Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Nicole Bonnefoy, Mme Sonia de La Provôté.

1. Communication relative à une commission mixte paritaire

2. Programmation pour la refondation de Mayotte et Département–Région de Mayotte. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission modifiés

Vote sur l’ensemble

M. Marc Laménie

Mme Agnès Canayer

Mme Salama Ramia

Mme Sophie Briante Guillemont

M. Olivier Bitz

Mme Cécile Cukierman

Mme Antoinette Guhl

M. Saïd Omar Oili

M. Christopher Szczurek

projet de loi de programmation pour la refondation de mayotte

Adoption, par scrutin public solennel n° 292, du projet de loi dans le texte de la commission , modifié.

projet de loi organique relatif au département-région de mayotte

Adoption, par scrutin public solennel n° 293, du projet de loi organique dans le texte de la commission , modifié.

M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des outre-mer

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

3. Mise au point au sujet d’un vote

4. Comment nos politiques publiques peuvent-elles contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays ? – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité

Débat interactif

M. Daniel Laurent ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité.

M. Bernard Buis ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité.

M. Michel Masset ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité ; M. Michel Masset ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.

M. Jean-François Longeot ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité.

Mme Marie-Claude Varaillas ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité.

M. Guillaume Gontard ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité.

M. Serge Mérillou ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité.

M. Jean-Luc Brault ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité.

Mme Patricia Demas ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité ; Mme Patricia Demas.

Mme Denise Saint-Pé ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité.

M. Patrice Joly ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité ; M. Patrice Joly.

Mme Marie-Jeanne Bellamy ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité.

M. Jean-Claude Tissot ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité.

Mme Sabine Drexler ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité.

Mme Martine Berthet ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité.

M. Olivier Paccaud ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité ; M. Olivier Paccaud.

Conclusion du débat

Mme Anne Ventalon, pour le groupe Les Républicains

5. Avenir du groupe La Poste – Débat organisé à la demande de la commission des affaires économiques

M. Patrick Chaize, au nom de la commission des affaires économiques ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics ; M. Patrick Chaize.

M. Bernard Buis ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics.

Mme Guylène Pantel ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics ; Mme Guylène Pantel.

Mme Denise Saint-Pé ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics.

M. Gérard Lahellec ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics.

Mme Antoinette Guhl ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics ; Mme Antoinette Guhl.

M. Jean-Jacques Michau ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics ; M. Jean-Jacques Michau.

M. Stéphane Ravier ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics.

M. Jean-Luc Brault ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics.

Mme Marie-Jeanne Bellamy ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics.

M. Franck Menonville

M. Sébastien Fagnen ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics ; M. Sébastien Fagnen.

M. Damien Michallet ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics ; M. Damien Michallet.

M. Laurent Burgoa

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics

Conclusion du débat

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques

6. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Nicole Bonnefoy,

Mme Sonia de La Provôté.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix-huit heures trente.)

1

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l’enseignement supérieur est parvenue à l’adoption d’un texte commun. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

2

Article 5 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte
Discussion générale (fin)

Programmation pour la refondation de Mayotte et Département–Région de Mayotte

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission modifiés

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutins publics solennels sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (projet n° 544, texte de la commission n° 613 rectifié, rapport n° 612) et sur le projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte (projet n° 545, texte de la commission n° 614, rapport n° 612).

La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.

Mes chers collègues, je vous rappelle que ces deux scrutins s’effectueront depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.

Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

Vote sur l’ensemble

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC et au banc des commissions.)

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier sincèrement l’ensemble des rapporteurs du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte – rappelons que pas moins de quatre commissions permanentes ont été saisies : la commission des lois, la commission des finances, la commission des affaires économiques et la commission des affaires sociales –, ainsi que l’ensemble des services de notre institution.

Alors que nous sommes appelés à nous prononcer sur ce texte essentiel, je vais tout de suite lever le suspense : notre groupe le votera unanimement. Il s’agit en effet d’un projet de loi important – je dirais même fondamental – pour Mayotte, tant il comporte des mesures fortes visant, enfin, à refonder l’archipel.

Les débats que nous avons eus mardi dernier étaient fort intéressants. Face à une situation particulièrement grave, il est crucial que les parlementaires de métropole soutiennent leurs collègues ultramarins, notamment mahorais, et les populations.

Dans ce texte, l’État s’engage financièrement, à hauteur de plusieurs milliards d’euros, pour les années à venir. Cet engagement prend notamment la forme d’un programme d’investissements de 3,17 milliards d’euros. Le présent projet de loi crée également un cadre dérogatoire notable en matière de sécurité et d’immigration.

Ce sont autant de sujets qui résonnent ou devraient résonner chez les représentants de la Nation que nous sommes.

Durant son examen en séance, ce projet de loi n’a pas été profondément modifié. Au vu de ces trente-quatre articles et des nombreuses mesures qu’il comprend, il l’a même été très peu. Cela montre que ce texte est à la fois complet et équilibré : complet, car il s’attaque à l’ensemble des fléaux qui touchent Mayotte ; équilibré, car, même si plusieurs mesures peuvent choquer une partie de l’hémicycle, celles-ci sont strictement nécessaires et adaptées à la situation mahoraise.

Force est de constater l’impuissance actuelle à endiguer le développement de l’habitat informel et l’inadéquation des mesures en vigueur avec la réalité de Mayotte. Par son ampleur, un tel phénomène ne s’observe dans aucun autre département.

En réduisant le délai applicable aux ordres d’évacuation des bidonvilles et en assouplissant l’obligation faite au préfet de proposer un relogement, le présent texte donnera au représentant de l’État les moyens de faire face à la gravité de la situation.

Le projet de loi a aussi pour ambition de soutenir la construction de 24 000 nouveaux logements au cours des dix prochaines années. Là encore, le renforcement de l’autorité du préfet sur l’ensemble des services de l’État à Mayotte permettra de coordonner leur action pour accélérer la production de ces constructions indispensables.

Concernant la pauvreté, l’article 15 renforce la convergence sociale du territoire par rapport à l’Hexagone. Il permettra de combler un retard considérable, alors que le niveau de vie médian des Mahorais est sept fois plus faible qu’en France métropolitaine.

Le texte assortit cette mesure de dispositifs visant à dynamiser le développement économique du territoire, tandis que le taux d’emploi à Mayotte n’est que de 23 %. Offrir des perspectives d’emploi aux Mahorais est certainement la meilleure façon de lutter contre la pauvreté.

Sur ce point, le chantier est vaste : aujourd’hui, il faut en effet développer la filière du tourisme, de la pêche et de l’aquaculture, renforcer l’attractivité de certaines professions sur le territoire, amplifier la coopération régionale avec la Tanzanie, le Kenya, l’Afrique du Sud ou le Mozambique, ou encore orienter l’offre de formation vers l’enseignement, la sécurité, le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP), la pêche et les métiers des soins. Voilà tout ce que prévoit ce texte.

Pour lutter contre l’immigration illégale, le projet de loi prévoit plusieurs mesures fortes et nécessaires. Alors que 80 % des titres délivrés en 2024 correspondent à des titres de séjour « parent d’enfant français » et « liens personnels et familiaux », il contribuera notamment à mieux lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité.

Le texte crée par ailleurs une condition de résidence de sept ans pour l’obtention d’une carte de séjour « liens personnels et familiaux » et porte à cinq ans la durée de résidence pour la délivrance de la carte de résident « parent d’enfant français ».

Toutes les mesures de ce projet de loi sont indispensables pour, enfin, créer les conditions nécessaires au développement de Mayotte, cent unième département français, mais aussi département le plus pauvre de France.

J’ai eu l’occasion de le dire lors de la discussion générale, Mayotte ne pourra avancer que si toutes les causes qui sont à l’origine de ses difficultés sont traitées en même temps. On mesure tout le chemin qu’il reste à parcourir…

Les Mahorais comptent sur vous, monsieur le ministre d’État. Ils comptent aussi sur nous. Surtout, ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Excellent !

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, cela fait maintenant près de six mois que le cyclone Chido a frappé Mayotte, causant de terribles dégâts matériels et, surtout, humains.

Très rapidement, dans les heures qui ont suivi, toutes les institutions de la République se sont mobilisées pour venir en aide au département. Deux mois plus tard, le 24 février 2025, la loi d’urgence pour Mayotte était promulguée. Le Sénat, chambre des territoires, avait apporté sa pierre à l’édifice, en prêtant une attention toute particulière à l’archipel.

À présent, nous allons prolonger cette contribution à l’effort de reconstruction et de refondation au long cours de Mayotte. Car il ne s’agit plus désormais de traiter les urgences, mais bien de répondre aux problématiques de fond affectant ce morceau de France dans l’océan Indien.

Permettez-moi, en cet instant, de faire mienne la formule employée par nos collègues et anciens collègues François-Noël Buffet, Stéphane Le Rudulier, Alain Marc et Thani Mohamed Soilihi dans l’intitulé du rapport d’information qu’ils consacraient à Mayotte en 2021 : il est plus que temps de « conjurer le sentiment d’abandon des Mahorais ».

C’est dans cette perspective que le Gouvernement a présenté ces deux projets de loi et que le Sénat les a renforcés, afin de mieux contrôler l’exécution des promesses et de faciliter leur mise en œuvre par une meilleure organisation des pouvoirs du préfet.

Le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte comporte quatre grands axes.

Le premier correspond à la programmation de la refondation de Mayotte à proprement parler, une programmation proposée par le Gouvernement et figurant dans un rapport annexé sans valeur normative. Ce document, feuille de route de l’exécutif pour la période 2025–2031, décline l’ensemble des priorités, en termes tant d’investissements que de réformes structurelles.

Si 4 milliards d’euros d’investissements sont prévus, nous avons souhaité que le Gouvernement détaille le calendrier de leur déploiement d’ici à la loi de finances pour 2026.

La construction de la piste longue, d’équipements garantissant l’accès à l’eau, d’une troisième retenue colinéaire et d’une nouvelle station d’épuration, d’écoles pour résorber un déficit des 1 200 classes, d’une nouvelle cité judiciaire, ainsi que d’une seconde prison, ne suffira pas pour refonder l’île, mais permettra au moins d’assurer une remise à niveau des équipements de base tant promis et attendus par les Mahorais.

Pour que ces engagements prennent tout leur sens et contribuent réellement à rétablir la confiance des Mahorais, le Sénat a précisé le contenu de certains d’entre eux. Surtout, il a élaboré des mécanismes de suivi et d’évaluation de leur mise en œuvre, qui semblent indispensables pour que de tels programmes ne restent pas lettre morte et ne risquent pas d’être une source de déception.

Enfin, en introduisant une mesure visant à confier au préfet de Mayotte une autorité particulière sur les différentes administrations de l’État dans l’archipel pendant la période de reconstruction, nous espérons pouvoir avancer plus rapidement et efficacement sur le terrain. Cette disposition est en parfaite cohérence avec certaines des propositions formulées de longue date par notre assemblée.

Cela étant, aucune évolution positive ne sera possible à Mayotte sans une véritable maîtrise de l’immigration. Actuellement, la population de l’archipel est estimée à 321 000 habitants, dont une moitié d’étrangers. Sans aucune mesure de contrôle de l’immigration, la population doublera d’ici à 2050.

C’est pourquoi le texte prévoit un renforcement des outils de lutte contre l’immigration illégale et l’insécurité – c’est le deuxième axe d’action.

Nous saluons l’ensemble des dispositions qui permettront de freiner les flux illégaux, notamment dans le cadre de l’immigration familiale. Nous nous sommes du reste attachés à les renforcer : je pense notamment à la délivrance des titres de séjour des parents d’enfants français, aux transmissions de fonds en espèces ou encore à la fin de la prise en compte de l’habitat informel parmi les critères du regroupement familial.

De même, nous approuvons les mesures destinées à faciliter l’action des forces de l’ordre, en particulier dans les zones d’habitat informel, et les décisions prises en matière de contrôle des armes.

Troisième axe, le texte prévoit des mesures de consolidation économique du territoire et de convergence sociale. Ces dispositions visent à la fois à accélérer le redémarrage de l’économie insulaire après le passage du cyclone et à favoriser son développement et sa convergence avec l’Hexagone.

La facilitation des opérations de résorption de l’habitat informel sera cruciale pour réduire l’exposition des habitants de l’île aux risques climatiques et améliorer la situation sanitaire et sociale.

En matière sociale et sanitaire justement, les réponses doivent prendre en compte les particularités du territoire mahorais : les ajustements effectués par mes collègues rapporteurs en matière d’installation des officines et pour exclure l’aide médicale de l’État (AME) du champ de la convergence sociale répondent à cet impératif.

Le quatrième et dernier axe de ces projets de loi organique et ordinaire consiste à prévoir une réforme institutionnelle de Mayotte.

Le dispositif proposé permettra de clarifier le statut du territoire et de le rapprocher du modèle de collectivité unique en vigueur pour la Guyane et la Martinique.

Notre assemblée s’est avant tout appliquée à remanier les modalités d’élection de la nouvelle assemblée territoriale, afin de garantir le maintien d’une représentation équilibrée des Mahorais et d’assurer une continuité avec le découpage actuel des cantons.

Quoi qu’il en soit, nous saluons la décision du Gouvernement de ne pas se borner à renvoyer la question institutionnelle à une ordonnance, comme il l’envisageait initialement, et d’inscrire cette ambition dans le dur de la loi.

Tout en reconnaissant que ces deux textes ne régleront pas l’ensemble des problèmes de Mayotte, notre groupe approuve les orientations retenues, dont nous espérons qu’elles seront confortées au terme de la navette parlementaire.

Nous ferons preuve d’une grande vigilance et d’une grande exigence quant à la réalisation des engagements pris : il n’y a désormais plus de droit à l’erreur pour ce qui concerne Mayotte.

Pour toutes ces raisons, le groupe LR votera en faveur de ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Salama Ramia, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Salama Ramia. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, que nous allons voter aujourd’hui, constitue une étape utile sur une route encore longue pour les Mahorais.

Soyons clairs, ce texte n’épuise pas le sujet. Mais il pose un cadre pour Mayotte, une base à partir de laquelle nous pourrons continuer à construire.

Avec près de 4 milliards d’euros annoncés, ce texte traduit un engagement financier d’ampleur. Mayotte les accueille avec responsabilité, car préparer l’avenir, c’est aussi reconnaître les efforts consentis. Mais nous devons reconnaître que tous ces financements ne sont pas nouveaux et que la sincérité de cette programmation dépendra de sa mise en œuvre réelle, et, surtout, de son impact sur le quotidien des Mahorais.

Je tiens à souligner plusieurs des avancées permises par les débats qui se sont déroulés ici, au Sénat, ainsi que par nos échanges avec M. le ministre d’État, qui s’est montré à l’écoute de Mayotte : tout d’abord, l’inscription dans la loi d’une stratégie de reconstruction post-Chido donne un cadre clair à la réponse de l’État après la catastrophe que nous avons vécue ; ensuite, l’extension à toute l’île du zonage en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) permet à l’ensemble du territoire de bénéficier des outils de cette politique ; enfin, la création du Département-Région de Mayotte amorce une nouvelle étape institutionnelle.

Cette approbation n’empêche pas une certaine lucidité. En tant qu’élue de terrain, je souhaite vous faire part à la fois de l’adhésion et de la frustration que ce texte suscite, mes chers collègues. Car les attentes sont immenses à Mayotte, notamment de la part du monde économique, qui ne doit pas être le grand oublié de cette refondation.

Quand on parle de refonder Mayotte, il n’est pas question uniquement de sécurité et d’immigration : il s’agit aussi de parler de capacité productive, de travail et de relance locale.

Je veux saluer ici la création d’une zone franche globale. Permettez-moi néanmoins de souligner que celle-ci ne suffira pas : certes, cette zone franche globale exonérera les entreprises de l’impôt sur les bénéfices, mais encore faut-il que celles-ci en réalisent… Aujourd’hui, à Mayotte, combien de sociétés y parviennent-elles encore, après le cyclone, après des années de contraintes, d’isolement et de déséquilibres structurels ?

Cette exigence est d’autant plus légitime que Mayotte est le seul territoire ultramarin à ne pas bénéficier du dispositif de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (Lodéom), qui offre ailleurs des exonérations de charges sociales renforcées et des avantages fiscaux pour soutenir certains secteurs.

C’est d’ailleurs pourquoi j’ai défendu avec constance l’adaptation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) à Mayotte. Il s’agissait d’aider nos entreprises à embaucher et à absorber le choc du coût du travail, mais aussi d’accompagner la montée en charge de la convergence sociale sans sombrer.

Mes amendements ont été rejetés, ce que je regrette. Mayotte a besoin d’un véritable levier de relance, qui n’oppose pas attractivité et justice sociale. Nous devons donner aux acteurs économiques mahorais les moyens d’être les artisans de la reconstruction.

J’ai également proposé la suppression du titre de séjour territorialisé. Ce dispositif est devenu un piège, car il enferme Mayotte dans un statut d’exception. Il empêche la circulation des étrangers en situation régulière et crée une enclave migratoire que nous ne pouvons plus gérer. Résultat, ce sont les Mahorais eux-mêmes qui partent. Et ce sont ceux à qui l’on refuse toute mobilité qui restent sur place, sans perspectives. C’est un cercle vicieux que nous devons oser briser.

Enfin, j’ai alerté, comme d’autres ici, sur la procédure d’expropriation accélérée. Si ce dispositif existe dans le droit commun, il n’est pas transposable tel quel à Mayotte, où la régularisation foncière reste lacunaire. En l’état, cette mesure suscite encore l’inquiétude et la méfiance de beaucoup : elle ne favorise ni la paix sociale ni l’adhésion des Mahorais au projet de refondation.

Autre point d’incompréhension, la modification de la localisation de l’aéroport, en contradiction totale avec la délibération des élus locaux favorables à la création d’une piste longue sur l’aéroport actuel. Il s’agit d’une décision prise contre leur gré, actée en marge des échanges du comité de pilotage (Copil) qui s’ouvrira demain. Ce projet de piste longue, tant attendu, change de site d’implantation et repart de zéro, au prix de la destruction de terres agricoles et sans réelle concertation.

Le débat doit maintenant se poursuivre à l’Assemblée nationale. Je forme le vœu que nos collègues députés portent plus haut encore les attentes des Mahorais.

Refonder Mayotte, ce n’est pas simplement traiter l’urgence, renforcer l’administration ou acter des principes. C’est aussi permettre aux Mahorais de rester, de travailler, d’entreprendre et de bâtir leur avenir sur place.

C’est avec exigence et vigilance que le groupe RDPI soutiendra ce texte. Certes, celui-ci répond à des revendications légitimes des Mahorais et trace une perspective, mais refonder Mayotte sans refonder son économie revient à reconstruire sur du sable.

Si je devais vous adresser un dernier message, ce serait celui-ci : les Mahorais veulent rester debout, dignes, acteurs de leur avenir. Ils ne veulent pas uniquement être protégés ou encadrés : ils désirent être soutenus ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, en quelques semaines, Mayotte a connu le passage de deux cyclones, dont le premier, Chido, a fait des ravages épouvantables, avec des dégâts estimés à 3,5 milliards d’euros.

Après la phase des mesures immédiates et celle des dispositions d’urgence, nous abordons désormais l’acte III, celui de la refondation de l’archipel, une refondation particulière, puisque Mayotte est un territoire pour le moins singulier.

En effet, 77 % de ses habitants vivent actuellement sous le seuil de pauvreté ; plus de la moitié se trouve en situation d’insécurité alimentaire, et un Mahorais sur deux renonce à se soigner par manque d’accès aux soins ou de moyens. La commission des lois a d’ailleurs d’emblée écarté la possibilité d’instaurer l’aide médicale de l’État à Mayotte, par crainte d’un appel d’air migratoire.

À ce triste bilan statistique s’ajoute le fait que, dans ce département français, 25 000 jeunes de moins de 30 ans se trouvent actuellement sans emploi, sans formation et sans diplôme… Au-delà des tempêtes tropicales, il y a donc de sérieux problèmes de développement à Mayotte.

La Cour des comptes ne décrit pas autre chose lorsqu’elle indique que l’économie mahoraise est « sous perfusion ». Les infrastructures de distribution d’eau, d’électricité ou de traitement des déchets sont largement insuffisantes. La gestion de crise mise en œuvre, plus ou moins réussie, ne change rien à cette réalité.

Cette situation est pourtant connue, et depuis longtemps. Déjà, en 1986, Jacques Chirac, premier chef de gouvernement, puis premier chef de l’État à se rendre à Mayotte, la résumait ainsi : « Le problème de votre appartenance à la France ne se pose pas. Le problème qui se pose, c’est celui de votre avenir, celui de vos enfants, celui de votre île ». Quarante ans plus tard, nous faisons face aux mêmes défis. Il serait pourtant erroné de dire que rien n’a changé.

Les habitants de Mayotte, territoire français depuis 1841, ont confirmé à de multiples reprises, et sans jamais vaciller, leur volonté d’être et de rester Français. Ils se sont tout d’abord employés à être reconnus comme Français à part entière. Le Sénat a joué un rôle déterminant dans ce rattachement à la France, en insistant, à travers la voix de son président de l’époque, pour que la consultation de 1974 se fasse « île par île ».

Le combat pour cette appartenance, mené avant tout par les élus mahorais, a abouti, en 2003, à l’inscription de Mayotte dans notre Constitution, et, en 2011, à la départementalisation de l’archipel.

Le projet de loi organique sur lequel nous allons nous prononcer ce soir concerne la transformation de Mayotte en Département-Région. Ce texte donnera à l’île le plein exercice de certaines compétences aujourd’hui exercées par l’État. Mon groupe le votera sans réserve.

Cela étant, ces questions de statut ne résoudront en rien les problèmes structurels de l’archipel.

Tels sont en revanche l’objet et l’ambition du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, lequel contient des mesures que nous approuvons, notamment les dispositions dites de convergence sociale, qui reposent sur un engagement clair, celui de garantir une plus grande égalité avec les Français de métropole, et qui se traduiront par l’alignement progressif, d’ici 2031, du montant des prestations sociales, ainsi que du Smic, sur celui qui s’applique dans l’Hexagone.

De même, nous ne pouvons qu’approuver les 4 milliards d’euros d’investissements consentis, une somme colossale qui permettra de financer de nouvelles infrastructures, dont un second hôpital.

De manière générale, toutes les mesures qui permettent de développer Mayotte nous paraissent à la fois urgentes et nécessaires. La feuille de route tracée par le Gouvernement constitue un espoir, et nous espérons vraiment qu’elle sera respectée.

Pour autant, certaines dispositions de ce projet de loi suscitent davantage de perplexité chez les membres du groupe du RDSE.

Bien sûr, nous connaissons la problématique migratoire à Mayotte. Elle n’est pas nouvelle : Édouard Balladur l’avait déjà bien identifiée, lorsque, en 1995, il instaurait une exigence de visa pour les Comoriens. Depuis lors, des dizaines de milliers de personnes sont mortes en tentant de rejoindre Mayotte à bord de petits bateaux de pêche, les fameux kwassa-kwassa.

Les Comores, c’est le pays voisin, un peuple frère. Autant dire qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne pourra jamais faire cesser les solidarités et les habitudes séculaires.

Si Mayotte fait partie intégrante de la France, nous ne pouvons ignorer que cette île se trouve à des milliers de kilomètres de l’Hexagone, en plein milieu de l’océan Indien, et que, bien qu’il s’agisse de notre département le plus pauvre, elle est l’île la plus riche de l’archipel.

Nous ne croyons donc pas qu’un nouveau durcissement du droit des étrangers viendra endiguer l’attrait exercé par Mayotte. Nous ne croyons pas qu’autoriser la rétention administrative d’enfants ou qu’enlever les titres de séjour de parents de mineurs délinquants permettra, d’une façon ou d’une autre, de tarir le flux des personnes toujours aussi désespérées qui cherchent à rejoindre leurs proches ou à améliorer leurs perspectives de vie.

Le groupe du RDSE estime, à l’inverse, que cette ambition exige de réguler les impressionnants écarts de développement entre Mayotte et ses voisins. Cela passe nécessairement par un renforcement de l’aide publique au développement aux Comores, mais aussi dans les pays d’Afrique de l’Est et de la région des Grands Lacs. Cela passe aussi par des accords migratoires, qui ne pourront être conclus si l’on ignore l’intégration politique des pays de l’océan Indien.

Un quart de la population de Mayotte se compose actuellement de personnes étrangères en situation irrégulière. Un quart !

Imaginer que c’est en créant davantage de sans-papiers que l’on parviendra à les faire fuir ou qu’on les dissuadera de revenir n’est pas seulement illusoire : c’est aussi dangereux ! Cela nous dispense en effet de nous attaquer aux problèmes de fond, ceux dont nous savons pourtant, depuis des décennies, qu’ils sont structurels, et pour lesquels il n’existe aucune solution miracle.

En faisant de Mayotte un département français, nous avons pris un engagement, celui d’aller vers toujours plus d’égalité entre ce territoire et la métropole. Or je ne suis pas certaine que ce soit l’exigence d’égalité qui guide désormais notre action au service des Français de Mayotte.

Autrement, nous ne voterions pas pour nos compatriotes mahorais ce que nous nous sommes interdit de voter pour nous-mêmes dans le cadre de la loi du 28 janvier 2024. Je veux bien sûr parler de l’enfermement de mineurs dans la perspective de l’expulsion d’une famille.

Les Mahorais n’ont pas changé depuis le vote de 1974 : ils sont toujours autant attachés à la France et à ce qu’elle incarne.

Nous, en revanche, nous avons changé, parce que nous avons abandonné plusieurs de nos politiques consensuelles, comme l’aide publique au développement, et parce que notre obsession répressive nous a conduits à multiplier les exceptions, à l’opposé de ce qu’a pu signifier la France par le passé et de ce qu’elle continue à signifier pour beaucoup.

Parce que l’égalité est un grand principe républicain que mon groupe n’a pas oublié, et parce que le présent projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte marque un nouveau renoncement à cet idéal, la majorité du groupe du RDSE s’abstiendra lors du vote sur ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de cinquante ans après le référendum par lequel Mayotte a fait le choix de la France et quatorze ans après la départementalisation de ce territoire, les textes soumis aujourd’hui au vote du Sénat ont une double ambition : donner une dimension concrète à la promesse républicaine à Mayotte et répondre durablement aux défis de l’archipel.

Ces défis sont bien connus : saturation des infrastructures et des services publics, gestion de l’eau, faiblesse du tissu économique, pauvreté, immigration et insécurité. À bien des égards, le cyclone Chido n’a fait qu’aggraver une crise déjà ancienne.

Une autre forme de crise préexistait à cette catastrophe : une crise de confiance envers l’État, causée par les nombreuses promesses qui restent très largement à tenir.

Le projet de loi, notamment grâce à son rapport annexé, donne une feuille de route à ce territoire. Il s’agit de la feuille de route du Gouvernement, bien sûr, mais aussi et surtout de l’État dans sa continuité.

Ce texte assure plus de 4 milliards d’euros d’investissements qui visent à mettre à niveau les infrastructures de l’île, notamment par la création d’un nouvel aéroport à Grande-Terre, par la modernisation du port de Longoni, par la construction d’un nouvel hôpital et par le renforcement des infrastructures d’eau.

Pour restaurer la confiance du territoire envers l’État, il faudra tenir, donc suivre de près, ces nombreux engagements. La rédaction initiale du Gouvernement a ainsi été complétée, afin de mettre en place un comité de suivi, un bilan d’étape devant être dressé à mi-parcours.

En outre, à la demande du Sénat, le Gouvernement a quelque peu précisé les engagements financiers. Nous lui en sommes reconnaissants. Par voie d’amendement, nous avons toutefois manifesté la volonté qu’il aille plus loin, en présentant une programmation financière annualisée et détaillée d’ici à la fin de l’année 2025.

J’en viens à présent à la question sociale. Le projet de loi accélère, à l’horizon 2031, la trajectoire de la « convergence sociale », c’est-à-dire l’alignement des droits sociaux et des prestations, ainsi que la convergence du Smic. Un tel programme est très ambitieux.

Ce texte vise également à relancer l’activité économique en étendant à Mayotte le dispositif de zone franche globale.

L’affirmation de cette programmation s’accompagne de dispositions législatives censées favoriser l’atteinte des objectifs de développement.

Ainsi, dans un contexte qui reste fondamentalement une situation de crise, le Sénat a souhaité faciliter la coordination des services de l’État : sur l’initiative de sa commission des lois, il a introduit l’article 1er bis, qui consacre l’autorité du préfet de Mayotte, pour la durée du plan de refondation, sur l’ensemble des services de l’État œuvrant dans l’archipel.

En parallèle, ce texte modernise le fonctionnement institutionnel du territoire par la création du Département-Région de Mayotte, dont le statut de collectivité unique est confirmé. Grâce au renforcement de ses prérogatives et de ses moyens, cette collectivité territoriale pourra participer pleinement à l’exercice des politiques publiques nécessaires au développement de l’archipel. Ce choix s’inscrit dans une logique plus large, qui doit s’appliquer à tous les territoires de la République : tout ne saurait toujours venir que de l’État.

Nous ne pouvons que nous réjouir que le Gouvernement ait, en réponse à la demande du Sénat, inscrit directement cette réforme dans le projet de loi, plutôt que de passer par une ordonnance.

Ce texte comporte plusieurs mesures visant à lutter contre l’immigration clandestine et ses conséquences, qu’il s’agisse de l’insécurité, de l’habitat informel ou du travail illégal.

Contrairement à ce que nous avons pu entendre au cours de nos débats, ces dispositions ne traduisent pas une quelconque « obsession migratoire » : leur seul but est de répondre à ce qui, de l’avis unanime des élus locaux, constitue le principal facteur de déstabilisation de Mayotte et la source d’un grand nombre de ses maux.

L’Insee prédit que, sans inflexion des flux migratoires, le nombre d’habitants à Mayotte pourrait plus que doubler d’ici à 2050. Nous ne pouvons refuser d’agir !

Il faut le dire clairement : alors que Mayotte connaît une crise sans précédent, la situation de l’archipel et de ses habitants ne pourra pas s’améliorer sans réduction de l’immigration. Les magistrats de la Cour des comptes n’affirmaient pas autre chose, en 2022, lorsqu’ils constataient que « la maîtrise de l’immigration est un préalable à la stabilisation du cadre socio-économique ».

C’est pourquoi ce projet de loi comporte plusieurs mesures adaptant notre droit aux spécificités mahoraises. Il tend ainsi à restreindre les conditions de délivrance de certains titres de séjour pour motif familial, ainsi qu’à lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité.

Le Sénat a approuvé ces mesures. Il les a même renforcées, notamment en durcissant les conditions de délivrance de certains titres de séjour ou en précisant les conditions de logement pour le regroupement familial.

À l’écoute des élus du territoire et engagé dans un dialogue exigeant avec le Gouvernement – M. le ministre pourra en témoigner –, le Sénat a apporté de nombreuses améliorations aux textes dont il a été saisi. À mon sens, il a pleinement joué son rôle.

J’en suis bien conscient, nos compatriotes mahorais ne seront pas pleinement satisfaits. Je pense notamment au maintien de l’article 19, relatif à la prise de possession anticipée. Toutefois, cette inquiétude me paraît procéder très largement d’un malentendu quant à la portée des dispositions considérées.

Le maintien du « visa territorialisé » est la source d’une autre insatisfaction, exprimée par de nombreux élus. Le Sénat a en effet considéré que, en l’état de la situation migratoire, sa remise en cause serait contraire tant à l’intérêt général qu’à celui des Mahorais.

Toutefois, il ne s’agit pas là d’un refus définitif : en vertu de l’article 2 bis, introduit par le Sénat, un bilan des mesures dérogatoires en matière d’immigration et de nationalité doit être réalisé dans un délai de trois ans. Ce sera l’occasion de réévaluer la pertinence du titre de séjour territorialisé et, si les conditions sont réunies, d’envisager éventuellement sa suppression.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, aucune loi ne pourra à elle seule répondre aux défis auxquels est confrontée Mayotte. Il nous faudra une politique résolue, s’inscrivant dans la durée, qui associera à la fois la population mahoraise et ses représentants. Il faudra également, sans aucun doute, une politique plus exigeante à l’égard des Comores.

Les élus que nous avons rencontrés nous ont alertés quant au sentiment d’abandon qu’éprouvent les Mahorais, et ce avant même le cyclone Chido, du fait de l’incapacité de l’État à améliorer durablement la situation. Il est urgent d’obtenir des résultats concrets. Nous le devons à nos compatriotes mahorais !

Pour ces raisons, les élus du groupe Union Centriste voteront ces deux textes. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un droit d’exception continuera-t-il, oui ou non, de s’appliquer à Mayotte ?

Les élus du groupe communiste ont toujours défendu la convergence parfaite des droits appliqués dans l’Hexagone et à Mayotte. Mais, après l’étude de ce projet de loi et du projet de loi organique, nous devons malheureusement le constater : cet objectif est encore loin d’être atteint. Pourtant, des efforts ont été accomplis pour lutter contre cette inégalité de traitement, des efforts que nous saluons, monsieur le ministre.

Les membres de notre groupe demandaient depuis longtemps l’extension du statut de département-région à Mayotte : cette importante avancée est assurée par le présent texte.

En plaçant Mayotte au même niveau institutionnel que la Martinique ou la Guyane, nous réaffirmons la compétence du territoire en matière de coopération régionale, courroie de transmission indispensable au développement de l’île. Ce changement permet aussi d’adapter le cadre budgétaire aux enjeux financiers de Mayotte, afin que ce territoire puisse mieux affronter ses difficultés.

Par ces dispositions, vous répondez aux demandes des élus locaux et de la population mahoraise.

De même, ce projet de loi fait converger les droits applicables en matière sociale à Mayotte et dans l’Hexagone. Nous ne pouvons que saluer cette avancée, que nous demandions depuis longtemps.

Pour rappel, Mayotte est le département le plus pauvre de France. Au total, 77 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté. Son produit intérieur brut (PIB) est le plus faible et son taux de chômage est le plus élevé – il s’élève à 37 % de la population active.

Nous regrettons toutefois que le projet de loi ne détaille pas ces mesures, lesquelles font l’objet d’une simple habilitation du Gouvernement. De même, nous regrettons évidemment le choix de l’horizon 2031, bien trop lointain pour nombre de Mahorais.

Nous déplorons en outre le manque de convergence de certaines mesures. S’il est légitime de donner la priorité aux mesures relatives au travail, il semble absurde de ne pas prévoir, de manière simultanée, une convergence pour le revenu de solidarité active (RSA) et l’allocation aux adultes handicapés (AAH), dont les montants sont aujourd’hui 50 % plus faibles que dans l’Hexagone, ou encore pour les prestations familiales, dont la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje).

De ce fait, vous laissez sur le carreau beaucoup trop de personnes en difficulté, ce qui freine l’ambition de faire drastiquement baisser la pauvreté, ce fléau bien trop présent dans l’île.

Enfin, nous regrettons que l’aide médicale de l’État (AME) soit exclue de la convergence des droits sociaux, alors que les besoins de santé à Mayotte y sont si importants.

Nos regrets quant à ce texte ne s’arrêtent malheureusement pas là. La volonté de convergence des droits entre Mayotte et l’Hexagone, observée sur certains aspects, est en effet contrebalancée par le souhait de donner un statut d’exception à ce territoire.

Mes chers collègues, les habitants de Mayotte ne sont toujours pas traités à égalité avec les autres personnes vivant sur le territoire français, et pour cause : leurs abris d’infortune peuvent être détruits sans que la puissance publique soit tenue d’assurer le moindre relogement.

Il y a quelques semaines, vous leur avez interdit d’acheter de la tôle sans carte d’identité : ceux qui n’ont pas été mis à la rue par le cyclone Chido le seront désormais par le cyclone Manuel Valls ! (Exclamations.) De plus, leurs enfants peuvent être enfermés dans des centres de rétention, malgré les huit condamnations que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a infligées à la France à ce sujet.

Les frères, sœurs et parents d’enfants condamnés pour une infraction très floue d’atteinte à l’ordre public peuvent être jetés dans une précarité administrative pour des actes qu’ils n’ont pas commis.

Les titulaires de titres de séjour et les enfants étrangers sont confinés dans l’île. Leurs titres de séjour territorialisés et leurs documents de circulation pour étrangers mineurs les condamnent eux-mêmes à l’isolement, comme Mayotte tout entière.

Je le répète, les personnes étrangères en situation irrégulière vivant à Mayotte restent exclues du droit à l’AME, malgré les problèmes de santé publique que cette situation entraîne pour tous les habitants de l’île, quelle que soit leur nationalité.

Enfin, les habitants de Mayotte peuvent se voir exproprier de 300 hectares de terres agricoles par l’État français pour la construction d’un aéroport, imposée sans leur consultation et contre leur volonté.

Monsieur le ministre, j’insiste sur ce dernier point. Lorsque le Président de la République et vous-même vous êtes rendus à Mayotte en début d’année civile, les élus locaux et la population vous ont fait part du projet, à l’étude depuis vingt ans, de prolongement de la piste de l’aéroport de Petite-Terre. Vous avez annoncé vouloir aller contre leurs avis pour construire un nouvel aéroport à Grande-Terre.

Dans cet hémicycle, la semaine dernière, vous avez accusé les élus mahorais d’avoir manqué à leurs responsabilités. Vous auriez, par voie de conséquence, été contraint d’outrepasser leur avis.

Pourtant, c’est l’inverse qui s’est produit : les élus ont pris une délibération, le 17 avril 2025, à l’unanimité, pour vous demander de construire une piste longue à Petite-Terre. Ce choix responsable et démocratique ne vous convenant pas, vous avez déposé un amendement en séance publique pour le contrer. Puis, lorsque votre amendement a été rejeté, vous avez usé du règlement du Sénat pour imposer votre volonté, contre l’avis des élus, donc du peuple mahorais.

Si les passages en force sont à la mode depuis plusieurs gouvernements, s’ils se multiplient depuis quelques jours, nous regrettons que la chambre des territoires ne se soit pas rangée du côté des territoires et des élus locaux ; qu’elle ait préféré obéir à un gouvernement plutôt que d’écouter les élus et la population locale.

Malgré ces regrets, inspirés tant par le fond que par la méthode, nous ne voterons pas contre ces textes. En effet, ils contiennent tout de même quelques avancées importantes, que j’ai évoquées plus tôt.

Nous n’en resterons pas moins vigilants. Nous continuerons de lutter pour que les droits de l’homme soient aussi appliqués à Mayotte et pour obtenir, au plus vite, une réelle convergence des droits avec l’Hexagone. En effet, c’est en sortant les gens de la misère que nous construirons, pour toutes et tous, un avenir meilleur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Antoinette Guhl. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je suis allée à Mayotte il y a quelques semaines avec plusieurs membres de la commission des affaires économiques, dont je tiens à saluer la présidente. Je remercie également l’administration du Sénat, qui nous a fort bien accompagnés, ainsi que le préfet du département.

Nous avons vu. Nous avons écouté. Nous avons arpenté les villages et les bidonvilles. Nous avons visité les installations et rencontré les acteurs de terrain. Chacun en a tiré sa propre analyse, mais nous avons, toutes et tous, vu un territoire en crise, placé face à un défi de grande ampleur.

Pour ma part, j’estime que trop peu de dispositions de ce projet de loi répondent à l’urgence de la situation.

Où est donc la refondation dont on nous parle ? Crise de l’eau ; crise de l’école ; crise de l’habitat ; crise de la République : où sont les réponses à la hauteur de ces enjeux ?

Tout d’abord, j’insisterai sur l’eau. Aujourd’hui, 29 % des Mahorais ne disposent pas à leur domicile d’un raccordement à l’eau. Dans ces conditions, les bornes-fontaines jouent un rôle essentiel.

À Mayotte, les services d’eau ne fonctionnent que de manière discontinue – les habitants vivent 36 heures avec, puis 36 heures sans ! Il est donc urgent de développer des infrastructures, des retenues d’eau et des usines de dessalement à même d’assurer un service continu. Je rappelle que la continuité du service public est un principe constitutionnel.

On nous parle d’un projet de dessalement, présenté comme la solution miracle, mais il faudra deux à trois ans pour qu’il voie le jour. Aujourd’hui, il n’y a même pas de ligne à haute tension pour le raccorder : ce n’est pas encore seulement un projet. Et que dire de l’impact environnemental d’un tel chantier ? L’usine serait implantée dans le lagon, au cœur d’un joyau de biodiversité. Les rejets de saumure bouleverseraient un écosystème unique composé de coraux, de mangroves et d’herbiers.

Il faut certes une seconde usine de dessalement, mais au bon endroit. Une nouvelle retenue collinaire est également nécessaire. Il faut, en fait, un véritable plan d’urgence pour l’eau, seul à même d’assurer l’application du principe d’égalité.

En matière d’habitat, l’île se trouve également dans l’impasse. Ce que nous avons vu, ce sont des bidonvilles en pente, des chemins de tôle et des quartiers sans voirie construits sur des sols instables.

Or que fait ce texte ? Il renforce les pouvoirs de la police contre les habitats informels. On entreprend de les détruire, comme si le cyclone Chido ne l’avait pas déjà fait, bien plus efficacement que n’importe quelle police au monde… D’ailleurs, tout a été reconstruit à l’identique.

De même, on ne dit rien de l’aménagement, rien du relogement digne, rien du logement social dans ce texte. On détruit, mais on ne construit pas. Nous sommes face à une impasse sociale et urbaine.

Il faut un plan de résorption de l’habitat insalubre : des toitures sécurisées, des ruelles éclairées, des latrines dignes et des sols stabilisés. On ne peut tout résoudre avec des bulldozers !

Quant à l’éducation, elle est au bord du gouffre. En tout, 1 200 classes manquent : ce n’est pas nouveau, ce n’est pas une surprise. On connaît les chiffres et les besoins. Or que prévoit-on avec ce texte ? La fin de la rotation scolaire, en 2031… Comme pour la convergence sociale, l’objectif fixé est bien trop lointain, bien trop vague et dépourvu de plan d’investissement.

Pour renforcer l’attractivité du territoire, on mise sur des exonérations fiscales et des primes pour les fonctionnaires. Mais, en multipliant les exonérations, on risque avant tout de provoquer un effet d’aubaine sans pour autant provoquer de développement structurant.

Soyons clairs : ce n’est pas parce que l’on paiera un fonctionnaire plus cher qu’il viendra, si son enfant n’a pas d’école, si son conjoint ne trouve pas de travail, s’il ne peut pas se loger ou s’il n’est pas prioritaire lors des affectations à venir.

Pendant ce temps, on durcit la répression. En 2023, le nombre d’expulsions a atteint 22 000 : il s’agit là d’un record ! J’ajoute que, trop souvent, ces mesures sont décidées au mépris du droit. On décide ainsi de renvoyer des mineurs par simple association avec un adulte, afin de contourner la loi.

C’est l’article 8 qui a donné lieu aux discussions les plus choquantes. On prévoit de retirer un titre de séjour à des parents de mineurs qui troublent l’ordre public s’ils ont manqué à leurs obligations éducatives. Il s’agit là d’un dispositif sans précédent, comme l’a dit Mélanie Vogel, tout en rappelant un principe fondamental : la responsabilité pénale est individuelle. On ne peut pas être puni pour des faits que l’on n’a pas commis soi-même.

Notre collègue a posé la véritable question : « Que pensez-vous qu’il va se passer ? On va retirer un titre de séjour aux parents, et ensuite quoi ? » Il s’agit là d’une simple mesure de punition, de répression. Ce n’est pas une solution acceptable pour nous, membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Monsieur le ministre, cette mesure ajoute de la peur à la précarité, de l’exclusion à la violence : est-ce là réellement la société que nous voulons ?

Pour nous, c’est une ligne rouge. Il n’y a aucune politique d’accueil à Mayotte ; pas de centre pour demandeurs d’asile ; pas d’allocation pour vivre ; pas de contrat d’intégration : c’est le vide total. Comme l’a dit la Défenseure des droits, « on crée une zone d’expérimentation du recul des droits ». Vous durcissez les règles et vous laissez de côté l’État de droit.

Une véritable refondation supposerait un plan d’aménagement global, comprenant les routes, le logement, l’eau et l’électricité ; un service public de l’eau digne de ce nom ; un rattrapage éducatif d’urgence – à cet égard, l’objectif de 1 200 classes n’est pas une option, mais un devoir ; la fin de la territorialisation des titres de séjour ; un accompagnement pour les personnes en situation régulière, supposant de mettre l’accent sur l’hébergement, l’intégration et la dignité de ces femmes et de ces hommes ; enfin, une politique écologique à la hauteur de l’exceptionnelle biodiversité de l’île, qu’il s’agisse de la reforestation, de la gestion des déchets ou de la préservation du lagon.

Je suis allée à Mayotte. J’ai vu un territoire qui se bat, qui résiste, mais qui n’en peut plus.

Ce texte ne répond pas aux principes de la République. Il n’assure pas davantage le développement digne auquel les Mahorais devraient avoir droit. On ne refonde pas un territoire avec des centres de rétention et des exonérations fiscales. On le refonde avec de la justice, de l’égalité et de la dignité.

Ce ne sont pas ces textes qui changeront les choses : nous voterons donc contre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Saïd Omar Oili, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Saïd Omar Oili. Monsieur le ministre, lors de l’examen de ces deux textes, vous nous avez brossé un paysage singulier de Mayotte. Vous avez décrit une végétation qui revient et des activités qui redémarrent.

Or, au même moment, dans un message au Président de la République, des acteurs économiques de Mayotte donnent à voir une autre image de notre archipel : « Après cinq mois, Mayotte s’épuise, lasse des promesses de l’État. Les caisses des collectivités sont vides. Les chantiers sont à l’arrêt. La colère monte. »

Les signataires de ce courrier ne sont ni des excités ni des incontrôlés. Ce sont des responsables d’associations d’élus, des maires et présidents d’intercommunalités, des délégués du Mouvement des entreprises de France (Medef), de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et de la chambre de commerce et d’industrie (CCI).

Votre attitude me fait étrangement penser à une chanson des années 1930 : « Tout va très bien, madame la marquise » ! (Sourires.)

En février dernier, nous avons voté un texte d’urgence pour Mayotte. Je vous ai transmis un tableau de suivi des mesures contenues dans cette loi dès sa publication, en précisant que j’attendais un retour : depuis lors, silence…

Lors du vote du projet de loi d’urgence, vous vous êtes engagé à mener une concertation sur les textes d’application, notamment sur les ordonnances. Force est de constater que vous ne tenez pas vos engagements.

J’ai découvert l’ordonnance relative à l’établissement public chargé de la refondation de Mayotte en parcourant le Journal officiel de vendredi dernier. Je ne vous ferai pas l’affront de penser que le contenu de cette ordonnance explique votre silence, même si ce texte innove de façon assez singulière en matière de gouvernance.

En effet, le président du conseil départemental doit présider le conseil d’administration de l’établissement public, composé à parts égales de représentants de l’État et de représentants des collectivités territoriales. Or – je l’ai découvert avec surprise –, en cas d’égalité de votes, c’est le vice-président représentant l’État qui aura voix prépondérante ; et, en vertu d’un amendement retenu au titre du projet de loi de refondation, ce représentant de l’État sera sous la responsabilité de la mission Facon, rue Oudinot, à Paris.

Monsieur le ministre, à ce propos, deux citations me viennent à l’esprit. La première est une célèbre phrase de Mandela : « Ce qui est fait pour nous sans nous est fait contre nous. » La seconde est attribuée à Napoléon Bonaparte : « On peut gouverner de loin, mais on n’administre bien que de près ».

Lors de l’examen du projet de loi de refondation de Mayotte, sur lequel nous nous prononcerons dans quelques instants, j’ai détaillé les priorités de notre groupe : la fin des cartes de séjour territorialisées ; la suppression de l’article 19, relatif aux expropriations ; un calendrier plus resserré des mesures de convergence sociale. Au total, le compte n’y est pas.

La fin des cartes de séjour territorialisées, que demande l’ensemble de la classe politique mahoraise, n’a pas été votée. Nous le regrettons très vivement.

Ce refus jette le discrédit sur la politique gouvernementale à l’égard des Mahorais. Votre prédécesseur s’était engagé par écrit : il avait promis que cette mesure serait mise en œuvre après la réforme du droit du sol, qui vient d’être votée. Dans ces conditions, comment voulez-vous que la parole publique soit crédible ?

Pour lutter contre l’immigration clandestine, vous défendez des mesures dérogatoires au droit commun. Mais, en la matière, on constate beaucoup d’effets d’annonce et peu de résultats. J’en veux pour preuve deux exemples.

Premièrement, les résultats obtenus en 2024 au titre de l’opération Wuambushu et de l’opération place nette ne sont guère satisfaisants : les reconduites à la frontière ont été moins nombreuses que les années précédentes. On en a dénombré 16 000, au lieu de 25 000 habituellement.

Deuxièmement, lors du vote du projet de loi d’urgence, j’avais exprimé le scepticisme que m’inspirait l’interdiction de vente des tôles aux personnes en situation irrégulière. Je tiens à votre disposition les photos du bidonville de Kawéni, aujourd’hui émaillé de tôles flambant neuves. Soit il n’y a plus de clandestins dans ce secteur, soit une telle mesure est tout simplement inopérante.

En outre, l’article 19, qui déroge au droit commun pour les procédures d’expropriation, est maintenu dans sa rédaction initiale. Faites d’abord une vraie réforme foncière, ne mettez pas la population mahoraise en insécurité sur ses terres : comme on a coutume de le dire chez nous, « vous avez mis la charrue avant les zébus » ! (Exclamations amusées.)

Enfin, en matière de convergence sociale, le compte n’y est pas. La perspective de 2031 n’est pas acceptable. Pourtant, des mesures concrètes peuvent être prises rapidement au titre des minima sociaux, d’autant que certaines n’auront qu’un impact financier limité. Je pense par exemple aux pensions de retraite, qui ne sont qu’au nombre de 5 000 : le coût de leur alignement s’élèverait à 1,5 million d’euros. Pour les 4 000 minima sociaux, cette mesure ne coûterait que 800 000 euros.

Nous avons déposé trente amendements sur le rapport annexé, afin de préciser certaines mesures. À cet égard, j’ai déploré le contenu de certaines réponses qui m’ont été apportées.

Ainsi, j’ai déposé un amendement visant à créer un observatoire du volcan Fani Maoré. En réponse, vous m’avez indiqué que le réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (Revosima) assurait déjà cette mission.

Un observatoire sismovolcanique a deux vocations : mener des études scientifiques et appliquer un dispositif de surveillance.

J’ai pu mesurer toute la qualité du précieux travail mené par les scientifiques de l’institut de physique du globe de Paris (IPGP) pour nos territoires ultramarins.

Le Revosima est bien le référent sur le volet scientifique, mais, aujourd’hui, la surveillance du volcan Fani Maoré est bien assurée par l’observatoire du piton de la Fournaise, à La Réunion. Je me suis rendu sur le site de cet observatoire : son équipe, au demeurant très compétente, m’a expliqué comment elle surveillait le Fani Maoré, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Lors de l’examen de ce projet de loi, une petite musique revenait à mes oreilles – la chanson du chanteur réunionnais Tonton David, qui clamait : « Je suis sûr, sûr qu’on nous prend… » – je vous laisse deviner la suite, mes chers collègues !

Ce rapport annexé renferme une série de mesures qui pourraient constituer une véritable feuille de route pour le développement de Mayotte. Toutefois, il souffre d’une absence de financements consolidés et ne tient pas compte des évaluations de la mission interinspections, qui s’élèvent à 3,5 milliards d’euros.

Le projet de loi de refondation de Mayotte, tel qu’il est nous est soumis, ne répond pas aux priorités des Mahorais. Quant à la feuille de route pour la refondation de Mayotte, elle reste trop floue, notamment au titre des moyens financiers dédiés aux investissements.

C’est pourquoi les élus de notre groupe s’abstiendront. Ce texte ne répond décidément pas aux urgences de ce territoire de la République, français depuis 1841. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, depuis le cyclone Chido, nos compatriotes l’ont bien souvent entendu : Mayotte, c’est la France. Pourtant, cinq mois après la catastrophe, les regards comme les caméras se sont détournés, et la sollicitude du pays a laissé place à la solitude des Mahorais.

Le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, disons-le d’emblée, traduit des intentions louables, mais il ne suffira sûrement pas à répondre aux attentes des Mahorais. Ce texte pourra rassurer à Paris, mais le fera-t-il pour les habitants de l’archipel ? Pour beaucoup, tout cela ressemble aux autres promesses qui se sont perdues entre les couloirs ministériels et la réalité du terrain…

Oui, nous saluons certaines avancées, telles que le durcissement des conditions de séjour, la rétention des mineurs délinquants dans des structures adaptées et la lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité et de maternité. Oui, la centralisation des actes d’état civil à Mamoudzou et le contrôle des transferts d’argent sont des signaux positifs.

Mais comment croire que l’on peut refonder Mayotte sans s’attaquer à la racine du mal ? Le texte ne comprend rien sur la suppression du droit du sol, alors même que, en 2022, trois enfants sur quatre y naissaient de mères étrangères. Rien non plus sur la priorité nationale dans l’accès aux soins, à l’école, à l’emploi, dans un territoire où les Mahorais, Français à part entière, sont désormais minoritaires chez eux.

Ainsi, ce texte se borne à limiter timidement une submersion migratoire qu’il se garde bien de nommer. Il contourne le sujet et le masque derrière des dispositifs techniques, comme si l’urgence à Mayotte n’était qu’une question de procédure ou de gestion administrative.

Qu’attendons-nous ? Pourquoi n’y a-t-il toujours aucune frégate stationnée en permanence au large de Mayotte ? Pourquoi aucune base militaire dotée de radars ne contrôle-t-elle le canal du Mozambique ?

Quant à l’absence persistante de cadastre, comment peut-on prétendre aménager un territoire quand l’État ne sait pas à qui appartiennent les parcelles de terrains ? Aujourd’hui, à Mayotte, on bâtit sans droit ni titre, on s’approprie des terrains dans la plus totale opacité et l’État recule, faute de savoir où il peut agir. Tant que cette situation perdure, aucune politique d’aménagement ou de refondation n’est possible.

Les Mahorais, eux, souffrent. Ils veulent la République, dans toute sa force. Ils veulent de la justice. Ils veulent de l’ordre. Ils veulent une présence visible et concrète de la France.

Alors, oui, ce texte est un pas, mais un pas timide, technocratique, qui n’est pas à la mesure de l’urgence. Nous aurions voulu que le projet de loi aille plus loin, qu’y soient nommées les choses avec plus de clarté et qu’il permette d’agir avec plus de fermeté.

Toutefois, dans la situation dramatique que traverse Mayotte, ne rien faire serait, bien évidemment, pire. Aussi saluons-nous la volonté de donner enfin à l’île les infrastructures stratégiques qu’elle demande depuis des années, particulièrement la nouvelle piste pour l’aéroport qui dessert l’archipel.

Bien des sujets devraient encore être traités, tels que l’autonomie alimentaire, le développement économique local et la protection des productions agricoles locales, pour faire de ce texte le nouveau départ dont Mayotte a besoin. Mais nous refusons l’immobilisme.

Nous voterons donc ce texte, non pas par adhésion pleine et entière, mais parce qu’il faut bien commencer quelque part et parce que l’inaction serait une insulte de plus faite à ces Français qui, eux, n’ont jamais cessé de croire en la France.

projet de loi de programmation pour la refondation de mayotte

M. le président. Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte dans le texte de la commission, modifié.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 292 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 243
Pour l’adoption 226
Contre 17

Le Sénat a adopté.

projet de loi organique relatif au département-région de mayotte

M. le président. Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi organique relatif au département-région de Mayotte dans le texte de la commission, modifié.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 293 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 274
Pour l’adoption 258
Contre 16

Le Sénat a adopté.

La parole est à M. le ministre d’État.

M. Manuel Valls, ministre dÉtat, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à remercier l’ensemble des membres du Sénat des débats que nous avons eus et, plus particulièrement, des votes qui viennent d’avoir lieu.

J’ai toujours dit que notre action se ferait en trois temps.

Premièrement, nous nous sommes consacrés à la gestion de la crise. Sans aller jusqu’à dire que celle-ci est terminée, par conséquent les urgences vitales, nous avons beaucoup avancé, même s’il reste bien des défis à surmonter.

Deuxièmement, nous avons enclenché la reconstruction avec la mission Facon et, bien sûr, la loi du 24 février 2025 d’urgence pour Mayotte, que vous-mêmes avez votée, mesdames, messieurs les sénateurs.

Troisièmement, nous nous attelons à la refondation, qui trouve aujourd’hui un point de départ. Je ne dirai jamais que tout va bien à Mayotte, mais nous jetons les bases d’une refondation et d’une reconstruction que nous devons notamment à votre travail.

Je veux remercier les rapporteurs de leur engagement : Olivier Bitz et Agnès Canayer pour la commission des lois, Micheline Jacques pour la commission des affaires économiques, Christine Bonfanti-Dossat pour la commission des affaires sociales et Stéphane Fouassin et Georges Patient pour la commission des finances, ainsi que, bien évidemment, les présidents des différentes commissions, impliqués, comme beaucoup d’autres sénateurs.

Ainsi, les travaux des commissions ont permis de compléter et de préciser le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte. Je pense à l’amélioration de l’article 10, pour mieux lutter contre les bidonvilles, ou encore à l’article 1er bis, avec le renforcement des pouvoirs du préfet pendant la reconstruction.

En séance, plusieurs amendements ont été adoptés, y compris sur l’initiative de sénateurs d’opposition, comme Saïd Omar Oili ou Mélanie Vogel, pour préciser la stratégie présentée dans le rapport annexé. Nous avons aussi renforcé les mesures de lutte contre l’immigration, grâce aux rapporteurs et à la sénatrice Marie-Do Aeschlimann.

Madame la sénatrice de Mayotte, chère Salama Ramia, je voulais également vous remercier de votre implication et des travaux que vous avez menés. Au-delà de nos désaccords, votre engagement a été utile. Il faut être constructif, sans être dans la démagogie, et regarder la réalité en face. En particulier, sur l’initiative du Gouvernement, nous avons précisé et complété le travail de programmation financière, atteignant presque 4 milliards d’euros pour Mayotte. Je sais que, sur place, cela fait des années, voire des décennies, que l’on attend de tels montants.

Des décisions sont prises. Elles provoquent forcément des débats, comme sur l’avenir de l’aéroport. Mais jamais – jamais ! – un gouvernement ne s’était engagé sur de telles sommes. Cela correspond aux engagements qui sont attendus. Évidemment, maintenant, il convient de les matérialiser, de sorte que nous puissions en voir concrètement les répercussions sur Mayotte.

Ceux qui ont voté pour le texte, ceux qui l’ont enrichi recevront à un moment ou un autre, me semble-t-il, la reconnaissance des Mahorais, à qui nous devons tant, car nous connaissons leur engagement pour la France.

Maintenant, c’est à l’Assemblée nationale de poursuivre ce travail. Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, grâce à vous, nous avons accompli un pas très important, et même décisif, pour la reconstruction de Mayotte. Je tenais, très sincèrement, à vous en remercier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures dix.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures dix, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Lise Housseau.

Mme Marie-Lise Housseau. Madame la présidente, lors du scrutin n° 292 sur l’ensemble du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, ma collègue Catherine Morin-Desailly aurait souhaité voter pour.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.

4

Comment nos politiques publiques peuvent-elles contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Comment nos politiques publiques peuvent-elles contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays ? »

La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)

M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe Les Républicains et son président de l’inscription à l’ordre du jour de ce débat sur les zones rurales.

Les défis de la ruralité sont toujours aussi nombreux. Ils s’accroissent, même. Et les politiques publiques mises en place par l’État semblent encore insuffisantes pour faire face aux enjeux et résoudre les problèmes des zones rurales.

Aussi, il y a huit ans, lorsque je suis devenu sénateur du Puy-de-Dôme, zone rurale par excellence, j’ai déposé, avec mes collègues Philippe Bas et Jacques Genest, sénateur de l’Ardèche, une proposition de loi visant à reconnaître la ruralité comme grande cause nationale de 2019.

Depuis lors, la cause de la ruralité reste certaine, mais sa considération nationale incertaine. En effet, les zones rurales font face à de nombreux défis qui perdurent et sont parfois source d’enlisement. En d’autres termes, elles sont confrontées aux enjeux de leurs spécificités et ont donc besoin d’un traitement particulier.

Or les lois qui s’appliquent de manière uniforme sur l’ensemble du territoire sont généralement préjudiciables aux zones rurales. En effet, si la République est une, les territoires de la France sont multiples, avec des contraintes, des difficultés ou, au contraire, des avantages qu’il faudrait valoriser.

La loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux, dite loi zéro artificialisation nette, ou loi ZAN, en est un exemple récent : l’on ne peut pas imposer à la campagne ce qui est nécessaire à la ville. L’on ne peut condamner nos territoires ruraux à ne plus se développer, à rester des cartes postales de la diagonale du vide, au prétexte que les zones urbaines sont trop urbanisées. Ils sont aussi des territoires habités, avec des problématiques différentes de celles des villes, et nos politiques publiques doivent en tenir compte.

C’est le sens du travail que j’ai mené, avec ma collègue Amel Gacquerre, sur la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace), présentée par nos collègues Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier. Nous demandons aujourd’hui au Premier ministre la poursuite de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale, sans quoi, une fois de plus, nos maires ruraux devront continuer à gérer des contraintes imposées au nom des politiques publiques de l’État.

Tenir compte des spécificités, c’est aussi définir une politique publique qui accorde de l’importance à tous les territoires.

Les zones rurales sont aussi confrontées au défi de l’éducation. La politique éducative est un exemple prégnant de ce qui leur est préjudiciable. En effet, elle demeure trop centrée autour de deux éléments : l’échec scolaire et la situation socio-économique des parents.

Aussi la donnée territoriale et les besoins des territoires, dépendants de la géographie, ne sont-ils que trop peu pris en compte, voire méconnus. Ce n’est le cas que dans les réseaux d’éducation prioritaire (REP), ce qui crée de fait une dichotomie entre l’éducation au sein et à l’extérieur de ces réseaux.

Il faudrait une approche prenant en compte les établissements qui sont hors REP, mais qui connaissent de réelles difficultés, dont celles des zones rurales. Il convient aussi de sortir de la logique comptable qui aboutit à des fermetures de classes que les ruraux ne récupéreront jamais.

Tenir compte des spécificités, c’est encore considérer les moyens de développement et les capacités d’innovation propres à nos communes rurales et soutenir ces dernières.

Je pense notamment à l’apport de la médecine thermale à la santé humaine, dont nos territoires ruraux sont généralement le lieu d’exercice. L’activité thermale est une source essentielle du développement économique, humain et sanitaire des zones rurales où elle s’exerce. La mettre à mal soumettrait des territoires ruraux à une fracture territoriale supplémentaire.

Les zones rurales sont aussi face au défi de l’accessibilité, problématique essentielle pour la survie de ces territoires. Ainsi, ces derniers sont trop nombreux à y être confrontés. Sans vouloir tomber dans le chauvinisme, le Puy-de-Dôme est un exemple de cette accessibilité de plus en plus dégradée, d’autant plus à une époque où l’on promeut les transports en commun pour protéger notre planète.

Or comment laisser sa voiture au garage si les dysfonctionnements du train s’accumulent, alors que les solutions à ces derniers sont défaillantes, à l’image des « wagons-secours » qui ne fonctionnent pas eux-mêmes !

La politique publique à mettre en œuvre serait, tout d’abord, d’appliquer toute la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) et de consacrer les moyens financiers nécessaires à sa mise en œuvre. Sans cela, nous, les ruraux, nous sommes condamnés à rester de vilains pollueurs qui ne prennent pas les transports. Nous sommes condamnés à l’enclavement. Nous sommes condamnés à ne pas nous développer économiquement.

Nos entreprises nous rappellent ces défis, à l’exemple du président de Michelin, Florent Menegaux, lequel a déclaré : « Clermont-Ferrand, c’est le tiers-monde en matière de transport ferroviaire », tout en déplorant la « médiocrité » de la desserte aérienne.

De plus, les zones à faibles émissions (ZFE) marginalisent encore plus nos ruraux dans leur accessibilité aux zones urbaines et accentuent leur enclavement. Outre l’éducation de la jeunesse, les zones rurales sont aussi confrontées au défi du vieillissement, accompagné d’une désertification médicale qui persiste. Cette problématique va au-delà de la ruralité, mais prend une acuité forte chez nous.

Ainsi, le rapport sénatorial de novembre 2024, Inégalités territoriales daccès aux soins : aux grands maux, les grands remèdes, traite de ce « sujet de préoccupation majeure des Français » : y est constaté le manque d’équité territoriale en matière d’accès aux soins et un renforcement des inégalités en la matière.

« La situation ne s’est malheureusement pas améliorée : la démographie médicale continue de stagner, alors que la transformation de la pyramide des âges – baisse de la natalité et vieillissement de la population – modifie et accentue continûment les besoins d’accompagnement médical », lit-on dans le rapport. Il faut favoriser des formes de regroupement médical permettant de mutualiser les tâches administratives et de libérer du temps médical au bénéfice des patients.

Les zones rurales sont confrontées à un autre défi majeur pour nos élus ruraux. Ainsi, les communes doivent y être favorisées et soutenues plus efficacement. En premier lieu, il convient de les accompagner plus fortement en augmentant la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), au bénéfice de leurs projets d’investissement.

En second lieu, il faut légiférer sur un statut de l’élu, afin que celui-ci soit accompagné en matière de formation, d’assurance, de responsabilités, d’indemnités, de retraite, etc.

Nos zones rurales font aussi face au défi de l’accès aux services publics. Si les maisons France Services (MFS) ont répondu partiellement au retrait progressif des services de l’État, il convient d’améliorer encore la couverture numérique des territoires les plus éloignés.

Le défi de l’accueil des néoruraux, plus nombreux depuis la crise du covid, représente un autre enjeu pour la ruralité, avec le respect des traditions et de la vie rurale. C’est tout l’objet de la loi du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, présentée en 2019.

Enfin, un défi majeur, qui est d’actualité, consiste à redonner de la compétitivité à l’agriculture française. C’est là tout le bon sens et la nécessité qui sous-tendent la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, présentée par notre collègue Laurent Duplomb, que nous connaissons bien dans cette assemblée et qui mérite notre mobilisation et notre soutien.

M. Jean-Marc Boyer. Rappelons que, selon The Economist, « l’agriculture française est la plus vertueuse au monde ».

En conclusion, le défi de l’avenir de la ruralité est de réduire les fractures territoriales entraînées par des dispositifs pénalisants tels que le ZAN et les ZFE, qu’il convient d’amender, voire de supprimer.

Madame la ministre, mes chers collègues, la ruralité est imprimée au plus profond de notre être et de notre vie de tous les jours. En effet, nous tous, dans cette assemblée, avons des parents et des grands-parents issus de cette France des villages, des campagnes, de la terre, de la mer, de la montagne et de la nature ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Marie-Claude Varaillas et M. Michel Masset applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Michel Masset et Bernard Buis applaudissent également.)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la ruralité représente 22 millions d’habitants, 88 % de nos communes et 31 % de l’industrie française, ce qui est considérable. Pourtant, comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur Boyer, il arrive souvent qu’elle soit réduite à quelques clichés et que l’on manque son potentiel. Je me réjouis donc que le groupe Les Républicains ait inscrit ce débat à l’ordre du jour du Sénat ce soir.

Ce potentiel tient tout d’abord à la complémentarité qui existe entre les villes et la campagne. Celles-ci ne doivent pas être pensées en opposition.

Ce potentiel tient aussi au fait, comme vous le savez tous ici, que les ruralités sont de fabuleux lieux d’innovation, où foisonnent les « trucs qui marchent », de l’exceptionnelle rénovation du bâti à Tréguier jusqu’à l’épicerie solidaire de Saint-Yrieix-la-Perche, en Haute-Vienne.

Pourtant, là où la ville semble être une évidence, la ruralité, ou plutôt les ruralités, tant elles sont diverses, ont longtemps été les grandes absentes de nos politiques publiques. Depuis quelques années, toutefois, nous avons parcouru bien du chemin, comme en témoigne la création d’un ministère dédié.

Grâce à votre engagement, mesdames, messieurs les sénateurs, et à celui de tous les élus, nous avons contribué à remettre la ruralité au cœur du débat public, au travers de dispositifs ambitieux comme l’agenda rural, suivi par le plan France Ruralités en 2023. Je pense aussi au travail de qualité de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, présidée par Bernard Delcros, ainsi qu’à celui du groupe d’études Ruralités présidé par Jean-Jacques Lozach.

Dans la ruralité, tout – accéder à un professionnel de santé, se déplacer, trouver un logement, aller à l’université – peut relever du défi. L’objectif de France Ruralités, sur l’initiative d’Élisabeth Borne, était d’y répondre. Ma visite de trente-six départements, depuis mon arrivée au ministère, m’a permis de m’en rendre compte.

Avec François Rebsamen et l’ensemble du Gouvernement, j’ai déjà engagé des actions concrètes, à plusieurs niveaux.

Tout d’abord, en matière de santé, le plan France Ruralités a déjà permis de renforcer l’offre de soins, avec plus de 1 700 maisons de santé en ruralité et près de 90 % du territoire couvert par une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Nous devons également inciter les jeunes médecins à s’installer en ruralité. C’est tout l’objet de la création d’une quatrième année d’internat. Celle-ci sera effective à la rentrée prochaine, avec l’arrivée de 3 700 docteurs juniors.

Néanmoins, nous devons aller plus loin. Tel est le sens du pacte pour lutter contre les déserts médicaux, annoncé par le Premier ministre le 25 avril dernier. Je tiens à saluer le travail du Sénat sur ce sujet. Je pense particulièrement à la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires du président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, ainsi qu’au travail de la rapporteure générale de la même commission, Élisabeth Doineau.

Ensuite, en ce qui concerne l’éducation, les inquiétudes des élus locaux concernant les fermetures de classe sont légitimes et doivent être entendues.

Cela étant, la création de 203 territoires éducatifs ruraux (TER) au bénéfice de près de 200 000 élèves a été très bien accueillie sur le terrain. Ce dispositif répond aux besoins des familles et des équipes éducatives, mais aussi des collectivités. En outre, nous avons voulu donner aux territoires une visibilité à trois ans de l’évolution démographique, en y associant les élus locaux. Je connais l’engagement de chacun d’entre vous sur ces sujets.

Par ailleurs, lors de mes déplacements, j’ai constaté l’émergence de la question du logement. Nous travaillons sur plusieurs fronts, afin de faciliter l’accès au logement pour tous, d’accélérer les rénovations énergétiques et de lutter contre la vacance.

Ainsi, l’extension du prêt à taux zéro (PTZ) sur l’ensemble du territoire est une avancée notable en vue de faciliter l’accès à la propriété en zone détendue.

MaPrimeRénov’ a permis de rénover, en une année, 270 000 logements en zone rurale. Pas moins de 78 % des communes sont couvertes par un programme de l’Agence nationale de l’habitat (Anah).

Afin de lutter contre la vacance des logements, qui pénalise nos centres-bourgs, une prime de sortie de la vacance propre aux territoires ruraux a été dotée de crédits s’élevant à 12,5 millions d’euros.

Enfin, comme chacun le sait et comme vous l’avez dit, monsieur Boyer, rien n’est possible sans la mise en œuvre de solutions de mobilité dans nos territoires ruraux, la mobilité du premier kilomètre comme celle du dernier kilomètre.

La mesure Développement des mobilités durables en zones rurales du fonds vert a ainsi été dotée de 90 millions d’euros sur trois ans. Le 5 mai dernier, lors de la conférence Ambition France Transports, pilotée par le ministre Philippe Tabarot, j’ai rappelé l’importance de ce sujet et formulé quelques suggestions qui, je l’espère, vous conviendront.

Au-delà de ces mesures concrètes, d’autres dispositifs permettent, aujourd’hui, d’améliorer et de faciliter la vie des habitants.

Je pense ainsi aux 2 800 maisons France Services : il y en a une présente à vingt kilomètres de chacun de nous. Elles sont cruciales pour les particuliers. Je pense aussi aux 2 888 Villages d’avenir et aux 1 650 Petites Villes de demain (PVD), qui offrent un soutien essentiel et extrêmement apprécié en matière d’ingénierie à toutes nos petites communes. Celles-ci peuvent ainsi développer un projet de territoire porteur d’avenir.

Toutefois, je suis convaincue que nous devons aller plus loin. C’est la raison pour laquelle j’ai entrepris, dès septembre dernier, un tour de France des ruralités, afin d’évaluer ce plan avec ceux, que vous connaissez bien, qui le font vivre chaque jour sur le terrain et qui sont en mesure de formuler des suggestions.

Dans la continuité de ces actions, un comité interministériel à la ruralité sera réuni très prochainement pour dresser le bilan de France Ruralités, mais aussi pour poursuivre l’action engagée au travers de nouvelles propositions.

En effet, pour nos ruralités, je crois plus – et c’est la marque du Sénat – au sur-mesure du jardin à l’anglaise qu’à l’uniformité du jardin à la française. Ce n’est pas à Paris que nous pouvons déterminer une politique publique adaptée à nos territoires. Les réalités plurielles de nos territoires ruraux, comme les formidables initiatives locales, doivent inspirer le Gouvernement, mais aussi le législateur, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je suis convaincue que c’est seulement ensemble – État, parlementaires, élus – que nous construirons l’avenir de la ruralité. Un avenir où la ruralité pourra rester l’endroit d’où l’on vient, que l’on choisit de quitter, parfois pour mieux y revenir, mais aussi le lieu où l’on choisit de rester ou de s’installer même quand on n’en vient pas.

Monsieur le sénateur Boyer, pour compléter vos propos, si nous sommes tous des enfants de ruraux, je souhaite que nos enfants puissent être également des ruraux heureux. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Antoinette Guhl et MM. Michel Masset et Bernard Buis applaudissent également.)

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum, y compris pour l’éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Daniel Laurent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)

M. Daniel Laurent. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans nos territoires ruraux, la mobilité n’est ni un luxe ni une option. Elle est une condition de l’égalité des chances et de l’accès à l’emploi, aux soins, à la formation et à la culture. Elle est un droit et elle doit redevenir une priorité nationale.

À ce titre, une étude publiée l’an dernier par l’Institut Terram, avec Chemins d’avenirs et l’Ifop, était sans appel : les jeunes ruraux passent en moyenne deux heures trente-sept minutes par jour dans les transports, contre une heure cinquante-cinq minutes pour les urbains.

Pas moins de 69 % d’entre eux dépendent de la voiture au quotidien, et plus d’un sur deux a déjà renoncé à une activité ou à une formation faute de transports adaptés. Dans le même temps, 63 % déclarent vouloir construire leur avenir en milieu rural. Mais comment le pourraient-ils, quand 70 % des formations postbac sont en métropole, à plusieurs heures de route ?

Dans le secteur ferroviaire, la réalité est implacable : petites lignes et trains supprimés, gares désertées, réseaux dégradés, temps de trajets allongés, usagers découragés. L’absence d’une stratégie de l’État pour la régénération et la modernisation des lignes aggrave encore cette fracture.

Un territoire sans train est un territoire à l’arrêt ! Depuis le début de mon mandat, en 2008, j’ai interpellé une dizaine de ministres des transports sur ce sujet. Je le redis ici, les régions, même volontaristes, ne peuvent assumer seules la relance du ferroviaire rural.

Quant à l’Afit France, elle reste sous-dotée face aux enjeux. M. Farandou, président du groupe SNCF, a alerté sur les besoins financiers, estimés à 1 milliard d’euros par an, pour maintenir en état le réseau. Il a suggéré de profiter de la prochaine négociation sur les concessions autoroutières pour y intégrer une part de financement du réseau ferré et relancer l’écotaxe sur les camions étrangers.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Laurent. Alors que la conférence nationale Ambition France Transports vient de s’ouvrir sous la présidence de Dominique Bussereau, qui connaît bien notre territoire et nos attentes, comptez-vous enfin inscrire la mobilité rurale dans un plan national de financement ambitieux, lisible et équitable ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Laurent, je l’ai rappelé dans mon propos introductif, la mobilité est un enjeu essentiel pour les territoires ruraux.

Nous savons que le ferroviaire fait partie de ces outils de mobilité. De Beillant à Rochefort, deux communes de votre département, la desserte ferroviaire reste vitale pour assurer l’attractivité des territoires ruraux et lutter contre l’assignation à résidence.

Vous l’avez dit, les régions sont des acteurs moteurs pour préserver les lignes ferroviaires, mais elles ne sont pas les seules. Ainsi, dans le cadre du contrat de plan État-régions Mobilités 2023-2027, l’État a investi 104 millions d’euros en 2023, une enveloppe allouée de nouveau en 2024.

Tout en maintenant la plupart des lignes ferroviaires, nous devons aussi penser à des solutions de substitution sur des lignes ferroviaires à fréquentation trop faible. Je pense notamment à des projets de ligne légère, qui permettent de réutiliser des voies avec des normes assouplies et des contraintes adaptées. Un projet existe dans la région Grand Est avec la ligne Nancy-Contrexéville.

Préserver ce qui fonctionne, développer une vision stratégique avec les AOM et inventer le ferroviaire de proximité, comme vous le souhaitez : tel est le sens de la démarche défendue par Philippe Tabarot, qui m’a donné l’occasion d’exprimer la vision nécessaire pour la mobilité en ruralité.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Madame la ministre, les territoires ruraux de notre pays et leurs habitants sont confrontés à de multiples défis. Les plus jeunes sont les premiers exposés, l’accès à l’enseignement supérieur restant un parcours semé d’embûches.

En effet, la répartition géographique du taux de diplômés révèle des inégalités territoriales d’accès à l’enseignement supérieur. Ce taux diminue à mesure que l’on s’éloigne des grandes villes. En témoignent les résultats d’une analyse menée il y a quelques semaines par le professeur des universités Olivier Bouba-Olga.

Cette étude, qui se concentre sur l’accessibilité de l’offre de formation de première année de l’enseignement supérieur, à l’exception des formations d’apprentissage, indique ceci : sur l’ensemble de la France hexagonale, l’exploitation des données de Parcoursup pour 2023 révèle que l’offre de formation s’élève à 77 % dans les pôles urbains majeurs de notre pays.

Le maillage territorial des sites de formation supérieure constitue un levier majeur d’augmentation du niveau de formation, démontrant ainsi des liens forts entre les politiques d’aménagement du territoire et celles qui sont liées à l’enseignement supérieur.

Certains acteurs associatifs agissent quotidiennement pour lutter contre l’autocensure des jeunes ruraux, à l’image de la fédération Des Territoires aux Grandes Écoles.

Néanmoins, force est de constater que des inégalités d’accès à l’enseignement supérieur persistent. Les campus connectés, lancés en 2020 sous l’impulsion du Président de la République, en réponse au mouvement des « gilets jaunes », devaient permettre de réduire les fractures sociales et territoriales.

Si le dispositif a montré son utilité dans certains territoires, comme à Nevers, il peut encore être amélioré, selon les recommandations d’un rapport publié il y a quelques jours par la Banque des territoires.

Madame la ministre, au-delà des campus connectés, quelles actions envisagez-vous pour renforcer l’égalité des chances dans l’accès à l’enseignement supérieur pour tous les jeunes issus de la ruralité ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Vous posez une question essentielle, monsieur le sénateur, celle de l’accès des jeunes à un chemin professionnel et à un chemin de vie choisi. L’accès à l’enseignement supérieur reste un vrai sujet.

Jusqu’au collège, certains élèves des zones rurales réussissent aussi bien que les élèves des villes. Ensuite, les choses changent, car nombre d’enfants des zones rurales s’orientent vers des voies professionnelles, et trop peu accèdent à l’enseignement supérieur.

Face à cette réalité indéniable, il est impératif d’organiser les choses différemment. La ministre de l’éducation nationale, Élisabeth Borne, le ministre de l’enseignement supérieur, Philippe Baptiste, et moi-même avons lancé un travail important sur ce sujet, car nous partageons la nécessité d’avancer.

Tout d’abord, le Premier ministre a exprimé son souhait d’ouvrir une première année d’accès aux études de santé dans chaque département. C’est une première réponse aux difficultés que vous soulevez.

Ensuite, nous avons lancé une expérimentation des options santé et médecine dans certains lycées, qui devrait pouvoir être élargie.

Enfin, il conviendrait de développer de premiers cycles d’université dans des villes moyennes et des chefs-lieux de département.

Vous avez parlé des campus connectés. Je me suis rendu à celui de Nevers, qui est assez remarquable, les résultats des étudiants de première année de médecine étant supérieurs à la moyenne nationale. Les campus connectés doivent, pour certains, être améliorés, même si ce ne peut être une solution unique.

Pas plus tard que cet après-midi, Élisabeth Borne et moi-même avons discuté de la possibilité d’installer dans des lycées une première année de formation supérieure. L’idée est de proposer, au plus près des jeunes des territoires, une palette de formations supérieures qui leur ouvre une voie vers l’avenir et attire les habitants et les entreprises dans nos territoires.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Madame la ministre, je me satisfais de ce débat sur la ruralité. Je connais votre attachement à ce sujet, comme vous connaissez celui du groupe RDSE.

J’appelle votre attention sur un sujet central, déjà évoqué il y a quelques instants, celui de la mobilité en milieu rural.

Vous le savez, les déplacements en transports en commun sont très marginaux chez nous, dans nos circonscriptions rurales. Bien que nous défendions le maintien des petites lignes de train, les trajets en voiture restent incontournables au quotidien pour se rendre sur son lieu de travail, déposer ses enfants à l’école, faire ses courses, accéder aux services publics ou aller chez le médecin, soit autant d’actions indispensables à la vie locale.

C’est la raison pour laquelle la voiture, donc le permis de conduire, représente toujours pour nous l’autre nom de la liberté.

Dans le Lot-et-Garonne, nous faisons face à un manque patent d’examinateurs. Cette situation relègue notre jeunesse et tous les candidats à des listes d’attente à rallonge et réduit le nombre d’inscriptions dans les auto-écoles, qui sont à leur tour durement affectées. Je veux donc tirer la sonnette d’alarme pour enrayer la désertification des mobilités en milieu rural, qui s’ajouterait à la désertification médicale, entre autres.

Ce problème doit faire l’objet d’une réelle prise de conscience, afin de ne pas entraver l’essor de nos ruralités, qui souffrent déjà du manque de services publics.

Madame la ministre, avez-vous identifié cette problématique précise ? Et quelles mesures d’urgence envisagez-vous de prendre en faveur de la mobilité ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Masset, je vous remercie d’avoir posé cette question essentielle. Vous avez raison de le rappeler : la voiture reste et restera dans nos territoires ruraux le mode de déplacement majoritaire, même si nous devons aller vers des modes de covoiturage et d’autopartage.

Nous le savons, l’outil de la liberté, c’est le permis de conduire, car il permet aux jeunes de ne plus être assignés à résidence. Or nous déplorons aujourd’hui un engorgement extrêmement fort, lié à une hausse des inscriptions dans les auto-écoles et au retard pris pendant la crise covid.

Compte tenu de ces éléments, les postes budgétaires pour les inspecteurs du permis de conduire ont été priorisés. Nous avons ainsi recruté successivement 15 équivalents temps plein (ETP) en 2023 et 38 en 2024. Ils ont été répartis dans les départements où l’urgence était la plus forte.

Nous avons également autorisé, au titre de l’année 2025, l’ouverture exceptionnelle d’une seconde session de concours externe et interne pour le recrutement des inspecteurs.

D’autres leviers sont utilisés à l’échelon local. Ainsi, des inspecteurs retraités peuvent continuer à réaliser des examens sous couvert de conventions, tandis qu’un dispositif d’examen supplémentaire permet aux inspecteurs d’effectuer des examens pratiques en heures supplémentaires le samedi.

En 2024, ces mesures concrètes ont permis d’assurer 125 550 examens supplémentaires. Nous devons toutefois veiller à retrouver un flux plus accessible, afin que la situation ne se dégrade pas de nouveau.

Soyez assuré de notre attention sur ce sujet, monsieur le sénateur.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset, pour la réplique.

M. Michel Masset. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. J’appelle votre attention sur un document stratégique à mes yeux, qui devrait devenir la boussole de l’action publique locale et nationale en faveur de la ruralité : le schéma départemental d’amélioration de l’accessibilité des services au public (SDAASP).

Ce document, introduit par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe, présente un diagnostic territorial des services publics et privés sous-utilisés. Il devrait, selon moi, devenir un outil de pilotage des politiques publiques, afin que les territoires ruraux relèvent les défis qui se présentent à eux.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Le temps m’étant compté, je ne serai pas longue. Vous avez parfaitement raison, monsieur le sénateur ; le plan de développement des maisons France Services fait d’ailleurs partie de ce schéma.

Je suggérerai que, après les élections municipales, dans chaque département, un échange se tienne de nouveau avec collectivités et le préfet pour déterminer la manière dont ce document doit être mis en œuvre et peut évoluer.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.

M. Jean-François Longeot. Madame ministre, vous le savez, la ruralité a toujours été au cœur de mon engagement.

Récemment, nous avons saisi le Conseil constitutionnel d’une proposition de loi dont nous redoutions l’inconstitutionnalité. Ce texte, qui étend l’application du scrutin paritaire à l’ensemble du bloc communal, est désormais promulgué.

Si l’objectif est louable, son application en milieu rural suscite de vives inquiétudes, car nos collectivités locales, premiers échelons de la République et véritables poumons de la ruralité, risquent l’asphyxie. Nous en avons pleinement conscience dans cet hémicycle, mais, reconnaissons-le, nos efforts demeurent insuffisants. Le défi est immense, et certaines mesures mal calibrées fragilisent ce tissu local.

Samedi dernier, lors de l’assemblée générale des maires du Doubs, plus des trois quarts des élus étaient absents. Parmi les présents, nombreux sont ceux qui ont exprimé leur incompréhension, voire leur rejet de ce texte.

À l’inverse, une autre initiative, d’origine sénatoriale, fait consensus : la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local. Ce texte porte en germe une réponse concrète à l’érosion de l’engagement que nous observons sur le terrain. Cette initiative, c’était la vôtre, madame Gatel, avant que vous ne deveniez ministre !

Comment étions-nous supposés agir ? Voilà plus d’un an que vous avez répondu à cette interrogation. Aujourd’hui, il reste une question essentielle : quand ?

Quand serons-nous capables de redonner vie aux territoires et de représenter la République dans chaque village ?

Quand votre proposition de loi sera-t-elle inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ?

Quand, en l’absence de procédure accélérée, la deuxième lecture de ce texte aura-t-elle lieu au Sénat ?

Si nous voulons rassurer les élus à la veille des élections municipales, nous devons leur faire confiance. Surtout, cessons de leur opposer un certain nombre d’obstacles : vu ce qu’on leur demande déjà, nous les mettrions davantage en difficulté, notamment dans les petites collectivités. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Vous connaissez ma franchise, monsieur le sénateur. Elle ne m’a pas quittée quand je suis entrée au Gouvernement.

Vous me posez deux questions précises : l’une sur la proposition de loi visant à généraliser le scrutin de liste paritaire à l’ensemble des communes dans le cadre des élections municipales, l’autre sur la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local.

Commençons par le premier texte, cher Jean-François Longeot. Nous en avons débattu et avons saisi le Conseil constitutionnel. Aujourd’hui, les choses sont ce qu’elles sont.

Pour ma part, je respecte l’avis de chacun sur ce sujet, qui ne peut pas recueillir d’unanimité. Depuis mon entrée en fonction, j’ai visité trente-six départements et rencontré tous les élus à chacun de mes déplacements. Certains d’entre eux m’ont dit que l’extension du scrutin de liste paritaire constituait encore une complication, à un an des élections municipales.

Je comprends leurs inquiétudes, mais, dans le même temps – je vous le dis avec ma conviction profonde –, j’ai accepté de défendre au banc des ministres cette proposition de loi, déposée par une députée, car je connais la souffrance des élus au sein du conseil municipal dans les communes de moins de 1 000 habitants.

Le scrutin de liste paritaire, bien qu’il semble difficile à mettre en place, m’est apparu comme une bonne solution ; les communes de moins de 1 000 habitants ne changeraient pas d’avis.

Ensuite, concernant le statut de l’élu local, je serai rapide et claire. Je vous remercie de m’avoir posé votre question aujourd’hui, plutôt qu’il y a trois semaines, car je sais désormais que la proposition de loi sénatoriale, votée ici à l’unanimité, sera examinée à l’Assemblée nationale du 30 juin au 3 juillet – je précise bien qu’il s’agira de juillet 2025 ! (Sourires.) Et elle sera probablement de retour au Sénat en septembre prochain.

J’espère que ce texte prospérera, par respect pour tous les élus locaux, comme vous l’avez justement souligné. (M. Bernard Buis applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la ministre, les territoires ruraux couvrent 75 % du territoire métropolitain et comptent 22 millions d’habitants, soit près du tiers de la population française. Ils concentrent 80 % des communes et sont au cœur des transitions démographiques, écologiques, économiques et sociales.

Pour éviter les exclusions et le sentiment d’abandon qui nourrissent le populisme, nous devons renforcer les services publics – transports, santé, éducation, nouvelles technologies – et permettre l’égal accès de chacun aux besoins élémentaires, quel que soit son lieu de vie.

C’est en agissant sur le réel des habitants, pour réduire les inégalités, que nous trouverons le chemin du développement, car, au-delà de leurs paysages, les territoires ruraux sont des acteurs majeurs de l’aménagement du territoire.

La crise sanitaire a révélé le désir de campagne d’une partie de la population. L’enjeu, à l’avenir, serait de concilier le potentiel de développement, qui résulte notamment de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN), avec le respect des aménités rurales, qui doivent être correctement rémunérées.

Aujourd’hui, les territoires ruraux fournissent alimentation, eau potable et forêts aux autres territoires, y compris les métropoles. Sont-ils rémunérés à leur juste valeur, alors qu’ils contribuent à la qualité de vie globale des habitants ?

Grâce à la commande publique, les collectivités en zone rurale peuvent soutenir l’agriculture, les circuits courts, la production et la consommation locale, ainsi que l’économie et le logement, par la réhabilitation des friches et du bâti ancien dans nos bourgs.

Nous devons renouer avec une stratégie nationale d’aménagement du territoire, en n’excluant pas les territoires ruraux d’un système concentré qui n’a pas produit le ruissellement attendu.

Il est urgent de redonner du sens au mandat des élus du dernier kilomètre et de prévoir les moyens adéquats pour faire de l’espace rural, non pas un oublié de la République, mais le fer de lance des transitions qui sont devant nous.

Aussi, madame la ministre, que pensez-vous d’une nouvelle loi d’aménagement du territoire, qui prendrait précisément en compte ces nouveaux défis et qui, bien sûr, serait assortie de moyens et d’une réforme de la fiscalité locale ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice, votre philosophie de la ruralité soulève de nombreuses questions. Aujourd’hui, je m’occupe de la ruralité avec beaucoup de conviction et de passion. Je pense, comme vous, qu’elle est la clé du développement durable et une chance pour notre pays.

Nous devons à la fois faire face aux difficultés et nous convaincre qu’il n’y a pas de fatalité. La ruralité doit être forte et vivante ; autrement dit, elle doit être productive et accueillir de nouveaux habitants.

On l’a dit, plusieurs difficultés se posent, notamment en matière d’accès aux soins, de mobilité et de logement. Toutefois, de nombreuses initiatives permettent d’y faire face. Encore une fois, chez les élus des trente-six départements que j’ai visités, je n’ai jamais entendu de résignation.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. J’entends les difficultés, et nous devons les écouter, mais je vous invite à vous rendre, à mes côtés, à toutes les réunions organisées avec les élus locaux. Vous verrez qu’ils sont attachés à leur territoire et qu’ils se battent.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Il faut que nous les aidions, et c’est précisément ce que nous faisons. En effet, on compte désormais 2 888 programmes Villages d’avenir et 1 650 programmes Petites Villes de demain. Les maisons France Services et l’ingénierie que l’État a mise à disposition des collectivités rurales sont autant de changements de politique qu’il nous faut accompagner et poursuivre.

Nous avons aussi reconnu l’importance de la ruralité et ce qu’elle nous apporte avec les aménités rurales, que l’on appelait avant la dotation biodiversité. Entre 2023 et 2025, leur valorisation est passée de 40 millions à 110 millions d’euros. C’est la preuve que nous reconnaissons la valeur de nos territoires ruraux.

Je ne crois pas au père Noël, je ne suis pas naïve et je n’ignore pas les difficultés. Néanmoins, je sais l’énergie déployée par certains et j’ai conscience de la nécessité d’avancer ensemble.

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Quant à la fiscalité locale, je pense qu’elle doit être débattue, rebattue et peut-être même rabattue.

C’est un chantier qui, vu l’ordre du jour parlementaire, me semble difficile à envisager, mais il y a toujours un lendemain.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, alors que nous avons fêté, le 17 janvier dernier, les cinquante ans de la loi Veil, et un an après la constitutionnalisation de la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG), l’accès à ce droit fondamental reste largement inégal sur le territoire.

Pour les 11 millions de femmes vivant en zone rurale, il n’est toujours pas garanti. En juillet 2024, une étude de l’Ifop commandée par le Planning familial rappelait que plus de la moitié des femmes vivant en zone rurale et ayant eu recours à l’avortement faisaient part d’inégalités d’accès à l’IVG.

En 2021, l’excellent rapport d’information Femmes et ruralités, élaboré en partie par ma collègue Raymonde Poncet Monge, au nom de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, pointait déjà ces inégalités : déficit d’offres de soins en milieu rural, difficultés d’accès à l’IVG, impact préjudiciable sur la santé des femmes, etc.

Avorter en zone rurale se révèle encore aujourd’hui un véritable parcours de la combattante. Selon le Planning familial, 131 centres d’IVG ont fermé leurs portes sur le territoire au cours des quinze dernières années. Résultat, un allongement des délais entre la première demande de rendez-vous et la réalisation de l’IVG, une méthode d’avortement parfois imposée ou encore un allongement du temps de trajet.

En 2022, quelque 17 % des femmes ayant eu recours à l’avortement se sont rendues hors de leur département. Dans les Hautes-Alpes ou dans l’Indre, départements limitrophes de l’Isère, ce taux dépasse les 40 %.

Le département de la Drôme a voté, en mars dernier, la fermeture de sept centres de santé sexuelle, dans un territoire qui en compte dix-huit au total, et acté la baisse de 20 % des budgets alloués aux onze autres centres. La stratégie nationale de santé sexuelle 2017-2030, lancée par le Gouvernement, avait pourtant érigé la proximité comme principe d’action.

Alors que les 11 millions de femmes vivant en zone rurale portent nos territoires et qu’elles pallient chaque jour le désengagement croissant de l’État, elles sont les grandes oubliées de vos politiques publiques.

Aussi, madame la ministre, qu’allez-vous donc faire pour que le droit à l’avortement puisse être garanti partout et pour toutes ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le président Gontard, vous avez raison de rappeler que fêtons les cinquante ans de la loi Veil et que nous avons inscrit dans la Constitution le droit des femmes à recourir à l’IVG.

Votre question porte sur un sujet particulier, qui, de manière générale, doit être rattaché à la question de l’accès aux soins. Je rappellerai un seul chiffre : en France, on compte en moyenne 2,6 gynécologues pour 100 000 femmes en âge de consulter, ce qui est absolument insuffisant. La fin du numerus clausus permettra sans doute d’améliorer les choses. Notez que 77 départements sont en dessous de cette moyenne et que 13 ne comptent aucun gynécologue aujourd’hui.

Face à ces réalités, le Gouvernement n’est pas resté inactif, puisqu’il a apporté des réponses concrètes.

Depuis 2016, les sages-femmes, qui sont d’ailleurs désormais plus nombreuses à s’installer dans des territoires ruraux, peuvent prescrire et pratiquer l’IVG médicamenteuse. Depuis 2023, elles sont même autorisées à pratiquer l’IVG en établissement. Quant à la téléconsultation, elle permet désormais d’accéder à une IVG médicamenteuse sans se déplacer dans les délais légaux.

Ces mesures renforcent un réseau de proximité essentiel, grâce à l’engagement des sages-femmes et des pharmaciens.

Je souhaite également saluer une initiative exemplaire, le « gynécobus » des Ardennes. Ce dispositif mobile, piloté par une sage-femme et une auxiliaire de puériculture, propose un accès direct à la contraception, au dépistage et à l’information de l’IVG, dans un territoire sous-doté en professionnels de santé.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou.

M. Serge Mérillou. Madame la ministre, je souhaite vous interpeller sur une injustice criante de notre fiscalité, qui affecte gravement les communes rurales : la suppression de la taxe d’habitation (TH) et son corollaire, le coefficient correcteur.

Après la suppression de la TH, le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) a été transféré des départements aux communes. Toutefois, il n’est pas égal au montant de la ressource de TH perçu par la commune. Si ce montant est supérieur, on parle de communes surcompensées ; s’il est inférieur, de communes sous-compensées.

Le coefficient correcteur a pour objectif de compenser ces écarts communaux, mais il a des effets de bord regrettables. En effet, dans les départements ruraux, les montants de la taxe foncière dépassent en volume ceux de la suppression de la taxe d’habitation.

L’excédent collecté par les communes rurales se retrouve donc affecté à d’autres collectivités, essentiellement urbaines, où les revenus sont plus élevés.

En Dordogne, 498 communes sont dites surcompensées et 5 sous-compensées. La part de la taxe foncière reversée est donc très élevée : plus de 57 millions d’euros pour mon département, payés par les contribuables locaux et réaffectés à d’autres secteurs. Ainsi, Neuilly serait l’heureuse bénéficiaire de 6 millions d’euros !

L’Union départementale des maires et l’Association des maires ruraux de France (AMRF) dénoncent un mécanisme injuste et inéquitable, qui a accentué encore la fracture territoriale.

Avant d’envisager un nouvel impôt local, ne serait-il pas plus opportun de revenir sur ce mécanisme qui prive les territoires de moyens importants et rompt le lien fiscal entre l’habitat et sa commune ?

Madame la ministre, je souhaiterais savoir quelles mesures correctives le Gouvernement entend prendre à ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Mérillou, votre question touche à deux principes qui sont chers aux yeux de tous les élus locaux, me semble-t-il : la solidarité et la péréquation.

Lorsque le Gouvernement a supprimé la taxe d’habitation, il s’est engagé à compenser les collectivités concernées, ce qui est bien normal, en commençant par attribuer aux communes une part départementale de la taxe foncière.

Ensuite, ce seul transfert ne suffisant pas, il a fallu assurer l’équité entre les communes ; je pense que personne, ici, n’en voudra au Gouvernement, surtout les sénateurs issus de vos rangs.

Certaines communes ont été surcompensées, tandis que d’autres ont été sous-compensées. Voilà pourquoi nous avons instauré un mécanisme de coefficient correcteur, pour garantir l’équilibre de la compensation à l’euro près.

Certes, la péréquation fait des perdants et des gagnants, mais c’est le principe même de la solidarité. La vertu de ce dispositif est de permettre de nous adapter aux dynamiques des territoires, plutôt que de figer pour l’éternité des montants qui existaient lors de la suppression de la taxe d’habitation.

Par ailleurs, la liberté des communes est préservée. Je rappelle qu’elles peuvent user de leur pouvoir de taux sans que cette décision influe sur le coefficient correcteur.

Au-delà du remplacement de la taxe d’habitation par la part départementale de la TFPB, je rappelle que l’État participe à la compensation des collectivités à hauteur de 728 millions d’euros.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Brault. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Jean-Luc Brault. Madame la ministre, demain, pourra-t-on continuer à vivre dans nos campagnes ? Aujourd’hui, 40 % des Français y résident. Pourtant, nos communes rurales, notamment dans le Loir-et-Cher – je vous remercie de vous y être rendue ce matin –, se trouvent parfois délaissées, déclassées, voire abandonnées.

Nombre de leurs habitants se sentent comme des citoyens de seconde zone, même si je sais très bien combien vous avez défendu les zones de revitalisation rurale (ZRR), ce qui dont je veux vous remercier.

Insertion professionnelle, accès à la formation, aux services publics, aux soins, mais aussi aux loisirs et aux activités culturelles : les besoins sont importants. En tant que chef d’entreprise, j’ai vu nombre d’apprentis parcourir chaque matin des dizaines de kilomètres en mobylette pour apprendre les métiers de plombier, de chauffagiste ou d’électricien.

La mobilité est un élément essentiel, la base de la satisfaction de tous ces besoins et la condition préalable au développement économique et social de nos campagnes. Un Français sur quatre a déjà refusé un emploi faute de moyen de transport.

Les politiques publiques doivent permettre le développement de transports complémentaires et alternatifs.

Si nous entendons désenclaver nos campagnes et empêcher que les jeunes soient assignés à résidence et les moins jeunes contraints à l’exode, il nous faut résorber la fracture entre les territoires en renforçant la mobilité.

Pour cela, avant de développer de nouvelles solutions, soutenons ce qui fonctionne. Je souhaite ainsi vous faire part du dernier cas concret d’absurdité sur mon territoire du Loir-et-Cher, dont Bernard Pillefer peut témoigner également : la décision unilatérale, voire condescendante, de la SNCF de supprimer le train de huit heures cinquante-deux à Vendôme, sur la ligne Poitiers-Châtellerault-Tours-Vendôme-Paris.

Lors de nos échanges avec la SNCF, il n’a jamais été question du quotidien des travailleurs, de ceux qui ont des enfants à faire garder, des élus qui se battent chaque jour pour maintenir les entreprises locales et en attirer de nouvelles. Il n’a été question que de chiffres et de courbes, jamais de la place de la mobilité dans les territoires ruraux !

Madame la ministre, demain, pourra-t-on continuer de vivre à la campagne ? Quelles sont les priorités du Gouvernement pour développer les mobilités, au pluriel, dans les territoires ruraux ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Bernard Pillefer et Jean-Marc Boyer applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Jean-Luc Brault, permettez-moi de vous saluer chaleureusement, ainsi que le sénateur Bernard Pillefer, car nous avons passé la matinée ensemble sur votre territoire, et la question de la mobilité a été au cœur de nos échanges.

Je tiens à vous rassurer : oui, nous continuerons à vivre à la campagne. Je ne nourris aucune inquiétude à ce sujet, mais plutôt une ambition, qui me semble faire écho à la vôtre.

La problématique des mobilités est un vrai sujet, j’en suis pleinement consciente. Nous avons évoqué de multiples solutions, car celles-ci existent. Certaines d’entre elles sont très lourdes, mais à la campagne, ce sont surtout des microsolutions qui s’imposent, car il n’est pas envisageable de mettre en place des lignes de bus cadencées comme en milieu urbain. L’enjeu est d’innover pour assurer la mobilité du premier et du dernier kilomètre.

Vous soulevez la question des trains. J’ai eu l’occasion de répondre au sénateur Daniel Laurent précédemment et je vous invite à suivre de près les travaux d’Ambition France Transports, pilotés par votre ex-collègue, le ministre Philippe Tabarot, et par Dominique Bussereau.

Vous appelez mon attention sur un sujet spécifique au Vendômois. L’évolution qui suscite votre contrariété, je l’entends, illustre parfaitement les adaptations que la SNCF, gestionnaire de ce service, se doit de mettre en œuvre. Le cœur du problème réside dans la saturation du premier TGV, qui arrive à Paris à huit heures trente-six. Ce train est pris d’assaut par les voyageurs, alors même que celui qui le suit affiche un taux de remplissage inférieur de moitié environ.

Face à ce constat, la SNCF souhaite expérimenter pendant six mois une nouvelle offre visant à accroître la capacité du train de huit heures trente-six en y adjoignant une seconde rame, ce qui implique la suppression du train de neuf heures trente-six, qui n’était qu’à moitié plein. Au total, cette réorganisation se traduira par une augmentation globale du nombre de places disponibles, à hauteur de 650 places supplémentaires sur l’ensemble de la matinée.

Cette expérimentation a été menée à la suite de discussions avec les élus locaux ; je vous encourage vivement à vous y associer et à prendre part à cette réflexion collective.

En toute sincérité, il ne me semble pas qu’une augmentation de capacité de 650 places aux heures de pointe puisse être interprétée comme le signe d’un abandon de la ruralité, monsieur le sénateur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Demas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Demas. Madame la ministre, notre débat de ce soir m’invite à considérer la problématique sous l’angle du numérique et de l’accès aux services publics.

M. Patrick Chaize. Très bien !

Mme Patricia Demas. J’ai la conviction profonde que, si nous ne laissons personne au bord des chemins de la connexion dans la ruralité, alors nous pourrons affirmer avec certitude que nos politiques publiques sont efficientes.

L’accès au très haut débit par la fibre optique est essentiel pour la ruralité, nous le savons tous. Cependant, au-delà de la disponibilité de l’infrastructure, se pose avec acuité la question de l’accès effectif et abordable pour tous les foyers.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, dans mon département, l’analyse de la situation sur un échantillon de huit communes rurales révèle que, bien que la couverture en fibre atteigne environ 96 %, la somme des lignes filaires effectivement actives, en additionnant cuivre et fibre, n’atteint qu’environ 32 %.

Cela signifie que 68 % des logements de ces communes rurales ne disposent à ce jour d’aucun service filaire actif et devront, à l’avenir, se tourner vers la fibre optique pour répondre à leurs besoins.

Une question essentielle se pose aujourd’hui pour ces nombreux logements, dont le cas de figure est loin d’être isolé : alors que le réseau cuivre est voué à disparaître, quelles garanties le Gouvernement peut-il apporter quant à l’effectivité du raccordement des foyers restants au moment du décommissionnement et dans la période qui suivra ?

Plus précisément, comment s’assurer que ce raccordement s’opérera dans des conditions financières équitables et stables, y compris dans les cas techniques complexes, et que l’effort demandé aux citoyens de la ruralité pour accéder à ce service essentiel, notamment en lieu et place d’un service universel, demeurera maîtrisé et prévisible ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice Patricia Demas, votre question porte sur un sujet important : il est primordial que la ruralité bénéficie aujourd’hui de ces technologies.

Force est de constater que la situation est très inégale selon les départements. Certains d’entre eux affichent une performance remarquable, tandis que d’autres, pour des raisons parfois indépendantes de la volonté de leurs élus, accusent un certain retard.

L’État a investi plus de 3,5 milliards d’euros dans le plan France Très Haut Débit. Vous l’avez souligné, certains raccordements se révèlent complexes, et il incombe à l’opérateur de les mettre en place. Un dispositif, piloté par la direction générale des entreprises (DGE), sera expérimenté à partir de septembre prochain dans 3 141 communes où la fermeture du réseau cuivre est prévue d’ici à 2027. Il vise à aider les très petites entreprises (TPE) et les particuliers les plus vulnérables à financer les travaux qui leur reviennent.

Par ailleurs, l’État a mis en place le dispositif Cohésion numérique des territoires, qui permet de financer l’équipement en solution de substitution hertzienne, par exemple par satellite, dans l’attente du déploiement de la fibre dans certains territoires.

S’agissant de la fermeture du réseau cuivre, il convient de rappeler qu’elle est soumise à de strictes conditions : la fibre optique doit être disponible sur la zone, des délais de prévenance suffisants doivent être respectés, enfin, une obligation de transparence sur le calendrier de fermeture et de partage d’informations s’applique. Au niveau local, des comités organisés sous l’égide des préfets assurent le suivi du plan de fermeture sur le territoire.

Je vous invite ainsi, madame la sénatrice, à contacter votre préfet pour suivre l’évolution des progrès que vous attendez et qui me paraissent légitimes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Demas, pour la réplique.

Mme Patricia Demas. Madame la ministre, j’appelle votre attention sur une pratique préoccupante de certains opérateurs qui imposent des coûts prohibitifs aux citoyens souhaitant se raccorder.

Le Gouvernement devrait assurer un suivi étroit de cette situation.

Mme la présidente. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Madame la ministre, je souhaite associer à ma question notre collègue Bernard Delcros, défenseur infatigable de la ruralité.

Avec plus de 70 % des trajets en milieu rural effectués en voiture individuelle, contre 54 % en milieu urbain, les territoires ruraux se caractérisent par une dépendance très forte à ce moyen de locomotion. Cette réalité est loin d’être anodine : les véhicules particuliers sont responsables de plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, lequel représente lui-même environ un tiers des émissions annuelles de notre pays.

Cependant, les solutions de rechange à la voiture individuelle peinent à voir le jour dans le monde rural. Le maillage en transports en commun, plus coûteux qu’en zone urbaine, n’est pas satisfaisant ou trop irrégulier ; les mobilités actives, comme le vélo ou la marche, sont peu adaptées aux territoires concernés et à certains usagers ; enfin, les espaces clés pour la multimodalité sont souvent éloignés.

C’est pourquoi l’annonce en 2023 par le Gouvernement de la création d’un fonds de soutien de 90 millions d’euros sur trois ans à la mobilité en zone rurale, abrité dans le fonds vert, constituait une réponse intéressante. Cette ouverture budgétaire a permis d’accompagner les autorités organisatrices de la mobilité rurale et leurs partenaires, dont les associations, dans le déploiement d’une offre de mobilité durable, innovante et solidaire, dite du dernier kilomètre.

Alors que ces crédits ont été intégralement consommés pour 2024, je souhaite savoir, d’une part, madame la ministre, si vous êtes déjà en mesure d’apporter un éclairage sur l’utilisation de ce fonds, et, d’autre part, si celui-ci est menacé dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2026.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice Denise Saint-Pé, je vous remercie de votre question, qui aborde la problématique de la mobilité et apporte des précisions à la fois sur les attentes des collectivités et sur l’action de l’État, rendue possible grâce au vote, notamment par le Sénat, des 90 millions d’euros du fonds vert qui sont dédiés aux expérimentations de mobilité.

Je le répète en toute lucidité : nous pouvons le regretter, mais la voiture reste, et restera longtemps encore, la solution du premier ou du dernier kilomètre dans les territoires ruraux.

L’enjeu est de développer des solutions innovantes d’autopartage et de covoiturage. C’est précisément l’objet de ces 90 millions d’euros, soit une enveloppe de 30 millions par an. Le plan France Ruralités constitue à ce titre un signal fort. Cette somme a été utilement dépensée pour accompagner cette mobilité du dernier kilomètre, souvent mise en place par les intercommunalités.

L’État a ainsi accompagné 225 projets en 2024, et une soixantaine d’autres sont encore en cours d’examen, pour un taux moyen de subvention par projet qui s’élève à 80 000 euros, afin d’initier un processus de solutions souples et agiles. Ce montant est significatif au regard du coût de mise en œuvre de ces solutions.

Vous connaissez bien cela, madame la sénatrice, puisque votre territoire a été tout à fait innovant dans ce domaine : la communauté de communes du Béarn des Gaves a sollicité le fonds vert et a obtenu 70 000 euros pour faciliter la mise en œuvre d’un dispositif qui fonctionne bien et donne satisfaction.

Je forme le vœu que nous continuions à soutenir ces solutions de mobilité, de même que le plan Vélo.

Par ailleurs, 20 millions d’euros sont prévus pour les autres projets en 2025. J’ai la conviction que de nouvelles solutions pour dégager des ressources existent.

Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. J’en ai parlé à Ambition France Transports et j’espère que le Sénat nous suivra sur cette voie.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrice Joly. Madame la ministre, nos territoires ruraux glissent inexorablement, d’élection en élection, vers le populisme, vers un vote de colère et de désespoir qui menace jusqu’aux fondements de notre République.

Pourquoi ? Parce que, même si le sujet des territoires ruraux est revenu dans le débat public ces dernières années, malgré de nouveaux dispositifs, la politique nationale ne prend pas suffisamment en compte notre ruralité française.

Les habitants des campagnes voient leurs écoles fermer, leurs commerces disparaître, leurs services publics s’éloigner ; ils voient leur avenir se rétrécir. Ce sentiment d’abandon n’est pas une simple impression ; il correspond à une réalité palpable.

Il n’agit non pas seulement d’une question de justice ou d’équité, mais de la survie de notre démocratie. À force de laisser ces territoires s’enfoncer dans la défiance et le ressentiment, nous ouvrons grand la porte à ceux qui prospèrent sur la colère, à ceux qui promettent tout et n’apportent rien, sinon la division et la haine.

Il est urgent d’agir, d’investir et de redonner espoir et perspectives à ces millions de Français.

Ne nous trompons pas de diagnostic : les territoires ruraux sont non pas des poids morts ou des freins au progrès, mais bien des atouts majeurs pour relever les défis du XXIe siècle. Ils nourrissent la France, ils produisent de l’énergie, ils préservent nos ressources naturelles. Ils inventent déjà les solutions de demain et, pour cela, ils ont besoin d’être soutenus, reconnus et valorisés.

Les dispositifs actuels, aussi louables soient-ils, comme Action cœur de villes, Petites Villes de demain ou encore Villages du futur, sont loin d’être suffisants. Ils apportent principalement un soutien en ingénierie, mais pas un euro de plus, ou si peu.

Il faut prendre des mesures fortes et courageuses en matière d’accès à la santé, de mobilité, de revitalisation économique, de logement, et accorder enfin des moyens à nos collectivités rurales.

Madame la ministre, le temps n’est plus aux demi-mesures.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur, je connais votre attachement à la ruralité, mais, avec tout le respect que j’ai pour vous, je ne partage pas la tonalité avec laquelle vous en parlez et ce que vous dites de l’absence de mesures de la part de l’État. Or je vous connais suffisamment bien pour savoir que nous pourrions partager une certaine objectivité à ce sujet.

Je me suis rendue dans votre département, en présence également de votre collègue Nadia Sollogoub. Comme moi, vous avez entendu les élus évoquer leurs difficultés. Vous m’avez entendue dire que celles-ci étaient réelles, mais j’ai aussi souligné combien les maisons France Services me semblaient utiles. En disconvenez-vous ?

Elles sont plébiscitées, avec 35 millions de demandes traitées et un taux de satisfaction de 95 %. C’est un service public qui n’a jamais existé auparavant, y compris dans les grandes villes.

Les Villages du futur, les Petites Villes de demain, les maisons de santé, etc., cela existe. Monsieur le sénateur, vous êtes honnête, comme moi. Vous ne pouvez donc pas soutenir que rien n’est fait et que nous nous contentons de pleurer sur le sort de la ruralité !

Souvenez-vous que nous avons constaté ensemble la réussite magnifique de l’entreprise Nexson, positionnée sur des niches exceptionnelles, que même les Chinois nous envient. Or celle-ci se trouve chez vous, en pleine ruralité ! Cela montre bien que ces zones recèlent des pépites. Si nous ne parvenons pas à les mettre en valeur, comment voulez-vous que des entreprises de ce calibre tout à fait exceptionnel souhaitent s’installer chez nous ?

Certes, des difficultés existent, admettons-le et retroussons nos manches. Pour autant, monsieur le sénateur, je ne sais certes pas chanter comme Jacques Brel, mais « gémir n’est pas de mise » !

Nous devons agir ensemble, et je compte sur vous, comme nous comptons les uns sur les autres, pour susciter de l’espérance pour nos territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly, pour la réplique.

M. Patrice Joly. Madame la ministre, je vous entends bien, et je n’ai pas gémi ! Je ne prétends aucunement que rien n’a été entrepris et je ne nie pas le dynamisme de nos territoires, bien au contraire.

Pour autant, nous sommes loin du compte, au regard des volumes et des engagements indispensables pour nos territoires ruraux.

L’enjeu n’est rien de moins que l’avenir de la République. Je le répète, nous assistons à un glissement inquiétant vers des votes qui remettent en cause ses fondements mêmes. Or elle ne saurait survivre sans les campagnes, c’est une évidence, mais elle ne saurait davantage perdurer sans justice territoriale.

Il est impératif d’agir à la hauteur des défis, et sans tarder, afin que la ruralité demeure une chance et non un risque pour notre avenir commun. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jeanne Bellamy.

Mme Marie-Jeanne Bellamy. Madame la ministre, l’un des défis majeurs de notre ruralité est l’accès à l’éducation et à la culture.

À la rentrée 2024, près de 30 % des élèves du premier degré étaient scolarisés en zone rurale. En dix ans, la ruralité a perdu 13 % de ses effectifs, contre 3 % en zone urbaine.

Je m’interroge sur le maillage territorial des établissements scolaires et sur les critères retenus pour l’établir. Ne pourrait-on pas mettre en place un principe de sectorisation, imposant aux familles de scolariser leurs enfants là où elles résident et non sur leur lieu de travail ?

Nos écoles rurales se vident, pas seulement en raison d’une baisse de vitalité, mais de plus en plus à cause d’un déplacement des populations. Or nos communes rurales ne doivent pas devenir de simples communes dortoirs.

Par ailleurs, en 2025, quelque 1 200 communes ont conservé le rythme scolaire de droit commun de quatre jours et demi, pour 600 000 élèves. L’État devait contribuer au financement de leurs activités périscolaires via un fonds dédié, lequel a été supprimé à la rentrée 2025.

Contrairement aux promesses de Gabriel Attal, cela n’a donné lieu à aucune concertation, et aucun dispositif recentré sur les communes qui en ont besoin n’a vu le jour. Nous connaissons celles-ci, pourtant : il s’agit des communes rurales et des écoles situées en zone d’éducation prioritaire (REP), qui concentrent les indices de position sociale les plus bas.

Sans ce fonds, ces communes ne pourront pas maintenir ces activités, fragilisant encore davantage l’offre éducative et culturelle à destination des jeunes ruraux, qui souffrent déjà d’un accès limité à ces services.

Madame la ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour garantir l’équité entre les territoires et maintenir, voire développer, une offre éducative et culturelle ambitieuse dans nos territoires ruraux ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice Marie-Jeanne Bellamy, nous avons eu l’occasion d’aborder le sujet que vous évoquez lors de ma visite dans votre département de la Vienne. Vous l’avez souligné, le sujet de l’éducation est prioritaire. Il inclut l’école, mais aussi l’ensemble du périscolaire.

La loi avait institué l’obligation de nouveaux rythmes, l’État créditant les communes d’une aide à la mise en place de ce temps périscolaire. Cette obligation a été supprimée et la liberté rendue aux communes de décider, en concertation avec les parents et les équipes éducatives, de revenir au rythme ancien.

L’État a maintenu jusqu’à cette année une dotation destinée aux communes qui choisissaient librement de le faire, mais celle-ci va effectivement être supprimée. J’entends parfaitement vos propos. Je tiens toutefois à rappeler que nous évoluons dans un contexte budgétaire global extrêmement difficile.

L’action en faveur de l’éducation des enfants demeure prioritaire. Je travaille, avec Élisabeth Borne, pour développer les territoires éducatifs ruraux (TER), grâce auxquels une aide supplémentaire est apportée, afin de prendre en compte l’environnement périscolaire.

Pour renforcer l’école dans nos ruralités, comme je souhaite ardemment que nous le fassions, et garantir sa qualité, nous devons parvenir à rendre la ruralité encore plus attractive. Or 30 % de l’industrie y est déjà implantée ; il est impératif d’y attirer encore des habitants et, pour cela, plus d’entreprises. Ainsi, nous redynamiserons les écoles et nous offrirons aux enfants une éducation susceptible de leur ouvrir des perspectives.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Claude Tissot. La pandémie de covid-19 a fait germer au sein du grand public l’idée d’un retour vers le rural, suscitant l’espoir, avec des projections de déménagement vers une ruralité de nouveau connotée positivement.

Cinq ans plus tard, le constat est plus terne : l’exode urbain s’est modestement matérialisé et le fameux « monde d’après » demeure très largement structuré autour des métropoles.

Parmi les raisons qui peuvent expliquer ce constat finalement peu enthousiasmant pour les campagnes, se trouve probablement le fait que la relégation au second plan de ces territoires persiste, voire s’accentue. Entre fermetures de classes, désertification médicale, offre de transport insuffisante et éloignement progressif de la plupart des services publics, les zones rurales subissent de plein fouet les effets de la rationalisation de l’État dans les territoires.

Il ne s’agit pas de prétendre que les politiques publiques d’accompagnement des territoires ruraux n’existent pas, mais plutôt de souligner qu’elles ne parviennent pas à enrayer le phénomène, le plus souvent en raison d’un sous-investissement.

Parmi les politiques publiques volontaristes qui semblent fonctionner, le dispositif France Ruralités Revitalisation (FRR) offre un véritable levier en termes d’attractivité. Toutefois, madame la ministre, ainsi que je vous l’ai écrit, le zonage établi fait apparaître de réelles disparités entre les territoires concernés, parfois au sein même d’une communauté de communes.

Dans mon département de la Loire, par exemple, plusieurs communes des communautés de communes de Charlieu-Belmont et des Monts du Pilat ont été exclues du dispositif sans possibilité de rattrapage par le préfet, quand d’autres y participent. Il est pourtant clair que toutes ces communes partagent des réalités économiques, fiscales, sociales, démographiques et culturelles homogènes, qui justifient précisément leur appartenance à une communauté de communes.

Partant d’une idée louable, le dispositif FRR conduit, dans ces situations précises, à un dumping administratif et fiscal injuste. Je conviens que la réalisation d’un tel zonage n’est pas chose aisée, mais la situation actuelle n’est pas acceptable pour les communes écartées.

Aussi, madame la ministre, comptez-vous revoir les situations particulières issues du zonage FRR ? Que répondez-vous à ces communes délaissées ? Et envisagez-vous d’ajouter au dispositif un critère de continuité territoriale ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Tissot, je me doutais bien qu’il ne pouvait y avoir de débat sur la ruralité sans que soit abordée la question des zones de revitalisation rurale (ZRR) et des zones FRR.

Parlons franchement : ce dispositif, qui comptait au départ 12 000 communes, en englobe aujourd’hui 19 000. La situation actuelle s’appuie sur une solution hybride qui ne donne pas entière satisfaction, puisque deux critères ont été retenus : au-delà des caractéristiques de chaque commune, le pôle de bassin de vie ou l’intercommunalité est pris en compte.

Ainsi, entre deux communes de même profil, l’une peut se retrouver classée FRR, tandis que l’autre ne le serait pas. Voilà ce que j’ai constaté en arrivant au ministère.

Nous le savons bien ici, la situation est tellement compliquée qu’il a été décidé de réintégrer dans ce dispositif 2 168 communes qui auraient dû en sortir, mais que l’on a maintenues au titre de la prolongation des ZRR jusqu’en 2027. Celles qui sont classées FRR, au nombre de 12 000, bénéficient, quant à elles, d’un dispositif courant jusqu’en 2029 et certaines sont classées FRR+. Leur liste sera très prochainement publiée, le décret ayant été examiné et approuvé par le Conseil national d’évaluation des normes.

Je m’y engage : il n’y aura pas de modifications concernant la carte adoptée, non plus que les deux dispositifs. Les communes ZRR pour lesquelles l’État s’est engagé jusqu’en 2027 ne seront pas touchées, tout comme celles qui bénéficient du dispositif jusqu’en 2029.

Cela dit, j’entends vos remarques. Il fut un temps où, quatre fois par semaine, un maire ou un sénateur m’appelait pour me dire : « Ce n’est pas normal, ma commune n’est pas classée ! ».

Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Cela signifie que nous sommes face à un véritable problème. Je propose donc que nous procédions sereinement à une évaluation de ce dispositif, dont nous partagerons les résultats avec les parlementaires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sabine Drexler. Madame la ministre, je souhaite profiter de ce débat pour évoquer les défis que doivent relever nos territoires ruraux depuis l’adoption de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, pour concilier les attendus de la rénovation énergétique et la sauvegarde du bâti ancien.

Face aux multiples défis que nous devons aujourd’hui relever, rénover le bâti ancien, tout le bâti ancien, qu’il soit protégé ou non, constitue, aux yeux de ceux qui en connaissent la valeur, une véritable assurance vie pour notre pays. Curieusement, nos politiques publiques ont du mal à le reconnaître, malgré les alertes incessantes que lance le Sénat.

Face aux atteintes trop souvent définitives portées au patrimoine au nom de la rénovation énergétique, il est urgent de cesser de subventionner des travaux uniformes et inadaptés pour répondre aux exigences de cette loi, laquelle n’a pas fini de nous poser question ; il est tout aussi urgent de traiter avec respect ce qu’il reste de notre bâti ancien, des paysages et du cadre de vie propre à la ruralité française, qui raconteront bien mieux que nous l’histoire de notre si beau pays.

Madame la ministre, sans l’État, sans l’appui des politiques publiques, nous n’y parviendrons pas. À cette fin, il convient a minima d’identifier le plus vite possible le bâti non protégé de notre pays, afin de lui permettre de bénéficier d’un traitement particulier lors de l’instruction des autorisations d’urbanisme.

Il est ainsi nécessaire de créer un diagnostic de performance énergétique (DPE) spécifique, qui prenne en compte les qualités thermiques du bâti traditionnel, de majorer les aides financières, pour aider à financer les surcoûts inhérents à une rénovation respectueuse du bâti vernaculaire, et, enfin, de valoriser les métiers et les gestes du patrimoine qui s’éteignent faute de pouvoir s’exercer.

En 1832, Victor Hugo écrivait : « Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire c’est dépasser son droit. »

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Sabine Drexler. Dans cet hémicycle où il a lui-même siégé, il m’en voudrait de ne pas le rappeler ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Votre question me touche, madame la sénatrice Sabine Drexler, car elle porte sur l’identité de notre ruralité, la diversité de notre territoire et les spécificités du bâti dans le département dont vous êtes élue, qui diffère du bâti que l’on trouve dans la Creuse ou en Bretagne.

Alors que nous devons muscler et rénover le bâti de nos centres-villes et de nos centres-bourgs, il faut reconnaître que le DPE, qui est adapté aux logements modernes, ne prend pas en compte les performances thermiques estivales du bâti que vous évoquez. L’application du DPE à ce type de bâti est même nuisible – je le dis comme je le pense –, car elle entraîne la prescription de travaux de rénovation avec des matériaux incompatibles avec l’existant, et cause de ce fait des « maladies » du bâti.

Dans les Vosges, l’Association des maires ruraux de France (AMRF) a créé un laboratoire de la ruralité qui travaille notamment sur le bâti ancien.

Il nous faut prendre des moyens pour rénover le bâti ancien de manière adaptée et qualitative – je l’ai observé hier, lors d’un déplacement à Jarnac, comme dans bien d’autres territoires.

Soyez donc assurée de mon soutien, madame la sénatrice : comme les sénateurs, qui sont – je l’imagine – très sensibles aux difficultés que vous soulevez, j’appelle de mes vœux une réponse positive à votre question.

Dans le département dont vous êtes élue, la réhabilitation exceptionnelle de la ferme de Niefergold, à Durmenach, constitue un exemple d’adaptation réussie d’un bâti ancien. Il nous faut encourager de telles initiatives, car les néoruraux étant attachés à la qualité du bâti ancien, elles contribuent à renforcer l’attractivité de nos territoires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Martine Berthet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je salue la volonté réaffirmée d’accompagner les dynamiques économiques dans les territoires, au plus près de nos entreprises, et plus particulièrement de nos industries, notamment dans le cadre du dispositif Territoires d’industrie.

La mise en œuvre des projets se heurte toutefois régulièrement à des actions contradictoires des services de l’État. Les dossiers portés localement se voient en effet freinés, voire bloqués, par un manque de coordination entre, d’une part, des services de l’État facilitateurs au niveau local et, d’autre part, les arbitrages souvent défavorables rendus au niveau régional, notamment par les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal).

Il est temps de clarifier les responsabilités et de réaffirmer qu’en tant que représentant de l’État dans les départements, le préfet doit avoir le dernier mot pour garantir la cohérence, la rapidité et l’efficacité de l’action publique, tout en s’appuyant bien évidemment sur l’expertise régionale. Au fait des réalités locales, il travaille en effet avec ses services au plus près des collectivités, et il est le garant de l’équité territoriale.

En Savoie, des projets essentiels se trouvent aujourd’hui menacés par des décisions techniques prises au niveau régional, lesquelles n’ont fait l’objet d’aucune concertation ni information, et alors même qu’en parallèle, les projets avancent localement. Une étude de reclassement en zone humide compromet ainsi l’extension de la zone d’activité de Terre Neuve III, sur l’aérodrome d’Albertville, au sein de laquelle la belle entreprise SAF Helicoptères souhaite construire un nouveau bâtiment aux normes demandé par ses clients, notamment par Airbus.

Cette situation illustre l’écart persistant entre les ambitions portées localement et une approche administrative parfois déconnectée des réalités de terrain. Je pourrais, hélas ! citer plusieurs situations comparables.

Ma question est donc la suivante, madame la ministre : quand les préfets seront-ils enfin dotés de l’autorité nécessaire pour s’opposer au blocage par les services régionaux de l’État de décisions structurantes pour l’aménagement et l’activité économique de nos territoires ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Nous connaissons tous, dans nos territoires, les effets économiques des difficultés que vous soulevez et les fortes contrariétés qui en découlent, madame la sénatrice Martine Berthet.

Les services de l’État, pour lesquels travaillent des personnels de grande valeur, fonctionnent malgré tout en silo, sans vision d’ensemble, ce qui les amène parfois à émettre des injonctions contradictoires.

Le Gouvernement, tout comme le Sénat et – je l’espère – l’Assemblée nationale, souhaite donc renforcer les pouvoirs du préfet de département. En raison de sa proximité avec le terrain – le Sénat l’a souvent soulignée –, il doit être le chef d’orchestre de tous les services et agences de l’État. Autrement dit, une fois l’avis de chacune des administrations pris en compte, il doit être en mesure d’arbitrer et de hiérarchiser les urgences en vue de l’intérêt général.

Le Gouvernement souhaite également donner au préfet un pouvoir d’appréciation de la norme, car pour légitime qu’elle soit, elle ne peut parfois pas être appliquée de la même manière dans une grande et une petite entreprise, ou au nord et au sud de la France. En raison de la judiciarisation croissante de notre société, qui fait parfois figure de nouveau sport national, nous ne pouvons toutefois pas donner cette liberté à un représentant de l’État sans en sécuriser juridiquement l’exercice au préalable.

En tout état de cause, j’estime et j’espère que nous approchons du but, madame la sénatrice. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Martine Berthet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. Madame le ministre, chère Françoise Gatel, de tous les maux qui rongent notre société, l’un des plus sournois et des plus redoutables est probablement la fonte de la natalité qui touche notre pays – triste peau de chagrin ! –, dont l’horizon s’embrume et qui, entre consumérisme et égocentrisme, s’endort à bas bruit.

Les raisons en sont certes nombreuses. Parmi celles-ci figure l’abandon de toute politique familiale digne de ce nom. Si l’on fait des enfants par amour, l’accueil d’un nouveau-né est toujours facilité, notamment pour les couples modestes, par des aides, ainsi que par la mise en place de solutions de garde permettant de concilier vie professionnelle et parentalité.

Or l’accueil de la petite enfance, notamment dans les zones rurales, constitue un angle mort de nos politiques publiques. Les collectivités territoriales prennent certes le problème à bras-le-corps en subventionnant l’installation et l’aménagement de crèches et de maisons d’assistants maternels (MAM). Mais, hélas, l’État accompagne ces initiatives de subventions bien trop timides.

De ce fait, les campagnes vieillissent, s’engourdissent, alors même qu’un cadre de vie verdoyant et un foncier bon marché sont autant d’appels à l’installation de jeunes familles.

Madame le ministre, quelle est la vision de l’État face à cette dénatalité conjuguée au vieillissement de nos campagnes souvent vides, où les structures d’accueil de la petite enfance sont beaucoup trop rares ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Ne disposant que de deux minutes pour refaire la société française avec vous, monsieur le sénateur Paccaud, vous me pardonnerez de développer une pensée qui, pour être sincère, n’en sera pas moins réductrice ! (Sourires.)

Si les enfants se font à mon avis plutôt par amour que par décret,…

M. Olivier Paccaud. Je l’ai dit !

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. … il faut que l’ensemble des territoires proposent des solutions de garde et d’accueil pour les enfants. En effet, les parents travaillent, certaines familles sont monoparentales et, dans tous les cas, il faut offrir au plus tôt aux enfants la possibilité d’évoluer dans un cadre collectif.

Dans le département très rural qu’est la Mayenne, des maisons d’assistants maternels ont vu le jour. Ces structures privées, qui n’ont pas nécessairement besoin du soutien des collectivités locales, proposent une solution collective. Les micro-crèches peuvent également être le fait d’initiatives privées ou associatives.

Dans la Somme, le département dont votre collègue M. Somon est élu, pour faire face à la baisse de la démographie, des communes ont par ailleurs inventé un dispositif extraordinaire assurant un accueil mutualisé des enfants, y compris sur le temps périscolaire.

Il nous faut accompagner l’élaboration de telles solutions, car elles sont très attendues. Tel est l’engagement de l’État. Tels sont aussi l’engagement et la mission des départements, des caisses d’allocations familiales (CAF) et des caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA).

Je souhaite en particulier que les CAF s’assurent que les collectivités pourront assumer les charges, parfois très lourdes, qu’emportent les normes qu’elles imposent. Je souhaite également – et je vous invite à mener ce combat à mes côtés, monsieur le sénateur – qu’au sein des caisses d’allocations familiales départementales, une représentante des élus accompagne la mise en œuvre des solutions d’accueil de la petite enfance. (M. Bernard Buis applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour la réplique.

M. Olivier Paccaud. Il serait bon que, dans le cadre de l’affectation de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), des crédits soient alloués de manière prioritaire aux projets de crèches ou de maisons d’assistants maternels. Or ce n’est pas toujours le cas.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Facile ! (Sourires.)

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Anne Ventalon, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Anne Ventalon, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la diversité de vos interventions ce soir montre qu’il existe non pas une seule ruralité, mais bien des ruralités.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 88 % de notre territoire est situé en zone rurale. La ruralité fait face aux nombreux défis que vous avez rappelés, mes chers collègues : l’accès aux services, qu’il s’agisse des écoles, des commerces ou des centres de santé, la mobilité, le vieillissement de la population et le départ des plus jeunes, et enfin la nécessité de rénover le bâti tout en accompagnant la transition énergétique.

Depuis quelques années, sous l’impulsion du plan France Ruralités, plusieurs programmes, notamment Villages d’avenir et Petites Villes de demain, ont été mis en place afin de répondre de manière adaptée aux besoins des territoires ruraux. Je salue du reste la mission flash que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a décidé de consacrer au bilan du programme Petites Villes de demain, cinq après sa mise en œuvre, et qu’elle a confiée à nos collègues Nicole Bonnefoy et Louis-Jean de Nicolaÿ.

Jugeant qu’il est essentiel de renforcer la gouvernance de proximité et d’appuyer pleinement l’action des élus locaux, le Sénat a voté plusieurs propositions de loi allant dans ce sens.

Je me réjouis que nous ayons adopté, en mars dernier, la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux, dite proposition de loi Trace. Au-delà de la volonté d’œuvrer pour rendre la politique de réduction de l’artificialisation des sols plus supportable, ce texte instaure une meilleure prise en compte des réalités locales et rurales, lesquelles diffèrent bien souvent d’un département à un autre. Ce texte permet ainsi de redonner la main aux communes en matière de développement comme de maîtrise des enjeux démographiques et économiques.

Plus récemment, nous avons voté à une large majorité en faveur de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires. Alors que 87 % du territoire est classé en désert médical, nous connaissons tous des exemples concrets de difficultés d’accès aux soins dans nos départements.

Les obstacles sont nombreux : éloignement géographique, pénurie de professionnels, fermeture de services, délais d’attente déraisonnables pour consulter un spécialiste, etc. Pour y faire face, des mesures fortes ont été retenues, telles que la reconnaissance des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) ou encore un encadrement mieux ciblé de l’installation des professionnels dans les zones sous-dotées.

Dans un autre domaine, le déploiement, depuis 2020, de plus de 2 750 maisons France Services sur l’ensemble du territoire constitue un véritable atout. Permettant à chaque Français d’effectuer ses démarches administratives à moins de vingt minutes de chez lui, ces maisons constituent une réponse concrète à la fracture numérique et administrative qui affecte de trop nombreux citoyens. Nous devons nous assurer que les moyens nécessaires à la poursuite de leur action seront alloués à ces maisons.

Il me paraît également indispensable de maintenir nos écoles rurales. Dans de nombreux départements, les fermetures de classes et les suppressions de postes se multiplient, souvent sans réelle concertation avec les élus. En ce domaine comme dans d’autres, il est donc essentiel de renforcer la gouvernance locale, pour que les décisions prises reflètent pleinement les réalités concrètes des territoires ruraux.

Si la ruralité est aujourd’hui trop souvent associée à un manque d’attractivité, le développement de la ruralité positive permet de valoriser le cadre de vie et de créer une dynamique grâce à une variété de services, d’activités et d’initiatives locales. Cette ruralité vivante qui offre une qualité de vie renforcée attire autant de familles que d’entreprises.

Il nous faut toutefois améliorer les offres de mobilité – vous êtes nombreux à l’avoir souligné, mes chers collègues. J’ajouterai que l’amélioration de ces offres doit tenir compte de l’accès à la culture. Nous devons en effet valoriser la diversité culturelle et patrimoniale des territoires ruraux en encourageant le tourisme. C’est ainsi que nous pourrons soutenir le développement local de nos territoires et préserver leur identité, tout en assurant la transmission de ce patrimoine aux plus jeunes et le maintien du lien intergénérationnel.

Notre ruralité est une terre d’audace. Loin d’être figée, elle se réinvente et innove. Lors de vos déplacements dans nos départements, notamment en Ardèche où je suis élue, vous avez pu constater, madame la ministre, la richesse et la diversité de nos territoires, mais aussi la volonté commune des élus, des habitants et des acteurs locaux de les faire vivre.

Lors de ce débat ont été rappelés les défis majeurs auxquels les zones rurales sont confrontées. Les politiques publiques jouent un rôle déterminant pour y répondre, sous réserve toutefois qu’elles soient adaptées aux réalités locales, d’une part, et qu’elles soient menées de manière concertée, d’autre part.

N’oublions pas que le monde rural n’est pas un problème à résoudre, mais bien une opportunité dont il nous appartient de nous saisir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Michel Masset applaudit également.)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Bravo !

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Comment nos politiques publiques peuvent-elles contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays ? ».

5

Avenir du groupe La Poste

Débat organisé à la demande de la commission des affaires économiques

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires économiques, sur l’avenir du groupe La Poste.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Patrick Chaize, au nom de la commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Patrick Chaize, au nom de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe La Poste, société anonyme à capitaux 100 % publics depuis 2010, se trouve aujourd’hui à un moment charnière de son histoire.

En premier lieu, parce qu’il verra sa gouvernance prochainement renouvelée. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe depuis 2013, quittera en effet son poste à la fin du mois de juin. Je tiens à saluer son implication dans la réorganisation de l’entreprise et son souci de préserver un climat social serein durant celle-ci. Je souhaite bonne chance à son successeur.

Dans les prochaines semaines, le Président de la République devra par conséquent proposer le nom de celui ou de celle qui le remplacera et, conformément à la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution, ce choix sera soumis à l’approbation des commissions des affaires économiques du Sénat et de l’Assemblée nationale.

Il s’agit, en second lieu, d’un moment charnière parce qu’au cours des dernières années, le groupe La Poste a profondément transformé son modèle, ce qui doit nous conduire à réfléchir au bilan de ces évolutions et à notre vision de ce groupe chargé de plusieurs missions de service public essentielles pour notre cohésion sociale.

Deuxième employeur public de France après l’État, avec plus de 225 000 collaborateurs en 2023, dont plus de 60 000 facteurs, La Poste est présente partout ou presque, au plus près de nos concitoyens et au cœur de leur quotidien. Elle incarne indirectement la présence de l’État et des services publics, en particulier dans les territoires ruraux.

Historiquement, les recettes issues de la distribution du courrier, puis de la livraison de colis, constituaient la plus grande partie du chiffre d’affaires du groupe La Poste. La baisse du volume de courrier, accélérée par la crise économique et sanitaire de la covid, par la numérisation des échanges et par l’ouverture à la concurrence du marché de la distribution du courrier en 2011, est désormais une tendance de long terme.

Afin de faire face à ce défi majeur, La Poste, devenue en 2021 une entreprise à mission, a accéléré sa stratégie de diversification en développant des activités de téléphonie mobile, de banque-assurance, de livraison internationale de colis ou encore de services de proximité et à domicile, comme la livraison de repas auprès des personnes âgées.

Cette stratégie de diversification a notamment conduit au rapprochement entre La Banque postale et CNP Assurances en 2020. Détenant désormais 66 % des participations, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) est devenue à cette occasion l’actionnaire majoritaire et de contrôle du groupe La Poste, l’État conservant les 34 % restants.

Le plan intitulé « La Poste 2030, engagée pour vous » accélère cette diversification autour de plusieurs axes stratégiques et thématiques, même si les nouveaux services de proximité représentent actuellement moins de 2 % du chiffre d’affaires du groupe.

Désormais groupe international, puisque 44 % de son chiffre d’affaires est réalisé à l’étranger, mais aussi multi-activité, La Poste a enregistré en 2024 des résultats en progression. Son chiffre d’affaires s’est en effet établi à 34,6 milliards d’euros et son résultat net, en progression, s’est élevé à 1,4 milliard d’euros.

C’est donc un groupe en pleine mutation que Philippe Wahl laissera à son successeur. La tâche est bien sûr loin d’être achevée, car le groupe devra continuer d’évoluer pour prendre en compte les changements économiques et sociaux profonds qui affectent son modèle d’activité.

Je souhaiterais à cet égard que vous nous fassiez part, madame la ministre, de la vision du Gouvernement quant à l’avenir du groupe La Poste, et que vous nous indiquiez les grandes lignes de la feuille de route qu’établira l’État à l’attention de son futur dirigeant.

Au-delà du modèle économique global, qui conditionne évidemment la bonne santé financière, nous sommes bien sûr tout particulièrement sensibles ici, au Sénat, aux missions de service public confiées au groupe La Poste, qui sont dans notre pays à la fois plus nombreuses et plus exigeantes que dans d’autres pays européens.

En particulier, la loi du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales a désigné La Poste en tant que prestataire du service universel postal pour une durée de quinze ans à compter du 1er janvier 2011, soit jusqu’au 31 décembre 2025.

Le service universel postal consiste notamment en une levée et une distribution six jours sur sept sur l’ensemble du territoire national pour les envois de correspondance jusqu’à deux kilogrammes, et de colis postaux jusqu’à vingt kilogrammes.

La Poste a également l’obligation de maintenir un maillage très fin comportant au moins 17 000 points de contact sur les territoires.

Compte tenu de ces exigences, de l’articulation du service universel postal avec les autres missions de service public confiées au groupe La Poste, mais également du caractère structurellement déficitaire de ce service public depuis 2018, il est évident que La Poste est la plus à même d’offrir la meilleure qualité de service public aux usagers tout en offrant les coûts les plus faibles pour les collectivités.

La désignation du groupe en tant que prestataire du service universel postal n’a d’ailleurs soulevé aucune objection lors de la consultation publique qui s’est tenue du 7 mars au 7 avril dernier sur le site internet du ministère de l’économie.

J’ai beaucoup plaidé ces derniers mois pour que la reconduction du groupe La Poste en tant que prestataire du service universel postal fasse l’objet d’un projet de loi. Un tel texte nous aurait permis de légiférer sur d’autres sujets concernant La Poste, en particulier le cadre et le contenu des services publics qui lui sont confiés. Son examen aurait également été l’occasion d’ouvrir des pistes d’évolution.

Or il semble que le Gouvernement a demandé au Conseil constitutionnel de déclasser au niveau réglementaire les dispositions de l’article 2 du code des postes et des communications électroniques, lesquelles prévoient la désignation du prestataire du service universel postal. Le groupe La Poste serait ainsi désigné prestataire du service universel postal pour une durée de dix ans, à compter du 1er janvier 2026, par un simple arrêté.

Si j’ai bien conscience de l’urgence et du contexte politique particulièrement difficile, madame la ministre, je déplore évidemment un tel choix conduisant à un dessaisissement du législateur. J’estime même qu’il s’agit d’une erreur politique, car il importe que La Poste ait le soutien et la compréhension du Parlement. Or procéder par voie réglementaire irait à l’encontre de cet objectif.

M. Damien Michallet. Très bien !

M. Patrick Chaize. Quoi qu’il en soit, en cette fin du moins de mai, pourriez-vous nous indiquer quelle option juridique a été retenue par le Gouvernement pour garantir dans les meilleurs délais la continuité du service public postal au-delà du 31 décembre 2025 ? Pouvez-vous, par ailleurs, nous expliquer le choix de fixer à dix ans la durée de cette attribution, précédemment fixée à quinze ans ?

Outre le service universel postal, le législateur a confié au groupe La Poste trois autres missions de service public : le transport et la distribution de la presse, une contribution à l’aménagement du territoire et l’accessibilité bancaire.

Ces missions de service public sont soumises au droit européen de la concurrence, qui autorise la France à verser une compensation financière pour couvrir tout ou partie des coûts qu’elles emportent. Le montant de la compensation au titre du service universel postal est compris entre 500 et 520 millions d’euros par an. La poste française est ainsi celle qui, en Europe, reçoit le montant le plus élevé, tandis que la majorité des opérateurs postaux européens ne reçoivent aucune compensation au titre du service universel postal.

En dépit de cette compensation, le coût supporté directement par le groupe s’est établi à environ 480 millions d’euros en 2023. En raison du montant élevé des coûts fixes afférents aux services postaux, un tel déficit devrait également être constaté dans les années qui viennent.

La mission d’aménagement du territoire, qui est l’une des plus exigeantes, a vu son coût croître de 100 millions d’euros entre 2018 et 2023, alors même que la fréquentation du réseau n’a cessé de diminuer.

Enfin, la mission d’accessibilité bancaire bénéficie d’une compensation élevée – son montant s’est établi à 303 millions d’euros en 2023 –, qui ne couvre toutefois pas toutes les charges supportées par le groupe.

Je n’aborderai pas la mission de distribution de la presse, dont le coût dérive lui aussi.

La rentabilité des missions de service public s’est donc dégradée au cours des dernières années, sans que la hausse de la compensation par l’État n’enraye la détérioration des soldes. Je voudrais par conséquent savoir, madame la ministre, quelles sont les pistes envisagées par le Gouvernement pour permettre au groupe La Poste de continuer à assurer les missions de service public qui lui ont été confiées par le législateur, tout en maîtrisant l’impact de celles-ci sur les finances publiques.

Je reste, pour ma part, convaincu qu’il faudra prévoir rapidement une nouvelle loi postale afin de réexaminer dans le détail le contenu de ces différentes missions de service public et de les ajuster au mieux aux évolutions de l’économie et de la société française, ainsi qu’aux attentes des élus locaux.

Je crains que ce gouvernement n’ait, une fois encore, raté une occasion de bien faire, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville et Mme Guylène Pantel applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis d’autant plus heureuse de débattre avec vous de l’avenir du groupe La Poste qu’il y a quelques années, alors que j’étais députée, je siégeais – à vos côtés, monsieur Chaize – au sein de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP).

Je m’efforcerai de répondre rapidement mais clairement aux deux questions que vous m’avez posées.

Philippe Wahl a mené un travail remarquable à la tête du groupe La Poste, qui a vu le volume de son activité principale, la distribution du courrier, être divisé par deux en dix ans. Si l’élaboration de la feuille de route de son successeur n’est pas tout à fait terminée, les axes en sont connus et attendus : l’amélioration de la qualité des missions de service public ; l’amélioration de la couverture territoriale ; la consolidation de la soutenabilité de la trajectoire financière ; l’amélioration de la rentabilité des nombreuses activités qui ont été développées ; la capitalisation sur le développement des activités qui génèrent de la valeur, notamment la livraison de colis et les activités bancaires.

Je souhaite insister sur la couverture territoriale. Jusqu’à nouvel ordre, la loi postale fixe à 17 000 le nombre de points de contact et d’accès aux services postaux. Le respect de ce cadre sera une exigence forte pour la prochaine équipe dirigeante.

Vous m’interrogez par ailleurs, monsieur le sénateur, sur la forme que prendra la délégation du service universel postal. Il est fâcheux que du fait de ce que j’appellerai pudiquement des péripéties politiques, nous n’ayons pas pu débattre de cette question au second semestre 2024, comme le prévoyait le calendrier initial. Avec le soutien du député Stéphane Travert, le Gouvernement a récemment proposé qu’une disposition soit introduite dans le projet de loi de simplification de la vie économique, mais pour des raisons légistiques, celle-ci n’a pas pu prospérer.

Afin d’assurer un service universel postal au 1er janvier 2026 pour les Français, il nous faut prendre des dispositions avant le 1er juillet 2025. De manière pragmatique et un peu contrainte, le Gouvernement prévoit donc de le faire par décret. Pour autant, nous n’entendons nullement contourner le Parlement – c’est du reste la raison de notre présence ici ce soir –, et nous sommes évidemment conscients que les parlementaires doivent être en mesure de contrôler et d’évaluer cette mission essentielle.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.

M. Patrick Chaize. Je vous remercie de ces précisions, madame la ministre. S’il est exact que nous avons siégé ensemble au sein de la Commission supérieure du numérique et des postes, je tiens à préciser que le présent débat a été organisé à la demande non pas du Gouvernement, mais de la commission des affaires économiques du Sénat.

J’entends que des péripéties politiques ont contrarié le calendrier et qu’il faut aller vite, mais j’attends du Gouvernement qu’il nous assure que le débat viendra. S’il faut pour l’heure garantir l’effectivité du service public de la distribution postale au 1er janvier 2026, ce débat n’en est pas moins impératif pour la survie même de La Poste, oserai-je dire. Je ne suis en effet pas convaincu que le budget de l’État pourra continuer de compenser financièrement les déficits chroniques qu’emportent les délégations de service public. Un jour ou l’autre, l’équation deviendra impossible.

Je souhaite donc que vous vous engagiez devant nous, madame la ministre, à déposer un projet de loi dont le Parlement pourra débattre.

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la création des relais de poste, au XVe siècle, le groupe La Poste n’a cessé d’évoluer.

Aujourd’hui, La Poste est chargée de quatre missions de service public indispensables au bon fonctionnement de notre société : le service universel postal, le transport et la distribution de la presse, l’accessibilité bancaire et l’aménagement du territoire. Ainsi, alors qu’elle connaît une profonde mutation de son système économique, sa présence dans tous les territoires demeure l’un de ses aspects les plus stratégiques, qu’il faut préserver.

En effet, l’accès de tous les Français à des services publics de qualité et de proximité est un principe fondamental de notre République, et c’est justement ce à quoi La Poste contribue avec ses 17 000 points de contact situés à moins de vingt minutes en voiture pour 97 % de la population française, comme en atteste le dernier rapport d’accessibilité présenté à l’Observatoire national de la présence postale (ONPP) en janvier 2023.

La Poste incarne donc ce lien quotidien entre le service public et les citoyens, dans nos villes comme dans nos territoires ruraux, à Valence comme à Die, à Luc-en-Diois comme à Buis-les-Baronnies ; cette présence permet de garantir un service postal à l’ensemble de la population et de faciliter la distribution du courrier six jours sur sept, une exception en Europe.

Néanmoins, ce modèle est désormais sous tension. La fréquentation du réseau diminue, tandis que le coût des missions de service public augmente. Dans le même temps, les métiers historiques de La Poste, notamment ceux qui sont liés à la distribution du courrier, ont vu leur poids s’effondrer : alors qu’ils représentaient plus de 50 % du chiffre d’affaires en 2010, cette proportion était tombée à 15 % en 2023.

Par conséquent, si nous souhaitons préserver ce service public indispensable dans nos villes comme dans nos territoires ruraux, il est impératif de repenser le financement du service public postal. Avec un chiffre d’affaires de 34 milliards d’euros en 2023, selon une lettre de la Cour des comptes publiée le 5 décembre 2024, force est de constater que, grâce à de nouvelles acquisitions, le groupe La Poste connaît encore une relative croissance. Toutefois, sa rentabilité, elle, diminue.

Dans ce contexte financier, le groupe ne peut s’exonérer de réaliser des économies. Néanmoins, la coupe budgétaire de 50 millions d’euros sur le budget de La Poste pour les territoires, annoncée en 2024, menace les agences communales, à l’image de la commune de Souleuvre en Bocage, dans le Calvados, qui risque de perdre son dernier bureau de poste.

Or, je le répète, les économies budgétaires ne doivent pas remettre en cause le maillage territorial de La Poste et sa présence dans les zones rurales. Rappelons que les compensations publiques ne couvrent plus entièrement le coût des sujétions de service public. Par ailleurs, l’expiration du mandat du service universel postal, le 31 décembre 2025, nous impose une réflexion urgente et lucide sur l’avenir du groupe.

Madame la ministre, le Gouvernement envisage-t-il de renouveler le mandat du service universel postal au-delà de 2025 ? Quelles solutions pouvons-nous envisager pour financer durablement les missions de service public de La Poste, afin de préserver le rôle de celle-ci dans l’aménagement du territoire et sa présence dans les zones rurales ? Compte tenu des difficultés financières du groupe, ne faut-il pas renforcer la part de l’État à son capital ?

Enfin, comment évoquer l’avenir du groupe La Poste et la diversification de ses missions sans penser à la révolution numérique et technologique du XXIe siècle ? À l’heure où l’intelligence artificielle se développe dans nos entreprises et dans nos modes de vie, cette révolution doit être pleinement intégrée aussi dans les services publics.

La Poste a pris part à cette dynamique, en lançant des initiatives ambitieuses. Je pense à la messagerie sécurisée Dalvia Santé, un outil innovant développé par Docaposte, la filiale numérique du groupe, qui permet aux professionnels de santé d’échanger des données sensibles dans le respect de la confidentialité et des exigences réglementaires strictes. Je pense également à l’automatisation du tri postal et du suivi des colis, rendue possible grâce à l’intelligence artificielle (IA) et à l’exploitation des données en temps réel.

Ces innovations permettent à la fois d’améliorer la traçabilité et la rapidité des livraisons, source d’importants gains de productivité, mais aussi d’apporter une réponse aux attentes des citoyens en matière de qualité de service et de suivi individualisé. L’intelligence artificielle peut optimiser la productivité, améliorer l’expérience de l’usager et renforcer l’efficacité opérationnelle. Elle peut aussi être stratégique dans le développement de nouvelles activités, notamment dans le numérique et les services de confiance, tout en renforçant la cybersécurité et la fiabilité des services bancaires.

Toutefois, cette transformation ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel : avant d’être une entreprise, La Poste est un service public. L’intelligence artificielle doit non pas remplacer l’humain, mais être à son service, afin de permettre au groupe de se recentrer sur ses missions fondamentales.

En ce sens, madame la ministre, comment garantir le développement et l’usage de l’intelligence artificielle dans les activités de La Poste sans que cela nuise à l’emploi et à l’humain ? Plus globalement, l’usage de l’IA dans ces services publics permet-il d’engendrer des économies durables, sans pour autant dégrader leur qualité ?

Madame la ministre, mes chers collègues, il nous revient collectivement de garantir la pérennité de La Poste dans ses missions historiques, tout en l’accompagnant vers l’avenir. Pour y parvenir, trouvons ensemble le juste équilibre entre innovation technologique et ancrage territorial. (Mme Guylène Pantel applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Beaucoup de questions dans votre intervention, monsieur le sénateur !

La première chose positive que l’on peut dire, c’est que La Poste s’est diversifiée et qu’elle a réussi à rentabiliser son réseau unique – ses 17 000 points de contact – en développant de nouvelles activités, notamment de proximité, au service par exemple des personnes âgées ou dépendantes.

En ce qui concerne le numérique, Docaposte, filiale – remarquable – du groupe, a développé des offres dans le numérique de confiance, via des services que beaucoup de nos concitoyens connaissent, comme l’identité numérique sécurisée, ou au travers des services liés à la santé, que vous avez évoqués. Le meilleur moyen de défendre collectivement l’aménagement du territoire, la présence locale, consiste à soutenir la diversification et la rentabilité des activités du groupe.

Par ailleurs – je le sais d’autant mieux que je suis également ministre chargée des comptes publics –, l’État s’engage à stabiliser son financement ; il n’y a pas de projet visant à réduire notre soutien à ces missions essentielles.

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 21 mai dernier, La Poste organisait dans quelques-uns de ses bureaux la Fête de l’écrit, une initiative aussi poétique que symbolique destinée à remettre en lumière le lien entre les mots, les citoyens et l’acte d’écrire, dans un monde désormais saturé de numérique. Cette manifestation nous rappelle une vérité fondamentale : la mission de La Poste dépasse le simple transport d’objets ou de messages ; La Poste est un vecteur de lien social, de proximité et de continuité républicaine.

Dans un contexte de transformation profonde de ses activités, La Poste est confrontée à une tension structurante : concilier adaptation économique et maintien de son activité, capitale, de service public. Cette tension prend un relief particulier dans nos territoires ruraux, que je souhaite aujourd’hui placer au centre de notre réflexion.

J’ai travaillé pendant plus de trente ans à La Poste. Tout au long de mes années dans cette maison, j’ai assisté sur le terrain aux premières grandes transformations de l’entreprise : réorganisations, restructurations, numérisation, diversification ; j’ai aussi vu des agents s’adapter et des territoires se battre pour garder leur bureau.

La Poste est plus qu’un opérateur, elle incarne une certaine idée de la République au quotidien. C’est pourquoi je remercie la commission des affaires économiques de cette demande de débat. C’est un signal fort adressé aux élus locaux, aux agents et à l’ensemble de nos concitoyens attachés à ce service public de proximité.

En 2024, le groupe La Poste a réalisé un chiffre d’affaires de 34,6 milliards d’euros, ce qui traduit une progression de 1,5 % par rapport à l’exercice précédent. Le résultat net atteint 1,4 milliard d’euros, principalement grâce aux bons résultats de CNP Assurances et à la cession de La Poste Mobile à Bouygues Telecom.

Parallèlement, selon la Caisse des dépôts et consignations, le volume du courrier a poursuivi sa baisse structurelle, avec une diminution de 8,2 % en 2024. Le volume des colis a quant à lui augmenté de 2,7 %, grâce à la croissance de Geopost et de Colissimo. Je ne m’étendrai pas davantage sur les données chiffrées, mais celles-ci nous permettent de prendre la mesure de l’activité du groupe et de la bonne exécution des missions de service public, comme la distribution du courrier et de la presse ou l’accessibilité bancaire.

Toutefois, l’activité du groupe ne s’arrête pas là, puisque La Poste assume aujourd’hui d’autres missions, que nous souhaitons saluer ici. Elle est, par exemple, un pilier du maintien à domicile en zone rurale. En Lozère, près de 6 000 repas sont livrés chaque mois, ce qui contribue au maintien à domicile de nos seniors. Les facteurs, formés à la relation avec ces publics, jouent en outre un rôle de veille sociale. Nous soutenons donc les ambitions du groupe visant à développer ces services.

Cependant, derrière l’enthousiasme relatif à la diversification des activités se cachent des fragilités, ponctuellement évoquées par les directions générales successives et les agents. Nous nous souvenons tous de l’annonce de M. Wahl, à la rentrée 2024, concernant la possible réduction de 50 millions d’euros du budget alloué au contrat de présence postale territoriale, qui finance notamment les agences postales communales et les relais commerçants. Cette annonce avait suscité l’inquiétude des élus locaux, mais ceux-ci ont ensuite été rassurés quand l’État a décidé de maintenir sa contribution financière pendant quelques années.

Ces épisodes se sont également accompagnés de quelques suppressions d’effectifs et de fermetures partielles de bureaux de poste, affectant la qualité du service public, l’atmosphère de travail et le maillage actuel de services. À ce sujet, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen réaffirme son attachement aux agences postales communales ou intercommunales, ainsi qu’aux points de contact labellisés France Services. Ces dispositifs répondent aussi au besoin de présence humaine.

Le groupe du RDSE souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur la question de la suppression des boîtes aux lettres de rue. Dans le département des Hautes-Pyrénées, par exemple, sur 913 boîtes aux lettres de rue, 137 sont susceptibles d’être retirées en raison du faible nombre de courriers déposés. Si nous comprenons les motifs de cette décision, nous demandons que le maillage de ces boîtes reste dense.

Le groupe La Poste est une entité précieuse à préserver et à renforcer. L’État doit donc compenser à l’euro près ses dépenses de service public.

Dans ce contexte, le Gouvernement entend-il garantir un financement pérenne du service universel postal, à la hauteur des besoins, y compris dans les territoires peu denses ?

Quel est l’avenir du fonds de présence postale territoriale au-delà de 2025 ? Madame la ministre, allez-vous maintenir, voire renforcer, son enveloppe ?

Enfin, comment entendez-vous associer les représentants des postiers et les élus territoriaux à la définition des missions futures du groupe ? (Applaudissements sur les travées des groupes du RDSE et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la sénatrice, je le dis et je le répète avec force, nous ne projetons aucun coup de rabot ni aucune économie de bouts de chandelle sur le soutien à La Poste. Ce groupe assure quatre missions de service public essentielles et notre objectif est que chacun des 17 000 points d’accès aux services postaux définis par la loi, qu’il s’agisse d’une agence postale à proprement parler ou d’une agence communale – une réflexion est également en cours pour mieux valoriser les maisons France Services –, soit un lieu connu, visité, utile et servant au mieux les Français.

La Poste a beaucoup d’idées sur le sujet, et les élus aussi. Beaucoup d’actions ayant suscité quelques doutes lors de leur lancement se sont révélées être, dans nombre de territoires, des modèles efficaces et répondant, je crois, aux besoins. C’est ce mouvement que nous voulons accompagner.

Vous dites également, et cela me semble très pertinent, que nous devons prêter une attention particulière aux activités de transport de colis, qui ont permis à La Poste de gagner en rentabilité, ce qui est très utile pour l’équilibre de son modèle économique.

Or je suis aussi chargée de la tutelle des douanes, qui suivent tous les enjeux liés aux petits colis. Vous avez tous entendu parler dans cet hémicycle de la submersion des petits colis en provenance d’Asie, qui font concurrence à nos commerces mais également à notre logistique. Ainsi, dans un secteur où La Poste a construit, comme de très nombreux opérateurs ailleurs en Europe, un modèle viable et rentable, nous devons nous prémunir contre une forme de dumping ou de concurrence déloyale de la part d’entités localisées à l’étranger et reposant sur des circuits de financement très complexes.

Je coiffe maintenant ma casquette de ministre chargée des comptes publics : nous suivons tout cela de très près avec Tracfin et le renseignement douanier, parce qu’il serait regrettable que cette tendance déstabilise nos commerces, nos industries et notre chaîne logistique. En effet, de premiers signaux nous indiquent une très forte pression sur le « dernier kilomètre », qui constitue un enjeu fort pour la stabilité financière de La Poste.

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour la réplique.

Mme Guylène Pantel. Je vous remercie de vos propos rassurants, madame la ministre, mais n’oublions pas les agents de La Poste, qui constituent l’entreprise et dont les habitants sont très proches. Ils assurent une forme de lien social.

Mme la présidente. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant toute chose à remercier la commission des affaires économiques d’avoir demandé la tenue de ce débat de circonstance, puisque nous sommes dans la dernière année couverte par le sixième contrat de présence postale territoriale. Ce contrat, conclu entre La Poste, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et l’État pour la période 2023-2025, fixe le cadre permettant à La Poste de contribuer à la mission de service public d’aménagement du territoire.

À ce titre, il prévoit les règles prévues pour l’adaptation de son réseau, censé compter 17 000 points de contact. Il détermine également les règles de gestion du fonds de péréquation territoriale, conçu pour bénéficier de manière prioritaire aux zones qui en ont le plus besoin – zones rurales, zones de montagne, quartiers prioritaires de la politique de la ville et territoires d’outre-mer. Enfin, il prévoit un financement à hauteur de 177 millions d’euros par an.

Or, tandis que ce contrat approche de sa fin, il me paraît nécessaire d’en souligner les limites. En effet, La Poste peine à atteindre son objectif de 17 000 points de contact. Ainsi en février 2025, elle n’en comptait que 16 829. Cette différence de 171 points de contact peut sembler anecdotique, mais je pense que ce n’est pas ainsi que la perçoivent les communes qui ont perdu le leur ou qui en attendent un…

De même, alors que le seuil de 17 000 points de contact n’est pas atteint, on ne peut que s’étonner d’entendre, dans nos départements respectifs, des maires nous faire part de menaces de fermeture du bureau de poste de leur commune. De telles décisions risquent d’éloigner encore un peu plus La Poste des objectifs qui lui ont été assignés et qu’elle s’est engagée à respecter.

Par ailleurs, La Poste argue souvent de la chute de la fréquentation des bureaux pour justifier leur fermeture, le plus souvent en milieu rural. Il me paraît aujourd’hui nécessaire de pondérer ce critère en fonction de la densité de population, afin que La Poste prenne mieux en compte la réalité des communes de moins de 2 000 habitants.

Je m’interroge aussi sur la lente érosion en 2024 du nombre de points relais de La Poste, alors que ce dispositif est souvent montré comme une solution permettant le maintien d’un service postal. J’espère qu’il ne s’agit là que d’un phénomène conjoncturel.

De même, si les maisons France Services peuvent constituer une solution de remplacement positive, en proposant des services postaux dans certains endroits, il paraît difficile d’en créer une partout où le besoin existe.

Il serait donc utile d’éclairer la représentation nationale sur le futur contrat de présence postale territoriale : qu’attend l’État de La Poste en matière d’aménagement du territoire pour les trois prochaines années ? Êtes-vous, madame la ministre, en mesure de nous rassurer sur le maintien de ces 17 000 points de contact ? Ou leur diminution est-elle déjà actée, sous prétexte – justification facile – des difficultés budgétaires du pays ?

En réalité, l’État a aussi sa responsabilité dans cette situation, puisqu’il a sous-compensé historiquement le coût des missions de service public qu’il a confiées à La Poste ; du reste, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), la CSNP et l’ONPP l’ont établi à plusieurs reprises.

Dans ces conditions, je comprends que La Poste cherche à tout prix à diversifier ses activités, en proposant de plus en plus des services tournés vers l’inclusion numérique et sociale. Mais à trop se diversifier, un autre risque apparaît, celui de l’éparpillement. Si je suis curieuse d’entendre sur ces sujets le candidat – ou la candidate – qui sera proposé par le Président de la République pour succéder au président-directeur général Wahl, le Gouvernement détient néanmoins une partie des réponses et j’espère que vous serez en mesure de nous les donner, madame la ministre.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la sénatrice, je veux vous rassurer sur trois points.

D’abord, il n’y a pas de fermeture massive de bureaux postaux. S’il y en avait, il n’y aurait pas 16 850 bureaux de poste et nous ne pourrions pas atteindre l’objectif légal des 17 000 points de présence. Il faut être lucide à cet égard : il peut y avoir des fermetures, mais elles sont toutes compensées par des ouvertures. Sans cela, l’objectif fixé par la loi ne pourrait être atteint. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de réorganisation, je ne vais pas prétendre que rien ne change, que rien ne bouge.

Ensuite, il y a aujourd’hui 3 000 maisons France Services dans le pays. J’ai eu la grande fierté de soutenir, avec Jacqueline Gourault, la politique qui a conduit à la création de ces établissements, quand nous étions toutes les deux ministres du même gouvernement, après notamment l’épisode des « gilets jaunes ». Ce réseau fonctionne très bien. Il est vrai que, dans 2 000 communes de France, il y a à la fois un espace – maison ou bus – France Services et des services postaux séparés. Je ne suis pas en train d’annoncer que, dans ce cas, il n’y aura plus que l’un ou l’autre, mais cela peut être un élément de réflexion intéressant, en faveur de la mutualisation, là où les élus veulent le faire évoluer.

Enfin, sur le contrat de présence postale territoriale 2023-2027 contenant une clause de revoyure en 2025, il se trouve que le changement de gouvernance à la tête de La Poste ainsi qu’un un certain nombre d’éléments dont je n’ai pas le détail ont amené l’AMF – l’un des signataires de ce contrat tripartite – à demander le report d’un an de l’application de cette clause de revoyure, qui est donc décalée à 2026. Le contrat sera donc révisé un peu plus tard, une fois la nouvelle direction installée.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec.

M. Gérard Lahellec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à me montrer digne, à l’occasion de ce débat, de l’héritage culturel et politique que nous a légué Alexandre Glais-Bizoin, élu député des Côtes-du-Nord en 1831.

Ce député, issu d’une famille de négociants en toiles, siégeait sur les bancs situés à gauche de l’hémicycle. Très actif sous la monarchie de Juillet puis sous le Second Empire, il s’est notamment illustré dans la constitution du système postal. Il est ainsi connu pour avoir proposé l’adoption d’un tarif unique d’envoi d’une lettre, indépendamment de la distance. Il s’engagea entre 1839 et 1847 pour l’adoption du tarif postal unique, finalement adopté en 1848. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui le principe de l’égalité d’accès au service public, devenu un principe constitutionnel.

Ce bref rappel historique, que chacun connaît ici, peut paraître décalé. Pourtant, cette grande ambition publique, destinée à favoriser la communication et les échanges entre les hommes, a permis à la fois l’acheminement de la lettre à J+1 et, plus tard, la réalisation des systèmes de communication par satellite.

J’ai pour ma part en mémoire la première liaison intercontinentale établie entre les États-Unis et Pleumeur-Bodou, inaugurée par le général de Gaulle le 19 octobre 1962. Il s’ensuivit l’implantation, à Lannion, du Centre national d’études des télécommunications (Cnet), qui, entre autres activités, mit au point un autocommutateur grand public et le premier central numérique grand public de type E10 – prototype Platon –, inauguré à Guingamp en 1972. Cette grande ambition publique partagée, à l’ère du gaullisme, nous a permis non seulement de rattraper notre retard mais encore de nous hisser au premier rang mondial des technologies et modes de communication.

Depuis lors, de l’eau a coulé sous les ponts. Il est loin le temps – c’était en 1963 – où notre maman écrivait régulièrement à sa cousine habitant à Rouen et savait que, si elle la postait à l’agence de Plufur avant seize heures, sa lettre serait assurément distribuée dès le lendemain à Rouen. (Sourires.) Désormais, les choses vont beaucoup plus vite, mais l’acheminement du courrier, lui, prend de plus en plus de temps… (Nouveaux sourires.)

Cela dit, le contexte de ce débat, c’est aussi l’annonce de la fermeture, chez nous comme ailleurs, d’un certain nombre de bureaux de poste et de restructurations, sur le fondement de décisions prises sans tenir compte de l’avis des collectivités.

Tout cela me conduit à vous interroger sur trois points, madame la ministre. D’abord, quel sera l’avenir des 17 000 bureaux de poste ? Ensuite, quel statut envisagez-vous de donner aux salariés de La Poste et où en sommes-nous à ce sujet ? Enfin, quelle ambition de développement nourrissez-vous pour les métiers de la communication ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez parlé d’histoire et de ce qui nous lie, vous avez expliqué comment l’écrit créait des liens.

Moi aussi, je vais vous raconter une histoire, celle de ma fille de 14 ans qui écrit régulièrement à son arrière-grand-mère, qui en a presque 110. Ses lettres mettent certes trois jours à arriver, mais ce lien-là a une grande valeur sentimentale.

Sans doute, à côté de ces courriers ayant une valeur sentimentale, il y a aussi les nombreuses lettres que nous continuons d’envoyer – vingt par personne et par an en moyenne –, qui ont une valeur administrative, formelle ; donc, il ne s’agit pas de minimiser la valeur de ce qui est écrit et inséré dans nos boîtes aux lettres. Simplement, je trouvais utile de souligner moi aussi l’aspect humain du sujet : derrière l’entreprise, la logistique et la rentabilité se trouvent aussi des valeurs humaines.

L’État, La Poste, croient-ils aux métiers de la communication numérique ? La réponse est oui, mille fois oui !

J’ai reçu, voilà à peine quelques jours, l’équipe dirigeante de Docaposte. Cette filiale conduit des missions essentielles pour l’État : fournir des services de cloud sécurisé, faciliter la lutte contre la fraude, faciliter la sécurisation des documents, fournir une identité numérique de qualité, etc. Je ne vais pas vous faire la liste des projets dont nous avons traité, mais je souhaite souligner l’importance du champ du numérique en santé – je ne doute pas que les questions d’actualité au Gouvernement de demain seront l’occasion d’y revenir –, dont nombre d’acteurs français, publics et privés, perçoivent le potentiel d’efficacité, de performance, pour améliorer le système de santé sans dégrader l’accès aux soins et la qualité des soins pour les Français.

Je vous remercie donc de votre rappel historique, monsieur le sénateur. Je vous ai fait part d’un peu d’humanité familiale ce soir et vous pouvez compter sur moi, en tant que ministre, pour accompagner le progrès sans jamais oublier l’humain.

Mme la présidente. La parole est à Mme Antoinette Guhl. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Antoinette Guhl. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le service universel assuré par La Poste constitue un pilier essentiel de notre service public, mais – cela a été dit – l’aménagement du territoire, l’accessibilité bancaire ou encore le transport et la distribution de la presse sont des missions tout aussi importantes, et même fondamentales, dans le maintien du lien social et la garantie de l’égalité territoriale.

Cela dit, nous le savons, ces missions sont aujourd’hui fragilisées. Depuis la privatisation de 2010, la qualité du service s’est dégradée, les horaires se sont restreints, des bureaux ont fermé, des emplois ont disparu, le métier de facteur s’est précarisé, avec une sous-traitance de plus en plus courante, qui affaiblit les droits et la protection des travailleurs. Je vous interrogerai sur ce point dans quelques minutes, madame la ministre.

Les mesures d’austérité budgétaire, telles que la fin de l’offre « Livres et Brochures », menacent aussi, par ricochet, la librairie indépendante, l’édition et le rayonnement de la culture française. Nos concitoyens à l’étranger s’en plaignent également.

Vous parliez de fermeture de bureaux. En tant qu’élue du 20e arrondissement de Paris, je me suis engagée contre les fermetures de bureaux de poste sur le territoire. Vous évoquiez le chiffre de 17 700, madame la ministre ;…

Mme Amélie de Montchalin, ministre. 17 000 tout court !

Mme Antoinette Guhl. … il s’agit de points de contact. En ce qui concerne les bureaux de poste de plein exercice, voici les chiffres : 9 300 en 2015, contre moins de 7 000 aujourd’hui.

Je sais à quel point ces espaces sont vitaux pour les habitants, et notamment pour les plus âgés et les plus isolés. Je tiens à affirmer ici notre attachement au maintien de l’accueil physique et du contact humain, qui ne sauraient disparaître sous prétexte de rentabilité.

Madame la ministre, j’ai donc plusieurs questions à vous poser.

Face à l’ubérisation constatée du métier de facteur, pouvez-vous nous confirmer qu’il n’existe plus à La Poste de contrats GEL (groupement d’employeurs logistique) pour les emplois de facteur, ainsi que nous l’avions demandé il y a quelque temps ici même ?

Par ailleurs, Shein et Temu – vous y avez fait allusion tout à l’heure – représentent 22 % de l’activité colis de La Poste. La fin des exonérations douanières sur les petits colis risque de fortement réduire cette activité. Cette évolution a-t-elle été anticipée ? Quelles mesures sont-elles prévues pour en limiter les conséquences ?

Nous assistons sur tous les territoires, disais-je, à des fermetures de bureaux de poste qui traumatisent les habitantes et les habitants. Serait-il possible – c’est l’élue locale qui vous parle – que La Poste, qui détient un capital immobilier sans égal, informe les élus locaux en cas de vente ou de fermeture de locaux, et qu’une concertation ait lieu avec eux sur l’avenir du lieu ?

Le service universel postal étant attribué à La Poste jusqu’à la fin de 2025, je souhaiterais savoir également ce qui adviendra après cette date, mais vous avez déjà largement répondu à cette question. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Premier point, l’offre « Livres et Brochures », destinée aux particuliers, était formidable : elle permettait d’envoyer des livres à l’autre bout du monde et de bénéficier pour ce faire d’une tarification spéciale en deçà d’une franchise qui fut d’abord fixée à 5 kilogrammes, avant d’être réduite à 2 kilogrammes.

Ce qui était beaucoup moins formidable, c’est que 90 % des pays dans le monde ont progressivement arrêté de prendre en charge, comme ils le faisaient auparavant, les livres et brochures qui arrivaient chez eux par ce biais. Nous pouvions donc nous faire plaisir en envoyant des livres à l’étranger, mais, une fois arrivés sur place, soit ces colis n’étaient pas très bien traités, soit ils l’étaient dans des délais très longs, soit l’opérateur postal qui réceptionnait ces enveloppes lourdes considérait qu’il n’était pas payé au bon tarif pour les distribuer.

Autrement dit, ça ne marchait pas bien. La Poste a donc souhaité privilégier les envois groupés, qui coûtent moins cher et sont de surcroît beaucoup plus fiables.

Je redis qu’il n’y a là aucun enjeu pour les librairies : nous parlons là d’envois non marchands par des particuliers.

Deuxième point : les contrats dits GEL relèvent d’une décision managériale interne à La Poste ; je ne dispose donc pas d’éléments à ce sujet. Vous pourrez lui poser la question quand vous recevrez le prochain président ou la prochaine présidente du groupe.

En revanche, sur Shein et sur Temu, nous avons une divergence de vues assez forte. J’essaie bien sûr de tout anticiper. Mais mon objectif n’est pas que l’on maximise le nombre de livraisons pour que La Poste ait des colis à transporter. Mon objectif est que l’on arrête de faire entrer chaque année dans notre pays 800 millions d’articles expédiés par ces plateformes, dont 80 % sont non conformes :…

Mme Antoinette Guhl. Nous sommes d’accord !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. … non conformes du point de vue de la sécurité des Français, parce qu’il s’agit par exemple de jouets dangereux pour les enfants ou de produits cosmétiques allergènes ; non conformes aussi parce qu’il s’agit bien souvent d’articles de contrefaçon ; non-conformes, enfin, car la sous-déclaration est massive.

Constatant que Shein et Temu représentent 22 % de l’activité de La Poste, je suis très loin d’y voir une nouvelle formidable. Bien au contraire, si nous ne faisons rien, nous allons fragiliser nos commerçants et nos industries. C’est pourquoi la France a pris le leadership, comme on dit en bon français, d’une coalition européenne dont l’objectif est de financer, dès l’année prochaine, les contrôles que manifestement ces plateformes n’opèrent pas elles-mêmes, ce qui suppose de mobiliser des douaniers et des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour effectuer le travail de contrôle et faire en sorte que la tendance actuelle s’interrompe. Je le rappelle, le nombre d’articles expédiés dans notre pays par ces plateformes a doublé en 2024 – 800 millions – par rapport à 2023 – 400 millions.

Que l’on me comprenne bien : je suis ravie que ces livraisons de colis occupent La Poste et Geopost, mais je serais plus ravie encore si les Chinois et un certain nombre d’acteurs asiatiques ne pratiquaient plus de dumping sur la filière.

J’y insiste, mon objectif est non pas de maximiser le nombre de colis livrés par La Poste, mais de protéger nos industries, de protéger les Français et de nous donner les moyens de contrôler. (M. Bernard Buis applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour la réplique.

Mme Antoinette Guhl. Sur ce dernier point, madame la ministre, tel n’était pas du tout le sens de mon propos : nous nous passerions bien, en effet, de tant de colis émanant de ces deux grandes marques chinoises. Toujours est-il que la décision que j’évoquais va fragiliser un peu plus La Poste. Comme il s’agit du sujet du soir, telle était bien la question que je voulais vous poser.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Jacques Michau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier la Haute Assemblée pour l’organisation de ce débat ô combien nécessaire sur l’avenir du groupe La Poste, à quelques mois d’échéances structurelles pour ce service public fondamental.

Nous sommes à quelques jours du départ annoncé de Philippe Wahl, président-directeur général de La Poste, dont je veux saluer le très bon travail, sans que la question de sa succession soit encore clarifiée. Si aucun nom n’est proposé rapidement, nous le savons, il faudra recourir à un intérim ; ce flou à la tête du groupe ne rassure pas, d’autant qu’il coïncide avec une période charnière pour l’avenir des missions de service public confiées à La Poste. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, quand le remplaçant – ou la remplaçante – du président sera nommé ?

Le contrat de présence postale territoriale, pilier de l’aménagement du territoire, arrive à échéance le 31 décembre 2025. Une prolongation d’un an serait évoquée pour laisser au futur dirigeant le temps de renégocier ; mais pouvons-nous nous contenter d’un simple sursis ?

Je suis élu d’un département rural, l’Ariège, où le bureau de poste ou l’agence communale n’est pas seulement un lieu de service : c’est souvent le dernier repère républicain, le dernier visage humain du service public dans nos villages. C’est parfois ce lieu qui permet aux habitants âgés ou isolés d’être accompagnés dans leurs démarches, de recevoir leurs médicaments ou simplement d’échanger un mot avec le facteur.

Les salariés de La Poste font d’énormes efforts pour s’adapter au nouveau contexte dans lequel le groupe évolue. Leurs tournées changent ainsi constamment, comme leurs missions, avec à la clé un alourdissement significatif de leur charge de travail. Toutes ces évolutions dans les conditions de travail ont parfois pour conséquences une augmentation de la souffrance au travail et une augmentation des arrêts de travail.

Madame la ministre, le statut des salariés va-t-il évoluer ? Si la Cour des comptes, dans sa note publiée en février dernier sur la trajectoire financière de La Poste, identifie avec justesse les tensions économiques auxquelles le groupe est exposé, elle adopte une lecture comptable et suggère de revoir la fréquence de distribution, de recentrer les activités dites non rentables, donc d’interroger l’avenir même du service universel postal, dont La Poste est opérateur jusqu’à la fin de 2025.

Le Gouvernement, dans sa réponse à la Cour, parle de « réforme structurante », de « rationalisation », d’« adéquation entre coût et usage ». Ces mots, nous les entendons souvent dans la bouche de ceux qui veulent justifier un retrait progressif de l’État dans nos territoires ; j’espère que telle n’est pas votre intention en l’espèce.

Je le dis avec gravité et conviction, il ne saurait y avoir de République à deux vitesses, une République des métropoles bien pourvues et une République des campagnes reléguées.

À l’heure où l’inflation ralentit et où les résultats financiers de La Poste repartent à la hausse, comment accepter que ce redressement serve à préparer le retrait du service postal en zone rurale ? Tel n’est peut-être pas l’objectif, mais la réponse du Gouvernement au référé de la Cour peut être lue ainsi.

Les agences postales communales, qui représentent une solution équilibrée de proximité, risquent de ne survivre que dans les communes les plus riches. Il y aurait là une rupture d’égalité que nous ne saurions accepter.

Madame la ministre, quel sera le processus de redéfinition du service universel postal pour 2026 ? Le Parlement y sera-t-il pleinement associé ? Pouvez-vous nous garantir que les agences rurales seront pérennisées et accompagnées ?

Le Sénat, représentant des territoires, doit être pleinement acteur de cette réflexion stratégique. La Poste – cela a été dit par tous mes prédécesseurs – n’est pas une entreprise comme les autres : elle est un acteur de la cohésion nationale. Si, demain, elle perd son ancrage territorial, non seulement les lettres ne seront plus distribuées, mais des morceaux entiers de la République ne parviendront plus jusqu’à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Antoinette Guhl applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, je veux vous rassurer. Beaucoup de choses que vous dites donnent l’impression qu’il y aurait un plan de réduction de la présence postale. Je vais répondre par la même occasion au sénateur Chaize, qui nous dit en substance que le Sénat aimerait redonner un cap au groupe La Poste par un débat parlementaire et par une loi. Je ne dis pas qu’un tel débat ne va pas avoir lieu. Mais ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui la loi c’est la loi ; or la loi dit : 17 000 points de contact.

Vos craintes pourraient être fondées si cette loi n’existait pas. Mais la loi, précisément, personne n’est en train de la changer !

Le contrat de présence postale vise à organiser cette présence sur le territoire des 17 000 points et à définir leur nature, leurs missions, les nouveaux services qui y sont déployés. Je veux donc vraiment vous rassurer : La Poste n’est en effet pas une entreprise comme les autres. Très peu d’entreprises voient la magnitude et la typologie de leur réseau inscrites dans la loi française ; c’est même la seule entreprise qui y est ainsi définie. (M. Guillaume Gontard sexclame.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne définissons pas avec vous le nombre de points de présence sur le territoire des services des impôts ou des caisses d’allocations familiales : seule La Poste répond à un tel objectif.

Encore une fois, je veux vraiment vous rassurer : il n’y a pas de plan caché. Et ce n’est pas parce qu’un nouveau président-directeur général sera nommé avant le 25 juin qu’un tel plan existe ! En tout état de cause, vous aurez la chance d’auditionner le candidat proposé pour occuper ces fonctions avant le 25 juin, puisqu’il faut qu’à cette date le nouveau président-directeur général soit en place.

Il n’y a pas, disais-je, d’agenda caché : cela fait longtemps que les nouveaux embauchés sont des salariés de droit privé et il n’y a pas de transition à effectuer ni de réforme à faire. Je veux donc vraiment, par ces quelques mots, rassurer – je le répète. Monsieur le sénateur, vous faites état d’inquiétudes qui pourraient être légitimes, mais qui ne correspondent à rien de ce qui est aujourd’hui sur la table, puisqu’il n’y a tout simplement pas de table pour négocier quoi que ce soit de cette nature.

Oui, les agences communales sont maintenues. Oui, évidemment, nous allons continuer de les faire bien fonctionner là où les maires en accompagnent l’activité. Reste qu’il y a certainement des évolutions intelligentes à mettre en œuvre. Un exemple : dans les 2 000 communes où coexistent un bureau de poste et une maison France Services, ces structures ont des choses à faire ensemble. Mais l’objectif des 17 000 points de contact ne changera pas : si l’on modifie la présence postale quelque part, cela signifie qu’il devient possible d’ouvrir ailleurs un autre point de contact.

Dernier point : votre collègue vient de dire qu’il n’était pas facile de compter sur un bureau de poste ouvert dans le 20e arrondissement de Paris. Il n’y a donc pas de France à deux vitesses : il n’y a pas la France des villes et celle des campagnes. Il y a la France tout court et la loi pour tout le monde !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau, pour la réplique.

M. Jean-Jacques Michau. Madame la ministre, je vous remercie de ces mots, qui sont susceptibles de me rassurer pour partie.

Je précise néanmoins, à titre d’exemple, que les conventions passées entre La Poste et les communes pour la création des agences postales communales étaient auparavant d’une durée de neuf ans, contre trois ans désormais. Les élus se demandent donc comment les renouvellements vont se dérouler une fois les conventions échues.

Voilà un exemple des craintes des territoires.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 9 novembre 1989 est une date doublement historique. Ce fut le jour, bien sûr, de la chute du mur de Berlin, mais ce fut aussi et surtout, pour votre serviteur, une journée qui débuta à cinq heures du matin par le tri du courrier et qui finit à dix-huit heures par la fin de ma tournée.

Le 9 novembre 1989, j’avais 20 ans et c’était mon premier jour en tant que facteur dans l’administration des PTT, pour ce qui n’avait donc rien à voir avec un petit travail tranquille.

J’avais terminé la distribution tellement tard que, par-dessus le marché, un usager parisien m’avait demandé avec mépris et condescendance s’il ne s’agissait pas du courrier du lendemain ! Comment, dès lors, ne pas supporter l’Inter Milan samedi prochain ?…

Épuisé, piqué dans mon orgueil de Marseillais, fallait-il que je m’accroche au guidon de mon vélo pour ne pas craquer ; mais j’ai tenu bon, porté par l’exemple des anciens dont je constatais l’investissement personnel, qui se concrétisait au quotidien, au-delà de leur activité purement professionnelle, par des services rendus au public, aux gens – on ne les appelait pas encore des « clients ».

À l’époque, les facteurs prenaient des nouvelles des personnes âgées ou isolées, remplissaient leur paperasse, acceptaient de prendre quelque argent pour l’achat de timbres, ne déposaient pas d’avis de passage en cas d’absence, mais présentaient à nouveau les recommandés au domicile le lendemain pour leur éviter de se déplacer au bureau de poste.

L’oiseau bleu évoquait non pas un réseau social numérique américain, mais un service postal enraciné dans nos villes et villages et dont la promesse, reposant sur le lien et sur le service, était la transmission, la rapidité et l’efficacité.

C’est ce qui avait convaincu Michel Audiard d’affirmer, par la bouche de Jean Gabin dans le film Le Cave se rebiffe, en 1961, que l’administration des PTT nous était enviée dans le monde entier car ses agents étaient les seuls qui ne perdaient jamais rien, quand le service public rimait encore avec rigueur et proximité.

Depuis, cette administration a été démantelée sous la houlette du ministre socialiste – socialiste ! – Paul Quilès. En défaisant son statut, la gauche a déboulonné une statue. Si le timbre est passé du rouge au vert, la confiance et la fiabilité, elles, ont fait le chemin inverse.

La disparition progressive des services postaux, la fermeture des bureaux ou la réduction des horaires, la distribution aléatoire participent du grand recul des services publics dans nos communes.

Aussi suis-je régulièrement aux côtés des maires et des Provençaux qui ne se résignent pas à ce déclassement et à cette inégalité d’accès.

La Poste s’est transformée en multinationale, elle délocalise, elle fait désormais son chiffre d’affaires grâce à l’assurance et à la banque, La Banque postale se réservant même le droit de virer sans raison et sans appel ses clients parlementaires ! À la recherche de parts de marché, cette société au capital 100 % public se désengage de pans entiers de nos territoires.

C’est pourquoi, madame la ministre, je vous pose la question suivante : alors que la multinationale américaine Amazon a investi en France 1,2 milliard d’euros l’année dernière et vient d’annoncer 300 millions d’euros d’investissement cette année, avec 1 500 emplois à la clé, pour mailler le territoire et développer son réseau, comment la France prévoit-elle de faire face souverainement ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. J’ai du mal, monsieur le sénateur, à vous suivre complètement. Je ne sais pas bien ce que La Poste délocalise : elle ne délocalise pas les 17 000 points de contact, ni les 60 000 facteurs, ni non plus le chiffre d’affaires de son activité de transport de colis. Je ne sais donc pas très bien de quoi vous parlez.

En revanche, je tiens à remercier les agents actuels du service postal, car on a l’impression, à vous entendre, que les facteurs d’antan étaient tous formidables et que ceux d’aujourd’hui le seraient beaucoup moins.

Pour ma part, je ne connais pas beaucoup de facteurs qui seraient vus par nos concitoyens comme ne faisant pas leur travail sérieusement ou qui distribueraient « aléatoirement » – je vous cite – le courrier. Qu’il y ait des difficultés, je ne le nie pas – j’ai été députée d’une circonscription où est implantée, à Wissous, la plus grande plateforme de tri de La Poste. Il y a évidemment des difficultés, celles que rencontrent tous les services qui gèrent de telles masses.

Reste qu’il serait aujourd’hui malvenu de critiquer le travail des agents. Que La Poste ait vécu des moments où il lui a fallu innover, investir, changer ses modèles, c’est certain. Mais nous ne pouvons pas dire ce soir, devant le Sénat de la République, que La Poste est une entreprise qui serait en train de délocaliser et de perdre ses racines et son âme. De tels propos ne correspondent ni à ce que l’on vit et voit sur le terrain ni à l’expression collective qui ressort de notre débat.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Brault.

M. Jean-Luc Brault. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour certains, probablement les plus anciens d’entre nous – moi le premier –, ce sont les premières lettres d’amour ; pour d’autres, c’est un livret A ou une ligne de téléphone ; pour les plus jeunes, ce sera peut-être, demain, le code de la route. Je pourrais continuer longtemps : pour certaines communes, c’est le dernier distributeur de billets, le seul prestataire qui veut bien venir distribuer le journal, ou la seule personne qui passe s’assurer que l’un de nos proches va bien.

Bref, La Poste fait partie de la vie de chacun des Français, au gré des évolutions de notre époque et des évolutions du service. Je crois pouvoir dire ici que nous y sommes tous attachés, tant La Poste fait partie du patrimoine de notre pays. Grâce à nos postiers, un peu d’humanité circule dans nos campagnes et dans nos villes. C’est bien pourquoi il est bon de débattre aujourd’hui de ce que La Poste devrait être demain.

La transition est ainsi toute trouvée avec le débat précédent, qui fut l’occasion de nous interroger sur la manière dont nos politiques publiques peuvent contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays. Pour nos campagnes, en effet, ce débat sur l’avenir de La Poste peut apporter sa part de réponses, mais pas seulement, bien entendu.

Depuis qu’elle est née, il y a cinq siècles, La Poste s’est adaptée à chaque époque pour acheminer des courriers toujours plus nombreux. Aucun autre service public – aucun autre service public ! – ne s’est autant adapté pour les besoins de la population.

Récemment, La Poste a dû évoluer dans sa chair, avec la réforme des PTT, en 1990, puis la libéralisation des services postaux, le changement de statut étant acté en 2010. Et, depuis une quinzaine d’années, le défi s’est inversé. Nous envoyons de moins en moins de plis postaux : 18 milliards en 2008, 6 milliards en 2023, 5 milliards en 2024. Nul besoin d’avoir un prix Nobel d’économie pour comprendre que, financièrement, si rien ne bouge, ça va coincer… Dans le privé, la situation qui résulte d’une telle tendance pourrait s’appeler un dépôt de bilan.

La Poste s’est donc livrée, dans cette période, à une recherche effrénée de croissance externe, afin de justifier son existence dans son format actuel. Je veux le dire clairement – c’est un préalable impératif, me semble-t-il, à tout débat sur l’avenir de La Poste : l’État doit lui garantir une compensation intégrale pour qu’elle puisse continuer d’exercer son cœur de métier, à savoir un service universel postal, dans tous nos territoires, qu’ils soient ruraux ou urbains. On ne peut pas lui reprocher de s’éparpiller et, dans le même temps, constater qu’on ne lui donne pas les moyens de remplir sa mission originelle et principale.

Aujourd’hui, La Poste, c’est la distribution du courrier et de la presse, le portage de repas à domicile dans nos campagnes, mais aussi trois banques, des assurances, de la prévoyance, de la finance, de la téléphonie mobile, la possibilité de passer des examens, et probablement encore d’autres choses.

Mes chers collègues, modernité ne rime pas toujours avec diversité, n’en déplaise à certains. Il est parfois bon de se recentrer sur l’essentiel. Pour ma part, je suis fermement convaincu que l’avenir de La Poste n’est pas dans la multiplicité des activités en tout genre. Partie intégrante du patrimoine qu’est le service public, elle doit au contraire revenir à sa mission première, qui est de faire le lien entre les gens.

Nos postiers, dans nos campagnes, dans nos villes, sont des femmes et des hommes extrêmement appréciés et choyés. Dans nos campagnes comme dans nos villes, ce que La Poste fait de mieux, c’est cogner aux portes des gens où qu’ils habitent, car elle a la confiance de tous pour apporter le service public à ceux qui ne peuvent pas y accéder : elle est en définitive une autre forme de mobilité. C’est ce qui fait son ADN, être un acteur du contact humain en rendant des services de proximité.

Madame la ministre, proximité et ruralité ne doivent-elles pas être au cœur de la stratégie de La Poste de demain ? Comment recentrer les missions de La Poste pour développer son rôle de facteur de lien dans nos villes et dans nos campagnes ? Quels moyens humains et financiers pour valoriser cette belle entreprise ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, il me semble que nous disons vraiment la même chose et qu’en même temps nous ne disons pas tout à fait la même chose.

Nous disons vraiment la même chose : les missions de service public qu’assure La Poste sont essentielles.

Mais nous ne disons pas la même chose : c’est bien au contraire, me semble-t-il, parce que La Poste s’est diversifiée, parce qu’elle a trouvé de nouvelles sources de croissance, de chiffre d’affaires, de rentabilité, qu’elle pourra dans le temps continuer d’assurer ses missions.

À recentrer La Poste sur les seules quatre missions de service public, on en ferait, au fond – je vous le donne en mille –, un bout de ministère, une extension des services préfectoraux, parce qu’il n’y a pas de modèle économique viable pour l’exercice exclusif de ces quatre missions. Si l’on veut conserver pour les exercer une entreprise à capitaux publics, qui est un des actifs de notre pays, la stratégie doit bien être pour La Poste de poursuivre sa diversification, et de rendre cette diversification vraiment rentable, l’État continuant par ailleurs d’accompagner les missions qui ne sont pas rentables mais qui sont essentielles, et de le faire dans un cadre démocratique.

Mais si l’on recentre La Poste uniquement sur ces quatre activités fondamentales – le service universel postal, l’accès au compte bancaire, la distribution de la presse et l’aménagement du territoire –, La Poste deviendra une extension du service préfectoral : ce ne sera plus une entreprise. Or je ne crois pas que c’est ce que nous cherchions.

La situation est compliquée : la distribution de courrier était une source énorme de revenus pour La Poste, via les timbres, et c’est moins le cas désormais. Faute de diversifier, il n’y aura donc pas d’avenir. Cela suppose évidemment de diversifier de la bonne façon, de manière raisonnée, vers des secteurs qui ont eux-mêmes un avenir, sur des marchés porteurs.

Je résume : à la fois nous sommes d’accord et nous ne sommes pas complètement d’accord. C’est bien pourquoi, du reste, nous avons des débats, car, à ce sujet, l’œuvre collective de la démocratie reste en partie à accomplir.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jeanne Bellamy. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Mme Marie-Jeanne Bellamy. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, intervenant dans un domaine extrêmement concurrentiel, le groupe La Poste doit aujourd’hui faire face à des défis majeurs. La Poste est confrontée à une baisse continue des volumes de courrier, accélérée par la pandémie et par le changement lié aux usages numériques. En 2023, l’activité courrier ne représentait plus que 15 % de son chiffre d’affaires, contre 50 % en 2010. En dix ans, ses revenus ont chuté de 6,5 milliards d’euros.

Le groupe s’est adapté en engageant une diversification de ses activités : logistique, portage de repas, téléphonie, bancassurance, services de proximité. En dépit de ces efforts, le rapport publié par la Cour des comptes en février dernier confirme la dégradation de sa situation financière, liée à la baisse des métiers historiques et à la rentabilité insuffisante des activités de diversification.

La Poste est chargée de quatre missions de service public : le service universel postal, qui garantit à tous les usagers, de manière permanente et sur l’ensemble du territoire national, des services postaux de qualité à des prix abordables ; la contribution à l’aménagement et au développement du territoire, avec le maintien de 17 000 points de contact ; le transport et la distribution de la presse ; l’accessibilité bancaire. Ces missions sont plus nombreuses et plus exigeantes que celles qui sont dévolues aux autres opérateurs postaux européens. Ce choix du législateur, l’État doit l’assumer.

Les engagements réciproques de l’État et du groupe ont été contractualisés pour la période 2023-2027. Un contrat de présence postale territoriale pour la période 2023-2025 a également été signé par l’État, La Poste et l’AMF.

Pourtant, le coût des missions de service public assumées par le groupe n’est pas intégralement compensé par l’État. Leur solde est déficitaire et connaît une forte détérioration depuis 2017. Selon la Cour des comptes, en 2023, il manquait environ 479 millions d’euros pour compenser le coût de la mission de service universel postal. Quant au coût du contrat de présence postale, évalué par l’Arcep à 322 millions d’euros, l’État n’en compense qu’un peu plus de la moitié, 174 millions d’euros par an.

Depuis 2020 et la réforme de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), une partie du fonds postal de péréquation territoriale est alimentée par des abattements appliqués à la fiscalité locale et par une dotation de l’État. À la fin du mois de septembre dernier, La Poste était informée de l’intention du Gouvernement d’annuler près de la moitié des crédits votés en loi de finances pour 2024 : 50 millions d’euros sur 105 millions – des crédits, rappelons-le, déjà distribués et utilisés… Non seulement, donc, les crédits votés ne compensent pas tout, mais ils peuvent être annulés. Il ne s’agit pourtant pas là d’une subvention à une entreprise, mais d’un fonds de péréquation dont l’intégralité est réinvestie dans les territoires via les commissions départementales de présence postale territoriale (CDPPT).

À l’insuffisance des crédits alloués s’ajoute donc un problème de méthode qui plonge le groupe dans une insécurité juridique et financière intenable. Comment bâtir un budget, sans même parler de révolutionner un modèle économique, dans une telle incertitude financière ? La Poste n’est pas une entreprise comme les autres, c’est un acteur essentiel du lien social et de l’aménagement du territoire.

Nous sommes dans une année charnière, avec la désignation, à la fin du mois de juin, d’un nouveau président ou d’une nouvelle présidente, puis la désignation de l’entreprise qui sera en charge du service universel postal à compter du 1er janvier 2026.

Madame la ministre, il est temps de faire des choix et d’imposer un cap. Quel sera-t-il ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la sénatrice, j’entends ce que vous dites sur les annulations de crédits. Pour être parfaitement précise, l’annulation de crédits, c’est l’opération à laquelle on procède quand une dépense dérape en cours d’année. Or jamais en cours d’exécution on n’a annulé un quelconque engagement vis-à-vis de La Poste.

Ce à quoi vous faites référence, c’est au fait que le Gouvernement a déposé, depuis quelques années, des projets de loi de finances initiale dans lesquels le coût pour La Poste de sa mission de contribution à l’aménagement du territoire était sous-compensé, les crédits inscrits chaque année à ce titre s’élevant à 170 millions d’euros environ. Cela, c’est vrai.

Néanmoins, vos remarques sont importantes : il importe d’apporter de la prévisibilité à l’entreprise afin qu’elle poursuive ses plans de transformation et de déploiement, tout en assurant pleinement l’exécution de son contrat de présence postale.

L’arrivée d’une nouvelle direction constitue, à cet égard, une opportunité pour engager ce travail. Je rappelle cependant que de nombreuses décisions se prennent dans un cadre tripartite : ce dialogue ne se fait pas uniquement entre l’État et La Poste ; les maires et les collectivités territoriales y sont également pleinement associés.

Vous-même, mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que représentants de ces collectivités, avez un rôle déterminant à jouer. Vous pouvez contribuer à l’élaboration d’un récit pluriannuel « réaliste », comme nous l’évoquions tout à l’heure.

Imaginer recentrer La Poste exclusivement sur ses missions de service public ne permettrait pas d’assurer la viabilité de l’entreprise. À l’inverse, il convient de l’accompagner dans ses efforts de diversification, sans rejeter trop rapidement ces démarches au prétexte qu’elles paraîtraient baroques, exotiques ou bizarres. C’est ce chemin qu’il nous faut tracer.

Je suis ministre chargée des comptes publics depuis cinq mois et, jamais, dans les arbitrages de gestion annuelle, il n’a été question de réaliser des économies en passant « un coup de rabot » sur La Poste. L’enjeu est trop important.

Le débat budgétaire doit naturellement continuer de se tenir dans la transparence du dialogue parlementaire. Il nous appartient, dans ce cadre, de bâtir ensemble une programmation davantage pluriannuelle, et je vous rejoins pleinement sur ce point.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, La Poste est un acteur essentiel du service public français, et ce depuis des siècles. Elle assure un maillage territorial unique qui permet de maintenir un lien social et économique vital sur tous nos territoires.

C’est la seule entreprise française qui dispose d’un tel réseau, avec 62 000 facteurs qui sont en contact direct chaque jour avec plus d’1 million de personnes. Ils sont parfois le seul contact pour des personnes âgées isolées dans nos territoires ruraux. Ils distribuent quotidiennement près de 20 millions de courriers et de colis dans plus de 44 millions de foyers.

Malgré les défis posés par l’essor du numérique et l’évolution des modes de consommation, La Poste a su – par obligation – se réinventer et moderniser son offre, tout en préservant ce service public sur l’ensemble du territoire national.

Jamais une entreprise n’a connu un tel effondrement de son activité principale. Aujourd’hui, la distribution du courrier ne représente plus que 15 % du chiffre d’affaires du groupe, contre 52 % en 2010.

Parmi ses initiatives de diversification, on peut relever la création de messageries électroniques sécurisées ou encore de signatures numériques, le renforcement de ses capacités de livraison de colis, avec l’essor du commerce en ligne, le développement de services bancaires et financiers – La Banque Postale, notamment –, le déploiement de services aux entreprises via des solutions de marketing direct ou encore de gestion de documents, le maintien de bureaux de poste dans les zones rurales, le développement de services d’accompagnement aux personnes âgées – par exemple, dans mon département, les livraisons de repas –, l’usage de drones pour la livraison ou encore l’automatisation des centres de tri.

Le résultat de La Poste est en progression. Son chiffre d’affaires est passé de 22 milliards à 34 milliards d’euros entre 2013 et 2022, ce qui prouve que l’entreprise a su relever ce défi de la transformation.

Cependant, il faut le dire, ces diversifications ne doivent pas nous faire oublier les missions essentielles de service public qu’elle doit remplir au quotidien auprès des Français. Or force est de constater que le compte service public du groupe est largement déficitaire, malgré les compensations annuelles de l’État. Ces dernières demeurent bien insuffisantes au regard des besoins.

Lors de son audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, le président Philippe Wahl précisait : « La sous-compensation de nos missions de services publics prend une acuité considérable. »

La Poste a dépensé 4 milliards d’euros de plus que ce que l’État lui a versé pour remplir les missions de contribution à l’aménagement du territoire qui lui sont attribuées. Elle a le devoir de maintenir 17 000 points de contact sur l’ensemble du territoire national, que ce soit au travers de ses bureaux de poste, des agences postales communales, mais aussi des points relais.

Madame la ministre, le caractère essentiel des services proposés par La Poste n’est plus à démontrer. Comment mieux compenser et accompagner ses missions de services publics ? Qu’en sera-t-il, notamment, après 2027 ?

Par ailleurs, pensez-vous que La Poste pourrait être davantage mobilisée contre la fracture numérique ? C’est un enjeu essentiel dans la lutte contre la fracture territoriale. Si nous n’investissons pas suffisamment dans La Poste, c’est la ruralité profonde qui en sera la première victime.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Fagnen.

M. Sébastien Fagnen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la tenue d’un débat sur l’avenir de La Poste témoigne de l’intérêt de la représentation nationale pour celle-ci et de l’attachement indéfectible de nos concitoyens au service universel postal.

La Poste fait partie du quotidien des Français. En dépit de la baisse de la fréquentation, 800 000 d’entre eux franchissent encore quotidiennement la porte d’un bureau de poste. Dans une société en proie au doute, voire à la fragmentation et à la division, notamment territoriale, un repère institutionnel, géographique et historique comme La Poste revêt un caractère précieux.

À ce titre, je souligne l’importance toute particulière de l’une des quatre missions de service public que l’État a confiées à La Poste par la loi du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et à France Télécom, à savoir la contribution à l’aménagement et au développement du territoire, maintes fois évoquée par les précédents orateurs.

L’émoi légitime suscité à l’automne dernier par la menace d’une coupe budgétaire de 50 millions d’euros, soit un tiers des crédits alloués au maintien des 17 000 points de contact, illustre autant la fragilité du réseau postal que les menaces qui pèsent sur son financement.

Certes, face à la gronde massive, les crédits ont été rétablis. Mais au regard de la situation budgétaire critique de notre pays, et malgré les engagements pris, nous nourrissons de vives inquiétudes quant au prochain contrat de présence postale – le septième du nom.

Au-delà de son inscription dans le marbre législatif, cette mission d’aménagement du territoire est à la fois l’incarnation physique du maillage territorial de La Poste et son inscription dans le paysage de nos villes et de nos villages. Elle est aussi – et surtout – la garantie de l’ambition républicaine de l’universalité de l’accès aux services publics, singulièrement à son réseau postal, garant de la cohésion sociale.

Force est de constater que la sous-compensation massive de l’État risque, à terme, de mettre en péril cette mission. En seulement dix années, le taux de compensation a chuté de 85 % à 49 %, passant récemment sous la barre fatidique des 50 %.

La sous-compensation structurelle ne met pas seulement en cause le réseau postal et sa nature – il convient, d’ailleurs, de rappeler qu’une agence postale communale ou intercommunale, aussi intéressante et vertueuse soit-elle, ne remplit pas l’entièreté, tant s’en faut, des missions d’un bureau de poste. Elle porte également préjudice à la gouvernance locale de la mission d’aménagement du territoire.

L’épée de Damoclès budgétaire pèse lourdement sur le modèle des commissions départementales de présence postale territoriale, chargées de l’utilisation des crédits du fonds postal de péréquation territoriale. Les plonger dans l’incertitude non seulement grèvera le bon fonctionnement des services à la population – je pense tout particulièrement aux communes rurales et aux quartiers prioritaires de la politique de la ville –, mais ébranlera aussi l’étroite et utile association des maires dans la gestion du réseau postal.

Or, entre 2017 et 2025, les enveloppes dédiées aux CDPTT ont été divisées par deux. Cette baisse ne vient pas exclusivement contrarier la voix des élus dans la transformation du réseau postal, mais elle nuit également à l’acceptation de cette transformation par nos concitoyens, faute d’engagement clair sur la pérennité des moyens.

J’en veux pour preuve le mécontentement exprimé samedi dernier à Bény-Bocage, commune déléguée de Souleuvre-en-Bocage, chez moi, dans le Calvados, face à la fermeture d’un bureau de poste.

Madame la ministre, face à la sous-compensation et à la baisse constante des crédits, comment garantir aux habitants et aux élus une qualité de service sur le long terme ? Je pense, notamment, à la pérennité des moyens dévolus aux agences postales communales. Comment les assurer du maintien d’un service en adéquation avec les besoins de la population, tout particulièrement des plus vulnérables de nos concitoyens, si l’érosion budgétaire se poursuit, voire s’amplifie ?

L’urgence est de tracer un avenir à La Poste en dehors de toute marchandisation débridée. Nous ne cessons jamais de rappeler que le service public est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Et nous réaffirmons ce soir que La Poste appartient au patrimoine commun de la Nation.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, il n’existe pas de mesure magique. En revanche, une piste nous permettrait de mieux concilier nos objectifs.

Le premier de ces objectifs consiste à garantir aux Français des services de proximité réellement adaptés à leurs besoins. Le second est d’assurer la viabilité budgétaire et financière de ces services ; sans cela, ils finissent tôt ou tard par disparaître.

Il nous semble que la bonne démarche consiste à valoriser au maximum le réseau existant. Il convient donc de mettre dans la « besace » du facteur des services permettant de rentabiliser la présence de chaque bureau de poste, de chaque agence, ainsi que la tournée du facteur, d’autant que la distribution de courrier diminue.

Dès lors que le facteur assure, dans le cadre de sa tournée, des missions telles que l’aide à la formation numérique, le portage de repas ou encore le soutien aux personnes âgées, son activité gagne en rentabilité et contribue à la viabilité du réseau de proximité. C’est bien cette orientation qui nous semble devoir être suivie.

C’est ainsi que l’on parviendra à préserver un maillage dense du territoire en matière d’accès aux services postaux.

Je le rappelle : la loi impose à La Poste de garantir l’existence de 17 000 points d’accès aux services postaux, de nature diverse. Lorsqu’un point ferme, c’est soit qu’un autre s’ouvre ailleurs, soit qu’un nouveau modèle de présence, mieux adapté au territoire, a été défini par les élus, la commission départementale et La Poste.

S’agissant de la baisse de la compensation, les coûts sous-jacents ont augmenté, mais la fréquentation a connu également une forte diminution. Or ces points d’accès postaux avaient auparavant une rentabilité intrinsèque, liée à la vente de produits – timbres et autres – et de prestations, ce qui aujourd’hui n’est plus le cas.

La bonne ligne consiste donc à renforcer la rentabilité de la tournée du facteur et le maintien du réseau, en y intégrant des activités nouvelles.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Fagnen, pour la réplique.

M. Sébastien Fagnen. Madame la ministre, je ne remets pas fondamentalement en cause l’intérêt de la diversification. Quant aux 17 000 points de contact, nous ne pourrons pas éluder dans les débats à venir la question de leur nature.

Comme je l’ai indiqué, un bureau de poste ne remplit pas les mêmes fonctions qu’une agence postale communale ou intercommunale. Il est impossible de balayer d’un revers de main le fait que l’attrition de l’amplitude horaire des bureaux conduit souvent les agences postales communales à prendre le relais.

Il faut donc mettre l’ensemble des réalités du réseau postal sur la table afin d’y apporter une réponse aussi satisfaisante que possible, tant pour les élus que pour nos concitoyens.

Mme la présidente. La parole est à M. Damien Michallet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Damien Michallet. Permettez-moi, tout d’abord, de remercier très sincèrement la commission des affaires économiques pour l’organisation de ce débat très attendu, voire inespéré. Madame la présidente de la commission des affaires économiques, chère Dominique Estrosi Sassone, je sais que vous êtes extrêmement mobilisée sur le sujet, et je vous en sais gré.

Cependant, mes chers collègues, quelle frustration de tenir ce débat si tard ! Nous aurions dû débattre sur la base d’une véritable loi, d’un récit pluriannuel réaliste, comme vous le soulignez, madame la ministre.

La Poste doit s’adapter, évoluer, poursuivre sa mission de service public sur le fondement d’un contrat conclu et débattu au sein du Parlement, à savoir sur une loi postale que nous demandons depuis des mois, madame la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je le sais !

M. Damien Michallet. Nous sommes en 2025 et d’ici à la fin de cette année la délégation de la mission du service universel postal sera remise en jeu. À sept mois de l’échéance, les parlementaires n’ont toujours pas pu mettre le sujet sur la table. Ce n’est pourtant pas faute de l’avoir demandé !

En tant que président de la Commission supérieure du numérique et des postes, à laquelle je vous sais attachée pour en avoir été membre, madame la ministre, j’ai alerté personnellement le président du Sénat, qui a ouvert ce débat ce soir, accompagné de Patrick Chaize. J’ai écrit à la présidente de l’Assemblée nationale, qui a soutenu la démarche. Seul le Premier ministre a oublié de me répondre…

Ce soir, nous débattons avec l’espoir que le président de La Poste et le Gouvernement actent l’urgence absolue et critique d’avancer sur une loi postale.

En réponse, qu’avons-nous ? Un projet de passage par voie réglementaire ! Si tel est le cas, je vous le dis, nous pouvons d’ores et déjà craindre la mort de la présence postale. En effet, à défaut d’un véritable texte législatif, il nous faudra valider plusieurs centaines de millions d’euros lors du prochain projet de loi de finances, sans aucune garantie au sujet de l’optimisation des services associés et de la création de valeur pour l’aménagement de nos territoires.

C’est bien simple, si on ne légifère pas, la poste française deviendra la poste danoise, laquelle a purement et simplement annoncé la fin du facteur danois au 31 décembre 2025 ! Si tel est l’objectif, dès ce soir, nous pouvons alors tous rentrer dans nos départements et dire à nos maires de se préparer à retirer les boîtes jaunes. Et là, croyez-moi, cela ne passera pas comme une lettre à la poste…

La loi postale devient plus qu’urgente. Il est urgent de légiférer, car les défis sont nombreux. Bien entendu, il y a d’abord le déficit qui doit nous alerter et guider nos travaux parlementaires, mais ce n’est pas le seul défi que La Poste doit affronter.

Sur le défi de l’aménagement du territoire, La Poste doit territorialiser et déconcentrer ses décisions ainsi que ses organisations pour être plus agile et moins « parisienne ». Les maisons France Services peuvent être au cœur du débat et, pourquoi pas, au cœur de la loi.

Sur le défi de la transition numérique, sur la dématérialisation des démarches administratives, sur la lutte contre l’illectronisme, La Poste peut, comme en Italie, devenir un acteur de premier ordre et, du coup, pérenne. Mais le Parlement doit en débattre.

Sur le vieillissement de la population, nous disposons de 60 000 facteurs prêts à répondre à cette nouvelle nécessité.

La Poste a un rôle à jouer ! Elle est forte d’un maillage territorial exceptionnel et d’agents dévoués aux services publics ! Mais elle doit pouvoir se restructurer dans son ensemble et pas seulement au niveau du réseau des facteurs – ce qui a d’ailleurs été fait –, ainsi que dans ses fonctions de support.

Nous savons que des résultats sont possibles. Identité numérique, cloud souverain, intelligence artificielle générative : La Poste sait faire !

La Poste a d’ores et déjà mené de nombreux travaux en ce sens avec son président, Philippe Wahl, qui a œuvré pendant douze années pour accompagner La Poste dans son évolution. Cependant, dès aujourd’hui, nous devons regarder devant nous et visualiser les douze prochaines années !

Donnons-nous les moyens de nos ambitions ! Nous sommes prêts à nous remonter les manches.

Les membres de la CSNP, avec Denise Saint-Pé, que je salue, conduisent d’ailleurs depuis plusieurs semaines des auditions sur ce sujet crucial. Nous partagerons les pistes que nous ouvrirons lors d’une table ronde au Sénat en présence du successeur de M. Wahl, en septembre. Ces travaux contribuent à éclairer les parlementaires, notamment ceux qui sont désignés par le président de la CSNP et qui siègent à l’ONPP.

La seule question qui reste en suspens, madame la ministre, et à laquelle nous ne pouvons pas répondre seuls est de savoir si l’État est capable de nous faire confiance, à nous, parlementaires, et de nous laisser débattre de ce sujet au travers d’une loi.

Il s’agit ici d’argent public, d’aménagement, d’accessibilité bancaire, des collaborateurs de La Poste, de l’avenir de nos territoires, de la France et de l’une de nos plus grandes entreprises publiques. Madame la ministre, vous l’avez compris, à quand une loi postale ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le président de la Commission supérieure du numérique et des postes, nous nous faisons confiance, et nous faisons confiance à La Poste pour continuer d’honorer ses missions essentielles !

Cependant, j’ai été gênée par l’idée, évoquée dans votre intervention, selon laquelle, parce que nous aurions trouvé une solution pragmatique de ce type pour faire face à une situation que je qualifierai, comme vous, de dégradée, les boîtes jaunes cesseront de fonctionner au 1er janvier 2026, faute d’une loi postale !

Vous savez que ce n’est pas le sujet. Qu’une loi soit nécessaire, à terme, pour aborder les défis structurels de La Poste et préparer son avenir, cela ne fait aucun doute. Mais non, il n’existe pas un texte caché dans un carton à Bercy que le Gouvernement ne révélerait qu’au dernier moment. Nous ne craignons pas non plus de vous présenter une telle loi !

Ce gouvernement exerce ses responsabilités depuis le 23 décembre 2024. Nous avons consacré les deux premiers mois à bâtir un budget. Ce budget a été promulgué le 28 février dernier, autrement dit il y a tout juste trois mois.

Nous avions le projet de déposer un amendement à l’Assemblée nationale, via notamment le soutien de M. Stéphane Travert. Pour des raisons légistiques complexes que je n’aurai pas la prétention de vous exposer ici, à minuit dix-neuf, car elles dépasseraient l’entendement collectif, cela n’a pas abouti.

Aujourd’hui, notre responsabilité consiste à passer outre et à considérer que nous ferons une loi postale solide et complète le moment venu. Entretemps, assurons-nous qu’au 1er juillet La Poste sache précisément ce qu’elle devra faire à compter du 1er janvier afin que les boîtes jaunes ne disparaissent pas.

Telle est la voie, que nous n’avons pas choisie, mais que nous avons été tenus d’emprunter. Si nous devions nous heurter à une impossibilité constitutionnelle, juridique ou administrative, en raison du refus du Conseil d’État, du Conseil constitutionnel ou de toute autre instance, je vous garantis que nous trouverons le « trou de souris » législatif nécessaire. Mais je ne veux laisser penser à quiconque que les boîtes jaunes disparaîtront !

Mme la présidente. La parole est à M. Damien Michallet, pour la réplique.

M. Damien Michallet. Madame la ministre, nous nous accordons sur l’analyse, mais comprenez néanmoins la frustration du Parlement : cela fait plus de trois mois que nous demandons d’être des acteurs !

Cela étant, vous semblez avoir pris un engagement : celui de revenir devant nous, d’une manière ou d’une autre, pour rouvrir ce débat. C’est précisément ce que nous attendons, car il est absolument nécessaire de remettre ce sujet sur la table.

C’est tout le sens de mes propos. L’image des boîtes jaunes a fonctionné, car elle parle à chacun. Elle a suscité votre réaction – en cela, elle a été utile. Mais ce que nous souhaitons, collectivement, c’est bien une loi postale, un débat, un vote.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie la commission des affaires économiques pour l’organisation de ce débat que j’estime nécessaire. La question du service public postal mérite en effet toute notre attention.

En tant que fils de postier, je suis très profondément attaché à La Poste, comme nombre de sénateurs sur l’ensemble de ces travées, non seulement pour ce qu’elle a été, mais aussi pour ce qu’elle pourrait devenir.

Ce service public fait face à un défi immense : le recours au courrier papier continue de diminuer rapidement, ce qui fragilise le modèle économique du service postal. Dans le même temps, l’aide de l’État se réduit ou, du moins, ne répond pas à l’ampleur des besoins.

Nous nous retrouvons face à une équation très difficile : volumes et recettes sont en décrue, tandis que les missions, elles, restent à un niveau égal, voire progressent.

Alors, que faire ? Il faut regarder la réalité en face et accepter qu’une simple augmentation des compensations publiques ne peut pas constituer, à elle seule, une réponse durable. La Cour des comptes l’a clairement souligné dans son rapport de mai 2023, dans lequel elle appelait, à raison, à une redéfinition en profondeur du cadre et du contenu des missions confiées à La Poste.

Il est donc impératif, madame la ministre, de conduire une réflexion aussi ambitieuse que lucide – et cela, dans un cadre démocratique clair, en y associant clairement le Parlement. Le temps presse.

La mission actuelle de La Poste en tant que prestataire du service universel postal arrive à son terme au 31 décembre 2025. Nous savons que le groupe peut encore s’appuyer sur ses compétences, sur ses infrastructures et, surtout, sur son ancrage territorial pour assurer des missions profondément humaines. Mais il faut lui redonner un cap et lui garantir des moyens adaptés.

La diversification des activités de La Poste est aujourd’hui une nécessité vitale. Des initiatives pertinentes ont déjà été lancées : portage de repas à domicile, visites aux aînés isolés ou encore accueil dans les maisons France Services.

Toutes ces missions répondent à un besoin réel des populations, notamment dans les zones rurales ou périurbaines. La Poste est souvent, hélas, le dernier service public de proximité encore présent dans ces territoires. Et c’est bien cela qu’il faut préserver.

Mes chers collègues, il ne s’agit pas là d’un débat technique, mais d’une discussion de fond sur le rôle que nous voulons confier à La Poste dans les années à venir, sur les moyens que nous voulons lui accorder et sur la manière dont nous concevons le service public postal du XXIe siècle.

Madame la ministre, en tant que dernier orateur de ce débat, je vous le demande comme les précédents intervenants : quelle est la position du Gouvernement sur le projet de loi postale, tant attendu, qui sera prochainement présenté au Parlement ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Vous êtes valeureux d’avoir assisté à ce débat jusqu’à son terme : je salue votre persévérance, et je vous remercie pour nos échanges.

Vous le voyez : le Gouvernement ne prévoit ni coup de rabot ni coup de Trafalgar. Au contraire, notre ambition est de donner au groupe La Poste, que les Français connaissent, valorisent et apprécient, les moyens de son ambition et de son développement, et ce dans un cadre transparent et démocratique.

Le moment viendra de réviser notre loi postale. Entretemps, trois échéances me semblent essentielles : la désignation du successeur du président du groupe, Philippe Wahl, que je remercie solennellement pour le travail qu’il a mené depuis douze ans ; le renouvellement du contrat de présence postale associant l’État, La Poste et l’AMF, qui a souhaité que sa révision n’intervienne que dans un délai supplémentaire d’un an ; enfin, le projet de loi postale.

Ces questions soulèvent des enjeux budgétaires, qui seront étudiés lors de l’examen du projet de loi de finances. Je me réjouis donc, à cette occasion, de revenir échanger avec vous sur le partage de l’effort budgétaire et sur les moyens à consacrer à cette mission d’importance dans notre vie quotidienne.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Je salue l’ensemble de mes collègues qui sont restés jusqu’à la fin de ce débat.

Madame la ministre, je vous remercie pour votre présence et vos interventions, et pour la conscience dont vous avez fait preuve en répondant à chacun des sénateurs avec un souci de transparence, de vérité et de loyauté. Sachez que nous y sommes très sensibles. Jusqu’ici, les propos qui nous avaient été adressés sur le projet de loi postale étaient restés évasifs. En outre, nous n’étions pas certains de recevoir une ministre qui connaisse aussi bien le sujet dans le cadre de ce débat.

Il me semble que l’ensemble de mes collègues sont satisfaits de vos annonces, même si nous attendons désormais qu’elles se concrétisent.

Chacun a reconnu que ce débat sur l’avenir du groupe de La Poste, inscrit à l’ordre du jour par la commission des affaires économiques, était nécessaire et même incontournable. Je me réjouis donc qu’il ait eu lieu, bien que l’on puisse regretter qu’il se soit tenu à une heure si tardive, comme l’a dit Damien Michallet, et que les travées aient été aussi peu fournies.

D’ici au 25 juin prochain, la commission des affaires économiques aura à se prononcer sur la nomination du successeur de Philippe Wahl proposée par le Président de la République. Nous ferons preuve d’une grande attention lors de l’audition qui y sera consacrée, et plusieurs des questions que nous vous avons posées seront probablement soulevées à cette occasion.

À mon tour, je salue le travail colossal qu’a accompli Philippe Wahl. Les sénateurs issus de tous les groupes ont entretenu avec lui des relations de travail constructives, dans un climat de grande transparence, durant douze ans, afin de relever des défis majeurs. Alors que le recours au courrier papier diminuait drastiquement, M. Wahl a su internationaliser et diversifier les activités du groupe.

Chacun ici, en particulier Patrick Chaize et Damien Michallet, qui sont particulièrement impliqués sur ce sujet, a compris qu’une loi postale était attendue. Si nous en ignorons le calendrier, nous savons désormais que ce texte est selon vous nécessaire et que le Parlement ne sera pas contourné dans ce débat fondamental pour nos territoires, nos collectivités locales et l’ensemble de nos concitoyens. Je vous en remercie très sincèrement.

Plus que jamais, le Sénat restera mobilisé sur le devenir du groupe La Poste, auquel il reste particulièrement attaché. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur l’avenir du groupe La Poste.

6

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 28 mai 2025 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente :

Débat sur le thème « Terres rares et matériaux critiques : quel potentiel dans les territoires français et quelle stratégie pour renforcer notre approvisionnement ? » ;

Débat sur le thème « Quelle politique de protection et d’accompagnement des élèves dans les établissements scolaires, avec quelles modalités de contrôle ? ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 28 mai 2025, à zéro heure trente.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER