Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

Mme Corinne Bourcier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier et à féliciter Nicole Dubré-Chirat, ma collègue députée de Maine-et-Loire, et Frédéric Valletoux, qui sont à l’origine de cette proposition de loi.

Je suis heureuse que la promesse de l’inscription de ce texte à notre ordre du jour ait pu être tenue malgré les bouleversements politiques des derniers mois. Je souhaite également saluer sincèrement le travail des rapporteurs, qui ont amélioré un texte dans un sens qui, je le pense, fera consensus.

Ce texte, tant attendu par la profession, consacre la reconnaissance, amplement méritée, du rôle fondamental des infirmiers dans la prise en charge des patients. Qu’ils exercent en ville, en maison de santé, à l’hôpital, en maison de retraite ou en établissement scolaire, ils sont plus de 600 000 en France à œuvrer quotidiennement pour la santé de nos concitoyens.

On dit souvent que les métiers du soin se font par vocation. Je ne sais pas si tous les infirmiers travaillent par vocation, mais ils le font, sans aucun doute, avec dévotion. Pour la première fois, un texte législatif reconnaît leur engagement et définit leurs missions. Actuellement, seul un décret liste les actes qu’ils sont autorisés à accomplir.

Cette proposition de loi représente donc un tournant important pour la profession, un tournant d’abord symbolique – et les symboles sont nécessaires, surtout quand il s’agit de la reconnaissance d’une profession essentielle –, mais aussi un tournant pratique, puisque ce texte définit les missions principales de la profession : réalisation et évaluation des soins, orientation de la personne, participation à la prévention et à la formation.

Par ailleurs, le texte consacre deux notions particulièrement attendues par la profession : la consultation infirmière et le diagnostic infirmier avec pouvoir de prescription, en reconnaissant au professionnel la possibilité de prescrire des produits de santé et des examens médicaux, tout en sécurisant ces notions au regard de l’exercice illégal de la médecine. Ces apports sont nécessaires à l’exercice de leur profession. Je le rappelle, à ce jour, il est impossible aux infirmiers et aux infirmières de prescrire du paracétamol, ce qui est tout bonnement illogique et injustifié compte tenu de leurs compétences.

Il reste impératif, et les rapporteurs ont parfaitement saisi et intégré cet enjeu, que les missions des infirmiers s’exercent toujours en coordination avec le médecin traitant. Reconnaître les compétences des infirmiers, c’est évidemment dégager du temps médical supplémentaire. Pour ce qui concerne certaines maladies chroniques, par exemple, l’infirmier est tout à fait capable d’assurer le suivi des patients et d’orienter vers le médecin traitant en cas de besoin.

Je souhaite aussi préciser – c’est important – que les soins relationnels, qu’il est légitime de reconnaître parmi les missions des infirmiers, n’ont pas été retirés du texte : ils figurent toujours à l’article 1er, avec les soins préventifs, curatifs et palliatifs.

Je me réjouis de l’adoption, par la commission, de mon amendement, identique à un amendement des rapporteurs et d’autres collègues, ayant pour objet d’affirmer l’importance des sciences infirmières, discipline dans laquelle la France souffre d’un retard préoccupant.

La proposition de loi ouvre également la voie à une revalorisation des actes infirmiers, en prévoyant que l’arrêté fixant la liste des actes et soins qu’ils peuvent réaliser donnera lieu à une négociation sur leur rémunération. Il était temps ! Les actes médicaux infirmiers n’ont pratiquement pas évolué depuis 2009. J’espère que cette mesure trouvera rapidement une traduction concrète, c’est-à-dire, comme cela a été récemment annoncé, avant l’été. Revaloriser les actes permet bien sûr de renforcer l’attractivité d’une profession dont nous avons grandement besoin.

Le texte accorde également davantage de reconnaissance à la pratique avancée, en élargissant les lieux d’exercice de cette pratique aux services de protection maternelle et infantile, à la santé scolaire et à l’aide sociale à l’enfance.

Nous avons eu l’occasion de le rappeler à diverses reprises, les IPA représentent un pilier récent, mais bien réel, de l’accès aux soins de nos concitoyens. Ils sont désormais 3 000 à avoir été formés ; nous devons continuer en ce sens.

La reconnaissance et la revalorisation de la profession d’infirmier que permet ce texte sont une nécessité à l’heure où, malgré les différentes mesures, nous manquons toujours cruellement de médecins dans beaucoup de territoires.

Je partage enfin ce qui a pu être signalé par certains collègues en commission : on peut regretter la multiplication, en très peu de temps, du nombre de propositions de loi sur l’accès aux soins et sur les professionnels de santé, et l’absence d’un texte global qui permettrait de considérer les différentes professions dans leur ensemble. Néanmoins, en l’absence d’un tel projet de loi, il est louable que le Parlement agisse pour l’accès aux soins des Français.

Ce texte ne réglera pas à lui seul la question de l’accès aux soins ni toutes les difficultés des infirmiers et des infirmières, mais il contient des avancées indispensables et concrètes, que nous soutenons. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, RDPI, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Bonfanti-Dossat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant été infirmière libérale pendant plus de trente ans, je défends aujourd’hui avec beaucoup d’émotion cette proposition de loi.

Je souhaite bien évidemment remercier le président de la commission, Philippe Mouiller, ainsi que les rapporteurs, Anne-Sophie Romagny et Jean Sol, de la qualité de leur travail. Je voudrais également rendre très chaleureusement hommage aux infirmières et infirmiers – je salue ceux qui sont présents en tribune – pour la qualité de leurs soins et leur accompagnement moral si précieux, de nuit comme de jour, du lundi au dimanche, de janvier à décembre. Je veux saluer leur courage, leur détermination et leur disponibilité de chaque instant, à tous les moments de la vie. Depuis trop longtemps, ils réclament légitimement une considération et une reconnaissance qui soient à la hauteur de leur profession.

Le texte que nous examinons aujourd’hui était attendu par les 640 000 infirmiers diplômés d’État, qui constituent aujourd’hui, et de très loin, la première profession de santé en France.

Notre pays se singularise, en Europe et par rapport aux pays anglo-saxons, par son retard dans l’adoption des compétences dévolues à la profession infirmière. Le décret d’actes ou décret de compétences, actuellement codifié au sein du code de la santé publique, restreint les possibilités d’action des professionnels.

Ce décret d’actes est une spécificité française : aucun autre pays n’a établi une liste aussi précise limitant les compétences des infirmières, ce qui fait naître de facto le sentiment d’un manque de reconnaissance au sein de la profession infirmière, lequel contribue à la perte d’attractivité du métier. En outre, à ce manque de reconnaissance s’ajoutent des problèmes de rémunération et des conditions de travail trop souvent éprouvantes.

La France doit impérativement reconnaître que les infirmières sont essentielles à la Nation, parce qu’entre le quotidien du terrain et le cadre qui organise leur exercice, il y a un vide juridique où s’épuise une profession pourtant au cœur du système de santé.

L’Assemblée nationale ne s’y est pas trompée en adoptant ce texte à l’unanimité. Or j’ai lu avec amusement que le Sénat avait souvent été frileux pour reconnaître la profession d’infirmière. J’accepte donc volontiers l’augure selon lequel nous allons prouver le contraire à la fin de nos débats d’aujourd’hui.

Cette proposition de loi doit impérativement acter la reconnaissance législative de la consultation infirmière, du diagnostic infirmier et de l’élargissement du droit de prescrire, mais elle doit également sanctuariser plusieurs missions infirmières. Toutefois, il convient d’ajouter une précision essentielle, qui faisait très justement l’objet d’un amendement de l’Assemblée nationale : l’accès direct aux infirmiers pour les soins de premiers secours.

Dans les faits, les consultations infirmières existent déjà – prévention, éducation, soins dispensés pour des maladies chroniques, accompagnement en soins palliatifs –, mais elles dépendent des établissements de santé. Il faut donc une reconnaissance claire et légale de cette pratique.

Le diagnostic infirmier est inscrit dans la réglementation depuis 1993, mais qui s’en souvient ? Il est trop souvent confondu avec le diagnostic médical. Or, je le rappelle, le diagnostic infirmier identifie non pas la maladie, mais les besoins ; il cherche non pas la pathologie, mais une réponse humaine à une situation de santé. Pourquoi donc ne pas admettre la légitimité des diagnostics infirmiers ?

Depuis le 31 mars 2012, la France autorise la prescription infirmière de dispositifs médicaux, de traitements nicotiniques ou de vaccins. Le texte en vigueur est fixé de façon limitative par l’arrêté du 20 mars 2012, publié au Journal officiel le 30 mars de la même année. Pourquoi ne pas permettre des prescriptions ciblées ? Le droit de prescrire dans un cadre bien défini permet de soigner sans délai, comme le rappellent justement de nombreux syndicats infirmiers. À l’heure où nous faisons face à une désertification médicale majeure, les prescriptions ciblées permettraient de désengorger les cabinets médicaux et d’éviter certaines hospitalisations.

Si certains se posent encore des questions sur cette proposition de loi, je tiens à les rassurer : non, ce texte ne remédie en aucun cas au manque de médecins ; cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant… Son seul objectif est de renforcer le statut des infirmières, d’élargir leurs compétences et de leur donner la reconnaissance que mérite leur profession.

Je veux aborder, pour finir, le problème de l’accès direct aux infirmières, qui est très limité aujourd’hui. L’accès direct désigne la faculté pour les patients de consulter un professionnel de santé et d’obtenir un remboursement par l’assurance maladie sans qu’une prescription médicale soit nécessaire.

Dans les territoires en tension, l’accès direct aux soins infirmiers est souvent la seule porte d’entrée pour le patient. Cette proposition de loi doit reconnaître cette réalité, c’est une mesure de justice sociale autant que de santé publique.

Mes chers collègues, le cadre législatif de la profession d’infirmier est obsolète. Il faut le transformer en profondeur. Les infirmiers ne demandent pas plus de tâches ; ils demandent plus de sens dans leur métier. Ils veulent sortir de l’ombre juridique, ils veulent que l’on reconnaisse leurs compétences, ils veulent enfin que l’on sécurise leurs actes.

Toujours infirmière dans le cœur, je voterai pour cette proposition de loi, afin de redonner de l’éclat à cette noble profession. Monsieur le ministre, mesdames, messieurs les infirmiers présents en tribune, tous les anges n’ont pas d’ailes, mais beaucoup ont des blouses blanches… (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui représente un tournant historique pour la profession infirmière, celle-là même qui, quotidiennement, incarne la proximité, la compétence et l’humanité de notre système de santé.

Adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale, ce texte est attendu depuis près de deux ans par des professionnels confrontés à un mal-être profond et à une perte d’attractivité alarmante. Selon l’ordre national des infirmiers, près de 20 % des professionnels envisagent de quitter la profession dans les prochaines années, signe tangible d’un désenchantement qu’il nous appartient de combattre ici et maintenant.

Face au vieillissement de la population, à la flambée des maladies chroniques et à l’extension des déserts médicaux, notamment dans les zones rurales et dans nos territoires outre-mer, il devenait indispensable de redonner à nos infirmiers les moyens juridiques et professionnels d’agir à la hauteur de leurs compétences.

Les chiffres sont éloquents : à l’horizon de 2050, la France comptera près de 22 millions de personnes âgées de plus de 65 ans, soit près d’un tiers de sa population, ce qui rend l’action des professionnels infirmiers plus essentielle que jamais.

Oui, cette profession, première par ses effectifs, avec près de 600 000 membres en exercice en France, dont 87 % de femmes, et une croissance estimée à 37 % d’ici à 2050, est le socle invisible, mais indispensable, de l’accès aux soins. Pourtant, elle demeurait enfermée dans un cadre juridique obsolète, hérité d’un décret d’actes strictement limitatif et figé par le principe de monopole médical.

À ce titre, le présent texte comporte plusieurs avancées majeures, que je tiens à saluer.

D’abord, je me réjouis de la refonte complète du socle législatif de la profession. Pour la première fois, la loi reconnaîtra directement les missions clés des infirmiers : réalisation de soins curatifs, palliatifs et relationnels, prévention, conciliation médicamenteuse, surveillance clinique, suivi du parcours de santé, formation et recherche en sciences infirmières.

Ensuite, l’introduction de la consultation infirmière et du diagnostic infirmier, fondée sur une démarche autonome d’analyse des besoins du patient, représente une reconnaissance pleine et entière de leur expertise clinique, sans confusion avec le diagnostic médical, mais en complémentarité intelligente avec les autres professions de santé.

Par ailleurs, le texte ouvre et organise de nouveaux droits de prescription, renforçant ainsi la capacité des infirmiers à intervenir rapidement et efficacement, en particulier dans les territoires où l’accès aux médecins est difficile. Aujourd’hui, seuls 16 % des infirmiers exercent en libéral ; or cette part pourrait atteindre 25 % d’ici à 2050, ce qui implique de donner plus d’autonomie à cette profession, afin de répondre aux besoins des territoires.

Cette refonte ambitieuse ne se limite pas au métier socle. Elle accompagne également l’essor de la pratique avancée, en élargissant les terrains d’exercice aux structures de protection maternelle et infantile, à la santé scolaire et à l’aide sociale à l’enfance.

En outre, elle amorce la reconnaissance tant attendue d’une pratique avancée adaptée aux spécialités infirmières, telles que les IADE et Ibode, qui représentent près de 30 000 professionnels hautement qualifiés.

L’expérimentation de l’accès direct dans certains territoires, notamment en outre-mer, constitue un autre progrès majeur. Permettre aux infirmiers, à certaines conditions rigoureuses, de prendre en charge directement des patients sans prescription médicale préalable, dans leur champ de compétences, c’est faire confiance à leur expertise, tout en fluidifiant les parcours de soins. À titre d’exemple, en Nouvelle-Calédonie, 48 % des communes sont en situation de désert médical, ce qui illustre l’urgence qu’il y a à avancer vers ces dispositifs innovants.

Enfin, cette réforme prend en compte les réalités humaines de ce métier pénible : en prévoyant une évaluation adaptée en cas d’interruption prolongée d’exercice, ce texte valorise les compétences acquises tout en sécurisant la reprise d’activité, notamment dans une profession largement féminisée, où les interruptions de carrière sont fréquentes.

Il nous faut le reconnaître, cette réforme est une belle avancée. Elle conforte la place incontournable des infirmiers dans notre système de santé et renforce l’attractivité de leur métier. En outre, elle offre une respiration aux territoires, en particulier aux zones rurales et ultramarines, où l’autonomie de compétences est une nécessité vitale pour garantir un accès équitable aux soins.

Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants salue l’esprit de responsabilité qui a présidé à l’élaboration de ce texte, ainsi que le brillant travail de son auteur, Mme la députée Nicole Dubré-Chirat. Nous voulons croire que ce texte connaîtra le même sort au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Naturellement, nous voterons en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Corinne Bourcier, Nadia Sollogoub et Christine Bonfanti-Dossat applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – M. François Patriat applaudit également.)

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans le cadre d’une forte actualité médicale avec l’examen par le Parlement de deux textes sur l’accès aux soins et d’un autre sur la sécurité des professionnels de santé et une importante mobilisation dans la rue et dans les médias.

Traduisant une préoccupation tout aussi légitime, ce texte vise à une reconnaissance plus juste des compétences des infirmiers, à une modernisation et à une sécurisation du cadre de leur exercice et à un renforcement de l’attractivité de la profession.

De manière plus large, cette proposition de loi doit être perçue comme concourant à transformer globalement notre système de soins et non pas exclusivement à fournir un remède à la carence de médecins, car un professionnel ne remplacera jamais l’autre. Le nombre de sollicitations reçues ces derniers jours démontre les attentes de toute la profession infirmière, tout comme les inquiétudes quant à une déstructuration du parcours de soins, rendant nécessaire de clarifier les rôles de chacun.

Quelque 600 000 infirmiers sont en activité en France : avec une démographie particulièrement dynamique, c’est le plus grand vivier de professionnels de santé de notre pays. Il se heurte toutefois à plusieurs réalités : déséquilibre dans la répartition territoriale, 60 000 postes vacants dans les établissements de santé et 40 % des infirmières quittant la profession dans les dix ans suivant l’obtention de leur diplôme. Surtout, cette dynamique ne suffit déjà pas à répondre à l’évolution des besoins, alors que 21 % de la population a plus de 65 ans et que 10 millions de Français sont en affection de longue durée.

Dans ce contexte, des évolutions sont nécessaires. Le groupe RDSE a toujours défendu la montée en compétences des infirmiers et considère qu’il est en effet grand temps de revoir notre base législative, au regard du décret obsolète de 2004 et de ses mises à jour successives ayant engendré une forme d’instabilité du statut, inadapté à la réalité du métier.

L’article 1er tend à préciser le cadre d’exercice de la profession et à introduire deux nouvelles notions jusqu’ici réservées au champ médical : la consultation infirmière et le diagnostic infirmier. Il vise aussi à autoriser la prescription de certains produits de santé ou d’examens complémentaires, dans le domaine de compétences des infirmiers, et l’accès direct pour les soins de premier recours.

Notre groupe se déclare sans réserve en faveur de la rédaction adoptée en commission, qui insiste sur la coordination avec les autres professionnels de santé dans les structures les plus intégrées, rétablit la consultation de l’Académie nationale de médecine et inscrit la recherche en sciences infirmières parmi les missions fondamentales de la profession.

Nous partageons avec enthousiasme les mesures en faveur des IPA, leur permettant d’exercer dans des services de PMI, de santé scolaire ou d’aide sociale à l’enfance, ainsi que l’ouverture à la pratique avancée pour les infirmiers spécialisés. En effet, certains secteurs comme la santé au travail et la médecine scolaire souffrent particulièrement. Allant dans le sens de la proposition de résolution sur la santé mentale des jeunes que mon groupe a fait adopter, la présence d’IPA en milieu scolaire aidera à la détection des troubles et à l’orientation médicale des jeunes, dont l’état de grande souffrance psychique est connu.

Toutefois, j’émettrai des réserves sur l’article 1er quater, qui crée une expérimentation d’accès direct aux infirmiers « pour des actes ne relevant pas de leur rôle propre ». Celle-ci me paraît précipitée. Pour effectives qu’elles soient, les nombreuses mesures législatives et réglementaires dans le domaine de la santé requièrent à présent une déclinaison sur le terrain, avec des changements de pratique, voire d’état d’esprit, ce qui peut prendre du temps. J’en veux pour preuve le travail qui reste à réaliser en matière de déploiement des IPA en libéral ou encore de leur arrivée effective dans les services de santé au travail.

On dénombre 14 000 infirmiers puériculteurs, soit 2 % des effectifs infirmiers. À la suite de notre rapport au nom de la mission d’information sur l’avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale, Annick Jacquemet et moi-même défendons la création d’une nomenclature des actes des puéricultrices, notamment pour les structures de PMI, où ces professionnelles sont particulièrement actives et dont le modèle économique est fragile. L’effondrement des indicateurs de santé périnatale contraint le législateur à apporter des réponses urgentes.

Je défendrai également un amendement visant à reconnaître les exercices spécialisés se fondant sur un niveau master, notamment pour les perfusionnistes, dont les compétences doivent être identifiées comme telles.

Monsieur le ministre, je me permets un pas de côté pour vous sensibiliser en quelques mots à la situation des territoires frontaliers, qui subissent une double peine. Il est impératif de mieux prendre en compte leurs spécificités : intégration de la concurrence frontalière au coefficient géographique des établissements de santé – j’ai fait adopter un amendement en ce sens lors de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2025 – ou encore meilleure coopération transfrontalière dans le domaine de la formation des infirmiers. Sur ces sujets, nous avons vraiment besoin de vous.

Au bénéfice de toutes ces remarques et malgré la réserve sur l’accès direct hors champ de compétences, le groupe RDSE soutiendra ce texte qui constitue une avancée bienvenue pour la profession d’infirmier, mais dont la réussite dépendra de la capacité à répondre aux préoccupations exprimées et à en assurer une mise en œuvre concertée et équilibrée sur le terrain, dans le respect des compétences de chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Corinne Bourcier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. François Patriat et Mme Marie-Do Aeschlimann applaudissent également.)

Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues : « infirmiers en colère », voilà un cri devenu familier. Non seulement il se lit sur les pancartes, mais il s’entend dans les maisons, les hôpitaux, les cabinets et les campagnes. Les infirmiers vont mal et nul ne peut faire semblant de l’ignorer.

Face à la désertification médicale, au vieillissement de la population, à l’insuffisance de l’offre de soins et à l’éloignement des structures spécialisées ou d’urgence, la profession infirmière se retrouve en première ligne. Une pression croissante s’exerce sur elle, sans qu’elle soit accompagnée d’une véritable reconnaissance.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui suscite des espoirs chez les soignants comme chez nos concitoyens, qui soutiennent massivement les infirmiers. Elle vise à clarifier un cadre professionnel en pleine évolution.

Il faut toutefois poser les choses clairement : il n’est pas question ici d’une revalorisation des actes, qui relève des négociations conventionnelles. De fait, hormis un calcul plus cohérent des indemnités kilométriques, le texte ne modifie pas la rémunération. Il a pour objet de clarifier, de sécuriser et de reconnaître.

Les missions infirmières visées dans cette proposition de loi ne sont pas nouvelles. Elles sont déjà enseignées, pratiquées et encadrées par décret. Jusqu’à présent, ce cadre réglementaire suffisait à leur légalité. Mais aujourd’hui, les auteurs de ce texte veulent apporter des réponses face à une réalité : celle d’un exercice devenu précaire, confus, voire méprisé.

La question est donc simple : ce texte apportera-t-il enfin une vraie reconnaissance à une profession experte, autonome et essentielle ? Permettra-t-il un changement de culture au sein du système de santé ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit : sortir d’une logique hiérarchique rigide pour entrer dans une dynamique de coopération entre professions.

La notion d’exercice coordonné doit être pleinement assumée. Elle est une réponse adaptée aux besoins des patients, mais elle peut aussi susciter des craintes. En précisant le périmètre des prescriptions, des diagnostics et de la recherche, nous ne remettons pas en cause la compétence médicale, nous sécurisons l’exercice de la profession d’infirmier ; nous ne créons pas de concurrence, nous construisons des synergies.

La pratique avancée, si souvent mal comprise, ne doit plus être perçue comme un glissement des tâches imposé par la pénurie. C’est une évolution naturelle, rationnelle, qui doit reposer sur un cadre clair et partagé, un cadre qui servira les soignants et, d’abord, les patients.

Un point particulier mérite d’être souligné : la situation des infirmiers libéraux. Ils sont bien souvent les derniers professionnels de santé présents à domicile. Ils jouent un rôle central dans la prévention comme vigiles du cadre et des habitudes de vie, des observances de traitement et des fragilités.

Pourtant, force est de constater que cette prise en charge globale des patients est en décalage avec la cotation des actes, dont beaucoup sont exécutés gratuitement, par déontologie et par humanisme. Les professionnels ressentent une grande défiance face à une administration qui s’appuie sur un cadre théorique traduisant trop l’ignorance de la réalité de leur exercice. Ces incohérences se répercutent sur leur quotidien et ils se sentent sans recours.

Le métier d’infirmier libéral ne se résume certes pas à une série d’actes, mais il ne peut continuer à être exercé selon une logique binaire, les actes payés devant compenser le temps passé sur des missions non valorisées. Des dispositifs forfaitaires existent pour mieux prévoir la prise en charge globale de patients dépendants. Je pense, par exemple, au bilan de soins infirmiers, qui doit être établi dans une relation partenariale avec le prescripteur, mais qui reste peu opérationnel, car chronophage. La vraie vie, comme toujours, entre difficilement dans les cases d’un acte administratif.

Cette proposition de loi ne résoudra pas tout, mais elle est une étape, un signal. Je veux profiter de cette tribune, comme élue d’un territoire rural, pour souligner que le malaise des infirmiers ne s’apaisera que si les conditions concrètes de l’exercice de leur métier sont enfin prises en compte, de manière réaliste et supportable. La colère des infirmiers est notre échec collectif. Il est temps pour le Sénat de l’entendre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP, ainsi quau banc des commissions.)