Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures dix.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Profession d’infirmier
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, sur la profession d’infirmier (proposition n° 420, texte de la commission n° 558, rapport n° 557).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, cher Philippe Mouiller, madame la rapporteure générale, madame la rapporteure, chère Anne-Sophie Romagny, monsieur le rapporteur, cher Jean Sol, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le 11 mars dernier, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité, par un vote enthousiaste et transpartisan, le texte proposé à votre examen cette après-midi.
Je me réjouis d’être aujourd’hui devant vous, au Sénat, afin de poursuivre ensemble l’examen de cette proposition de loi en vue de son adoption définitive, dont j’espère, comme vous, qu’elle sera rapide. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons fait le choix d’une procédure accélérée.
Vous le savez, ce texte important, qui concrétise dans la loi la refonte du métier infirmier, est très attendu. Et pour cause ! Mon ministère, à la tête duquel six ministres se sont succédé durant cette période, les parlementaires et l’ensemble de la profession y travaillent depuis plus de deux ans.
Je voudrais souligner combien les infirmières et les infirmiers se sont beaucoup investis, dans toutes les concertations et les dizaines de groupes de travail mis en place depuis 2023 pour préparer cette réforme. Je salue leurs représentants, dont Mme la présidente de l’ordre national infirmier, qui ont tenu à être présents aujourd’hui pour assister à ce moment d’histoire pour leur profession.
Je leur dis, je vous le dis : il est temps d’aboutir. Les infirmières et les infirmiers font résolument partie de mes priorités en tant que ministre de la santé ; une priorité, vous l’aurez compris, que je veux traduire en actes.
C’est aussi pour cela que je me suis engagé auprès des trois organisations syndicales représentatives de la profession à publier une lettre de cadrage d’ici à la fin du mois, ce qui nous permettra d’ouvrir des négociations conventionnelles avant l’été, pour traduire, notamment dans les rémunérations, les avancées de cette loi.
Ce texte est certes attendu, mais il est surtout nécessaire afin de donner corps à l’ambition que nous partageons tous de franchir une nouvelle étape décisive dans l’histoire du métier infirmier.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je pense que vous partagerez également ma volonté de commencer nos débats par un hommage légitime à la profession infirmière.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Tout à fait !
M. Yannick Neuder, ministre. Il m’importe de rappeler combien les infirmières et les infirmiers sont un pilier essentiel de notre système de santé.
D’abord en raison de leur nombre : ils sont en effet près de 640 000 professionnels, dont plus de 120 000 libéraux. La profession connaît une démographie particulièrement dynamique, soutenue par le ministère de la santé, qui a permis la création de 5 800 places supplémentaires dans les instituts de formation en soins infirmiers depuis 2020 dans le cadre d’un protocole entre l’État et les régions. Je me suis personnellement mobilisé sur le sujet afin de sécuriser les crédits nécessaires dans la loi de finances pour 2025.
Je souhaite mettre également en avant la polyvalence des infirmiers et des infirmières et les très nombreuses missions qu’ils assurent au quotidien, dans tous les territoires, auprès de nos concitoyens.
Ce rôle central des infirmiers n’est pas nouveau. La profession serait apparue au moment des grandes épidémies du Moyen Âge. À cette époque, elle se distinguait déjà par son caractère essentiel dans l’accompagnement des malades. Les infirmiers sont alors parmi les premiers à se structurer en tant que profession tournée vers les soins et à développer des formations spécifiques, d’abord via les ordres et les congrégations religieuses.
La structuration du métier infirmier a ensuite accompagné l’émergence de notre système de santé contemporain, dès le XIXe siècle, où cette profession participe activement à la mise en place des premières politiques d’hygiène et d’assistance publique.
À l’aube du XXe siècle, on peut citer le rôle joué par Léonie Chaptal, née dans l’Allier, dans ma région Auvergne-Rhône-Alpes : elle a été le fer de lance de la professionnalisation et de la reconnaissance du métier d’infirmier après la guerre de 1914-1918. Elle était en effet convaincue qu’un pays qui ne possédait pas un service de santé efficace ne pouvait avoir l’ambition d’être une grande puissance et qu’il fallait s’appuyer pour cela sur un métier infirmier affirmé, défini et structuré.
Ce personnage historique, peu connu en dehors du monde infirmier, est pourtant fascinant. Léonie Chaptal est notamment l’une des premières à penser le renforcement de l’organisation des soins comme une question politique et stratégique pour notre nation.
Si je me suis permis ce court détour historique, c’est parce que la vision dont il témoigne est toujours d’actualité. L’histoire nous montre que la profession infirmière a toujours été résolument tournée vers l’avenir, en constante progression.
Avec cette proposition de loi, nous avons l’opportunité d’ouvrir un nouveau chapitre, qui sera un jalon majeur de cette histoire infirmière. La dernière grande « loi infirmière », celle qui reconnaît pour la première fois à la profession un rôle propre, date de 1978. La dernière révision du décret infirmier date, quant à elle, de 2004, soit voilà plus de vingt ans !
Aussi, face à des défis nouveaux – vieillissement de la population, émergence des maladies chroniques, nécessité des virages ambulatoire, domiciliaire et préventif –, il est plus que temps de franchir un nouveau cap, à même de projeter le métier infirmier dans une nouvelle modernité afin de lui redonner tout son sens, toute sa place et toute son ampleur et de lui ouvrir de nouvelles perspectives.
Le Parlement s’est pleinement saisi de cette réalité depuis quelques années déjà. Nous avons progressé sur les délégations d’actes et l’extension des compétences ; c’est d’ailleurs l’un des axes du pacte de lutte contre les déserts médicaux que j’ai annoncé avec le Premier ministre, la semaine dernière, dans le Cantal.
Je pense également à l’accès direct pour la prise en charge des plaies. Je sais qu’il reste un décret à prendre et je me suis engagé à ce que cela soit fait avant l’été, après les deux importants décrets que j’ai signés et qui sont parus le 22 avril dernier. Ces textes marquent l’aboutissement d’un engagement fort du Gouvernement et des travaux menés par plusieurs parlementaires, dont Mme la sénatrice Corinne Imbert, que je salue : il s’agissait de permettre aux infirmiers diplômés, volontaires et formés, de réaliser les certificats de décès.
Toutefois, nous avons aujourd’hui besoin d’une refonte plus globale. Les infirmières et les infirmiers ont démontré qu’ils étaient plus que prêts pour cette nouvelle étape en se saisissant avec enthousiasme de chacune des avancées que je viens de mentionner.
Les infirmiers se sentent aujourd’hui quelque peu « à l’étroit » dans un cadre d’exercice qui ne correspond plus vraiment à la technicité et à la diversité de leur métier. Nous leur devons cette réforme.
Ils sont les chevilles ouvrières de notre système de santé, dans les services hospitaliers, en ville, jusqu’au domicile des patients et y compris sur les terrains de crise. J’ai pu le constater à Mayotte, par exemple, où je me suis rendu, le mois dernier, avec un représentant du Conseil national de l’ordre.
Vous l’aurez compris, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, réussir cette refonte du métier infirmier est pour moi une priorité.
Je veux, une fois encore, saluer l’esprit transpartisan qui animera nos discussions aujourd’hui et remercier les parlementaires issus de tous les groupes qui se sont investis sur ce texte. Je ne pourrai tous les citer tant ils sont nombreux ; j’en évoquerai seulement quelques-uns : Corinne Imbert, les deux rapporteurs Jean Sol et Anne-Sophie Romagny, Véronique Guillotin, Khalifé Khalifé, Corinne Bourcier, Patricia Demas, Céline Brulin, Émilienne Poumirol, Jocelyne Guidez et Bernard Jomier.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et tous les autres !
