M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. La sénatrice de la Polynésie française nous a invités tout à l'heure à débattre avec courage des territoires ultramarins. Nous le faisons ici avec plaisir…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et avec gravité !
M. Manuel Valls, ministre d'État. … et surtout avec gravité, en effet, parce que Mayotte est confrontée à des problèmes majeurs.
Nous aurons l'occasion de revenir sur l'ensemble des sujets abordés quand nous examinerons les amendements, mais je souhaite d'ores et déjà apporter quelques réponses aux questions qui m'ont été posées.
Madame la sénatrice Agnès Canayer, il faut en effet articuler ce texte de loi avec la stratégie de reconstruction. Le général Facon me présentera une première version de cette stratégie demain matin, qui pourra donc nourrir une partie de mes réponses. Celle-ci comprendra quatre axes principaux : sécurité, développement, gouvernance et coopération régionale. Elle devra évidemment être partagée avec les élus. Je rencontre d'ailleurs demain soir le président du conseil départemental et je rappellerai ce point au général Facon.
Cette stratégie, dont la structure sera calquée sur le rapport annexé, doit être validée lors du prochain comité interministériel aux outre-mer, qui aura lieu le 10 juillet prochain. À ce titre, les dispositions des amendements visant à prévoir des modalités de suivi et d'évaluation vont évidemment dans le bon sens.
Monsieur le sénateur Olivier Bitz, l'article 2 prévoit un durcissement des conditions de délivrance des titres liés à l'immigration familiale. La portée de cet article ne doit pas être minimisée : la délivrance ou le renouvellement des titres liés à l'immigration familiale représentait 85 % de l'ensemble en 2023, son évaluation, introduite de même par un amendement en commission tout à fait bienvenu, sera utile pour en mesurer l'impact.
En matière de lutte contre l'immigration clandestine (LIC), nous avons besoin de développer une culture de l'évaluation au service d'une culture du résultat, parce que nous visons l'efficacité.
Madame la présidente Micheline Jacques, vous pointez à juste titre la défaillance de la gouvernance en matière de pêche professionnelle. Nous l'avions déjà évoqué, et j'ai pu m'en rendre compte sur place dès le mois de janvier. La zone économique exclusive représente pourtant une source majeure de ressources halieutiques et la pêche professionnelle constitue un vivier d'emploi important qui doit contribuer à la souveraineté alimentaire de Mayotte, ainsi que je le rappelais notamment au commissaire européen.
Effectivement, Mayotte doit disposer d'un comité des pêches de plein exercice, et l'État devra accompagner les pêcheurs, afin que ceux-ci démontrent leur capacité à se fédérer et à se structurer ; il appartient à la profession d'aller dans ce sens, avec les élus, et l'État viendra en soutien.
Vous avez également rappelé les éléments concernant la politique de la ville. Juliette Méadel a déjà obtenu un million d'euros pour commencer le rattrapage dans la loi de finances pour 2025 ; nous sommes déterminés à approfondir ce rattrapage au cours de l'ensemble de la période de refondation.
Monsieur le sénateur Stéphane Fouassin, vous avez avancé une observation concernant le chiffrage du tableau, lequel serait incomplet. Le Gouvernement portera un amendement pour préciser les investissements. Repartir des plans et des contrats existants témoigne, me semble-t-il, de notre responsabilité, et l'amendement adopté en commission aura pour objet d'affiner la programmation.
Vous avez formulé une seconde observation concernant la zone franche globale. Vous rappelez à juste titre le signal fort ainsi envoyé aux entreprises, en particulier les PME. Ce dispositif intégrera les activités libérales, l'hôtellerie, la restauration ou encore les secteurs de la santé et de l'action sociale. La zone franche représente un effort de 18 millions d'euros au service de l'emploi et de la croissance.
Madame la sénatrice Mélanie Vogel, il est inexact de soutenir que la refondation de Mayotte éluderait sa dimension sociale. Nous voulons non pas seulement reconstruire Mayotte, mais bien refonder ce territoire.
Cet effort est nécessaire tout d'abord sur les plans économique et social, mais nous avons toujours indiqué que, si nous n'abordions pas les questions de fond qui minent le pacte social mahorais, c'est-à-dire l'immigration illégale et l'habitat illégal, nous ne pourrions pas rebâtir sur des bases sérieuses le territoire.
Cette convergence sociale fait partie de la promesse républicaine. M. le sénateur de Mayotte Saïd Omar Oili m'a rappelé que nous avions signé ensemble le plan Mayotte 2025, qu'avait annoncé le président François Hollande en 2014. Les hasards de la vie font que, en 2025, je me trouve à présenter deux textes de loi, certes après un cyclone, concernant ce territoire.
Nous sommes encore loin de cette promesse républicaine, soulignée par la catastrophe naturelle, mais nous fixons des objectifs d'égalité républicaine pour les prestations sociales, qui doivent être alignées sur celles de l'Hexagone. Affirmer que nous pourrions le faire dès 2026 relèverait de la démagogie, mais nous pourrons alors entamer le processus de convergence.
Nous pourrions également évoquer le nouveau site hospitalier à Combani, le deuxième institut de formation en soins infirmiers et la fin de la rotation scolaire, certes difficile à mettre en œuvre, tant la question de l'école est incontestablement au cœur de ce pacte républicain que nous devons à nos compatriotes mahorais.
Mon ambition, notamment sociale, est articulée avec l'engagement économique, et je veux associer compétitivité des entreprises, efficacité, prospérité économique et développement social du territoire. Nous devons assumer cette méthode. C'est tout le sens de la priorité donnée au travail et à la convergence du Smic que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer.
Madame la sénatrice, la lutte contre l'émigration clandestine doit être une priorité. Il s'agit d'une réalité de ce territoire, et vous ne trouverez aucun Mahorais pour la contester. Nous sommes d'ailleurs parfois en désaccord avec certains élus mahorais sur les outils, par exemple sur le titre territorialisé.
Pour autant, il est faux de dire que rien n'est fait ou ne se fera pour l'école. La construction des écoles est prioritaire dans le fléchage des crédits d'amorçage de 100 millions d'euros et 700 millions d'euros sont inscrits dans le rapport annexé pour poursuivre la construction des nouveaux établissements scolaires.
En ce qui concerne l'eau, qui est un enjeu majeur, je rappelais à la tribune qu'il nous faut être vigilants. Lors de mon déplacement en avril dernier, j'ai rencontré l'ensemble des acteurs concernés.
Nous avançons, notamment en matière de grandes infrastructures : l'arrêté d'autorisation des travaux de l'usine de dessalement est signé et l'acquisition du foncier nécessaire à la construction de la troisième retenue collinaire suit son cours.
Par ailleurs, les campagnes de forage se poursuivent et se déroulent plutôt bien et quelque 2 millions de litres d'eau arriveront prochainement à Mayotte par voie maritime.
Le travail continue, car beaucoup reste à faire, notamment avec le syndicat mixte Les eaux de Mayotte (Lema) pour lutter contre les fuites après compteur. Plus de 700 millions d'euros sont engagés pour financer ces différents dispositifs.
Monsieur le sénateur Omar Oili, la phase 2 de la mission inter-inspections pour reconstruire Mayotte que vous évoquez n'est pas terminée. Dès lors que ses travaux seront achevés, je vous transmettrai, ainsi qu'à l'ensemble des sénateurs, son second rapport. Les hauts fonctionnaires chargés de ce dossier ont bien travaillé et je n'ai absolument rien à cacher.
Le tableau de programmation figurant dans le rapport annexé comprend 3,2 milliards d'euros d'investissements. Par l'amendement n° 155 rectifié bis, je vous proposerai de porter ce montant à près de 4 milliards d'euros. Le montant de 6 milliards que vous avancez, monsieur le sénateur, correspond à la somme de 3,2 milliards d'euros que je viens d'évoquer et au coût évalué des dégâts, qui s'établit à 3,5 milliards d'euros et qui comprend notamment le coût des bidonvilles. Il nous faudra toutefois affiner ces montants chaque année en fonction de l'évolution des projets.
Si je comprends vos doutes, monsieur Oili, je tiens à préciser que c'est la première fois qu'une telle somme est engagée. Ce sera le travail du Parlement – je sais que les sénateurs le mèneront avec exigence – que de contrôler l'emploi de ces crédits et d'en affiner les montants dans le cadre de la programmation qui vous est proposée.
Vous avez également évoqué les prêts à taux zéro. Lors de la visite du Président de la République, nous avons constaté que les banques faisaient incontestablement blocage. Ceux-ci ont été levés, de sorte que les dossiers des Mahorais sont désormais acceptés. Le préfet François-Xavier Bieuville réunira les banques demain pour faire le point. On peut toujours espérer que les choses aillent plus vite, mais sachez que nous suivons la situation de près et que nous maintenons la pression sur les banques.
Vous avez en outre abordé la situation de la pêche et la redevance thonière : oui, 1,6 million d'euros sont bien disponibles pour cette filière. Si les choses n'avancent pas, cela s'explique sans doute par l'affaiblissement de l'administration maritime, conjugué à la dispersion d'une filière qui a du mal à parler d'une seule voix.
Sur ce sujet comme sur d'autres, je compte sur la mobilisation des élus locaux comme des parlementaires pour avancer.
Les sénateurs Laménie et Le Rudulier, ainsi que la sénatrice Lana Tetuanui ont apporté à ce texte leur soutien exigeant – c'est du moins ainsi que je l'entends. Je les en remercie.
Vous soulignez avec raison qu'en matière d'immigration, les mesures législatives ne suffiront pas, monsieur Le Rudulier. La stratégie du « mur de fer », qui est présentée dans le rapport annexé, ne relève pas de la loi, mais elle nous dote de leviers efficaces : hausse des moyens et des effectifs, nouveaux rapports avec les Comores, etc..
Madame la sénatrice Ramia, vous appelez de vos vœux un échéancier en matière de convergence sociale. Je partage votre analyse ; tel est du reste précisément l'objet des ordonnances qui seront prises sur le fondement de l'article 15. En amont, dans les jours qui viennent, le préfet Bieuville et le général Facon remettront le rapport prévu à l'article 36 de la loi du 24 février 2025 d'urgence pour Mayotte. Ce document devrait fixer les grandes étapes de cette convergence et la méthode de concertation qui doit y présider.
Sur le fond, comme vous l'avez parfaitement indiqué, l'enjeu consiste à articuler la convergence sociale et le développement économique. La priorité est à mes yeux d'accompagner la hausse du Smic afin de préserver la compétitivité des entreprises. Je propose, dans ce cadre, de privilégier le déploiement du droit commun à Mayotte, notamment en matière d'allègements de cotisations, plutôt que de renforcer la spécificité mahoraise en matière de CICE. Dans le cadre d'une ambition globale de convergence, il me paraît en effet contre-intuitif – je dis très modestement – de renforcer un dispositif qui est déjà dérogatoire.
Si je partage pleinement votre objectif, je vous propose d'actionner d'autres leviers pérennes. Je ne doute pas que vous défendrez vos propositions avec conviction et j'écouterai vos arguments lors de l'examen des amendements, madame la sénatrice.
En ce qui concerne l'article 19, nous avons hélas ! un désaccord. Nous avons beaucoup écouté les élus des territoires afin de trouver des pistes de convergence tout en essayant de répondre aux inquiétudes.
Les dispositions de cet article visent à accélérer la construction des infrastructures essentielles à Mayotte. Elles tiennent compte des difficultés rencontrées sur le territoire dans l'identification de certains propriétaires afin de ne pas bloquer les travaux, tout en garantissant – je le répète – les droits attachés à la propriété privée.
Cet article – nous aurons l'occasion d'en débattre lors de l'examen des amendements – est donc strictement encadré sur le plan juridique.
Mesdames les sénatrices Sophie Briante Guillemont et Corinne Narassiguin, vous reprochez à ce texte l'importance donnée aux questions d'immigration. Si les volets relatifs à l'immigration et à la sécurité ont en effet une place importante au sein de ce texte, je vous répondrai que, tout en comprenant vos positions, vous donnez à ces sujets une place encore plus grande dans le débat. Si nous n'avions pas pris en charge ces deux volets, nous aurions du reste essuyé de nombreux reproches légitimes. Pour autant, de grâce, ne réduisez pas à ces deux volets ce texte ambitieux, qui présente une stratégie globale et engage des moyens financiers importants.
L'article 7 autorise le placement, pour une durée maximale de soixante-douze heures, d'un étranger accompagné d'un mineur dans une unité familiale. Cette disposition permet de pallier l'interdiction, instaurée par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, de placer en rétention des familles avec mineurs.
De nombreux mineurs tentant la traversée en kwassa-kwassa, il serait irresponsable de ne pas organiser leur prise en charge dès lors que leur embarcation de fortune est interceptée. Prenons garde à ne pas sous-évaluer cette situation dramatique. L'unité familiale permet d'éviter de séparer un enfant de ses parents afin de le mettre en sécurité le temps d'organiser l'éloignement.
La pauvreté et la justice sociale ne sont pas des enjeux oubliés par le Gouvernement, bien au contraire, madame la sénatrice Corbière Naminzo. Lutter contre l'habitat insalubre, c'est refuser d'institutionnaliser des bidonvilles, expression urbanistique de la pauvreté s'il en est une. Renforcer le dispositif de détection et d'interception des kwassa-kwassa, c'est limiter les entrées illégales qui déstabilisent le système de soins, la cohésion sociale et le marché du travail.
Un texte prévoyant d'agir en douze mois pour accélérer la convergence sociale dès 2026 peut-il, du reste, être critiqué au motif qu'il négligerait la justice sociale ? Non, et je crois au contraire que ce texte est équilibré.
Chacun connaît enfin les termes du débat politique relatif au titre de séjour territorialisé que vous avez évoqué, madame la sénatrice. La lutte contre l'immigration clandestine doit être appréhendée dans sa globalité.
Les conditions d'accès à la nationalité française ont été durcies après l'adoption de la proposition de loi visant à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte, la validation de ce texte par le Conseil constitutionnel et sa promulgation le 12 mai 2025. Si, comme vous le savez, je suis contre la remise en cause du droit du sol, je reconnais que ce dispositif de restriction permettra de lutter contre l'immigration clandestine. Il ne réglera bien évidemment pas tous les problèmes, mais il constitue un outil supplémentaire.
Nous proposons par ailleurs de renforcer les moyens technologiques et humains du dispositif de détection et d'interception. Comme le Président de la République s'y est engagé à Mayotte, et comme cela est précisé dans le rapport annexé, nous allouons 52 millions d'euros supplémentaires à ce dispositif.
Le Président de la République, que vous avez mis en cause, madame la sénatrice Narassiguin, ne peut pas se défendre dans cet hémicycle. Permettez-moi donc de rappeler qu'il s'est rendu à Mayotte dans les quelques jours qui ont suivi le cyclone, puis de nouveau il y a quelques semaines avec plusieurs membres du Gouvernement de François Bayrou. Les textes que je vous présente aujourd'hui ont naturellement été présentés en conseil des ministres.
Soyez donc assurée que le chef de l'État est engagé et que l'ensemble de l'exécutif partage la même volonté d'aider, de protéger et de répondre aux exigences des Mahorais. Ces derniers veulent à juste titre être considérés et respectés par la Nation comme des citoyens à part entière.
En tout état de cause, notre réponse, forte et globale, vise à la plus grande efficacité. Le travail mené par les commissions du Sénat a déjà contribué à renforcer les dispositifs et les moyens proposés par le Gouvernement, et je ne doute pas que le texte sera encore amélioré lors de nos débats.
Si le sujet est grave, c'est avec plaisir que je m'engage avec vous dans ce travail commun sur les deux présents textes, mesdames, messieurs les sénateurs. Dans ce moment de doute, je crois qu'il constitue la meilleure réponse politique aux attentes de nos compatriotes mahorais. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 20 mai 2025 :
À neuf heures trente :
Questions orales.
À quatorze heures et le soir :
Une convention internationale examinée selon la procédure d'examen simplifié :
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et les Nations unies portant sur les arrangements relatifs aux privilèges et immunités ainsi que d'autres questions afférentes aux réunions des Nations unies tenues sur le territoire français (texte de la commission n° 590, 2024-2025) ;
Suite du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (procédure accélérée ; texte de la commission n° 613 rectifié, 2024-2025) et du projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte (procédure accélérée ; texte de la commission n° 614, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER