Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. Bruno Rojouan, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque Français, quel que soit le territoire où il habite, a le droit d’être correctement soigné. Or les inégalités territoriales d’offre de soins atteignent aujourd’hui un niveau intolérable : près de 7 millions de Français ne disposent plus de médecin traitant. La question de l’accès aux soins est donc un enjeu central d’aménagement du territoire.
Dans deux rapports d’information que j’ai rédigés au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, j’ai dressé des constats implacables.
La situation générale de l’accès aux soins est dégradée dans notre pays. Dans certains territoires, notamment ruraux, les habitants souffrent d’une offre particulièrement insuffisante, qui entraîne des retards de prise en charge, des pertes de chance de guérir et une diminution de leur espérance de vie par rapport au reste de la population.
L’insuffisance généralisée des soignants, qui se conjugue à l’inégale répartition de leurs effectifs, appelle donc une action volontariste des pouvoirs publics.
À long terme, la seule solution est un choc de massification et de territorialisation de la formation des médecins. Toutefois, comme le soulignait John Maynard Keynes « à long terme, nous sommes tous morts ». Il nous faut donc agir dès maintenant : tel est l’objet de cette proposition de loi déposée par Philippe Mouiller.
Je ne reviendrai pas sur les utiles dispositions relatives au partage des tâches entre les professions de santé, dont je salue la pertinence. Je m’exprimerai, en particulier, sur deux articles du texte.
L’article 1er vise à réformer la gouvernance territoriale de l’accès aux soins en faisant de l’échelon départemental la maille de référence pour étudier les besoins de santé des territoires. Il tend à donner un rôle accru aux collectivités territoriales en prévoyant que les offices départementaux de l’évaluation de la démographie des professions de santé seront présidés par le président du conseil départemental, afin de bénéficier d’une connaissance fine des territoires et de rendre un avis sur le déploiement des stages des docteurs juniors.
J’avais recommandé dans mon premier rapport d’information de mars 2022 de créer cette quatrième année d’internat de médecine générale et d’affecter les internes en stage dans des zones sous-denses en médecine de ville. Sur l’initiative du Sénat, cette mesure a été adoptée lors du vote de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
J’ai réitéré cette recommandation dans mon second rapport d’information, remis en novembre dernier – la politique, comme la pédagogie, est l’art de la répétition –, en proposant un plan d’urgence pour garantir que les zones sous-denses comptent suffisamment de maîtres de stage pour assurer l’accueil des étudiants. Il convient de faire de ces stages le point de départ du virage territorial que doivent prendre les études de santé.
J’en viens enfin à l’article 3, qui vise à s’attaquer à un tabou : la liberté totale d’installation des médecins. Alors que l’ensemble des professions de santé sont aujourd’hui soumises à un cadre de régulation de l’installation, une irréductible profession résiste encore à toute forme de contrainte. La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable recommande depuis longtemps de mettre en place des mécanismes visant à encadrer cette liberté d’installation. Il faut la concilier avec une politique ambitieuse d’aménagement du territoire.
Je me félicite donc particulièrement que la commission des affaires sociales ait proposé de soumettre l’installation d’un médecin généraliste dans une zone bien dotée à un exercice partiel dans une zone en difficulté. C’est une forme bienvenue de solidarité territoriale, qui bénéficiera directement aux territoires les moins bien dotés. Le texte vise à soumettre les médecins spécialistes au principe d’« une arrivée pour un départ » dans les zones bien dotées, dans la mesure où il est matériellement plus difficile pour nombre d’entre eux d’exercer dans un cabinet secondaire.
Ces deux formes de régulation de l’installation sont pertinentes. Ce texte pragmatique vise à rompre avec un dogme solide, celui du droit absolu de professionnels dont l’activité est largement financée par l’argent public à s’installer où ils veulent quand ils veulent.
Je salue donc cette initiative du président Philippe Mouiller, qui résulte d’un travail en commun avec ma collègue Corinne Imbert, et d’un compromis entre la commission des affaires sociales et la commission de l’aménagement du territoire. Ce texte montre la capacité du Sénat à mener un travail de fond sur ces sujets essentiels. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Hervé Maurey applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, la commission des finances se réunira dans quinze minutes pour se prononcer sur la recevabilité de la proposition de loi tendant à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration certaines tâches d’accueil et d’information des personnes retenues. Pendant ce temps, nous poursuivrons nos travaux en séance. À l’issue de cette saisine, je mettrai ce texte aux voix.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, garantir à chacun de nos concitoyens l’accès à des soins adaptés et de qualité, où qu’ils vivent, quelle que soit leur situation sociale ou économique, ce n’est pas seulement une ambition politique, c’est aussi une exigence républicaine.
C’est pourquoi nous devons regarder en face la réalité que constitue la désertification médicale.
Cette réalité, je sais que c’est la vôtre au quotidien, mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui êtes des élus de terrain, des élus de proximité.
Vous savez mieux que quiconque que souvent, bien trop souvent, l’accès aux soins des Français se heurte à des délais inacceptables, à des distances infranchissables, à tous ces obstacles insupportables qui entraînent chez nos concitoyens des sentiments légitimes à la fois de découragement, de dépit ou de colère.
Cette réalité, je l’ai vécue comme médecin, comme élu local et comme parlementaire d’une circonscription rurale. Elle me heurte à chacun de mes déplacements en tant que ministre, comme ce fut cette semaine encore le cas dans la Drôme, en Ardèche et en Savoie. C’est la première chose sur laquelle les habitants, les élus et les soignants m’interpellent.
Je ne peux accepter, alors que nous fêtons cette année les quatre-vingts ans de notre sécurité sociale, que la promesse d’égalité et de solidarité sur laquelle celle-ci est fondée ne soit pas une promesse tenue, qu’elle ne soit pas une promesse vécue par tous.
Le phénomène du renoncement aux soins constitue, par ailleurs, une véritable « bombe à retardement » en termes de santé publique, avec des pertes de chance réelles pour nos concitoyens.
Alors que les besoins de santé sont inéluctablement appelés à augmenter ces prochaines années, sous l’effet du vieillissement de la population, de la hausse de la prévalence des maladies chroniques, de la dépendance et des polypathologies, nous devons mener une action forte, globale et coordonnée.
Il convient, d’une part, de prendre des mesures d’ordre immédiat afin de mobiliser collectivement tous nos efforts et toutes nos ressources pour améliorer tout de suite l’accès aux soins dans les territoires.
Il convient, d’autre part, d’engager des réformes structurelles et de long terme permettant de renforcer durablement les effectifs de nos forces vives sur le terrain.
L’accès aux soins, je l’ai dit d’emblée, est un élément incontournable de l’équilibre de notre contrat social. C’est pourquoi j’ai souhaité que nous puissions répondre à cette exigence par un pacte collectif qui mobilise tous les acteurs.
Tout le long du mois d’avril, comme je m’y étais engagé devant le Parlement, j’ai mené de larges concertations pour percevoir les besoins, mais aussi tenir compte des solutions proposées par toutes celles et tous ceux qui s’engagent sur le terrain.
J’ai tenu à associer à ce travail d’écoute les élus locaux, les jeunes en formation, les professionnels, les patients et leurs représentants, les associations et, naturellement, les parlementaires.
Je tiens à remercier les sénateurs qui se sont investis dans cet exercice indispensable et qui ont largement inspiré plusieurs mesures de ce pacte de lutte contre les déserts médicaux, que nous avons présenté, depuis le Cantal, le 25 avril dernier.
Je remercie donc M. le président Philippe Mouiller et Mme la rapporteure Corinne Imbert d’avoir coécrit cette proposition de loi. Ce texte nous permettra de décliner concrètement et rapidement plusieurs engagements issus de ce pacte, qui s’inscrivent en complémentarité avec les mesures dont nous débattons aujourd’hui.
