Sommaire
Présidence de M. Didier Mandelli
Mise au point au sujet de votes
Personnels enseignants du premier degré dans les îles Wallis et Futuna
Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
Aménager le code de la justice pénale des mineurs et la responsabilité parentale
Programmation pour la refondation de Mayotte et département-région de mayotte
Présidence de M. Didier Mandelli
vice-président
Secrétaires :
M. Jean-Michel Arnaud,
M. Bernard Buis.
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Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ruel.
M. Jean-Marc Ruel. Lors du scrutin public n° 281, portant sur l'ensemble de la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, Mme Sophie Briante Guillemont souhaitait voter contre.
De même, lors du scrutin public n° 282, portant sur l'article 1er de la proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population, Mme Véronique Guillotin souhaitait voter contre.
M. le président. Acte est donné de votre mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l'analyse politique du scrutin.
Personnels enseignants du premier degré dans les îles Wallis et Futuna
Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif au transfert à l'État des personnels enseignants de l'enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna (projet n° 546, texte de la commission n° 618, rapport n° 617).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre d'État. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance que nous examinons aujourd'hui permettra, si vous l'adoptez, le transfert des personnels de l'enseignement du premier degré wallisiens de la mission catholique vers l'État. Voilà à présent deux ans que l'État s'est engagé à procéder à cette évolution.
Depuis 1969, l'État concède sa compétence en matière d'enseignement dans le premier degré dans l'archipel à la mission catholique locale. Il a ainsi figé durant cinquante-six ans une situation, désormais obsolète, qui traduisait un équilibre entre l'autorité de l'État, les chefferies coutumières et l'Église catholique. Ce régime, je le pense, nécessite d'être réformé, et ce pour deux raisons.
D'une part, ce régime rend difficile le pilotage de la politique éducative dans l'archipel. Un engagement fort de l'éducation nationale est pourtant indispensable, le niveau des élèves à l'entrée en sixième étant très nettement inférieur à celui de l'ensemble des élèves nationaux. Cela, aucun parent ne saurait l'accepter.
D'autre part, ce régime distend le lien entre les enseignants et le vice-rectorat, alors même que le statut des îles de Wallis et Futuna, voté en 1961, confère à l'État des responsabilités plus étendues que ce que le droit commun prévoit.
Il est donc temps que l'État recouvre la plénitude de ses compétences en matière d'éducation, pour qu'il puisse accompagner l'ensemble des jeunes de l'archipel vers la réussite et qu'il assure aux enseignants de nouvelles perspectives de carrière.
En 2023, à l'issue d'une grève de deux mois et demi, l'État s'est engagé à mettre un terme à la convention de concession et à assumer pleinement la responsabilité du service public de l'enseignement du premier degré à Wallis-et-Futuna.
Cet engagement suppose donc un dispositif législatif afin d'intégrer dans le corps des professeurs des écoles, sans concours préalable, les 116 enseignants du premier degré employés aujourd'hui par la direction de l'enseignement catholique de Wallis et de Futuna. Ces derniers pourront par ailleurs choisir de conserver leur affiliation au régime de retraite de la caisse des prestations sociales des îles Wallis et Futuna.
Je l'ai indiqué, les enseignants intégrés bénéficieront de nouvelles perspectives de carrière et d'une meilleure reconnaissance de leurs fonctions. Ils pourront désormais exercer leur métier en ayant les mêmes droits et obligations que leurs collègues du second degré. Ils bénéficieront pour cela d'un reclassement, qui prendra en compte leur expérience.
Dans ce cadre, madame la rapporteure, vous avez déposé un amendement, adopté en commission, tendant à prévoir l'intégration de ces enseignants dans le corps des professeurs des écoles, sans condition de diplôme.
Cette disposition concerne en réalité certains enseignants, parmi les plus expérimentés de l'archipel, qui, sous l'empire d'un droit ancien, ont débuté leur carrière sans le baccalauréat. Vous avez été soucieuse que ces enseignants soient respectés à égale dignité de leurs collègues et je vous en remercie.
Ce transfert vers l'enseignement public permettra notamment de compléter la rémunération des enseignants. Ils bénéficieront ainsi d'un nouveau coefficient de majoration et du versement de la prime d'attractivité, d'équipements informatiques et d'une indemnité de résidence.
Au-delà des enseignants, l'ensemble des personnels administratifs et techniques de la direction de l'enseignement catholique intégreront aussi les effectifs du vice-rectorat, sous le statut de contractuels de droit public. Un décret, pris conjointement avec le ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification, permettra de trouver une réponse adaptée pour ces personnels, comme pour ceux du second degré.
Je mesure les interrogations que suscitait la situation de ces personnels, mais ceux-ci ne représentent pas une seule et même profession. Nous parlons d'agents administratifs ou techniques, de surveillants ou d'assistants maternels, qui ne pouvaient pas être traités d'un bloc, au risque d'aller à l'encontre du principe d'égalité et de créer à Wallis et à Futuna des corps de fonctionnaires qui n'existent pas ailleurs. Dès 2026, le vice-rectorat organisera, en fonction des catégories d'emplois, des recrutements afin de permettre à ces agents d'intégrer un corps de la fonction publique.
Ainsi, le 1er août prochain au plus tard, l'enseignement public reprendra sa juste place à Wallis-et-Futuna et s'emploiera à améliorer la qualité des enseignements et les résultats des élèves.
Notre discussion de ce jour consacrera la traduction d'un engagement en faveur de l'égalité entre tous les territoires de la République.
Je veux ici adresser, par le biais de ces nouvelles dispositions législatives et en mon nom, mes plus sincères vœux de réussite à l'ensemble des élèves de Wallis et de Futuna. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jean-Marc Ruel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains.)
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant de débattre de ce texte, je tiens à vous faire part d'un regret : une fois encore, et c'est trop souvent le cas concernant les territoires ultramarins, le Gouvernement a fait le choix de légiférer par ordonnance. Il demande au Parlement de se dessaisir de sa compétence, au motif que le sujet que nous abordons serait technique.
Pourtant, ici, c'est d'enseignement qu'il est question. Le débat devrait donc avoir lieu dans l'hémicycle. Malheureusement, il sera tronqué en raison du recours à l'ordonnance et du périmètre qui nous est imposé.
Je remercie tout d'abord M. le président de la commission de la culture de son soutien, ainsi que tous mes collègues de la commission de l'attention qu'ils ont portée à ce texte, afin qu'il réponde aux fortes aspirations exprimées localement. Je salue également le travail du secrétariat de la commission de la culture, qui m'a accompagnée dans les travaux que nous avons eu à mener dans des délais très contraints. Enfin, je remercie Mikaele Kulimoetoke de m'avoir transmis les informations essentielles à la bonne compréhension de son territoire.
M. Max Brisson. Très bien !
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. Ce projet de loi porte sur un territoire de la République qui est situé à plus de 16 000 kilomètres de l'Hexagone et dont l'organisation scolaire est spécifique : l'État y a concédé en 1969 l'organisation de l'enseignement primaire à la mission catholique. Il en résulte une situation unique en France : à Wallis et à Futuna, l'école primaire est exclusivement privée et catholique.
Cette concession est régie par une convention, régulièrement renouvelée. Elle précise que les enseignants sont des agents de droit privé. Leurs modalités de rémunération tout comme leur progression salariale sont fixées par ce même cadre.
Cette situation a entraîné une succession de grèves depuis 1990. Les maîtres d'école de Wallis et de Futuna revendiquent les mêmes droits que leurs homologues enseignants, qui, eux, sont fonctionnaires. La grève de 2023 a été particulièrement éprouvante : elle a duré plus de deux mois et demi. C'est l'une des grèves les plus longues que ce territoire ait connues, tous secteurs confondus.
Ce projet de loi part d'un constat : le système actuel est à bout de souffle. Une évolution est évidemment nécessaire. Ce texte habilite donc le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions pour permettre l'intégration des personnels enseignants dans les corps de la fonction publique. Il permet également à ces derniers d'opter pour leur maintien dans le régime de retraite de Wallis-et-Futuna.
Les auditions que j'ai menées ont montré l'existence d'un consensus fort de l'ensemble des acteurs en faveur de ce retour de l'école de la République dans le giron de l'État. D'abord, les enseignants souhaitent bénéficier des mêmes droits que leurs collègues enseignants fonctionnaires et, ainsi, voir leur statut sécurisé. Ensuite, le vice-rectorat y voit le moyen de renforcer le pilotage pédagogique, lequel est aujourd'hui inexistant. Par ailleurs, les parents d'élèves espèrent que ce transfert permettra l'amélioration du système scolaire. Enfin, la direction de l'enseignement catholique constate la dégradation des relations avec les enseignants, ce qui rend toute discussion quasi impossible.
La commission de la culture soutient à l'unanimité l'intégration des enseignants de Wallis et de Futuna dans la fonction publique.
De manière tout aussi unanime, elle souhaite que cette intégration concerne l'ensemble des personnels. Lors des auditions, il est apparu que le ministère s'interrogeait sur les modalités d'intégration dans la fonction publique de certains personnels n'étant pas titulaires du baccalauréat. Dix d'entre eux sont concernés, ce qui, comme vous l'avez souligné, madame la ministre, ne les empêche ni d'occuper la fonction d'enseignant ni d'assurer pleinement leurs missions depuis de nombreuses années.
C'est pourquoi la commission a souhaité préciser le champ de l'habilitation : l'intégration dans la fonction publique concerne l'ensemble des personnels enseignants actuellement en poste à Wallis et à Futuna, quel que soit leur niveau de diplôme.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. Madame la ministre, je sais que vous avez été sensible à nos observations sur ce sujet et que l'amendement adopté en commission visant à intégrer ces personnels trouvera toute sa place dans la future ordonnance.
Ainsi, les carrières individuelles de tous les enseignants de Wallis et de Futuna qui sont en poste actuellement seront marquées par cette date historique du retour de l'école de la République dans le giron de l'État. Cette ambition commune, honorable, nous réunit.
Le calendrier de l'examen de ce projet de loi est extrêmement contraint. En effet, l'actuelle convention de concession arrive à son terme le 5 juin prochain, soit dans moins de vingt jours. C'est pourquoi le texte que la commission de la culture propose aujourd'hui a fait l'objet d'un travail en amont avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, notre objectif commun étant de permettre à nos collègues députés de voter conforme le texte issu de nos travaux.
Si le Parlement délègue son pouvoir législatif au Gouvernement dans le cadre d'une loi habilitation, il conserve toutefois son pouvoir de contrôle. À cet égard, nous serons particulièrement vigilants sur certains points.
L'objectif majeur de cette réforme, mis en avant par tous les acteurs locaux, est de faire en sorte que l'école de demain soit meilleure que celle d'aujourd'hui.
D'une part, les résultats des élèves de Wallis-et-Futuna en mathématiques et en français sont inférieurs à la moyenne nationale. D'autre part, la mission commune d'inspection de l'administration et de l'éducation, qui s'est rendue dans ce territoire à l'automne 2023, a constaté l'absence de tout pilotage pédagogique. Un effort majeur de formation continue du personnel enseignant est donc nécessaire.
En outre, le reclassement entraînera un écrasement de la grille pour les enseignants de la classe normale. Quinze d'entre eux, ayant une ancienneté supérieure à dix ans, seront reclassés dans les deux premiers échelons de la nouvelle grille, sans perte de salaire toutefois. Ils devront donc faire l'objet d'un suivi de carrière particulièrement attentif.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, il me semble indispensable que soit créée une circonscription de l'éducation nationale à Wallis-et-Futuna.
Lorsque j'ai interrogé vos services sur ce point, il m'a été indiqué que les arbitrages politiques étaient encore en cours. Je tiens à le souligner : la création de cette circonscription serait neutre budgétairement, car elle pourrait s'appuyer sur les équipes d'inspection déjà présentes. En réalité, cette ossature administrative participerait à la normalisation de l'organisation du système éducatif à Wallis-et-Futuna, système que nous soutenons tous.
Je conclus mon intervention en évoquant le sort des personnels non enseignants.
Une précision législative est importante : contrairement à ce qui se fait dans l'Hexagone, l'État est compétent à Wallis-et-Futuna pour la construction, l'aménagement et l'entretien du bâti scolaire. La fin de la concession entraîne donc le basculement de 49 agents administratifs, techniques ou surveillants des écoles à l'État.
La mission commune d'inspection que j'ai évoquée tout à l'heure a d'ailleurs posé la question de l'avenir de ces personnes. Le Gouvernement a fait le choix de limiter le périmètre de ce projet de loi aux seuls personnels éducatifs. On peut le regretter. Sans doute le ministère estime-t-il que le droit existant se suffit à lui-même. Je ne partage pas cette conviction.
Le statut qui serait alors appliqué à ces personnels, prévu par l'arrêté n° 76 du 23 septembre 1976 portant statut des agents permanents de l'administration du territoire de Wallis et Futuna, dit arrêté 76, est en voie d'extinction. Les agents du vice-rectorat seraient les seuls à être encore soumis à cet arrêté. Cela représente 121 personnes : les 49 agents non enseignants du premier degré, ainsi que les 72 agents du second degré dont le vice-rectorat a aujourd'hui la charge.
Concrètement, les droits en matière de congés et d'autorisations d'absence accordés aux agents régis par l'arrêté 76 sont inférieurs à ceux des contractuels de l'État. De plus, depuis le mois de janvier 2023, la majoration de traitement appliquée aux agents de l'arrêté 76 est de 1,5, contre 2,05 pour les contractuels de l'État. Cela implique au quotidien de traiter différemment des agents exerçant des missions semblables selon qu'ils soient fonctionnaires ou soumis à l'arrêté 76. Le maintien de cette situation est susceptible d'engendrer de nouveaux conflits sociaux à très brève échéance.
Aussi, madame la ministre, il me semble nécessaire de permettre rapidement à ces personnels, qui relèvent de votre ministère, d'être soumis au droit commun du code de la fonction publique, sous réserve de quelques adaptations compte tenu des spécificités locales.
Mes chers collègues, au-delà du transfert des enseignants à l'État, ce texte entraînera des bouleversements historiques à Wallis-et-Futuna. Ces changements devront s'opérer dans le respect des personnes et en concertation avec les institutions locales afin de tenir compte d'un héritage historique parfois lourd, mais avant tout unique.
Ce projet de loi constitue la première marche d'une évolution de l'école, que la commission de la culture suivra avec attention ces prochains mois. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Lana Tetuanui. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ia ora na.
Permettez-moi en préambule de rappeler qu'aux termes de l'article 72-3 de la Constitution Wallis-et-Futuna est une collectivité régie par l'article 74 de la Constitution, mais son organisation institutionnelle très particulière relève des années 1960. Aucune comparaison n'est donc possible avec ma collectivité d'outre-mer dotée d'une très large autonomie.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Lana Tetuanui. Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui vise à autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures permettant de transférer à l'État les personnels de l'enseignement du premier degré exerçant dans les îles de Wallis et Futuna.
Cette décision de transférer le personnel enseignant de Wallis-et-Futuna à l'État fait suite à un mouvement social important qui a duré deux mois et demi au printemps 2023.
Cela a déjà été dit, l'État exerce depuis 1969 la compétence de l'enseignement dans le territoire et concède son exercice dans le premier degré à la mission catholique dans le cadre d'une convention renouvelable tous les cinq ans.
L'État assure le recrutement des élèves maîtres du premier degré, employés par la direction de l'enseignement catholique, par voie d'un concours organisé par le vice-rectorat. Chaque maître du premier degré signe avec l'administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna un contrat d'agrément avant d'être mis à disposition de la direction de l'enseignement catholique. La promotion de ces personnels est prononcée par l'administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna sur proposition du vice-recteur, après avis du directeur de l'enseignement catholique et de la commission consultative mixte territoriale.
Lors du mouvement social de 2023, les enseignants du premier degré, ainsi que le personnel non enseignant – il est important de bien mentionner cette dernière catégorie –, ont demandé avec insistance leur intégration à l'État. Cette demande des personnels est plus que légitime.
Les grèves récurrentes de ce personnel depuis les années 1990 ont fortement dégradé les relations avec la direction de l'enseignement catholique. Aujourd'hui, l'ensemble des acteurs locaux sont parvenus à un consensus pour mettre un terme à ce système de concession et intégrer les enseignants dans le corps national des professeurs des écoles.
Il convient en effet de mettre fin à cette organisation, source de nombreuses contestations, y compris juridiques. En effet, l'obligation constitutionnelle de l'État d'organiser un enseignement public gratuit et laïque dans les premier et second degrés n'est pas respectée à Wallis-et-Futuna.
L'intégration dans la fonction publique d'État des enseignants du premier degré permettra de mettre fin à une situation perçue par les enseignants comme un héritage colonial. Cette intégration vient sécuriser leur statut juridique et leur permet de bénéficier des mêmes droits que l'ensemble des enseignants. Elle est aussi un signal que l'État leur envoie. Enfin, madame la ministre, le fait que les personnels enseignants de Wallis-et-Futuna tiennent à être des fonctionnaires d'État est également un beau symbole, je tiens à le souligner à cette tribune.
J'espère que le changement de statut du personnel enseignant du premier degré permettra de mettre fin aux mouvements sociaux récurrents dans ce territoire d'outre-mer, lesquels ont des conséquences sur la qualité de l'enseignement, donc sur les jeunes wallisiens. Les résultats aux évaluations nationales sont actuellement nettement inférieurs à la moyenne nationale.
Cependant, madame la ministre, les personnels non enseignants, dont l'effectif reste raisonnable dans ce territoire, sont oubliés aujourd'hui. Ils mériteraient pourtant, au même titre que les enseignants, d'être intégrés dans la fonction publique, pour le bon fonctionnement de l'enseignement primaire.
Je vous rassure toutefois, le groupe Union Centriste votera bien évidemment ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Saïd Omar Oili et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Robert Wienie Xowie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Robert Wienie Xowie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi met en œuvre la réforme sur laquelle l'État s'est engagé dans l'accord de fin de conflit du 20 juillet 2023.
Cette réforme a pour double objectif d'instaurer une égalité de traitement entre les enseignants du premier degré de Wallis-et-Futuna et leurs homologues d'outre-mer, ainsi que de mettre en œuvre des conditions plus favorables à la réussite des élèves.
Ainsi, ce projet de loi permet l'intégration dans des corps de la fonction publique d'État des personnels enseignants du premier degré employés par la direction de l'enseignement catholique de Wallis-et-Futuna.
Ensuite, ce texte détermine les conditions dans lesquelles ces enseignants peuvent opter pour le maintien de leur affiliation à la caisse des prestations sociales des îles Wallis et Futuna pour leur régime de retraite.
Enfin, il donne pleine compétence à l'État s'agissant du fonctionnement de l'enseignement du premier degré à Wallis-et-Futuna. En effet, si l'État exerçait cette compétence depuis 1969, il avait tout de même délégué son exercice dans le premier degré à la mission catholique dans le cadre d'une convention renouvelable tous les cinq ans.
Il me paraît d'ailleurs essentiel de souligner que le pays de Wallis et Futuna conserve une forme particulière de laïcité à l'océanienne, qui respecte profondément les réalités culturelles locales.
Si l'imposition historique du catholicisme peut être vue comme une colonisation religieuse, il faut aussi reconnaître que le système éducatif a souvent intégré cette religion pour répondre aux réalités locales, créant parfois des tensions entre les valeurs républicaines et les croyances traditionnelles.
Ainsi, nous pensons que le système scolaire doit être adapté aux spécificités locales, le catholicisme étant omniprésent à Wallis et à Futuna. En effet, loin d'imposer une rupture avec les pratiques en vigueur dans ce territoire, ce modèle vise à intégrer les valeurs qui lui sont propres dans l'éducation, garantissant ainsi une harmonie entre l'enseignement républicain et les croyances locales. L'école doit rester un espace de transmission et de développement de l'esprit critique.
J'en viens aux conditions sociales des enseignants. Nous nous félicitons que l'intégration statutaire proposée permette une revalorisation substantielle de la rémunération des enseignants. En effet, la mission d'inspection générale de l'administration a estimé que le reclassement dans le corps des professeurs des écoles permettrait un gain mensuel compris entre 988 euros et 1 773 euros. Nous sommes d'ailleurs favorables à une intégration sur la base du salaire et non de l'indice, comme le préconisent les inspecteurs de l'éducation nationale.
J'en profite également pour vous interroger, madame la ministre, sur le transfert du personnel non enseignant de la direction de l'enseignement catholique, rémunéré au titre du forfait d'État. Nous devons prendre en considération l'intégralité des doléances exprimées localement. Mon collègue sénateur de Wallis-et-Futuna l'a fait en déposant en commission un amendement, déclaré irrecevable, tendant à prévoir le transfert de ce personnel, dont je soutiens l'objet.
Enfin, en ce qui concerne la méthode, nous déplorons fortement que, une fois de plus, dès lors qu'il s'agit d'éducation ou des outre-mer, on demande au Parlement de se dessaisir. Le Parlement devrait pourtant pouvoir mettre en place le cadre qu'il entend en ces matières. Non seulement une telle approche traduit un manque de considération pour des domaines pourtant essentiels à la cohésion nationale, mais elle alimente également le sentiment d'injustice et de marginalisation dans les territoires concernés. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie notre rapporteure de son travail. Je salue également notre collègue élu de Wallis-et-Futuna, Mikaele Kulimoetoke, qui, à l'occasion d'une séance de questions d'actualité au Gouvernement du mois de mars 2025, a souligné la particularité du statut des enseignants du premier degré dans son territoire. Lors des auditions et des travaux de la commission, il nous a éclairés sur l'héritage historique et sur la situation de l'école exclusivement privée et catholique à Wallis et à Futuna.
Contrairement au reste du territoire français, à Wallis et à Futuna, les enseignants du premier degré ne sont pas des fonctionnaires de l'État : ils dépendent depuis 1969 de la mission catholique. La compétence enseignement dans le premier degré a été déléguée par le biais d'une convention renouvelable tous les cinq ans.
Bien sûr, cela pose d'abord la question de l'application de la laïcité. Surtout, ce mode de gestion par concession a engendré des particularismes en termes de statut et de conditions d'emploi des enseignants.
Ainsi, dans l'enseignement public, les enseignants, en tant que fonctionnaires, ont obtenu au fil des décennies des droits sociaux essentiels : primes, congés, conditions de retraite. Ces avancées, conquises par la mobilisation collective, ont permis d'améliorer leur quotidien dans une grande partie du territoire national.
Dans le même temps, la situation des enseignants du premier degré à Wallis-et-Futuna n'a pas suivi la même trajectoire. Aujourd'hui, la question de leur transfert à l'État s'impose comme la fin d'une injustice et d'une discrimination systémique, héritée de notre passé colonial.
Dans sa lettre ouverte au ministre de l'éducation nationale, le syndicat Force ouvrière Enseignement de Wallis-et-Futuna écrit : « Comment, en 2023, justifier le maintien d'un tel imbroglio pernicieux hérité des mentalités postcoloniales, en total décalage avec les principes républicains qu'est censé nous garantir notre statut de citoyen français ? »
L'intégration des personnels du premier degré à Wallis-et-Futuna répond à un besoin urgent et profond, exprimé par les maîtres et les maîtresses lors de la grève de mai 2023. Ce n'est pas seulement un droit, c'est une nécessité pour garantir un service public d'enseignement à la hauteur des attentes et des enjeux éducatifs.
Même si l'intention d'avancer sur le sujet est réelle, on ne peut que regretter la méthode, en l'occurrence le recours à une ordonnance. En procédant ainsi, le Gouvernement prive le Parlement de la possibilité de garantir dans le détail une égalité réelle pour les élèves et les enseignants de Wallis-et-Futuna.
Madame la ministre, mercredi, lors de son audition à l'Assemblée nationale, le Premier ministre François Bayrou a affirmé que la circulaire n'était pas le bon instrument, un ministre pouvant dire : « J'ai fait une circulaire. » Il a ajouté qu'il fallait « changer de méthode ». Dont acte.
Faute de mieux, nous serons donc vigilants lors de la ratification pour faire en sorte que le principe d'égalité soit respecté.
Au-delà de la situation propre à Wallis-et-Futuna, de tels travaux nous rappellent l'impensé colonial derrière notre politique d'éducation dans les autres territoires d'outre-mer, qui participe aujourd'hui à nourrir la colère contre l'État.
Je pense à la surreprésentation des personnels issus de l'Hexagone, qui bénéficient d'importantes primes d'éloignement. Quelle est notre politique pour encourager le recrutement local d'enseignants ?
Je pense aussi aux lacunes de l'offre d'éducation de l'enseignement supérieur. Dans certains territoires, le service militaire adapté proposé par l'armée constitue parfois la plus riche offre de formation. Le manque de possibilités de poursuivre des études supérieures continue de priver les générations futures d'un avenir.
Madame la ministre, nous attendons des actes de votre part.
Même si toutes les difficultés n'ont pas été réglées, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur de ce projet de loi, qui constitue un premier pas pour améliorer la situation du personnel enseignant. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Colombe Brossel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un texte touchant directement à l'avenir éducatif des enfants à Wallis-et-Futuna. Il est donc essentiel de lui accorder toute l'attention qu'il mérite.
Il nous est demandé d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance, afin d'intégrer le corps professoral du premier degré présent à Wallis-et-Futuna à la fonction publique d'État, comme partout ailleurs sur le territoire de la République.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est, bien évidemment, favorable à une telle mesure, qui était attendue de longue date. Pour ses membres, elle représente une avancée significative, tant pour les élèves que pour les personnels.
L'intégration doit répondre à plusieurs objectifs, à commencer évidemment par celui de la normalisation d'une situation atypique trouvant ses racines dans l'histoire du territoire.
Par ailleurs, la réforme doit être non une fin en soi, mais un premier jalon permettant d'améliorer la scolarité des élèves.
Nous enjoignons donc au Gouvernement, à qui reviendra la charge de rédiger le contenu des ordonnances, de prendre toutes les mesures utiles, y compris en dégageant les moyens nécessaires, afin que cette réforme soit aussi celle de l'amélioration des conditions d'apprentissage dans un territoire où les différents tests de niveau, tant en français qu'en mathématiques, révèlent des écarts parfois très importants avec l'Hexagone.
À la seule lecture du projet de loi, j'aurais pu me contenter de regretter que, comme trop souvent, les sujets ultramarins fassent l'objet d'ordonnances, dessaisissant ainsi les parlementaires de leurs compétences de législateur, et arrêter là mon propos.
Toutefois, grâce à la qualité des auditions et du travail menés par la rapporteure Evelyne Corbière Naminzo et à notre collègue sénateur de Wallis-et-Futuna Mikaele Kulimoetoke, deux éléments sont assez rapidement apparus : d'une part, le sujet est bien plus complexe que ce que laisse entrevoir la simple lecture du texte ; d'autre part, de nombreuses interrogations ou problèmes resteront en suspens une fois que nous aurons voté le projet de loi.
Certains d'entre eux pourront néanmoins être réglés par les ordonnances que le Gouvernement prendra, complétées par les décrets d'application. Permettez-moi donc de prendre quelques minutes pour les évoquer ; ils sont importants.
Je pense d'abord à la question des personnels non enseignants, qui n'ont pas de perspective claire dans le projet de loi, dans le premier comme dans le second degré. Le projet de loi est l'aboutissement du protocole de sortie de crise à la suite de la longue grève de 2023, faisant elle-même suite à de nombreux autres mouvements de grève. Les droits ont été chèrement conquis à Wallis et Futuna ! Si l'État doit assumer ses responsabilités pour les personnels enseignants en les intégrant enfin, il doit également prendre ses responsabilités vis-à-vis de tous les personnels, afin de ne pas recréer de sous-catégorie. Sans cela, la seule ordonnance prise sur le fondement du présent projet de loi ne suffira pas à apaiser les tensions.
Par exemple, les agents chargés de l'entretien des bâtiments concourent au bien-être des personnels et des enfants. Ce sont donc des acteurs importants de la réussite scolaire. J'ai entendu les propos que vous avez tenus à la tribune, madame la ministre ; ils sont importants. Nous devrons les uns et les autres être vigilants quant à l'avenir des personnels non enseignants.
Je pense également aux conditions d'intégration et à leurs conséquences individuelles et collectives. Les enseignants du premier degré doivent avoir les mêmes droits que l'ensemble de leurs collègues ; or les auditions nous ont permis de mettre en lumière des difficultés, tant sur les indices des grilles que sur l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves (Isae). Là aussi, il est nécessaire que l'État aille au bout de ses engagements. Des propositions ont été faites en ce sens, afin que l'égalité soit réelle. Je songe par exemple à l'application du coefficient 2,05 sur les rémunérations, auquel les personnels sur place prétendent de plein droit – il y va de l'égalité de traitement entre fonctionnaires.
Veillons à ne pas oublier que l'égalité des droits n'a pas été une évidence pour les personnels enseignants de Wallis-et-Futuna. Par exemple, comme notre collègue de Wallis-et-Futuna nous l'a rappelé, le congé maternité n'est mis en œuvre pour les enseignants que depuis 1987.
Si son contenu nous paraît positif, ce texte ne saurait répondre en lui-même à tous les enjeux qui se posent concernant l'éducation à Wallise et à Futuna. Nous souhaitons donc que le Gouvernement s'attelle, une fois ces ordonnances prises, à d'autres mesures, d'ordre réglementaire cette fois.
En effet, si elle constitue une avancée, l'intégration des personnels à la fonction publique d'État ne remplace ni ne garantit un traitement égal à celui de l'Hexagone. C'est pourquoi nous demandons au Gouvernement de s'assurer qu'un pilotage de proximité, assuré par l'éducation nationale elle-même, soit réalisé, afin que des mesures simples, mais essentielles, soient bien mises en œuvre. Je pense notamment à la création d'une circonscription scolaire ; c'est notre collègue rapporteure qui a fait émerger le sujet lors des auditions. De cette mise en œuvre devra découler une gestion équivalente, par exemple grâce à des entretiens réguliers avec les personnels concernant leur carrière et son évolution.
Au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous demandons que le Gouvernement aille au bout de la démarche et assume l'ensemble de ses responsabilités – ce qui dépasse le cadre des ordonnances dont nous nous apprêtons à voter l'habilitation. Madame la ministre, nous vous demandons de garantir, en respectant les particularismes et l'histoire de Wallis-et Futuna, que l'école publique soit sur ce territoire, comme partout ailleurs en France, une école laïque, gratuite et obligatoire. Nous souhaitons que la neutralité du service public y soit garantie et que l'État assume ses responsabilités, en donnant les moyens, sans compter sur la bonne volonté des parents pour faire fonctionner certains aspects des établissements, notamment en ce qui concerne le bâti, comme cela a pu nous être rapporté lors d'une audition.
Madame la ministre, soyez-en assurée, nous serons extrêmement vigilants, tant sur le contenu des ordonnances que nous aurons à ratifier d'ici quelque temps, comme le prévoit l'article 2 du projet de loi, que sur les mesures infralégislatives, mais impératives, qui devront être prises pour accompagner le changement de statut. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un texte majeur : le projet de loi relatif au transfert à l'État des personnels enseignants de l'enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna.
Cette réforme est attendue depuis longtemps. À nous, législateurs, d'être au rendez-vous pour répondre aux attentes légitimes de la communauté éducative locale.
Avant toute chose, je tiens à saluer le travail de la rapporteure Evelyne Corbière Naminzo, ainsi que l'implication de notre collègue Mikaele Kulimoetoke, sénateur de Wallis-et-Futuna, mobilisé depuis très longtemps sur le sujet.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Tout à fait !
Mme Laure Darcos. Au lendemain du référendum de 1959, les îles de Wallis et Futuna sont devenues des territoires d'outre-mer. La loi du 28 juillet 1961 leur a conféré un statut spécifique qui les dote d'une organisation institutionnelle toute particulière.
Cette organisation repose sur un subtil équilibre entre les trois grandes composantes de l'identité de ce territoire : la République, les chefferies coutumières et l'Église catholique.
L'article 7 de la loi de 1961 pose un principe pour le moins unique en France : l'État concède l'exercice de la compétence de l'enseignement du premier degré à la mission catholique par le biais d'une convention renouvelable tous les cinq ans.
Au printemps 2023, un vaste mouvement de grève, sans doute l'un des plus importants qu'aient connus les deux îles depuis le référendum de 1959, a remis en cause ce principe. Les enseignants du premier degré se mobilisent, demandant à être intégrés à la fonction publique de l'État.
En réalité, cette revendication est bien plus ancienne que les grèves de 2023. Selon le rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche sur l'évolution du statut des maîtres d'école à Wallis et Futuna, qui a été publié au mois de mars 2024, elle remonte au début des années 1980.
Cette contestation s'est accrue ensuite par le maintien d'un important différentiel de rémunération entre les maîtres d'école et les professeurs du secondaire. Alors que les premiers bénéficiaient d'une majoration de traitement au coefficient de 1,7, les seconds, en tant que fonctionnaires de l'État, bénéficiaient d'une indexation au taux de 2,05.
L'ampleur des grèves de 2023 a donné une tout autre dimension à cette remise en cause. La nécessité d'offrir aux enseignants du premier degré de Wallis-et-Futuna un nouveau statut fait aujourd'hui quasiment consensus, comme le montre le contenu du protocole d'accord de fin de conflit validé à l'issue des grèves au mois de juillet 2023.
L'article 1er de cet accord prévoit ainsi que l'État s'engage à mettre fin à la convention de concession de l'enseignement du premier degré à la mission catholique et à ce que les personnels concernés soient transférés vers les services de l'État.
C'est tout le sens du présent projet de loi, qui habilite le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance à cet effet. Les ordonnances permettront aussi aux enseignants de choisir pour leur retraite entre le régime spécial dont relève leur corps d'intégration et celui qui est géré par la caisse des prestations sociales des îles Wallis et Futuna.
En conséquence, en responsabilité, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte. Néanmoins, ses membres regrettent qu'une telle réforme passe dans un délai aussi court, quelques semaines avant la fin du contrat de concession actuellement en vigueur.
Les enjeux relatifs à l'enseignement du premier degré de Wallis-et-Futuna sont immenses.
Les évaluations en français et en mathématiques à l'entrée en sixième ont montré des écarts importants, autant avec la métropole qu'avec les autres territoires d'outre-mer.
Ainsi, 40 % des élèves de ces deux îles n'atteignent pas le niveau de maîtrise satisfaisant en français, contre 11 % à l'échelle nationale. En mathématiques, 65 % des élèves ont un niveau insuffisant, contre 28 % à l'échelle nationale.
Au-delà de l'intégration des maîtres d'école dans la fonction publique d'État se pose la question de l'organisation de l'enseignement primaire.
Nos concitoyens de Wallis-et–Futuna font partie intégrante de la République. Nous leur devons d'être mobilisés pour un fonctionnement efficace de l'école, dans le respect de leurs spécificités locales, au service de l'ensemble de la communauté éducative de Wallis-et-Futuna. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. François Patriat applaudit également.)
M. Max Brisson. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de saluer et de remercier notre rapporteure Evelyne Corbière Naminzo du travail réalisé, qui a permis d'aboutir à une rédaction équilibrée, consensuelle et, surtout – c'est là l'essentiel –, respectueuse des spécificités de Wallis-et-Futuna.
En effet, depuis plusieurs années, le système de la concession à la mission catholique, qui avait jusqu'alors fait ses preuves, est à bout de souffle et est l'objet de nombreuses remises en cause. Ainsi, les enseignants, qui officient en tant qu'agents de droits privés, ne sont pas éligibles au régime de rémunération des fonctionnaires de l'État en service dans les outre-mer et ne bénéficient pas de l'accès à la grille nationale des professeurs des écoles.
En outre, si la concession a initialement été conçue pour préserver les équilibres locaux, il n'en demeure pas moins que l'État ne respecte pas une obligation pourtant constitutionnelle, celle d'organiser un enseignement primaire, public, gratuit et laïque.
Enfin, la concession passée entre l'État et la mission catholique prend fin au mois de juin 2025. L'urgence commande donc un nouveau statut pour garantir la continuité du service public de l'éducation dès la prochaine rentrée. L'urgence est là. Par conséquent, ce texte est indispensable.
Bien sûr, nous pouvons déplorer ici la procrastination des gouvernements successifs, qui ont mis plusieurs mois, sinon des années, à construire un texte adéquat alors qu'ils étaient pleinement conscients des difficultés rencontrées et de l'échéance à venir de ladite concession.
Bien sûr, nous pouvons regretter aussi la conséquence de cette procrastination, en l'occurrence le recours par le Gouvernement aux ordonnances, donc la mise à l'écart du Parlement sur une décision aussi importante pour un territoire de la République.
Comme je le disais précédemment, l'urgence est là. Il est donc nécessaire d'y répondre dans les plus brefs délais.
C'est pourquoi le texte que nous examinons aujourd'hui propose une évolution du système scolaire wallisien en prenant en considération – c'est fondamental – l'héritage ancien dans lequel celui-ci s'inscrit, qui exige une approche respectueuse des personnes et de l'histoire.
Aujourd'hui, un consensus existe quant à cette évolution.
Les enseignants considèrent que leur intégration met fin à une situation perçue comme injuste et qu'elle sécurise leur statut juridique.
Le vice-rectorat souhaite reprendre la main sur l'enseignement primaire pour mieux le piloter au bénéfice de la réussite des élèves.
La direction de l'enseignement catholique pointe la dégradation de ses relations avec les enseignants, qui rend difficile toute discussion.
Les parents d'élèves espèrent que ce transfert permettra l'amélioration de l'école à Wallis-et-Futuna et la fin des conflits sociaux qui la secouent trop souvent.
Le contexte est donc favorable au déploiement de ce projet de loi.
Néanmoins, je souhaite ici rappeler combien ce dernier doit suivre un tempo adapté et faire preuve d'un certain doigté dans sa mise en œuvre, qui doit être progressive, pragmatique et respectueuse de l'ensemble des acteurs du territoire.
C'est la raison pour laquelle je tiens à insister sur quelques points de vigilance que nous devons garder en tête si nous souhaitons que ce projet de loi puisse s'appliquer sans tension.
D'abord, ce transfert doit concerner l'ensemble des enseignants, dont les dix agents non titulaires du baccalauréat. À ce sujet, je m'associe pleinement à l'initiative de notre rapporteure d'étendre ce transfert à ses agents. Madame la ministre d'État, vous avez salué ce travail.
Ensuite, les professeurs doivent être classés en fonction de leurs salaires actuels dans la grille des professeurs des écoles, et non pas par la transposition de la grille ad hoc, au risque de créer une distorsion avec les autres territoires français du Pacifique. Bien entendu, il s'agit de maintenir et même de faire progresser les rémunérations des professeurs, mais en rapport avec ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie et en outre-mer.
En outre, l'objectif de la laïcité, s'il est partagé, doit se construire progressivement. Son pilotage doit être assuré en proximité, afin de pleinement tenir compte du particularisme de Wallis-et-Futuna et de son histoire singulière.
Enfin, et surtout, il faudra régler – vous y avez fait référence, madame la ministre d'État – la question des personnels non enseignants qui ne peuvent être laissés sur la touche. Cela sera dit avec force dans un instant par le sénateur de Wallis-et-Futuna.
Madame la ministre d'État, je vous sais consciente des enjeux que revêt ce texte. Si son déploiement se doit d'être rapide pour répondre à l'urgence qui s'impose à nous, il doit aussi être adapté aux spécificités du territoire et déployé en proximité. Oui, c'est une école publique, gratuite et laïque qu'il faut instaurer à Wallis-et-Futuna, mais dans le respect de l'histoire, des personnes et des particularités !
Ce sera donc la responsabilité du préfet et du vice-recteur de mener avec doigté cette réforme, attendue et nécessaire. À en juger par les déclarations des uns et des autres au cours de cette discussion générale, je pense que nous serons nombreux à nous prononcer en sa faveur. Pour sa part, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Mikaele Kulimoetoke. (Applaudissements.)
M. Mikaele Kulimoetoke. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier chaleureusement Evelyne Corbière Naminzo, sénatrice de La Réunion, d'avoir accepté au pied levé d'être rapporteure de ce projet de loi. Je remercie aussi les membres de la commission de la culture de leur écoute et de leur intérêt pour ce dossier. Je vous remercie tous de votre attention.
Vous imaginez bien la complexité des spécificités de Wallis-et-Futuna. En effet, notre collectivité ne ressemble à aucune autre de l'Hexagone ou des outre-mer, avec, pour commencer, l'existence de nos royautés au sein de la République. À l'heure où la Nouvelle-Calédonie cherche à trouver un accord consensuel pour son avenir et où, parallèlement, la Polynésie française a acté la reconnaissance des actions de ses tavana auprès des populations, je prends à mon tour la parole, pour Wallis-et-Futuna, afin de demander à l'État d'assumer ses responsabilités concernant l'enseignement primaire, comme cela est prévu dans le code de l'éducation et dans notre loi statutaire de 1961.
Je le rappelle, le pouvoir exécutif est encore assuré par le préfet, représentant de l'État, notre assemblée territoriale se limitant à voter des délibérations que le préfet rend exécutoires.
M. Pierre Ouzoulias. Il faut changer cela !
M. Mikaele Kulimoetoke. Il s'agit donc d'un territoire administré directement par l'État français depuis soixante-quatre ans. Malgré cela, nous sommes également inscrits sur la liste de l'OCDE comme pays éligible à l'aide publique au développement. Cela veut dire que nous sommes non pas considérés comme Français, mais classés comme pays du tiers-monde et que nous n'avons pas les mêmes droits que l'ensemble des Français.
Les premiers enseignements ont été dispensés par les missionnaires catholiques, qui sont arrivés en 1837. C'est ensuite, avec l'aide de la population, que les écoles ont été construites sur le foncier cédé gracieusement par les chefferies coutumières.
Pour autant, la décision de l'État de concéder en 1969 l'enseignement primaire à la mission catholique n'est pas prévue par le code de l'éducation. Un jugement du tribunal du travail de Wallis a également confirmé que la direction de l'enseignement catholique n'avait aucune personnalité juridique.
Nous avons attendu le 7 juin 2023 pour que le ministre de l'éducation nationale d'alors reconnaisse devant le Sénat, à ma demande, que les personnels du premier degré pouvaient accéder au statut d'agent public de l'État. Pendant soixante-deux ans, ils ont été considérés comme des agents de droit privé régis par le code du travail de 1952 du temps des colonies.
Il était déjà difficile d'arriver à un consensus sur la réforme, mais ne pas respecter les accords conclus autour de la table des négociations est assimilé à une atteinte à l'honneur de nos autorités coutumières, qui, par leur présence, ont scellé officiellement la parole donnée.
C'est pour cela que j'ai déposé un amendement visant à élargir le périmètre du projet de loi d'habilitation au personnel non enseignant. Il a été déclaré irrecevable par la commission de la culture et il n'aurait pas eu plus de chances d'aboutir aujourd'hui en séance publique.
Madame la ministre, vous avez proposé d'attribuer le statut d'agent contractuel de l'État au personnel non enseignant sous le régime de l'arrêté 76, au motif qu'il existait encore des agents de l'État réglementés par ce texte dans le secondaire et au vice-rectorat. Permettez-moi de vous dire que c'est une aberration, car c'est juridiquement illégal. L'arrêté 76 a été institué pour régir les agents permanents du territoire sous un statut de droit privé, ce qui n'est pas applicable pour les agents publics de l'État.
Ma préoccupation est aussi d'éviter de créer une rupture d'égalité dans le traitement des personnels enseignants et non enseignants. Le préavis de grève illimité déposé le 1er avril par le syndicat Force ouvrière Enseignement a été suspendu dans l'attente de nos travaux.
C'est pour cela que je vous demande, madame la ministre, d'intégrer les personnels non enseignants qui ont un corps d'attache existant dans la fonction publique et de créer des corps spécifiques à Wallis-et-Futuna pour ceux qui n'en ont pas. Face à situation exceptionnelle, il faut des mesures exceptionnelles.
Mes chers collègues, compte tenu de ce que je viens de vous exposer, je garde la foi et j'espère que l'État tiendra sa parole et s'engage sur un calendrier permettant d'intégrer également dans la fonction publique de l'État les personnels non enseignants du premier degré.
Le groupe RDPI votera le projet de loi d'habilitation. (Applaudissements.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ruel. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains.)
M. Jean-Marc Ruel. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, comme cela a déjà été évoqué, les îles de Wallis et Futuna ont été intégrées à la République en 1959.
Depuis 1961, l'État dispose de la compétence éducative du territoire, même si la mission catholique l'assure depuis 1969 via les conventions quinquennales successives – la dernière prend fin au mois de juin prochain.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui vise à permettre, à terme, l'intégration des personnels enseignants du premier degré au sein de l'éducation nationale. Rappelons qu'il résulte d'une forte mobilisation des enseignants locaux au mois de mai 2023, paralysant les écoles des deux îles pendant deux mois et demi. Celle-ci a abouti à un protocole d'accord signé le 20 juillet 2023 entre l'État, les autorités territoriales, les représentants syndicaux et la mission catholique.
En 2024, une mission interinspection a été mandatée pour évaluer les conditions de mise en œuvre du protocole d'accord. Elle a confirmé l'impossibilité de pérenniser un recrutement des enseignants en qualité de contractuels et a recommandé leur intégration dans le corps national des professeurs des écoles. Cette mission a aussi mis en avant la possibilité pour les enseignants de choisir entre le régime local de retraite et celui qui est applicable à leur corps d'accueil.
Madame la ministre, en prolongement de ces recommandations consensuelles, que nous retrouvons dans votre projet de loi, permettez-moi d'ouvrir la discussion sur la question du particularisme au sein de la République en citant la première phrase de l'article 1er de notre Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
Le cas de figure de nos compatriotes de Wallis et de Futuna est très spécifique. Ce projet de loi, qui a pour objectif de rétablir l'équilibre, questionne en réalité la laïcité, l'un des principes centraux de notre République.
En plus du prérequis essentiel de la maîtrise des langues vernaculaires, les enseignants revendiquent la conservation de l'enseignement catholique au sein des écoles du premier degré de Wallis-et-Futuna.
Madame la ministre, mes chers collègues, vous connaissez l'attachement du RDSE, plus largement des radicaux, à la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État. Portant la voix de mon groupe aujourd'hui devant vous, je ne peux que m'interroger sur la possibilité d'une telle mesure.
J'ai bien conscience des spécificités des îles de Wallis et Futuna et de l'importance de la religion catholique sur ce territoire. Cependant, le particularisme autorisé ici nous contraint à voter aujourd'hui une loi sur les revendications locales légitimes et essentielles tout en mettant entre parenthèses une valeur centrale de notre pays.
Au regard de ces différents éléments, le groupe RDSE votera donc en faveur de ce texte, afin d'habiliter le Gouvernement, sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnances les mesures nécessaires relevant du domaine de la loi.
Nous resterons cependant vigilants quant au contenu du projet de loi de ratification qui sera défendu devant le Parlement et des mesures qui y seront inscrites. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Georges Naturel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Georges Naturel. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, il est des textes qui, malgré leur apparente brièveté, ne revêtent pas moins une grande portée humaine, historique et symbolique. Celui qui nous réunit aujourd'hui relève de ces textes essentiels.
M. Pierre Ouzoulias. C'est vrai !
M. Georges Naturel. Permettez-moi tout d'abord de remercier Mme la rapporteure Evelyne Corbière Naminzo de son engagement éclairé et de son écoute attentive.
Je salue également nos collègues de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, qui ont su, dans l'examen de ce projet de loi, tenir compte des réalités singulières du Pacifique, souvent éloignées du regard parisien, mais jamais de l'esprit républicain.
Ce texte marque une étape importante pour les enseignants de Wallis et de Futuna. Il consacre un changement de statut attendu, légitime et, désormais, consensuel. Il vise à mettre un terme à un système original, celui de la concession à la mission catholique, qui a structuré pendant plus d'un demi-siècle l'enseignement primaire dans les îles : un système aujourd'hui obsolète et à bout de souffle.
Ce changement, aussi nécessaire soit-il, ne saurait toutefois effacer l'histoire. En effet, avant la République, ses lois et ses règlements, ce sont les missionnaires qui ont ouvert les écoles et les dispensaires dans nos îles du Pacifique, particulièrement à Wallis et à Futuna. Ils ont formé, soigné, évangélisé. Ils ont tissé les premiers liens entre les savoirs venus d'ailleurs et les cultures locales.
Cette mémoire existe ; elle vit encore dans les murs de nos écoles, dans les chants de nos enfants, dans les récits des familles. Il est important de la respecter sans imposer aux forceps une laïcité importée aux relents de néocolonialisme, parce qu'elle ne serait pas comprise.
M. Pierre Ouzoulias. Non ! On ne peut pas vous suivre sur cela !
M. Georges Naturel. À Wallis et à Futuna, comme ailleurs dans le Pacifique, la République ne s'est pas imposée par effraction. Elle s'est enracinée dans un terreau déjà ancien fait de royauté, de coutume, de foi et de respect. Elle a su – du moins, je le crois – composer avec ces équilibres, parfois complexes, mais toujours porteurs d'une identité forte.
La République reconnaît des rois à Wallis. Elle ne leur demande pas de renier leur couronne pour devenir citoyens. Pourquoi demanderait-elle à des enseignants d'oublier ce qu'ils sont, d'où ils viennent et ce qu'ils portent ?
L'intégration dans la fonction publique d'État doit donc être plus qu'un changement administratif : une reconnaissance, de leur engagement, bien sûr, mais aussi de leur insularité, de leur culture et de leur ancrage pacifique.
En tant que sénateur de Nouvelle-Calédonie, je mesure pleinement cette responsabilité. Car une partie importante de la communauté wallisienne et futunienne vit aujourd'hui chez nous. À Dumbéa, ma commune de cœur, nombreux sont les enseignants, les parents et les enfants issus de ces îles sœurs, qui contribuent à la vie de la cité et à la richesse de notre identité océanienne.
Il est donc naturel – c'est le cas de le dire (Sourires.) – que je m'exprime aujourd'hui pour leur témoigner, au nom de la solidarité du Pacifique, tout mon soutien.
Sur le principe, je voterai ce texte, non seulement parce qu'il est attendu, mais aussi parce qu'il est juste, parce qu'il rétablit une égalité de traitement et parce qu'il met fin à une ambiguïté juridique devenue intenable.
Toutefois, je veux ici exprimer solennellement un vœu : que les ordonnances à venir ne soient pas rédigées depuis une tour d'ivoire ministérielle, dans un entre-soi métropolitain qui méconnaîtrait les lagons, les palabres et les chefs coutumiers ; qu'elles soient le fruit d'une vraie concertation avec les élus, les enseignants, les représentants des chefferies et tous les acteurs du territoire. Car on ne gouverne pas Wallis-et-Futuna comme on administre un département de l'Hexagone. Le droit y a sa place, bien sûr, mais le dialogue y est la clé.
Aussi, que cette loi d'habilitation soit l'occasion d'un nouveau départ : un départ républicain, mais respectueux, un départ national et pacifique. (Applaudissements sur l'ensemble des travées, à l'exception de celles du groupe CRCE-K.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif au transfert à l'état des personnels enseignants de l'enseignement du premier degré dans les îles wallis et futuna
Article 1er
Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi prévoyant les conditions et modalités selon lesquelles, au terme de la convention du 5 juin 2020 portant concession à la mission catholique de l'enseignement du premier degré sur le territoire des îles Wallis et Futuna pour les années 2020-2025, les personnels enseignants qui en relèvent peuvent, quel que soit leur niveau de diplôme :
1° Être intégrés dans les corps de la fonction publique de l'État ;
2° Opter en faveur du maintien de leur affiliation, pour leur retraite, au régime géré par la Caisse des prestations sociales des îles Wallis et Futuna ou être affiliés au régime spécial dont relève leur corps d'intégration et bénéficier des prestations de ces régimes.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Ouzoulias, Mme Apourceau-Poly, MM. Bacchi, Barros, Basquin et Brossat, Mmes Brulin et Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, M. Lahellec, Mme Margaté, M. Savoldelli, Mmes Silvani et Varaillas et M. Xowie, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
pour y dispenser un enseignement conforme au principe de laïcité
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. La loi de 1905 ne s'applique pas à Wallis-et-Futuna. Elle ne s'applique pas non plus à la Guyane, ni même à Saint-Pierre-et-Miquelon, cher collègue Ruel.
Il était prévu qu'elle s'appliquerait à l'ensemble des territoires de la République, mais en 1905, l'exécutif a décidé de déroger à ce principe fondamental et constitutionnel. Il a estimé en effet que « la laïcité [est] réservée pour les esprits très éclairés de la métropole ». Cela reflète les sentiments que l'on avait à l'époque pour l'outre-mer…
C'est sur cette base, celle d'un passé colonial, qu'une délégation de service public sui generis a été accordée à l'Église catholique en 1969, ce qui est très peu conforme à l'esprit des lois.
Aujourd'hui, grâce à vos efforts, cher collègue Kulimoetoke, cette exception prend fin. C'est justice pour les enseignants et pour un territoire qui veut rester au sein de la République.
J'ai déposé cet amendement, madame la ministre, pour avoir la certitude que la loi qui nous sera proposée dans moins de six mois sera conforme au principe de laïcité et ne permettra pas la création d'un nouveau système dérogatoire à la loi de 1905 et à la séparation des Églises et de l'État.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. Mon cher collègue, la Constitution définit la France comme une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Cet amendement tend à rappeler l'un de ces grands principes, auquel je suis très attachée.
Vous l'aurez compris, en d'autres circonstances, j'aurais peut-être cosigné votre amendement.
M. Pierre Ouzoulias. Merci !
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. En tant que rapporteure, je rappelle que, en intégrant le corps des professeurs des écoles, les maîtres d'école de Wallis-et-Futuna seront soumis aux mêmes droits et obligations que tous les fonctionnaires, notamment au regard de la laïcité et de la neutralité.
Par ailleurs, l'enseignement primaire rejoindra l'école de la République avec la fin de la convention de concession, mais nous avons tous compris qu'il s'agissait d'une première étape, certes importante, vers le retour dans le giron de l'État.
Dès lors, cet amendement, monsieur le sénateur, est satisfait, puisque les dispositions qu'il vise à insérer sont déjà prévues dans le code de l'éducation.
Toutefois, madame la ministre, je souhaite vous entendre pour que les garanties à ce sujet soient claires. J'espère que ce débat permettra de lever toutes les incertitudes sur les ambitions que nous avons pour l'école de la République à Wallis-et-Futuna.
La Commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. Monsieur le président, je voudrais tout d'abord répondre à la question qui a été posée à plusieurs reprises, en particulier par le sénateur Mikaele Kulimoetoke, sur les personnels non enseignants, une préoccupation que nous partageons tous.
Dans l'immédiat, les personnels non enseignants seront intégrés sous le statut de contractuels de droit public. Il manque à ce jour un décret en application de l'ordonnance n° 2013-81 et, en lien avec mon collègue chargé de la fonction publique, je m'engage à ce que ce texte soit pris rapidement.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. Pour revenir à l'amendement n° 1, vous aurez compris que, avec le texte dont nous débattons aujourd'hui, l'État va retrouver pleinement ses compétences, notamment en termes d'éducation, donc de respect du principe de laïcité.
Par conséquent, cet amendement est satisfait, me semble-t-il, si bien que j'en demande le retrait. À défaut, mon avis serait défavorable.
M. le président. Monsieur Ouzoulias, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, mes chers collègues, je ne suis pas absolument opposé aux spécificités locales. Il se trouve que, à Wallis et Futuna, 99 % des terres appartiennent à la communauté. En tant que communiste, je trouve donc qu'il existe à Wallis et Futuna des expériences très intéressantes qui mériteraient d'être développées en métropole... (Rires.)
Plaisanterie mise à part, j'ai entendu, madame la ministre, vos engagements en faveur de la laïcité. Vous les avez exprimés à plusieurs reprises de manière ferme, notamment depuis votre nomination au ministère de l'éducation nationale. Je vous fais donc pleinement confiance.
Aussi, monsieur le président, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de six mois à compter de la publication de l'ordonnance – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Mikaele Kulimoetoke, pour explication de vote.
M. Mikaele Kulimoetoke. Je tiens tout d'abord à remercier de leur soutien tous les collègues qui sont intervenus dans ce débat. De même, je remercie Mme la ministre de ses explications et des réponses qu'elle a apportées aux doléances des enseignants et des non-enseignants de Wallis-et-Futuna.
Madame la ministre, il faut effectivement prendre un décret très rapidement pour régler la question des personnels non enseignants, car l'arrêté de 1976 prévoit un statut de droit privé. Ce décret devra reprendre l'ensemble des droits auxquels les agents publics peuvent prétendre à Wallis-et-Futuna. Enfin, ces personnels ne devront être contractuels que le temps d'organiser les concours pour les intégrer dans les différents corps de la fonction publique de l'État. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je veux tout d'abord remercier Mme la rapporteure de la qualité de son travail. Cela n'a pas été facile, d'autant que nous avons découvert au fur et à mesure que le dossier n'était pas aussi évident qu'il le semblait.
Mes chers collègues, je crois que nous faisons œuvre de justice pour tous les personnels qui se sont engagés dans des statuts relativement précaires. Je pense notamment aux dix oubliés que nous avons réintégrés dans le dispositif. Il était extrêmement important de le faire. Il y aura maintenant un service public de plein exercice à Wallis et Futuna.
Je veux aussi dire à notre collègue Georges Naturel que la laïcité n'est pas la manifestation d'un néocolonialisme attardé. C'est au contraire une œuvre d'humanité à laquelle nous faisons accéder nos frères et nos sœurs de Wallis et Futuna. Pour moi, c'est un projet politique d'une très grande portée. La laïcité n'est pas contre la religion, bien au contraire ; c'est ce qui permet l'ouverture au monde.
Au cours de cette discussion, nous nous sommes aperçus que les statuts des territoires ultramarins, notamment ceux de l'océan Pacifique, ont évolué, mais pas celui de Wallis-et-Futuna, qui en est resté à la loi de 1961.
Or cette loi est complètement obsolète, et il serait peut-être temps – la décision revient toutefois aux Wallisiens et aux Futuniens – de réfléchir à un nouveau statut et de travailler à une autre forme d'alliance entre Wallis-et-Futuna et la République. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Au risque de la répétition, je veux mettre en avant le consensus qui s'exprime dans notre assemblée sur ce texte.
Je veux à mon tour remercier Mme la rapporteure, qui a réalisé un excellent travail.
Outre qu'elle est un signe de consensus, la présence de nombreux sénateurs en ce lundi après-midi constitue un message à nos compatriotes de Wallis et Futuna quant à l'intérêt que le Sénat porte à l'enseignement dans leur territoire.
C'est aussi un message adressé aux professeurs, qui sont représentés en tribune par leurs représentants syndicaux et qui se sont battus pour sortir par le haut de la situation qu'ils vivaient. Ils voulaient un enseignement de la meilleure qualité possible pour les élèves de Wallis et Futuna. Je veux les remercier des combats qu'ils ont menés et dont notre collègue de Wallis et Futuna s'est fait l'écho.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Max Brisson. Madame la ministre, nous avons réglé la question des dix – excellents – professeurs qui n'ont pas le baccalauréat ; il reste maintenant celle des personnels non enseignants. J'ai l'impression que, entre le stade de l'examen du texte en commission et celui de la séance publique, les choses ont déjà bougé.
Il faut, madame la ministre, que vous acheviez le mouvement pour apporter des garanties aux professeurs et à l'ensemble de ceux qui participent à la communauté éducative de Wallis et Futuna. Ceux qui sont venus à Paris défendre la position de leurs collègues doivent retourner dans leur territoire avec le sentiment du devoir accompli. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour explication de vote.
Mme Lana Tetuanui. Au nom du groupe Union Centriste, je me réjouis qu'un consensus ait été trouvé cet après-midi et que notre assemblée vote ce texte à l'unanimité.
Je remercie l'ensemble de nos collègues de l'Hexagone de répondre présent pour nos collectivités ultramarines. La semaine dernière, nous examinions un texte relatif à la Polynésie française ; aujourd'hui, des textes sur Wallis-et-Futuna, puis Mayotte. Cela montre que les outre-mer font bien partie de la France.
Pour revenir à ce texte, il est vrai que les choses ont évolué entre l'examen en commission et aujourd'hui. Madame la ministre, vous avez répondu à nos interrogations, mais nous veillerons au grain, en particulier notre collègue de Wallis-et-Futuna, pour que tout se déroule correctement. Pour reprendre les mots de notre collègue Xowie la semaine dernière, cette fois, la parole est suivie d'écrits, même s'il faudra que l'État tienne ses engagements.
Cher collègue Ouzoulias, vous venez tout de même d'ouvrir une brèche en évoquant la laïcité ! Les fonctionnaires connaissent leurs devoirs et la réserve dont ils doivent faire preuve. Sachez, cher collègue, que la laïcité tient une place centrale dans les collectivités du Pacifique, que ce soit dans nos écoles, nos conseils municipaux ou nos assemblées territoriales. Je vous invite à venir voir sur place ! (Sourires.)
Si ce n'est pas les enseignants, il y a souvent quelqu'un qui attend les enfants à l'entrée de l'école pour leur dire : « Attendez, il y a quinze minutes de catéchisme avant d'aller en cours. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – M. Saïd Oma Oili applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.
M. François Patriat. Tout d'abord, je tiens à féliciter notre assemblée pour la haute tenue de ce débat. Un consensus s'est dégagé, de part et d'autre de l'hémicycle, autour de valeurs que chacun a défendues avec conviction et talent.
Ensuite, je veux remercier mon ami Mikaele Kulimoetoke, qui, en posant une question au Gouvernement il y a un an, a engagé le processus et permis que les choses avancent et que se dégage un consensus, comme Pierre Ouzoulias et Max Brisson l'ont souligné.
Enfin, je remercie Mme la ministre d'avoir apporté une réponse positive et qui satisfait tout le monde à la question du personnel non enseignant.
Nous voterons ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Je tiens à remercier, en votre nom à tous, mes chers collègues, notre rapporteure, qui a conduit le travail préalable à ce débat avec beaucoup d'intelligence et de doigté. Sans vouloir provoquer Pierre Ouzoulias, je dirai que c'est un baptême réussi ! (Sourires.) C'était en effet le premier rapport réalisé par Evelyne Corbière Naminzo au nom de notre commission. (Applaudissements.)
Je veux également remercier le sénateur Mikaele Kulimoetoke, qui nous a longuement expliqué les spécificités et l'origine de ce texte. Sa détermination à intégrer les personnels non enseignants dans nos débats et dans les évolutions à venir a été déterminante.
Nous sommes parvenus à un texte qui satisfait tout le monde, avec un apport significatif du Sénat, pour ce qui concerne les dix enseignants qui n'ont pas le baccalauréat et qui seront intégrés, mais aussi s'agissant des personnels non enseignants, puisque la ministre a déclaré que leur situation serait traitée dans le cadre d'un prochain décret.
On pouvait penser à l'origine que ce dossier était quelque peu anodin. Lorsque l'on plonge dedans, on se rend compte que c'est loin d'être le cas. En tout cas, grâce au vote qui se dessine, il s'agit d'une véritable avancée pour le service de l'éducation à Wallis-et-Futuna. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'ensemble du projet de loi relatif au transfert à l'État des personnels enseignants de l'enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna.
(Le projet de loi est adopté.) – (Applaudissements. – M. Mikaele Kulimoetoke se lève et salue les représentants des enseignants présents en tribune.)
3
Aménager le code de la justice pénale des mineurs et la responsabilité parentale
Adoption définitive des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à aménager le code de la justice pénale des mineurs et certains dispositifs relatifs à la responsabilité parentale (texte de la commission n° 573, rapport n° 572).
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis chargée de vous présenter les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à aménager le code de la justice pénale des mineurs et certains dispositifs relatifs à la responsabilité parentale.
Nous avons pu faire deux constats à l'occasion de l'examen de l'examen de ce texte.
Il s'agit tout d'abord d'un constat de fait : même si les infractions commises par des mineurs, en tout cas au regard des chiffres qui nous ont été fournis, sont en diminution, les mineurs délinquants sont de plus en plus jeunes et les infractions de plus en plus graves, puisqu'elles concernent à la fois des atteintes à la personne et – nous en avons longuement débattu dans cet hémicycle – la criminalité organisée.
Il s'agit ensuite d'un constat de droit : s'agissant des mineurs, le primat de l'éducation doit s'imposer sur celui de la sanction, quand bien même – vous me permettrez cette assertion que beaucoup de parents ne démentiraient pas – la sanction peut aussi faire partie de l'éducation.
C'est sur la base de ces deux constats que nous avons travaillé sur ce texte.
Le Sénat a sensiblement modifié la proposition de loi qui était arrivée de l'Assemblée nationale. Au cours des discussions préparatoires et durant la commission mixte paritaire, nous avons pu trouver avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, en toute courtoisie, des accords qui ont fait une part assez belle, je dois le dire, aux modifications qui avaient été apportées par notre chambre. Nous avons aussi – c'est le principe d'une commission mixte paritaire – pris en compte les désirs de l'Assemblée nationale.
Je dirai quelques mots des principaux sujets soulevés par ce texte.
J'évoquerai tout d'abord la responsabilité des parents. C'était l'un des points importants pour l'Assemblée nationale. Je vous rappelle que nous avions très largement élagué les modifications qui avaient été apportées au délit de soustraction, et cela a été conservé à l'issue des travaux de la commission mixte paritaire. Nous avons à notre tour fait un pas vers l'Assemblée nationale sur la circonstance aggravante du délit de soustraction qui avait été intégrée dès l'Assemblée nationale.
Nous avons complètement maintenu le dispositif voté au Sénat sur la possibilité pour l'assurance qui a payé pour les dommages causés par le mineur délinquant de se retourner vers les parents de celui-ci pour qu'ils puissent être financièrement sanctionnés en payant une partie de ces dommages.
Il a aussi été maintenu ce qui avait été acquis ici en matière d'amende civile : celle-ci sera du même montant que l'amende pénale pour les parents qui ne défèrent pas aux convocations du juge.
J'évoquerai ensuite la responsabilité des mineurs. La procédure que nous avons définie pour la comparution immédiate, si elle n'est pas celle que le Sénat avait adoptée, s'en rapproche fortement. Elle s'appliquera à l'âge de 16 ans – le Sénat avait voté en faveur d'un âge de 15 ans –, en cas de particulière gravité de l'infraction.
L'excuse de minorité, telle que le Sénat l'avait retenue, c'est-à-dire inversée pour les mineurs de 16 ans dès lors qu'il s'agit d'une infraction punie d'au moins cinq ans d'emprisonnement et en état de récidive légale, a été acceptée par l'Assemblée nationale.
Nous avons aussi – c'est un point important – facilité la mise en œuvre d'une audience unique, c'est-à-dire d'une audience dans laquelle, à la fois, on constate la culpabilité et on prononce la sanction. Cela permettra, notamment pour les mineurs récidivistes, de ne pas conserver la césure qui est désormais prévue dans le code de la justice pénale des mineurs. En effet, cette césure rend parfois difficile de donner un sens à la peine, lorsque beaucoup de temps a passé depuis la commission des faits et la reconnaissance de la culpabilité.
Voilà, mes chers collègues, ce que la commission mixte paritaire a retenu.
J'ai toutefois un regret. Les courtes peines que nous avions introduites – une petite révolution pénale – n'ont pu être retenues, mais je puis aisément le comprendre, car l'Assemblée nationale n'avait pas été en mesure d'en débattre avant la réunion de la commission mixte paritaire. Cela étant, vous savez que nous avons engagé des travaux sur l'exécution des peines qui nous permettront de nous faire une idée sur cette question – Dominique Vérien, ici présente, participe à cette mission.
Vous aurez compris, au récit que je viens de vous faire, que les conclusions de cette commission mixte paritaire me paraissent appeler de notre part un vote favorable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui est soumise aujourd'hui à votre approbation définitive, portée par Gabriel Attal, s'inscrit dans un contexte de forte attente de nos concitoyens.
L'augmentation de certains actes de violence impliquant des mineurs exige une réponse claire, ferme, mais toujours respectueuse des principes fondamentaux qui régissent notre justice des mineurs.
Premièrement, la justice doit être plus réactive, sans renoncer à ses principes.
Les travaux de la commission mixte paritaire, auxquels vous avez activement participé, madame la rapporteure, ont permis d'aboutir à un texte équilibré, à la fois exigeant et respectueux de l'esprit de l'ordonnance de 1945.
Parmi les avancées notables, je relève la possibilité de comparution immédiate pour les mineurs de plus de 16 ans en cas de récidive pour des délits graves. Il ne s'agit pas d'aligner purement et simplement le régime des mineurs sur celui des majeurs. Cette disposition, strictement encadrée, offre aux magistrats un levier d'action rapide, lorsque la gravité des faits l'impose.
Je relève aussi l'encadrement renforcé de l'excuse de minorité : pour les mineurs de 16 à 18 ans, auteurs en récidive de délits passibles de cinq ans d'emprisonnement, le juge devra motiver expressément l'application de cette excuse. Il s'agit non pas de nier la minorité, mais de reconnaître que la répétition de faits graves exige parfois une réponse plus nette.
Je note enfin la responsabilisation accrue des parents, avec la création d'une amende civile en cas de refus de se présenter aux convocations du juge des enfants dans le cadre de l'assistance éducative. Il s'agit de rappeler que l'autorité parentale implique aussi des devoirs.
Deuxièmement, l'ambition éducative demeure au cœur de cette proposition de loi.
Ce texte ne saurait être réduit à une logique répressive. Il porte aussi une ambition éducative renforcée, en consolidant les outils de connaissance et de prise en charge des mineurs. Ainsi, le procureur devra désormais fournir un rapport éducatif préalable à toute saisine du juge des libertés et de la détention, garantissant une appréciation plus fine de la situation du mineur avant toute décision privative de liberté.
Troisièmement, il nous faut prévenir les dérives, en mettant en place des outils nouveaux pour des situations exceptionnelles.
Certaines affaires récentes, dont celle tristement célèbre du jeune Elias, ont révélé les failles de notre système dans des cas limites où les dispositifs existants n'ont pas suffi à empêcher des passages à l'acte. C'est pourquoi le texte introduit deux dispositifs nouveaux.
D'une part, le renforcement des couvre-feux éducatifs, désormais plus aisément mobilisables par le juge des enfants, pour mieux prévenir les conduites à risque et les dérives nocturnes.
D'autre part, la rétention provisoire d'évaluation, en cas de non-respect grave et répété d'une mesure éducative judiciaire probatoire. Cette mesure d'exception, strictement encadrée, vise à restaurer le sens de la décision judiciaire et à éviter une impunité de fait dans les cas les plus préoccupants.
Quatrièmement, la réponse doit être lisible, proportionnée et attendue.
Ce texte ne renverse pas l'équilibre de notre justice des mineurs. Il ne substitue pas la répression à l'éducation. Il les articule, pour garantir que la réponse judiciaire soit à la fois rapide, adaptée et efficace.
Il s'agit non pas de juger plus durement, mais de juger mieux, dans des délais raisonnables, avec les bons outils et dans l'intérêt tant des mineurs que de la société tout entière.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte issu de la commission mixte paritaire est un texte de responsabilité. Il repose sur une conviction partagée : notre jeunesse mérite une justice exigeante, lisible et crédible.
Le Gouvernement salue l'engagement du Sénat dans l'élaboration de ce texte et vous remercie, madame la rapporteure, de toute la part que vous y avez prise.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous vous invitons à adopter ces conclusions avec détermination pour restaurer pleinement l'autorité de la justice des mineurs, dans l'intérêt de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Michel Masset et Jean-Gérard Paumier applaudissent également.)
M. le président. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
proposition de loi visant à renforcer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents
Article 1er
Le code pénal est ainsi modifié :
1° L'article 227-17 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque cette soustraction a directement conduit à la commission, par le mineur, d'au moins un crime ou de plusieurs délits ayant donné lieu à une condamnation définitive, elle est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. » ;
b bis) Le second alinéa est ainsi modifié :
– après le mot : « mineur », sont insérés les mots : « ou au détriment de ce dernier » ;
– les mots : « du délit prévu à l'article » sont remplacés par les mots : « des délits prévus aux articles 227-3, 227-4, 227-4-3, 227-5 à 227-7, 227-17-1 et » ;
c) (Supprimé)
2° (Supprimé)
3° Après le mot : « loi », la fin de l'article 711-1 est ainsi rédigée : « n° … du … visant à renforcer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »
Article 2
I. – L'article 375-1 du code civil est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les parents sont tenus de déférer aux convocations aux audiences et aux auditions du juge des enfants.
« Le juge des enfants peut condamner à l'amende civile prévue par le code de procédure civile ceux qui, sans motif légitime, n'y ont pas déféré.
« Les conditions d'application du présent article sont précisées par décret en Conseil d'État. »
I bis. – L'article L. 311-5 du code de la justice pénale des mineurs est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, le montant : « 3 750 euros » est remplacé par le montant : « 7 500 euros » ;
2° Au dernier alinéa, le mot : « premier » est remplacé par le mot : « deuxième ».
II. – Le présent article entre en vigueur à une date fixée par le décret prévu à l'article 375-1 du code civil, et au plus tard le premier jour du sixième mois suivant la promulgation de la présente loi.
Article 3
I. – L'article 1242 du code civil est ainsi modifié :
1° Le quatrième alinéa est ainsi modifié :
a) Au début, les mots : « Le père et la mère » sont remplacés par les mots : « Les parents » ;
b) Après le mot : « sont », sont insérés les mots : « , de plein droit, » ;
c) À la fin, les mots : « habitant avec eux » sont remplacés par les mots : « , sauf lorsque ceux-ci ont été confiés à un tiers par une décision administrative ou judiciaire » ;
2° À l'avant-dernier alinéa, les mots : « père et mère » sont remplacés par le mot : « parents ».
II. – Le chapitre Ier du titre II du livre Ier du code des assurances est ainsi modifié :
1° L'article L. 121-2 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Toutefois, lorsque l'assureur a indemnisé un dommage sur le fondement du quatrième alinéa du même article 1242 et que l'un des parents du mineur ayant causé ce dommage a été définitivement condamné sur le fondement de l'article 227-17 du code pénal pour des faits en lien avec la commission du dommage, l'assureur peut exiger de ce parent le versement d'une participation à l'indemnisation du dommage ne pouvant excéder 7 500 euros.
« Toute clause des contrats d'assurance excluant systématiquement l'application du deuxième alinéa du présent article est réputée non écrite. » ;
2° Au début du premier alinéa de l'article L. 121-12, sont ajoutés les mots : « Sans préjudice du deuxième alinéa de l'article L. 121-2, ».
Article 4
Le code de la justice pénale des mineurs est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
1° bis A Après l'article L. 423-5, il est inséré un article L. 423-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 423-5-1. – En cas de saisine du tribunal pour enfants par procès-verbal lors d'un défèrement, le mineur âgé d'au moins seize ans peut faire l'objet d'une procédure d'audience unique en comparution immédiate dans les conditions prévues au présent article, dès lors qu'il :
« 1° A déjà fait l'objet d'une mesure éducative, d'une mesure judiciaire d'investigation éducative, d'une mesure de sûreté, d'une déclaration de culpabilité ou d'une peine prononcée dans le cadre d'une autre procédure et ayant donné lieu à un rapport datant de moins d'un an. Ce rapport est versé au dossier de la procédure par le procureur de la République ; s'il n'a pas déjà été déposé, ce magistrat peut le requérir à l'occasion du défèrement ;
« 2° Encourt une peine supérieure ou égale à trois ans d'emprisonnement.
« Lorsque les conditions prévues aux 1° et 2° sont réunies, le procureur de la République peut demander au mineur, en présence de son avocat et assisté, le cas échéant, par ses représentants légaux dûment convoqués, s'il consent à renoncer au délai de dix jours prévu à l'article L. 423-7 avant la comparution. Si le mineur y consent, il est convoqué, aux fins de jugement en audience unique selon la procédure prévue aux articles L. 521-26 et L. 521-27, le jour même ou, à défaut, à la première audience utile du tribunal pour enfants qui doit être fixée dans un délai de cinq jours ouvrables.
« À peine de nullité, les formalités mentionnées au quatrième alinéa du présent article font l'objet d'un procès-verbal dont copie est remise au mineur et qui saisit le tribunal pour enfants.
« Si l'audience unique ne peut pas se tenir le jour même, et aussitôt après avoir procédé aux formalités précitées, le procureur de la République fait comparaître le mineur devant le juge des enfants ou le juge des libertés et de la détention, dans les conditions prévues à l'article L. 423-9, afin qu'il soit statué sur ses réquisitions tendant soit au placement sous contrôle judiciaire, soit au placement sous assignation à résidence avec surveillance électronique, soit au placement en détention provisoire du mineur jusqu'à l'audience.
« Les représentants légaux du mineur sont avisés par tout moyen de la décision du juge des enfants ou du juge des libertés et de la détention. » ;
1° bis et 1° ter (Supprimés)
2° La section 3 du chapitre Ier du titre II du livre V est complétée par un article L. 521-28 ainsi rédigé :
« Art. L. 521-28. – Lorsque le tribunal pour enfants est saisi aux fins de jugement selon la procédure de comparution rapide mentionnée à l'article L. 423-5-1 et que le mineur ne consent pas à être jugé sur-le-champ ou lorsque le tribunal constate que l'affaire n'est pas en état d'être jugée, le tribunal pour enfants, après avoir recueilli les observations du mineur et de son avocat ainsi que de ses représentants légaux, renvoie à une audience qui doit avoir lieu dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours, ni supérieur à un mois.
« Dans ce cas, le tribunal peut soumettre le mineur, jusqu'à la tenue de l'audience, à l'une des mesures de sûreté prévues au titre III du livre III du présent code. »
Article 4 bis A
Au 1° de l'article L. 423-4 du code de la justice pénale des mineurs, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « trois » et le mot : « trois » est remplacé par le mot : « un ».
Article 4 bis
Le code de la justice pénale des mineurs est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa de l'article L. 112-15 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, le placement peut se poursuivre après la majorité de l'intéressé sans son accord, sur décision spécialement motivée du juge, lorsqu'il a été prononcé à l'égard d'un mineur pour la poursuite ou l'instruction des infractions à caractère terroriste mentionnées au 1° de l'article 421-1 et aux articles 421-2-1, 421-5 et 421-6 du code pénal ou lorsque la peine d'emprisonnement ou de réclusion criminelle encourue est supérieure ou égale à dix ans et concerne une infraction commise en bande organisée. » ;
2° Au 3° de l'article L. 331-1, après le mot : « pour », sont insérés les mots : « un acte de terrorisme mentionné aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, » ;
3° L'avant-dernier alinéa de l'article L. 331-2 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cette durée est portée à deux ans pour la poursuite ou l'instruction des actes de terrorisme mentionnés aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal ou lorsque la peine d'emprisonnement ou de réclusion criminelle encourue est supérieure ou égale à dix ans et concerne une infraction commise en bande organisée. » ;
4° Après l'article L. 333-1, il est inséré un article L. 333-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 333-1-1. – Le mineur âgé d'au moins treize ans peut être assigné à résidence avec surveillance électronique par le juge des enfants, le tribunal pour enfants, le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles 137 et 142-5 à 142-13 du code de procédure pénale, lorsqu'il encourt une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans pour des infractions à caractère terroriste ou à dix ans pour une infraction commise en bande organisée. Ces juridictions statuent après avis du service de la protection judiciaire de la jeunesse ou du service pénitentiaire d'insertion et de probation si l'intéressé est majeur au moment de la décision.
« Il peut en outre être astreint aux obligations prévues aux 1° à 14° de l'article L. 331-2 du présent code.
« Les dispositions relatives au placement sous surveillance électronique mobile ne sont pas applicables. » ;
5° et 6° (Supprimés)
7° L'article L. 433-6 est ainsi modifié :
a) Au début, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« La durée totale de détention provisoire mentionnée au 1° de l'article L. 433-2 est portée à un an pour l'instruction des délits à caractère terroriste mentionnés aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l'exception du délit mentionné à l'article 421-2-1 du même code, ainsi que pour l'instruction des délits commis en bande organisée pour lesquels la peine d'emprisonnement ou de réclusion criminelle encourue est supérieure ou égale à dix ans d'emprisonnement. » ;
b) Après le mot : « instruction », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « des délits mentionnés aux articles 421-2-1 et 421-2-6 du code pénal ainsi que des délits commis en bande organisée pour lesquels la peine encourue est égale à dix ans d'emprisonnement. » ;
c) Le second alinéa est complété par les mots : « et pour l'instruction des crimes commis en bande organisée ».
Article 4 ter
(Supprimé)
Article 5
L'article L. 121-7 du code de la justice pénale des mineurs est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « à titre exceptionnel et » sont supprimés ;
b) (Supprimé)
2° Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les règles d'atténuation des peines mentionnées aux mêmes articles L. 121-5 et L. 121-6 ne s'appliquent pas aux mineurs âgés de plus de seize ans lorsqu'un crime ou un délit puni d'une peine d'au moins cinq ans d'emprisonnement a été commis en état de récidive légale. Toutefois, le tribunal pour enfants et la cour d'assises des mineurs peuvent en décider autrement, par une décision spécialement motivée. » ;
3° (Supprimé)
Article 6
I. – Le code de la justice pénale des mineurs est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° L'article L. 322-3 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il contient, le cas échéant, les coordonnées de l'assureur garantissant la responsabilité civile des représentants légaux du mineur. » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le recueil de renseignements socio-éducatifs peut être remplacé par une note de situation actualisée lorsque le mineur est suivi par les services de la protection judiciaire de la jeunesse dans le cadre d'une mesure éducative judiciaire, d'une mesure éducative judiciaire provisoire, d'une mesure de sûreté ou d'une peine. »
II. – Le I entre en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le premier jour du sixième mois suivant la publication de la présente loi.
Article 7
Le code de la justice pénale des mineurs est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° À la seconde phrase du 2° de l'article L. 423-9, après le mot : « cas, », sont insérés les mots : « le rapport mentionné au a du 2° de l'article L. 423-4 est obligatoire avant toute réquisition ou décision de placement en détention provisoire et ».
Articles 9 et 10
(Supprimés)
Article 10 bis
I. – Après le deuxième alinéa de l'article L. 323-1 du code de la justice pénale des mineurs, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Elle peut également comporter l'obligation de se présenter périodiquement pour une durée maximale de six mois aux services, associations habilitées ou autorités désignés par le juge des enfants, le tribunal pour enfants, le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention qui sont tenus d'observer la plus stricte discrétion sur les faits reprochés au mineur. »
II (nouveau). – Au premier alinéa de l'article L. 223-3 du code de l'action sociale et des familles, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « dernier ».
Article 10 ter
L'article L. 323-2 du code de la justice pénale des mineurs est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« En cas de constatation d'une violation des interdictions prévues aux 5° à 7° de l'article L. 112-2, le service d'enquête doit en aviser le juge des enfants mandant ou, à défaut, le magistrat du parquet territorialement compétent. Les représentants légaux du mineur sont informés de la violation constatée. Les enquêteurs dressent ensuite un procès-verbal, qui est transmis sans délai au juge des enfants.
« Le juge des enfants peut convoquer le mineur et ses représentants légaux pour procéder à un rappel des modalités et du contenu de la mesure éducative judiciaire provisoire à laquelle il est soumis. L'accomplissement de ces formalités est constaté par procès-verbal, dont copie est remise au mineur et à ses représentants légaux après émargement.
« L'avant-dernier alinéa du présent article est également applicable lorsque le juge est informé, par le service de la protection judiciaire de la jeunesse auquel l'exécution et la coordination de cette mesure sont confiées, de tout événement de nature à justifier la modification de la mesure. »
Article 10 quater
Le chapitre III du titre II du livre III du code de la justice pénale des mineurs est complété par un article L. 323-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 323-4. – Lorsqu'il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que le mineur faisant l'objet d'une mesure éducative provisoire a violé une des interdictions auxquelles il est soumis au titre des 5° à 7° de l'article L. 112-2 ou qu'il ne respecte pas les conditions d'un placement prononcé au titre de l'article L. 112-14 et que les conditions prévues à l'article L. 331-1 sont remplies, il peut être placé en rétention dans les conditions prévues à l'article 141-4 du code de procédure pénale.
« Le mineur retenu bénéficie des droits prévus à l'article L. 332-1 du présent code.
« Il ne peut être retenu plus de douze heures.
« À l'issue de la mesure, le juge des enfants peut ordonner que le mineur soit conduit devant lui soit pour lui rappeler le contenu et les modalités de la mesure, soit afin de statuer sur le prononcé d'une mesure de sûreté dans les conditions prévues aux articles L. 331-1 à L. 331-7 et L. 333-1.
« Le juge des enfants peut également demander à un officier ou un agent de police judiciaire d'aviser le mineur qu'il est convoqué devant lui à une date ultérieure. »
Article 10 quinquies
I. – L'article L. 422-1 du code de la justice pénale des mineurs est complété par un 3° ainsi rédigé :
« 3° Demander au mineur de ne pas aller et venir sur la voie publique sans être accompagné de l'un de ses représentants légaux, aux conditions et pour les motifs déterminés par le procureur de la République, pour une durée qui ne peut excéder six mois, sauf pour l'exercice d'une activité professionnelle, pour le suivi d'un enseignement ou d'une formation professionnelle, ou en raison d'un motif impérieux d'ordre médical ou administratif. »
II. – Le 11° de l'article 230-19 du code de procédure pénale est complété par les mots : « ainsi que l'interdiction prononcée en application du 3° de l'article L. 422-1 du code de la justice pénale des mineurs ».
Article 10 sexies
Le 7° de l'article L. 112-2 du code de la justice pénale des mineurs est ainsi rédigé :
« 7° Une interdiction d'aller et venir sur la voie publique sans être accompagné de l'un de ses représentants légaux aux horaires fixés par la juridiction pour une durée qui ne peut excéder six mois, sauf pour l'exercice d'une activité professionnelle, pour le suivi d'un enseignement ou d'une formation professionnelle, ou en raison d'un motif impérieux d'ordre médical ou administratif ; »
Article 10 septies
I. – Par dérogation à l'article L. 231-4 du code de la justice pénale des mineurs, à titre expérimental et pour une durée de dix-huit mois à compter de la publication du décret mentionné au II du présent article, dans deux tribunaux judiciaires désignés par arrêté du ministre de la justice, le nombre des assesseurs composant le tribunal pour enfants est porté à quatre lorsque le tribunal pour enfants connaît des crimes commis par les mineurs de moins de seize ans.
Les articles L. 251-5 et L. 251-6 du code de l'organisation judiciaire sont applicables.
Au plus tard six mois avant le terme de l'expérimentation, le Gouvernement adresse au Parlement un rapport procédant à l'évaluation de celle-ci.
II. – Un décret précise les modalités d'application du I du présent article.
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M. le président. Nous allons maintenant examiner l'amendement déposé par le Gouvernement.
Article 4 bis
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 12
L'alinéa 12 est ainsi modifié :
1° le mot « 1° » est remplacé par le mot « 2° » ;
2° après la première occurrence du mot « délits », la fin de l'alinéa est ainsi rédigée : « mentionnés aux articles 421-2-1 et 421-2-6 du code pénal ainsi que des délits commis en bande organisée pour lesquels la peine encourue est égale à dix ans d'emprisonnement. ».
La parole est à M. le ministre délégué.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. La commission n'ayant pas eu l'occasion de se réunir, c'est à titre personnel que j'émettrai un avis favorable, comme j'ai coutume de le faire pour tous les amendements de coordination.
M. le président. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par un amendement du Gouvernement, l'ensemble de la proposition de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à M. Ian Brossat, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, nous n'en faisions pas mystère lors de l'examen du texte voilà quelques semaines : cette proposition de loi n'est rien d'autre qu'un texte d'affichage.
Ses auteurs prétendaient « restaurer l'autorité », mais elle ne répond à aucun des enjeux concrets auxquels est confrontée la justice des mineurs. Elle affiche une fermeté de façade, sans apporter le moindre moyen pour agir efficacement en ce domaine. Surtout, elle a été élaborée sans la moindre concertation avec celles et ceux qui, sur le terrain, font vivre cette justice au quotidien.
Ainsi, ce texte va à rebours de ce que préconisent les professionnels éducateurs, les magistrats et les travailleurs sociaux, qui connaissent mieux que quiconque les réalités de la jeunesse en difficulté.
Or que disent-ils unanimement ? Que la délinquance des mineurs ne peut être traitée exclusivement au travers du prisme de la sanction. Que les parcours de ces jeunes sont presque toujours marqués par les violences subies, la précarité, la rupture familiale, l'échec scolaire, les troubles psychiques.
Ce que ces professionnels constatent chaque jour, c'est que la réponse éducative est la seule voie qui permette de prévenir durablement la récidive, d'interrompre les trajectoires d'exclusion, de retisser un lien avec la société. Seulement, pour cela, il faut des équipes formées, des délais adaptés et des moyens à la hauteur des besoins.
En choisissant de ne pas les écouter, les soutiens de ce texte ont enfermé celui-ci dans une logique d'affichage, en créant l'illusion d'une réponse qui serait efficace, parce qu'elle est sévère.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous faites le choix d'affaiblir les trois piliers qui fondent depuis 1945 notre justice des enfants. Ces principes ne sont pas des vestiges d'un autre temps : ils sont consacrés constitutionnellement et garantis par la Convention internationale des droits de l'enfant. Pourtant, ils sont méthodiquement contournés.
Prenons tout d'abord l'article 5. Celui-ci fait des dérogations aux atténuations de peine la norme. Il est question non plus de dérogations, mais d'un renversement de principe : le jeune devient majeur aux yeux du juge lorsqu'il s'agit de le punir. Faut-il rappeler que l'on interdit à ces mêmes jeunes de voter ? Ainsi, on leur refuse des droits au nom de leur immaturité, mais on leur inflige des peines de majeurs au nom de leur dangerosité. Où est la cohérence ?
Le même constat s'impose face à la comparution immédiate des mineurs. Juger un adolescent dans l'urgence, parfois le jour même, est une aberration. Cette procédure ne permet ni de comprendre les causes profondes du passage à l'acte ni d'établir une réponse adaptée. Pis, aucune garantie spécifique n'a été ajoutée pour encadrer cette procédure : pas d'accompagnement renforcé, pas de délai de réflexion obligatoire, pas de protection supplémentaire.
Je veux également souligner l'injustice profonde de certaines dispositions concernant les parents. Comment prouver que l'acte du mineur découle d'une défaillance éducative parentale, et non d'autres facteurs tels que l'influence extérieure d'un tiers ou le contexte social ? Le texte suppose ici une relation mécanique entre la faute éducative et la délinquance.
À cela s'ajoute la prérogative laissée aux assureurs de se retourner contre les parents jusqu'à 7 500 euros en cas de dommages, même lorsque l'enfant ne vit plus sous leur toit. Est-ce ainsi que nous voulons soutenir les familles ? En leur adressant une facture ?
Les parents en difficulté sont loin d'être tous démissionnaires. Ils sont, pour beaucoup, bien souvent au bord de l'épuisement. Ils cumulent des emplois précaires, travaillent en horaires décalés et élèvent seuls leurs enfants. Ce ne sont pas des parents absents : ce sont des parents invisibles, oubliés par les politiques publiques.
En effet, pendant ce temps, l'État abandonne ses responsabilités. Faut-il rappeler que le budget de la jeunesse et de la vie associative a été réduit de plus de 50 millions d'euros ? Que la protection judiciaire de la jeunesse est en sous-effectif chronique ?
Or, plutôt que de renforcer les moyens, vous préférez sanctionner. Plutôt que d'accompagner, vous préférez accuser. Tout cela repose sur une croyance aussi répandue que fausse selon laquelle la sévérité des peines suffirait à les rendre efficaces. Or c'est non pas la lourdeur d'une peine qui remet un jeune sur le bon chemin, mais l'accompagnement pour prévenir la récidive.
Mes chers collègues, ce texte est un contresens. Au lieu de restaurer l'autorité, il va détruire les fondements de l'autorité légitime : la cohérence, la justice et la protection. Parce que la justice, pour être forte, doit d'abord être juste, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Mme Monique de Marco. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade des discussions, le seul point de consensus sur lequel nous pouvons nous rejoindre est le suivant : la situation de la jeunesse de ce pays est très préoccupante.
Comme le rapporte Santé publique France, entre 2017 et 2022, la santé mentale des quelque 15 millions de mineurs dans notre pays s'est fortement dégradée.
Ainsi, 8 % des enfants scolarisés en maternelle – vous avez bien entendu, mes chers collègues, 8 % ! – connaissent aujourd'hui un problème de santé mentale. Cette proportion augmente avec l'âge. En 2022, parmi les jeunes de 17 ans, quelque 9,5 % ressentaient des symptômes anxiodépressifs sévères, contre 4,5 % en 2017. Et 18 % ont eu des pensées suicidaires, contre 11 % en 2017. Voilà les chiffres bruts de l'état de la jeunesse dans ce pays.
L'enfance n'est, hélas, pas préservée de la violence de la vie en société. Sur 15 millions de jeunes, beaucoup y sont exposés, non seulement dans la cellule familiale, mais aussi à l'école, au club de sport, dans la rue. Je ne reviendrai pas ici sur la vague de libération de la parole des anciens élèves d'écoles privées sous contrat à laquelle nous faisons aujourd'hui face. Les jeunes sont également victimes des réseaux : narcotrafic, prostitution, traite des êtres humains.
Les jeunes savent aussi se rendre responsables de violences, mais, selon les chiffres du ministère de l'intérieur, depuis 2016, le nombre de mineurs poursuivis par la justice a baissé de 25 %.
En revanche, à rebours de cette tendance générale, le nombre de faits graves est, lui, en nette augmentation. Entre 2017 et 2023, le nombre de mineurs poursuivis pour assassinat, meurtre, coups mortels ou violence aggravée est passé de 1 207 à 2 095. C'est un réel sujet de préoccupation.
Au moment où je vous parle, il est pourtant difficile de savoir si ce texte vise à lutter contre la délinquance des jeunes au sens large ou s'il s'agit de combattre sérieusement le contexte endémique de violence dans lequel certains enfants grandissent et qu'ils vont ensuite reproduire.
Si la délinquance juvénile tend à diminuer, dès lors, elle ne peut être un sujet prioritaire au regard des problématiques plus grandes que je viens de décrire. Et s'il s'agit ici de combattre la montée de la violence chez les jeunes, alors ces propositions sont inadaptées.
Tout au long de nos travaux, notre collègue Guy Benarroche n'a eu de cesse de pointer les paradoxes et les limites d'un texte écrit par un ancien premier ministre en perte d'autorité. Et je regrette de voir la majorité sénatoriale s'engouffrer dans la brèche.
Les auditions et les débats en commission ont montré les incohérences des dispositifs, faute d'étude d'impact et d'avis du Conseil d'État. L'article 4 sur la comparution immédiate et l'article 5 sur l'excuse de minorité en sont les exemples les plus frappants.
Madame la présidente de la commission, vous qui êtes également rapporteur pour le Sénat de la CMP, vous reconnaissez vous-même les grandes imprécisions du texte que nous nous apprêtons de voter. Aussi, pourquoi nous entraîner dans cette voie ?
Pour notre part, nous défendons au contraire avec constance le renforcement des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et des psychologues scolaires, pour protéger les enfants de climats de violences et en prévenir la répétition. Notre tâche est immense pour leur permettre de développer leur résilience et garantir à l'avenir les conditions de la paix civile.
L'autorité ne se décrète pas. Elle ne s'impose pas par la loi. Elle se conquiert par la cohérence et la constance dans la communication des règles de vie en société. C'est une éthique qui doit résider en chaque adulte et qui ne peut être totalement déléguée à l'école ou à la justice.
Selon la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), toutes les trois minutes, un enfant est victime de viol, d'agression sexuelle ou d'inceste. Chaque jour, 340 000 jeunes placés à l'ASE et plus d'un million de jeunes en fragilité mentale attendent des réponses concrètes. Michel Barnier avait fait de la santé mentale la grande cause nationale de son gouvernement, et nous étions tous prêts à le suivre dans ce combat.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Très bien !
Mme Monique de Marco. Au lieu de cela, chers collègues de la majorité, vous persistez dans la posture et balayez arguments de fait et de droit au nom du pacte de gouvernement qui vous lie au Président de la République. Vous nous proposez un texte en grande partie inconstitutionnel, inapplicable et inefficace, qui alimente le fantasme d'une délinquance juvénile en explosion, alors que les chiffres prouvent qu'elle est en baisse.
Dans le même temps, vous échouez à répondre à la problématique de l'augmentation de la violence, qui, bien qu'elle soit préoccupante, concerne, je le rappelle, environ 2 000 affaires par an. Avant de se rendre auteurs de violences, les jeunes en sont d'abord les victimes.
Notre groupe votera résolument contre ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de ce texte dans les deux assemblées a été particulièrement chaotique. Les nombreuses modifications, les hésitations et les réécritures successives révèlent une chose simple : ce texte ne repose sur aucun besoin juridique et il n'est pas abouti. Il s'agit ici non pas de légiférer de manière cohérente, sage et utile, mais plutôt de réaliser un coup médiatique.
Tous les professionnels de l'enfance et du monde judiciaire – magistrats, avocats, éducateurs, associations – s'opposent à ce texte. Ils nous ont tous alertés, à plusieurs reprises. Nous ne pouvons les ignorer, alors qu'ils sont les plus lucides sur le sujet. Pour eux, cette proposition de loi est populiste, simpliste, inutile et dangereuse.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C'est le signe que l'on va dans le bon sens, alors ! (Sourires sur les travées des groupes RDPI, INDEP et Les Républicains.)
Mme Corinne Narassiguin. Ce texte marque une rupture profonde avec les principes fondamentaux de notre justice des mineurs et l'ordonnance de 1945. Il va à l'encontre des engagements internationaux de la France, notamment ceux de la Convention internationale des droits de l'enfant.
Certaines dispositions sont même inconstitutionnelles, car contraires au principe de proportionnalité et aux principes qui fondent la justice des mineurs. Je rappelle ici les trois piliers essentiels de cette justice : la primauté de l'éducatif sur le répressif, l'atténuation de la responsabilité liée à l'âge, et l'individualisation des réponses apportées aux jeunes. Ce texte va à l'encontre de ces fondements, qui honorent pourtant notre État de droit.
Avec ce texte, vous nous proposez de traiter des enfants comme des adultes et de faire primer le répressif sur l'éducatif. Tout cela est contraire à l'essence même de la justice des mineurs.
Au-delà des principes, il faut aussi interroger l'efficacité des mesures proposées. Rien, absolument rien, ne prouve qu'elles fonctionneront. Aucune étude d'impact n'a été menée. Alors que les dernières réformes du code de justice pénale des mineurs sont encore récentes, vous voulez déjà en modifier l'équilibre, sans recul ni évaluation.
Enfin, et c'est peut-être le plus important, on ne peut pas parler de politique pour la jeunesse sans poser la question des moyens. Où sont les structures adaptées ? Où sont les éducateurs, les centres de jour, les alternatives à l'incarcération ? La prison, nous le savons, n'est pas la panacée. L'accompagnement et la réinsertion, en revanche, ont fait preuve de leur efficacité.
Ce texte, en l'état, n'apporte ainsi aucune réponse durable. Pis, il constitue un danger pour notre système judiciaire et pénal. Au sein du groupe socialiste, nous ne comprenons pas quelle est la plus-value de cette proposition de loi. Son seul résultat évident est de fragiliser une nouvelle fois notre État de droit.
Nous en concluons qu'il s'agit d'un gadget de M. Attal pour compléter sa panoplie de gendarme, après son « tu casses, tu répares ; tu salis, tu nettoies ; tu défies l'autorité, on t'apprend à la respecter ». Nous, nous lui répondons : vous cassez la justice des mineurs ; vous salissez les principes républicains ; vous défiez la Constitution.
Avoir une vision politique, ce n'est pas déclamer des slogans. Le droit, ce n'est pas un coup de com'. La justice des mineurs, ce n'est pas un instrument de triangulation. La vie des enfants, ce n'est pas un jeu.
Nous voterons contre ce texte dangereux et nous saisirons le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des lois et rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire, mes chers collègues, fait divers après fait divers se dessine sous nos yeux une véritable tendance sociétale en ce qui concerne la délinquance juvénile. Les auteurs d'infractions sont de plus en plus jeunes et l'intensité de la violence ne cesse d'augmenter.
Les jeunes sont aussi très souvent victimes de ces violences insupportables. Combien d'entre eux ont payé de leur vie les agressions qu'ils ont subies ? La mort est parfois donnée pour un motif futile, une relation amoureuse qui n'est pas acceptée par la famille – je pense très souvent au jeune Shemseddine de Viry-Châtillon –, ou un regard qui ne s'est pas détourné.
En outre, il y a les conflits entre quartiers, qui débouchent sur des guerres de cités. Mon département, l'Essonne, détient le triste record du nombre de rixes entre bandes rivales, conséquences des fortes rivalités interquartiers. Sekou, à Brunoy, a récemment été poignardé aux abords de son lycée : un meurtre insupportable !
L'État se doit de réagir fermement pour mettre un terme au cycle de la violence. La proposition de loi sur le narcotrafic a constitué une étape importante. La très forte augmentation de consommation de drogues dans notre pays entraîne le développement de réseaux criminels. Avec un million d'usagers de la cocaïne, aucun de nos territoires n'est épargné. Ce sont souvent les jeunes qui font office de mules. Nous savons bien, par ailleurs, que le trafic de drogue alimente de nombreuses autres formes de criminalité.
Avec l'adoption du texte sur le narcotrafic, nous avons envoyé un message de fermeté. Aujourd'hui, nous avons l'occasion de renforcer encore la sécurité de nos concitoyens et de préparer l'avenir de notre jeunesse.
De la même manière que pour les adultes, la lutte contre la récidive constitue un enjeu majeur de la politique pénale des mineurs.
Dans le contexte que nous connaissons, rétablir la sanction, c'est protéger la société, mais aussi permettre aux délinquants de prendre conscience de la gravité de leurs actes et leur donner la chance de changer de trajectoire. Nous en avons débattu la semaine dernière au sujet des rodéos urbains, qui se multiplient.
La commission mixte paritaire est parvenue à un accord, ce dont nous nous réjouissons. Ce texte comporte des avancées majeures que nous soutenons avec détermination. Beaucoup sont issues de nos travaux.
Ainsi, les règles d'atténuation de peine ne s'appliqueront plus aux mineurs de moins de 16 ans commettant des crimes ou des délits graves en état de récidive légale. La réitération et la gravité des faits justifient cette sévérité.
Pour éviter d'en arriver à de telles extrémités, il est essentiel de replacer l'autorité parentale au cœur du dispositif. La responsabilité des familles est d'être le premier rempart contre la délinquance de nos jeunes.
Nous soutenons donc l'ajout de la circonstance aggravante au délit qui sanctionne un parent qui manque à ses obligations envers son enfant lui-même délinquant. Un retour de l'autorité nécessite que chacun prenne sa part et assume son rôle.
Dans le même sens, notre groupe a soutenu les dispositions du texte visant à mieux indemniser les victimes et à appeler les parents à leurs responsabilités. En effet, lorsque les mineurs ne sont pas placés, c'est aux parents qu'il revient d'assumer les conséquences financières des dommages qu'ils causent. Leur assureur s'en chargera probablement dans la plupart des cas, mais nous sommes aussi favorables à ce que les assureurs puissent demander un remboursement aux parents qui seraient condamnés.
Les mesures éducatives constituent le second rempart contre la délinquance des jeunes. Si nous ne voulons pas laisser prospérer un sentiment d'impunité, leur non-respect doit être sanctionné. C'est ce que prévoit désormais le texte.
La priorité donnée aux mesures éducatives, tout comme l'excuse de minorité, ne doit pas faire disparaître toute coercition. Nous l'avons dit, les délinquants, de plus en plus jeunes, commettent des actes de plus en plus graves. Il est nécessaire d'agir rapidement.
Nous nous félicitons donc de la nouvelle procédure de comparution immédiate, ouverte aux mineurs d'au moins 16 ans. Rapprocher le temps de la sanction de celui de la commission des faits, c'est accroître le caractère pédagogique du jugement.
Parce que ce texte équilibré permettra de mieux réprimer la délinquance des mineurs, le groupe Les Indépendants votera en faveur de son adoption.
Je conclurai en m'adressant à mes collègues siégeant à la gauche de cet hémicycle. Ce texte ne nous dispense pas de consolider notre protection judiciaire de la jeunesse. J'étais ce matin au lancement du Challenge Michelet, lequel réunit cette année, en Essonne, 300 jeunes qui vont se confronter lors d'épreuves sportives. C'est aussi une façon pour eux d'apprendre à respecter les lois de notre République.
Dans notre politique pénale visant les mineurs, nous devons marcher sur nos deux jambes. Nous en sommes parfaitement conscients, mais cette proposition de loi était essentielle pour avancer vers un peu plus de respect. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Jean-Baptiste Lemoyne, Michel Masset et Jean-Gérard Paumier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des lois, mes chers collègues, on tue désormais à 14 ans ; on frappe un professeur à 13 ans ; on caillasse la police à 12 ans ; à 11 ans, on appartient déjà à un gang ; à 10 ans, on guette pour les dealers ; et à 9 ans, on insulte un policier.
Voilà la France de 2025. Une France qui a changé de visage. Une France qui n'est plus celle des Trente Glorieuses ou de l'école de la République, avec toute sa rigueur. Nous avons désormais devant nous un pays fracturé, ensauvagé et paralysé.
Il faut nommer ce que nous vivons aujourd'hui. Une grande partie de la délinquance, y compris les violences, est le fait de mineurs, qui, pour l'heure, ont un sentiment d'impunité. Pourquoi ? Notre politique pénale, cet ensemble de lois qui régissent et encadrent la justice des mineurs, n'est plus du tout adaptée. En réalité, nous enfermons les mineurs dans un long parcours de délinquance.
Pis, nous assistons progressivement à une forme de « mexicanisation » de nos territoires, à l'effacement progressif de l'autorité, à l'émergence d'une contre-société où la violence est la norme, où l'impunité est la règle et où l'âge des auteurs fait office non plus d'excuse, mais de stratégie.
Face à cela, le laxisme n'est plus une erreur : c'est une faute. Il ne suffit plus d'expliquer, d'excuser, de contextualiser. Il faut agir ! Le texte issu de la CMP est un acte politique qui marque un tournant. En tout cas, c'est une première réponse apportée à ce contexte d'hyperviolence juvénile. Aussi, nous le soutenons pleinement, avec clarté, avec force, avec exigence, car la République doit reprendre le terrain perdu.
Prenons l'exemple de la comparution immédiate pour les mineurs dès 16 ans, dans les cas les plus graves : voilà un marqueur de rupture. Finis les mois d'attente entre la reconnaissance de culpabilité et la sanction. La justice retrouve sa rapidité, sa lisibilité et son efficacité. En effet, les mineurs n'ont pas la même notion du temps que les adultes, et la réponse ne sert à rien si elle intervient au-delà d'un certain délai.
Il en va de même pour l'excuse de minorité pour un crime ou un délit grave commis en état de récidive : elle était auparavant la règle ; elle deviendra demain l'exception.
Enfin, le texte consacre la responsabilisation des parents : ceux qui parfois ferment les yeux, ceux qui laissent leurs enfants s'abîmer dans la violence seront comptables devant la loi. La solidarité financière devient la règle. La démission éducative ne sera plus gratuite.
Contrairement à ce que j'ai pu entendre, ce texte ne renie pas la justice des mineurs. Il en restaure l'autorité. Il en protège le sens. Il en sauve la crédibilité.
C'est vrai, comme l'a dit Mme la présidente de la commission des lois, nous aurions pu aller plus loin, notamment sur les courtes peines qui avaient été introduites par la Haute Assemblée. Sans doute faudra-t-il un jour remettre ce sujet, ainsi que d'autres, en débat. Néanmoins, cette proposition de loi ouvre enfin une brèche dans la doctrine du laxisme.
C'est pourquoi le groupe Les Républicains votera avec force ce texte issu de la commission mixte paritaire, tout simplement parce que nous refusons de regarder notre jeunesse se déliter en silence, parce que nous croyons que l'ordre républicain peut encore être restauré, parce que nous savons que sans autorité, il n'y a ni liberté, ni justice, ni avenir pour notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Salama Ramia, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Salama Ramia. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des lois, mes chers collègues, ce texte s'inscrit dans la continuité des actions menées par la majorité présidentielle sur l'autorité et le rétablissement de l'ordre.
Après un examen mouvementé en commission des lois et le rétablissement de l'esprit initial de ce texte en séance dans notre chambre, je suis ravie que la commission mixte paritaire soit parvenue à trouver un accord sur les articles restant en discussion.
Pour rappel, cette proposition de loi cible les mineurs récidivistes commettant des faits graves. Elle tend à concrétiser ce choc d'autorité réclamé dès avril 2024 par Gabriel Attal, alors Premier ministre.
L'objectif est pluriel : premièrement, enrayer la violence ; deuxièmement, aider et responsabiliser les parents ; troisièmement, mettre un terme à ce système d'impunité qui gangrène toutes les formes d'autorité. Cet ensemble vient compléter la réforme du code de justice pénale des mineurs, amorcée en 2021.
Avec mon groupe, je tiens à saluer le travail réalisé par la commission mixte paritaire et la volonté de conserver la portée du texte souhaitée par son auteur. Il présente un bon équilibre et témoigne de l'intérêt de la navette parlementaire.
Ainsi, ce dialogue entre les deux chambres a permis la réintroduction, à l'article 1er, de la circonstance aggravante au délit de soustraction d'un parent à ses obligations légales.
La CMP a conservé les apports principaux des deux chambres sur les articles 1er à 3 et supprimé les dispositions sur lesquelles le Sénat avait émis des réserves juridiques.
Le dispositif assurantiel introduit par le Sénat à l'article 3, qui permet de faire participer, sous certaines conditions, les parents de mineurs délinquants à l'indemnisation financière du dommage, a donc été conservé.
L'article 4, pour rappel, vise à créer une nouvelle procédure de comparution immédiate pour les mineurs âgés d'au moins 16 ans, sous certaines conditions, dès lors que les faits ont été commis en état de récidive légale.
Un compromis a pu être trouvé afin de conserver la procédure d'audience unique en comparution immédiate, avec cette fois un champ d'application limité aux mineurs âgés d'au moins 16 ans, et non plus de 15 ans. Les représentants légaux du mineur conserveront un rôle au sein de cette procédure.
La dérogation de principe à l'excuse de minorité pour les mineurs délinquants récidivistes et les précisions utiles à son encadrement ont été conservées au sein de l'article 5.
Sans décision du magistrat, les règles d'atténuation de peine ne s'appliqueront plus aux mineurs de moins de 16 ans qui commettent des crimes ou des délits graves en état de récidive légale. Nous regrettons toutefois qu'aucun accord n'ait été trouvé sur les règles de majorité allégée devant la cour d'assises des mineurs.
D'autres mesures phares sont à relever, telles que la mise en place d'un couvre-feu pour les mineurs délinquants ou encore la rétention du mineur n'ayant pas respecté sa mesure éducative.
Ce texte répond à un besoin d'évolution de notre justice pénale des mineurs face à une réalité observable : un mineur de 2025 n'est pas un mineur de 1945.
Il permettra donc aux magistrats et à tout le personnel judiciaire de disposer de moyens utiles pour traiter la délinquance des mineurs de façon cohérente et adaptée. Par conséquent, nous voterons en faveur de ces conclusions, afin d'intégrer au plus vite ce texte au sein de notre arsenal juridique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des lois et rapporteur pour le Sénat de la CMP, mes chers collègues, la jeunesse est ce qu'une nation a de plus précieux. C'est en elle que nous plaçons nos espoirs de progrès pour les temps futurs. C'est elle qui doit recevoir, de la part des pouvoirs publics, une attention toute particulière.
Cette proposition de loi est née dans un contexte de forte tension sociale et d'inquiétude légitime face à des faits de violence impliquant des mineurs.
Il est indéniable que les formes de délinquance évoluent et que certains actes commis par des mineurs sont de plus en plus violents. En revanche, cette réalité ne saurait occulter un autre constat : la délinquance des mineurs est globalement en légère baisse.
Or les principes qui guident notre action républicaine nous obligent à ne pas considérer ces jeunes comme des criminels nés. Ce sont, avant tout, des enfants qui ont besoin de trouver de meilleures perspectives, hors de la délinquance.
Souvent, dans nos assemblées, c'est le choix de la répression qui prime. Si celui-ci ne doit pas être rejeté par principe, nous devons lire cette solution à l'aune des réalités sociales constatées, sans quoi nous tomberions dans un discours simpliste et, partant, inefficace.
Je souhaite dresser un parallèle avec les propos que j'ai tenus à cette tribune lors de l'examen de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic : la délinquance, celle des majeurs comme celle des mineurs, se nourrit des vulnérabilités sociales, économiques et familiales.
Ce combat implique tous les membres de la société et sollicite un large spectre de politiques publiques : la protection de l'enfance et l'éducation nationale, la lutte contre les violences intrafamiliales et contre la pauvreté, la politique de la ville, et d'autres encore. N'est-il pas urgent de renforcer ces actions, alors que, par exemple, le budget de la protection judiciaire de la jeunesse a été réduit de 25 millions d'euros en 2025 ?
Quand bien même la répression serait la seule réponse choisie, ne serait-il pas opportun de parfaire d'abord l'évaluation du code de la justice pénale des mineurs, entré en vigueur à l'automne 2021, ainsi que du profond remaniement qu'il a entraîné ? Cette réforme a permis une réduction de 40 % des délais de jugement entre 2019 et 2023. Il s'agit d'une avancée importante, qui produit des effets positifs.
Le texte adopté par la commission mixte paritaire est déceptif. D'importantes modifications avaient été apportées à la proposition de loi en commission des lois, sur la base du travail du rapporteur Francis Szpiner. Malheureusement, le texte nous renvoie aux affres d'une autre vision de la justice pénale.
L'instauration d'une procédure de comparution immédiate pour les mineurs de 16 ans et plus porte atteinte aux principes fondamentaux de la justice des mineurs. C'est une ligne à laquelle nous devons être extrêmement vigilants. Les professionnels du droit s'opposent d'ailleurs majoritairement à cette mesure, car elle vide de sa substance l'approche éducative de la justice des mineurs et éloigne le sens de la peine.
Notons également l'inversion de l'excuse de minorité pour les mineurs de 16 ans et plus. Le principe d'atténuation de la responsabilité pénale du fait de l'âge a pourtant valeur constitutionnelle.
Enfin, nous ne sommes pas totalement convaincus par les mesures qui accablent les parents. Comme le rappelait ma collègue Sophie Briante Guillemont, ces mesures risquent de compromettre « la force de la cellule familiale », qui permet justement à un mineur de sortir de la délinquance ou, surtout, de ne pas y entrer.
De nombreuses organisations nationales et internationales dénoncent cette réforme. Plusieurs barreaux ont déposé des motions de contestation, dans de nombreuses villes de France ; je me joins personnellement à la mobilisation des magistrats et des avocats en Lot-et-Garonne.
En conclusion, cette proposition de loi pourrait creuser un fossé, attiser une défiance et nourrir une colère. Plusieurs dispositions risquent en outre de ne pas passer l'épreuve du Conseil constitutionnel. À quoi bon légiférer sur un fondement aussi instable ? C'est un problème en soi. En effet, à force de mettre sous contrainte notre édifice de protection des droits, on fait croître le risque que celui-ci ne cède face à un gouvernement encore plus déterminé à le faire plier.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDSE votera majoritairement contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie et Mme Dominique Vérien applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (MM. Marc Laménie et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent.)
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà parvenus à la fin de l'examen de cette proposition de loi visant à restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants. À l'issue d'un parcours législatif ardu, marqué par de nombreux clivages politiques et juridiques, nous nous donnons un texte qui répond à la hausse de la violence que l'on observe chez nos jeunes.
Trois années ont passé depuis la réforme de la justice pénale des mineurs ; malgré un bilan plutôt positif du nouveau code, il semble utile d'adopter d'autres dispositions.
Tout le monde a bien entendu en tête les drames de ces derniers mois, où l'on relève à la fois des faits plus graves et des auteurs plus jeunes. Au-delà même de la question particulière du narcotrafic et des petites mains parfois utilisées pour commettre des assassinats, certains jeunes n'hésitent plus à utiliser un couteau pour un simple différend.
Comment ne pas penser à Élias, 14 ans, décédé à Paris après une agression à l'arme blanche commise par deux mineurs, connus de la justice, auxquels il avait refusé de donner son téléphone portable ?
Comment ne pas penser aussi à ce malheureux pompier entre la vie et la mort après avoir été percuté par un jeune de 19 ans, lui aussi connu des services de police, lors d'un rodéo urbain, à Évian-les-Bains, samedi dernier ?
Comment espérer un avenir durable pour notre société si même ceux qui œuvrent directement pour elle sont sujets à ces violences ?
Nous assistons à une véritable banalisation de l'ultraviolence chez nos jeunes. Quant à leurs parents, ce texte vise évidemment à les responsabiliser. Il nous semble en effet important de rappeler que, si les mineurs bénéficient de ce que l'on appelle « l'excuse de minorité » et si l'on considère qu'ils ne sont pas responsables, d'autres, eux, le sont : leurs parents.
Dès lors, quand ces parents n'accompagnent pas leurs enfants au tribunal, quand ils ne se présentent pas à la justice, ils envoient un message de désengagement vis-à-vis de leur enfant ; à l'évidence, une telle défiance ne peut qu'inspirer le mineur délinquant. Il nous a donc paru important de faire figurer ces deux volets dans le texte, de nous intéresser à la fois aux mineurs et aux parents.
Pour en revenir aux mesures concernant les mineurs, oui, indéniablement, on a fait le choix, dans ce texte, de plus de sévérité. Pour autant, n'oublions pas que la comparution immédiate comme la dérogation à l'atténuation des peines sont strictement encadrées. Elles concerneront des faits graves, commis par des mineurs récidivistes. La délinquance des mineurs a évolué ; notre droit doit aussi le faire !
N'oublions pas non plus que les réseaux mafieux connaissent parfaitement les limites de notre code pénal ; s'ils exploitent des mineurs, c'est parce qu'ils savent que, après une arrestation, ceux-ci sortiront rapidement.
En fin de compte, ce texte a le mérite d'envoyer un signal clair : celui que notre société ne renonce pas face à la montée d'une violence qui n'a plus rien d'ordinaire, que la justice ne peut rester muette ou impuissante face aux cas les plus graves, même lorsque les auteurs sont jeunes, et que la responsabilité parentale ne peut plus être éludée.
Nous avons le devoir de répondre aux inquiétudes légitimes des citoyens, sans céder à la démagogie, mais sans faiblesse non plus.
Le groupe Union Centriste votera donc ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
M. le président. Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par l'amendement du Gouvernement, l'ensemble de la proposition de loi visant à renforcer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 289 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l'adoption | 223 |
Contre | 112 |
Le Sénat a adopté définitivement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
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Programmation pour la refondation de Mayotte et département-région de mayotte
Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (projet n° 544, texte de la commission n° 613 rectifié, rapport n° 612) et du projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte (projet n° 545, texte de la commission n° 614, rapport n° 612).
La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.
Il a été décidé que ces deux textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Discussion générale commune
M. le président. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un peu plus de trois mois, je présentais, à cette même tribune, le projet de loi d'urgence pour Mayotte. Je terminais mon discours avec une promesse et une seule : ne pas laisser tomber Mayotte.
Trois mois ont passé. Bien des choses ont changé. Les caméras de télévision, pour la plupart, ont quitté l'archipel. D'autres crises, mais aussi tout simplement le quotidien, ont peut-être progressivement détourné de l'archipel le regard de l'opinion publique. Mais une exigence reste, à mes yeux, intangible : la mobilisation de l'État.
Cette mobilisation répond, je n'en doute pas, à votre attente. Sous l'autorité du Premier ministre, nous travaillons chaque jour avec le préfet et l'ensemble des services de l'État, avec la mission dédiée à Mayotte, rattachée à mon cabinet et dirigée par le général Facon, mais aussi avec les élus et les acteurs économiques et sociaux du territoire, sur la reconstruction et la refondation de Mayotte.
Je me suis rendu sur place à quatre reprises en quatre mois – la dernière fois aux côtés du Président de la République. Nous avons pu constater que la première phase de gestion de la crise, celle des urgences vitales, était désormais stabilisée : nous avons rétabli les capacités en eau, en électricité et en télécommunications.
Je veux vous donner quelques faits concernant l'eau : le taux de remplissage des deux retenues collinaires s'est amélioré à la fin de la saison des pluies ; 2 millions de bouteilles ont été livrées ; 2 millions de litres d'eau seront acheminés par voie maritime au mois de mai ; enfin, notre capacité de production habituelle a été récupérée, à hauteur de 38 000 mètres cubes par jour.
Tout cela a permis de parer au plus urgent et d'éviter des drames, mais il est évidemment hors de question de se satisfaire d'avoir seulement retrouvé notre capacité antérieure au cyclone Chido, sans avoir résorbé l'écart persistant entre l'offre et la demande.
C'est pourquoi nous commençons à voir plus loin en la matière. Plus de 900 fuites d'eau ont été réparées par le génie militaire. La première pierre de la future station d'épuration de Mamoudzou Sud a été posée le 7 mai, et l'arrêté d'autorisation des travaux pour la partie terrestre du chantier de construction de l'usine de dessalement d'Ironi Bé a été signé par le préfet il y a deux semaines à peine. Nous lancerons bientôt un appel à projets pour des solutions innovantes, comme l'eau atmosphérique. Nous restons donc, vous le voyez, extrêmement vigilants sur ce sujet très particulier, fragile et complexe.
Par ailleurs, l'objectif de résorption complète des dépôts de déchets post-Chido d'ici au mois d'août 2025 sera tenu. Grâce au second casier de l'installation de stockage de déchets non dangereux, inauguré au début du mois d'avril, nous évacuons plus de 800 tonnes de déchets par jour.
En matière de santé, autre sujet délicat, plus de 1 000 professionnels ont été projetés sur place. L'hôpital a retrouvé plus de 80 % de son activité et connaîtra d'importants travaux jusqu'en 2026. Sept dispensaires sur huit sont ouverts ; celui de Sada, très endommagé par le cyclone, est encore en travaux. Tous les centres médicaux de référence ont également rouvert. L'essentiel est qu'il y ait des médecins, des infirmiers et des aide-soignants qui puissent y effectuer des permanences.
Les rentrées scolaires de mars et de mai ont eu lieu, ce qui n'était pas évident. Mais, tout comme pour l'eau, nous sommes simplement revenus aux conditions de scolarisation qui existaient avant Chido. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation : les rotations scolaires restent inacceptables en République. Le rapport annexé au projet de loi fixe donc l'objectif d'en finir à l'horizon 2031.
Cinq mois après Chido, ces exemples nous permettent d'affirmer que l'impression générale renvoyée par le territoire est celle d'une stabilisation, voire, sur certains plans, d'une amélioration de la situation.
C'est d'ailleurs visible physiquement pour ceux qui se sont rendus récemment sur l'archipel. La végétation se régénère rapidement, ce qui pose d'ailleurs d'autres défis ; les axes routiers ont été rétablis ; une voie du Caribus a été inaugurée ; les commerces rouvrent progressivement ; la chaîne portuaire et logistique fonctionne ; enfin, un navire de croisière a même récemment fait escale à Mayotte, soulageant un peu le secteur touristique.
Néanmoins, tout n'est pas réglé, loin de là, et ce même dans les domaines que je viens d'évoquer. La situation, j'y insiste, reste fragile. Les enjeux de l'eau, de la gestion des déchets, de l'école et des déplacements entre Petite-Terre et Grande-Terre demeurent criants. Six escadrons de gendarmerie mobile, 760 gendarmes et 770 policiers permettent de faire face aux défis quotidiens de la sécurité et de la violence.
La mise en place de la mission dirigée par le général Facon, puis la promulgation de la loi d'urgence pour Mayotte, le 24 février dernier, ont ensuite permis de déployer les premiers outils et les premières actions concrètes de la deuxième phase de réponse à la crise, c'est-à-dire la reconstruction.
Je veux être précis en la matière : il le faut pour répondre à un certain nombre de questions tout à fait légitimes, mais aussi à la désinformation qui sévit parfois.
Ainsi, un bataillon de reconstruction, composé de 326 militaires, est mobilisé au quotidien pour réparer et rebâtir les bâtiments publics. Il participe activement, depuis le passage du cyclone, au déblaiement des routes et des cours d'eau, à la sécurisation des bâtiments et au soutien logistique. Il a notamment œuvré pour les écoles et les équipements sportifs, comme le plateau sportif de M'Tsapéré, à Mamoudzou.
Des chantiers de reconstruction sont engagés. Ils mobilisent, comme cela a été prévu dans la loi d'urgence, des entreprises mahoraises. Ainsi, la Société immobilière de Mayotte (SIM) a entrepris la rénovation des logements sociaux endommagés par Chido, par exemple ceux de Passamainty.
Enfin, le soutien financier est au rendez-vous. Dans le contexte difficile que nous connaissons, l'État agit concrètement.
Soyons précis : 500 millions d'euros de dépenses d'urgence ont été engagés en décembre et janvier dernier ; un fonds d'amorçage de 100 millions d'euros a été ouvert pour les collectivités territoriales – les premiers dossiers viennent d'être signés ; 15 millions d'euros du fonds de secours outre-mer aident la filière agricole – j'ai concrétisé ce financement, avec le chef de l'État, il y a quelques semaines ; enfin, 22,8 millions d'euros d'aides vont aux entreprises.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je pense aussi à toutes les mesures que vous avez votées dans le cadre de la loi d'urgence, notamment à l'activité partielle : 1 311 demandes d'indemnisation ont été validées, pour 996 138 heures, à hauteur de 9,1 millions d'euros.
Je pense enfin aux prêts à taux zéro – beaucoup étaient sceptiques – désormais offerts dans l'ensemble des établissements bancaires habilités pour aider les particuliers à reconstruire leur toit.
Raffaele Fitto, vice-président de la Commission européenne, qui a visité le territoire il y a quelques semaines, m'a par ailleurs confirmé que la France recevrait bientôt une avance de 23,7 millions d'euros au titre du Fonds de solidarité de l'Union européenne.
L'argent est mobilisé, des dossiers sont déposés. Maintenant, il faut véritablement entrer dans un processus concret.
Je tiens d'ailleurs à annoncer que le soutien aux entreprises mahoraises affectées par le cyclone Chido se poursuit : l'aide exceptionnelle visant à compenser la perte de chiffre d'affaires, qui avait été versée pour décembre et janvier derniers, sera prolongée pour les mois de février et mars.
Avec la présentation de ces deux projets de loi, ordinaire et organique, nous entamons aujourd'hui la troisième phase de réponse à Chido, celle de la refondation. En effet, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à cette tribune, si le cyclone a ravagé Mayotte, il a surtout révélé et exacerbé des difficultés structurelles qui existaient déjà.
Je l'ai dit dès le départ et j'y insiste de nouveau : il est hors de question de se contenter d'un travail de reconstruction qui nous ferait revenir, au mieux, à la situation très insatisfaisante de l'avant-Chido.
Le Gouvernement tient donc sa parole, en présentant rapidement un projet de loi plus structurel pour redéfinir l'avenir de l'archipel.
Attendu depuis de trop nombreuses années, ce projet de loi de refondation de Mayotte, auquel mes prédécesseurs avaient déjà travaillé, a été élaboré en totale concertation avec les élus locaux et la société civile, ce qui a permis de modifier et d'enrichir le texte. Cela ne signifie évidemment pas qu'il n'y resterait plus d'éléments de débats ou de divergence.
Un exemple de cette concertation est l'article 19, qui facilite la prise de possession anticipée des terrains pour accélérer la réalisation des infrastructures essentielles : son champ a été largement restreint à la demande des élus mahorais.
Les commissions saisies au fond ont adopté ce texte, en lui apportant quelques améliorations bienvenues. Je remercie sincèrement les rapporteurs et les sénateurs de leur confiance et de leur travail de qualité.
Ce projet de loi comprend désormais trente-six articles répartis en six titres, que je veux présenter rapidement.
Le titre Ier comporte un article 1er approuvant un rapport, tout à fait essentiel, annexé au projet de loi. Ce rapport présente, pour l'ensemble des politiques publiques, les priorités de l'État afin de garantir la reconstruction et la refondation du territoire. Cela permet de faire participer les parlementaires à la stratégie du Gouvernement pour Mayotte et aux engagements qui ne nécessitent pas directement de mesure législative ou concernent les infrastructures à réaliser prioritairement.
Ce rapport donne à voir les objectifs que nous fixons, mais il comporte également des éléments de programmation financière, qui s'établissent dans l'état actuel du texte à 3,2 milliards d'euros sur sept ans. Comme je l'ai indiqué en commission, le Gouvernement défendra un amendement visant à affiner et à compléter cette programmation, en la hissant à quasiment 4 milliards d'euros.
Des choix sont faits et assumés concernant les grandes infrastructures comme le port et l'aéroport. Sur ce dernier dossier, lors de son déplacement officiel du 21 avril dernier, le Président de la République a écarté l'option de Petite-Terre et indiqué que la piste longue devra être réalisée en Grande-Terre ; c'est d'ailleurs l'hypothèse technique privilégiée par la direction générale de l'aviation civile.
Ceux qui suivent le dossier connaissent les éléments du débat depuis des années. On demandait à l'État de clarifier sa position ; c'est chose faite, même si le débat demeure tout à fait légitime. Précisons qu'un plan d'attractivité sera nécessaire pour valoriser les nombreux atouts de Petite-Terre. Le Gouvernement vous proposera d'adopter trois amendements, afin de tirer les conséquences de ce choix – un choix assumé, je le redis – et d'avancer rapidement sur ce projet très attendu par les Mahorais.
Le titre II comporte neuf articles visant à renforcer la lutte contre l'immigration clandestine et l'habitat illégal, les deux fléaux – c'est le terme que j'ai choisi – sous lesquels Mayotte ploie depuis de trop nombreuses années. Je rappelle que nous avons avancé sur ce sujet sans même attendre ce projet de loi, avec la récente restriction du droit du sol à Mayotte, votée par les parlementaires et approuvée par le Conseil constitutionnel.
Les rapporteurs Agnès Canayer et Olivier Bitz ont proposé, dans un nouvel article 2 bis, que le Gouvernement remette au Parlement « un rapport évaluant les dispositions dérogatoires en matière d'immigration et de nationalité applicables à Mayotte », trois ans après l'entrée en vigueur de la loi. Il s'agit d'une très bonne idée : on pourra ainsi évaluer l'efficacité de ces mesures et, éventuellement, remettre à plat la politique migratoire dérogatoire applicable sur l'archipel, en fonction des résultats que nous aurons obtenus dans tous ces domaines dans les prochaines années.
L'article 10 permet, quant à lui, de mieux lutter contre les bidonvilles. Micheline Jacques, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, a amélioré la constitutionnalité du dispositif sans lui faire perdre sa dimension ferme et opérationnelle. Je l'en remercie.
Le resserrement de notre arsenal juridique, qui sera très utile, ne doit pas néanmoins laisser croire que nous n'agirions pas déjà en la matière. Par exemple, au début d'avril, 73 constructions illégales localisées à Dzoumogné ont été détruites, afin de mettre fin à des conditions de vie indignes et de libérer des parcelles destinées à la construction d'une nouvelle école communale. Plusieurs projets similaires sont mis en œuvre.
Notre combat contre l'immigration irrégulière et l'habitat illégal dépend aussi de la montée en puissance des effectifs et des moyens engagés par nos forces de sécurité intérieure, ainsi que d'un rapport plus ferme aux Comores. Le rapport annexé mentionne nos actions sur ces deux volets, car j'ai souhaité que les parlementaires soient associés à ces stratégies. Les ministres de l'intérieur et des armées sont évidemment très impliqués dans ce dossier.
Le titre III a également une dimension sécuritaire, puisqu'il renforce le contrôle des armes, aux articles 11 et 12, et améliore la lutte contre l'emploi d'étrangers sans titre en facilitant la traversée des bidonvilles, à l'article 13.
Le titre IV, qui me paraît essentiel au regard de l'attente suscitée par les promesses républicaines liées à la départementalisation, comprend toute une série de mesures d'ordre économique et social, ou encore favorisant l'aménagement durable du territoire.
L'article 15, chère Christine Bonfanti-Dossat, est à cet égard particulièrement déterminant, puisqu'il habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour accélérer la convergence sociale et la rendre effective au plus tard – j'insiste sur ces mots – en 2031, avec une trajectoire progressive et soutenable.
Cette mesure, légitimement attendue par les Mahorais depuis des années, permettra enfin d'avancer vers l'égalité réelle. Elle pourrait être mise en œuvre plus vite, bien évidemment, mais c'est sans démagogie et avec méthode qu'il faut tenir cet engagement.
J'ai donné mission au préfet Bieuville et au général Facon de mener les concertations indispensables pour avancer. Le rapport annexé vous offre de premières indications, et un rapport sera très prochainement remis au Parlement sur ce sujet, en application de l'article 36 de la loi d'urgence pour Mayotte.
L'article 19 du présent projet de loi, dont le champ a été restreint à la suite de la concertation avec les élus mahorais, facilitera la prise de possession anticipée de terrains pour accélérer la construction des infrastructures essentielles. Cet article est à la fois incontournable et protecteur du droit de propriété.
L'article 22, chers Stéphane Fouassin et Georges Patient, crée une zone franche globale à Mayotte, suivant l'engagement du Premier ministre.
D'autres mesures sont consacrées à l'accompagnement de la jeunesse de Mayotte – c'est une grande priorité –, ou encore au renforcement de l'attractivité du territoire pour les fonctionnaires ; nous les évoquerons au cours des jours de débat qui s'ouvrent.
Le titre V, enfin, conforte le statut de collectivité unique de Mayotte, qui prendra le nom de Département-Région de Mayotte, et révise le mode de scrutin de sorte que l'élection des conseillers à l'assemblée de Mayotte se fasse à la représentation proportionnelle, dans le cadre d'une circonscription électorale unique, composée désormais, selon le souhait de vos rapporteurs, de treize sections.
Le projet de loi organique procède, quant à lui, à une série de coordinations, afin d'accompagner la modification des dispositions institutionnelles et électorales figurant dans le projet de loi ordinaire.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, la présentation de ces projets de loi dans le temps imparti, après quelques mois seulement, constitue, je le crois, une étape déterminante pour engager la refondation de Mayotte. Avec ces textes, que vous ne manquerez pas d'améliorer, je n'en doute pas une seule seconde, on constate une action quotidienne, une clarification des engagements financiers, une volonté et une stratégie.
Ainsi, ensemble, nous pourrons reconstruire l'île sur des bases plus saines et plus claires, pour changer son visage, mais aussi – c'est ce qu'on nous demande surtout – pour améliorer la vie des Mahorais. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Laure Darcos applaudit également.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, lors des auditions menées avec mon collègue Olivier Bitz, corapporteur de la commission des lois, j'ai été alertée par les élus de Mayotte sur le sentiment d'abandon que peuvent éprouver les Mahorais.
Ce sentiment trouve son origine dans l'incapacité de l'État, depuis des années, à susciter une amélioration durable de la situation de l'archipel, qu'il s'agisse de la démographie, de l'immigration, de l'insécurité ou des infrastructures. Les habitants peuvent légitimement considérer que, quatorze ans après la départementalisation, le compte n'y est pas.
Si l'urgence est à la reconstruction, il ne s'agit pas de revenir purement et simplement à la situation antérieure. Telle est la volonté sous-tendant les deux textes que nous abordons aujourd'hui.
Comme l'indique le terme quelque peu grandiloquent de refondation, qui figure dans son intitulé, le projet de loi vise un objectif ambitieux : répondre durablement aux défis du territoire par l'adoption de mesures structurantes. L'approche globale souhaitée par le Gouvernement se traduit toutefois par un catalogue de mesures, à la portée et à l'intérêt très divers.
Ainsi, l'article 1er du projet de loi tend à approuver le rapport annexé, lequel présente les orientations de la programmation pour la refondation de Mayotte sur la période 2025-2031.
Ce rapport annexé énumère de nombreux engagements de l'État à l'égard de Mayotte, qui ne trouvent pas tous une traduction directe dans le projet de loi. En outre, il doit s'articuler, dans des conditions assez obscures, avec une stratégie quinquennale 2026-2031 pour Mayotte.
La commission des lois regrette l'imprécision de ce rapport sur plusieurs points, à commencer par l'absence de distinction entre les mesures véritablement nouvelles et celles qui résultent d'engagements antérieurs. Or il s'agit là d'un véritable enjeu de lisibilité et de crédibilité.
Ensuite, nous déplorons l'absence de calendrier précis de mise en œuvre de ces actions. Celles-ci, à l'exception des investissements prioritaires, ne font l'objet d'aucune concrétisation budgétaire précise. C'est pourquoi la commission a adopté un amendement tendant à ce qu'une programmation annuelle soit présentée au Parlement avant la fin de l'année 2025.
Enfin, le rapport annexé, dans sa version initiale, ne comportait aucun élément portant sur les modalités d'évaluation et de suivi de la programmation. La commission a donc souhaité y inscrire la nécessité d'une évaluation régulière, avec, désormais, la remise au Parlement d'un rapport d'évaluation à mi-parcours et la création d'un comité de suivi auprès du Premier ministre.
Cette préoccupation d'assurer la continuité et la cohérence de l'action de l'État a aussi conduit la commission à renforcer les prérogatives du préfet de Mayotte. En effet, l'importance des défis auxquels est confronté l'archipel, la taille relativement réduite de son territoire et l'imbrication systématique des missions des services de l'État rendent nécessaire une coordination renforcée.
C'est pourquoi l'article 1er bis, introduit par la commission, place sous l'autorité du préfet de Mayotte, pour la durée du plan de refondation, l'ensemble des services de l'État et de ses établissements publics qui y interviennent.
Le renforcement de l'État territorial à Mayotte doit s'accompagner de celui des collectivités territoriales et de leurs moyens d'action. Cela suppose, en particulier, la rénovation du fonctionnement institutionnel de la collectivité de Mayotte, réclamée de longue date par les élus mahorais.
Nous avons ainsi approuvé l'évolution prévue par les deux textes en discussion, laquelle consiste en une modernisation du schéma et du fonctionnement institutionnels de Mayotte visant à affirmer son statut de collectivité unique d'outre-mer, à l'instar des collectivités de Guyane et de Martinique.
Il serait ainsi institué un Département-Région de Mayotte et une véritable assemblée de Mayotte, qui élirait en son sein un président. Je me réjouis que, conformément à notre demande, le Gouvernement ait déposé un amendement visant à inscrire directement cette réforme dans le projet de loi.
En outre, l'article 31 tend à réformer le régime électoral applicable aux futurs conseillers à l'assemblée de Mayotte. Dans sa rédaction initiale, il vise ainsi à porter à 52 le nombre des membres de ladite assemblée. Ils seraient élus au scrutin de liste proportionnel avec prime majoritaire, sur la base d'une circonscription unique divisée en cinq sections correspondant au périmètre des EPCI du territoire.
Toutefois, consciente qu'il s'agit d'un sujet de débat parmi les élus mahorais, la commission a préféré retenir treize sections, plutôt que cinq, en reprenant le périmètre des actuels cantons.
Ce modèle permet, nous semble-t-il, de conjuguer au mieux les objectifs de représentation du territoire et de stabilité de l'assemblée, indispensables pour conduire les véritables projets communs essentiels pour l'avenir de l'archipel, notamment sa refondation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Bitz, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, soyons clairs : il n'y aura pas de refondation possible de Mayotte sans une maîtrise des flux migratoires.
L'immigration constitue aujourd'hui un facteur majeur de déstabilisation de l'archipel. Rappelons que Mayotte comptait, d'après l'Insee, 320 000 habitants en 2024, lesquels sont pour moitié de nationalité étrangère. Sans action sur les flux migratoires, cette population devrait atteindre 760 000 habitants en 2050.
Les conséquences de cette immigration sont connues : insécurité, saturation des infrastructures, difficulté d'accès aux services publics essentiels que sont la santé et l'éducation, ou encore prolifération des bidonvilles.
Au-delà des postures idéologiques, il nous faut partir des réalités. Or la réalité, c'est que l'immigration hypothèque toute perspective de développement de Mayotte. La réalité, c'est que la lutte contre l'immigration clandestine est une demande unanime des élus mahorais. Il s'agit d'une priorité absolue.
Le projet de loi comporte, à cet égard, plusieurs mesures qui vont dans le bon sens, même si aucune d'entre elles, prise isolément, ne suffirait à répondre à la question migratoire à Mayotte ; d'ailleurs, aucune loi, à elle seule, ne le permettrait. Ces dispositions devront être conjuguées à une volonté politique forte, à une action diplomatique ferme à l'égard des pays voisins et au renforcement des moyens de l'État, notamment en matière d'interception des embarcations en mer.
La commission des lois a ainsi approuvé l'article 2, qui restreint les conditions de délivrance des titres de séjour Parent d'enfant français et Liens personnels et familiaux, lesquels représentent plus de 80 % des titres délivrés en 2024 et sont très majoritairement attribués à des étrangers en situation irrégulière. La commission a adopté deux amendements visant à renforcer encore ce dispositif.
L'article 7 vise à permettre, au-delà du 1er janvier 2027, la rétention d'un étranger accompagné d'un mineur à Mayotte dans des unités familiales indépendantes et pour quarante-huit heures au plus. La commission a prévu que cette mesure pouvait être prolongée de vingt-quatre heures supplémentaires lorsque des circonstances extérieures font obstacle à l'éloignement.
Conformément à la demande des élus mahorais, la commission a également supprimé le caractère temporaire de l'article 8. Ce dernier permet le retrait du titre de séjour d'un étranger lorsque le comportement de son enfant constitue une menace pour l'ordre public.
Elle a enfin approuvé l'article 9, qui a pour objet de subordonner à la vérification préalable de la régularité du séjour du client les opérations de transmission de fonds à partir d'un versement d'espèces. La commission a, en outre, créé un délit spécifique, afin de prévenir et de réprimer tout contournement par le recours à des hommes de paille.
Le projet de loi comporte également plusieurs mesures visant à contrer le phénomène croissant des reconnaissances frauduleuses de paternité et de maternité à Mayotte.
La commission n'a en revanche pas estimé opportun de remettre en cause le visa territorialisé, dans la mesure où celui-ci est une revendication forte des élus et de la population mahoraise. Ainsi, les conditions de sa suppression ne sont pas, de notre point de vue, réunies aujourd'hui. Un tel retrait risquerait de se traduire par une augmentation des flux migratoires à destination de Mayotte, alors que l'immigration en provenance d'Afrique continentale est en forte hausse.
Il ne s'agit cependant pas d'un refus définitif : l'article 2 bis, introduit par la commission, prévoit en effet un bilan exhaustif des mesures dérogatoires en matière d'immigration et de nationalité à Mayotte, dont fait partie le visa territorialisé, dans trois ans.
La démarche proposée est claire : donnons-nous trois années pour appliquer pleinement les mesures prises dans le domaine migratoire pour tarir les flux, puis faisons le point, en toute transparence, sur la situation, afin d'examiner si elle permet, ou non, de mettre fin aux mesures dérogatoires. Mais n'envoyons pas aujourd'hui des messages contradictoires en laissant penser aux candidats au départ qu'une arrivée à Mayotte ouvre une perspective d'installation, à terme, à La Réunion ou en métropole.
Je souhaiterais, enfin, évoquer une autre disposition qui est sujette à controverse, parce qu'elle est mal comprise. Il s'agit de l'article 19, qui vise à accélérer les expropriations pour cause d'utilité publique en permettant la prise de possession anticipée de certains terrains.
L'objectif est non pas de déroger aux règles qui gouvernent l'expropriation, notamment dans la détermination des terrains concernés, mais seulement de permettre la réalisation des équipements dont Mayotte a besoin avant le versement définitif de l'indemnité. Sans cette mesure, il faudrait attendre la décision du juge de l'expropriation fixant l'indemnité pour mobiliser les terrains en cause.
Or il y a urgence à obtenir des résultats rapides : des infrastructures indispensables au développement doivent être rapidement mises en chantier.
Donner à l'État les moyens d'agir, et d'agir vite : tel est le sens de ce projet de loi et des amendements adoptés par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, cinq mois après le passage dévastateur du cyclone Chido, nous sommes de nouveau appelés à nous prononcer sur un projet de loi concernant Mayotte. Si le précédent texte visait à accélérer sa reconstruction, celui-ci porte un projet de refondation de l'archipel.
Néanmoins, cette ambition ne doit pas occulter la réalité du terrain : le chemin de la reconstruction est encore long. Le cyclone Chido, suivi de la tempête Dikeledi, a causé plus de 3 milliards d'euros de dommages.
Une délégation de la commission des affaires économiques, conduite par notre présidente Dominique Estrosi Sassone, s'est rendue sur place il y a quelques jours. Elle nous a fourni un éclairage précieux sur les articles dont notre commission est saisie, portant sur l'habitat informel, la politique de la ville et l'agriculture.
L'article 10 vise à faciliter la lutte contre l'habitat informel, fléau structurel pour Mayotte. Celui-ci concernait près de 100 000 personnes avant le passage du cyclone Chido, dans des conditions sanitaires extrêmement précaires, avec une forte exposition aux risques naturels. Or près de 90 % de ces habitations de fortune ont été reconstruites aujourd'hui.
Les outils actuels pour y faire face sont très insuffisants : ainsi, en 2023 et 2024, dix-neuf opérations ont permis l'évacuation de 3 000 personnes… C'est vider l'océan à la petite cuillère.
Dans ce contexte, la commission a confirmé les orientations proposées par le Gouvernement à cet article, qui portent sur la réduction des délais d'exécution volontaires et l'extension du champ des agents pouvant constater l'installation sans droit ni titre. Elle partage aussi l'objectif d'assouplir l'obligation de reloger les personnes à évacuer, mais a souhaité sécuriser le dispositif.
En effet, à Mayotte, cette obligation est matériellement impossible à respecter. Avec seulement 1 241 places et un taux d'occupation de 130 %, le parc d'hébergement est totalement saturé.
Pis, dès qu'un arrêté d'évacuation est pris, des places sont gelées, provoquant une vacance injustifiée et, au vu de la situation, insensée. Néanmoins, le Conseil d'État a émis des réserves sur la conformité à la Constitution de cette disposition. Nous avons donc tenté de la sécuriser en l'encadrant dans le temps et en la conditionnant aux circonstances locales.
La commission a par ailleurs souhaité accélérer les délais d'exécution d'office en limitant le recours suspensif au seul référé-liberté, sur lequel le juge statue en quarante-huit heures, afin de garantir l'effectivité à la fois des évacuations et des droits fondamentaux.
Toutefois, seule une approche articulant sécurité, politique migratoire, urbanisme et production de logements permettra de lutter efficacement contre les bidonvilles. En l'absence d'approche globale, nous ne ferions que poser un pansement sur une plaie ouverte.
J'en viens maintenant à l'article 23, qui vise à classer tout Mayotte en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) jusqu'en 2030. Cette mesure est justifiée au regard de l'aggravation brutale de la situation économique et sociale de l'archipel, alors que la révision de la géographie prioritaire intervenue à la fin de l'année 2024 n'a pas permis d'intégrer les conséquences de Chido et de Dikeledi sur les infrastructures, l'habitat ou l'activité.
Néanmoins, cette disposition aura probablement un effet limité sur le développement de Mayotte : département le plus pauvre de France, il est également d'ores et déjà le plus concerné par la politique de la ville. En effet, les trois quarts de la population de Mayotte sont déjà situés dans un QPV. J'insiste donc sur l'importance des financements, au-delà du nombre des communes prioritaires.
En outre, je souhaite alerter le Gouvernement sur les effets de bord potentiels du classement QPV sur le logement social. Ainsi, il ne faudrait pas que des impératifs de mixité sociale, pensés pour l'Hexagone, mais peu adaptés à Mayotte, limitent la construction de logements sociaux dans les QPV de l'archipel.
Monsieur le ministre d'État, je vous invite à prendre, avec vos collègues Valérie Létard et Juliette Méadel, les mesures dérogatoires nécessaires par voie réglementaire.
Enfin, je rappelle que le succès de la politique de la ville repose sur les contrats de ville : il est indispensable que ceux des dix-sept communes de Mayotte soient signés d'ici au 31 décembre prochain.
Notre commission a également eu à connaître de l'article 24, visant à permettre à la chambre de l'agriculture et de la pêche et de l'aquaculture de Mayotte (Capam) de déléguer ses compétences en matière de pêche et de conchyliculture. Cette démarche se ferait au profit d'une association préfiguratrice d'un comité régional des pêches maritimes et des élevages marins.
En effet, Mayotte est le seul territoire d'outre-mer à ne pas disposer d'un comité des pêches à même de représenter les intérêts de cette filière pourtant essentielle. La raison en est une insuffisante organisation des acteurs locaux, laquelle a conduit à aménager les compétences de la chambre d'agriculture pour y accueillir un collège de pêcheurs. Cette situation n'est pas satisfaisante, puisque ces derniers aspirent à disposer de leur propre organisation collective, tandis que le cœur de métier d'une chambre d'agriculture est de représenter les intérêts agricoles.
Aussi, c'est sans modification que notre commission a adopté cet article consensuel et attendu par la profession. Je défendrai, à titre personnel, un amendement visant à compléter le rapport annexé pour faire explicitement mention de l'objet de la création d'un comité des pêches. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions. – MM. Marc Laménie et Michel Masset applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Masset applaudit également.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, nous le savons, la situation à Mayotte reste très fragile : 77 % de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté, contre 14 % dans l'Hexagone. Par ailleurs, la démographie de l'archipel est très atypique : 50 % des habitants ont moins de 20 ans et le territoire connaît un afflux très important d'immigrés en situation irrégulière.
Après le temps de l'urgence, il nous revient donc, désormais, d'œuvrer pour une reprise pérenne de l'économie mahoraise, ainsi que pour une amélioration durable des conditions de vie de nos concitoyens.
Les quatre articles dont notre commission a reçu délégation au fond y contribuent. Ainsi, l'article 15 consiste en une demande d'habilitation à légiférer par ordonnance en vue d'accélérer le projet de convergence sociale, lequel concerne l'alignement des droits et prestations sociales, mais également du montant des cotisations finançant le système de protection sociale.
Si la technicité du chantier justifie pleinement le fait que nous laissions le Gouvernement œuvrer au rapprochement du système de sécurité sociale mahorais du droit commun, la commission a toutefois adopté deux amendements tendant à encadrer davantage cette demande d'habilitation. Ils visent à exclure de son champ l'aide médicale de l'État (AME), ainsi que les « dispositifs fiscaux contribuant à l'amélioration de la compétitivité et de l'emploi ».
En effet, la situation migratoire critique que connaît l'archipel justifie que nous ne prévoyions pas d'étendre l'AME à Mayotte, afin de ne pas créer un effet incitatif supplémentaire. Quant aux dispositifs fiscaux de l'habilitation que nous proposons de supprimer, ils ne relèvent pas de la convergence sociale. Si le Gouvernement souhaite prendre des mesures permettant un plus grand rapprochement dans ces deux domaines, il lui est loisible de le faire par d'autres vecteurs législatifs.
La commission a voté l'article 16 étendant à Mayotte le régime de retraite complémentaire de l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec).
L'article 17 vise, quant à lui, à faciliter l'ouverture de pharmacies d'officine à Mayotte. Il permet ainsi au directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) d'autoriser une ouverture pour chaque tranche de 7 000 habitants recensée au niveau communal ou – c'est là que réside la nouveauté – au niveau intercommunal.
Fondé pour l'essentiel sur des seuils communaux, le cadre actuel présente en effet plusieurs limitations majeures. Il s'appuie, tout d'abord, sur des données démographiques obsolètes, datant du recensement de 2017. Il ne permet, ensuite, de tenir compte ni de la réalité démographique de certains bassins de vie ni des contraintes d'insularité et d'accessibilité spécifiques à Mayotte.
Si l'augmentation du nombre d'officines répond à un besoin réel, un passage durable du critère communal au critère intercommunal risque toutefois de fragiliser le tissu existant. Ainsi, l'ensemble des syndicats de pharmaciens, ainsi que l'ordre national des pharmaciens, que j'ai auditionnés, ont exprimé leur opposition à cet article et leurs craintes d'une déstabilisation durable du réseau.
C'est pourquoi la commission a adopté un amendement visant à trouver une voie de compromis. Cette proposition tend à limiter l'application du critère intercommunal aux situations dans lesquelles le recensement, datant de plus de cinq ans, est ancien et dépassé. Par ailleurs, elle soumet les ouvertures décidées sur le fondement de ce critère dérogatoire à un avis conforme de l'ordre national des pharmaciens.
Ainsi réécrit, cet article permettra d'anticiper partiellement l'augmentation de la population que révélera le prochain recensement. Les acteurs seront donc contraints de s'entendre localement sur la nécessité d'une ouverture. Je vous proposerai d'adopter le dispositif dans cette version.
Enfin, l'article 18 réforme les conditions de représentation des professionnels de santé mahorais au sein des unions régionales des professionnels de santé (URPS) de l'océan Indien. Il permet, notamment, la présence de plusieurs professionnels mahorais au sein d'une même URPS.
Toutefois, ces dispositions ne semblent pas convaincre les principales parties prenantes. Les syndicats de professionnels comme l'ARS, que nous avons interrogés, nous ont indiqué souhaiter une instance de représentation propre aux professionnels mahorais, susceptible de prendre en compte les spécificités de l'archipel. Le Gouvernement, au contraire, juge le nombre de professionnels concernés insuffisant pour l'envisager.
Afin d'inciter l'exécutif à poursuivre la concertation, la commission a adopté un amendement visant à garantir la consultation des syndicats dans l'élaboration du décret d'application.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, ces dispositions ne régleront pas toutes les difficultés observées à Mayotte. En les votant, nous ferions toutefois œuvre utile en soutenant la reprise économique de l'archipel et l'accès aux soins. La commission vous invite donc à les adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Stéphane Fouassin, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, je m'exprime également au nom de Georges Patient, corapporteur pour avis de ce texte.
La commission des finances a examiné plus particulièrement l'article 22, pour lequel elle a reçu une délégation au fond, ainsi que les articles 1er, 9, 23, 26 et 27, dont elle s'est saisie pour avis. Elle a émis un avis favorable à l'adoption de l'ensemble de ces articles, tels qu'ils ont été modifiés en commission.
Comme vous le savez, ce projet de loi s'inscrit dans une démarche plus large que la seule réponse aux catastrophes naturelles de décembre 2024, dont les dégâts sont estimés à 3,43 milliards d'euros. Il vise avant tout à répondre, dès aujourd'hui, aux besoins urgents et structurels de la population mahoraise, dans des domaines essentiels comme les infrastructures, les services publics, l'économie locale ou encore la jeunesse.
Il s'agit non seulement d'une reconstruction, mais encore d'un engagement fort en faveur de l'amélioration concrète des conditions de vie à Mayotte.
Tout d'abord, l'article 1er porte l'approbation d'un rapport annexé. Il consiste en une programmation des investissements de l'État à Mayotte pour la période s'étendant de 2025 à 2031, à hauteur de 3 176 milliards d'euros. Loin d'un simple affichage budgétaire, il s'agit d'une stratégie d'investissement ambitieuse, pensée pour répondre aux besoins concrets du territoire.
Près de 38 % du montant des investissements concerne la construction d'un aéroport à Bouyouni, en Grande-Terre, laquelle doit avoir lieu d'ici à 2036. En effet, la piste de l'aéroport actuel, sur Petite-Terre, est trop courte pour permettre l'atterrissage des avions capables de transporter du fret.
Par ailleurs, 730 millions d'euros seront consacrés à la gestion de l'eau et de l'assainissement. En effet, actuellement, près de 30 % de la population mahoraise n'a pas accès à l'eau potable.
Enfin, 407 millions d'euros sont destinés à la construction d'un deuxième hôpital, ainsi qu'à la modernisation du site hospitalier de Mamoudzou.
La pertinence de ces investissements ne nous paraît pas, à mon collègue Patient et à moi-même, faire débat. Nous avons, toutefois, deux observations principales. D'une part, la plupart de ces investissements proviennent d'engagements passés de l'État, par exemple dans le cadre du plan eau Mayotte. D'autre part, le chiffrage des dispositions du présent projet de loi n'est pas complet, comme le relève d'ailleurs le Haut Conseil des finances publiques dans son avis du 30 avril 2025.
J'en viens à l'article 22, dont l'examen a été délégué au fond à la commission des finances. Il introduit un élargissement ambitieux du dispositif de zone franche globale d'activité. Concrètement, il prévoit une exonération totale pour Les TPE et PME mahoraises, pendant cinq ans, de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés, ainsi que de la cotisation foncière des entreprises et de la taxe foncière sur les propriétés bâties.
Les retombées attendues sont loin d'être anecdotiques : pas moins de 18 millions d'euros d'impôts seront ainsi économisés par les entreprises locales sur l'ensemble de la période. C'est là un signal fort que l'État envoie en faveur du développement économique de ce territoire.
L'article 23 prévoit de zoner toutes les communes de Mayotte en quartiers prioritaires de la ville jusqu'en 2030. Si, actuellement, 75 % du territoire mahorais est déjà situé en QPV, ce n'est pas le cas du sud de l'île. Ainsi, même si la portée directe du dispositif peut sembler limitée, celui-ci reste pertinent, car il ouvre la voie à d'autres mécanismes d'accompagnement public comme l'obtention du label Cités éducatives.
Sur un autre sujet, l'article 9 conditionne les transmissions de fonds à l'étranger, c'est-à-dire les transferts d'argent effectués grâce à des espèces, à la vérification par les établissements financiers de la régularité du titre de séjour du client souhaitant effectuer la transaction. L'objectif affiché est la lutte contre le blanchiment de capitaux, notamment le financement des filières de passeurs aux Comores.
Sur ce point, j'émettrai deux remarques. Tout d'abord, par nature, les flux illégaux de capitaux sont très difficiles à évaluer. Ensuite, nous tenons à souligner que ce n'est pas forcément le rôle des banques que de suppléer l'État dans une fonction régalienne de contrôle des flux migratoires. Cette mesure semble donc relever plus de la lutte contre l'immigration que contre le blanchiment de capitaux, même si elle pourrait se justifier au vu de la situation très particulière de Mayotte.
Enfin, la commission des finances est favorable à l'adoption des articles 26 et 27.
L'article 26 étend le bénéfice du passeport pour la mobilité des études aux lycéens de Mayotte, lorsque la filière d'enseignement souhaitée n'est pas proposée localement.
L'article 27, quant à lui, crée un fonds de soutien au développement des activités périscolaires. En effet, plus de la moitié des élèves mahorais n'ont accès à l'école que par demi-journées. Dans ces conditions, le soutien à une offre périscolaire est pertinent. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, le texte que nous allons étudier aujourd'hui s'intitule projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte. L'on pourrait donc s'attendre à ce qu'il tende à programmer la refondation de Mayotte, à tracer un avenir meilleur pour un territoire ravagé par les inégalités, les carences de l'État, les catastrophes climatiques et l'indifférence.
En effet, les cyclones Chido, puis Dikeledi, qui ont frappé l'île n'ont fait qu'aggraver très durement une situation dont l'État est responsable depuis longtemps. Ainsi, les manques y sont ancrés, les besoins essentiels inassouvissables, la précarité et les inégalités plus fortes que n'importe où en France.
Mayotte est le département le plus jeune et le plus pauvre de France. Jeune et pauvre : voilà deux indices, deux pistes claires pour un projet de refondation.
Alors qu'il manque 1 200 classes et que jusqu'à 10 000 enfants ne sont pas scolarisés, qu'il n'y a pas assez de transports, pas de cantines, que les classes sont en rotation, qu'il faudrait mettre fin aux classes itinérantes, un investissement massif dans l'école aurait dû être une priorité.
Alors que l'hôpital est saturé, les équipements insuffisants, les médecins beaucoup trop rares et l'AME absente, il aurait fallu améliorer les conditions de travail des soignants, soutenir la médecine de ville et ouvrir l'accès à I'AME.
Alors que l'habitat informel est la norme, dans un territoire qui compte neuf fois moins de logements sociaux par habitant que la moyenne nationale, il aurait fallu organiser la construction de logements sociaux en grand nombre, dignes et résilients.
Alors que l'eau potable est inaccessible pour une part considérable de la population, il aurait fallu ouvrir une réflexion sur la tarification sociale de l'eau et accélérer très fortement la rénovation des réseaux hydrauliques.
Alors que la convergence des prestations sociales est encore repoussée et que les prestations familiales en sont exclues, il aurait fallu donner aux Mahorais et aux Mahoraises l'égalité des droits.
Pourtant, sur quoi les priorités et les moyens concernés par ce texte sont-ils, pour l'essentiel, concentrés ? En réalité, 80 % du projet de loi visent à rendre encore plus répressive et plus dérogatoire une politique migratoire déjà ultra-répressive et ultra-dérogatoire du droit commun.
Or cette politique n'a donné jusqu'à aujourd'hui, il faut bien le dire, aucun résultat : ni sur les conditions de vie à Mayotte ni même sur les flux migratoires. En effet, la réalité, c'est que les personnes concernées migrent, non pas en raison de l'absence de répression, mais pour fuir la pauvreté et la misère.
Bien sûr, nous ne nions ni la pression migratoire, ni sa complexité, ni ses conséquences. Mayotte fait face à des difficultés réelles de gestion administrative et à des tensions sociales profondes. Nous ne disons pas qu'il ne faut rien faire. Mais ce que nous dénonçons, c'est une incapacité à construire une politique globale respectueuse des droits et qui apporte des réponses de long terme, à la hauteur des besoins du territoire.
En effet, de votre approche, tous seront victimes, les étrangers comme les Français. La politique d'accueil et d'intégration des étrangers est déjà pratiquement inexistante. L'aide matérielle, qui s'élève à 30 euros par mois, est bien inférieure au montant de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) versée en métropole, alors même que le coût de la vie sur l'archipel est bien plus élevé. Il n'existe d'ailleurs à Mayotte ni centre d'accueil ni réelle allocation pour demandeurs d'asile.
En durcissant l'accès au séjour et en refusant le développement des titres pluriannuels, vous condamnez plus de personnes à l'illégalité et à la précarité, pour le malheur de tous les habitants de l'île. En outre, vous empêchez d'alléger de façon notable la charge qui pèse actuellement sur les services de la préfecture.
Votre politique envers les enfants – les « unités familiales », présentées comme des avancées –, n'est en réalité qu'un enrobage humanitaire de pratiques de privation de liberté interdites ailleurs.
Les restrictions que vous portez aux droits finissent par irriguer notre droit commun. Je ne suis pas la seule à le dire ; sur ce point, je vous renvoie aux constats qui ont été dressés par la Défenseure des droits. Quand vous touchez au droit du sol, retirez un titre de séjour à un parent pour le comportement de son enfant et enfermez des enfants en rétention, vous ne touchez pas seulement aux droits des Mahorais : vous touchez au cœur de nos principes républicains.
La vérité, c'est que ce texte n'a pas été conçu prioritairement pour répondre aux attentes les plus pressantes des Mahorais. Il est une brèche visant à généraliser des politiques d'exception.
Certes, il y a quelques mesures que nous ne contestons pas, bien que, pour la plupart, elles soient une redite d'engagements déjà pris, sans réelle garantie d'application. Je pense notamment à la promesse de mettre fin à la rotation scolaire d'ici à 2031, au développement de l'offre périscolaire et à la création d'un deuxième hôpital.
Ces mesures sont une très bonne chose, mais l'absence d'une stratégie globale, d'une vision sur le long terme et d'une priorisation des vrais enjeux rend ce texte inapte à ce qu'il aurait dû faire initialement : refonder Mayotte.
Au contraire, il aggrave la vulnérabilité des Mahorais et abîme les principes républicains qui s'appliquent à tous. C'est la raison pour laquelle le groupe GEST ne votera pas en sa faveur.
M. le président. La parole est à M. Saïd Omar Oili.
M. Saïd Omar Oili. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà plus de cinq mois après la catastrophe causée par le cyclone Chido et près de deux mois après la promulgation de la loi d'urgence pour Mayotte.
Aujourd'hui, force est de constater que le compte n'y est pas. Les Mahorais sont fatigués des effets d'annonce et d'attendre la mise en œuvre, sur le terrain, des mesures proposées. Prenons ce simple exemple : cinq mois après la catastrophe naturelle qui a dévasté notre territoire, les prêts à la reconstruction n'ont toujours pas été délivrés par les banques.
Aujourd'hui, la population mahoraise souffre. Le Premier ministre, en visite sur l'île après le passage du cyclone Chido, a certes annoncé le plan Mayotte debout, mais, pour les Mahorais, il s'agit plutôt d'un plan Mayotte débrouille. Oui, c'est : « Mayotte, débrouille-toi ! »
Le tissu économique est fragilisé, les entreprises qui sont le fer de lance de la reconstruction bloquent en ce moment l'accès à une collectivité, faute de règlement de leurs travaux. Le secteur de la pêche, fortement touché par le cyclone, a déposé des dossiers pour redémarrer la filière. Les redevances des armateurs seychellois, d'un montant de 1,6 million d'euros, sont disponibles, mais les pêcheurs attendent encore les réponses de la préfecture.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voulais aborder les conditions dans lesquelles le présent projet de loi a été préparé. Il est parfaitement anormal que les parlementaires aient reçu la partie du rapport de la mission interinspections sur les dégâts du cyclone Chido une semaine avant la discussion du texte. Je demandais la transmission de ce document, ainsi que le bilan des contrats de convergence, depuis la fin du mois de février !
On peut s'interroger sur la façon dont a été préparé ce projet de loi, ainsi que sur le rôle qui a été laissé aux élus. Faut-il croire à l'esprit prétendument éclairé des administrations centrales et aux fonctionnaires qui ne font que passer dans notre territoire pour savoir ce qui est bon pour nous ?
Le rapport annexé constitue la véritable feuille de route de la reconstruction de Mayotte. Toutefois, elle ne pourra être concrétisée avec succès qu'à deux conditions.
Premièrement, il est impératif que les mesures contenues dans ce projet de loi soient mises en œuvre et que les fonds publics soient à la hauteur des enjeux. Selon le premier calcul, que j'ai effectué en me fondant sur les chiffres du rapport de la mission intersinspections, le montant des aides versées à Mayotte devrait atteindre 6,7 milliards d'euros.
Deuxièmement, il faut un suivi de la mise en œuvre de ces mesures, comme la Cour des comptes le recommande. Je tenais à remercier la commission des lois du Sénat d'avoir adopté l'amendement de mon groupe visant à mettre en place un comité de programmation et de suivi des dispositifs détaillés dans le rapport précité.
C'est dans le même état d'esprit que mon groupe a déposé trente amendements sur le rapport annexé. Les Mahorais craignent que les effets d'annonce ne se concrétisent pas. Le rapport annexé est pavé de bonnes intentions, mais il ne saurait rester lettre morte.
Concernant la partie normative, trois priorités guident notre action.
Tout d'abord, la classe politique mahoraise demande de façon unanime la fin des titres de séjour territorialisés pour les étrangers en situation régulière.
Nous sommes au Sénat, la chambre qui représente les territoires. J'invite donc mes collègues du groupe Les Républicains et les centristes à relayer les demandes exprimées très fortement par leurs représentants locaux, qui exigent la fin de cette disposition coloniale assignant à Mayotte 100 000 personnes en situation régulière.
Ensuite, nous souhaitons supprimer l'article 19 relatif à l'allègement des procédures d'expropriation, comme le demande la population mahoraise de façon unanime. Il faut avoir conscience des réalités concernant le foncier : les textes de droit commun relatifs à la propriété foncière sont récents dans notre territoire et la réforme du foncier patine.
Enfin, nous rejetons le système électoral, reposant sur une circonscription unique découpée en cinq sections, proposé pour l'élection de l'assemblée de Mayotte. La question du déséquilibre entre la population recensée et le nombre d'inscrits sur les listes électorales fausse le scrutin, en favorisant les communes qui accueillent le plus d'étrangers. C'est un argument supplémentaire pour mettre fin aux titres de séjour territorialisés.
Après la catastrophe causée par le cyclone Chido, la population de Mayotte attend du Gouvernement qu'il propose des dispositions législatives fortes.
Monsieur le ministre, ne nous décevez pas. Les Mahorais ne demandent qu'une seule chose : que Mayotte soit « la France jusqu'au bout », jusqu'à eux.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ? Elles ne sont certainement pas toutes agréables à entendre, ni même faciles à admettre, mais, en politique, il est de la responsabilité du Gouvernement et des élus que nous sommes de dire la vérité aux Français. C'est une nécessité absolue, car accepter la réalité est l'unique façon d'apporter des solutions adéquates aux problèmes qui se posent.
À Mayotte, il y a une réalité, qui est surtout difficile à vivre pour les Mahorais. J'en profite pour leur témoigner notre solidarité, notre respect et notre reconnaissance. Étant élu d'un département modeste, les Ardennes, je sais combien la solidarité est importante. Il faut maintenant qu'elle s'exerce entre la métropole et les territoires ultramarins, en particulier Mayotte.
La réalité vécue par les Mahorais est d'ailleurs si peu agréable à regarder qu'il aura fallu les ravages d'un cyclone et ses conséquences dramatiques pour que deux projets de loi voient le jour : un projet de loi d'urgence, promulgué le 24 février dernier, et le présent projet de loi de programmation.
Nombre de mesures ont déjà été prises pour essayer de régler les problèmes propres à Mayotte, mais trop peu ont été effectivement mises en œuvre, en dépit de la gravité de la situation. D'où l'importance de la solidarité et des textes que je mentionnais.
Quelle est la réalité de Mayotte ? C'est celle d'un territoire marqué par la pauvreté, le chômage, une pression migratoire massive et un habitat informel incontrôlable.
Pourtant, ce territoire ne se résume pas à ces seuls éléments. Il constitue un atout géostratégique, en plus d'être caractérisé par une biodiversité exceptionnelle, parmi les plus importantes du monde, une culture particulièrement riche et un potentiel touristique sous-exploité. Ces formidables atouts sont cachés par des maux qui, jusqu'à aujourd'hui, le dépassent.
C'est surtout la réalité d'un département français à qui nous devons la même considération, le même respect qu'à n'importe quel territoire hexagonal. Cette considération doit d'ailleurs nous appeler à la mesure.
Ce projet de loi, comme son rapport annexé auquel renvoie l'article 1er, est ambitieux. Vous nous demandez de consentir à des investissements très importants, à hauteur de 3,17 milliards d'euros, comme l'a rappelé le rapporteur pour avis de la commission des finances.
Il est notamment question de réaliser un nouvel aéroport en Grande-Terre, de construire une cité judiciaire et un second centre hospitalier, de renouveler la flotte de gendarmerie maritime et de former 300 gendarmes et policiers auxiliaires.
En outre, 730 millions d'euros sont destinés à l'assainissement de l'eau – près de 30 % des Mahorais ne sont pas raccordés à l'eau potable, comme nous l'avons rappelé en commission des finances, mardi dernier – et 24 000 logements doivent être construits au cours des dix prochaines années.
Vous le savez, ce texte est porteur d'espoir pour les Mahorais. Les promesses sont nombreuses, mais beaucoup d'entre elles sont déjà formulées depuis des années. Il faut désormais qu'elles se concrétisent. C'est pourquoi nous nous réjouissons que la commission des lois ait adopté les amendements visant à instaurer une programmation annuelle des investissements présentés et leur évaluation régulière.
J'y insiste, il est indispensable que les promesses deviennent des objectifs. Qu'il s'agisse de lutter contre l'immigration illégale, l'habitat informel et l'insécurité ou d'accélérer la convergence sociale, le projet de loi porte des mesures fortes, mais strictement nécessaires face à l'ampleur de la situation.
Tout d'abord, allonger la durée de résidence pour bénéficier d'une carte de résident et conditionner l'obtention d'un titre de séjour à une entrée régulière sur le territoire apparaissent comme des mesures proportionnées dans un département où la moitié des étrangers sont en situation irrégulière.
Ensuite, réduire le délai d'exécution volontaire de l'ordre d'évacuation des bidonvilles nous semble justifié, alors que plus du tiers de la population mahoraise vit dans ce genre d'habitat.
Enfin, renforcer l'autorité du préfet sur l'ensemble des services de l'État à Mayotte nous paraît indispensable pour coordonner les actions et progresser en matière de reconstruction de logements, d'infrastructures et d'éducation prioritaire, notamment via le dispositif de zone franche globale.
Ce projet de loi s'attaque aux problèmes réels de Mayotte. Il contient des solutions adaptées, mais il sera malheureusement inutile si toutes les actions qu'il promet ne sont pas menées de front.
Parce que la clarté du statut et des compétences d'une collectivité est le préalable indispensable à son action et à son développement, nous soutiendrons ce texte. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires partage l'esprit du projet de refondation qui nous est proposé. Nous resterons cependant attentifs aux évolutions qui surviendront au cours de l'examen du texte.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd'hui à examiner un texte de programmation qui ne vise à rien de moins qu'à refonder Mayotte.
Le mot n'est pas trop fort, car ce territoire connaît une crise totale : une crise migratoire, cela a été rappelé, mais aussi une crise sociale, sécuritaire et institutionnelle, qui menace chaque jour davantage son avenir républicain.
Mayotte est submergée. Elle est submergée par une immigration incontrôlée d'une ampleur inédite, qui pèse lourdement sur les services publics, son système scolaire, son hôpital, son tissu social. Elle est submergée par la violence, l'économie informelle et l'habitat insalubre. S'y est ajoutée la catastrophe naturelle provoquée par le cyclone Chido, qui a révélé l'extrême vulnérabilité de l'archipel.
Ce projet de loi a le mérite d'apporter une réponse globale à cette situation dramatique ; il faut le saluer. Il touche à la fois à la sécurité, au droit des étrangers, au logement, à l'offre de soins, à l'éducation, aux infrastructures et au fonctionnement même de la collectivité territoriale.
Nous le disons avec clarté, il faut aller vite et fort. Surtout, il faut aller jusqu'au bout, car ce qui se joue ici n'est pas seulement le destin de Mayotte. C'est aussi l'autorité de la République. En effet, une république qui ne protège pas ses enfants, notamment les plus éloignés, qui ne maîtrise pas ses frontières et qui laisse prospérer l'inégalité est une république qui abdique.
Force est de le constater, la situation sécuritaire à Mayotte est explosive. Rarement un département français n'a connu, en temps de paix, une telle intensité de violences urbaines. Caillassages, affrontements entre bandes, attaques contre les forces de l'ordre, pillages : le climat est parfois presque insurrectionnel.
Nos policiers et gendarmes sont au front. La population mahoraise réclame leur protection, car elle semble livrée à elle-même. Elle demande surtout des actes. C'est pourquoi nous saluons la création d'un régime spécifique, encadré et efficace, de visites domiciliaires pour la recherche d'armes.
De même, le pouvoir donné au préfet d'ordonner la remise d'armes en cas de menace grave à l'ordre public est une mesure forte, attendue et nécessaire.
La sécurité ne peut être assurée sans une politique ferme, lucide et cohérente de lutte contre l'immigration clandestine. Le projet de loi comporte à ce sujet des avancées notables : conditionnement de la délivrance des titres de séjour à une entrée régulière, durcissement contre la reconnaissance frauduleuse de paternité, encadrement des aides au retour, retrait des titres de séjour pour les parents défaillants ou encore obligation de vérification du séjour pour les transferts de fonds. Ce sont autant de dispositifs que notre groupe appelle de ses vœux depuis un certain nombre d'années.
Cependant, nous devons aller plus loin. Mayotte ne peut pas devenir le réceptacle d'une pression migratoire inédite sans que la République en tire toutes les conséquences. Nous devons impérativement renforcer nos moyens de contrôle aux frontières, accélérer les reconduites et rétablir un lien clair entre la présence régulière et le droit au séjour.
La République ne peut pas être naïve. À Mayotte comme ailleurs, le respect du droit suppose d'abord et avant tout la fermeté.
Par ailleurs, nous approuvons l'accent mis sur la résorption de l'habitat informel et la sécurisation des quartiers, l'instauration de zones de rétention adaptées pour les familles, les nouveaux pouvoirs donnés aux forces de l'ordre pour les bidonvilles et les dérogations aux règles d'expropriation pour accélérer la reconstruction. Voilà des réponses concrètes, ciblées et efficaces.
Il faut adjoindre à ces mesures de sécurité indispensables une véritable ambition de développement, qui passe par la convergence sociale, promise d'ici à 2031, la relance de l'activité économique, grâce à la zone franche, l'amélioration de l'accès aux soins et la revalorisation des métiers de la fonction publique pour fidéliser les talents.
Il est également essentiel de mener une réforme institutionnelle claire et cohérente, qui permette à Mayotte d'assumer pleinement son statut de département-région.
Le groupe Les Républicains restera vigilant sur un point : il faut que cette programmation ne reste pas qu'une suite d'intentions. Nous voulons des moyens, des résultats et un calendrier rigoureux de mise en œuvre ; nous voulons que les Mahorais, qui sont des citoyens français à part entière, voient enfin la République tenir parole.
Mayotte est aujourd'hui en première ligne de tous les défis qui menacent notre cohésion sociale : immigration incontrôlée, insécurité, inégalité territoriale. C'est une ligne de front, mais c'est aussi un espoir, celui que la République, quand elle s'en donne les moyens, peut encore redresser, reconstruire, refonder.
Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi, tout en restant exigeant, vigilant et déterminé dans le cadre des discussions qui vont suivre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Salama Ramia. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Salama Ramia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte s'inscrit dans la continuité des engagements pris après le passage du cyclone Chido. Il en constitue le prolongement indispensable et marque un véritable point de départ, non plus pour répondre à l'urgence, mais pour engager durablement la reconstruction de Mayotte.
Certaines réponses attendues sont désormais actées – je m'en félicite –, mais d'autres doivent impérativement suivre, car un texte de programmation, par définition, engage l'avenir. Il nécessite également une vision de terrain, accompagnée d'un calendrier lisible.
Je salue ici le travail des rapporteurs, qui ont renforcé le texte avec des garde-fous et des dispositifs de suivi et de contrôle. Ils garantissent que les engagements de l'État ne restent pas lettre morte et qu'ils ne soient pas dilués lors de leur réalisation dans le temps.
C'est une exigence de bon sens, mais aussi de respect pour un territoire qui réclame un changement structurel. Quand on parle de programmation, on parle d'engagement et, surtout, de constance.
Dans le même esprit, je suis convaincue qu'un échéancier pourrait utilement s'appliquer au chantier de la convergence sociale, pour en garantir la progressivité, la lisibilité et la crédibilité. En effet, les attentes sont grandes, en particulier au sein du monde économique, frappé de plein fouet par le cyclone Chido et souffrant de difficultés ancrées dans le temps.
La création d'une zone franche globale représente une avancée que je soutiens, mais elle devra s'accompagner de dispositifs complémentaires, pour ne pas créer un écueil entre convergence sociale et attractivité économique.
Cette zone franche exonère les entreprises de l'impôt sur les bénéfices. Soit, mais compte tenu de la conjoncture, combien de chefs d'entreprise mahorais peuvent raisonnablement espérer des gains ? Nous devrions plutôt nous poser cette question : comment permettre aux entreprises d'embaucher, tout en renforçant l'attractivité ?
Dans cette perspective, j'ai déposé des amendements visant à permettre aux employeurs mahorais de bénéficier du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Nous pourrons ainsi soutenir les entreprises, tout en accompagnant la hausse des coûts liés à la convergence sociale.
D'autres mesures plus sensibles sont tout aussi essentielles, comme l'abrogation du titre de séjour territorialisé, spécifique à Mayotte. Ce dispositif enferme les étrangers en situation régulière dans l'île, contrevient au principe d'égalité devant la loi et transforme Mayotte en enclave migratoire. Ce n'est plus viable.
Aujourd'hui, dans l'attente de la reconstruction, ce sont les Mahorais eux-mêmes qui quittent Mayotte, vers La Réunion ou l'Hexagone, pendant qu'une population assignée à résidence y reste, sans perspectives, dans un territoire déjà saturé. C'est un système perdant-perdant. Je vous invite, chers collègues, à écouter ce que demandent les Mahorais, à entendre leur fatigue et l'injustice ressentie.
Tenez compte de leurs inquiétudes concernant l'article 19, qui autoriserait des expropriations immédiates selon une procédure d'urgence. Bien qu'il soit issu du droit commun, ce dispositif est inapplicable à Mayotte, faute de cadastre et d'identification foncière préalable. Il suscite des craintes légitimes chez les Mahorais, qui n'y voient pas les signes d'une reconstruction apaisée.
Après avoir souligné ces points de vigilance, je souhaiterais évoquer le volet institutionnel et son versant organique.
L'objectif d'un nouveau découpage électoral pour la collectivité de Mayotte vise à garantir une meilleure représentativité. Cette réforme, une fois aboutie, contribuera à une expression plus juste des voix de tous les Mahorais vers une organisation territoriale plus efficace.
Tel est l'objectif vers lequel doit tendre Mayotte. Cette dernière demande non pas un traitement d'exception, mais un traitement équitable. C'est un engagement auquel je suis profondément attachée. Il fait écho à la mission gouvernementale qui m'a été confiée aux côtés du général Facon, avec qui je mène un travail collaboratif et constructif.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte peut représenter un tournant, à condition qu'il continue de s'enrichir au fil des débats que nous aurons ensemble.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI soutiendra ce texte, tout en restant attentif aux engagements pris et, surtout, à leur mise en œuvre rapide et efficace sur le terrain. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains. – M. Saïd Omar Oili applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'acte III de la refondation de Mayotte est arrivé. Le Gouvernement présente un texte pour tenter de relever l'archipel de Mayotte, son économie et sa société, après des années de difficultés et le passage de deux cyclones.
Rappelons tout d'abord quelques chiffres. Mayotte est le département le plus pauvre de France, avec un PIB trois fois inférieur à la moyenne nationale. Aujourd'hui, 77 % de ses habitants vivent sous seuil de pauvreté et le taux de chômage s'y élève à 37 %. Sa population est jeune : la moitié a moins de 20 ans.
En plus de ces statistiques, Mayotte fait face à plusieurs problèmes d'ampleur. Premièrement, depuis 2023, l'archipel affronte une pénurie d'eau importante, qui a entraîné des restrictions et des coupures inacceptables pour un pays comme le nôtre.
De plus, Mayotte est, nous le savons tous, une destination de choix pour beaucoup d'immigrés comoriens, mais aussi pour de nombreuses personnes en provenance d'Afrique de l'Est et de la région des Grands Lacs.
Indépendamment de leurs motivations, ces immigrés, en grand nombre à Mayotte, sont avant tout des êtres humains qui cherchent une vie meilleure pour eux et leurs enfants. Pour autant, on ne peut nier que cette immigration a un impact fort sur la société mahoraise, en particulier pour l'accès aux services publics.
Mayotte est déjà un département à part, qui connaît de nombreuses exceptions en matière d'immigration. Ainsi, les titres de séjour délivrés ne sont valables qu'à Mayotte : ils ne permettent pas de rejoindre le territoire hexagonal ou un autre territoire ultramarin.
Le projet de loi que nous allons examiner tout au long de la semaine propose de durcir davantage le droit des étrangers.
Tout d'abord, l'article 2 renforce les conditions de délivrance des titres de séjour. Il instaure une condition d'entrée régulière sur le territoire pour les titres liés à l'immigration familiale et prolonge la durée de résidence habituelle ininterrompue pour l'obtention de certaines cartes de séjour. Ces dispositions vont forcément diminuer considérablement les titres de séjour délivrés.
Que ces résidents irréguliers repartent volontairement ou non dans leur pays d'origine, le plus souvent les Comores, une question demeure. Certes, moins d'immigrés obtiendront des titres de séjour, mais qu'est-ce qui va les empêcher de revenir ou d'entrer de nouveau sur le territoire mahorais ?
Certains Comoriens, expulsés parfois à de multiples reprises, se risquent encore et toujours à traverser le bras de mer qui sépare Anjouan de Mayotte, souvent dans des conditions dangereuses et en la compagnie d'enfants. J'aimerais que notre assemblée s'interroge sur les causes qui poussent ces gens à risquer leur vie plusieurs fois pour rejoindre la France.
Comme l'a affirmé le ministre lui-même devant la commission des lois, la semaine dernière, la question du dialogue et du développement des Comores doit désormais être mise sur la table. Je rappelle que, cette année, la France a amputé de 45 % son budget consacré à l'aide publique au développement (APD), un levier pourtant indispensable pour des pays comme les Comores ou Madagascar.
En outre, à Mayotte, 75 % de la population de plus de 15 ans n'a pas de diplôme qualifiant. Pourtant, le présent texte ne traite que trop peu du développement.
J'en viens à l'article 7, qui s'apprête à confirmer la possibilité de placer en rétention des étrangers accompagnés d'enfants mineurs à Mayotte.
Après une dizaine de condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration avait posé un principe clair : ces mineurs ne peuvent faire l'objet d'une décision de placement en rétention.
Certes, l'article 7 prévoit un enfermement qui aura lieu non pas au sein des centres de rétention administrative (CRA), mais dans des unités familiales. Il s'agit de bâtiments séparés qui feront l'objet d'une surveillance moindre. Le placement ne pourra excéder quarante-huit heures, mais un tel dispositif est-il bien compatible avec l'intérêt supérieur de l'enfant ? Permettez-nous d'en douter.
L'article 8 pose également question. Il permet de retirer le titre de séjour de parents du fait d'une potentielle menace pour l'ordre public constituée par le comportement de leur enfant. Cette réponse – une sanction visant à responsabiliser les parents – ne devrait-elle pas plutôt être préventive, éducative et sociale ? Ajoutons d'ailleurs que la notion de menace pour l'ordre public reste particulièrement floue.
En dehors du droit des étrangers, certaines mesures nous paraissent évidemment nécessaires, comme la modernisation des institutions mahoraises et la transformation de la collectivité en un département-région.
De même, notre groupe est favorable au rapprochement avec le droit commun des règles relatives au Smic et à certaines allocations sociales et familiales.
Toutefois, nous regrettons l'horizon qui a été retenu pour la convergence sociale, à savoir 2031. Plus largement, je ne puis m'empêcher de constater que ce projet de loi présente certaines contradictions.
D'un côté, son objectif évident, que l'on ne peut que partager et qui est, de fait, très attendu par les Mahorais, est de rapprocher Mayotte de la République par des mesures concrètes d'harmonisation. Les investissements de 3,2 milliards d'euros a minima répondent à une nécessité, et nous espérons que la feuille de route sera respectée.
De l'autre, ce texte approfondit, en matière de droit des étrangers, les exceptions et les dérogations élaborées pour ce territoire, alors que notre République est, malgré la possibilité d'adaptations législatives, indivisible avant tout, contribuant ainsi à marquer la différence entre l'Hexagone et Mayotte.
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen souhaite voter pour ce projet de loi ; le vote final sera néanmoins conditionné à l'évolution du texte et à nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui.
Mme Lana Tetuanui. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, après la Polynésie française la semaine dernière et Wallis et Futuna en début d'après-midi, nous voilà à Mayotte. Monsieur le ministre d'État, courage ! (Sourires.)
Je remercie les quelques collègues qui siègent aujourd'hui, alors qu'il est question de nos collectivités d'outre-mer.
Mes chers collègues, nous entamons l'examen du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, mais il aura fallu attendre pour cela le cyclone Chido, qui a ravagé l'archipel le 14 décembre 2024 et, dans une moindre mesure, la tempête tropicale Dikeledi, qui a frappé l'île un mois plus tard, le 12 janvier 2025, marquant tout autant les esprits et les corps. Les Mahorais ont été profondément affectés dans leur vie quotidienne. L'économie de l'île, déjà fragile, a été considérablement affaiblie.
Le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui présente une programmation pour la refondation de Mayotte, soit l'une des composantes du plan Mayotte debout présenté par le Gouvernement en décembre 2024, après le passage du cyclone.
Le texte comporte trente-quatre articles assortis d'un rapport annexé présentant les engagements ambitieux de l'État pour la période 2025-2031, dont un programme d'investissement prioritaire à hauteur de 3,2 milliards d'euros. Il contient des propositions ambitieuses et attendues.
Son premier volet concerne l'immigration irrégulière et les reconnaissances frauduleuses de paternité. Les propositions que vous formulez, monsieur le ministre d'État, sont attendues localement par nos compatriotes, et je salue le travail complémentaire effectué par nos deux collègues rapporteurs, Agnès Canayer et Olivier Bitz.
Mayotte subit en effet une pression démographique très forte : l'Insee estime que sa population atteindrait 321 000 personnes au 1er janvier 2024, mais ce chiffre est très en deçà de la réalité, d'après les nombreux élus auditionnés. Une moitié environ de la population mahoraise serait étrangère et un quart en situation irrégulière. Il convient donc d'agir pour endiguer cette explosion de la population, qui crée une forte pression sur les services publics et débouche sur un chômage massif.
Ces chiffres ont déjà été avancés, mais je tiens à rappeler que les trois quarts des plus de 10 000 naissances recensées à Mayotte en 2022 étaient le fait de mères de nationalité étrangère. Si nous n'agissons pas sur les flux migratoires, la population de Mayotte atteindra 760 000 habitants en 2050 ; elle serait en revanche limitée à 530 000 habitants si l'immigration était arrêtée.
Je tiens ici à soutenir la proposition du Gouvernement et des rapporteurs sur le titre territorialisé, créé par le gouvernement d'Édouard Balladur et spécifique au territoire de Mayotte. Nous en avons déjà débattu en commission la semaine dernière. Je considère qu'il faut maintenir le dispositif en vigueur et ne pas le remettre en cause.
En matière de migration, un autre sujet s'impose : le poids prépondérant de l'immigration familiale. Aujourd'hui, les titres de séjour au titre des liens personnels familiaux ou destinés aux parents d'enfants français représentent plus de 80 % des titres délivrés en 2024. Ils sont très majoritairement destinés à des étrangers en situation irrégulière : 93 % pour les premiers et 84 % pour les seconds.
Les mesures de durcissement proposées par le Gouvernement permettront de réguler davantage leur délivrance en la subordonnant à une entrée régulière sur le territoire et en portant de trois à cinq ans la condition de résidence régulière et continue pour la délivrance de la carte de résident destinée aux parents d'enfants français. Ces mesures vont dans le bon sens, et nous les soutenons. L'attente est grande sur l'île, et la refondation de Mayotte passe également par leur mise en place.
Concernant l'article 3, la centralisation des actes de reconnaissance de paternité et de maternité à Mamoudzou permettra, à mon sens, de mieux détecter les reconnaissances frauduleuses, bien trop nombreuses. Le durcissement des peines en cas de fraude constitue aussi une avancée, même si les fraudeurs ne seront sans doute pas systématiquement solvables.
L'article 8 rend possible le retrait du titre de séjour d'un étranger lorsque le comportement de son enfant constitue une menace pour l'ordre public. Cela permettra une plus grande responsabilisation des autorités parentales.
L'autre difficulté majeure à laquelle est confrontée Mayotte est l'habitat informel. En la matière, les chiffres sont alarmants : trois quarts des logements étaient déclarés insalubres avant le passage du cyclone.
La population vit dans des conditions extrêmement précaires en termes de santé et de salubrité, mais aussi d'exposition aux risques naturels. Les constructions sont trop souvent dénuées de fondations et bâties sur des terrains non constructibles soumis à des risques naturels. Cet habitat informel avait été massivement détruit par le cyclone Chido, mais il a été reconstruit depuis lors dans sa quasi-totalité.
Nous ne devons pas réitérer les mêmes erreurs. Le déficit structurel du parc d'hébergement rend matériellement impossible pour le préfet de proposer un hébergement ou un relogement aux personnes à évacuer : le taux d'occupation atteint 130 %.
L'article 10 du projet de loi vise à faciliter les opérations de résorption de l'habitat informel à Mayotte en réduisant le délai d'exécution volontaire de l'ordre d'évacuation des bidonvilles d'un mois à quinze jours. Les efforts en faveur de la construction de logements, freinés par les poches d'habitat informel, doivent être intensifiés. Je rappelle que l'objectif de construire 24 000 logements en dix ans ne pourra être atteint sans lever les freins à la construction.
Tels étaient, mes chers collègues, les points saillants de ce projet de loi sur lesquels je souhaitais revenir lors de cette discussion générale.
Monsieur le ministre d'État, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera bien sûr ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, ces projets de loi visant à refonder Mayotte ont l'ambition de porter des mesures structurelles de long terme, à même de garantir le développement du territoire. De telles mesures se font attendre depuis trop longtemps dans un département qui souffre du sous-investissement de l'État dans tous les domaines.
À Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, une proportion cinq fois plus élevée qu'en Hexagone.
Pourtant, ce texte traduit aussi très explicitement la première inquiétude du Gouvernement quand il s'agit de Mayotte, et il ne s'agit ni de la pauvreté ni de l'injustice sociale. Aveuglé par la question migratoire et emporté dans une croisade contre l'immigration, le Gouvernement s'attache, dans les titres Ier et II, à faire de Mayotte une terre où l'on piétine les droits de l'homme, une terre d'oppression pour les enfants selon leur origine ou leur parenté. Améliorer la vie des Mahorais demeure un objectif secondaire.
En réalité, il est illusoire de penser que retirer des droits aux uns augmenterait mécaniquement ceux des autres. Ces premiers articles sont particulièrement dangereux. J'ai notamment à l'esprit la création d'unités familiales qui permettront d'enfermer les enfants, ainsi que le retrait des titres de séjour des parents lorsque leur enfant constituerait une menace pour l'ordre public.
Nous déplorons que vous mettiez toujours plus l'accent sur le répressif, au détriment de l'éducatif, alors que le département de Mayotte souffre de carences systémiques dans les dispositifs de protection de l'enfance.
Aucune de vos mesures restreignant le droit du sol n'a endigué les flux migratoires ni amélioré la situation de l'île. Leur seul résultat est de maintenir les étrangers à Mayotte dans une situation d'insécurité juridique et de précarité administrative permanente, freinant leur intégration, pesant sur le développement de l'île et nourrissant la haine de l'autre.
Ce maintien artificiel dans l'irrégularité, couplé à la complexité administrative, freine considérablement l'accès aux soins, dans un département où le taux d'affiliation est très faible. Les ruptures de prise en charge sont fréquentes dans l'attente du renouvellement d'un titre de séjour, y compris pour des personnes parfaitement intégrées.
Cette situation contraint trop souvent les associations à pallier les manques de l'État et à prendre son relais pour aider les personnes exclues du système de santé. La forte prévalence des maladies infectieuses à Mayotte nécessite pourtant un accès aux soins universel pour éviter la propagation des épidémies, pour la santé publique et celle de toute la population.
Nous saluons néanmoins la création d'une région de Mayotte, revendication que mon groupe porte de longue date, ainsi que le zonage de l'intégralité du département en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) et les objectifs de convergence sociale. Cette démarche était plus qu'attendue dans un département où le Smic horaire brut est abaissé à 8,90 euros, contre 11,88 euros au niveau national, et où le revenu de solidarité active (RSA) demeure inférieur de 50 % à celui qui est en vigueur dans le reste de la France.
La convergence est bien un chemin vers l'égalité ; nous la souhaitons la plus rapide possible. L'objectif d'une égalité réelle en 2031, et pas un jour plus tard, est fixé, nous entendons que vous ne reculiez pas.
Je regrette cependant le manque d'ambition de ce texte pour nos jeunes. Il faut investir immédiatement et massivement dans l'éducation, dans un département où un habitant sur deux a moins de vingt ans. Nous partageons l'ambition de mettre fin à la rotation scolaire, mais le délai avancé de 2031 n'est pas en phase avec l'urgence de la situation.
L'insertion professionnelle des jeunes doit également constituer une priorité. L'insuffisance de la formation ne permet pas de répondre à toutes les ambitions sur ce territoire.
Enfin, la territorialisation des titres de séjour bloque les jeunes à Mayotte, où ils se trouvent piégés, sans solution pour étudier ou pour se former. Monsieur le ministre, si ce projet de loi a été élaboré en concertation avec les élus locaux, comme vous le dites, pourquoi ne pas répondre à leur demande largement partagée de mettre fin à ce dispositif ?
En définitive, la situation de Mayotte appelait une écoute encore plus attentive des acteurs de terrain et des mesures encore plus ambitieuses. Le rattrapage ne saurait se faire à moitié ; les moyens devront être au rendez-vous.
Nous sommes donc mitigés face à ce projet de loi dangereux pour les plus vulnérables et encore trop timide sur les progrès sociaux. Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky s'abstiendra donc. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, après une première loi d'urgence adoptée en février dernier pour faire face aux conséquences du cyclone Chido, nous examinons aujourd'hui deux projets de loi, l'un comportant des mesures structurelles pour la refondation de Mayotte, l'autre relatif au département-région de Mayotte.
Nous ne pouvons que saluer votre objectif louable, monsieur le ministre d'État : corriger durablement les difficultés du territoire. En effet, cela fait bien longtemps que le département de Mayotte connaît une accumulation de crises, et le cyclone n'a fait qu'exacerber les manques et les difficultés.
Certes, le territoire est confronté à une très forte pression migratoire, mais c'est un système entier qu'il est urgent de revoir. L'appareil éducatif est dépassé, l'accès à l'eau potable n'est pas assuré, les logements manquent et sont particulièrement précaires, le taux de chômage est très élevé en raison d'un manque criant d'emplois.
Nous avons tous été choqués par les propos du Président de la République lors de son déplacement après le cyclone en décembre dernier : « Si ce n'était pas la France, vous seriez dix mille fois plus dans la merde. » Il a ainsi insulté les Mahorais, alors qu'on leur distribuait des boîtes de sardines pour leur permettre de survivre.
Oui, Mayotte c'est la France, mais, avant tout, ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui font pleinement partie de notre République. Or, depuis de nombreuses années, celle-ci n'est pas à la hauteur à Mayotte.
Monsieur le ministre d'État, nous savons bien que vous ne pourrez pas régler des problèmes aussi profonds en un coup de baguette magique et en quelques mois, mais nous vous demandons de ne pas faire de la lutte contre l'immigration l'alpha et l'oméga d'une reconstruction qui mérite bien plus de hauteur et bien moins de caricatures.
À Mayotte, Comoriens et Mahorais se côtoient et vivent ensemble depuis toujours. Il est inutile et dangereux de chercher à les dresser les uns contre les autres.
Nous considérons que ce n'est pas agir pour la refondation de Mayotte que de durcir les conditions d'accès au séjour pour les parents d'enfants nés à Mayotte en les maintenant ainsi dans une situation d'irrégularité manifeste, donc de précarité, qui toucherait la famille tout entière.
Nous considérons également que ce n'est pas agir pour la refondation de Mayotte que d'autoriser l'enfermement des enfants dans des unités familiales qui ne sont en réalité que des centres de rétention administrative (CRA) déguisés, des lieux de privation de liberté. Alors que nous avons voté en 2023 la fin de la rétention des mineurs étrangers, vous entendez en réalité les prolonger. Nous condamnons fermement ce reniement du Gouvernement.
Nous ne voyons pas bien non plus en quoi expulser les habitants de leur logement, même informel, sans aucune obligation de relogement, aidera à la refondation de l'île.
À Mayotte, la moitié de la population a moins de 20 ans, et ce n'est pas en précarisant et en maltraitant la jeunesse de l'île que nous aiderons à la reconstruction.
Toutes les mesures qui visent à accompagner la jeunesse pour la mobilité et les activités périscolaires, à assurer une convergence des droits sociaux avec l'Hexagone ou encore à moderniser le fonctionnement institutionnel de Mayotte vont dans le bon sens, et le groupe socialiste les soutiendra.
En revanche, et nous le disons depuis de nombreuses années maintenant, une demande unanime émanant du territoire mahorais n'est pas prise en compte par ce texte, bien qu'elle soit nécessaire : la fin des visas territorialisés.
Ces titres de séjour d'exception accentuent la pression sur l'île de Mayotte, laquelle n'est plus capable de gérer à elle seule un tel défi migratoire. Cette situation entraîne la prolifération des bidonvilles, la saturation des services publics, de la santé, de l'éducation nationale, des réseaux d'adduction d'eau et d'assainissement ou encore la dégradation accélérée de l'environnement et du lagon.
Il est totalement irrationnel de ne pas revenir sur ces visas. Les titres de séjour délivrés à Mayotte doivent permettre l'accès à l'ensemble du territoire national. Aussi, nous proposerons une nouvelle fois une telle évolution.
Le groupe SER sera à la hauteur du débat pour reconstruire durablement l'île de Mayotte, mais pas à n'importe quel prix, et surtout pas en cédant à des obsessions migratoires et en votant contre l'intérêt de sa jeunesse. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. La sénatrice de la Polynésie française nous a invités tout à l'heure à débattre avec courage des territoires ultramarins. Nous le faisons ici avec plaisir…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et avec gravité !
M. Manuel Valls, ministre d'État. … et surtout avec gravité, en effet, parce que Mayotte est confrontée à des problèmes majeurs.
Nous aurons l'occasion de revenir sur l'ensemble des sujets abordés quand nous examinerons les amendements, mais je souhaite d'ores et déjà apporter quelques réponses aux questions qui m'ont été posées.
Madame la sénatrice Agnès Canayer, il faut en effet articuler ce texte de loi avec la stratégie de reconstruction. Le général Facon me présentera une première version de cette stratégie demain matin, qui pourra donc nourrir une partie de mes réponses. Celle-ci comprendra quatre axes principaux : sécurité, développement, gouvernance et coopération régionale. Elle devra évidemment être partagée avec les élus. Je rencontre d'ailleurs demain soir le président du conseil départemental et je rappellerai ce point au général Facon.
Cette stratégie, dont la structure sera calquée sur le rapport annexé, doit être validée lors du prochain comité interministériel aux outre-mer, qui aura lieu le 10 juillet prochain. À ce titre, les dispositions des amendements visant à prévoir des modalités de suivi et d'évaluation vont évidemment dans le bon sens.
Monsieur le sénateur Olivier Bitz, l'article 2 prévoit un durcissement des conditions de délivrance des titres liés à l'immigration familiale. La portée de cet article ne doit pas être minimisée : la délivrance ou le renouvellement des titres liés à l'immigration familiale représentait 85 % de l'ensemble en 2023, son évaluation, introduite de même par un amendement en commission tout à fait bienvenu, sera utile pour en mesurer l'impact.
En matière de lutte contre l'immigration clandestine (LIC), nous avons besoin de développer une culture de l'évaluation au service d'une culture du résultat, parce que nous visons l'efficacité.
Madame la présidente Micheline Jacques, vous pointez à juste titre la défaillance de la gouvernance en matière de pêche professionnelle. Nous l'avions déjà évoqué, et j'ai pu m'en rendre compte sur place dès le mois de janvier. La zone économique exclusive représente pourtant une source majeure de ressources halieutiques et la pêche professionnelle constitue un vivier d'emploi important qui doit contribuer à la souveraineté alimentaire de Mayotte, ainsi que je le rappelais notamment au commissaire européen.
Effectivement, Mayotte doit disposer d'un comité des pêches de plein exercice, et l'État devra accompagner les pêcheurs, afin que ceux-ci démontrent leur capacité à se fédérer et à se structurer ; il appartient à la profession d'aller dans ce sens, avec les élus, et l'État viendra en soutien.
Vous avez également rappelé les éléments concernant la politique de la ville. Juliette Méadel a déjà obtenu un million d'euros pour commencer le rattrapage dans la loi de finances pour 2025 ; nous sommes déterminés à approfondir ce rattrapage au cours de l'ensemble de la période de refondation.
Monsieur le sénateur Stéphane Fouassin, vous avez avancé une observation concernant le chiffrage du tableau, lequel serait incomplet. Le Gouvernement portera un amendement pour préciser les investissements. Repartir des plans et des contrats existants témoigne, me semble-t-il, de notre responsabilité, et l'amendement adopté en commission aura pour objet d'affiner la programmation.
Vous avez formulé une seconde observation concernant la zone franche globale. Vous rappelez à juste titre le signal fort ainsi envoyé aux entreprises, en particulier les PME. Ce dispositif intégrera les activités libérales, l'hôtellerie, la restauration ou encore les secteurs de la santé et de l'action sociale. La zone franche représente un effort de 18 millions d'euros au service de l'emploi et de la croissance.
Madame la sénatrice Mélanie Vogel, il est inexact de soutenir que la refondation de Mayotte éluderait sa dimension sociale. Nous voulons non pas seulement reconstruire Mayotte, mais bien refonder ce territoire.
Cet effort est nécessaire tout d'abord sur les plans économique et social, mais nous avons toujours indiqué que, si nous n'abordions pas les questions de fond qui minent le pacte social mahorais, c'est-à-dire l'immigration illégale et l'habitat illégal, nous ne pourrions pas rebâtir sur des bases sérieuses le territoire.
Cette convergence sociale fait partie de la promesse républicaine. M. le sénateur de Mayotte Saïd Omar Oili m'a rappelé que nous avions signé ensemble le plan Mayotte 2025, qu'avait annoncé le président François Hollande en 2014. Les hasards de la vie font que, en 2025, je me trouve à présenter deux textes de loi, certes après un cyclone, concernant ce territoire.
Nous sommes encore loin de cette promesse républicaine, soulignée par la catastrophe naturelle, mais nous fixons des objectifs d'égalité républicaine pour les prestations sociales, qui doivent être alignées sur celles de l'Hexagone. Affirmer que nous pourrions le faire dès 2026 relèverait de la démagogie, mais nous pourrons alors entamer le processus de convergence.
Nous pourrions également évoquer le nouveau site hospitalier à Combani, le deuxième institut de formation en soins infirmiers et la fin de la rotation scolaire, certes difficile à mettre en œuvre, tant la question de l'école est incontestablement au cœur de ce pacte républicain que nous devons à nos compatriotes mahorais.
Mon ambition, notamment sociale, est articulée avec l'engagement économique, et je veux associer compétitivité des entreprises, efficacité, prospérité économique et développement social du territoire. Nous devons assumer cette méthode. C'est tout le sens de la priorité donnée au travail et à la convergence du Smic que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer.
Madame la sénatrice, la lutte contre l'émigration clandestine doit être une priorité. Il s'agit d'une réalité de ce territoire, et vous ne trouverez aucun Mahorais pour la contester. Nous sommes d'ailleurs parfois en désaccord avec certains élus mahorais sur les outils, par exemple sur le titre territorialisé.
Pour autant, il est faux de dire que rien n'est fait ou ne se fera pour l'école. La construction des écoles est prioritaire dans le fléchage des crédits d'amorçage de 100 millions d'euros et 700 millions d'euros sont inscrits dans le rapport annexé pour poursuivre la construction des nouveaux établissements scolaires.
En ce qui concerne l'eau, qui est un enjeu majeur, je rappelais à la tribune qu'il nous faut être vigilants. Lors de mon déplacement en avril dernier, j'ai rencontré l'ensemble des acteurs concernés.
Nous avançons, notamment en matière de grandes infrastructures : l'arrêté d'autorisation des travaux de l'usine de dessalement est signé et l'acquisition du foncier nécessaire à la construction de la troisième retenue collinaire suit son cours.
Par ailleurs, les campagnes de forage se poursuivent et se déroulent plutôt bien et quelque 2 millions de litres d'eau arriveront prochainement à Mayotte par voie maritime.
Le travail continue, car beaucoup reste à faire, notamment avec le syndicat mixte Les eaux de Mayotte (Lema) pour lutter contre les fuites après compteur. Plus de 700 millions d'euros sont engagés pour financer ces différents dispositifs.
Monsieur le sénateur Omar Oili, la phase 2 de la mission inter-inspections pour reconstruire Mayotte que vous évoquez n'est pas terminée. Dès lors que ses travaux seront achevés, je vous transmettrai, ainsi qu'à l'ensemble des sénateurs, son second rapport. Les hauts fonctionnaires chargés de ce dossier ont bien travaillé et je n'ai absolument rien à cacher.
Le tableau de programmation figurant dans le rapport annexé comprend 3,2 milliards d'euros d'investissements. Par l'amendement n° 155 rectifié bis, je vous proposerai de porter ce montant à près de 4 milliards d'euros. Le montant de 6 milliards que vous avancez, monsieur le sénateur, correspond à la somme de 3,2 milliards d'euros que je viens d'évoquer et au coût évalué des dégâts, qui s'établit à 3,5 milliards d'euros et qui comprend notamment le coût des bidonvilles. Il nous faudra toutefois affiner ces montants chaque année en fonction de l'évolution des projets.
Si je comprends vos doutes, monsieur Oili, je tiens à préciser que c'est la première fois qu'une telle somme est engagée. Ce sera le travail du Parlement – je sais que les sénateurs le mèneront avec exigence – que de contrôler l'emploi de ces crédits et d'en affiner les montants dans le cadre de la programmation qui vous est proposée.
Vous avez également évoqué les prêts à taux zéro. Lors de la visite du Président de la République, nous avons constaté que les banques faisaient incontestablement blocage. Ceux-ci ont été levés, de sorte que les dossiers des Mahorais sont désormais acceptés. Le préfet François-Xavier Bieuville réunira les banques demain pour faire le point. On peut toujours espérer que les choses aillent plus vite, mais sachez que nous suivons la situation de près et que nous maintenons la pression sur les banques.
Vous avez en outre abordé la situation de la pêche et la redevance thonière : oui, 1,6 million d'euros sont bien disponibles pour cette filière. Si les choses n'avancent pas, cela s'explique sans doute par l'affaiblissement de l'administration maritime, conjugué à la dispersion d'une filière qui a du mal à parler d'une seule voix.
Sur ce sujet comme sur d'autres, je compte sur la mobilisation des élus locaux comme des parlementaires pour avancer.
Les sénateurs Laménie et Le Rudulier, ainsi que la sénatrice Lana Tetuanui ont apporté à ce texte leur soutien exigeant – c'est du moins ainsi que je l'entends. Je les en remercie.
Vous soulignez avec raison qu'en matière d'immigration, les mesures législatives ne suffiront pas, monsieur Le Rudulier. La stratégie du « mur de fer », qui est présentée dans le rapport annexé, ne relève pas de la loi, mais elle nous dote de leviers efficaces : hausse des moyens et des effectifs, nouveaux rapports avec les Comores, etc..
Madame la sénatrice Ramia, vous appelez de vos vœux un échéancier en matière de convergence sociale. Je partage votre analyse ; tel est du reste précisément l'objet des ordonnances qui seront prises sur le fondement de l'article 15. En amont, dans les jours qui viennent, le préfet Bieuville et le général Facon remettront le rapport prévu à l'article 36 de la loi du 24 février 2025 d'urgence pour Mayotte. Ce document devrait fixer les grandes étapes de cette convergence et la méthode de concertation qui doit y présider.
Sur le fond, comme vous l'avez parfaitement indiqué, l'enjeu consiste à articuler la convergence sociale et le développement économique. La priorité est à mes yeux d'accompagner la hausse du Smic afin de préserver la compétitivité des entreprises. Je propose, dans ce cadre, de privilégier le déploiement du droit commun à Mayotte, notamment en matière d'allègements de cotisations, plutôt que de renforcer la spécificité mahoraise en matière de CICE. Dans le cadre d'une ambition globale de convergence, il me paraît en effet contre-intuitif – je dis très modestement – de renforcer un dispositif qui est déjà dérogatoire.
Si je partage pleinement votre objectif, je vous propose d'actionner d'autres leviers pérennes. Je ne doute pas que vous défendrez vos propositions avec conviction et j'écouterai vos arguments lors de l'examen des amendements, madame la sénatrice.
En ce qui concerne l'article 19, nous avons hélas ! un désaccord. Nous avons beaucoup écouté les élus des territoires afin de trouver des pistes de convergence tout en essayant de répondre aux inquiétudes.
Les dispositions de cet article visent à accélérer la construction des infrastructures essentielles à Mayotte. Elles tiennent compte des difficultés rencontrées sur le territoire dans l'identification de certains propriétaires afin de ne pas bloquer les travaux, tout en garantissant – je le répète – les droits attachés à la propriété privée.
Cet article – nous aurons l'occasion d'en débattre lors de l'examen des amendements – est donc strictement encadré sur le plan juridique.
Mesdames les sénatrices Sophie Briante Guillemont et Corinne Narassiguin, vous reprochez à ce texte l'importance donnée aux questions d'immigration. Si les volets relatifs à l'immigration et à la sécurité ont en effet une place importante au sein de ce texte, je vous répondrai que, tout en comprenant vos positions, vous donnez à ces sujets une place encore plus grande dans le débat. Si nous n'avions pas pris en charge ces deux volets, nous aurions du reste essuyé de nombreux reproches légitimes. Pour autant, de grâce, ne réduisez pas à ces deux volets ce texte ambitieux, qui présente une stratégie globale et engage des moyens financiers importants.
L'article 7 autorise le placement, pour une durée maximale de soixante-douze heures, d'un étranger accompagné d'un mineur dans une unité familiale. Cette disposition permet de pallier l'interdiction, instaurée par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, de placer en rétention des familles avec mineurs.
De nombreux mineurs tentant la traversée en kwassa-kwassa, il serait irresponsable de ne pas organiser leur prise en charge dès lors que leur embarcation de fortune est interceptée. Prenons garde à ne pas sous-évaluer cette situation dramatique. L'unité familiale permet d'éviter de séparer un enfant de ses parents afin de le mettre en sécurité le temps d'organiser l'éloignement.
La pauvreté et la justice sociale ne sont pas des enjeux oubliés par le Gouvernement, bien au contraire, madame la sénatrice Corbière Naminzo. Lutter contre l'habitat insalubre, c'est refuser d'institutionnaliser des bidonvilles, expression urbanistique de la pauvreté s'il en est une. Renforcer le dispositif de détection et d'interception des kwassa-kwassa, c'est limiter les entrées illégales qui déstabilisent le système de soins, la cohésion sociale et le marché du travail.
Un texte prévoyant d'agir en douze mois pour accélérer la convergence sociale dès 2026 peut-il, du reste, être critiqué au motif qu'il négligerait la justice sociale ? Non, et je crois au contraire que ce texte est équilibré.
Chacun connaît enfin les termes du débat politique relatif au titre de séjour territorialisé que vous avez évoqué, madame la sénatrice. La lutte contre l'immigration clandestine doit être appréhendée dans sa globalité.
Les conditions d'accès à la nationalité française ont été durcies après l'adoption de la proposition de loi visant à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte, la validation de ce texte par le Conseil constitutionnel et sa promulgation le 12 mai 2025. Si, comme vous le savez, je suis contre la remise en cause du droit du sol, je reconnais que ce dispositif de restriction permettra de lutter contre l'immigration clandestine. Il ne réglera bien évidemment pas tous les problèmes, mais il constitue un outil supplémentaire.
Nous proposons par ailleurs de renforcer les moyens technologiques et humains du dispositif de détection et d'interception. Comme le Président de la République s'y est engagé à Mayotte, et comme cela est précisé dans le rapport annexé, nous allouons 52 millions d'euros supplémentaires à ce dispositif.
Le Président de la République, que vous avez mis en cause, madame la sénatrice Narassiguin, ne peut pas se défendre dans cet hémicycle. Permettez-moi donc de rappeler qu'il s'est rendu à Mayotte dans les quelques jours qui ont suivi le cyclone, puis de nouveau il y a quelques semaines avec plusieurs membres du Gouvernement de François Bayrou. Les textes que je vous présente aujourd'hui ont naturellement été présentés en conseil des ministres.
Soyez donc assurée que le chef de l'État est engagé et que l'ensemble de l'exécutif partage la même volonté d'aider, de protéger et de répondre aux exigences des Mahorais. Ces derniers veulent à juste titre être considérés et respectés par la Nation comme des citoyens à part entière.
En tout état de cause, notre réponse, forte et globale, vise à la plus grande efficacité. Le travail mené par les commissions du Sénat a déjà contribué à renforcer les dispositifs et les moyens proposés par le Gouvernement, et je ne doute pas que le texte sera encore amélioré lors de nos débats.
Si le sujet est grave, c'est avec plaisir que je m'engage avec vous dans ce travail commun sur les deux présents textes, mesdames, messieurs les sénateurs. Dans ce moment de doute, je crois qu'il constitue la meilleure réponse politique aux attentes de nos compatriotes mahorais. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 20 mai 2025 :
À neuf heures trente :
Questions orales.
À quatorze heures et le soir :
Une convention internationale examinée selon la procédure d'examen simplifié :
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et les Nations unies portant sur les arrangements relatifs aux privilèges et immunités ainsi que d'autres questions afférentes aux réunions des Nations unies tenues sur le territoire français (texte de la commission n° 590, 2024-2025) ;
Suite du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (procédure accélérée ; texte de la commission n° 613 rectifié, 2024-2025) et du projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte (procédure accélérée ; texte de la commission n° 614, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER