, le fret et le transport ferroviaire sont des outils essentiels pour l'aménagement durable du territoire et font le lien entre les territoires. En cela, ils sont d'utilité démocratique.
Oui, le fret ferroviaire est un outil indispensable face à la crise écologique – d'autres orateurs l'ont dit.
Moins de camions, c'est moins de pollution. Moins de camions, c'est moins d'engorgement. Moins de camions sur les corridors européens, c'est moins de pertes de recettes pour l'État français du fait de moindres traversées sans faire le plein de carburant sur notre sol.
Moins de camions, c'est également moins d'usure de nos routes, d'autant plus que les routiers ne la paient pas ! Nos routes sont presque toutes gratuites pour les usagers : elles sont donc à la charge des contribuables. Il est particulièrement problématique que nos concitoyens paient pour des camions qui dégradent nos infrastructures, d'autant que cette dégradation s'inscrit dans un rapport de un à cent mille si on la compare à celle qu'occasionnent les trajets effectués en voiture par M. ou Mme Tout-le-Monde. Et qu'en sera-t-il demain avec les mégacamions s'ils sont finalement autorisés à circuler dans notre pays ? Cette course au gigantisme doit cesser – vous m'avez d'ailleurs quelque peu rassuré sur ce point, monsieur le ministre.
Bref, vous l'aurez compris, le fret ferroviaire, comme le fret fluvial quand il existe, est un des principaux vecteurs de réduction des externalités négatives du transport routier. C'est un gage d'efficacité et d'économies que nos amis suisses, allemands et autrichiens ont identifié depuis longtemps et qui serait particulièrement utile au moment où vous recherchez 40 milliards d'euros d'économies supplémentaires.
Assez d'actions coups de poing, assez de tête-à-queue en matière de politique de transport, comme nous l'avons encore vu la semaine dernière avec le Pass Rail. Donnons une vision et des perspectives claires à un secteur d'activité qui ne peut se construire que sur le temps long.
Compte tenu des externalités positives du fret ferroviaire et fluvial, adaptons chez nous des solutions réglementaires qui ont fait recette ailleurs, afin de les faire monter en puissance. À titre d'exemple, nos amis suisses et autrichiens ont institué des interdictions de circulation routière sur des axes dotés d'une véritable alternative ferroviaire.
J'en viens au cœur de notre débat d'aujourd'hui, monsieur le ministre.
Pouvez-vous apporter des précisions sur l'évolution de la situation du fret ferroviaire ? Vous nous avez indiqué que cette situation s'était améliorée en 2021 et en 2022, mais pas en 2023. Le flux et la volumétrie des marchandises transportées sont-ils en hausse ou en diminution ?
Où en sommes-nous de la réalisation des soixante-douze mesures de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire définie en 2020, dont plusieurs jalons ont été fixés en 2022 ? Sauf erreur de ma part, ce débat est la première occasion pour nous de faire un véritable point d'étape, ce que nous apprécions.
Puisque, en vertu de la Constitution, nous sommes chargés du contrôle de l'action du Gouvernement, pouvez-vous vous engager, monsieur le ministre, à rendre compte, régulièrement, de l'évolution du secteur et à présenter à cette occasion les mesures à prendre pour le soutenir et l'aider à se développer ? Dans cette veine, je souhaiterais – comme d'autres avant moi – disposer de davantage d'informations quant à l'éventuelle pérennisation en 2026 des « aides à la pince », dont le montant a été rehaussé de 30 millions d'euros cette année. Vous venez de préciser que vous espériez que ce budget de 100 millions d'euros serait reconduit dans le prochain projet de loi de finances – je l'espère également, et sachez, monsieur le ministre, que nous vous soutiendrons.
Surtout, la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire est-elle encore réalisable au vu des 40 milliards d'euros d'économies que vous visez ?
Il en est de même pour le programme Ulysse Fret, publié il y a un mois, qui prévoit 4 milliards d'euros d'investissements sur dix ans. Je voudrais également obtenir des précisions à ce propos.
À ce titre, je suis inquiet de constater qu'une nouvelle fois vous souhaitez mettre à contribution les collectivités pour mener une politique qui est purement du ressort de l'État. En effet, après les injonctions adressées au département de Meurthe-et-Moselle et à la métropole de Nancy pour relancer une ligne d'équilibre du territoire vers Lyon, voilà que vous souhaitez intégrer le fret aux contrats de plan État-région à partir de 2027 ! C'est écrit noir sur blanc à la page 19 du rapport Ulysse…
Par ailleurs, comment ferez-vous pour poursuivre la lutte contre les mégacamions si la part du fret continue de s'effriter ?
Depuis le début de l'année, Fret SNCF n'existe plus. Le plan de discontinuité a été mis en œuvre. Si nous continuons de penser que les gouvernements précédents n'ont pas du tout utilisé toutes les armes à leur disposition pour engager un véritable rapport de force avec la Commission européenne, c'est bien vers l'avenir qu'il faut se tourner.
Concrètement, comment jugez-vous l'activité commerciale d'Hexafret ? Pouvez-vous nous rassurer quant à sa viabilité économique, puisque de nombreuses alertes ont été émises par les syndicats et les professionnels du secteur en amont du plan de discontinuité ? Vous nous avez livré de premières informations ; j'aimerais de plus amples précisions.
Où en est-on de l'ouverture, potentiellement substantielle, du capital d'Hexafret, qui était prévue dans le plan de discontinuité ? Où en est-on de la réattribution des vingt-trois flux que devait obligatoirement « lâcher » la SNCF ? Vous venez d'expliquer que la route n'avait pas progressé et que le ferroviaire tenait son rang malgré cette discontinuité : qu'en est-il exactement ?
Je ne peux conclure mon propos sans parler de la situation sociale du secteur et de l'entreprise. J'en profite pour saluer, du haut de cette tribune, l'engagement des cheminots.
L'inquiétude était forte en fin d'année. Votre prédécesseur, monsieur le ministre, s'était voulu rassurant lors de ses différents entretiens avec les organisations syndicales, notamment sur l'absence de plan social affiché, bien que les effectifs soient tout de même en baisse, à l'inverse du signal que nous voulons collectivement envoyer.
Pour autant, le climat ne semble pas radieux, et les perspectives d'embauche dans le secteur ne sont pas au beau fixe. Comment développer le ferroviaire sans cheminot ? Il est plus que temps que vous lanciez, en lien avec l'ensemble des acteurs, un grand plan sur l'emploi et les compétences, notamment dans le fret, parce que, je le redis, sans cheminot, point de train !
Monsieur le ministre, nous nous sommes battus conjointement sur ces travées pour augmenter l'investissement public dans un secteur industriel stratégique pour notre pays. Je forme le vœu que vous parveniez à sortir le fret ferroviaire de l'impasse dans laquelle il semble se trouver. Il en est de même pour le fluvial, mais ce n'est pas le cœur de notre débat.
Je ne peux pas non plus terminer mon intervention sans formuler quelques propositions, surtout à une semaine de l'ouverture de la grande conférence Ambitions France Transports, une perspective qui, je l'espère, monsieur le ministre, ne vous poussera pas à dissimuler une partie de vos réponses. (M. le ministre sourit.)
Je pense notamment qu'il serait utile que vous repreniez à votre compte le dispositif de la proposition de loi que vous avez déposée le 11 janvier 2022 pour mieux valoriser le fret dans le contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État – d'autant plus qu'il faut le réviser. Il s'agissait en effet d'une belle initiative.
Depuis quelques années, je me dis aussi qu'il faudrait expérimenter l'obligation, sur les axes des autoroutes ferroviaires, de passer le transport de marchandises par le fer ou le fleuve plutôt que par la route. Seriez-vous prêt à engager cette réflexion ?
Enfin, puisque vous m'avez adressé un clin d'œil amical en évoquant une ancienne ministre et l'abandon, échec incroyable de triste renommée, de l'écotaxe – c'était vraiment une erreur absolue de l'abandonner –, je vous confirme qu'il convient selon moi de relancer la généralisation d'une écotaxe poids lourds en nous inscrivant dans les pas de la région Grand Est. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas et M. Jacques Fernique applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le sénateur Jacquin, je tiens avant tout à saluer votre détermination, que nous avons d'ailleurs en partage sur ce sujet – nous en avons si souvent parlé…
Sur la question des mégacamions, vous connaissez ma position, au regard des conséquences que cela aurait sur nos routes et surtout du report modal qui en découlerait, lequel tuerait définitivement, disons-le, le fret ferroviaire avec une baisse de 25 % de cette activité.
Nous avons une bataille à gagner d'ici à juin prochain, puisque la présidence polonaise du Conseil de l'Union européenne est plutôt défavorable aux mégacamions, à la différence de la future présidence danoise. Il nous faut, d'ici au mois de juin, tenter de régler cette question. J'ai ce dossier bien en tête et je déploierai toute l'énergie nécessaire pour y arriver.
Vous avez cité l'exemple déjà mentionné de la Suisse et de l'Autriche. Comme vous l'avez rappelé, ces pays taxent fortement la route. Or ils n'avaient pas la chance d'avoir Ségolène Royal ; aussi ont-ils pu mener la politique qu'ils souhaitaient en matière de transport routier… (Sourires.)
Concernant la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, les deux tiers des soixante-douze mesures qu'elle comprenait sont déjà en cours de mise en œuvre – je vous transmettrai les précisions attendues à ce sujet.
Pour ce qui est d'Hexafret, oui, l'entreprise ouvrira son capital en 2026, comme elle s'y était engagée. J'ai une pensée à cet instant pour les 500 collaborateurs qui sont en cours de reclassement dans l'ensemble du groupe. Je crois savoir qu'ils bénéficient d'un accompagnement social – en tout cas, c'est une demande de notre part, que je souhaite sincèrement voir satisfaite –, qui doit les aider à retrouver une activité au sein du groupe SNCF qui puisse les passionner de nouveau.
Vous avez évoqué le Pass Rail. Cette mesure coûtait 12 millions d'euros : nous préférons investir cet argent pour le fret, tout simplement parce qu'il y a eu très peu de report modal, que nous devons faire des choix, et que les régions ont vraiment montré peu d'entrain à ce sujet. Cela étant, notre position n'est pas définitivement arrêtée : nous parviendrons peut-être à trouver une meilleure formule.
Permettez-moi d'insister sur un dernier point : soyons positifs au sujet du fret ferroviaire. Arrêtons d'en parler négativement ! J'ai reçu ces jours derniers l'ensemble des acteurs de l'alliance 4F : je peux vous dire qu'ils y croient plus que jamais ! Arrêtons de tenir un discours négatif, même s'il est réaliste au regard des chiffres qui ont été cités. Il existe une véritable envie de la part de ces acteurs de continuer à investir dans le fret ferroviaire. À nous d'être capables de les accompagner utilement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de porter une voix non pas différente, mais quelque peu dissonante et, en tout état de cause, complémentaire. Après tout, dans le cadre d'un débat sur le ferroviaire, qu'il y ait plusieurs voies me semble une bonne chose… J'espère que vous apprécierez ce jeu de mots thématique en quelque sorte ! (Sourires.)
À l'heure où notre pays cherche à concilier souveraineté économique et sobriété carbone, une évidence s'impose : nous devons relancer le fret ferroviaire et, surtout, tout l'écosystème autour de ce fret.
Parler du seul fret ferroviaire est une grave erreur. La chaîne logistique ne se nourrit pas que d'une brique. Pour qu'elle soit dynamique, performante et efficace, il faut travailler sur toutes les briques. Parler du fret sans parler du reste ne peut pas être la solution. D'ailleurs, sur le temps long, le fret ferroviaire ne revivra jamais s'il est opposé aux autres modes de transport.
Permettez-moi de revenir un instant sur les propos que viennent de tenir plusieurs de mes collègues et M. le ministre.
Je vous le dis comme je le pense : si la France s'opposait aux mégacamions, ce serait une erreur. Plutôt que de les interdire purement et simplement, je préférerais de beaucoup que nous réfléchissions à une expérimentation autour des mégacamions qui servent le fret ferroviaire, une expérimentation que nous encadrerions et qui pourrait ne concerner que les flux à destination ou en provenance des plateformes multimodales, de manière à relancer et à agir en complémentarité du fret ferroviaire.
Aujourd'hui, les autres pays européens n'interdisent pas les mégacamions. Il serait donc vain de vouloir relancer le fret ferroviaire face à une concurrence européenne qui, elle, disposerait d'outils complémentaires, tels que les mégacamions, et qui, de ce fait, serait plus puissante, plus souple, plus agile d'un point de vue logistique. Une interdiction aussi brutale et une position aussi dogmatique ne seront jamais une solution.