M. Yannick Neuder, ministre. Bien sûr !
J’ai affirmé que nous posions, avec ce texte, un jalon majeur de l’histoire du métier infirmier. Ce sera en effet la première fois que le métier sera défini dans la loi. Ce n’est pas trop tôt, pourrait-on dire !
Au-delà d’une reconnaissance essentielle, la définition du métier permet aussi, et peut-être surtout, d’en préciser les grandes missions. C’est une nouvelle approche de la profession plus cohérente, plus agile et plus réaliste que celle du décret d’actes qui encadrait jusqu’alors son exercice. C’est un véritable changement d’importance dans notre manière d’envisager le métier.
Si l’on se penche sur les cinq grandes missions de la profession, on voit bien qu’elles correspondent aux besoins actuels de notre système de santé : dispenser des soins infirmiers curatifs, préventifs, relationnels, de surveillance clinique et palliatifs ; contribuer à la coordination et à la mise en œuvre des parcours de soins ; participer à la prévention, aux actions de dépistage et à la promotion de la santé ; concourir à la formation initiale et continue ; faire progresser la recherche infirmière et mobiliser les données probantes dans la pratique professionnelle.
J’insiste sur ce dernier point, trop souvent oublié au moment d’évoquer le métier infirmier. Il faut affirmer que l’expertise infirmière est aussi savante, que la science infirmière contribue pleinement à l’innovation en santé, notamment avec le déploiement de postes d’enseignants-chercheurs.
Par ailleurs, la proposition de loi concrétise les notions de consultation infirmière, par exemple dans le champ de la prévention ou de l’éducation thérapeutique, et de prescription infirmière.
Je prendrai le temps de préciser ici que le diagnostic infirmier n’a aucunement vocation à se substituer au diagnostic médical. C’est aussi bien en tant que ministre de la santé qu’en tant que médecin que je vous le garantis.
Les missions de l’infirmier ont toujours vocation à être exercées en coopération et en complémentarité avec toutes les autres professions qui interviennent dans la prise en charge des patients, au premier chef desquelles les médecins. Il n’est pas question ici d’ouvrir un front avec les médecins ou avec les autres professions paramédicales. Il s’agit de renforcer un métier et de lui donner les moyens de l’exercer dans toute la latitude de son champ propre.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la présente proposition de loi permet des avancées majeures dans le champ du métier socle infirmier, auxquelles – je crois l’avoir clairement affirmé – je souscris pleinement. Elle comporte également des mesures relatives à l’ouverture de nouvelles perspectives concernant la pratique avancée.
Comme député, comme rapporteur général du projet de loi de financement de la sécurité sociale et comme ministre, j’ai toujours soutenu la pratique avancée, que je considère comme un formidable outil autant pour renforcer l’accès aux soins que pour dynamiser les carrières infirmières.
C’est d’ailleurs moi qui ai signé, en janvier dernier, le décret mettant en œuvre l’accès direct des patients aux infirmiers en pratique avancée (IPA) exerçant en établissements de santé et en structures d’exercice coordonné.
Je me réjouis également que l’arrêté du 25 avril 2025, que j’ai également signé, soit paru au Journal officiel la semaine dernière, le 30 avril : il ouvre la primo-prescription aux IPA, après des concertations que j’ai menées avec les représentants de la profession infirmière.
Cette dernière, qui s’enrichit avec la pratique avancée, est aussi très riche de ses spécialités, qui ont une raison d’être fondamentale : assurer la sécurité des blocs opératoires et la prise en charge des enfants. Des spécialités d’anesthésie, de bloc et de puériculture ont ainsi forgé une forte identité professionnelle, à laquelle les infirmiers sont attachés, comme j’ai pu le constater lors de mes échanges réguliers avec les différentes organisations représentatives et durant les vingt années passées au bloc opératoire. Je suis persuadé que l’exercice spécialisé a sa place dans le système, tout comme la pratique avancée.
Il faut préserver cette richesse. La rédaction actuelle de l’article 2 ne le permet pas totalement, avec des effets de bord non négligeables de nature à menacer l’existence même de la notion de spécialité infirmière, si elle devait devenir une mention de la pratique avancée.
C’est pourquoi je me réjouis que le travail très constructif que nous avons mené avec les rapporteurs Sol et Romagny et la commission des affaires sociales du Sénat ait abouti à une proposition de réécriture de cet article, permettant de définir une forme de pratique avancée pour chacune des trois spécialités infirmières, tout en préservant leur spécificité. Le Gouvernement a d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.
Notre objectif est que les avancées bienvenues de l’article 2 correspondent le plus possible aux attentes des professionnels et aux enjeux d’accès aux soins, comme aux impératifs de sécurité des soins.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai évoqué au début de mon propos la figure fondatrice de Léonie Chaptal. Je terminerai en empruntant une formule à une autre pionnière des soins infirmiers, Florence Nightingale, qui disait aux jeunes élèves qu’elle formait : « Ne nous considérons jamais comme des infirmières finies. Nous devons apprendre tout au long de notre vie. »
Depuis toujours, vous le constatez, le métier infirmier est innovant et ambitieux par nature. Il nous faut continuer de construire l’avenir de ce beau métier, si essentiel.
Il s’agit d’un texte de reconnaissance et de confiance envers la profession, envers toutes les infirmières et tous les infirmiers, à quelques jours de la Journée internationale des infirmières, le 12 mai prochain. Nous leur témoignerons cette confiance en faisant aboutir ce texte ambitieux et équilibré, qui répond à leurs attentes et à leurs aspirations légitimes.
Tel est notre objectif commun, afin que ces mesures fortes déploient leur pleine efficacité pour améliorer la prise en charge et le parcours des patients comme pour renforcer l’accès à la santé et à la permanence des soins, et ce dans tous les territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Sol, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les 640 000 infirmiers de notre pays constituent un pilier silencieux, mais essentiel, de notre système de santé, œuvrant avec un dévouement exemplaire malgré des conditions d’exercice souvent éprouvantes.
Aujourd’hui, la profession est en souffrance ; ce n’est un secret pour personne. Elle est traversée par un sentiment de manque de reconnaissance, découlant d’un cadre d’exercice obsolète. Les conditions de travail dégradées, notamment en établissement, alimentent une forte rotation des effectifs et, parfois, des abandons de métier. Les conditions de rémunération des infirmiers restent insatisfaisantes, malgré les revalorisations consenties ces dernières années dans le cadre du Ségur. En ville, les principaux actes infirmiers n’ont pas été significativement revalorisés depuis 2009.
Alors que 300 000 infirmiers supplémentaires seront nécessaires d’ici à 2050 pour assurer la qualité des soins face au vieillissement de la population, un choc de valorisation de la profession s’impose. La proposition de loi que nous examinons, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, pose la première pierre en redéfinissant le cadre d’exercice de la profession et en simplifiant ses évolutions ultérieures : autant de mesures attendues par les professionnels.
La commission a soutenu ce texte, qu’elle réclamait de longue date, et l’a amendé pour favoriser sa mise en œuvre rapide et apaiser les tensions entre professions que la rédaction retenue avait pu faire naître.
Malgré sa place essentielle dans notre système de santé, la profession d’infirmier demeure, en droit, définie en référence au monopole médical. Par dérogation à ce dernier, l’intervention des infirmiers n’est possible que sur un champ circonscrit d’actes, énumérés dans un décret de 2004 distinguant un rôle propre et un rôle prescrit.
Cet encadrement est excessivement rigide et inadapté aux évolutions récentes de la profession. Malgré de nouvelles extensions de compétences, un phénomène de « glissement de tâches » est souvent rapporté, lequel conduit les infirmiers à réaliser des actes en dehors de leur champ de compétences reconnu et à encourir ainsi des sanctions pénales au titre de l’exercice illégal de la médecine.
L’article 1er de la proposition de loi vise à répondre à ce problème, en proposant une refonte du socle législatif de la profession. Désormais, la loi définirait les principales missions et conditions d’exercice des infirmiers, tout en renvoyant à un décret la définition des domaines d’activité et de compétence de la profession et à un arrêté la liste des actes que celle-ci réalise.
Dans une logique d’apaisement, la commission a adopté sur notre initiative quatre amendements destinés à préciser ce cadre général, à valoriser la recherche en sciences infirmières et à réaffirmer la complémentarité de l’exercice infirmier avec celui des autres professionnels.
Cet article consacre également les notions de consultation et de diagnostic infirmiers. Ces notions sont anciennes et fondées sur le rôle propre de la profession ; elles se distinguent donc sans ambiguïté de la consultation et du diagnostic médicaux et leur sont complémentaires. Ainsi serait confié aux infirmiers un pouvoir de prescription de produits de santé et d’examens nécessaires à l’exercice de leur profession, sur un champ plus étendu que celui qui leur est aujourd’hui reconnu. Ces dispositions ont été soutenues et précisées, sur notre recommandation, par la commission.
Enfin, l’article 1er consacre l’accès direct aux infirmiers intervenant en soins de premier recours dans le cadre de leur rôle propre. La prise en charge en ville de ces actes demeure trop souvent conditionnée à une prescription préalable, malgré l’autonomie reconnue aux infirmiers dans ce périmètre.
Une expérimentation inscrite à l’article 1er quater ouvrira, en outre, l’accès direct aux infirmiers en exercice coordonné au-delà de leur rôle propre. Il nous semble qu’une telle expérimentation devrait se révéler utile, notamment pour apprécier l’opportunité d’une évolution des compétences infirmières ou, en leur sein, des périmètres respectifs du rôle propre et du rôle prescrit.
Sur notre initiative, la commission a supprimé l’inscription dans le droit commun d’un accès direct aux infirmiers dans le cadre de leur rôle prescrit, lui préférant le cadre expérimental de l’article 1er quater. Elle a également supprimé les dispositions faisant de l’adhésion à une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) une condition suffisante à l’accès direct expérimenté, cette adhésion ne garantissant pas toujours un niveau suffisant de coordination. Elle a également prévu une saisine préalable de la Haute Autorité de santé (HAS) et de l’Académie nationale de médecine de la liste des consultations usuelles et sécurisantes.
L’article 1er bis vise à mieux reconnaître le rôle des infirmiers dans les soins de premier recours, en mentionnant explicitement la profession au sein des dispositions du code de la santé publique relatifs à ces soins. La commission a rétabli, sur notre proposition, la mention de la contribution du médecin traitant à ces mêmes soins, supprimée dans le texte transmis.
Je passe le relais à ma collègue, Mme Romagny, pour présenter les dispositions restantes de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens également à saluer les professionnels présents en tribune aujourd’hui.
Au-delà de son apport bienvenu pour mieux reconnaître et valoriser le rôle décisif des infirmiers dans notre système de soins, cette proposition de loi vise à apporter des réponses concrètes à certains problèmes rencontrés par les professionnels dans le cadre de leur exercice.
À ce jour, la profession infirmière, pourtant particulièrement touchée par les interruptions d’exercice, ne bénéficie pas des moyens adéquats permettant d’accompagner les soignants souhaitant reprendre leur activité. L’article 1er ter traite cette question, en prévoyant de soumettre les infirmiers ayant interrompu leur exercice depuis un certain temps à une évaluation systématique de leurs compétences et, le cas échéant, de leur proposer, non de leur imposer – la nuance est importante –, une formation ou un stage préalable à leur reprise.
Cette disposition suscite, nous le savons, des réserves chez certains d’entre vous, mes chers collègues. Toutefois, il ne s’agit ni d’une punition à l’encontre de ces professionnels ni d’une dévalorisation du diplôme : il s’agit simplement d’offrir aux infirmiers la possibilité de se préparer à leur reprise d’activité dans de meilleures conditions. Cet article ne s’applique d’ailleurs, sur l’initiative des rapporteurs, qu’aux longues interruptions de carrière. Nous estimons donc qu’il complétera utilement les mécanismes existants, comme la certification périodique, à condition que le pouvoir réglementaire veille à leur bonne articulation.
Sur l’initiative de Mme Demas, que je salue pour son engagement, la commission a également adopté un article 2 bis, visant à harmoniser à l’échelle nationale la définition d’agglomération retenue par l’assurance maladie pour ouvrir droit aux indemnités kilométriques. Cette mesure d’équité répond aux attentes des infirmières libérales : elle pourra être mise en œuvre dès la conclusion des négociations conventionnelles, mais ne doit pas remettre en cause, monsieur le ministre, la nécessaire revalorisation des indemnités kilométriques, demande récurrente et légitime des infirmiers libéraux.
La proposition de loi traite, enfin, la question des modes d’exercice infirmiers qui se sont développés à côté du métier socle et qui rendent nécessaire une formation complémentaire. Il s’agit des infirmiers de spécialité, qui disposent de compétences étendues sur un champ clinique restreint – les infirmiers anesthésistes diplômés d’État (IADE), les infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État (Ibode), les infirmiers puériculteurs – et des infirmiers en pratique avancée, dotés d’un cadre d’exercice autonome, qui assurent une prise en charge globale des patients et bénéficient de compétences renforcées, notamment en matière de prescription.
L’article 2 fait évoluer le cadre de la pratique avancée en y apportant trois principales évolutions.
On cherche d’abord, au travers de cet article, à répondre à une demande de longue date des infirmiers de spécialité en ouvrant la pratique avancée à d’autres diplômes que celui d’IPA. L’idée est bonne : il s’agirait d’une juste reconnaissance des compétences poussées des infirmières de spécialité, acquises au terme d’une formation exigeante. Réduire la pratique avancée au seul modèle des IPA reviendrait, dans ce contexte, à ignorer la variété et la richesse des expertises infirmières.
Toutefois, la rédaction retenue, particulièrement floue, semble fondre les spécialités dans le métier d’IPA et suscite de vives inquiétudes pour la sécurité et la pérennité de l’exercice spécialisé. En effet, la demande des infirmiers de spécialité n’a jamais été d’exercer le métier d’IPA ; elle est de se voir reconnaître l’accès à une forme de pratique avancée, spécifique à chaque spécialité.
Il revient donc au législateur de répondre à cette préoccupation. Après y avoir travaillé avec le ministre, que nous remercions, nous vous proposerons une rédaction nous semblant satisfaire les attentes légitimes de reconnaissance des infirmiers de spécialité, sans diluer leurs caractéristiques, en consacrant une forme de pratique avancée spécifique qui exclue, notamment, l’accès direct. Si cette évolution est envisageable à court terme pour les IADE et les Ibode, elle doit être subordonnée, pour les puériculteurs, à une réingénierie et à une « universitarisation » de leur formation.
L’article 2 prévoit également de permettre l’exercice en pratique avancée dans les services de protection maternelle et infantile (PMI) et d’aide sociale à l’enfance (ASE), dans les crèches et dans les établissements scolaires. Cette mesure, recommandée par l’inspection générale des affaires sociales (Igas), favorisera dans ces lieux une prise en charge plus complète, continue et adaptée. La pratique avancée s’y exercera en lien avec un médecin, comme la loi le prévoit pour l’ensemble des autres terrains. Il s’agit là d’un apport supplémentaire de la commission.
Enfin, alors que le manque de diligence de certains organismes chargés de rendre un avis sur les décrets d’application de la loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist 2, a considérablement retardé la parution de ces textes, l’article 2 fait œuvre utile en imposant aux entités consultées de se prononcer dans un délai de trois mois.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette proposition de loi représente une étape importante et attendue dans l’évolution de la profession. Elle devra rapidement donner lieu à une révision ambitieuse des référentiels de compétences et de formation, ainsi qu’à un réexamen des conditions de rémunération des infirmiers, auquel le Gouvernement s’est engagé. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joshua Hochart.
M. Joshua Hochart. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte était attendu et espéré par toute une profession, celle des infirmières et infirmiers de France, qui, depuis trop longtemps, œuvrent dans l’ombre sans reconnaissance suffisante.
Ce que nous examinons aujourd’hui ne constitue pas une révolution ; c’est un acte de réalisme et de pragmatisme, un texte qui part du terrain. Les infirmiers réalisent déjà de nombreux actes dits avancés : ils évaluent, ils adaptent, ils coordonnent, ils remédient aux carences et parfois même à l’absence de médecin.
Pourtant, ils le font souvent sans cadre légal clair, sans reconnaissance statutaire, sans protection. Ce que cette proposition de loi leur offre, c’est justement ceci : un socle juridique, une légitimité, une sécurité. C’est la moindre des choses !
Néanmoins, ce texte ne saurait épuiser le sujet ; il est une première pierre, non un aboutissement, et il passe sous silence deux sujets majeurs que nous ne pouvons ignorer.
Le premier est celui de la question salariale. Aujourd’hui, un infirmier débutant gagne en moyenne 1 900 euros net par mois ; en Allemagne, c’est quasiment 50 % de plus. Comment attirer ? Comment fidéliser ? Comment valoriser une profession en marquant de tels écarts ? Comment demander à nos compatriotes frontaliers de rester travailler dans nos hôpitaux ou dans nos Ehpad ? La France reste le pays d’Europe où le rapport entre la charge de travail et la rémunération de cette profession est le plus déséquilibré.
En ce qui concerne l’attractivité du métier, près de 30 % des jeunes diplômés abandonnent la profession dans les cinq premières années de leur pratique. À l’hôpital, les démissions se sont envolées de 25 % entre 2019 et 2023. Ce ne sont pas que des chiffres, ce sont surtout des drames humains, des vocations brisées, des équipes à bout de souffle.
Les causes sont connues : surcharge chronique, désorganisation, perte de sens, déshumanisation de l’acte de soins. Pourtant, malgré tout cela, ces femmes et ces hommes continuent : ils soignent, rassurent, tiennent le système de soins à bout de bras. Dans l’ombre, dans la discrétion, dans la nuit parfois, ils sont les piliers invisibles, mais solides, de notre système de santé.
Second sujet : la formation. Avec une formation de trois années intensives, de 4 200 heures réparties entre théorie et pratique, sans compter le travail personnel, les étudiants infirmiers sont souvent épuisés et en précarité financière, alors que, pour la plupart des licences, la moyenne horaire est de 1 500 à 1 800 heures sur trois ans. En outre, l’accompagnement ou le tutorat dont bénéficient les étudiants sont parfois peu efficaces, non par manque de volonté des professionnels, mais par manque de temps ou par épuisement.
Alors, oui, il faut voter ce texte, oui, il faut enfin reconnaître les actes infirmiers, mais il faut aller plus loin : vers une revalorisation salariale digne, vers une refonte des conditions de travail, vers un respect plein et entier du rôle infirmier, mais aussi vers une refonte de la formation.
Les sénateurs du Rassemblement national voteront cette proposition de loi et proposeront des amendements pour l’améliorer. Nous continuerons de défendre avec constance cette profession admirable, trop souvent oubliée et plus que jamais indispensable.