Je salue la qualité de nos échanges très constructifs et l’excellente teneur des débats en commission des affaires sociales.
Je souligne également le fait que vous ayez tenu à y associer pour avis la commission de l’aménagement du territoire, dont je salue le rapporteur, Bruno Rojouan, lequel n’a pas manqué de me faire toucher du doigt les spécificités de son département, l’Allier.
C’est aussi l’esprit du pacte de lutte contre les déserts médicaux : impliquer étroitement les collectivités territoriales, les services de l’État en région et dans les départements, avec les professionnels de santé.
Je remercie également les ministres François Rebsamen et Françoise Gatel, qui se sont pleinement investis dans l’élaboration du pacte et avec qui je continuerai naturellement de travailler en étroite collaboration.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre les déserts médicaux ne pourra s’intensifier sans un élan collectif et durable. Un élan collectif non pas pour attiser les tensions, chercher des coupables, opposer les soignants, les générations ou, pire encore, opposer les Français à leurs médecins… Non, grâce à ce texte, nous construisons les termes d’une nouvelle solidarité entre les territoires au service de l’accès aux soins, mais aussi d’une responsabilité collective. Nous avons désormais une obligation de résultat, nous le devons à nos concitoyens.
Ce texte constitue ainsi un jalon important d’un édifice plus large pour continuer de bâtir cette solidarité, dans le temps et à travers les générations. Je pense naturellement à la nécessité de former plus, de former mieux, de former partout.
C’est le sens des 5 870 places en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) qui ont été créés depuis 2020 dans le cadre d’un protocole État-régions. Je me suis personnellement mobilisé pour sécuriser les crédits nécessaires dans la loi de finances pour 2025.
C’est également le sens de la mise en œuvre de la quatrième année de médecine générale, qui permettra à 3 700 docteurs juniors d’arriver dans vos circonscriptions et dans vos départements dès le mois de novembre 2026.
C’est aussi le sens de ma volonté de supprimer un numerus apertus encore trop restrictif et de déterminer le capacitaire de formation en fonction des besoins du territoire. Ces mesures en faveur de la formation sont d’ailleurs un axe fort de notre pacte contre les déserts médicaux, tout comme le retour des 5 000 étudiants en médecine situés en Roumanie, en Belgique et en Espagne. Il en va de même de la mise en place de passerelles avec les paramédicaux qui souhaitent devenir médecins ou avec les ingénieurs ou autres qui souhaitent reprendre des études en santé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui nous réunit ce soir nous permet de mettre en œuvre une mesure inédite, qui constitue un pilier de notre pacte contre les déserts médicaux : l’instauration d’une obligation collective qui engagera l’ensemble de la communauté médicale, en fonction des besoins identifiés sur le territoire.
Cette mesure s’inscrit dans l’esprit de votre texte puisqu’elle permet de généraliser le système de consultations avancées et les initiatives de terrain comme celles de l’association Médecins Solidaires, qui organise des « relais » hebdomadaires de généralistes là où les besoins sont les plus importants.
Les exemples sont très nombreux. Je peux citer la mise en place d’incubateurs de santé solidaires – j’en ai encore inauguré un samedi à Mions, dans le Rhône. Je peux mentionner également l’application Swing Santé, dont j’ai soutenu le développement comme vice-président de région, qui permet aux médecins libéraux d’échanger des remplacements sur un territoire.
J’insiste sur le fait que cette mission de solidarité s’attache à préserver les fondamentaux de la médecine libérale, qui a toujours été structurante dans notre système de santé et dont, je le sais, nous partageons la valeur.
Je veux affirmer un principe clair : soutenir l’exercice libéral est une condition essentielle d’une médecine de qualité qui assure une couverture des soins sur tout le territoire au service de millions de patients.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le caractère inédit et novateur de cette mesure repose sur le fait qu’elle permet d’engager tous les médecins afin de répartir la charge de cette responsabilité collective. Le principe est finalement de demander un peu à beaucoup de médecins plutôt que d’obliger trop peu de médecins à faire beaucoup.
Concrètement, nous allons commencer par identifier, en partant des territoires, les besoins précis et les zones les plus vulnérables. Ce travail sera effectué, dans un premier temps, par les ARS, en lien avec les préfets, les conseils départementaux et l’ordre des médecins.
Je salue votre souhait de renforcer le rôle des élus locaux en impliquant davantage les départements dans l’identification des zones les plus vulnérables. C’est dans celles-ci que se déploieront prioritairement les consultations avancées que nous demandons aux médecins d’effectuer jusqu’à deux jours de solidarité par mois.
Nous prévoirons naturellement des facilités de remplacement et une valorisation de ces journées, car je sais combien vous êtes très attachés, monsieur le président, madame la rapporteure, au principe de juste rémunération des services rendus par les professionnels de santé.
À terme, cette mission de solidarité sera étendue à l’ensemble des zones sous-denses, au-delà des parcours prioritaires et du premier recours. L’extension des zones de solidarité territoriale se fera, notamment, sur la base des données utilisées par l’Observatoire national de la démographie des professions de santé.
Si je crois fermement à l’engagement dont ne manqueront pas de faire preuve les professionnels, je veux tout de même vous rassurer sur le fait que cette solidarité n’est pas optionnelle. Chacun devra y prendre sa part : c’est à cette seule condition qu’elle produira son plein effet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi a pour vocation de mieux mobiliser nos médecins, tous nos médecins, et donc également les quelque 20 000 Padhue autorisés par l’ordre national des médecins.
Je me réjouis que ce texte permette de concrétiser plusieurs engagements importants du Gouvernement en faveur de ces praticiens, qui assurent une part non négligeable de la réponse aux besoins de santé dans nos territoires.
En particulier, je me suis engagé à simplifier les épreuves de vérification des connaissances des candidats exerçant déjà sur le territoire français.
C’est pourquoi je défendrai, au nom du Gouvernement, un amendement visant à permettre à ces candidats d’accéder au plein exercice via un examen et non plus un concours, ce qui facilitera leur réussite en tenant compte de l’expertise qu’ils ont acquise dans nos établissements, ainsi que de leur engagement dans notre système de soins.
Pour les lauréats des épreuves, je proposerai également un amendement visant à fluidifier et à simplifier la procédure d’autorisation de plein exercice. L’objectif est notamment de permettre de mieux prendre en compte l’expérience des Padhue en établissement pendant leur parcours de consolidation. Nous voulons donner une place plus centrale à l’évaluation et à l’avis des médecins responsables d’unités, des médecins chefs de service, des médecins chefs de pôle, voire à celui des présidents de commission médicale d’établissement (CME) ou des doyens, qui travaillent au quotidien avec eux, ainsi que des coordonnateurs du diplôme d’études spécialisées (DES) de leur spécialité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces mesures en faveur des Padhue résonnent également pleinement avec l’autre axe majeur de notre pacte de lutte contre les déserts médicaux : moderniser l’organisation entre les professionnels de santé et unir les compétences pour soigner davantage de patients.
Ainsi, notre pacte de solidarité est aussi un pacte de confiance envers les acteurs locaux : d’une part, pour faire un levier de toutes les ressources qui existent sur le terrain ; d’autre part, pour leur simplifier la vie afin de leur dégager du temps et libérer leur capacité d’initiative.
C’est pourquoi j’accueille naturellement très favorablement l’article de votre proposition de loi permettant, par exemple, d’étendre les missions des pharmaciens à la prise en charge de pathologies simples.
Cette mesure s’inscrit dans la continuité de l’action du Gouvernement, qui entend faire des officines de véritables portes d’entrée vers le système de santé. Je pense notamment à deux mesures couronnées de succès : l’élargissement des compétences vaccinales des pharmaciens et la capacité qui leur a été donnée de délivrer des antibiotiques pour les cystites et les angines après réalisation d’un test rapide d’orientation diagnostique (Trod). Ce type de test pourra d’ailleurs désormais être réalisé par les préparateurs en pharmacie, à l’instar des tests PCR durant la crise sanitaire.
C’est pourquoi je vous proposerai un amendement visant à renforcer notre soutien aux officines situées dans les territoires fragiles, en donnant plus de latitude aux partenaires conventionnels dans ce domaine, ce qui permettra également de préserver le maillage officinal dans ces territoires, via un assouplissement des conditions d’ouverture dans les plus petites communes.
Cette meilleure valorisation des compétences de chacun s’incarnera par ailleurs dans la mesure que je vous proposerai en faveur de la prise d’un décret d’actes pour les audioprothésistes. En effet, le positionnement de ces professionnels en ville et leur maillage territorial en font une ressource stratégique, notamment pour le suivi des personnes âgées appareillées, ainsi que pour la réalisation de certains actes susceptibles de libérer du temps médical. Nous y travaillerons avec les médecins concernés.
Je partage également votre volonté de soutenir le développement de la pratique avancée. J’en profite pour rappeler que je lancerai avant l’été les négociations conventionnelles avec les infirmiers et les infirmières, afin de décliner les avancées de la proposition de loi sur cette profession, que vous avez votée ici même la semaine dernière.
Je veux d’ailleurs saluer ici tous les infirmiers, dont c’est aujourd’hui la journée nationale, pour leur investissement au quotidien auprès de nos patients, dans tous les territoires, en ville, à l’hôpital et au domicile.
Je suis aussi favorable aux dispositions contre les certificats médicaux inutiles, une mesure très attendue sur le terrain et qui figure également dans notre pacte de lutte contre les déserts médicaux.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je ne peux revenir sur le détail de l’ensemble des mesures de cette importante proposition de loi. Nos débats nous permettront d’en approfondir tous les sujets.
Cependant, il me tenait à cœur de rappeler les fondamentaux de notre action, autour desquels nous sommes réunis ce soir : l’obligation de résultat que nous avons envers nos concitoyens, pour qui la santé doit redevenir un parcours de confiance, et non plus un parcours du combattant ; la confiance que nous devons à nos médecins, à tous les professionnels de santé et à tous les acteurs de proximité qui s’impliquent au quotidien pour l’accès aux soins ; le juste partage de nos responsabilités pour réussir grâce à la force du collectif.
C’est dans cet esprit que nous avons bâti notre pacte de lutte contre les déserts médicaux et que nous continuerons d’élaborer les mesures qui le mettent en œuvre, avec et grâce à vous tous.
Je terminerai en vous remerciant une nouvelle fois de nous permettre d’avancer grâce à ce texte, avec une seule boussole, la volonté d’agir pour nos concitoyens, pour nos territoires, pour notre système de santé et son avenir. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accès aux soins est devenu l’une des préoccupations les plus pressantes dans nos territoires. Partout, les élus sont interpellés, souvent avec inquiétude, parfois avec colère, par des habitants qui peinent à obtenir une prise en charge médicale dans des délais raisonnables.
Cette tension est à la hauteur d’une attente : celle, légitime, de pouvoir se soigner rapidement partout et dans de bonnes conditions. C’est un droit fondamental.
Nous avons tous ici entendu parler de situations de pertes de chances, si nous n’en avons vécu personnellement. Elles se multiplient ; leur écho est amplifié par les récits de nos concitoyens dans les médias, sur les réseaux sociaux ou dans nos permanences. Il nous faut assumer cette responsabilité collective : nous avons, depuis des années, laissé la pénurie de soignants s’aggraver.
Dans ce contexte, une question s’impose : peut-on, doit-on réguler par la loi la répartition des médecins sur le territoire national ?
Ce sujet nous divise profondément : les échanges que nous avons eus jusqu’ici – en commission, en réunion de groupe, lors des auditions – ont bien montré que les mesures dites « coercitives » avaient leurs partisans comme leurs fermes opposants. Entre ces deux camps, le dialogue est souvent stérile : chacun campe sur ses convictions, avec sincérité, mais sans convaincre l’autre.
Pour ma part, je reste profondément opposée aux solutions fondées exclusivement sur la contrainte. Comme le dit très bien notre collègue Élisabeth Doineau, pénaliser les jeunes diplômés n’est ni juste ni durable. Réguler une profession en pénurie ne règle pas la pénurie : je partage pleinement ce constat lucide du président du Conseil national de l’ordre des médecins.
Cela étant, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne procède ni d’une contrainte brutale ni d’une remise en cause du principe de la liberté d’installation. Les auteurs du texte, nos collègues Philippe Mouiller et Corinne Imbert, font une proposition très différente : ils souhaitent limiter les concentrations de soignants. Éviter les installations en zone surdense, tout en prévoyant des mesures dérogatoires ou de compensation, me semble être de bon sens.
La coercition consisterait à affecter un jeune diplômé à un territoire qu’il n’a pas choisi. J’y insiste, si ce texte remettait en cause la liberté d’installation des professions libérales, je ne le soutiendrais pas. Mais il ne le fait pas : il introduit un principe de responsabilité partagée pour éviter des déséquilibres qui, aujourd’hui, ne sont plus soutenables.
Au demeurant, il convient de rappeler que les zones dites « surdotées » ne représentent qu’une très faible part du territoire national. Nous parlons ici d’ajustements à la marge, dans un esprit de raison.
Parallèlement, nous devons continuer à miser sur les réformes structurelles. Je pense notamment à l’année de professionnalisation des internes en médecine générale qui sera bientôt mise en œuvre : elle permettra de mieux préparer les jeunes médecins à exercer dans les cabinets de nos territoires, là où l’on a le plus besoin d’eux.
Je veux aussi saluer ici les propositions récentes de la Conf’ Santé, initiative lancée par les jeunes médecins eux-mêmes. Ces derniers souhaitent qu’on leur offre plus d’opportunités dans les zones en tension : stages, accompagnements, incitations… Leur plan d’action montre que les nouvelles générations sont prêtes à s’engager si on leur en donne les moyens.
Bien évidemment, le texte que nous examinons ne réglera pas tout, mais il s’agit d’une avancée intéressante et équilibrée. Il ne stigmatise pas les médecins. Il ne cède pas à la facilité du discours brutal.
Au sein de l’Union Centriste, les approches divergent sur cette proposition de loi, et c’est bien naturel. Mais je crois que beaucoup, comme moi, y verront une tentative d’agir avec discernement, dans l’intérêt de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en France, en 2025, avoir un médecin est presque devenu un privilège quand 87 % du territoire national en manque.
En plus d’un accès aux soins devenu difficile pour un nombre toujours croissant de nos concitoyens, l’égalité républicaine est mise à mal tant les inégalités s’aggravent. En effet, si le nombre de médecins par département a augmenté dans les territoires déjà bien dotés, il a diminué fortement dans des départements déjà sinistrés.
Cette situation conduit aussi à des inégalités entre praticiens, dont le nombre de patients peut être cinq fois plus élevé pour les uns que pour les autres.
Il y a donc urgence.
À cet égard, notre groupe a plutôt tendance à regarder d’un bon œil tout ce qui peut être tenté, que ce soit dans nos territoires comme au plan national, pour résorber cette situation devenue intolérable.
Toutefois, le télescopage de textes et les mesures floues annoncées ces dernières semaines montrent qu’il manque à notre pays une véritable stratégie en matière de santé, voire que certains s’emploient à ce que rien ne change.
La santé est pourtant une préoccupation majeure de nos concitoyens, si ce n’est leur préoccupation principale.
La proposition de loi du président Mouiller, que nous examinons aujourd’hui, prévoit notamment que les généralistes réalisent quelques jours de consultations de solidarité dans les zones sous-denses et que les spécialistes soient autorisés à s’installer sous réserve de la cessation d’activité d’un confrère de la même spécialité, sauf exceptions, d’ailleurs discutables.
Saluons le fait que la majorité sénatoriale, qui refusait jusqu’à présent de toucher à la sacro-sainte liberté d’installation, fasse désormais mouvement !
Cette proposition de loi est-elle pour autant le vecteur qui permettra de concrétiser les annonces du Premier ministre ? Parle-t-on de consultations en zone sous-dense quelques jours par mois, ou plutôt de quelques jours par semaine, comme certains de nos collègues l’ont affirmé ? Toutes les zones sous-denses sont-elles concernées, ou seulement celles que le Premier ministre a qualifiées de « zones rouges » ? S’agit-il d’une obligation, ou cela se transformera-t-il en une énième incitation, après toutes celles qui se sont conclues par des échecs ?
Vous-même, monsieur le ministre, n’avez pas tout à fait dit la même chose que le Premier ministre à ce sujet…
Du reste, sachez que notre groupe combattra fermement l’autorisation donnée aux praticiens de pratiquer des dépassements d’honoraires, quand bien même ils seraient rebaptisés « tarifs spécifiques », dans les déserts médicaux. Il est inacceptable que des patients déjà pénalisés par l’absence de médecins doivent débourser davantage ! Ni les patients, ni la sécurité sociale, ni les complémentaires ne doivent pallier les défaillances d’un système reposant sur la liberté d’installation.
Il n’est pas plus acceptable que les Padhue soient exclusivement orientés vers les territoires sous-denses.
Finalement, ce texte, c’est un soupçon de régulation, beaucoup de flou et d’imprécision sur la manière concrète de conduire davantage de médecins à exercer dans nos territoires en difficulté, et quelques mesures dangereuses.
Et je veux dire à ceux qui, dans cet hémicycle, comme au Gouvernement, ont la velléité de couper l’herbe sous le pied des promoteurs de l’initiative transpartisane permettant d’avancer vers plus de justice et d’efficacité dans l’offre de soins, qu’ils me semblent avoir perdu la bataille de l’opinion.
Des députés d’horizons très divers, soutenus par plus de 1 500 élus locaux, ont en effet, la semaine dernière, voté une proposition de loi conditionnant l’installation de nouveaux médecins en zone surdense au départ d’un professionnel de la même spécialité.
Cette mesure de régulation démographique amènera les médecins, généralistes comme spécialistes, à s’installer dans 87 % du pays, choix qui reste extrêmement large à mes yeux.
Une telle disposition s’applique d’ailleurs d’ores et déjà à quasi tous les professionnels de santé, y compris à ceux pour lesquels les disparités sont moins prégnantes. Je pense aux infirmiers, soumis à cette règle depuis 2008, aux masseurs-kinésithérapeutes et aux sages-femmes, concernés depuis 2018, et même aux chirurgiens-dentistes, qui le sont depuis le 1er janvier 2025.
Elle a d’ailleurs été préconisée, ici même, au Sénat, dans le rapport intitulé Inégalités territoriales d’accès aux soins : aux grands maux, les grands remèdes de notre collègue Bruno Rojouan, nouvelle démonstration que cette idée rassemble très largement.
Dès lors, pourquoi ne pas la voter au Sénat, chambre qui, je le rappelle, représente les territoires ?
Enfin, le texte que nous allons examiner fait l’impasse sur la nécessité d’accroître nos capacités de formation des médecins. Pourtant, des pistes intéressantes et rassembleuses s’étaient dégagées d’un débat organisé sur ce sujet sur l’initiative de notre groupe voilà quelques mois. Elles mériteraient d’être explorées sans tarder.