Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Catherine Conconne,

Mme Marie-Pierre Richer.

Questions d'actualité au Gouvernement

proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur

annonces budgétaires du premier ministre

situation des comptes sociaux

protection de la biodiversité et lutte contre les pesticides

sabotages électriques dans les alpes-maritimes

secteur agricole dans les régions ultrapériphériques françaises

attaques de loups en corrèze

dérapage des finances publiques et des comptes sociaux

proposition de loi trace

rapport de la cour des comptes sur le financement de la sécurité sociale (i)

rapport de la cour des comptes sur le financement de la sécurité sociale (ii)

ambitions chinoises dans le pacifique

conséquences de l'accord entre l'union européenne et le royaume-uni sur la filière pêche

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

Questions d'actualité au Gouvernement (suite)

situation humanitaire à gaza

rapport de la cour des comptes sur l'enseignement primaire

problème du stockage des déchets du site de stocamine

frères musulmans à marseille

PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli

vice-président

Mise au point au sujet de votes

Terres rares et matériaux critiques : quel potentiel dans les territoires français et quelle stratégie pour renforcer notre approvisionnement ?

Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen

Conclusion du débat

Quelle politique de protection et d'accompagnement des élèves dans les établissements scolaires, avec quelles modalités de contrôle ?

Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

Conclusion du débat

Ordre du jour

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Catherine Conconne,

Mme Marie-Pierre Richer.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

J'appelle chacun de vous à rester attentif au respect des uns et des autres, mais aussi à celui du temps de parole.

proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Yannick Jadot applaudit également.)

M. Jean-Claude Tissot. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'agriculture.

Ce qui s'est déroulé lundi à l'Assemblée nationale, madame la ministre, n'est pas digne de notre parlementarisme. (Oh ! sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Paccaud lève les bras au ciel.)

N'ayant pas le courage d'assumer ses choix, le socle commun s'est joyeusement livré, dans une parfaite connivence avec le Rassemblement national, à un contournement des procédures législatives. Fuir le débat n'honore personne, et certainement pas les parlementaires ! (Marques d'assentiment sur les travées du groupe SER.)

Sans doute, madame la ministre, la pression était-elle trop forte : rappelons que le syndicat agricole majoritaire, non content d'avoir eu le privilège de rédiger lui-même la proposition de loi, s'est permis de venir, devant l'Assemblée nationale, mettre la pression sur les parlementaires !

Et permettez-moi de m'adresser aussi à vous, monsieur le Premier ministre. Contrairement à ce que vous avez affirmé hier, sur les ondes et dans les journaux, il n'y a pas besoin que vous nous expliquiez le texte : l'agriculture c'est mon métier, je sais de quoi je parle ; quant à ce texte, nous le comprenons parfaitement, et c'est bien pour cela que nous lui sommes farouchement opposés !

M. Jean-Claude Tissot. Nous disons non à l'assouplissement de l'usage des pesticides ! Non à la réintroduction des néonicotinoïdes ! Non à la normalisation des mégabassines et des fermes-usines !

L'allégement des contraintes n'est ici qu'un élément de langage servant à faire passer avant tout les intérêts court-termistes d'une agriculture chimique, intensive et passéiste. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous nous répétez sans cesse, madame la ministre, que ce texte est attendu par le monde agricole. C'est faux et archifaux : c'est mon monde, et je n'attends pas un tel texte ! Il est uniquement attendu par les syndicats libéraux, droitiers, conservateurs, voire réactionnaires. (Mêmes mouvements. – Huées sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le débat ne doit pas être seulement entre agriculteurs : il doit être ouvert, et toute la société doit y prendre part.

Madame la ministre, cessez de regarder ailleurs quand la communauté scientifique est unanime, quand mille chercheurs et médecins nous alertent sur les dangers de cette proposition de loi.

Ayons collectivement de l'ambition, et cessons d'aligner les normes sanitaires et environnementales à la baisse ! Oui, il faut simplifier, c'est indispensable, mais simplification ne doit pas rimer avec régression.

Alors, madame la ministre, quand allez-vous entendre le monde paysan dans son ensemble, tous les paysans ? Quand allez-vous entendre la société dans son ensemble, tous les citoyens ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

À défaut de débattre devant la représentation nationale, ayez au moins ce courage, madame la ministre !

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-Claude Tissot. Entendez les agriculteurs bio ! Entendez les apiculteurs ! Entendez les Français qui ne veulent plus de pesticides ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Jean-Claude Tissot, vous évoquez l'adoption par une majorité de députés, ce lundi, de la motion de rejet de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur. Vous avez un regard de sénateur.

M. Jean-Claude Tissot. Et de paysan !

Mme Annie Genevard, ministre. J'aimerais que vous regardiez ce qu'il s'est passé à l'Assemblée nationale, où près de 3 500 amendements avaient été déposés sur ce texte, ce qui aurait empêché d'aller jusqu'au vote. Là est le scandale démocratique, monsieur le sénateur ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDPI. – Protestations sur les travées du groupe SER.)

M. Mickaël Vallet. Vous avez refusé le débat !

Mme Annie Genevard, ministre. Le débat, j'aurais aimé qu'il ait lieu, mais nous nous sommes heurtés à une pile d'amendements à notre arrivée en séance. Cela faisait des semaines que nous nous préparions au débat, et nous l'aurions conduit avec beaucoup de conviction. Alors, je vous en prie, pas de procès d'intention à l'égard du Gouvernement !

Je respecte la voix des parlementaires. (Rires sur les travées du groupe SER.) Ils en ont décidé ainsi, après soixante-dix heures de débats en commission ; le débat reprendra en commission mixte paritaire et lors de la lecture de ses conclusions par les assemblées.

J'en viens au fond du texte. (Ah ! sur les travées du groupe SER.) Monsieur le sénateur, vous avez assisté aux débats qui se sont déroulés dans cet hémicycle, débats auxquels vous avez d'ailleurs longuement contribué – je vous en remercie –, et vous avez pu constater d'où nous sommes partis et où nous sommes arrivés, ici même.

M. Yannick Jadot. Justement !

Mme Annie Genevard, ministre. Nous avons travaillé sur ce texte avec le ministère de la transition écologique,…

M. Guy Benarroche. Avec la FNSEA, plutôt !

Mme Annie Genevard, ministre. … et nous sommes tombés d'accord sur à peu près – je dis bien : à peu près – tous les articles, à l'exception de l'article 2. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.)

En tout état de cause, c'est la position du Gouvernement que je défends, et c'est en son nom que je me suis toujours exprimée. (M. Yannick Jadot s'exclame.)

Vous opposez les modes de production ; vous opposez les paysans entre eux. (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.) Ce ne sera jamais ma philosophie ! C'est peut-être la vôtre, elle vous appartient, mais je crois que c'est une impasse. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et INDEP. – MM. Bernard Buis, Henri Cabanel et Bernard Fialaire applaudissent également. – Vives protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)

annonces budgétaires du premier ministre

M. le président. La parole est à M. Pierre Barros, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Pierre Barros. Monsieur le Premier ministre, dans votre dernière intervention télévisée, au sujet de l'effort que vous demandez aux Français pour trouver vos 40 milliards d'euros d'économies, vous avez déclaré : « Je ne ciblerai pas une catégorie de Français à l'exclusion des autres. »

Sur le terrain, pourtant, nous constatons que vous ciblez, encore une fois, les collectivités locales et leurs habitants les moins riches.

Lors de la construction du budget 2025, par exemple, vous avez diminué les crédits alloués à la politique de la ville.

Il y a une semaine, à quelques jours de l'été, nous avons apprécié avec amertume la mise en œuvre de vos choix politiques. Ils s'expriment notamment, dans nos quartiers prioritaires, par une réduction de 30 % des fonds consacrés aux opérations Quartiers d'été, à destination de notre jeunesse. À croire que le Gouvernement n'a rien retenu de ce qui a conduit aux émeutes de 2023 !

On comprend mieux pourquoi le comité interministériel des villes a sans cesse été reporté – peut-être se réunira-t-il au début de juin – et pourquoi la récente conférence financière des territoires a fraîchement accueilli vos propositions.

Il est en effet difficile de justifier une telle décision auprès des élus locaux sans que ces derniers se sentent, à nouveau, abandonnés.

Je n'ose citer ici les retours que j'ai reçus concernant les dossiers de subventions liés aux récentes catastrophes naturelles : nous notons que la participation de l'État n'atteint pas même 20 % des coûts nécessaires de la reconstruction. Qui va donc payer ?

De même, que dire de votre idée de TVA sociale pour refinancer la sécurité sociale ? À l'heure où les Français font déjà des efforts majeurs pour survivre dans un contexte économique des plus moroses, vous estimez qu'il leur faut contribuer encore davantage par le biais d'une TVA sociale, l'un des impôts les plus injustes, puisque les moins riches y contribuent plus que les autres.

Monsieur le Premier ministre, voici donc ma question : vous dites souhaiter une prise de conscience des Français, à l'heure où nos collectivités et leurs habitants les moins riches sont les cibles de vos coupes budgétaires, mais de quelle prise de conscience parlez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, la prise de conscience, c'est d'abord reconnaître que, collectivement, nous paierons bientôt plus pour la charge des intérêts de la dette que pour des politiques profitant à nos enfants, à leur éducation.

M. Franck Montaugé. C'est de votre faute !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. La prise de conscience, c'est admettre que notre souveraineté géopolitique, en tant qu'État, est indissociable de notre souveraineté financière.

La prise de conscience, c'est affirmer que tous les Français sont concernés par nos comptes publics, puisque tous les Français sont liés par les finances publiques. Ils en sont à la fois tous contribuables et tous bénéficiaires : tous bénéficiaires de notre sécurité sociale, pour nous soigner ; tous bénéficiaires de l'éducation nationale, pour éduquer nos enfants ;…

Mme Cathy Apourceau-Poly. Et heureusement !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. … tous bénéficiaires de la protection de nos armées, pour la défense de notre territoire ; tous bénéficiaires, enfin, des investissements consentis pour la transition écologique.

Nous avons donc tous intérêt à ce que nos services publics fonctionnent mieux ; nous avons tous intérêt à ce que chaque euro d'argent public soit employé là où il est le plus utile et non là où l'on a l'habitude de trouver de l'argent public ; nous avons tous intérêt à ce que notre dépense n'augmente pas plus vite que notre croissance.

Bref, nous avons tous intérêt à ce que nos comptes publics soient des comptes solides, qui nous permettent d'envisager l'avenir avec des marges de manœuvre, qui permettent à notre nation, à notre démocratie, de vivre et à vous, ses parlementaires, de faire des choix qui ne soient pas contraints.

Vous avez évoqué le sujet des collectivités locales. L'objectif que je partage avec le Premier ministre est simple. Les communes vivent sur des mandats de six ans ; l'État, lui, est contraint par l'annualité de son budget. Nous ne pouvons pas travailler ainsi, car cela est source de frustrations, d'incompréhensions et de beaucoup d'inefficacité. Nous devons aux élus locaux de la prévisibilité ; nous devons tous, et eux aussi, être en mesure de contribuer pleinement à cet effort national.

Nous n'opposons pas les Français entre eux, mais nous voulons retrouver de la confiance. Pour cela, il faut de la transparence, il faut dire où nous en sommes et où nous allons. Où nous allons, c'est fort simple : c'est arrêter de faire augmenter notre dette et les charges d'intérêts qui lui sont liées. (M. François Patriat applaudit.)

Mme Cécile Cukierman. Mais vous ne réclamez pas la même chose à tous les Français !

M. le président. La parole est à M. Pierre Barros, pour la réplique.

M. Pierre Barros. Madame la ministre, pardonnez-moi, mais c'est à vous de prendre conscience de la réalité de ce que vivent les collectivités.

Certes, il faut trouver de nouvelles recettes, mais cela ne peut pas se faire sur le dos de celles et ceux qui savent équilibrer leur budget et se serrent déjà la ceinture.

M. Michel Savin. Très bien !

M. Pierre Barros. La situation financière de la France, c'est votre bilan, vos choix politiques, votre responsabilité, et non pas celle des collectivités ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Agnès Canayer et M. Michel Savin applaudissent également.)

situation des comptes sociaux

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ma question s'adresse à Mme la ministre chargée des comptes publics.

Madame la ministre, la Cour des comptes dénonce une croissance « hors de contrôle » des dépenses de l'assurance maladie, qui a connu un déficit de quelque 14 milliards d'euros en 2024. La Cour s'inquiète d'autant plus que le déficit de la sécurité sociale devrait atteindre 22 milliards d'euros en 2025.

Plus grave et périlleux encore, la Cour nous alerte sur un risque de défaut de paiement de la sécurité sociale dès 2027 si nous ne réalisons pas rapidement des économies.

L'année 2025 sera d'ailleurs le « point de bascule », dit-elle, le déficit devenant supérieur à la capacité annuelle de financement de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).

Prolonger la Cades au-delà de 2033 « ne résoudrait pas le problème de fond », assure la Cour. Cela supposerait d'adopter une loi organique, qui doit être votée dans les mêmes termes à l'Assemblée nationale et au Sénat, autant dire une gageure !

Des économies sont donc indispensables. Pour les retraites, nos espoirs reposent sur le « conclave » des partenaires sociaux. Pour l'assurance maladie, des pistes d'économies existent, telles qu'une lutte plus ardente contre la fraude sociale…

Mme Cécile Cukierman. Et la fraude fiscale ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. … et une réduction drastique des actes médicaux inutiles ou redondants ; cela pourrait rapporter une vingtaine de milliards d'euros en trois ou quatre ans.

Pour ce qui est des recettes, notre groupe a toujours souhaité taxer les importations : c'est la fameuse TVA dite sociale, qui permet en échange de baisser les cotisations sur le travail et ainsi d'augmenter les salaires.

Madame la ministre, quelles mesures envisagez-vous de prendre pour répondre à l'alerte de la Cour des comptes ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, il y a quelque chose que nous n'avons pas vraiment essayé, ou, à tout le moins, où nous n'avons pas tout essayé : c'est le travail. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Jacques Grosperrin. C'est du Sarko !

M. Yannick Jadot. Au boulot !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Et augmenter les salaires, non ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Si nous avions le même taux d'emploi des jeunes que nos amis allemands, si nous avions le même taux d'emploi des seniors, à l'instant même, ce sont 25 milliards d'euros de cotisations supplémentaires qui rentreraient directement dans les caisses de la sécurité sociale.

Pourquoi commencer ma réponse ainsi ? Évidemment, avec Catherine Vautrin et tout le Gouvernement, nous allons chercher des pistes d'efficacité. Évidemment, nous allons lutter contre la fraude et le gaspillage. Mais, pour trouver des recettes, avant de chercher à taxer et à imposer, nous devons poursuivre la seule chose qui nous mettra tous à l'abri des temps difficiles, celle qui permettra de continuer à protéger tous les Français comme la sécurité sociale le fait depuis 1945. La meilleure des protections, le meilleur des financements, c'est le travail !

Or, dans notre pays, si ceux qui travaillent ne travaillent pas moins qu'ailleurs, en revanche, nous y sommes moins nombreux à travailler.

Derrière ma réponse, il y a le désarroi des jeunes, qui mettent deux ans de plus qu'ailleurs à trouver un emploi. Derrière ma réponse, il y a le désarroi des seniors, comme on les appelle, qui se font refouler parce qu'ils seraient trop vieux, parce qu'ils sauraient trop de choses, parce qu'ils pourraient trop transmettre et parce que, à en croire certains, ils coûteraient trop cher.

Cette réponse, je ne la fais pas par élégance, ou parce que nous voudrions éviter les sujets qui fâchent, mais précisément parce que c'est là qu'est le cœur de notre problème : nous avons 20 % de PIB par habitant de moins que partout ailleurs, alors que nous avons des entrepreneurs de talent…

Mme Cécile Cukierman. Il faudrait en parler au patronat !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. … et des innovateurs de talent, alors que nous exportons dans le monde entier des biens de très grande qualité.

Mais si nous n'arrivons pas à donner à tous les Français qui le souhaitent un emploi stable et bien payé, nous ne parlerons que de déficit et jamais de réussite ! (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

protection de la biodiversité et lutte contre les pesticides

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Salmon. Madame la ministre de la transition écologique, je ne reviendrai pas sur la basse manœuvre politique à laquelle on a assisté lundi dernier à l'Assemblée nationale. C'est du jamais vu ! Ce summum de la stratégie politicienne ne peut qu'alimenter la défiance envers le politique.

Je m'attacherai plutôt aux enjeux de la proposition de loi en question, qui sera discutée en commission mixte paritaire, à l'abri des regards et de la démocratie, loin des enjeux de santé publique, loin des enjeux de biodiversité.

Ce qui en ressortira ne fait guère de doute : ce sera un texte peu différent de celui qu'a adopté le Sénat, un texte qui subordonne la protection de la biodiversité et la santé publique aux intérêts économiques de court terme.

Ce texte est un condensé de propositions émanant d'un obscurantisme crasse ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Il détricote méthodiquement des avancées environnementales. Dans ce texte, une agence, après d'autres, est visée : l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail), une agence indépendante dont l'expertise fait référence.

Madame la ministre les reculs de votre gouvernement sont constants et dramatiques ; les coûts associés seront colossaux.

C'est la santé qui est altérée, en premier lieu celle des agriculteurs, qui continueront de subir de nombreuses maladies professionnelles : Parkinson, Alzheimer, lymphomes, cancer de la prostate, etc.

Mais les conséquences ne se limitent pas aux agriculteurs : les cancers pédiatriques explosent, ils sont devenus la deuxième cause de mortalité des enfants. Ces pollutions agricoles, associées à celles d'autres secteurs, conduisent à une pollution diffuse généralisée.

Réautoriser l'acétamipride se paiera au prix fort. Comme pour le chlordécone, nous chercherons demain les responsables.

Alors, madame la ministre, que répondez-vous aux Français qui nous regardent, à ceux qui assistent atterrés à ce passage en force, à tous ces Français – 83 % d'entre eux – qui craignent le retour sur le marché de ce neurotoxique du développement, que vous avez dénoncé vous-même il y a quelques mois ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur Salmon, je voudrais d'abord rappeler, à la suite de ma collègue Annie Genevard, que cette proposition de loi a été retravaillée au Sénat, mais aussi avec le ministère de la transition écologique.

Vous connaissez mes préventions sur un article de ce texte, l'article 2, mais sur tous les autres articles, je peux admettre les propositions qui sont faites… (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

M. Yannick Jadot. Pas vous !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. … parce que j'y ai travaillé, parce que j'ai fait évoluer le texte, à ma manière, et parce que je n'ai pas refusé le débat démocratique.

Or il me semble que, tant tactiquement que démocratiquement, la position qu'a adoptée le groupe écologiste à l'Assemblée nationale a finalement coûté beaucoup de points de vue à ceux qui auraient voulu améliorer ce texte. En effet, en faisant le choix de l'obstruction, vos homologues en ont empêché l'examen, et donc l'amélioration. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Salmon. C'est trop facile !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Le droit, si je ne me trompe, nous apprend que l'on ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ! (Rires et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe GEST.)

Essayons maintenant de dézoomer quelque peu, pour examiner les objectifs de ce texte, mais aussi la politique que nous menons en matière de produits phytosanitaires.

Je veux rappeler plusieurs éléments importants.

Le Gouvernement, vous le savez, a adopté un plan Écophyto, qu'il continue de soutenir. Ce plan vise à réduire de 50 % les usages de produits phytosanitaires et les risques associés. C'est une réalité ! À ce plan sont associés plus de 300 millions d'euros de financement destiné à chercher des alternatives à ce produit.

Les chiffres sont clairs : le recours au biocontrôle a bondi de 30 % ces dernières années. Le Nodu (nombre de doses unité), qui n'est certes pas l'indicateur que nous utilisons dans le plan Écophyto, mais qui a été présenté comme incontournable, a baissé l'année dernière.

Regardons donc ces chiffres, plutôt que de zoomer sur les difficultés que nous pouvons avoir ! Vous connaissez mes préventions sur l'acétamipride (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) ; vous connaissez aussi la position commune que nous avons sur l'Anses.

M. Yannick Jadot. Et alors ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Le texte en question n'est pas encore voté. Je compte sur votre soutien en commission mixte paritaire. Mais, en refusant le débat, vous avez abandonné le terrain à tous ceux qui voudraient revenir en arrière sur ces principes. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.

M. Daniel Salmon. Madame la ministre, vous savez pertinemment que cette proposition de loi est un contresens historique. De tels textes, fondés sur un prétendu bon sens, sont des insultes à la science, vous le savez parfaitement ! La politique doit se faire non pas rue de La Baume, mais entre les différents ministères, en prenant en considération la santé des Français et l'intérêt général, et non les intérêts particuliers. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

sabotages électriques dans les alpes-maritimes

M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Alexandra Borchio Fontimp. Un pylône scié à Villeneuve-Loubet ; un incendie sur un poste électrique à Tanneron ; un autre incendie sur un transformateur à Nice. Le bilan : 200 000 foyers privés d'électricité sur la Côte d'Azur !

Il est temps, désormais, de nommer les choses : ce ne sont pas de simples dégradations ; ce sont des actes de sabotage, revendiqués par un groupuscule anarchiste d'extrême gauche.

L'objectif était de perturber le Festival de Cannes, premier festival culturel au monde, de priver de courant Thales Alenia Space, fleuron français et mondial de l'ingénierie satellitaire, de déstabiliser les entreprises de la French Tech, de bloquer l'aéroport – bref, de semer le chaos !

Je veux saluer la réactivité de tous ceux qui se sont mobilisés, notamment nos forces de sécurité et nos élus locaux, et ont su répondre immédiatement à ces attaques.

Monsieur le ministre, nous devons agir avec force et détermination pour arrêter ces activistes dangereux.

Ma question est donc simple : au-delà de l'enquête en cours, comment le Gouvernement compte-t-il mettre hors d'état de nuire ces dangers pour la République, alors que la France, particulièrement dans mon département des Alpes-Maritimes, accueille les plus grands événements du monde ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice Alexandra Borchio Fontimp, vous avez rappelé en quelques mots les conditions dans lesquelles plus de 240 000 personnes ont été privées d'électricité pendant plusieurs heures – 45 000 dans le massif du Tanneron, dans le Var, 160 000 autour de Villeneuve-Loubet, dans les Alpes-Maritimes, 45 000, enfin, à Nice.

Beaucoup de foyers ont donc été privés d'électricité, mais aussi des hôpitaux et d'autres services de santé, ce qui a suscité des risques de mise en danger de nombreuses personnes, jusqu'à des risques de décès. Voilà les conséquences réelles de ce qui s'est passé cette semaine !

Il est parfaitement établi que les responsables de ces sabotages sont des mouvements d'extrême gauche, anarchistes ; chacun comprend qu'ils ont agi de façon militante, mais en prenant le risque d'occasionner des désordres majeurs.

Les services de police se sont bien sûr immédiatement mobilisés, les enquêtes sont en cours ; les personnes en cause n'ont pas encore été arrêtées, mais nous espérons évidemment qu'elles le seront le plus rapidement possible.

D'ores et déjà, le ministre d'État Bruno Retailleau a décidé de densifier les patrouilles afin de porter une attention particulière à la surveillance des sites du réseau électrique, dans votre territoire, mais aussi partout ailleurs. Le contact a été immédiatement pris avec les responsables et les acteurs du secteur pour améliorer la sécurisation des infrastructures électriques, enjeu extrêmement important ; ils ont été reçus dès mardi place Beauvau.

Pour la suite, au-delà de l'action immédiate, nous devons nous préparer à renforcer la protection de ces lieux absolument stratégiques, par un travail de moyen et long termes. Auparavant, il faudra une action majeure de renseignement, mais aussi policière et judiciaire. Vous avez rappelé que se tiendra dans quelques jours un sommet extrêmement important à Nice. Sa protection est absolument essentielle pour nous, tout comme l'est celle de l'ensemble de la population, dont la sécurité doit être garantie au quotidien.

M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, pour la réplique.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. Monsieur le ministre, depuis 2020, on recense 150 actions de sabotage par an ! Ce sont autant d'actions violentes qui pourrissent la vie de nos concitoyens, mettent en difficulté nos entreprises, ternissent l'image de la France et coûtent de l'argent à tous les contribuables.

Je veux redire ma solidarité avec les personnes les plus vulnérables, qui ont été les premières victimes de ce sabotage, parmi lesquelles on trouve des enfants malades qui ont vu leur radiothérapie annulée. Ce sont les plus fragiles qui ont fait les frais de cette folie « antitech » !

Monsieur le ministre, il s'agit ni plus ni moins d'une forme de terrorisme : un terrorisme idéologique, structuré et dirigé contre des infrastructures essentielles, qui met en danger la population.

Cette menace, avec Bruno Retailleau, vous avez décidé de la traiter pour ce qu'elle est vraiment : une menace terroriste. Et nous serons à vos côtés, déterminés, pour mettre un terme à la violence systémique de ces activistes radicaux qui veulent affaiblir la République. Face à ces tentatives d'intimidation, la République ne pliera pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

secteur agricole dans les régions ultrapériphériques françaises

M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Stéphane Fouassin. Ma question s'adresse à M. le ministre des outre-mer.

Permettez-moi, monsieur le ministre, d'attirer votre attention sur la situation alarmante du secteur agricole, ô combien stratégique, dans les régions ultrapériphériques françaises.

Dans ces régions, autrement dit nos territoires ultramarins, les filières agricoles sont aujourd'hui confrontées à une série de défis d'une intensité inédite.

Je pense à la concurrence internationale de plus en plus rude, à la flambée des prix du fret, des engrais, des aliments pour bétail et de l'énergie.

Je pense aussi à une inflation importée plus forte que sur le continent européen, précisément à cause de l'éloignement et des surcoûts logistiques structurels.

Je pense enfin à l'impact d'événements climatiques extrêmes de plus en plus fréquents : inondations, sécheresses, mais aussi tempêtes tropicales, comme le cyclone Chido à Mayotte ou le cyclone Garance à La Réunion.

Face à cela, le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Poséi) reste l'un des rares instruments européens conçus pour répondre aux réalités propres des régions ultrapériphériques. Il constitue une bouée de sauvetage pour la pérennité des filières agricoles ultramarines.

Pourtant – c'est là tout le paradoxe –, le Poséi est aujourd'hui contraint par un plafond budgétaire fixé, depuis 2011, à 278,4 millions d'euros par an pour la France, soit un montant en totale inadéquation avec l'augmentation réelle des besoins de ces territoires et des charges qu'ils supportent.

Cette stagnation contredit l'esprit même des dispositions de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui reconnaît les spécificités des régions ultrapériphériques et impose la mise en œuvre de mesures adaptées à leurs contraintes permanentes.

Aussi, monsieur le ministre, ma question est la suivante : à l'occasion des négociations en cours sur le futur cadre financier pluriannuel européen, quelles démarches concrètes le Gouvernement entend-il engager auprès de l'Union européenne pour obtenir une revalorisation significative et durable du Poséi, qui soit à la hauteur des enjeux agricoles des territoires d'outre-mer ?

M. le président. La parole est à M. le ministre d'État, ministre des outre-mer.

M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, pour les profanes, le Poséi est une sorte de PAC (politique agricole commune) adaptée à la réalité de nos outre-mer, avec des règles propres, pensées pour accompagner les productions, les contextes agronomiques, climatiques et sociaux de ces territoires.

Vous le savez parfaitement, les outre-mer ont besoin d'un accompagnement sur mesure qui tienne compte de leur singularité. C'est un enjeu territorial français, mais aussi, vous avez raison, profondément européen.

Vous l'avez souligné fort justement, nos agricultures ultramarines font face à des défis majeurs : l'éloignement, l'étroitesse des marchés, la faiblesse des surfaces agricoles, une souveraineté alimentaire souvent à bâtir, à quoi s'ajoutent des évolutions des modes de consommation, la nécessité de transformer les pratiques agricoles et, bien sûr, l'urgence du changement climatique – La Réunion en sait quelque chose.

À l'échelon européen, la négociation de futurs cadres financiers de l'Union européenne est engagée. Il sera absolument déterminant de préserver les moyens d'une PAC forte et, en son sein, d'un Poséi renforcé, même s'il faudra sans doute le flécher vers un certain nombre de productions.

Le Gouvernement est pleinement mobilisé sur ce sujet. Je suis en lien avec Annie Genevard et Benjamin Haddad, qui suivent attentivement ces négociations.

Je tiens aussi à souligner l'adoption par le Parlement européen, le 7 mai dernier, d'une résolution prenant en compte la spécificité de nos régions ultrapériphériques et la nécessité de développer le Poséi. Nous nous sommes entretenus d'ailleurs à La Réunion avec le commissaire européen Raffaele Fitto.

Monsieur le sénateur, vous le voyez, le Gouvernement est mobilisé avec des parlementaires très impliqués sur ces dossiers, notamment vous-même. Nous devons réussir le développement de notre agriculture en relevant les grands défis de nos territoires ultramarins. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

attaques de loups en corrèze

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Daniel Chasseing. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Depuis le 20 avril, le loup a attaqué cinq fois les troupeaux en Corrèze : dix brebis ont été tuées le 20 avril, puis deux nouvelles attaques sur des veaux sont survenues, huit ovins ont été tués le 17 mai et trente et une brebis tuées le 23 mai, deux troupeaux de bovins sont en fuite.

J'ai rencontré les éleveurs samedi dernier. Ils sont particulièrement découragés et révoltés. Les jeunes qui se sont installés ne pensaient pas devoir abandonner leur production à cause du loup, qui avait été éradiqué en Corrèze à la fin du XIXe siècle.

La mise en œuvre des mesures de prévention et de protection contre les loups – chiens patous, clôtures électriques ou colliers anti-loup – n'a pas d'efficacité. Les troupeaux sont stressés, affolés, sortent des parcs. Les éleveurs vivent une pression psychologique insupportable. La pérennité des exploitations est menacée.

Nous devons reconnaître la Corrèze en zone difficilement protégeable, afin de passer des tirs de défense à des tirs de prélèvement.

Le 7 mars 2025, la convention de Berne a classé le loup en espèce « protégée » et non plus en espèce « strictement protégée ». Cela signifie que l'espèce n'est pas menacée de disparition. Cela ouvre la voie à une modification de la réglementation, à savoir le passage d'un tir de défense en cas d'attaque à une logique de tirs de régulation pour prévenir ces attaques.

Madame la ministre, quand la Corrèze sera-t-elle décrétée zone difficilement protégeable ?

Quand passerons-nous aux tirs de prélèvement pour prévenir les attaques du loup ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Daniel Chasseing, vous le savez, je travaille sur le dossier du loup depuis de nombreuses années. Il s'agit d'un enjeu majeur pour le maintien de notre élevage, notamment dans votre beau département de la Corrèze.

Je rappelle quelques chiffres, mesdames et messieurs les sénateurs. Ils sont édifiants. En 2024, pas moins de 4 000 attaques ont été recensées et 11 000 bêtes ont été tuées ou blessées. Au 12 mai 2025, à date, 759 attaques et 2 617 bêtes prédatées ont déjà été dénombrées.

Les préjudices sont considérables. L'État engage 52 millions d'euros de mesures de protection et d'indemnisation. Je vous assure que je préférerais consacrer cet argent aux exploitations agricoles pour améliorer la production alimentaire.

M. Loïc Hervé. Évidemment !

Mme Annie Genevard, ministre. Je réitère mon plein soutien aux éleveurs et mon entière détermination pour leur permettre de se défendre. Pour cela, il faut aboutir au déclassement du loup. En effet, vous l'avez précisé, monsieur le sénateur, l'espèce est désormais dans un bon état de conservation et nous pouvons affaiblir sa protection.

Ce sera fait le 8 juin prochain. La majorité semble acquise à une telle décision.

Je suis certaine que cette évolution permettra de passer d'une logique de défense à une logique de régulation, ainsi que, comme moi, vous l'appelez de vos vœux.

Il faudra ensuite faire évoluer les choses à l'échelon national.

En attendant l'adoption de ces mesures, un projet d'arrêté fait en ce moment l'objet de consultations. Il achèvera son parcours au 10 juin. Une fois que ma collègue ministre de la transition écologique et moi-même l'aurons signé, les tirs seront autorisés, même dans les espaces où les troupeaux sont simplement menacés, même lorsqu'il n'y aura pas d'attaque. C'est indispensable pour rentrer véritablement dans une logique de régulation.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Annie Genevard, ministre. Il nous faut donner des signes puissants à nos éleveurs, qui sont aujourd'hui extrêmement découragés par ces prédations successives et trop nombreuses. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.

M. Daniel Chasseing. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Sans régulation des loups, l'élevage disparaîtra, ce qui entraînera non seulement une désertification, la perte de l'économie et de l'emploi agricoles qui restent encore dans ces zones hyperrurales, mais aussi une perte de la biodiversité, faute d'entretien des pâturages. Si nous ne voulons pas cela, agissons efficacement en prélevant des loups pour prévenir les attaques.

Le passage de certaines communes en cercle 1 améliore les aides financières envers les éleveurs. C'est complémentaire, mais n'élimine pas le loup. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

dérapage des finances publiques et des comptes sociaux

M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Christian Bilhac. Ma question s'adresse à Mme la ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics.

Monsieur le Premier ministre, vous avez appelé les Français à un effort juste pour rééquilibrer les finances publiques et présenté une nouveauté : la TVA sociale.

Pourtant, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 affecte déjà 28 %, soit 60 milliards d'euros, de la TVA à la sécurité sociale.

S'agit-il d'une TVA sociale ? Je me permets d'en douter, cet impôt étant l'un des plus injustes qui soient. Si vous m'autorisez cette comparaison, la TVA sociale, c'est comme un végan carnivore : cela n'existe pas ! (Sourires.)

M. Guy Benarroche. Exactement !

M. Christian Bilhac. L'heure est grave, car, dans un rapport rendu public lundi dernier, la Cour des comptes alerte : le déficit de la sécurité sociale atteindrait 24 milliards d'euros en 2028.

Au quotidien, le constat est triste : les déserts médicaux s'étendent, nos concitoyens peinent à trouver un médecin traitant, les rendez-vous chez le spécialiste prennent six mois, l'hôpital public traverse de grandes difficultés et la situation des urgences est catastrophique, les personnels soignants sont usés, mal rémunérés et en nombre insuffisant, les pharmacies disparaissent en zone rurale, les Ehpad publics sont déficitaires, les conseils départementaux sont asphyxiés par les dépenses sociales. Bref, tout va mal…

M. Alexandre Basquin. C'est vrai !

M. Christian Bilhac. … sauf les bureaucrates et les tableaux Excel qui, eux, prospèrent. (Sourires.)

La situation continue de s'aggraver, car, à ce jour, face aux difficultés, on n'a utilisé que le mercurochrome et le sparadrap : on dérembourse certains médicaments et quelques cures thermales, on crée des plans d'urgence, on augmente le forfait hospitalier. En d'autres termes, on rabote ici et là, ce qui entraîne pour les Françaises et les Français une explosion du tarif des complémentaires santé.

M. le président. Votre question !

M. Christian Bilhac. Madame la ministre, que comptez-vous faire pour réformer en profondeur le financement de la sécurité sociale et sauver notre système de santé, héritage de la Libération ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, je l'ai dit en répondant à une précédente question, le travail constitue évidemment un enjeu.

Je précise d'ailleurs que le taux d'emploi n'a jamais été aussi élevé dans notre pays depuis 1970.

Mme Silvana Silvani. Les salaires n'ont jamais été si bas !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce n'est donc pas une démarche qui est vouée à l'échec. Il faut poursuivre dans cette voie.

Monsieur le sénateur, je crois que nous sommes tous d'accord ici pour affirmer que la sécurité sociale est un acquis à la fois intangible, mais fragile, et pour reconnaître que nous avons accumulé de la dette sur un poste de dépenses qui ne devrait pas laisser de la dette à nos enfants. (M. Guy Benarroche s'exclame.)

Il doit en effet revenir à chaque génération de régler ses enjeux de santé, de retraite, d'accidents du travail ou encore de politique familiale.

Si nous laissons exploser la dette, il n'y aura plus d'argent pour les prestations sociales et, alors, il n'y aura plus de sécurité sociale.

Face à ce constat, qu'allons-nous faire avec beaucoup de méthode ?

Dès mardi prochain, Catherine Vautrin et moi-même réunissons la commission des comptes de la sécurité sociale. Nous établirons un bilan implacable et complet de la situation de l'année 2024 et des mesures que nous proposent toutes les parties prenantes à ce redressement.

Nous nous fixons comme objectif de revenir à l'équilibre avant 2029.

Entre 2010 et 2019, la sécurité sociale est revenue à l'équilibre.

M. Jean-François Husson. Et alors que s'est-il passé ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Entre 2020, année du covid, et 2029, c'est-à-dire à la fin de la décennie suivante, nous devons de nouveau revenir à l'équilibre.

La bonne nouvelle (M. Guy Benarroche s'exclame.), c'est qu'il y a cinq ans – pas il y a cinquante ans –, nous étions à l'équilibre. Par conséquent, nous devrions pouvoir trouver les moyens d'y parvenir de nouveau.

Le 15 juin prochain, le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie fera état de la manière dont l'année 2025 se déroule. Il dispose de mesures nous permettant de tenir nos objectifs. Nous avons mis en réserve 1,1 milliard d'euros dans l'Ondam (objectif national de dépenses d'assurance maladie) et nous verrons si nous pouvons nous engager à dépenser cette somme.

À la fin du mois de juin, nous réunirons de nouveau tous les parlementaires, tous les acteurs de la sécurité sociale et tous les acteurs des collectivités. Nous ferons alors le point pour parvenir à tenir l'objectif qu'a fixé le Premier ministre, à savoir 5,4 % de déficit.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Que voulons-nous ? Un pays qui protège les Français, qui n'augmente pas sa dette et qui tient ses comptes. Il y va de notre souveraineté. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

proposition de loi trace

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Marc Boyer. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

La proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux, dite Trace, a été votée au Sénat au mois de mars 2025 par 260 voix pour et 17 voix contre.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer et nous assurer, la procédure accélérée ayant été engagée sur ce texte, qu'une discussion aura prochainement lieu à l'Assemblée nationale, comme vous vous y êtes engagé, afin d'envisager une adoption de la proposition de loi avant la fin de la session ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la ruralité.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Jean-Marc Boyer, je pourrais conjuguer le verbe savoir et je le fais : je sais, vous savez, nous savons l'importance du sujet que vous évoquez pour nos collectivités et pour le Sénat. Vos collègues Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier ont déposé la proposition de loi Trace.

Je salue d'ailleurs le travail accompli par le Sénat lors de l'examen de ce texte, tout particulièrement celui des rapporteurs. François Rebsamen a alors eu l'occasion d'affirmer la volonté du Gouvernement de remettre les élus locaux au cœur du dispositif et de mieux les associer à la trajectoire de lutte contre l'artificialisation des sols.

Parallèlement, vous le savez, une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale et une mission d'inspection sur le financement du « zéro artificialisation nette » (ZAN) doit rendre prochainement ses conclusions. Il convient de travailler à un rapprochement des points de vue entre les deux chambres sur ce sujet déterminant. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, je note votre enthousiasme...

Le ministre Patrick Mignola a récemment rappelé l'embolie du calendrier législatif (Mêmes mouvements.), qui est due à un certain nombre de textes dont vous attendez l'examen. Permettez-moi de mentionner la proposition de loi portant création d'un statut de l'élu local, qui a été votée ici au mois de mars 2024 et dont la discussion aura lieu prochainement à l'Assemblée nationale. (Exclamations et applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Le ministre chargé des relations avec le Parlement l'a indiqué à deux reprises : le Gouvernement met tout en œuvre pour que la proposition de loi Trace soit inscrite à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale à l'automne prochain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Marques de déception sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yannick Jadot s'exclame.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour la réplique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Marc Boyer. Avant toute chose, je souhaite remercier le ministre François Rebsamen de sa collaboration active et positive lors des débats et du vote de cette proposition de loi.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Voilà !

M. Jean-Marc Boyer. Malheureusement, les auteurs de ce texte Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier, ainsi que les rapporteurs Amel Gacquerre, Daniel Gueret et moi-même, sommes dans l'attente de son examen à l'Assemblée nationale.

Monsieur le Premier ministre, Amel Gacquerre et moi-même avons travaillé à trois reprises avec votre cabinet pour parvenir à un texte équilibré, voté à une très large majorité au Sénat. Pourtant, depuis trois mois, rien, pas un mot du Gouvernement, pas même un soupçon d'intérêt ou une manifestation de votre part.

Face à un ZAN inapplicable sur le terrain, les élus locaux sont excédés : pénurie de foncier, blocage des projets de logements, gel des initiatives industrielles – et ce avec une administration d'État pléthorique qui impose ses directives à la hussarde aux élus, alors que l'acronyme ZAN est devenu un repoussoir.

Depuis quatre ans, le Sénat a beaucoup travaillé, amendé, auditionné, et ce sans revenir sur l'objectif du zéro artificialisation nette en 2050. Ainsi, la proposition de loi Trace redonne de la souplesse et fait confiance au bon sens des élus. Nous passons d'une impossibilité à mettre en œuvre des objectifs imposés d'en haut par l'État à la mise en place concertée d'une sobriété soutenable pour les collectivités.

La défiance gronde. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, il y a urgence à inscrire avant l'été la proposition de loi Trace à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale et à maintenir la procédure accélérée, comme vous vous y étiez engagés.

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, il arrive à un moment où le silence devient une faute et l'inaction, une faute politique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

rapport de la cour des comptes sur le financement de la sécurité sociale (i)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Bernard Jomier. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, votre gouvernement a fait adopter par le Parlement un budget de la sécurité sociale en déficit de 22 milliards d'euros.

C'est un déficit historique hors période de crise.

Lors de l'examen de ce texte, vous avez refusé la proposition que nous avons faite d'un retour à l'équilibre en quatre ans, qui reposait sur des mesures portant sur les recettes, sur les dépenses et sur l'efficience. Vous avez balayé cela : aucune discussion n'a été possible en commission mixte paritaire.

Dans ces conditions, face à ce que M. le Premier ministre qualifie d'Himalaya, expliquez-nous, s'il vous plaît, comment nous allons éviter à notre sécurité sociale de sombrer dans le ravin ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l'autonomie et du handicap. Monsieur le sénateur Jomier, vous pointez les éléments tirés du rapport de la Cour des comptes, qui a été rendu public récemment et qui a trait à la situation difficile, et même très tendue, de la sécurité sociale.

Notre sécurité sociale fait l'objet d'une attention et d'un suivi permanents du Gouvernement, comme l'a rappelé Amélie de Montchalin en réponse à une question précédente.

Cette situation s'explique.

Selon vous, nous ne sommes plus en situation de crise. Ce n'est pas vrai. Notre sécurité sociale subit encore les impacts des crises successives : la crise sanitaire, puis la crise inflationniste, enfin la crise géopolitique. Tous ces éléments pèsent sur notre économie.

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, vos propositions ont été écoutées, ce qui a permis d'aboutir à une forme d'accord à l'issue des discussions budgétaires. Il était important et nécessaire que nous puissions trouver une solution pour que, dans notre pays, on puisse continuer à bénéficier de la sécurité sociale.

Nous allons continuer à suivre de près la situation actuelle, mais, nous le savons, nous devrons prendre de nouvelles mesures, parfois difficiles, d'efficience, mais aussi d'allégement, d'économie, de baisse des dépenses. Cela nécessitera du courage. Nous aurons des discussions en ce sens dès le mois de juin prochain, mais aussi en 2026.

En effet, face au mur démographique et au vieillissement de la population, il nous faudra prendre en charge de nouveaux besoins. Nous aurons aussi à nous pencher sur le financement de notre sécurité sociale. C'est tout l'enjeu des discussions demandées par le Premier ministre pour revoir le financement de l'ensemble de notre système de sécurité sociale.

M. Mickaël Vallet. Ce n'est pas la question !

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour la réplique.

M. Bernard Jomier. Je reste dubitatif.

J'ai lu et relu avec beaucoup d'attention les propos du Premier ministre. Je trouve qu'il y a beaucoup de confusion et que l'on s'accorde beaucoup de temps pour résoudre une question pourtant urgente.

Le macronisme, c'était la promesse de revaloriser le travail. En réalité, vous avez enrichi le capital. Aujourd'hui, avec ce projet de TVA sociale, vous nous annoncez que vous allez en quelque sorte attendre les salariés à la sortie du bureau ou de l'usine pour les taxer quand ils feront leurs courses.

Vous défendez une mesure d'injustice sociale.

Nous vivons dans un pays où, depuis huit ans, le travail est surtaxé et où les héritiers et les rentiers sont sous-taxés. Vous avez transformé la France en un pays qui est injuste socialement et qui pénalise le travail.

Alors que, depuis huit ans, vous êtes aux responsabilités et que ce sont les parlementaires du socle commun qui ont adopté le dernier budget de la sécurité sociale, vous nous demandez aujourd'hui de faire preuve de responsabilité, et ce quand votre gestion de la sécurité sociale a été irresponsable !

Peut-être ne sauverez-vous pas la sécurité sociale du ravin, mais, que ce soit très clair, c'est votre gouvernement qui devra en répondre. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Pierre Barros applaudit également.)

rapport de la cour des comptes sur le financement de la sécurité sociale (ii)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

Mme Corinne Imbert. Ma question s'adresse à Mme la ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics.

Cela a déjà été largement évoqué, la Cour des comptes vient de publier son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Sans surprise, elle tire la sonnette d'alarme sur l'accumulation de la dette sociale. Ce n'est pas une surprise pour nous ; j'espère qu'il en est de même pour vous, madame la ministre.

La branche maladie porte, à elle seule, 90 % de ce déficit, à hauteur de 13,8 milliards d'euros. Ce déficit continuera d'augmenter pour atteindre près de 17 milliards d'euros en 2028. Faute de perspective de stabilisation, encore moins de retour à l'équilibre, la question de l'efficience se pose encore plus aujourd'hui. Cela aussi a déjà été évoqué.

Sans parler des dérives continues dans l'exécution de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, que nous avons jugé souvent insincère par le passé, la Cour des comptes appelle à retrouver urgemment un pilotage efficace. L'Ondam est-il encore pilotable ? Cette question, je l'ai déjà posée.

Madame la ministre, quelle analyse faites-vous de ce rapport ? Envisagez-vous des réformes structurelles afin d'éviter les risques qui planent gravement sur nos comptes sociaux ?

Certes, j'ai bien entendu qu'un travail serait mené concernant les recettes, mais quid des dépenses ?

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bayrou, Premier ministre. Madame la sénatrice, je ferai une réponse collective à toutes les questions qui ont été posées sur ce sujet.

J'entends des constats, des accusations et des contre-vérités s'accumuler les uns aux autres. Je vais donc dire les choses comme elles sont.

La situation des finances publiques du pays, celle de l'action publique comme celle de la solidarité, est catastrophique. Nous sommes devant un mur, devant une falaise, que nous n'avons pas le droit d'ignorer et devant des problèmes que nous n'avons pas le droit d'éluder.

Mme Silvana Silvani. Nous ne les éludons pas !

M. François Bayrou, Premier ministre. J'ai annoncé qu'avant le 14 juillet le Gouvernement proposerait un plan général de retour à l'équilibre des finances publiques. Aucune des mesures qui le composeront n'est encore arrêtée.

Peut-être me suis-je mal exprimé hier et d'autres ministres du Gouvernement avec moi. On nous a demandé si la TVA sociale était écartée : à l'heure actuelle, rien n'est écarté. Voilà ma réponse.

M. Bernard Jomier. Voilà !

M. François Bayrou, Premier ministre. Il va nous falloir reprendre totalement la question du financement de notre modèle social. Il se trouve que, pour certains d'entre eux, les partenaires sociaux sont actuellement réunis dans ce que l'on a appelé le conclave – un mot fort à la mode cette année. (Sourires.) Plusieurs ont émis l'idée que nous reprenions la totalité de la question du financement de la protection sociale. Il est tout à fait possible que nous nous accordions pour qu'ils s'en saisissent.

Plusieurs nécessités émergent. La première d'entre elles est de revaloriser le travail.

Le gouvernement d'Élisabeth Borne a baissé les charges sur le travail.

M. Mickaël Vallet. Les cotisations !

M. François Bayrou, Premier ministre. Il n'est pas vrai que nous ayons laissé s'accumuler ces difficultés sans rien faire.

J'indique donc au Sénat, plus largement à l'ensemble de la représentation nationale, ainsi qu'à tous ceux qui s'intéressent à ce sujet, que, dans un peu plus d'un mois, avant le 14 juillet prochain, nous donnerons au pays, aussi exigeante que cette orientation sera, la totalité d'un plan de retour à l'équilibre des finances publiques. C'est l'engagement du Gouvernement. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. Yannick Jadot. Grosse promesse !

M. François Bayrou, Premier ministre. Pour la qualité du débat public, ne laissons pas s'accréditer des idées fausses. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI. – M. Bruno Sido applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la réplique.

Mme Corinne Imbert. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie d'avoir pris le temps de répondre devant la représentation sénatoriale. Je pense que tout le monde a pris bonne note de vos propos.

Oui, la situation est catastrophique.

En 2019, l'Ondam était fixé à 200 milliards ; en 2025, il l'était à 256 milliards d'euros. Cela représente 56 milliards d'euros de plus dépensés. Pour quel résultat ?

Les Français ont-ils l'impression que le système de santé va mieux ? Je n'en suis pas sûre. La dette s'accumule et la situation est catastrophique.

Faut-il responsabiliser tout le monde ? Oui, bien sûr.

Faut-il mieux négocier le prix des médicaments innovants ? Certainement.

Faut-il demander plus d'efforts aux Français ? J'en suis moins sûre. En tout cas, nous ne voulons pas plus d'augmentation d'impôts.

En résumé, il faut plus de responsabilité de la part de chacun, payer le juste prix et retrouver une soutenabilité financière de notre système social, notamment de l'assurance maladie. En effet, l'aggravation du déficit nous conduirait à une dette à perpétuité et cela, nous ne le voulons pas, vous le comprenez bien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

ambitions chinoises dans le pacifique

M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Lana Tetuanui. Monsieur le président, j'associe mes collègues de Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna à ma question, qui s'adresse à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, ainsi qu'à M. le ministre des outre-mer.

Le Comité spécial des Vingt-Quatre (C24), organe des Nations unies, vient de se réunir au Timor oriental pour évoquer une énième fois le sujet de la décolonisation de nos territoires, en présence d'élus indépendantistes polynésiens et calédoniens, avec la connivence de tous les États indépendants du Pacifique et sous l'œil bienveillant de Bakou.

À son tour, la Chine tient actuellement dans la ville de Xiamen un grand sommet réunissant tous les chefs de la diplomatie des onze pays du Pacifique – et non les moindres –, ayant pour objectif « des échanges et de la coopération à tous les niveaux entre la Chine et les pays insulaires du Pacifique, ainsi que [des] questions internationales et régionales d'intérêt commun [afin d']édifier ensemble une communauté de destin plus étroite ». Voilà les propos assez édifiants, pour ne pas dire troublants, de la porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, relayés dans tous les médias du Pacifique.

Je ne citerai pas tous les investissements colossaux que ce même pays continue de faire dans notre zone.

Monsieur le ministre, nous sommes inquiets. Face à toute cette agitation et à ces agissements de plus en plus forts, ma question est simple : que fait notre France ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice Lana Tetuanui, je vous assure que le Gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre, est pleinement mobilisé sur cette question. Le ministre d'État, ministre des outre-mer, et moi-même avons des échanges réguliers à ce propos.

Le Comité spécial des Vingt-Quatre s'est réuni il y a quelques jours. La France a développé avec cet organe des Nations unies une relation de travail approfondie sur la Nouvelle-Calédonie, dans le respect de l'accord de Nouméa, qui prévoit une telle coopération ; en revanche, elle ne reconnaît pas la compétence du C24 sur la Polynésie française, réinscrite comme territoire non autonome en 2013.

Lors de cette réunion, une proposition, qui ne fait pas consensus auprès des participants, a été faite d'y accueillir le séminaire du C24 en 2027. Cette proposition, formulée sans aucune concertation préalable, ne recueille pas le soutien du Gouvernement.

Vous avez évoqué l'influence de puissances régionales dans les îles du Pacifique, particulièrement les îles françaises.

Comment y répondre ? En projetant notre puissance dans la région.

Cela a été le cas avec le déploiement dans l'océan Pacifique du porte-avions Charles-de-Gaulle, accompagné d'un sous-marin nucléaire d'attaque, de bâtiments de lutte anti-sous-marine et de défense aérienne, d'un bâtiment ravitailleur et d'un groupement aérien embarqué.

Pendant cinq mois, ce groupement aéronaval a réalisé des exercices, d'abord en Indonésie, avec des armées partenaires de neuf autres pays, avec l'armée de l'air australienne, un peu plus tard avec le Japon – cet exercice a impliqué trois porte-avions et cent aéronefs. Enfin, il a réalisé un exercice commun avec la marine indienne d'une ampleur inédite.

Le Président de la République est actuellement en déplacement dans la région. Il était au Vietnam ces deux derniers jours, il est en ce moment même en Indonésie et il se rendra à la fin de la semaine à Singapour pour exprimer la position de la France et sa vision de la relation de notre pays et de l'Europe avec l'Indo-Pacifique.

En effet, la France est une nation indo-pacifique, fondée sur les objectifs de sécurité, de préservation du multilatéralisme, de renforcement de nos relations économiques...

M. le président. Il faut conclure.

M. Jean-Noël Barrot, ministre… et de coopération avec les îles du Pacifique sur le climat.

Les membres du Forum des îles du Pacifique seront conviés à la troisième Conférence des Nations unies sur l'océan, qui se tiendra la semaine prochaine à Nice. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour la réplique.

Mme Lana Tetuanui. Monsieur le ministre, la Chine est à notre porte.

À quelques jours du grand sommet que vous venez d'évoquer, il est impératif – impératif ! – que la France et l'Europe puissent urgemment s'affirmer, aussi bien par la diplomatie que par des actes concrets, dans l'océan Pacifique, avant qu'il ne soit trop tard. À moins que – ne m'obligez pas à le dire aujourd'hui ! – notre pays n'envisage de saboter lui-même son porte-avions du Pacifique immatriculé Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

conséquences de l'accord entre l'union européenne et le royaume-uni sur la filière pêche

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Béatrice Gosselin. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

À quelques jours de l'ouverture, en juin, de la troisième Conférence des Nations unies sur l'océan (Unoc-3) à Nice, la filière pêche française est en alerte. Nos professionnels sont confrontés à une succession de chocs : Brexit, explosion des charges, normes européennes, restrictions environnementales, difficultés à moderniser et à décarboner la flottille, etc.

Pour la Manche et la mer du Nord, l'accord conclu le 19 mai entre l'Union européenne et le Royaume-Uni prolonge jusqu'en 2038 – il est vrai – l'accès de notre flotte aux eaux britanniques. C'est une avancée, certes ; mais il ne faut pas crier victoire. L'accord offre de la visibilité, pas encore de stabilité.

D'ailleurs, sur la côte ouest de la Manche, l'incertitude demeure. Jersey n'a toujours pas validé cet accord. Et les aires marines protégées, décidées unilatéralement par le Royaume-Uni, restreignent l'accès de nos pêcheurs.

Depuis le mois de décembre, certaines zones sont déjà empêchées et interdites aux fileyeurs.

Les licences post-Brexit doivent être garanties dans la durée et rester gratuites, contrairement aux volontés de Jersey. Concernant les contreparties commerciales, il faut encore les concrétiser.

Dans le cadre de l'Unoc-3, il sera urgent de montrer que protéger la mer, c'est la protéger contre la pêche illégale, mais c'est aussi défendre ceux qui en vivent en pratiquant une pêche raisonnée et responsable.

Comment le Gouvernement entend-il garantir une reconduction pérenne des licences françaises et des quotas dans les eaux britanniques et empêcher que les aires marines ne deviennent un prétexte à l'exclusion de nos pêcheurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice Gosselin, vous l'avez souligné, la France et l'Europe ont remporté une très grande victoire diplomatique la semaine dernière pour nos pêcheurs, puisqu'ils ont obtenu gain de cause sur l'accord post-Brexit.

Mon objectif était de donner de la visibilité et de la stabilité à nos pêcheurs et de leur éviter de devoir renégocier chaque année leur accès aux eaux britanniques. C'est chose faite. J'avais mis toute mon énergie depuis plusieurs mois dans ces négociations intenses avec le Royaume-Uni. La position de la France était constante : pas d'accord global avec le Royaume-Uni sans accord sur la pêche.

Vous l'avez indiqué, nos pêcheurs français sont désormais protégés jusqu'en 2038 par cet accord, qui prévoit l'accès total des navires européens disposant d'une licence – il n'y aura donc pas de remise en cause des licences – aux eaux britanniques dans les conditions antérieures.

Cependant, vous avez raison : le travail n'est pas fini.

D'abord, je vais m'assurer que les textes publiés gravent bien dans le marbre cet accord.

Ensuite, je resterai très vigilante quant à la mise en œuvre concrète de l'accord. Lorsqu'il s'agit de choix de planification spatiale, y compris d'aires marines protégées, de taille des filets ou encore de type d'engins autorisés, des mesures mises en place prétendument pour des raisons techniques peuvent aussi avoir pour effet d'empêcher nos pêcheurs français d'exercer leur activité.

Par ailleurs, madame la sénatrice, je sais que dans votre territoire, la Manche, la coopération avec les îles anglo-normandes est une question essentielle. Je vous confirme que je continue le dialogue avec les autorités locales. J'ai rencontré le gouvernement de Jersey la semaine dernière, en compagnie du président de la région Normandie et en lien avec celui de la région Bretagne. Nous avançons, et nous travaillons pour préserver les intérêts de notre flotte dans leurs eaux. Vous pouvez compter sur moi. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.

Mme Béatrice Gosselin. Madame la ministre, je vous remercie au nom des pêcheurs de la côte de la Manche.

Depuis lundi, une autre actualité inquiète fortement nos régions côtières. « Le littoral paie le littoral », a déclaré le Gouvernement lundi. Qu'en est-il de notre solidarité nationale ? Cette belle valeur française sera-t-elle mise à mal ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Mes chers collègues, je voudrais saluer en votre nom une délégation du Parlement estonien, conduite par M. Kristo Enn Vaga, président du groupe d'amitié Estonie-France, et accompagnée par notre collègue Olivier Cadic.

C'est l'occasion pour nous d'exprimer notre solidarité à l'Estonie, dont nous connaissons les interrogations et, parfois, les angoisses à l'égard d'un voisin particulièrement encombrant.

Je souhaite la bienvenue au Sénat à cette délégation. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, se lèvent et applaudissent.)

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Questions d'actualité au Gouvernement (suite)

situation humanitaire à gaza

M. le président. La parole est à M. Adel Ziane, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Adel Ziane. Monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Gaza est plongée aujourd'hui dans une terrible descente aux enfers, sur fond d'effondrement du droit international.

La reprise des frappes israéliennes au mois de mars dernier a fait plus de 3 500 morts et a constitué un retour en arrière dramatique pour les femmes, les jeunes, les travailleurs humanitaires, les journalistes, mais aussi pour les otages israéliens et leurs familles, comme pour la sécurité de toute la région.

Après deux mois de blocage de l'aide humanitaire par Israël, la famine s'installe. Et cette escalade de la violence, depuis l'attaque terroriste perpétrée par le Hamas le 7 octobre 2023, résulte d'une stratégie assumée publiquement aujourd'hui par le gouvernement d'extrême droite de Benjamin Netanyahu : « plan de conquête », « déplacement massif de populations », « destruction complète de Gaza ». Ces mots, au XXIe siècle, sont inqualifiables !

Et pourtant, les sociétés civiles, du côté israélien et du côté palestinien, se mobilisent et manifestent quotidiennement. J'en veux pour preuve le Sommet des peuples pour la paix à Jérusalem, initiative qui s'est tenue le 9 mai dernier : l'ex-Premier ministre israélien Ehud Olmert et l'ancien chef de la diplomatie palestinienne Nasser al-Qidwa y ont présenté un plan de paix, afin de ne pas laisser les extrémistes des deux camps, qui se nourrissent de vengeance, de peur et de haine, décider de leur avenir.

Monsieur le ministre, l'heure n'est plus aux déclarations de principe. Voilà un an, la Cour internationale de justice avait évoqué un risque de génocide à Gaza ; nous y sommes. (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Francis Szpiner. Pas du tout !

M. Adel Ziane. Face à l'horreur, quelles mesures concrètes la France compte-t-elle prendre et mettre en œuvre dans les plus brefs délais pour protéger la population à Gaza, obtenir un cessez-le-feu immédiat et la libération des otages israéliens ?

En outre, pouvez-vous nous indiquer l'état des discussions et de l'engagement de la France dans sa volonté de reconnaissance de l'État de Palestine, comme l'a déclaré le Président de la République, dans la perspective de la conférence internationale qui se tiendra aux Nations unies au mois de juin prochain ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous avez décrit la situation tragique à Gaza avec des mots particulièrement justes, et je tiens à vous en remercier.

Vous nous interrogez sur ce que la France peut faire dans l'immédiat pour mettre fin à la catastrophe.

Nous avons soutenu l'initiative des Pays-Bas appelant la Commission européenne à examiner le respect par le gouvernement israélien de l'article 2 de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël. Cet article prévoit que chacune des deux parties respecte les droits de l'homme.

Par ailleurs, comme nous l'avons fait par le passé, nous nous tenons prêts, à l'échelon national comme à l'échelon européen, à prendre à nouveau des sanctions si la colonisation extrémiste et violente, qui a miné le territoire de la Cisjordanie en fragilisant la perspective d'un État – car il faut la contiguïté territoriale pour pouvoir assurer l'existence d'un État –, devait se poursuivre.

Au-delà, la France, à l'instar d'autres pays et des sociétés civiles, que vous avez mentionnées et qui doivent jouer un rôle important dans ce processus de paix, soutient l'idée selon laquelle il n'y a aucune solution militaire au conflit israélo-palestinien et que seule une solution politique est susceptible d'apporter la paix et la stabilité dans la région.

Dans cette solution politique, chacun détient une clé entre ses mains.

La France, ainsi que d'autres pays européens et occidentaux ont la capacité de reconnaître l'État de Palestine.

L'Autorité palestinienne – je m'entretenais mardi matin avec sa ministre des affaires étrangères – doit avancer dans son chemin de réformes, que nous soutenons, pour pouvoir, le moment venu, exercer pleinement sa mission de gouvernement d'un État de Palestine.

Les pays arabes de la région, quant à eux, détiennent une clé : celle de la normalisation, à terme, avec l'État d'Israël et de l'acceptation d'une architecture régionale de sécurité, comme nous l'avons avec l'Otan, permettant l'insertion tant de l'État de Palestine à venir que d'Israël.

Enfin, l'une des clés, c'est aussi le désarmement définitif du Hamas, son exclusion de toute forme de gouvernance à Gaza à l'avenir, ainsi, sans doute, que l'exil de son leadership politique.

C'est ainsi que nous préparons cette conférence pour les deux États.

M. le président. Il faut conclure.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Celle-ci doit amener chacun à prendre sa part pour faire advenir cette solution politique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, INDEP et UC.)

M. le président. La parole est à M. Adel Ziane, pour la réplique.

M. Adel Ziane. Monsieur le ministre, vous l'avez rappelé, la France détient une clé de ce conflit.

La gravité de la situation actuelle ne peut souffrir aucune ambiguïté dans nos propos. Le momentum politique et diplomatique que le Président de la République a conçu et construit a suscité un espoir immense. Sans issue positive au moment de cette conférence internationale, le chaos risque de régner.

J'insiste sur ce point : en 2014, l'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté des résolutions pour reconnaître l'État de Palestine.

M. le président. Il faut conclure.

M. Adel Ziane. Il est temps, pour la paix et la sécurité d'Israël et de la Palestine, d'avancer en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)

rapport de la cour des comptes sur l'enseignement primaire

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Grosperrin. Ma question s'adresse à Mme la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

La Cour des comptes vient de commettre un rapport, voilà une semaine, sur l'enseignement primaire, avec un titre éloquent : Une organisation en décalage avec les besoins de l'élève.

Même le Premier président, Pierre Moscovici, a indiqué que le niveau était très, voire trop bas, et que c'était inacceptable.

Notre pays est dernier en Europe dans l'évaluation Timss (Trends in international mathematics and science study) au CM1 et avant-dernier dans celle du programme international de recherche en lecture scolaire (Pirls) sur la compréhension de la langue.

Ces préoccupations rejoignent le constat que nous dressons au Sénat depuis de nombreuses années : un financement de l'enseignement primaire inférieur à celui de l'OCDE, une gouvernance trop centralisée et n'associant pas assez les collectivités territoriales – nous travaillons avec Colombe Brossel et Annick Billon sur le maillage territorial des établissements scolaires – et des interrogations quant au statut de directeur d'école.

Bien entendu, chaque ministre doit défendre ses politiques. Or il y a un principe dans l'élaboration des politiques publiques : celui de la contradiction. Dans ce rapport paru au mois de mai 2025, il est indiqué que la contradiction a eu lieu avec l'ensemble des acteurs concernés. Seul le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche n'a pas répondu à la date du délibéré, en dépit des délais accordés.

Pourquoi n'avoir pas répondu à la Cour des comptes ? Quelles sont votre vision et votre politique sur l'enseignement primaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur Jacques Grosperrin, vous l'avez indiqué, la Cour des comptes traite dans ce rapport d'un sujet absolument essentiel : l'enseignement primaire, où nos élèves doivent acquérir les savoirs fondamentaux et les compétences qui les accompagneront tout au long de leur scolarité, de leurs études et, au-delà, dans leur vie de citoyen.

Je peux vous expliquer factuellement pourquoi le ministère n'a pas répondu à la Cour des comptes. La date limite était fixée au début du mois de janvier. Or il se trouve que quelques épisodes politiques ont eu lieu à cette période – chacun peut les avoir en tête… –, ce qui n'a pas permis au ministère de répondre dans ces délais.

Pour autant, j'observe que nombre de constats dressés dans le rapport sont largement partagés. On peut également noter que le rapport est assez peu nuancé : il ne souligne pas ce qui va bien, voire mieux.

En outre, il formule plusieurs recommandations qui – je le précise – sont d'ores et déjà en train d'être mises en œuvre avec beaucoup d'énergie par mon ministère. Je peux par exemple mentionner la réforme du recrutement et de la formation initiale des professeurs, que nous avons annoncée avec le Premier ministre à la fin du mois du mars et qui sera mise en place dès la prochaine session de recrutement, au printemps 2026.

Il pointe aussi l'importance d'un travail avec les collectivités locales. Sur ce sujet, je rappelle que les projections à trois ans examinées dans les observatoires des dynamiques rurales que j'avais lancées quand j'étais Première ministre doivent précisément permettre à chacun, en particulier aux collectivités locales, d'anticiper et d'être parties prenantes à ces évolutions.

Monsieur le sénateur, je sais que vous êtes actuellement chargé d'une mission d'information sur le maillage territorial des établissements scolaires. Je serai naturellement très attentive aux propositions que vous pourrez formuler. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.

M. Jacques Grosperrin. Madame la ministre, j'entends bien vos explications. Il est vrai qu'il y a eu six ministres de l'éducation nationale depuis 2002. Celui qui a succédé à Jean-Michel Blanquer était partisan d'une laïcité disons… « bienveillante ». Celui qui lui a succédé aimait beaucoup la communication. Et on ne se rappelle pas très bien ce que les trois autres ont fait. (Mme Colombe Brossel s'esclaffe.)

M. Mickaël Vallet. Eux non plus !

M. Jacques Grosperrin. Mais vous, vous avez été Première ministre, et vous êtes ministre d'État d'un grand gouvernement. Cette fonction vous honore, mais elle vous oblige aussi, notamment à réformer et à restructurer. Nous attendons tous une refondation structurelle de l'école et de l'organisation de l'enseignement primaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

problème du stockage des déchets du site de stocamine

M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sabine Drexler. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Un arrêté préfectoral vient d'acter l'interdiction pour les personnes dites « sensibles » de consommer l'eau provenant de la zone de captage située autour de l'aéroport Bâle-Mulhouse, contaminée aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS).

À trente kilomètres de là, il y a StocaMine, une ancienne mine de potasse située sous la plus grande nappe phréatique d'Europe, dans laquelle sont entreposées depuis vingt-cinq ans 42 000 tonnes de déchets hautement toxiques.

Nous savons aujourd'hui que l'État a fait confiance à des études erronées pour justifier le confinement de ce site. En effet, en 2023, juste après l'enquête publique qui se basait sur ces études et qui actait la décision de confiner le site et de fermer les deux derniers puits y accédant, nous apprenions à la surprise générale que les cuvelages, ces gaines de fonte empêchant l'eau de la nappe d'y pénétrer, étaient extrêmement corrodés et sur le point de rompre.

Cette rupture, si elle se produit avant 300 ans, c'est-à-dire avant que les bouchons de béton mis en place aux entrées des galeries ne soient hermétiques, entraînera une arrivée massive d'eau, qui noiera, puis diluera les déchets solubles dans une soupe ultratoxique. Celle-ci sera ensuite propulsée dans la nappe phréatique d'Alsace et la rendra, elle aussi, impropre à toute consommation.

Madame la ministre, vous savez – nous vous avons alertée – que ces études sont erronées. Pourquoi ne demandez-vous pas à leurs auteurs de vous fournir très rapidement une version tenant compte de l'état réel des cuvelages et puits qui ont été les plus mal colmatés ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. André Reichardt. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice Drexler, je vous remercie de cette question sur un dossier qui – je le sais – vous tient, ô combien, à cœur, à vous et aux élus de votre territoire. Je le suis avec attention.

Je ne reviendrai pas sur l'historique. Je m'inscris dans la continuité du travail engagé par mes prédécesseurs, notamment – je parle sous le contrôle d'Élisabeth Borne – Christophe Béchu. Ils ont été guidés par un seul objectif : s'assurer de la préservation à long terme de la nappe d'Alsace, en procédant à un confinement sûr des déchets stockés dans l'ancienne mine.

Ces décisions ont été confortées par une impressionnante série de 134 études et expertises ; elles sont toutes concordantes sur les phénomènes à l'œuvre.

Dans le cadre de la loi de finances pour 2025, le Parlement a souhaité attribuer un financement spécifique pour la réalisation d'une expertise complémentaire portant sur les phénomènes d'ennoyage futur de la mine. Il va de soi que cette volonté parlementaire sera respectée. Je l'indique au rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson.

D'ailleurs, comme vous le savez, madame la sénatrice, le travail est déjà en cours. Des échanges ont eu lieu avec mes équipes au ministère, où vous avez été reçue, afin de cadrer cette expertise complémentaire et de pouvoir intégrer tous les questionnements techniques que vous pourriez avoir.

Je le rappelle, cette étude sera confiée à des experts indépendants qui n'ont pas eu l'occasion de travailler sur le sujet – certes, ils se font rares –, dont certains sont étrangers.

Sur ce sujet, je suis, comme toujours, guidée par la science. Le débat technique est essentiel. Notre objectif reste et restera la protection à long terme de la nappe d'Alsace et la sécurité des travailleurs qui interviennent sur ce site. Vous pouvez compter sur mon engagement et sur ma vigilance. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler, pour la réplique.

Mme Sabine Drexler. Madame la ministre, aucune des 134 études qui ont été réalisées ne tient compte de l'état réel et actuel des cuvelages.

Il faut le savoir, sans cette étude complémentaire, les élus locaux, les associations et la Collectivité européenne d'Alsace n'auront de cesse de réclamer que leur soit restituée la terre saine qui était la leur avant que l'on n'y entrepose les déchets les plus dangereux du pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. André Reichardt. Bravo !

frères musulmans à marseille

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

M. Stéphane Ravier. Ma question s'adresse à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur.

La semaine dernière, on apprenait qu'il existait des islamistes en France… Une découverte pour beaucoup, mais pas pour moi ! Car, depuis des années, j'alerte sur les agissements des Frères musulmans dans notre pays, dans l'indifférence médiatique et politique. Mon « islamophobie » prétendue d'hier est devenue la réalité d'aujourd'hui. Dont acte.

En 2019, je tenais une conférence de presse dans le parc Chanot à Marseille, où était organisée la « rencontre annuelle des musulmans du sud » par l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), la branche des Frères musulmans en France. Dès 2019, je demandais que cette réunion de radicaux soit interdite, une demande classée verticale poubelle par le préfet.

À cette époque déjà, je mettais en lumière les liens entre cet événement et l'UOIF, devenue, par une opération de dissimulation, Musulmans de France. Sous ce nouveau nom, ils déclaraient que l'imam islamiste Iquioussen était un homme de paix et de dialogue, au moment même où il était expulsé de France : cet Iquioussen qui nie le génocide arménien, qualifie Ben Laden de grand défenseur de l'islam et affirme que les attentats de Merah étaient en réalité des pseudo-attentats dirigés contre les musulmans !

Sans hasard, le président de cette instance n'est autre que Mohsen Ngazou, directeur du collège-lycée Ibn-Khaldoun, dans le quinzième arrondissement de Marseille, établissement ciblé par le fameux rapport. Et cela n'a pas empêché le maire de Marseille, Benoît Payan, flanqué de sa troisième adjointe, Samia Ghali, de lui rendre visite.

Pourtant, déjà à l'époque, ce lycée avait reçu des fonds de l'Arabie saoudite, pays qui n'est pas réputé pour respecter les principes de la République française. De plus, son directeur faisait la promotion du voile islamique comme un signe de liberté, et non de soumission. Voilà qui dirige Ibn-Khaldoun ! Vous ne pouvez plus l'ignorer, monsieur le ministre.

Je ne vous demande pas de dissoudre les Frères musulmans. Nous savons, vous et moi, qu'ils agissent via des associations-écrans ou satellites. C'est à elles qu'il faut s'attaquer ; vous avez raison. Et je vous en offre deux sur un plateau : d'une part, le collège lycée Ibn-Khaldoun ; d'autre part, l'association Musulmans de France. Voilà deux étendards, deux structures des Frères musulmans. C'est simple, c'est clair, c'est précis.

Allez-vous entamer des procédures pour fermer ce collège-lycée et dissoudre Musulmans de France ? Allez-vous passer des paroles aux actes ? (Mme Raymonde Poncet Monge s'exclame.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur Ravier, avoir le verbe haut ne suffit pas !

Depuis de nombreuses années, nous avions progressivement décelé les actions des islamistes les plus radicaux. Encore convenait-il de pouvoir procéder à des vérifications et de contrôler quels étaient leur organisation et leurs moyens.

Le rapport qui vient de nous être remis à la demande du Président de la République permet à notre pays de documenter la situation avec précision. C'est absolument fondamental. Il était indispensable de réunir tous les éléments matériels susceptibles de démontrer qu'une organisation essaie à bas bruit de détruire notre République.

Nous pourrons désormais agir – d'ailleurs, nous le faisons d'ores et déjà –, soit par des mesures législatives dont le Parlement sera bientôt saisi, soit par des enquêtes et instructions qui permettront de confirmer ce que vous et d'autres avancez. C'est le travail que nos services effectuent actuellement.

Je souhaite insister ici sur la nécessité pour chacun, élu, fonctionnaire ou citoyen, d'avoir bien conscience de la réalité de la situation et des méthodes employées : pour qui agit à bas bruit, le silence est évidemment le meilleur rempart. Il est donc nécessaire de révéler, de signaler et, surtout, de documenter.

Car le respect du principe « un argument, une pièce à conviction », qui m'a guidé tout au long de ma carrière professionnelle, est, me semble-t-il, le seul moyen sérieux de mener une lutte ferme et implacable contre ceux qui veulent détruire la République. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 4 juin 2025, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Xavier Iacovelli.)

PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

4

Mise au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin.

Mme Béatrice Gosselin. Lors du scrutin public n° 292 sur l'ensemble du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, mes collègues Sabine Drexler, Elsa Schalck et Michel Savin souhaitaient voter pour.

Lors du scrutin public n° 293 sur l'ensemble du projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte, mes collègues Alexandra Borchio Fontimp, Florence Lassarade, Sylvie Goy-Chavent et Michel Savin souhaitaient également voter pour.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l'analyse politique des scrutins concernés.

5

Terres rares et matériaux critiques : quel potentiel dans les territoires français et quelle stratégie pour renforcer notre approvisionnement ?

Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur le thème : « Terres rares et matériaux critiques : quel potentiel dans les territoires français et quelle stratégie pour renforcer notre approvisionnement ? »

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Madame la ministre déléguée, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Philippe Grosvalet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Philippe Grosvalet, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, prométhium, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium, erbium, thulium, ytterbium, lutécium,…

M. Daniel Salmon. Aquarium ! (Sourires.)

M. Philippe Grosvalet. … scandium et yttrium : voilà donc les dix-sept terres dites rares – leur terminologie vous était, je présume, inconnue – du fait de leur densité dans les sols et dont l'extraction est coûteuse, polluante, et se fait en faible quantité.

Tout l'attrait des terres rares réside dans des propriétés magnétiques et catalytiques exceptionnelles qui les rendent incontournables pour les technologies de pointe.

Les matériaux critiques renvoient, quant à eux, à un groupe plus large de matières premières, identifiées et actualisées par l'Union européenne.

Cet ensemble de ressources, invisibilisé, constitue la base de notre modernité. Par exemple, le secteur du numérique repose, pour ses écrans, ses disques durs, sa fibre optique ou ses puces électroniques, sur un panel resserré de ces ressources.

Le secteur de la défense en a besoin pour ses alliages, ses aimants haute performance et ses capteurs de précision. Celui de la santé en nécessite pour son imagerie médicale et ses lasers chirurgicaux.

Ces ressources concentrent aussi tous les espoirs de transition pour l'avènement d'une nouvelle modernité énergétique, industrielle, économique ou environnementale.

À cet égard, l'aimant permanent, utilisé aussi bien pour l'éolien que pour la voiture électrique, fabriqué à partir de terres rares et permettant la conversion d'une énergie mécanique vers une énergie électrique et inversement, symbolise à lui seul l'ensemble des espoirs et des enjeux sur les transitions à mener.

De ces matières dépend véritablement notre capacité à transiter vers les technologies bas-carbone, et donc le développement et la pérennité de nos tissus industriels et économiques à l'échelle nationale et européenne.

La première des approches sur les terres rares et les matériaux critiques est géopolitique : qui en possède ? qui les raffine ? qui les exporte ?

La production mondiale de terres rares, qui a atteint 394 000 tonnes en 2024, soit cinq fois plus qu'en 1995, se répartit principalement entre la Chine, puissance hégémonique du secteur, les États-Unis, la Birmanie et l'Australie.

La situation quasi monopolistique de la Chine, qui extrait 69 % de ces métaux et en raffine 90 %, entraîne des dépendances qui peuvent s'avérer totales sur certaines catégories de métaux. L'Union européenne, par exemple, dépend à 100 % des exportations chinoises pour les éléments de terres rares lourdes.

Côté matières premières critiques, les liens de dépendance font aussi apparaître des vulnérabilités importantes : la Turquie fournit ainsi 99 % de l'approvisionnement européen en bore, si précieux pour le secteur éolien notamment, et 71 % des besoins de l'Union européenne en platine sont assurés par la seule Afrique du Sud.

Afin de sécuriser davantage son accès à ces ressources, l'Europe s'est fixé, à l'horizon 2030, des objectifs ambitieux en matière de raffinage et de recyclage en capacité propre, doublés d'une diversification des approvisionnements.

Néanmoins, les dépendances actuelles restent autant de leviers de pression que les puissances étrangères ne rechignent pas à utiliser, et qui font naître des risques géopolitiques et économiques importants.

Voilà quinze ans déjà, en pleine crise diplomatique autour de questions territoriales, la Chine faisait pression sur son voisin japonais en suspendant ses exportations de terres rares.

À la fin d'avril 2025, quelle a été la réponse chinoise aux surenchères de taxes douanières auxquelles s'est livré le président Trump ? Un contrôle accru des exportations sur sept terres rares dont Pékin maîtrise quasiment l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement !

Enfin, les terres rares ukrainiennes sont aujourd'hui au cœur des négociations entre Washington et Kiev pour la continuité du soutien militaire américain dans la guerre contre la Russie.

Pour nos sociétés technologiques en route vers les transitions écologique et numérique, ces ressources constituent donc un vecteur majeur d'indépendance et de souveraineté. Elles posent la question centrale du lien, c'est-à-dire du rapport de forces, entre le consommateur et l'approvisionneur.

Dans ce contexte, et en lien direct avec les débats sur la réindustrialisation de nos territoires et la résilience de nos tissus économiques, la question de la maîtrise européenne de l'extraction et du raffinage de ces ressources se pose de façon urgente.

La France reste un géant minier en sommeil et possède dans son sous-sol, en concentration plus ou moins élevée, du tungstène, du manganèse, du zinc, du germanium et de l'antimoine.

Côté européen, le sujet est identifié depuis le début des années 2010, quand la Commission européenne a dressé une liste, réactualisée tous les trois ans, des matières premières critiques.

Plus récemment, en 2020, la création de l'Alliance européenne pour les matières premières (ERMA) est venue fédérer les industriels du secteur afin d'identifier des projets d'extraction et de recyclage de terres rares en Europe.

En mars 2024, le Conseil adoptait la réglementation européenne sur les matières premières critiques, alors qu'une hausse exponentielle de la demande de terres rares est attendue dans les années à venir. Et le 25 mars dernier, Bruxelles approuvait quarante-sept projets sur le sol européen pour l'extraction, le traitement et le recyclage de terres rares et métaux stratégiques.

Face à ces enjeux de souveraineté et de dépendance se pose évidemment l'enjeu du coût environnemental. L'extraction de ces ressources et leur traitement ne sont pas des activités « propres », et posent de multiples défis environnementaux.

L'un d'entre eux consiste à déterminer la quantité de roche à extraire du sol, alors que les rendements miniers sont déjà décroissants. Un second défi est le traitement post-utilisation des acides servant à purifier les métaux, quand on connaît les catastrophes sanitaires et environnementales que ces substances peuvent causer une fois dans la nature. Un troisième défi, enfin, est celui des besoins hydriques immenses que nécessitent les activités minières.

Alors que la transition énergétique exige un doublement de la production de métaux rares dans les quinze prochaines années, alors que l'humanité consommera lors des trois prochaines décennies autant de métaux que depuis son avènement, ces enjeux environnementaux doivent nous interroger sur notre manière de consommer comme sur le sens des mots de sobriété, d'efficacité énergétique et de recyclage.

En ce qui concerne en particulier le recyclage des terres rares, le chemin à parcourir est énorme. Seulement 1 % de celles-ci sont recyclées, les processus de recyclage restant trop énergivores, coûteux, polluants, et non viables économiquement.

Les préoccupations environnementales renvoient ainsi à l'épineuse question du partage des coûts et des bénéfices de la transition, tant sur le plan économique que sur les plans industriel et social.

Alors, quels choix stratégiques opérer ? Sur quelles dépendances devons-nous agir ? Faut-il réimplanter une activité minière en France ? Pour quels bénéfices stratégiques et à quel coût ? Tout cela soulève des questions éminemment politiques et démocratiques.

« Le Moyen-Orient a son pétrole, la Chine a ses terres rares », énonçait Deng Xiaoping en 1992. Mes chers collègues, le groupe RDSE vous pose la question : à l'aune d'une troisième révolution industrielle, celle des technologies vertes, que choisiront d'avoir l'Europe et la France ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Ludovic Haye applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Philippe Grosvalet, vous avez cité les dix-sept éléments métalliques qui constituent les terres rares.

Ces ressources indispensables se situant dans des gisements très localisés, leur exploitation pose un certain nombre de questions d'ordre géopolitique. La situation quasi monopolistique dans laquelle nous sommes entraîne en effet des risques de dépendance.

J'aurai l'occasion de m'exprimer sur la stratégie française en la matière, mais vous avez posé également des questions sur le chemin à parcourir au niveau européen. Si la France est active et à l'initiative, elle ne peut engager ni poursuivre seule une telle dynamique, qui doit donc être impulsée à l'échelle européenne.

Nous voulons aller beaucoup plus loin, en introduisant notamment des critères de contenu local sur le modèle de l'Inflation Reduction Act (IRA) américain. Ces critères sont la condition de la viabilité à long terme de la filière française des métaux stratégiques et terres rares.

Nous voulons également aller plus loin que la mise en place d'une certaine préférence européenne. Cette évolution est indispensable si nous voulons soutenir nos filières industrielles et nos emplois, en réduisant notre dépendance aux importations de métaux recyclés dans des produits clés pour notre avenir et notre transition écologique, comme les batteries électriques.

Notre réponse doit être à la hauteur des enjeux. L'Europe ne doit pas être un simple marché intérieur de consommateurs ; elle doit redevenir une puissance industrielle de producteurs.

Nous voulons faire de l'Europe – c'est l'engagement de la France, qui pousse en ce sens – une zone économique prospère et souveraine, où l'on produit, l'on recycle et l'on exporte des biens, des services et des métaux. C'est tout l'enjeu de notre stratégie nationale.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'heure du développement écrasant de l'intelligence artificielle, le besoin en matières premières critiques n'a jamais été aussi important.

Un article récent d'un journal allemand confirme qu'aucune autre technologie ne consomme autant de ressources que l'intelligence artificielle. Et de préciser que certains craignent l'avènement d'une « guerre froide » autour des matériaux quand d'autres prévoient d'exploiter des mines sur la lune.

Dans cette compétition annoncée, la Commission européenne a dévoilé une liste de quarante-sept projets stratégiques pour mieux exploiter ses terres rares et matériaux critiques, sécuriser ses approvisionnements et garantir son indépendance. Elle a ainsi fixé comme objectif à l'horizon 2030 qu'au moins 10 % de matières stratégiques soient extraites, 40 % transformées et 25 % recyclées sur son territoire.

Cette prise de conscience s'est accélérée dans le contexte de course aux terres rares qui fait rage entre les grandes puissances mondiales.

Le défi qui nous attend à l'échelle européenne est donc colossal : nous réapproprier la production des ressources, les transformer, et renforcer notre outil de recyclage des métaux rares dans une optique aussi bien environnementale que stratégique.

Notre savoir-faire technologique progresse et la France peut se féliciter de compter parmi les nations les plus avancées en la matière.

Notre continent présente quant à lui de nombreux atouts : le Groenland posséderait à lui seul plus de 12 % des ressources mondiales et d'autres gisements significatifs ont été découverts ces dernières années en Suède et en Norvège. Deux sites français d'extraction de lithium sont par ailleurs identifiés dans les projets stratégiques.

L'Europe, en devenant un acteur majeur de la production mondiale, pourra prétendre à plus d'indépendance et de souveraineté.

Cette dynamique soulèvera, nous le savons, de multiples enjeux environnementaux, industriels et stratégiques.

L'exploration et l'exploitation minière sont des activités par nature très polluantes. Elles produisent des zones d'accumulation de déchets, en plus de détruire les milieux naturels et leur biodiversité.

L'extraction, le traitement et la séparation des terres rares requièrent en outre une consommation de plus en plus forte en énergie, en eau et en produits chimiques.

Enfin, les gisements les plus riches n'en contiennent qu'environ 5 %, ce qui implique de traiter d'immenses volumes de roche pour n'obtenir qu'une faible quantité de matière exploitable.

Ainsi, l'enjeu écologique doit être au cœur de notre stratégie d'exploitation minière et d'optimisation des procédés de traitement.

Face à des concurrents aux méthodes moins vertueuses, notre pays a la possibilité de devenir un leader de l'exploitation responsable des matières premières critiques.

Il recèle déjà des outils de pointe, comme la première usine française de recyclage, Caremag, située à Lacq, dont l'ambition est de produire d'ici à 2027 pas moins de 15 % des besoins mondiaux en terres rares.

Notre technologie s'appuie sur un savoir-faire minier et métallurgique qui répond depuis longtemps aux exigences environnementales.

Je pense notamment à l'usine Imerys de Beyrède-Jumet-Camous, dans les Hautes-Pyrénées, leader européen pour la production d'alumine-zircone, dont l'expertise plus que centenaire lui permet de réduire ses externalités négatives et de valoriser ou recycler 99 % de ses déchets de production et qui, malgré cela, est menacée par la concurrence chinoise.

Les enjeux environnementaux et industriels ne peuvent être pensés que de concert et il en est de même des défis technologiques et stratégiques.

L'industrie de l'armement est d'ailleurs une grande consommatrice de ces métaux, dont l'exploitation permettra à la France de renforcer sa souveraineté technologique et stratégique.

Nous devons donc participer pleinement à la construction d'une Europe des terres rares. Notre pays, qui compte neuf sites sélectionnés dans le programme européen et répartis sur l'ensemble du territoire, peut s'imposer comme l'un des leaders dans cette aventure collective.

Nous devons nous préparer à la révolution technologique et environnementale en gestation. Notre paradigme économique doit évoluer vers une relance des industries minières et métallurgiques. La création de l'Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi) ainsi que l'élaboration d'une feuille de route technologique en sont les premières étapes.

Afin de ne pas être le colosse aux pieds d'argile de cette course aux terres rares, la France, avec ses partenaires européens, doit préparer un nouvel Airbus des matières premières critiques pour que, de leur extraction jusqu'à leur recyclage, l'Union européenne soit non seulement indépendante, mais aussi leader des industries de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Stéphane Fouassin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Maryse Carrère, vous avez souligné la nécessité d'agir en Européens sur un certain nombre de dispositifs.

Je rappelle que le gouvernement français a fortement contribué au Critical Raw Materials Act du 11 avril 2024 porté par la Commission européenne. Ce règlement a fixé le cap de la réduction de la dépendance de l'Europe en matières premières critiques, dont vous avez souligné le risque, avec des objectifs ambitieux – 10 % d'extraction locale, 25 % de recyclage et 40 % de raffinage – sur l'ensemble de la chaîne de valeur.

Plusieurs outils ont été annoncés, parmi lesquels la mise en place d'une plateforme d'approvisionnement en métaux stratégiques. La France soutient cette initiative tout en demandant à la Commission européenne d'apporter des garanties supplémentaires sur le plan opérationnel. Il s'agit en effet de combiner l'ensemble des enjeux environnementaux, économiques et stratégiques.

Ce dispositif sera utile et efficace s'il permet d'assurer sur le long terme des achats groupés à des prix préférentiels, mais également de constituer des stocks stratégiques ou encore de financer des projets industriels d'envergure pour atteindre les ambitions que nous nous sommes fixées au niveau européen.

Vous avez fait état, madame la sénatrice, du nombre de projets français labellisés, neuf sur les vingt et un qui avaient été déposés. C'est un taux de succès important qui mérite d'être souligné.

M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye.

M. Ludovic Haye. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes plus que jamais à un tournant décisif.

En effet, la situation géopolitique et les bouleversements technologiques dans les domaines de l'énergie, de la mobilité, de la défense, du numérique ou encore de l'intelligence artificielle nous obligent à une adaptation urgente et – n'ayons pas peur des mots – existentielle.

Cette transition, pour être crédible, repose toutefois sur des fondations matérielles très concrètes : des batteries, des éoliennes, des circuits électriques, des supercalculateurs, des capteurs, des aimants de plus en plus nombreux et de plus en plus puissants.

Toutes ces technologies – je dis bien « toutes » – sont extrêmement consommatrices en terres rares et en matériaux critiques.

C'est l'ensemble des dix-sept éléments chimiques et matériaux critiques rappelés précédemment qu'il nous faut aujourd'hui sécuriser, afin de ne pas couper nos industries dans leur élan et de réussir notre transition énergétique, numérique et industrielle.

Ces éléments sont devenus le pétrole du XXIe siècle. Sans eux, pas de souveraineté énergétique, pas de puissance numérique, pas d'industrie civile et de défense moderne.

Mes chers collègues, la course aux matières premières est en marche et les grandes puissances l'ont parfaitement compris.

Les États-Unis ont récemment signé un accord stratégique avec l'Ukraine afin de sécuriser l'accès à ses gisements de lithium, de titane et de terres rares.

Le Groenland, territoire immense, riche en ressources minières, suscite de plus en plus d'appétit. On se souvient que le président Trump a même évoqué récemment son rachat, preuve du caractère hautement stratégique que prennent désormais ses ressources.

Côté européen, la prise de conscience s'est accélérée, mais force est de constater que nous sommes dans une situation de dépendance quasi totale.

Ainsi, 90 % du raffinage mondial des terres rares est contrôlé par un seul pays, la Chine, qui détient un quasi-monopole sur certaines étapes clés de la chaîne de valeur.

Cette concentration n'est pas uniquement économique ; elle est aussi politique. Elle est utilisée comme levier d'influence et parfois comme arme géopolitique.

Continuer dans cette voie, c'est exposer notre souveraineté industrielle, technologique et écologique à des risques majeurs.

Si nous voulons que la France et, plus largement, l'Europe restent des puissances crédibles sur la scène internationale, nous devons retrouver la maîtrise de nos approvisionnements.

Pour y parvenir, les investissements publics et privés doivent être massivement mobilisés – vous l'avez rappelé, madame la ministre –, et accompagnés d'une politique offensive d'autonomie stratégique.

Des initiatives structurantes ont été engagées, mais elles doivent être amplifiées et accélérées.

Au niveau national, tout d'abord, plusieurs signaux encourageants ont été envoyés. Je pense particulièrement aux deux appels à projets ciblés sur les métaux critiques, lancés par Bpifrance dans le cadre du plan France 2030. Ils visent à soutenir l'ensemble de la chaîne de valeur : exploration, extraction, transformation, recyclage et substitution.

Si des dizaines de projets industriels ont émergé, les besoins sont encore loin d'être couverts. On estime par exemple que la demande mondiale en lithium sera multipliée par quatre en 2040. Pour les terres rares utilisées notamment pour les aimants permanents, indispensables aux moteurs électriques et aux éoliennes, elle pourrait être multipliée par sept.

Sur le plan européen, ensuite, la Commission européenne a adopté en 2023 un projet de règlement devenu le Critical Raw Materials Act, qui fixe des objectifs clairs à l'horizon 2030 : au moins 10 % de l'approvisionnement en matières critiques doivent provenir de l'extraction européenne, 15 % du recyclage et 40 % de la transformation.

La stratégie européenne s'est affirmée avec la sélection récente de quarante-sept projets stratégiques concernant les matières critiques dans treize États membres, dont la France.

Toutefois, pour faire face à l'ampleur des défis, nous devons aller bien plus loin, en adoptant une stratégie multidimensionnelle.

La première priorité consiste à mieux utiliser ce que nous avons déjà, c'est-à-dire mobiliser les bonnes industries, et pour les bonnes raisons.

Il faut également rationaliser la conception. En effet, beaucoup de nos procédés industriels utilisent des métaux rares sans nécessairement optimiser leur usage. Les industriels doivent être accompagnés pour concevoir des produits plus sobres by design, dès la conception.

Le deuxième levier est sans doute le plus sensible. Il s'agit de la réouverture des capacités minières et métallurgiques sur notre territoire.

Soyons clairs : nous ne pourrons pas sortir des énergies fossiles et garantir notre autonomie stratégique sans accepter un minimum d'extraction en France.

Il faut en finir avec cette hypocrisie qui consiste à rejeter toute activité extractive en Europe, tout en externalisant la pollution, les atteintes aux droits humains et les dégâts environnementaux dans d'autres pays, notamment en Afrique et en Asie.

C'est une question non pas d'idéologie, mais de cohérence et de justice environnementale. L'Europe doit montrer l'exemple d'une extraction responsable.

Il faudra, pour cela, mener à bien une bataille culturelle et résoudre un certain nombre de paradoxes. Comment expliquer avec pédagogie, par exemple, que certaines mines sont indispensables pour produire localement des technologies dites vertes et que certaines usines de raffinage sont des maillons clés de notre souveraineté industrielle ?

Un autre moyen d'action est le développement du recyclage. Aujourd'hui, moins de 1 % des terres rares sont recyclées dans le monde, et ce pour une raison simple : le cours des métaux est trop bas et l'industrie du recyclage est à la fois énergivore et coûteuse en main-d'œuvre, donc non rentable.

N'attendons pas pour autant une crise des marchés et une politique de rétention de la Chine qui viserait à nous déstabiliser pour réagir.

Nous devons justement faire de l'Europe et de la France des leaders du recyclage des matériaux stratégiques, batteries de véhicule électrique, équipements électroniques ou encore aimants.

Cela suppose évidemment de nouvelles filières industrielles, de nouvelles compétences et des infrastructures adaptées, mais aussi des centres de tri spécialisés, des usines de séparation et des laboratoires de décontamination.

Et lorsque nous avons des capacités industrielles, comme pour le traitement des panneaux photovoltaïques usagés, il nous faut passer d'une logique de gestion des déchets à une logique d'approvisionnement en ressources critiques, en adaptant les indicateurs de performance, qui sont trop souvent basés sur le volume plutôt que sur la rareté des métaux.

Certains disaient, à juste titre, que nous avons moins un problème de ressources rares qu'un problème de poubelles pleines. Il est l'heure de répondre à cet enjeu et d'arrêter d'exporter nos déchets électroniques vers l'Asie ou l'Afrique au mépris de la convention de Bâle de 1989.

Le quatrième levier est la diversification de nos approvisionnements. Il est évident que nous ne pourrons pas produire 100 % de nos besoins en France ou même en Europe. Il nous faut donc diversifier nos partenaires, en nouant des accords durables, équitables et sécurisés avec des pays amis – c'est ce qu'on appelle le friendshoring. Je pense notamment au Canada, à l'Australie ou au Chili, ainsi qu'à nos partenaires asiatiques et africains. Il est de notre devoir de faire notre possible pour éviter une relation de dépendance exclusive avec la Chine.

Ces partenariats commencent par une logique d'importation, mais ils doivent aller au-delà. Ils doivent intégrer des dimensions de formation, de transfert de technologies et de développement durable. L'Union européenne a tout intérêt à se doter d'une véritable diplomatie des matériaux stratégiques, comme elle a su le faire avec l'énergie.

Enfin, le dernier levier que je tiens à évoquer avec vous est celui de la recherche scientifique. Il faut investir massivement dans la recherche pour trouver des substituts à ces terres rares, pour découvrir de nouveaux usages de certains matériaux ou encore pour développer la chimie verte et les procédés de transformation à faible impact.

La France dispose d'excellents laboratoires publics, d'écoles d'ingénieurs de très haut niveau et de start-up innovantes. Il faut leur donner les moyens d'inventer les technologies de demain, car la véritable souveraineté, ce n'est pas seulement d'extraire ce que d'autres possèdent, c'est aussi d'inventer ce que d'autres n'ont pas encore imaginé.

En conclusion, mes chers collègues, ce qui se joue aujourd'hui autour des terres rares et des matières critiques, c'est bien plus qu'un simple débat économique ou industriel. C'est un enjeu de souveraineté, de crédibilité et, au fond, de civilisation. Faisons en sorte que la France soit non pas spectatrice, mais actrice de cette nouvelle révolution industrielle et numérique ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, on ne peut que partager vos propos concernant la situation actuelle tant au niveau français qu'au niveau européen : course aux matières premières, bataille culturelle, enjeu de souveraineté.

Concernant le Groenland, rappelons que l'Union européenne a signé un protocole d'accord le 30 novembre 2023 avec le gouvernement de ce territoire en vue d'un partenariat stratégique visant à développer des chaînes de valeur durables pour les matières premières.

Pour ce qui est de l'Ukraine, il est effectivement important que la France et l'Europe ne soient pas discriminées en ce qui concerne les investissements dans ce pays. Nous devrons d'ailleurs nous assurer de la conformité de la mise en œuvre du fonds avec le droit de l'Union européenne. Il apparaît, à première vue, que les entités européennes pourront continuer à investir en Ukraine sans être discriminées. Nous nous attacherons à renforcer les liens économiques entre ce pays et l'Union européenne.

En ce qui concerne le recyclage, je rappelle qu'un appel à projets, intitulé « Solutions innovantes pour l'amélioration de la recyclabilité, du recyclage et de la réincorporation des matériaux » et doté d'une enveloppe de 120 millions d'euros, a été lancé. Il vise à encourager, pour le recyclage de métaux critiques, les projets de recherche et de développement et à financer un premier démonstrateur industriel.

La question du financement étant évidemment essentielle, un fonds d'investissement consacré aux métaux critiques a été lancé en 2023 : il permet de soutenir, tant en France qu'à l'international, des projets portant sur toute la chaîne de valeur de ces métaux, de l'extraction à la transformation et au recyclage.

M. le président. La parole est à Mme Marianne Margaté.

Mme Marianne Margaté. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier nos collègues du groupe RDSE de nous permettre de débattre d'un sujet fondamental.

Les terres rares, ces dix-sept métaux stratégiques, cristallisent l'ambivalence des transitions contemporaines. Indispensables aux smartphones, éoliennes, véhicules électriques, panneaux solaires et systèmes d'armement de pointe, elles incarnent un dilemme fondamental : concilier décarbonation de l'économie, autonomie industrielle et préservation des écosystèmes.

Ce défi, à la croisée de la géopolitique, de l'écologie et de l'économie, révèle les contradictions d'un modèle de transition fondé sur une exploitation minière intensive, souvent externalisée vers des zones à faible protection sociale et environnementale.

Ce modèle économique a également eu pour conséquence, dans des pays comme la France, une diminution du soutien à la recherche publique, non seulement dans les domaines miniers, mais aussi dans le domaine de la métallurgie, ainsi qu'une perte de savoir-faire et de compétences sur ces sujets.

Ce paradoxe interroge la viabilité d'une stratégie axée sur la substitution technologique plutôt que sur la sobriété matérielle.

Si les réserves mondiales de terres rares sont géologiquement dispersées, la Chine contrôle 86 % de la production mondiale et près de 90 % des capacités de raffinage.

En 2010, la réduction drastique des quotas d'exportation chinois a provoqué une flambée des prix, rappelant la vulnérabilité des économies occidentales. L'Union européenne, qui importe 98 % de ses terres rares de Chine, voit sa transition verte menacée : en effet, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, ses besoins devront être multipliés par vingt-six.

Les secteurs clés restent structurellement dépendants de ces métaux critiques. Face à ce risque systémique, l'Union européenne a adopté, en avril 2024, un règlement sur les matières premières critiques, fixant des objectifs contraignants d'ici à 2030. Des partenariats stratégiques ont été noués avec l'Australie, le Canada et plusieurs pays africains. Toutefois, ces initiatives peinent à contrebalancer l'hégémonie chinoise.

Or, si l'indépendance stratégique est essentielle, l'extraction des terres rares, majoritairement effectuée à ciel ouvert, génère des dégradations majeures en termes écologiques et entraîne des violations des droits humains.

Pis encore, le partenariat entre l'Union européenne et le Rwanda, censé promouvoir des chaînes d'approvisionnement durables, fait de l'Europe la complice de recel de crimes de guerre. C'est pourquoi nous n'avons de cesse d'appeler à l'abrogation d'urgence de cet accord, vu comme une légitimation de fait de la fraude et du pillage de la République démocratique du Congo (RDC).

Le « capitalisme extractiviste » reproduit des logiques coloniales, alimentant des conflits locaux et privant les États producteurs de toute valeur ajoutée industrielle.

Or nous ne pouvons pas fermer les yeux face à cette contradiction majeure : promouvoir le Green Deal européen et continuer l'importation massive de terres rares extraites dans des conditions non durables, externalisant ainsi notre empreinte écologique.

En effet, le règlement Reach, bien que strict sur les substances chimiques, ne s'applique pas aux procédés miniers extraterritoriaux.

Face à ces enjeux, l'Union européenne mise sur la relocalisation partielle de la production, avec quarante-sept projets miniers stratégiques dans treize États membres. Mais réduire la dépendance en développant des capacités nationales suppose une maîtrise publique de l'ensemble de la chaîne de valeur des terres rares, de l'extraction à l'exploitation et au recyclage.

Cela devrait par exemple se faire, en France, sous l'égide d'organismes publics comme le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), avec des garanties environnementales et sociétales de haut niveau. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?

Il est également à noter que moins de 1 % des terres rares sont recyclées dans le monde en raison de leur dispersion dans les produits et de l'absence de filières structurées. C'est pourquoi il ne faut plus se contenter d'apprécier les produits finis en termes écologiques ; il est nécessaire d'examiner si les processus d'extraction de leurs composants et ceux de leur fabrication industrielle ainsi que de leur recyclage sont respectueux ou non de l'environnement.

Pour sortir de cette impasse, il faut responsabiliser les fabricants sur la gestion des déchets en fin de vie, incluant la collecte et le recyclage des terres rares dans leurs produits.

Investir massivement dans l'économie circulaire en faisant du recyclage une priorité industrielle s'impose. Impliquer les citoyens dans les choix miniers via des conventions régionales sur le climat est également une nécessité.

Il nous faut aussi, et surtout, repenser la maîtrise de la demande comme pilier de la transition, et non comme une contrainte. La voie de la sobriété et de la justice climatique est non pas une contrainte, mais une condition sine qua non pour une transition réellement durable.

Par ailleurs, madame la ministre, la France ne devrait-elle pas être partie prenante, y compris aux niveaux européen et international, du développement de la recherche en matière minière et de la mise en place d'un cadre légal qui obligerait les entreprises à respecter des règles pour le moins comparables à celles qui sont en vigueur dans l'Union européenne, en ce qui concerne tant l'extraction que le recyclage ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Marianne Margaté, vous avez évoqué la nécessité de concilier plusieurs enjeux, rappelé l'importance des importations en Europe de certains métaux en provenance de Chine et mis en avant l'objectif de souveraineté, à même de faire progresser la transition écologique.

Il est nécessaire d'intervenir sur l'ensemble de la chaîne de valeur. Cependant, la question de la sobriété – vous en avez parlé – se pose. Nous devons donner la priorité, chaque fois que cela est possible, à l'évitement de la consommation de certaines ressources ou, à tout le moins, à la réduction de la pression qui pèse sur elles.

Certaines de ces orientations ont déjà été mises en œuvre dans le cadre de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, qui vise notamment à augmenter la durée de vie des produits, à favoriser leur réparabilité, avec la mise en place d'un indice de réparabilité, et à améliorer l'information du consommateur sur les qualités et caractéristiques environnementales.

En résumé, trois points clés ressortent : favoriser la substitution des matières premières critiques par des ressources plus abondantes ; limiter l'intensité en matière dans les produits, en travaillant sur des technologies alternatives et en prenant en compte le recyclage ; enfin, orienter la consommation vers des produits et services plus économes en ressources minérales.

En conclusion, il est très important de prendre en compte la question du partage des ressources avec les générations futures, donc l'exigence de sobriété que vous avez évoquée.

M. le président. La parole est à Mme Marianne Margaté, pour la réplique.

Mme Marianne Margaté. Madame la ministre, je vous remercie pour ces éléments. Je veux saisir cette occasion pour insister sur un point particulier.

En 2023, une déclaration d'intention entre la France et la RDC a été signée concernant les métaux critiques. Pour le groupe CRCE-K, ce partenariat devrait permettre non seulement d'extraire, mais également d'accompagner la transformation des matières premières en RDC même afin que la richesse de ce pays serve à son développement et à la satisfaction des besoins fondamentaux de sa population.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les métaux sont devenus un enjeu géopolitique et de souveraineté économique et industrielle. La course à la maîtrise de ces ressources par les grandes puissances s'intensifie un peu plus chaque jour.

On utilise des matériaux critiques, métaux et terres rares, dans tous les secteurs. Dans une société où l'on n'en finit pas de produire toujours plus, la demande en métaux ne cesse d'augmenter : ainsi, la demande en matières premières critiques devrait être multipliée par quatre d'ici à 2040 selon l'Agence internationale de l'énergie.

Ce faisant, la transition énergétique et la digitalisation redessinent l'économie mondiale. La dépendance structurelle de la France et de l'Union européenne à ces importations révèle l'absence de stratégie cohérente d'approvisionnement.

Nous n'avons pas su établir de stratégie. Nous avons laissé un petit nombre d'acteurs – la Chine au premier rang – prendre le monopole de la chaîne de valeur des métaux. Au-delà de la maîtrise des matières premières, la Chine domine aussi le raffinage. Pour cela, elle se base sur des coûts de production réduits via des normes sociales et environnementales moins-disantes.

Clairement, nous sommes loin de la stratégie, que nous appelons de nos vœux, qui permettrait de réconcilier les enjeux économiques, écologiques et sociaux. Face aux enjeux de souveraineté industrielle, d'autonomie stratégique et de planification écologique, il était temps que la Commission européenne planifie des objectifs plus ambitieux.

Les écologistes sont clairs : la France et l'Union européenne doivent assumer de produire sur leur sol les matériaux critiques dont elles ont besoin pour assurer cette transition. C'est indispensable : la transition en a besoin.

À titre d'exemple, selon le BRGM, la consommation de terres rares va augmenter d'environ 8 % par an. Tout cela implique l'ouverture de nouvelles mines et de sites de transformation et de recyclage de ces métaux. Cette extraction chez nous évite des extractions bien pires ailleurs.

Mais notre rôle est aussi de rappeler quelques préalables, à notre sens, indispensables. Si l'extension et l'ouverture de certaines mines et d'usines de raffinage en Europe sont nécessaires, elles ne sauraient se dissocier d'un encadrement strict. L'extraction n'est jamais propre, elle génère de considérables volumes de déchets. Le traitement et la séparation des terres rares sont très coûteux en énergie, en eau et en produits chimiques.

C'est pourquoi s'assurer qu'aucun projet minier ne puisse se faire dans les zones classées sur le plan environnemental est une évidence. Tout comme l'absence d'exploitation des fonds marins : une telle exploitation mettrait en danger des habitats, des espèces, et in fine des populations humaines qui dépendent de leur bon état.

Le renforcement de la réglementation sociale et environnementale de l'activité minière, la mise en place de nouvelles normes et pratiques afin de réduire le plus possible les impacts sur les écosystèmes seront indispensables pour garantir la soutenabilité écologique des projets miniers et assurer leur acceptabilité sociale.

Sur ce dernier point, la démocratie citoyenne et le débat public doivent être au cœur des projets qui verront le jour.

L'autre enjeu fondamental est bien de rationaliser cette consommation, sans compromettre la satisfaction de nos besoins essentiels. Il n'est pas interdit de questionner l'utilité, au sens de l'intérêt général, de certains produits fabriqués qui correspondent souvent à des besoins créés de toutes pièces par les industriels. Dans un monde aux ressources finies, le gaspillage ne pourra pas durer éternellement.

C'est pourquoi, à notre sens, il manque à cette planification une vraie réflexion sur la pertinence à long terme des modes de consommation actuels, sur les usages des métaux stratégiques et sur le volume total de la demande en métaux permettant de répondre à nos besoins essentiels.

Là aussi, la sobriété nous semble être un levier essentiel pour répondre, en partie, à l'équation. Elle est pour nous consubstantielle à une transition juste et résiliente : sobriété dans la consommation et les usages pour limiter les besoins en matière et en électricité ; sobriété dans les dimensions – à titre d'exemple dans le secteur automobile, on peut fabriquer des batteries pour deux citadines avec la même quantité de lithium que pour un seul SUV. C'est un choix !

Il convient enfin de renforcer nos capacités de recyclage pour permettre de limiter nos importations et, bien sûr, les impacts environnementaux inhérents à la production de ces matériaux. Aujourd'hui, 1 % des terres rares seulement sont recyclées.

Enfin, la recherche doit également inventer de nouvelles manières moins impactantes d'extraire les terres rares et explorer d'autres technologies pour réduire la dépendance à certains métaux.

Vous l'aurez compris, les écologistes sont cohérents – comme toujours ! (Sourires.) Relancer l'industrie minière est nécessaire pour assurer la transition, mais dans le cadre d'une vraie planification.

Madame la ministre, comment comptez-vous mieux concilier les enjeux de souveraineté et d'autonomie stratégique avec les impératifs écologiques que je viens d'évoquer ? Ces impératifs sont essentiels pour avoir demain une croissance soutenable, si tant est qu'on souhaite encore parler de croissance. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la course aux matières premières et soulevé la question de notre dépendance et de la nécessité de produire davantage sur notre territoire.

La politique nationale des ressources et usages du sous-sol, que nous avons engagée, vise à sécuriser les approvisionnements français en ressources minérales et à réduire notre dépendance aux importations.

L'objectif est de soutenir la réindustrialisation de la France dans le cadre d'une autonomie stratégique minimale. Il s'agit, d'une part, de recenser les ressources de notre sous-sol, c'est-à-dire de participer à un inventaire minier avant, le cas échéant, de développer et d'exploiter ces ressources, d'autre part, de développer des partenariats internationaux.

Nous avons ainsi pour ambition d'exploiter les gisements à fort potentiel, lorsqu'ils contribuent à la souveraineté européenne ou française de nos filières stratégiques comme au développement des territoires avec les meilleurs standards environnementaux.

Vous avez évoqué la nécessité de relancer l'activité minière. Nous avons déjà engagé un certain nombre de projets en ce sens, en les assortissant de mesures destinées à en réduire les impacts environnementaux. Les réglementations européenne et française sont parmi les plus exigeantes au monde, si bien qu'il me semble que nous pouvons avancer de manière relativement vertueuse.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.

M. Daniel Salmon. Madame la ministre, j'ai participé, il y a quelques mois, à un déplacement, organisé par la commission des affaires économiques du Sénat, à Orléans auprès du BRGM.

Nous avons un peu eu le tournis, en découvrant que nous avions extrait autant de ressources minérales au XXe siècle qu'au cours de toute l'histoire de l'humanité et que, d'ici à 2030, nous en aurons encore extrait autant que toute l'humanité jusqu'à la fin du XXe siècle ! Cela est à la fois extraordinaire et inquiétant.

Assumons d'extraire sur notre sol ce dont nous avons besoin, mais pour que cela soit acceptable pour les populations, il faudra faire des choix.

Or choisir, c'est renoncer... Il faudra certainement renoncer à tout un tas de biens éphémères, souvent liés au numérique. L'empreinte du numérique est bien réelle. Il va falloir l'assumer et renoncer à certaines utilisations.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « d'une dépendance l'autre » : telle est la phase actuelle de l'histoire de l'humanité qui nous fait passer du pétrole à l'électricité comme source majeure d'énergie.

Pour évaluer lucidement notre capacité collective à mener à bien la transition écologique et énergétique, il faut prendre pleinement conscience des problématiques diverses qu'elle pose. Il faut analyser le cycle de vie complet de l'ensemble des processus en jeu et en tirer des conséquences stratégiques aux plans national et international, sur le long voire le très long terme.

Le sujet de ce débat contribue à cette réflexion et je remercie ceux qui en ont pris l'initiative, les membres du groupe RDSE.

Au mitan des années 1970, et en partie du fait des deux chocs pétroliers, la France a laissé péricliter son industrie de production. Dans ce cadre, la question des ressources minières, qu'il s'agisse de production nationale ou de stratégie d'approvisionnement extérieur, a été plus que négligée.

Et nous nous réveillons aujourd'hui en constatant notre dépendance quasi totale à l'égard de quelques pays pour construire et faire fonctionner notre modèle économique, environnemental, social et de défense – sans évoquer le modèle politique, démocratique et libéral, qui est consubstantiel à ce dernier !

Aujourd'hui, et pour longtemps, du fait de ses ressources naturelles propres, mais aussi d'une stratégie de très long terme initiée il y a des décennies, dans les années 1970, la Chine est au monde décarboné en gestation ce que l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) était – et est encore – au monde du fossile.

D'une dépendance l'autre, disais-je. Alors, que peut-on faire ? Qu'est-il permis d'espérer ?

Une remarque préalable : je pense que, dans le contexte structurel de dépendance très forte à l'égard des matières premières critiques qui est le nôtre, il n'y a pas grand sens à parler d'autonomie stratégique. En revanche, de plus ou moins grande dépendance, oui !

Sur le plan national, le France doit redonner au BRGM le rôle et les moyens qui furent les siens il y a quelques décennies, avant les années 1990.

Madame la ministre, que prévoyez-vous en matière de prospection et d'exploitation éventuelle des gisements de matières premières critiques (MPC) situés en Alsace, en Bretagne ou dans l'Allier, pour ne citer que ces potentialités ?

La question se pose aussi, me semble-t-il, pour l'hydrogène natif – il ne fait pas partie de ces MPC –, notamment dans les Pyrénées.

Quel est le grand projet national de recyclage ? Où seront localisées les usines nécessaires ?

Le concept de mine propre, qui, personnellement, me laisse pour le moins dubitatif, vous paraît-il, le cas échéant, un modèle à suivre ? Et si oui, dans quelles conditions pour les travailleurs, les populations et les territoires ?

Quelle est la position du Gouvernement à l'égard des travailleurs et des populations sanitairement victimes des mines en Chine, en Afrique – je pense à la RDC – et ailleurs dans le monde ? Des hommes, des femmes et des enfants y sont exploités jusqu'à la mort, nous rappelant le pire de ce que le XXe siècle a produit d'inhumanité. La France a-t-elle quelque chose à dire sur ces conditions d'exploitation parfaitement connues et leurs conséquences humaines et environnementales ?

Sur le plan européen, nous nous sommes dotés d'objectifs pour les MPC des États membres. Le règlement fixe des objectifs ambitieux en matière de progression de notre autonomie : au moins 10 % de la consommation annuelle de matières premières stratégiques extraite dans l'Union européenne ; au moins 40 % de cette consommation annuelle issue de la transformation ; au moins 25 % de cette consommation annuelle assurée par le recyclage ; moins de 65 % de la consommation annuelle de l'Union européenne en provenance d'un seul pays tiers – il s'agit de moins dépendre uniquement de la Chine.

Pour y parvenir, l'Union européenne dit vouloir intensifier ses relations commerciales dans le cadre d'un club des MPC regroupant tous les pays ayant des valeurs similaires aux nôtres. Elle dit aussi vouloir renforcer l'OMC à cette fin, étendre le réseau des accords de facilitation des investissements durables et des accords de libre-échange ou encore intensifier l'application de la législation pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales.

Les mesures que je viens de citer ont été fixées il y a deux ans. Je dois dire qu'elles me laissent songeur, en particulier en ce qui concerne l'OMC. Il me semble que le contexte géopolitique actuel, fait d'agressions de toutes natures marquées du sceau de la puissance, renvoie ce plan d'action à une simple déclaration d'intention.

Madame la ministre, quelle place pour la production française dans ce cadre ? Quelle parole, quelles propositions la France porte-t-elle aujourd'hui en Europe pour que la moindre dépendance aux MPC, indispensable pour notre avenir, ne soit pas qu'une chimère ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Franck Montaugé, vous avez évoqué la stratégie française en matière d'autonomie, en vous demandant ce qu'on devait faire.

Vous le savez, nous n'avons pas de terres rares, mais nous avons d'ores et déjà lancé des projets dans le secteur des industries de raffinage.

Je peux ainsi citer l'exemple du projet Carester, une usine de raffinage qui vise à séparer les terres rares lourdes. L'objectif est de couvrir entre 10 % et 12 % des besoins mondiaux d'ici à 2030, avec 15 % de matières recyclées.

Je peux aussi citer le projet MagREEsource, une usine de production d'aimants permanents qui utilise un procédé de recyclage en boucle courte pour divers types d'aimants.

Par ailleurs, l'entreprise Solvay a inauguré, il y a quelques mois, une nouvelle ligne de production à La Rochelle dédiée aux terres rares pour aimants permanents.

Dans le cadre de France 2030, trente-quatre projets ont été déployés dans différents domaines de production. Ces projets devraient satisfaire 70 % des besoins nationaux de l'industrie de transformation de l'aluminium d'ici à 2030, l'équivalent de 90 % des besoins nationaux en fil de cuivre d'ici à 2028, ainsi que, à terme, 100 % de nos besoins nationaux en terres rares lourdes et plus de 50 % des besoins des usines françaises de production de batteries en graphite artificiel.

Vous le voyez, nos objectifs sont ambitieux, mais ils sont nécessaires pour limiter notre dépendance à ces ressources et renforcer notre autonomie.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. Madame la ministre, je veux vous remercier pour ces éléments de réponse, mais je ne suis guère rassuré.

J'ai cité la réflexion stratégique mise en œuvre dans les années 1970 par la Chine. Deng Xiaoping avait alors posé les bases de la puissance chinoise actuelle, laquelle est en train de prendre le dessus sur celle de beaucoup de pays occidentaux.

En France, comme en Europe d'ailleurs, nous ne réfléchissons qu'à trop court terme. J'espère me tromper, mais je pense que nous allons le payer cher. En effet, je ne vois rien dans ce qui se dessine qui me permette de penser que la dépendance de notre pays et du continent européen sur ces sujets sera amoindrie, ce qui est préoccupant !

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la technologie a transformé notre monde à une vitesse vertigineuse. Au début du XXe siècle, la France comptait moins de 200 000 abonnés au téléphone. Aujourd'hui, on dénombre 84 millions de cartes SIM actives dans notre pays, soit plus que d'habitants.

Cette révolution concerne aussi nos armées à l'heure de la guerre numérique. Au-delà du seul domaine cyber, missiles de précision, essaims de drones, ou encore intégration de l'intelligence artificielle appellent toujours plus de données. N'oublions pas toutefois que les infrastructures – réseaux et cloud – s'appuient sur une myriade de centres de données, de câbles sous-marins, de microprocesseurs et de satellites, qui requièrent énormément d'énergie.

Le développement des énergies renouvelables nécessite également des métaux rares. Ces derniers sont souvent difficiles à extraire, car ils ne se trouvent presque jamais à l'état pur dans les sols. Or leur séparation des autres minéraux est un processus polluant, énergivore et très coûteux.

La Chine possède 48 % des réserves connues, assume 69 % de la production minière et 90 % du raffinage des terres rares. Cette situation lui confère un atout maître et fait courir aux pays importateurs le risque d'une dépendance accrue.

Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires sont convaincus que le commerce international est profitable à tous les acteurs qui respectent les règles, mais que dépendre d'un seul pays exportateur constitue un risque systémique majeur. Nous saluons donc l'initiative du groupe du RDSE, qui, en proposant ce débat, nous permet d'ouvrir une réflexion sur les meilleurs moyens de préserver notre souveraineté, la question des terres rares et des matériaux critiques étant cruciale.

En effet, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que la demande annuelle de terres rares, pour respecter nos engagements climatiques, augmentera de 62 % d'ici à 2040. C'est à travers ce prisme qu'il faut comprendre les prétentions de Donald Trump sur le territoire danois du Groenland. Je vous informe également – peut-être le savez-vous déjà – que le Groenland vient de menacer de confier l'exploitation de son sous-sol à la Chine.

Nous sommes donc à l'aube d'un conflit géopolitique sans précédent. Pour sécuriser les approvisionnements, le Critical Raw Materials Act (CRMA) impose que, d'ici à 2030, au moins 10 % de la consommation européenne de métaux stratégiques soit extraite du territoire européen, qu'au moins 25 % de ces métaux proviennent du recyclage et qu'au moins 40 % d'entre eux soient raffinés en Europe.

Or la France dispose de peu de gisements : la Bretagne, le Massif central, la Guyane sont susceptibles de contenir des terres rares exploitables en quantité modeste. Il faut donc, dans le cadre de France 2030 et de Choose France, accélérer les démarches administratives et investir plusieurs milliards d'euros afin de sécuriser notre accès aux matériaux critiques, sachant que nombre d'initiatives et de solutions alternatives précieuses émergent dans nos territoires pour extraire les terres rares de manière plus durable.

Ainsi, le projet Ageli devrait permettre d'extraire jusqu'à 10 000 tonnes de lithium par an, et ce en puisant dans les réservoirs d'eau géothermale d'Alsace. Reconnu comme stratégique par la Commission européenne, ce projet bénéficie d'un accès facilité aux financements européens.

Je tiens aussi à saluer le travail des chercheurs de l'Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg, également dans ma région du Grand Est, qui ont mis au point un procédé magnétique de séparation des terres rares. Ce tri par magnéto-électrochimie rebat les cartes, car il fonctionne aussi bien sur des minerais extraits que sur des déchets d'aimant. Surtout, il est moins énergivore que les techniques conventionnelles. Avec le soutien du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l'université de Strasbourg, la start-up Remedy a lancé l'industrialisation de cette technologie brevetée. Cela démontre qu'une stratégie nationale cohérente implique un soutien appuyé à la recherche, au développement et à l'industrialisation.

Le marché du recyclage est prometteur. Mes collègues ont évoqué des pistes. Pour ma part, je souhaite mettre en lumière un projet qui a vu le jour dans mon département, l'Aube. L'entreprise Artémise travaille avec l'université de technologie de Troyes pour extraire et recycler les terres et métaux rares contenus dans les lampes LED, tels que de l'yttrium, le gallium, le strontium ou encore l'indium. Trop souvent, en effet, ces lampes sont envoyées dans les flux de petits appareils en mélange sans être valorisées.

Artémise a également lancé le projet Néolithic pour industrialiser le recyclage des petites batteries lithium-ion à horizon 2027. Nous attendons, madame la ministre, un soutien ferme de l'État sur ces dossiers.

Ce sont toutes ces recherches et initiatives qui nous permettront de commencer à briser les chaînes de notre dépendance.

Cependant, si le recyclage est devenu un outil de souveraineté stratégique et un levier d'innovation industrielle, il demeure difficile à mettre en œuvre. Les indicateurs de performance sont obsolètes : fondés sur le tonnage, ils ne prennent pas en compte l'impact stratégique des matériaux récupérés. Nous devons également, madame la ministre, mes chers collègues, passer d'une logique de gestion des déchets à une logique d'approvisionnement en ressources critiques.

Pour conjuguer souveraineté technologique et transition écologique, l'Europe et la France doivent poursuivre leur stratégie alliant sobriété, innovation, diversification des sources et respect des normes environnementales.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Vanina Paoli-Gagin, je répondrai d'abord à l'inquiétude que vous avez manifestée concernant le Groenland.

Je rappelle qu'il y a quelques jours la ministre de l'économie, du commerce et des ressources minérales du Groenland a indiqué que son pays souhaitait nouer des partenariats avec l'Europe et les États-Unis.

Je précise par ailleurs que l'Union européenne a engagé des discussions stratégiques avec le Groenland sur les matières premières critiques, qui constituent un enjeu. Ainsi, comme je l'ai déjà dit, l'Union européenne a signé un protocole d'accord, le 30 novembre 2023, avec le gouvernement du Groenland en vue de mettre en place un partenariat stratégique visant à développer des chaînes de valeur durables de ces matières premières. Ce protocole prévoit cinq axes de coopération : les projets miniers et industriels ; les normes internationales en matière environnementale, sociale et de gouvernance ; le déploiement des infrastructures ; le développement des compétences ; la recherche et l'innovation.

Vous avez raison de le souligner, les terres rares sont stratégiques, car elles sont indispensables pour la fabrication d'un certain nombre d'éléments de notre vie quotidienne. C'est la raison pour laquelle nous devons intervenir pour constituer une chaîne de valeur qui nous place dans une situation d'indépendance.

Bien entendu, tous les projets locaux, notamment ceux dont vous avez fait état, recueilleront une attention particulière de l'État, compte tenu de l'importance du sujet. La stratégie nationale engagée vise de toute façon à identifier et à analyser tout ce qui peut contribuer à assurer notre souveraineté en la matière.

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour la réplique.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse.

J'ai appris l'information sur le Groenland voilà moins d'une heure. J'espère qu'il s'agit d'une fake news et que les coopérations et les accords avec l'Union européenne seront solides.

Enfin, nous devons vraiment encourager les projets locaux est les recherches susceptibles d'aboutir à l'industrialisation de nos territoires.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas.

Mme Catherine Dumas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que notre approvisionnement minéral a été, aux XIXe et au XXe siècles, un moteur de notre compétition industrielle et militaire, il est largement passé ces dernières décennies au second rang de nos préoccupations stratégiques.

La situation, pourtant, a désormais radicalement changé, et c'est bien à une véritable ruée vers les métaux qu'il faut aujourd'hui nous préparer. En effet, à mesure que certains pays accélèrent leur développement économique et que les transitions énergétique et numérique prennent de plus en plus d'ampleur, l'accès aux ressources métalliques redevient un enjeu fondamental.

Selon certaines projections, pour répondre à l'accroissement de la demande mondiale, il faudra produire dans les trente ans à venir l'équivalent de tout ce qui a été extrait du sous-sol depuis les débuts de l'activité minière. Dans ce contexte, les métaux que l'on qualifie de rares jouent un rôle aussi nouveau que prépondérant.

Batteries électriques, éoliennes, équipements de défense, smartphones, calculateurs, et plus largement infrastructures digitales : les terres rares sont au cœur de la révolution technologique que nous vivons, à tel point qu'elles se révèlent désormais presque aussi essentielles à notre souveraineté et à notre avenir industriel que les ressources énergétiques qui irriguent notre tissu économique.

Par conséquent, et alors que la France a fait de sa réindustrialisation un objectif prioritaire, il est crucial de garantir à nos entreprises un accès aux métaux critiques qui soit assis sur des flux réguliers, des volumes suffisants et des prix maîtrisés.

Or, si cet accès n'est pas pour l'heure directement remis en cause, il n'est en rien garanti au regard de la situation internationale. En effet, la forte concentration de l'exploitation de ces ressources dans une poignée de pays fait peser des risques importants sur la sécurité de nos approvisionnements.

Ainsi, la Chine assure près de 70 % de l'extraction mondiale des terres rares et contrôle plus de 85 % de leur raffinage. Cette domination lui confère un levier géopolitique considérable qu'elle pourrait aisément mobiliser à notre détriment à l'occasion d'éventuelles tensions commerciales ou diplomatiques.

Par ailleurs, les pressions exercées par l'administration américaine sur le Groenland et sur l'Ukraine, ou encore l'implication de cette dernière dans le règlement du conflit au Kivu, illustrent à quel point les terres rares figurent désormais au sommet des préoccupations géostratégiques de toutes les grandes puissances. Dans ces conditions, il est essentiel que notre pays cherche à se protéger des perturbations de marché et qu'il travaille à réduire ses dépendances.

Le premier levier dont nous disposons est naturellement notre propre potentiel géologique. Nous savons que celui-ci, comme d'ailleurs celui de nos partenaires européens, est particulièrement prometteur, peut-être même de rang mondial. Par exemple, en Bretagne, en Normandie et dans le Massif central, des études ont permis d'identifier de potentielles ressources en néodyme, en praséodyme, en tungstène, en lithium, en niobium, en tantale ou encore en zircon.

Cependant, la connaissance fine et détaillée de ce potentiel national fait encore assez largement défaut. Un inventaire des ressources a heureusement été lancé voilà deux ans afin de cartographier les gisements et d'identifier précisément les sites exploitables. À ce stade, ce travail indispensable ne se concentre pourtant que sur certaines zones spécifiques. Il semble donc essentiel de l'étendre au plus vite en lançant dès maintenant d'autres programmes de recherche et de prospection sur l'ensemble du territoire.

Notre objectif premier en matière de terres rares devrait être clair : développer autant que possible nos propres capacités d'extraction et de transformation. En effet, la valorisation des ressources nationales nous permettrait non seulement de renforcer notre autonomie stratégique, mais également de créer des emplois et de stimuler des territoires.

Au-delà de la relance de l'activité minière, c'est toute une chaîne de valeur, toute une filière nationale d'exploitation responsable que nous pourrions aujourd'hui mettre sur pied, depuis la recherche géologique, en amont, jusqu'à la transformation métallurgique, en aval.

Un tel changement de paradigme nécessitera d'abord de retrouver certaines compétences perdues au fil du temps, mais aussi d'adapter notre cadre réglementaire, par exemple pour faciliter l'obtention des permis d'exploitation minière, pour simplifier l'implantation de sites industriels de traitement et de raffinage, ou tout simplement pour encourager les investissements. Et bien sûr, il s'agira de définir des normes écologiques à la fois adaptées et rigoureuses, notamment en matière d'emprise au sol, de gestion des déchets et de l'eau, d'utilisation des intrants chimiques ou encore d'émissions de CO2.

Ce cadre réglementaire sera indispensable pour protéger la biodiversité et assurer l'acceptabilité de ces activités sur notre sol. Néanmoins, nous devrons nous montrer exigeants, mais aussi veiller à ce que ce cadre ne contribue pas, comme c'est trop souvent le cas dans notre pays, à la paralysie, puis à l'abandon pur et simple de chaque nouveau projet.

Mes chers collègues, développer notre capacité à localiser, extraire et raffiner les métaux rares sur notre territoire deviendra demain une exigence d'intérêt général majeure, un impératif auquel nous pourrons de moins en moins nous soustraire, mais un impératif qui, en toute hypothèse, sera loin d'être suffisant.

Soutenir la recherche sur le recyclage des terres rares afin de développer une véritable économie circulaire dans ce domaine devra devenir une autre de nos priorités.

À ce jour, et contrairement au recyclage des métaux classiques, celui des métaux critiques reste balbutiant et se heurte à de nombreux obstacles. Entre procédés de récupération complexes, coûteux et absence quasi totale de filières de collecte et de tri, les pertes sont énormes. Toutes ne sont peut-être pas évitables, mais les marges de progression n'en restent pas moins très fortes.

Il apparaît donc incontournable d'investir aujourd'hui dans l'innovation en matière de retraitement avancé, dans l'écoconception des équipements électroniques ou des véhicules, ou encore dans la structuration de circuits de récupération des équipements, que ce soit pour leur recyclage ou leur réemploi.

Soyons néanmoins conscients qu'il ne sera pas possible d'atteindre une circularité parfaite, dans laquelle les métaux rares qui entreraient dans notre système économique n'en ressortiraient plus, pas plus qu'il ne sera possible d'atteindre une hypothétique autosuffisance minérale, assise sur les seules ressources françaises et européennes.

Dans tous les cas de figure, les importations demeureront un élément essentiel de notre approvisionnement. Dès lors, nous ne parviendrons à sécuriser davantage nos fournitures qu'en diversifiant les pays d'origine de nos importations. La Chine, pourtant dominante dans ce secteur, l'a d'ailleurs bien compris, et a pleinement intégré la question des métaux critiques aux diverses coopérations qu'elle conclut dans le cadre de ses nouvelles routes de la soie.

Madame la ministre, mes chers collègues, dans les années à venir, notre approvisionnement en terres rares conditionnera en bonne partie notre capacité à assurer notre souveraineté, à conforter notre prospérité et à tenir nos engagements climatiques.

Prospection, extraction, raffinage, recyclage : tels sont les piliers de la stratégie que la France et l'Europe doivent bâtir en matière de métaux critiques. Chacun d'entre eux devra être érigé au plus vite. Surtout, aucun ne devra manquer à l'inventaire.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Catherine Dumas, vous avez évoqué l'enjeu que représentent les terres rares, au même titre que la réindustrialisation, pour réduire notre dépendance. Je ne peux que vous rejoindre sur votre constat : il s'agit d'un intérêt national majeur.

Effectivement, les terres rares sont stratégiques, car elles sont essentielles, notamment à la fabrication d'aimants permanents, qui sont utilisés aujourd'hui pour réduire le volume et le poids des moteurs électriques.

Vous avez rappelé la position dominante de la Chine sur ce marché, à des fins géopolitiques. Ainsi, le 21 décembre 2023, Pékin a interdit l'exportation de technologies liées à la fabrication d'aimants à base de terres rares, renforçant son contrôle technologique. Le 4 avril dernier, les autorités chinoises ont instauré des contrôles à l'exportation sur sept produits liés aux terres rares, moyennes et lourdes, exigeant des permis pour l'exportation de formes raffinées et transformées. C'est dire l'importance du sujet !

Vous avez évoqué l'inventaire des ressources dans notre pays. Je puis vous confirmer que le Gouvernement a confié au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) la mise à jour de l'inventaire des ressources minérales du sous-sol français dans cinq zones, de grands massifs où des ressources denses et importantes ont été identifiées.

À l'issue de cette phase d'inventaire et d'acquisition de données, des études d'exploration plus approfondies seront menées par des entreprises minières, dans le cadre de permis exclusifs de recherche, afin de déterminer quels sites pourront éventuellement être exploités.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour la réplique.

Mme Catherine Dumas. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse précise.

Je salue également l'initiative du groupe du RDSE, qui a permis que nous ayons ce débat. Je constate que l'ensemble des groupes de cet hémicycle partage le même constat, c'est très intéressant. Il appartient maintenant au Gouvernement de proposer des solutions ou des débuts de solution, et ce dans un contexte géopolitique bien perturbé.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin.

M. Stéphane Fouassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quand on parle aujourd'hui de transition écologique et énergétique, on pense naturellement à la sortie du pétrole, du charbon, du gaz. Cependant, il ne faut pas oublier qu'en quittant les énergies fossiles, nous risquons de tomber dans une nouvelle forme de dépendance, plus discrète, mais tout aussi stratégique : la dépendance aux matériaux critiques.

Lithium, cobalt, nickel, terres rares : ces métaux sont devenus essentiels à notre quotidien et à notre avenir. Ils alimentent les batteries de nos voitures électriques, nos éoliennes, les cellules de nos panneaux solaires, jusqu'aux composants de nos smartphones. Sans eux, il n'y aura ni transition énergétique, ni révolution numérique, ni industrie verte.

Comme le montre très bien Guillaume Pitron dans son ouvrage La guerre des métaux rares, cette nouvelle dépendance n'est pas sans conséquence. Aujourd'hui, l'écrasante majorité de ces matériaux vient de l'étranger, souvent de pays qui ne partagent pas les mêmes standards environnementaux que la France. C'est particulièrement vrai de la Chine, qui contrôle 97 % de la production mondiale de terres rares.

En clair, nous sortons d'une dépendance aux énergies fossiles pour entrer dans une dépendance aux métaux critiques. Et cette dépendance est à la fois écologique, économique et géopolitique.

Heureusement, l'Europe commence à réagir. Avec la législation européenne sur les matières premières critiques adoptée l'an dernier, nous avons désormais des objectifs clairs pour 2030 : atteindre une capacité d'extraction dans l'Union européenne couvrant au moins 10 % de la consommation annuelle de matières premières stratégiques des vingt-sept États membres ; une capacité de transformation couvrant au moins 40 % et une capacité de recyclage couvrant au moins 25 % de la consommation annuelle.

C'est une avancée importante, mais pour que ces chiffres deviennent réalité, chaque État membre doit s'engager. La France doit prendre toute sa part.

En effet, notre pays a des ressources, comme le souligne le rapport d'information de l'Assemblée nationale publié à la fin 2024 : la France dispose d'un potentiel de matériaux critiques importants, encore largement sous-exploité, notamment dans nos outre-mer. Ce potentiel peut être une chance, à condition d'être bien encadré.

C'est pourquoi il est urgent de renforcer sur plusieurs points notre stratégie nationale en matière de métaux critiques.

D'abord, il faut relancer une production française, responsable et transparente. Il importe de commencer certaines extractions sur notre territoire, en respectant des normes environnementales strictes, en concertation avec les territoires concernés et les citoyens. Il y va de notre souveraineté.

Ensuite, nous devons diversifier nos approvisionnements. Sortir de la dépendance chinoise, c'est aussi renforcer nos alliances avec des pays fiables, partenaires de confiance comme le Canada ou les pays nordiques. L'Union européenne commence à structurer cette diplomatie des ressources. Elle doit être soutenue.

Enfin, il faut miser davantage sur le recyclage. Nos déchets électroniques, nos véhicules hors d'usage, nos batteries usées contiennent des métaux rares. Ce sont des gisements secondaires qu'il faut mieux exploiter. Là encore, la France peut devenir un leader industriel, avec des emplois à la clé.

Madame la ministre, je conclurai par quelques questions simples, mais essentielles.

Quelle est votre vision sur l'avenir de l'exploitation minière en France ?

Quels investissements concrets sont-ils prévus pour améliorer notre capacité de recyclage et pour structurer une véritable filière industrielle autour des matériaux critiques ?

Enfin, comment la France compte-t-elle peser au sein de l'Europe pour faire émerger une stratégie collective ambitieuse et cohérente ?

Nous avons une occasion historique de concilier transition écologique, souveraineté industrielle et responsabilité sociale. Saisissons cette chance !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Stéphane Fouassin, vous avez évoqué un certain nombre de sujets, dont deux sur lesquels je me suis déjà exprimée : la manière dont la France s'inscrit dans la stratégie européenne et l'enjeu du recyclage, dont l'importance est assez largement partagée sur ces travées.

Permettez-moi de décliner de nouveau la stratégie définie par la France en 2022. La délégation interministérielle aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques a été créée sous l'autorité du Premier ministre et d'un certain nombre d'autres ministres, en particulier le ministre de l'économie, pour coordonner l'action des différentes administrations impliquées dans la sécurisation de nos approvisionnements.

Sa mission s'articule autour de quatre axes : l'accélération et le soutien des projets sur l'intégralité de la chaîne de valeur, y compris le recyclage ; l'amélioration de la connaissance des filières des métaux stratégiques, car nous avons encore à apprendre – c'est tout l'enjeu de la recherche – ; le lancement d'un inventaire minier, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler ; l'élaboration d'une feuille de route pour la diplomatie des métaux.

Vous avez également évoqué le rôle des outre-mer. À ce sujet, je rappelle qu'une stratégie de pérennisation de l'activité minière a été mise en place en Guyane. Nous y réaffirmons notre volonté de développer une filière minière en Guyane ; de sortir du « tout or », car il existe d'autres métaux ; de favoriser l'appropriation par les exploitants artisanaux des meilleures pratiques et techniques existantes dans les gisements primaires ; enfin, d'encourager l'installation d'exploitants légaux sur certains sites d'orpaillage, quand ils sont illégaux actuellement.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin, pour la réplique.

M. Stéphane Fouassin. Madame la ministre, je tiens à vous alerter sur l'avance des États-Unis, qui ont déjà demandé l'autorisation d'exploiter les nodules polymétalliques dans les abysses. J'aimerais que la France et l'Europe se positionnent sur ce type d'exploitation avant qu'il ne soit trop tard.

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Michaël Weber. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'approvisionnement en matières premières critiques pose la question de la cohérence de nos ambitions en matière de transition écologique.

Ces ressources, actuellement indispensables pour le développement des énergies renouvelables, sont concentrées entre les mains de quelques acteurs. Cette dépendance nous expose à des mesures de restriction commerciale, que la Chine s'emploie d'ailleurs déjà à utiliser.

Sans nier cette réalité et la nécessité pour l'Europe d'accroître son autonomie stratégique, on peut raisonnablement douter du réel potentiel minier en France, sans doute dérisoire en quantité par rapport à la demande. En France, comme ailleurs, creuser de nouvelles mines de terres rares, c'est détruire à grande échelle des milieux naturels ; c'est déverser dans les sols quantité de produits chimiques polluant l'eau et les nappes phréatiques. C'est enfin exposer les ouvriers et les habitants à de graves dangers sanitaires.

Après épuisement des quelques gisements supposés en Bretagne ou en Guyane, après avoir extrait énormément de roche pour une part infime de terres rares, ou irons-nous chercher ces métaux, sinon dans nos mers et nos océans ?

Sur ce point, la France a pris sur la scène internationale une position courageuse et résolue contre l'exploitation minière des fonds marins, laquelle serait un véritable désastre écologique. Ne revenons pas sur cet engagement qui nous honore.

La stratégie européenne doit donc reposer davantage sur la diversification des fournisseurs, pour éviter tout risque de pression géopolitique. Elle doit promouvoir le recyclage et la transformation de ces matériaux sur le territoire européen, plutôt que l'exploitation d'hypothétiques gisements dont la rentabilité n'est même pas assurée.

La recherche et le développement doivent également nous permettre de limiter notre dépendance à ces métaux pour le déploiement des énergies d'avenir. Ne nous lançons pas corps et âme dans une industrie extrêmement polluante en produisant des stocks pour les besoins d'une technologie qui pourrait, demain, se révéler obsolète.

A fortiori, tout nouveau projet industriel et minier, sur notre territoire ou à l'étranger – à travers nos importations –, doit intégrer nos exigences de durabilité et de respect des droits humains sur toute la chaîne de valeur.

Nous ne pouvons plus ignorer l'agressivité à travers le monde des multinationales extractives, qui, pour satisfaire les besoins des pays les plus riches, dévastent des terres et des forêts, bien souvent au mépris des droits des populations locales et des communautés paysannes, premières victimes de ces mégaprojets miniers.

Contrôler l'impact social et environnemental de notre consommation est le principe même de la directive CRSD sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises et de la loi sur le devoir de vigilance, dont les ambitions sont pourtant aujourd'hui gravement remises en cause. J'aimerais d'ailleurs vous entendre, madame la ministre, sur l'avenir de ces règles européennes de transparence.

En ce qui concerne les terres rares, nous craignons, au contraire, une décision politique hâtive, élevant, par exemple, cette industrie polluante au rang d'activité d'intérêt public majeur, et lui permettant de déroger au droit commun, aux procédures d'enquête publique et d'évaluation environnementale.

Aucun projet d'industrie lourde ne doit se faire sans une réglementation environnementale stricte, sans débat public, et en excluant les populations locales de décisions ayant un impact direct sur leur avenir.

Madame la ministre, comment comptez-vous concilier les enjeux d'autonomie stratégique dans l'approvisionnement des terres rares avec la protection de l'environnement et des populations ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Michaël Weber, vous avez abordé un certain nombre de points et notamment souligné l'importance de la recherche – je ne peux qu'aller dans votre sens –, du recyclage et des enjeux environnementaux.

Le recyclage, je l'ai dit, est une priorité dans le cadre des stratégies française et européenne de sécurisation des approvisionnements en métaux stratégiques.

Parmi les textes européens structurants récemment adoptés sur le sujet, on peut citer le règlement relatif aux batteries, qui fixe des objectifs de collecte, de recyclage et de réintégration des matières premières recyclées dans les batteries, ainsi que des exigences de performance et de durabilité. Je rappelle également que, en France, un plan national de circularité des matières premières critiques est en cours d'élaboration pour renforcer cette dynamique dans les territoires.

En ce qui concerne les enjeux environnementaux, il est important de rappeler que la France dispose d'un droit environnemental et social, qu'il soit européen ou interne, qui est l'un des mieux-disants, pour ne pas dire le mieux-disant.

Par ailleurs, une directive relative aux émissions industrielles prévient et réduit les émissions de polluants provenant des activités industrielles, directive qui a été révisée en 2024 pour intégrer les émissions de polluants issus des mines. Aujourd'hui, un certain nombre de dispositifs et de processus ont été mis en œuvre pour que les mines et les carrières puissent être exploitées. Celles-ci doivent, comme tout projet, obtenir une autorisation environnementale : il s'agit de faire appel aux meilleures techniques, d'optimiser la consommation de l'eau, d'utiliser des technologies moins invasives, d'assurer une réhabilitation des sites exploités selon un plan défini par ailleurs, de réduire les émissions de gaz à effet de serre, et de gérer efficacement et de valoriser les stériles et résidus miniers.

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber, pour la réplique.

M. Michaël Weber. Merci de vos propos, madame la ministre.

Je souscris à votre constat sur l'exemplarité du droit de l'environnement en France. Cela étant, la France a aussi un devoir en la matière au regard notamment de sa puissance sur les océans et les mers.

J'aurais d'ailleurs aimé que vous reveniez plus en détail sur la question de l'exploitation des terres rares en milieu marin, au sujet de laquelle subsiste une véritable inquiétude. Mais nous aurons probablement l'occasion dans les prochaines semaines de reparler de ce sujet, qui est à la fois stratégique et essentiel pour l'image de la France et pour sa contribution à la problématique environnementale.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de remercier le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen pour l'organisation de ce débat sur un sujet très intéressant et qui s'inscrit au cœur de la vie de nos concitoyens. J'ai pu apprécier tout l'intérêt que l'ensemble des intervenants portaient à un certain nombre d'enjeux évoqués cet après-midi.

Lithium, titane, tantale, graphite, germanium, béryllium : les métaux et minéraux sont présents dans tous les objets du quotidien, de nos réveils à nos véhicules, en passant bien sûr par nos téléphones portables. Ils sont indispensables à notre travail, à nos loisirs, à notre défense et à la transition écologique et numérique, pour le dire autrement, à notre avenir.

Plusieurs éléments essentiels ont déjà été mis en évidence. En réponse à vos questions, je tiens pour ma part à exposer les grandes lignes de la feuille de route du Gouvernement concernant cet enjeu majeur.

Parmi les dernières actualités, la volonté des États-Unis d'annexer le Groenland, l'accord entre l'Ukraine et les États-Unis, et les restrictions chinoises sur les exportations de certains minerais démontrent le caractère stratégique de l'accès aux terres rares et aux matériaux critiques.

En réalité, ces ressources sont non pas des biens de consommation comme les autres, mais des leviers géopolitiques pour ceux qui les contrôlent. Dès lors, ce qui est en jeu, c'est notre souveraineté, un terme qui a beaucoup été employé lors de ce débat.

La garantie de notre approvisionnement en métaux stratégiques est la condition de notre souveraineté industrielle, énergétique et numérique. J'irai même plus loin : elle est cruciale pour la survie de notre industrie et de nos emplois.

Pour mettre en œuvre cette priorité, le Gouvernement déploie une stratégie qui s'articule autour de quatre grands objectifs.

Le premier d'entre eux consiste à mieux connaître les ressources. C'est dans cet esprit qu'en 2023 le Président de la République a commandé au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) un nouvel inventaire national des ressources minérales, outil indispensable pour poursuivre et adapter l'exploration scientifique de notre sous-sol.

Notre deuxième objectif est de relancer l'exploitation. Aujourd'hui, comme vous le savez, une seule mine est encore en exploitation dans notre pays, la mine de sel de Varangéville, en Meurthe-et-Moselle. C'est pourquoi l'État soutient le projet d'ouverture d'une mine de lithium dans l'Allier ; il accompagne par ailleurs certaines activités d'exploitation en outre-mer, et ce avec discernement. Plusieurs orateurs ont évoqué la Guyane : j'ai eu l'occasion de leur répondre au cours de nos échanges.

Le troisième objectif est de compléter nos approvisionnements via des partenariats stratégiques. La France a déjà signé une quinzaine d'accords avec des États partenaires dans le cadre d'une diplomatie des métaux active et volontariste. Ces partenariats se traduisent par le soutien gouvernemental à des activités économiques à l'étranger. Je pense à l'Indonésie, où l'entreprise française Eramet exploite la première mine de nickel au monde et en extrait 30 millions de tonnes par an. Je pense aussi à l'Argentine ou encore au Kazakhstan.

Enfin, notre quatrième objectif est de réindustrialiser notre pays. L'approvisionnement en métaux stratégiques n'a de sens que pour répondre aux besoins de nos filières industrielles en aval. Extraire des métaux sans les raffiner, ni les transformer, ni produire les batteries ou aimants permanents n'a que peu d'intérêt.

Pour répondre à cette ambition industrielle, nous devons attirer des investissements. C'est ce que nous faisons avec la société Carester, qui raffinera 10 % de la demande mondiale en terres rares en 2030, mais aussi avec la start-up MagREEsource qui produira des aimants permanents, ou encore avec la co-entreprise entre XTC et Orano spécialisée dans les poudres pour batteries.

Nous devons aussi mieux identifier nos facteurs de dépendance dans les filières stratégiques, à commencer par le secteur de la défense : c'est la mission confiée à l'Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi).

Comme beaucoup d'entre vous l'ont souligné, réindustrialiser, c'est aussi recycler. Les producteurs ont déjà la responsabilité de financer la collecte et le recyclage de leurs déchets via les filières à responsabilité élargie du producteur (REP). Nous devons faire en sorte de recycler sur notre sol : c'est fondamental pour l'environnement et pour notre souveraineté.

Au-delà de cette stratégie, il nous faut penser et agir à l'échelon européen, car nous avons besoin de l'Europe, d'une Europe puissante pour agir sur ces différents sujets.

M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj, pour le groupe auteur de la demande.

M. Ahmed Laouedj, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Madame la ministre, je tiens tout d'abord à vous remercier, au nom de notre collègue Maryse Carrère, présidente du groupe du RDSE, pour cet échange fructueux et l'ensemble des réponses que vous avez apportées.

La crise de la covid-19 comme la guerre en Ukraine nous ont permis de prendre conscience de nos multiples dépendances, que ce soit à l'égard des ressources naturelles, des biens ou des services.

Notre perception de la mondialisation a ainsi évolué à marche forcée. Elle s'en est trouvée bouleversée : alors que la main invisible des marchés devait nous garantir un accès sans entrave aux ressources, la voici perçue comme génératrice de dépendances économiques et de fragilités stratégiques.

L'accès aux métaux rares constitue, dans une société qui cherche à réaliser sa transition écologique et numérique, un vecteur d'indépendance et de souveraineté, catalyseur de l'évolution des équilibres diplomatiques. Aussi chamboulera-t-il les rapports de force entre États.

Si la transition énergétique possède une face cachée, plus sombre, à savoir le coût environnemental lié à l'extraction de ces métaux, il ne faut pas se tromper de combat ni de cible : cette transition doit être non pas bridée, mais renforcée. Ses effets négatifs doivent en outre être atténués grâce à un renouveau puissant et responsable du secteur extractif.

Ce renouveau nous contraint néanmoins à relever plusieurs défis et autant de paradoxes. Les risques environnementaux intrinsèquement liés à toute activité minière nous obligent, nous, responsables politiques, à prendre position sur des sujets polémiques tels que la relocalisation d'une partie de la production de ces métaux rares en France ou l'extraction de nodules polymétalliques du fond des océans.

Il pourrait également nous obliger à relever un défi démocratique. Faire coïncider démocratie et écologie risque d'être compliqué, alors que de nombreux projets de réouverture de mines de métaux rares pourraient être bloqués à la suite de mobilisations citoyennes. La réouverture de mines en France et sur l'ensemble du continent européen est une question qui change fondamentalement la nature du débat. Nous ne pourrons plus indéfiniment nous défausser sur Pékin et les autres pays miniers.

C'est pourquoi le coût écologique de l'extraction des métaux rares implique aussi une modification de nos modes de consommation. Il nous invite à davantage de sobriété et d'efficacité énergétiques et appelle l'avènement d'une économie circulaire, qui tarde pourtant à se concrétiser.

Face à ces constats et aux paradoxes inhérents à l'utilisation des métaux rares, il est clair qu'il n'y aura pas de solution miracle, mais plutôt des choix stratégiques à opérer.

La relance de notre propre activité extractive nous met face à nos propres responsabilités. Notre modèle de développement recèle d'innombrables contradictions : entre les rêves d'un monde plus vert et la matérialité d'une société plus technologique, il nous faudra, d'une quelconque manière, payer l'addition. Qu'elle prenne la forme d'une dépendance accrue aux pays miniers, et, donc, d'une perte d'indépendance stratégique, économique et numérique, ou celle d'un renouveau minier sur nos territoires, notre transition énergétique a un coût.

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Terres rares et matériaux critiques : quel potentiel dans les territoires français et quelle stratégie pour renforcer notre approvisionnement ? ».

Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

6

Quelle politique de protection et d'accompagnement des élèves dans les établissements scolaires, avec quelles modalités de contrôle ?

Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : « Quelle politique de protection et d'accompagnement des élèves dans les établissements scolaires, avec quelles modalités de contrôle ? ».

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Madame la ministre d'État, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.

Dans le débat, la parole est à Mme Colombe Brossel, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme Colombe Brossel, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, Notre-Dame du Sacré-Cœur à Dax, Notre-Dame de Garaison, Saint-Pierre au Relecq-Kerhuon, Saint-Dominique à Neuilly-sur-Seine, Notre-Dame de Bétharram bien sûr, mais aussi Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur à Angers, Saint-François-Xavier à Ustaritz, ou encore Riaumont à Liévin : autant de noms qui résonnent à nos oreilles comme autant de résurgences d'un passé lointain, mais dont l'actualité nous rappelle que les raisons pour lesquelles ces établissements remplissent encore les colonnes de nos journaux demeurent.

Dans le Sud-Ouest, en Île-de-France, en Loire-Atlantique, en Bretagne, des collectifs ont vu le jour et se sont organisés pour structurer la parole et porter la voix des victimes de violences, qu'elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles, dans des établissements d'enseignement.

Dans le cadre de ce débat organisé sur l'initiative du groupe socialiste, mes collègues et moi-même souhaitons poser la question de la protection des enfants, de tous les enfants, à travers celle des contrôles des établissements scolaires privés sous contrat et hors contrat.

Incontestablement, l'État a failli durant des années. Les espaces au sein desquels les violences s'exercent sont nombreux et ne se limitent pas aux écoles. Je pense notamment au champ du soin et à celui de la médecine. À cet égard, le procès de Joël Le Scouarnec et ses horribles récits d'audience révèlent l'absence de réforme structurelle visant à éviter que de tels drames se reproduisent. Tel est le sens de l'initiative du collectif des victimes de l'ancien chirurgien, qui ont saisi, le 19 mai dernier, vos collègues chargés de la justice et de la santé, madame la ministre d'État, afin de réclamer la mise en place d'une commission interministérielle. Comme pour les établissements scolaires, les témoignages des victimes mettent en évidence une longue chaîne de défaillances collectives.

Dans le champ de l'éducation comme dans celui de la santé, tout est affaire de volonté politique, car l'État peut agir. Encore faut-il qu'il le veuille et qu'il s'en donne les moyens. Nous avons ainsi été nombreux à déplorer l'absence de nomination d'une ou d'un ministre chargé de l'enfance et de la protection de l'enfance. Certes, la récente nomination d'un haut-commissaire à l'enfance a été actée, mais elle apparaît comme une réponse « sparadrap » dans le contexte que nous connaissons et que je viens tout juste de décrire.

Il y a un an et demi, les socialistes posaient déjà la question du contrôle des établissements privés sous contrat. À l'époque, votre prédécesseure annonçait le recrutement de soixante inspecteurs supplémentaires pour effectuer les contrôles.

Il aura fallu la mise en place d'une commission d'enquête à l'Assemblée nationale pour découvrir qu'il s'agissait en réalité de trente équivalents temps plein (ETP) en 2025 et de trente autres ETP en 2026, dont vingt pour le premier degré et dix pour le second degré. (Mme la ministre d'État manifeste son désaccord.) L'effort est bien insuffisant compte tenu des besoins, d'autant que le corps des inspecteurs n'échappe pas au déficit d'attractivité commun à tous les corps de l'éducation nationale – on dénombre en effet soixante postes vacants à ce jour.

En tant que puissance régulatrice, l'État doit agir. C'est la raison pour laquelle les sénateurs socialistes ont encore une fois fait preuve d'esprit d'initiative : ils ont déposé une proposition de loi pour faire évoluer le cadre législatif et encadrer l'accueil des élèves dans les établissements d'enseignement privé. L'objectif est de garantir le respect de certaines exigences en matière de pédagogie, de sécurité, ou encore de salubrité, sans oublier la nécessaire lutte contre de potentiels conflits d'intérêts.

Je souhaite revenir brièvement sur les trois axes autour desquels s'articule cette proposition de loi, des axes qui reflètent les priorités que nous, socialistes, souhaitons verser au débat, et ce au profit de la seule protection de l'enfance, de la seule protection de tous les enfants de notre pays.

Tout d'abord, nous proposons de conditionner l'ouverture des établissements d'enseignement privés hors contrat, actuellement soumise à une simple déclaration, à un régime d'autorisation. Il s'agit d'empêcher l'ouverture d'établissements qui ne respecteraient pas certains critères relatifs au bien-être des élèves. À titre d'exemple, un établissement scolaire peut aujourd'hui être autorisé à ouvrir, même s'il ne dispose pas de cour de récréation, et ce malgré l'opposition des élus locaux face à une atteinte manifeste au bien-être des élèves. Cela ne doit plus être possible.

Ensuite, il s'agit de renforcer le contrôle annuel des établissements privés, en précisant la portée de celui-ci, à savoir l'évaluation des conditions matérielles d'accueil des élèves. De même, les personnels de direction, les enseignants, les agents d'entretien, qu'ils soient agents publics ou salariés de droit privé, doivent être soumis à un contrôle d'honorabilité avant d'être mis en contact avec des enfants, comme cela est prévu dans le domaine du sport depuis le vote de la proposition de loi de notre collègue Sébastien Pla, un texte désormais devenu loi, mais pour lequel un décret d'application est toujours attendu un an après son adoption. Qu'est-ce qui peut bien justifier un tel retard sur ce sujet majeur ?

Par ailleurs, les sénateurs socialistes proposent d'inscrire dans la loi l'obligation pour tout membre du personnel d'un établissement scolaire, qu'il soit enseignant ou non, de saisir l'autorité académique lorsqu'il a été témoin d'un fait ou d'un comportement déplacé envers un élève. En contrepartie, et afin d'éviter tout effet boomerang, cette saisine entraînera de facto la protection dudit membre du personnel en tant que lanceur d'alerte.

Enfin, parce que nous sommes soucieux d'être cohérents, nous proposons de rendre publics l'origine, le montant et la nature des ressources attribuées aux établissements d'enseignement privés, comme nous le suggérions déjà à l'occasion de nos débats sur la proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d'enseignement – beaucoup d'entre vous s'en souviennent sans doute.

Mme Colombe Brossel. À l'heure où l'exigence de transparence est forte, notamment pour ce qui est de l'utilisation de l'argent public, nous réitérons notre attachement à une telle mesure. Celle-ci est d'autant plus importante et pertinente que l'opacité qu'il nous a été donné maintes fois de constater empêche malheureusement de prévenir d'éventuels conflits d'intérêts.

Mes collègues Yan Chantrel et David Ros reviendront largement sur l'état d'esprit et le sens des responsabilités qui animent le groupe socialiste s'agissant de l'efficacité et de l'amélioration des contrôles dans les établissements scolaires.

Je terminerai mon propos introductif en exposant les raisons pour lesquelles nous avons tenu à proposer ce débat de contrôle. Nous l'avons demandé, dans le cadre de nos prérogatives de contrôle de l'action du Gouvernement, afin de permettre l'expression du Sénat sur un sujet essentiel.

Nous réclamons depuis longtemps que, à l'instar de l'Assemblée nationale, le Sénat se dote d'une délégation aux droits des enfants. Nous avons demandé la création d'une commission d'enquête sur les violences dans les établissements scolaires. Savez-vous qu'au sein de notre commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport nous n'avons pas eu le moindre débat, la moindre audition en lien avec des scandales qui font pourtant la une de la presse tous les jours, partout sur le territoire ?

Mes chers collègues, je suis très sincèrement convaincue que la protection des enfants est une cause dont l'importance implique que nous dépassions nos divergences politiques. J'espère qu'elle saura nous rassembler et nous permettra d'être à la hauteur des enjeux.

C'est cette cause que je vous appelle à soutenir collectivement. Nous, sénatrices et sénateurs socialistes, ne nous déroberons pas à ce débat et y participerons à chaque fois que nous en aurons la possibilité, de sorte que la protection de tous les enfants devienne effective. Les enfants le méritent ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, je tiens à vous rassurer : non seulement les contrôles vont changer de dimension, si je puis dire, ou plutôt de périmètre, mais leur nombre va aussi augmenter – j'aurai probablement l'occasion d'y revenir lors de notre débat. C'était déjà le cas dans les établissements privés hors contrat et tel est désormais également le cas dans les établissements privés sous contrat.

Peut-être aurai-je l'occasion d'y revenir aussi, mais le Conseil d'État a récemment rendu un avis favorable sur un décret que j'ai signé et qui oblige les établissements privés sous contrat à remonter les faits de violence. À cette occasion, il a validé l'interprétation qui était la mienne, à savoir qu'aucun établissement ne peut contester le droit de l'État de contrôler l'absence de maltraitances et de violences au sein d'un établissement.

Nous y mettons les moyens : au total, 200 postes d'inspecteurs seront créés en quatre ans, des effectifs supplémentaires qui viendront épauler les 3 500 inspecteurs qui exercent aujourd'hui. Je souhaite que ces contrôles puissent se faire avec d'autres personnels de l'éducation nationale, notamment les personnels de santé et les personnels sociaux, afin qu'un regard à 360 degrés puisse être porté sur la situation au sein des établissements.

Naturellement, nous aurons également besoin du soutien des services fiscaux – vous avez mentionné la question de l'origine des ressources des établissements –, ainsi que des services des préfectures pour traiter d'autres aspects du sujet. C'est véritablement la mobilisation de tous les agents de l'État qui nous permettra de garantir des contrôles suffisants, tant en quantité qu'en qualité, dans les établissements qui accueillent nos enfants.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Ahmed Laouedj.

M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, que nous disent les lycéens contraints de s'agenouiller à Mantes-la-Jolie en 2018, les révélations accablantes sur les violences à Notre-Dame de Bétharram, ou encore les dérives sexistes et homophobes signalées au sein de l'institution Stanislas ? Une chose, une seule : que notre système de contrôle ne fonctionne pas, ou du moins, pas là où il le devrait, et, surtout, pas quand il le faudrait !

Au nom du groupe du RDSE, je salue l'initiative prise par le groupe socialiste d'organiser ce débat, car protéger les élèves, c'est défendre l'essence même de l'école républicaine.

Notre droit est clair. L'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) impose la primauté de l'intérêt supérieur de celui-ci. L'article L.111-1 du code de l'éducation garantit à chaque élève un environnement scolaire sûr.

Mais la réalité est tout autre. L'affaire Bétharram est non pas un cas isolé, mais le révélateur d'un système bâti sur des silences et des lâchetés accumulés. Plus de deux cents anciens élèves ont témoigné de violences physiques, psychologiques ou sexuelles. Il est question de faits connus, tus, parfois couverts, et ce pendant des décennies. Oui, c'est une tragédie humaine !

Il s'agit aussi d'un échec politique. Quand l'État signe un contrat avec un établissement, il en garantit le cadre. Et quand ce cadre devient toxique, l'État est comptable de ce qu'il a laissé faire. Le droit existe, les outils aussi, mais que valent-ils en l'absence de volonté de les appliquer ? Un tel cadre est le terreau idéal d'éventuelles dérives et de possibles abus, en somme de l'impunité.

C'est particulièrement vrai pour l'enseignement privé sous contrat, qui accueille 17 % des élèves en France et perçoit plus de 8 milliards d'euros de fonds publics par an. Ce soutien massif ne s'accompagne en effet d'aucun dispositif de contrôle cohérent, homogène ou contraignant. Beaucoup de nos collègues parlementaires, de droite comme de gauche, dressent le constat de l'opacité du suivi financier, de la rareté des inspections inopinées et de l'absence de critères unifiés pour évaluer les conditions de scolarisation.

Madame la ministre, ces manquements ne relèvent pas d'un vide juridique. Comment justifier, dans un système aussi largement subventionné, l'absence de doctrine claire et de critères objectifs pour garantir la sécurité des élèves ?

Les récents travaux de l'Assemblée nationale ont en outre mis en évidence l'existence d'un traitement différencié selon la confession ou l'ancrage historique des établissements. Ce débat est non pas un procès du privé, mais un appel à la cohérence. Nous ne pouvons accepter une telle asymétrie de traitement.

Ainsi, le lycée Averroès, établissement privé musulman sous contrat, situé à Lille, a été inspecté quatorze fois, quand Notre-Dame de Bétharram, établissement catholique sous contrat, lieu de maltraitances durant plusieurs décennies, n'a pas été inspecté une seule fois depuis 1996. Est-ce cela la neutralité républicaine ? Est-ce cela l'égalité devant la loi ? Ce décalage est inacceptable : il crée un sentiment d'injustice, un ressentiment durable, et fragilise la légitimité même de nos institutions.

Dans une République, le droit ne s'applique pas à la carte. L'État doit être impartial, l'école doit être exemplaire, et l'inspection doit être égale pour tous. Je le dis sans détour, madame la ministre d'État : ce que l'on exige d'Averroès, il faut l'exiger de Stanislas. Ce que l'on vérifie à Grigny, il faut le vérifier à Neuilly. Et ce que l'on ne tolère nulle part, il ne faut pas l'accepter ici ou là.

La protection des élèves ne se négocie pas au nom d'un statut, d'une réputation ou d'une couleur politique. L'argent public ne peut pas financer l'opacité.

Nous avons besoin d'inspecteurs formés en nombre, de contrôles inopinés, de sanctions réelles en cas de manquement, et d'une coordination étroite avec les services de la protection de l'enfance. Quand une école ne protège pas, elle expose… C'est pourquoi je propose que chaque établissement sous contrat fasse l'objet d'un bilan annuel de conformité, qui reposerait sur des critères liés à la sécurité, l'inclusion, la transparence et la formation des équipes, et dont le respect conditionnerait le versement des financements publics.

La République n'a pas à subventionner des lieux qui bafouent ses principes. Les élèves sont non pas des colonnes budgétaires, mais des individus à protéger. L'école n'est pas un sanctuaire où règne l'impunité, c'est un lieu d'émancipation où dominent la confiance et le droit.

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, vous venez d'affirmer que notre système de contrôle ne fonctionnait pas. Au-delà des quelques amalgames que j'ai identifiés dans votre propos, force est de constater que, depuis des décennies, il existe des failles que j'ai décidé de corriger.

Je viens de le dire, j'ai fait évoluer le périmètre des contrôles des établissements privés : étaient contrôlés jusqu'à présent les aspects financiers, administratifs et pédagogiques de ces établissements ; désormais, les contrôles porteront également sur le climat scolaire et viseront à s'assurer qu'aucun élève ne fait l'objet de maltraitances. Plus aucun fait de violence ne doit se produire.

J'ajoute qu'au sein des établissements la parole des élèves doit se libérer et être écoutée. C'est pourquoi j'ai décidé qu'un questionnaire serait systématiquement soumis à tout élève inscrit en internat ou revenant d'un voyage scolaire avec nuitées. À la moindre alerte, des entretiens avec des professionnels sociaux ou de santé ou des psychologues seront organisés. Ces questionnaires font actuellement l'objet d'une expérimentation et seront généralisés à la rentrée prochaine.

En ce qui concerne les contrôles, il y en avait moins de dix par an dans les établissements privés sous contrat ces dernières années. Pour l'année 2025, 1 000 sont programmés, dont 500 ont été menés ou sont en cours.

Je vous confirme que les contrôles peuvent être inopinés. Par ailleurs, ils doivent être suivis, ce qui signifie que les recommandations ou les mises en demeure formulées à la suite des inspections font l'objet d'un contrôle rigoureux.

Oui, l'État doit contrôler ce qui se passe dans les établissements privés. Non, il n'y a pas deux poids, deux mesures.

Ainsi, au cours de l'année scolaire 2023-2024, neuf établissements ont été fermés à la suite d'un contrôle, dont deux établissements musulmans. Au cours de l'année scolaire 2024-2025, à ce stade, quatre établissements ont été fermés, dont deux établissements catholiques.

Je peux vous garantir que les établissements font aujourd'hui l'objet d'un traitement équitable.

M. le président. La parole est à M. Jean Hingray.

M. Jean Hingray. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier les membres du groupe socialiste de l'organisation de ce débat.

Nous avons déjà traité de ces importantes questions en commission. Sachant combien votre temps est précieux, j'irai droit au but, madame la ministre, d'autant que – j'en suis sûr – tous les aspects du sujet seront abordés au cours de notre discussion.

Quelles actions concrètes comptez-vous mettre en œuvre au titre de la prévention, madame la ministre ?

En la matière, quels que soient les problèmes constatés – je pense notamment à certains dossiers ouverts dans mon département –, vous ne mettez jamais la poussière sous le tapis : je tiens à vous en remercier, en mon nom personnel et au nom de mes collègues du groupe Union Centriste.

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, l'école de la République doit bien sûr être préservée de toute forme de violence. Chaque incident susceptible de nuire à la sérénité des apprentissages, ainsi qu'à la sécurité des élèves, des personnels ou des enceintes scolaires appelle donc une réponse ferme et immédiate.

Si cette réponse est indispensable, il importe également que nous agissions à titre préventif, en mobilisant toute la communauté éducative – élèves, parents et personnels.

L'effort de prévention s'étend à de multiples chantiers, parmi lesquels la prévention de l'addiction aux écrans, dont on connaît les nombreuses conséquences. Je pense notamment au cyberharcèlement et à la banalisation de la violence au travers des réseaux sociaux. Dans cet esprit, dès la rentrée prochaine, nous généraliserons la pause numérique dans les collèges.

J'ai également décidé que les espaces numériques de travail (ENT) et les logiciels de vie scolaire, plus communément connus sous le nom de Pronote, ne seraient plus mis à jour le soir et les week-ends. En outre, ma collègue Clara Chappaz et moi-même avons engagé un travail pour interdire l'accès des réseaux sociaux aux moins de 15 ans.

En parallèle, le nouveau programme d'enseignement moral et civique (EMC), publié en juin 2024, vise à renforcer la transmission des valeurs et principes de la République tout en développant la culture juridique et institutionnelle des élèves. Ce programme comprend les questions d'éducation aux droits, de sécurité et de sûreté. Au total, dix-huit heures annuelles doivent être consacrées à des projets d'éducation à la citoyenneté.

S'y ajoutent certains dispositifs, notamment des concours, dont on ne saurait sous-estimer l'importance : quand des élèves mènent un travail en vue d'obtenir le prix « Non au harcèlement » ou le prix Ilan-Halimi, on voit qu'ils donnent davantage de sens à leurs apprentissages.

L'effort de prévention passe aussi par le renforcement des compétences psychosociales. Je pense notamment aux cours d'empathie (M. Jean Hingray acquiesce.), ainsi qu'aux dix heures annuellement consacrées à la prévention du harcèlement.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article L. 442-1 du code de l'éducation, dans sa rédaction issue de la loi dite Debré, prévoit que l'établissement privé sous contrat, « tout en conservant son caractère propre », doit dispenser ses enseignements « dans le respect total de la liberté de conscience ».

L'article L. 442-5 du même code ajoute que les établissements privés sous contrat dispensent « un enseignement conforme aux programmes de l'enseignement public ».

La loi garantit ainsi aux élèves des établissements privés, comme à ceux des établissements publics, une « totale liberté de conscience ».

C'est précisément l'enjeu du débat organisé sur l'initiative de nos collègues du groupe socialiste – et je les en remercie – que de déterminer comment cette garantie est effectivement mise en œuvre aujourd'hui.

Suivant une jurisprudence constante, le Conseil d'État rappelle que le « caractère propre » ne saurait justifier une dérogation aux programmes ou aux règles de fonctionnement prévus par le contrat passé avec l'État. La même jurisprudence a établi que ce caractère propre ne saurait permettre à un établissement de s'affranchir des principes fondamentaux du service public de l'enseignement.

Or il est récemment apparu, à plusieurs reprises, que les notions de « caractère propre » et de liberté de conscience pouvaient entrer, sinon en tension, du moins en concurrence. Des rapports d'inspection ont en effet révélé que certaines célébrations religieuses n'étaient ni facultatives ni organisées en dehors du temps scolaire.

Madame la ministre, vos services l'ont rappelé à juste titre : l'instruction religieuse doit rester facultative et un enseignement de « culture religieuse » centré sur une seule religion doit être considéré comme confessionnel, donc facultatif.

Cette interprétation est toutefois contestée par certaines directions de l'enseignement catholique. Le directeur diocésain de l'enseignement catholique de Paris estime ainsi qu'il convient de « sortir du raisonnement biaisé entre obligatoire et facultatif ». Il affirme que, « quand on parle de spiritualité, cela n'a pas de sens de dire qu'une messe est obligatoire ».

M. Philippe Delorme, ancien secrétaire général de l'enseignement catholique, est allé plus loin en déclarant que « le caractère propre de chaque établissement, qui correspond à un projet enraciné dans l'Évangile », doit se traduire « dans tous les domaines ».

Pourriez-vous nous préciser la doctrine de votre ministère quant à la portée et aux limites du « caractère propre » des établissements sous contrat ?

Plus largement, je m'interroge sur l'absence d'application dans l'enseignement privé sous contrat de la loi de 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles, alors même que la laïcité est l'un des principes cardinaux du service public de l'enseignement.

C'est pour mettre un terme à cette situation que j'ai déposé cette semaine une proposition de loi. Chers collègues, ayant suivi avec attention vos débats relatifs au port du voile, je pense que, par souci de cohérence, vous pourriez en être cosignataires. En tout cas, je mets ce texte à votre disposition. (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Enfin, l'article 2 de la loi de 1905 précise que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». L'État ne saurait donc financer des activités ou des enseignements religieux. Je souhaiterais obtenir la confirmation que les subventions publiques ne peuvent porter que sur l'entretien des locaux, et ce à proportion de leur utilisation pour les enseignements dispensés dans le cadre du contrat avec l'État.

En ce qui concerne les subventions versées par les collectivités territoriales, l'article L. 151-4 du code de l'éducation précise : « Les établissements d'enseignement général du second degré privés peuvent obtenir des communes, des départements, des régions ou de l'État des locaux et une subvention, sans que cette subvention puisse excéder le dixième des dépenses annuelles de l'établissement. » Cette fraction est-elle calculée sur la totalité du budget de l'établissement ou sur les seules dépenses pouvant légalement être subventionnées par la puissance publique ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, il est important de bien clarifier ce que recouvre la notion de caractère propre.

La loi Debré se fonde sur le principe constitutionnel de liberté de l'enseignement en reconnaissant la possibilité, pour les établissements, d'avoir un « caractère propre ». Il s'agit là des valeurs de base auxquels ces derniers entendent se référer dans l'action éducative qu'ils se proposent de conduire.

La reconnaissance du caractère propre implique, pour le chef d'établissement, une certaine liberté d'organisation de la vie scolaire, étant entendu que les enseignements, relevant, eux, du contrat, doivent respecter strictement les programmes définis par le ministère.

Je vous le confirme : si, au cours d'un contrôle, il apparaissait que l'instruction religieuse était dispensée à titre obligatoire, l'établissement concerné ferait l'objet d'une mise en demeure. L'instruction religieuse ne peut pas être obligatoire dans un établissement privé sous contrat.

Vous le savez, les enseignants de ces établissements sont employés et rémunérés par l'État. Ils sont soumis aux mêmes règles que leurs collègues de l'enseignement public.

Historiquement, et jusqu'à une époque récente, conformément à la doctrine de l'administration, on considérait que l'État n'avait pas à s'immiscer dans la vie scolaire . Or, à mes yeux, il est important que l'on puisse contrôler l'absence de maltraitances ou de violences dans un établissement, et tel est désormais le cas.

En résumé, les établissements privés sous contrat respectent le cadre fixé par la Constitution. La liberté de conscience ne saurait être entravée et, dans la mise en œuvre de notre plan de contrôle, nous veillons à ce qu'elle soit garantie. Les enseignements religieux doivent être facultatifs. Le port de signes religieux ou la participation à des événements religieux ne peuvent pas être imposés.

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. Enfin, les programmes doivent être mis en œuvre en intégralité.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, je tiens à vous remercier de cette réponse très claire : tout ce qui est sous contrat est soumis au contrôle de la puissance publique. Dans les établissements privés sous contrat, on ne peut imposer ni le port de signes religieux ni la participation à des événements religieux. Cette mise au point est tout à fait bienvenue.

J'aurais souhaité que l'on précise également les règles de subventionnement. Aujourd'hui, on peine à savoir si tout ou partie des budgets sont subventionnés ; mais je solliciterai sans doute ces éléments par écrits.

Quoi qu'il en soit, cela fait plusieurs années que je demande au ministère de préciser la notion de caractère propre : c'est la première fois que j'obtiens une réponse claire et je vous en remercie de nouveau.

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier mes collègues du groupe socialiste d'avoir choisi d'aborder ce thème.

Depuis plus d'un an, les témoignages s'accumulent, que ce soit devant les tribunaux ou dans la presse, pour dénoncer les faits de violence et les manquements commis par divers établissements privés sous contrat dans leur mission de protection des élèves qui leur sont confiés.

Madame la ministre, ces faits ne sont pas uniquement des histoires anciennes brandies pour fragiliser un Premier ministre ; et ils dépassent, hélas ! les frontières des Pyrénées-Atlantiques. Certains d'entre eux sont même tout à fait récents, comme à Stanislas, où une enquête avait été diligentée par votre prédécesseur Pap Ndiaye.

Nous avons aujourd'hui la preuve que, dans certains de ces établissements, des élèves sont exposés à des propos homophobes, sexistes et anti-avortement. Leur liberté de conscience n'est pas respectée. Les accusations de violences physiques, sexuelles et psychiques se multiplient.

Nous avons également la preuve que les contrôles restent insuffisants et peu définis, faute d'une législation suffisamment précise.

J'ai interrogé, en mars 2024, l'ancienne rectrice de l'académie de Bordeaux au sujet des violences avérées à Bétharram. Mon interlocutrice s'est défendue en expliquant avoir appliqué le cadre légal. Ce dernier n'impose pas le contrôle des personnels non enseignants, sur lesquels portent aujourd'hui l'essentiel des plaintes : ce soin est laissé au syndicat général de l'enseignement catholique (SGEC), qui est visiblement défaillant.

En parallèle, les inspecteurs chargés du rapport relatif à Stanislas ont publiquement dénoncé l'atténuation de leurs conclusions. Tous les éléments pointant un climat homophobe, sexiste et autoritaire ont disparu de la version transmise au ministère. Dès lors, on ne peut que s'interroger sur la fiabilité des informations communiquées.

Mes questions sont très simples. Vous avez rapidement pris la décision de renforcer les moyens humains alloués au contrôle ; mais qu'en est-il de son périmètre ? De quelle nature seront les contrôles mis en œuvre ? Qu'en est-il de la publicité des rapports d'inspection ? Pensez-vous que tout a été fait en matière législative pour protéger les élèves des établissements privés sous contrat ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer, jusqu'à présent, les contrôles dont font l'objet les établissements privés sous contrat portaient sur les financements.

Monsieur le sénateur Ouzoulias, nous aurons l'occasion d'y revenir plus longuement : le travail mené à ce titre implique également la vérification de la comptabilité analytique. On ne saurait confondre ce qui relève du contrat et ce qui n'en relève pas. (M. Pierre Ouzoulias acquiesce.)

La conformité administrative, la pédagogie appliquée et, désormais, la vie scolaire entrent dans le périmètre de ces contrôles.

M. Pierre Ouzoulias. C'est un changement majeur !

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. Je me réjouis que le Conseil d'État ait validé cette interprétation.

Bien entendu, quel que soit l'accueil collectif où ils se trouvent, les élèves doivent être protégés contre toute forme de violence, que les faits se produisent entre eux ou qu'ils soient commis par des adultes.

Je peux vous assurer que des instructions très claires ont été fournies à tous les rectorats quant au périmètre devant faire l'objet de contrôles.

Madame la sénatrice, vous m'interrogez également au sujet de la transmission des rapports d'inspection. À la suite d'un contrôle ou d'une enquête administrative, le rapport n'est a priori pas public – c'est la pratique. Le chef d'établissement reçoit un courrier qui précise les recommandations ou les mises en demeure faisant suite au contrôle. Ce courrier est le seul document présentant une valeur juridique.

Le fait qu'un rapport ait pu être modifié a suscité beaucoup de confusion. Mais, j'y insiste, il n'y a qu'une seule chose qui vaille à la suite d'un contrôle ou d'une inspection : le courrier adressé au chef d'établissement. D'ailleurs, pour éviter toute confusion, j'ai demandé à l'inspection générale de l'éducation nationale d'adresser de simples lettres de transmission, les synthèses figurant désormais dans le rapport.

Il faut que les choses soient bien claires ; que les recommandations, voire les mises en demeure, soient parfaitement identifiées dans les rapports, puis fassent l'objet d'un suivi.

Vous avez évoqué le cas de Stanislas : un contrôle de la mise en œuvre des recommandations émises a été effectué aujourd'hui même.

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour la réplique.

Mme Monique de Marco. Madame la ministre, je vous remercie de vos réponses très claires.

À présent, peut-être faut-il faire évoluer le cadre législatif : je suis à votre disposition pour engager cette réflexion, avec, j'en suis certaine, mes collègues de la commission.

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. Yan Chantrel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si les élus du groupe socialiste ont proposé ce débat sur les politiques de protection des élèves dans les établissements scolaires, notamment du privé, et sur les modalités de contrôle de la mise en œuvre de ces politiques, c'est parce que l'actualité souligne l'urgente nécessité d'une telle discussion dans notre hémicycle.

L'affaire Notre-Dame de Bétharram a agi comme un électrochoc. Plus de 200 anciens élèves de cet établissement ont porté plainte pour des faits de violences physiques, psychologiques et sexuelles s'étalant sur plusieurs décennies.

Cette actualité intolérable touche toutes les Françaises et tous les Français dans leur chair, qu'elle fasse remonter des souvenirs douloureux de l'enfance ou qu'elle nourrisse chez les parents de la suspicion, ou des craintes, à l'égard des institutions auxquelles ils confient leurs enfants.

Plus profondément, nos concitoyens s'interrogent sur la responsabilité des autorités dans les faits, longtemps tus, qui éclatent aujourd'hui au grand jour et nous imposent une réponse politique forte et globale.

Ces révélations montrent que les abus et les violences, loin d'être des cas isolés, relèvent d'un problème systémique.

En tant que législateurs et représentants de la puissance publique, nous avons le devoir de garantir à toutes les familles que leurs enfants seront accueillis, partout et tout le temps, dans un environnement bienveillant et propice à leur épanouissement.

Ma collègue Colombe Brossel l'a déjà longuement rappelé : à plus d'un titre, l'État a failli dans cette tâche. Il a notamment échoué à effectuer des contrôles dans les établissements scolaires privés sous contrat et hors contrat.

Il n'est ni acceptable ni compréhensible pour nos compatriotes que l'institution Notre-Dame de Bétharram n'ait fait l'objet d'aucune inspection depuis 1996.

Le rapport d'information sur le financement public de l'enseignement privé sous contrat déposé en avril 2024 à l'Assemblée nationale mettait déjà en exergue la quasi-absence de contrôles réalisés dans l'enseignement privé sous contrat.

Dans un autre rapport, datant de juin 2023, la Cour des comptes apportait quant à elle les précisions suivantes : le contrôle pédagogique est « exercé de manière minimaliste » ; le contrôle administratif « n'est mobilisé que ponctuellement lorsqu'un problème est signalé » ; et le contrôle financier « n'est pas mis en œuvre ».

La loi Debré prévoit pourtant en son article 1er – je le rappelle à mon tour –, comme corollaire du contrat d'association et de la prise en charge des frais de fonctionnement des établissements privés par l'État, que « l'enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l'État ».

Alors que l'enseignement privé sous contrat est financé à hauteur de 75 % par la puissance publique, il ne rend aujourd'hui pratiquement aucun compte à l'État.

Madame la ministre, nous nous réjouissons des mesures que vous avez annoncées en la matière. Mais le recrutement de soixante inspecteurs supplémentaires est-il bien suffisant pour mettre en œuvre le plan de renforcement des contrôles que vous avez élaboré ? Un objectif de 40 % des établissements privés sous contrat inspectés d'ici à 2026 est-il bien réaliste avec si peu de moyens ? Et, au-delà, à quoi les contrôles effectués aboutiront-ils ?

En décembre 2023, l'État n'a pas hésité à mettre fin au contrat liant le lycée lillois Averroès à l'État, vingt ans après sa création. L'État a ainsi cessé de le subventionner à partir de la rentrée 2024. Cette décision, aujourd'hui retoquée, a fait suite à l'avis favorable émis par une commission consultative présidée par le préfet du Nord, qui reprochait à l'établissement des irrégularités de gestion et des enseignements qualifiés de contraires aux valeurs de la République.

Les abus et les violences physiques, psychologiques et sexuels révélés à Notre-Dame de Bétharram ne sont-ils pas contraires aux valeurs de la République ? Comment justifier que le contrat liant cet établissement à l'État ne soit pas remis en cause ?

Si des manquements graves sont découverts lors des nouveaux contrôles que vous avez annoncés, les contrats d'association ou le financement de ces établissements seront-ils remis en cause et, si oui, selon quelle procédure ?

Nous demandons davantage de transparence sur ce sujet, comme c'est le cas par exemple au Royaume-Uni. Dans ce pays, lui aussi touché il y a quelques années, par des scandales de violences et de pédocriminalité à répétition dans des établissements scolaires, le ministère chargé de l'éducation nationale a mis en œuvre, avec l'aide d'un organe de contrôle indépendant, des critères stricts de protection auxquels tous les établissements scolaires, sans exception, doivent se conformer.

J'en viens à un autre sujet d'inquiétude : le fonctionnement des établissements scolaires privés, mis en exergue par les scandales survenus à Notre-Dame de Bétharram, à Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine, à Sainte-Croix des Neiges, en Haute-Savoie, ainsi qu'à l'Immaculée-Conception, à Pau.

Si, au sein de ces établissements, certains adultes ont si longtemps pu perpétrer des violences, c'est aussi parce que ces dernières se déroulaient dans un milieu qui les favorisaient ou, du moins, ne les empêchaient pas ; un milieu social et culturel où les coups, les châtiments corporels, les humiliations, la violence gratuite et les rapports de domination étaient conçus comme faisant partie intégrante de l'éducation.

De ce point de vue, il était à la fois éloquent et choquant d'entendre le Premier ministre décrire, lors de son audition à l'Assemblée nationale le 14 mai dernier, une claque comme un « geste éducatif ».

Non, la violence n'est jamais éducative. Les châtiments corporels constituent une violation du droit de l'enfant au respect de son intégrité physique et de sa dignité humaine ; de son droit à la santé, au développement, ainsi à l'éducation ; de son droit d'être à l'abri de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il faut le dire et le répéter, madame la ministre.

Depuis la loi du 10 juillet 2019, le code civil précise fort heureusement que « l'autorité parentale s'exerce sans violences physiques ou psychologiques ». Or, si les abus et violences révélés aujourd'hui dans tous ces établissements ont pu perdurer si longtemps, c'est aussi parce que, dans des milieux sociaux et culturels trop homogènes et recroquevillés sur eux-mêmes, il est plus facile de faire régner l'omerta, la loi du silence, ou la peur du qu'en-dira-t-on.

C'est aussi l'entre-soi cultivé dans ces établissements privés que met en cause le scandale de Bétharram ; un entre-soi qui permet de faire contre-société, comme dans la communauté catholique intégriste de Riaumont à Liévin, par exemple, et d'échapper à toute observation extérieure, à tout contrôle ; un entre-soi qui dispense de se confronter à l'altérité, à la différence, à ces « autres » qui viendraient mettre en cause des pratiques que l'on perpétue parce que « c'est la tradition, c'est l'habitude », ou parce que « l'on a toujours fait comme ça ».

Madame la ministre, lutter contre l'omerta qui entoure ces abus, c'est aussi lutter contre le séparatisme scolaire. Or il faut tout faire pour favoriser la mixité sociale, la rencontre de milieux sociaux et culturels divers, dans tous nos établissements scolaires.

Il y a deux ans, un autre débat de contrôle avait été organisé dans cet hémicycle, sur l'initiative de notre groupe : à la suite de la publication des indices de position sociale (IPS) des établissements scolaires de toute la France, nous avions souhaité parler du manque de mixité sociale dans nos écoles et de l'inquiétante ségrégation scolaire à l'œuvre entre établissements.

L'un de vos prédécesseurs, M. Pap Ndiaye, avait alors conclu avec l'enseignement catholique un protocole d'accord décrivant une trajectoire et un plan d'action partagés, afin de renforcer la mixité sociale et scolaire des établissements d'enseignement privé sous contrat. Où en est aujourd'hui la mise en œuvre de ce protocole ? Pouvez-vous nous donner des chiffres relatifs à l'évolution des IPS et du taux de boursiers de ces établissements privés sous contrat ?

Madame la ministre, les membres du groupe socialiste sont déterminés à lutter contre les abus et les violences physiques, psychologiques et sexuelles en utilisant tous les leviers à la disposition de la puissance publique, parce que c'est la mission première de notre République que de protéger tous ses enfants. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, vous l'aurez compris : en vertu du plan « Brisons le silence, agissons ensemble », que j'ai annoncé au milieu du mois de mars dernier, les faits de violence et même les incidents pouvant mettre en cause la sécurité au sein d'un établissement, qu'il soit privé ou public, doivent systématiquement être communiqués à l'académie et, le cas échéant, à l'échelle nationale, via l'application « Faits établissement ». Un second décret sera pris à cette fin.

Dans tous les établissements, privés comme publics, une procédure claire doit s'appliquer pour que chaque membre du personnel auquel un élève se confie sache à qui rapporter ses propos et comment les faire remonter. Évidemment, les dispositions relatives à la transmission d'informations préoccupantes s'appliquent aussi, à l'instar de l'article 40 du code de procédure pénale. Mais, en l'occurrence, je parle de dispositifs spécifiques à l'éducation nationale.

Tous les établissements disposant d'un internat, qu'ils soient privés ou publics, seront soumis chaque trimestre à un questionnaire. J'ajoute que d'autres questionnaires devront être renseignés après chaque sortie scolaire avec nuitée, et que, dans les établissements privés sous contrat, le nombre de contrôles, inférieur à 10 par an ces dernières années, sera porté à 1 000 en 2025.

Vous le constatez, nous tâchons d'être à la hauteur des drames révélés à Bétharram et ailleurs.

Pap Ndiaye, alors ministre de l'éducation nationale, avait effectivement signé un protocole relatif à la mixité sociale dans l'établissement catholique. Par la suite, nous avons été conduits à moduler les moyens affectés aux établissements en fonction de leur indice de position sociale. Quant aux commissions prévues dans chaque rectorat pour examiner la situation au cas par cas, avec les établissements, elles ont bien été créées.

Toutefois, deux ans après la signature de ce protocole, nous n'avons fait qu'une partie du chemin. Nous sommes en train de…

M. le président. Madame la ministre, votre temps de parole est écoulé.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. Je compléterai ma réponse à la faveur d'une autre question…

Mme Colombe Brossel. Nous voulons la suite ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, l'actualité est dominée depuis plusieurs semaines par les violences physiques et sexuelles commises au sein de l'institution Notre-Dame de Bétharram. C'est dans ce contexte très douloureux que les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont souhaité la tenue de ce débat. Il est parfaitement légitime.

Ensemble, nous devons trouver les solutions permettant de lutter contre ces crimes pédophiles épouvantables et de préserver l'intégrité physique de nos enfants, particulièrement en exigeant des établissements scolaires une plus grande transparence.

Pour ma part, j'insisterai sur d'autres formes de violences qui affectent nos collèges et nos lycées. Ainsi, le 24 mars dernier, un adolescent de 17 ans est mort devant le lycée professionnel Louis-Armand à Yerres, dans l'Essonne, après avoir été poignardé lors d'une rixe. Quelques mois plus tôt, une violente bagarre avait éclaté dans la cour de récréation du lycée Rosa-Parks de Montgeron. Un élève avait été frappé à coups de marteau. Jeudi dernier, des élèves du lycée Geoffroy-Saint-Hilaire d'Étampes ont lancé une porte du quatrième étage sur un groupe de professeurs, blessant gravement une enseignante.

À cet instant, je tiens à réaffirmer tout mon soutien aux proches des victimes, mais aussi à l'ensemble de la communauté éducative, très ébranlée par ces drames successifs.

Malheureusement, ces violences ne sont pas des cas isolés. Sur tout le territoire national, elles sont devenues une réalité incontournable et angoissante. En outre, elles ne se limitent pas aux rixes, les réseaux sociaux étant devenus un véritable espace de haine. Evaëlle, Thibault, Lindsay, Lucas, Nicolas sont des prénoms que nous ne devrions jamais oublier, ceux d'enfants victimes de harcèlement scolaire, qui se sont donné la mort pour échapper à leurs bourreaux.

Dans son rapport paru en 2021, Harcèlement scolaire et cyberharcèlement : mobilisation générale pour mieux prévenir, détecter et traiter, notre ancienne collègue Colette Mélot estimait que 800 000 à un million d'enfants étaient victimes de harcèlement chaque année. Notre devoir, en tant que législateurs, est de tout mettre en œuvre pour que l'ensemble de ces violences cessent. L'école doit demeurer un sanctuaire pour les enfants. Qu'ils soient victimes d'abus hors du cadre scolaire ou au sein des établissements, l'école doit agir pour les protéger.

Mais que peut faire l'école concrètement ? Son rôle repose sur cinq leviers : prévention, détection, signalement, sanction, lorsque les violences sont commises au sein de l'établissement, et accompagnement des victimes, avec l'appui des forces de l'ordre et de la justice.

Les professeurs, personnels de l'éducation, médecins scolaires, directeurs académiques des services de l'éducation nationale (Dasen), recteurs, toutes les composantes de la communauté éducative sont engagées dans cette lutte. Nous saluons leurs efforts au quotidien. Mais disposent-ils de moyens suffisants ?

Ces dernières années, face à l'ampleur du problème, des rapports ont été publiés, des recommandations ont été faites, des mesures ont été adoptées. Je pense notamment à la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, qui crée le délit de harcèlement scolaire et prévoit une peine pouvant aller jusqu'à dix ans de prison en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime.

Pour endiguer ces fléaux, des initiatives importantes ont été prises et doivent être soulignées. Ainsi, à l'échelle européenne, la Commission a adopté en avril 2024 une recommandation relative au développement et au renforcement de systèmes intégrés de protection de l'enfance. Cette démarche comporte un volet important sur la santé mentale des enfants. Elle préconise ainsi que chaque État dispose d'un plan national de soutien à la santé mentale des jeunes.

Il y a quelques jours, madame la ministre d'État, vous avez vous-même présenté, en marge des Assises de la santé scolaire, un plan tendant à faire de la santé mentale des jeunes une priorité nationale, ce dont je vous remercie. Pourriez-vous nous indiquer la façon dont seront mises en œuvre, concrètement, les mesures de ce plan ?

En France, la médecine scolaire devrait jouer un rôle central en matière de prévention et de détection des violences. Mais pour ma part, je fais le constat alarmant que la médecine scolaire est à bout de souffle et incapable, avec des effectifs aussi réduits, d'assurer ses missions.

En effet, l'Éducation nationale est un désert médical à elle seule : un médecin scolaire est aujourd'hui chargé de 13 000 élèves, un psychologue s'occupe du suivi de 1 500 élèves et on relève un infirmier pour 1 300 enfants. Actuellement, la moitié des postes de médecin scolaire n'est pas pourvue, tandis que l'évolution de la démographie médicale et les départs à la retraite, qui vont s'accélérer dans les deux prochaines années, n'incitent pas à l'optimisme. Un grand plan de revalorisation des missions et des rémunérations est impératif pour renforcer l'attractivité de ces métiers essentiels pour nos enfants.

Je tiens également à signaler plusieurs décisions relatives à la dégradation de la protection de l'enfance, rendues publiques à la fin du mois de janvier 2025 par la Défenseure des droits. Dans une décision-cadre comprenant des recommandations à l'endroit du ministère de l'éducation nationale, cette dernière propose notamment de revaloriser le métier d'assistant social en milieu scolaire. L'objectif est d'intensifier le recrutement de ces professionnels et d'envisager leur présence au sein des établissements du premier degré.

La Défenseure des droits demande aussi au ministère de l'éducation nationale de veiller à ce que l'ensemble des académies passent une convention avec les départements pour la mise en place, de manière prioritaire, de formations sur la protection de l'enfance. L'enjeu d'une telle mesure est de permettre aux équipes éducatives d'être mieux armées pour protéger nos enfants. Madame la ministre d'État, quelles suites ont été données à ces recommandations ?

Pour conclure, j'attire votre attention sur le fait qu'un certain nombre de collectivités territoriales prennent toute leur part dans ce combat essentiel et agissent pour protéger nos élèves et nos établissements scolaires. La région Île-de-France, notamment, agit avec détermination en faveur de la sécurité des lycéens. Des moyens significatifs sont consacrés à des opérations de sécurisation et la vidéoprotection continue d'être déployée.

Quant au Gouvernement, il a annoncé en mars dernier des fouilles de sacs à l'entrée des établissements, ainsi que des sanctions fortes pour les élèves en possession d'une arme blanche. Dans un contexte de flambée des violences scolaires, ces mesures visent à apporter une réponse concrète et rapide aux attentes croissantes des chefs d'établissement, des équipes pédagogiques et des familles.

Souhaitons qu'elles suffisent à endiguer la violence des jeunes et à ramener la sérénité nécessaire aux études. Mais, in fine, c'est bien aux parents qu'il incombe d'assumer leur tâche d'éduquer leurs enfants et d'être pleinement conscients que la transmission des valeurs humaines est le seul rempart contre la barbarie.

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je ne suis pas sûre de pouvoir répondre à toutes vos questions en deux minutes, madame la sénatrice, aussi évoquerai-je tout d'abord la situation de l'Essonne et le phénomène des rixes, très visible dans ce département, mais aussi malheureusement partout ailleurs, comme on le voit sur les réseaux sociaux, où rixes, racket et bagarres sont médiatisés.

Le ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, et moi-même sommes naturellement très engagés dans la prévention des violences. Vous l'avez mentionné, nous avons adressé une instruction conjointe aux préfets et aux recteurs le 26 mars, en demandant que des contrôles inopinés des sacs soient effectués devant les établissements par les forces de sécurité intérieure, sur réquisition du procureur de la République et en concertation avec les autorités académiques et les chefs d'établissement. Pour mentionner un exemple concret, dans l'Essonne, trente opérations de fouilles de sac ont été menées depuis la fin du mois de mars.

Plus globalement, il est crucial, dans cette société de plus en plus violente, d'entretenir un partenariat très étroit entre les chefs d'établissement et les forces de sécurité, mais aussi les municipalités. Il importe donc que les enjeux de sécurité puissent être appréhendés par les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), notamment, dans les établissements scolaires, mais aussi dans toutes leurs dimensions. Je rappelle que le drame survenu dans l'Essonne s'est produit lors d'un trajet de retour.

Pour conclure, la santé mentale est un enjeu absolument majeur, comme le drame de Nantes nous l'a rappelé. Il faut revaloriser les médecins scolaires alors que, comme vous l'avez mentionné, près de 50 % des postes sont vacants.

Au-delà, je souhaite que soit mis en place dans chaque établissement un protocole de repérage et de prise en charge des élèves ayant des difficultés psychiques. Cela suppose, là encore, un travail en partenariat avec les acteurs du territoire, notamment les centres médico-psychologiques, pour permettre une prise en charge rapide. Ainsi, mon collègue ministre chargé de la santé et moi-même avons décidé que les élèves signalés par l'éducation nationale devaient bénéficier d'un accès coupe-file à ces centres afin d'y être pris en charge au plus vite.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, chacun s'accordera vraisemblablement sur le fait que rien n'est plus précieux que nos enfants, pour lesquels nous voulons le meilleur afin qu'ils puissent grandir et s'épanouir au quotidien.

Il est légitime que les parents soient exigeants avec l'école, cet univers parallèle à celui du cercle familial, compte tenu du temps que les enfants y passent, même si cela crée parfois des tensions avec le corps professoral, cette corporation étant la seule à être soumise à une telle immixtion dans l'exercice de ses activités.

Cela n'a pas encore été dit au cours de notre débat, l'école a été pendant des siècles l'apanage de l'Église dans notre pays. L'enseignement est peu à peu devenu public sous la Révolution française, puis sous Napoléon, puis sous la République. Il ne s'est détaché de la religion et n'est devenu laïc qu'à la fin du XIXe siècle, ce qui n'est pas si ancien.

Depuis, les rapports entre l'État et les établissements privés ont été encadrés, d'abord par la loi Debré du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'État et les établissements d'enseignement privés, puis par la loi Gatel du 13 avril 2018 visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat. Certains d'entre vous se souviennent des travaux de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication ayant abouti à la rédaction de cette dernière.

Je tiens à rappeler que tous les établissements privés sont soumis aux contrôles administratifs et pédagogiques prévus par la loi, notamment sous le prisme de la protection de l'enfance, qui nous occupe aujourd'hui.

Malgré cet encadrement juridique, la Cour des comptes et les auteurs de nombreux rapports parlementaires ont souligné l'insuffisance de ces contrôles, qui ne sont pas exercés ou le sont insuffisamment. Il appartient à l'État de regarder avec lucidité son rôle dans ces affaires. Dans cette chaîne, qui va du recueil de la parole au traitement des dysfonctionnements et des causes des violences, la collaboration entre l'État et les chefs d'établissement doit être totale.

Je dirai à présent un mot sur la temporalité. Nous ne pouvons pas aujourd'hui porter le même regard qu'il y a trente ou quarante ans sur l'univers scolaire. Quel élève de ma génération, qu'il ait été scolarisé dans le public ou dans le privé, n'a jamais assisté à un coup de règle pour indiscipline, à une craie lancée depuis le tableau, voire à une gifle administrée par un enseignant, qu'elle soit considérée comme éducative ou non ? Faisons preuve de sincérité sur ce sujet.

Toutefois, ce temps est révolu et c'est heureux, car l'école, nous en sommes d'accord, doit être le lieu de la seule instruction. Néanmoins, il convient de ne pas glisser sous le tapis des pratiques qui ont existé, des violences scolaires qui ont parfois eu des conséquences dramatiques sur ceux qui les ont subies : détresse psychologique, décrochage scolaire, voire passage à l'acte suicidaire.

Comment accompagner les victimes ? Le thème de notre débat est vaste, pour ne pas dire flou. Tout le monde est d'accord pour protéger l'enfant au sein de l'institution, mais il reste à savoir dans quel cadre.

Soyons clairs, rien ne pourra jamais excuser les violences ou les atteintes sexuelles. L'interdit est nécessairement compris par l'auteur de telles violences, lesquelles relèvent du vice et sont condamnables pénalement. Les procédures sont bien connues, il faut les activer.

Cela étant, gardons-nous d'instrumentaliser les autres types de violences dans ce ce débat et de réveiller une nouvelle guerre scolaire, alors que les effectifs des établissements privés augmentent année après année. Ces établissements ne suscitent pas un mécontentement généralisé, l'enseignement qui y est dispensé étant de qualité. Je tenais à le signaler.

Mes chers collègues, ne versons pas dans les excès de certains parlementaires qui, dans une autre assemblée, mènent actuellement une véritable croisade contre l'enseignement privé catholique. En réalité, ils ne veulent pas d'école religieuse, sauf si cette religion est l'islam.

À ce stade de notre débat, j'attire votre attention sur le rapport Frères musulmans et islamisme politique en France, qui porte sur l'entrisme des Frères musulmans dans tous les champs qu'ils ont investi, notamment l'éducation. Il démontre qu'un danger existe aujourd'hui et menace concrètement notre République.

Les contrôles administratifs ne reposent que sur de rares signalements, malgré la gravité du sujet, comme on l'a vu s'agissant du lycée musulman Averroès à Lille ou encore au sein du groupe scolaire Al-Kindi. Les inspecteurs de l'éducation nationale ont trouvé au sein des établissements de ce groupe plusieurs livres problématiques faisant la promotion d'un djihad violent, de la peine de mort pour les homosexuels, légitimant les violences conjugales. Enfin, le génocide des juifs est ignoré dans leur enseignement.

Notre collègue Ouzoulias parlait précédemment d'encadrement des élèves dans leur scolarité : il me semble que, en l'espèce, nous n'y sommes pas du tout, que la liberté de conscience n'est plus respectée et qu'il y a donc, aujourd'hui, un véritable danger dans ce type d'écoles.

Ne dévoyons pas le débat en sombrant dans un clivage public-privé. La liberté d'enseignement fait partie des fondamentaux de notre République. La liberté n'exclut évidemment pas le contrôle, mais ce dernier doit être effectif. Aucun établissement n'est au-dessus des lois, mais le caractère propre des établissements privés doit être préservé, comme l'équilibre délicat de l'enseignement scolaire dans notre République.

Ainsi, les dysfonctionnements que vous jugez exacerbés dans l'enseignement privé sous contrat s'expliquent, comme l'a dit Jean-Michel Blanquer, par la « culture de l'Éducation nationale de regarder davantage dans les établissements publics ». Ainsi, la culture de la déresponsabilisation entre les auteurs de violences et les établissements des corps d'inspection ne doit pas nous éloigner de ce qui s'impose comme le seul objectif : l'école doit être un lieu d'apprentissage. La violence, sous toutes ses formes, n'y a aucune place.

Madame la ministre d'État, alors que j'interviens en septième position dans ce débat, vous avez déjà répondu à un certain nombre des questions que je comptais vous poser. Je voulais vous interroger sur les contours et les objectifs des contrôles que vous avez programmés. Sont-ils orientés vers des établissements sur lesquels vous avez des doutes sérieux ou disposez de données précises ? Quelle est la nature des écoles qui seront prochainement contrôlées ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, je ne reviendrai pas sur le périmètre des contrôles, que j'ai déjà évoqué. Je précise juste que chaque académie a élaboré un plan de contrôle. Au total, l'ensemble de ces plans permettront de contrôler 1 000 établissements cette année à l'échelle nationale.

Ces plans visent à contrôler les établissements dans leur diversité, y compris les établissements hors contrat, lesquels font déjà l'objet de contrôles renforcés en vertu de la loi Gatel et de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. L'objectif, en effectuant 1 000 contrôles, est d'atteindre 40 % d'établissements contrôlés, dont la moitié sur place, dans les deux ans.

Au-delà des contrôles programmés, si des éléments conduisant à nous interroger sur le fonctionnement d'un établissement venaient à nous être communiqués, nous pourrions bien évidemment reprioriser nos interventions.

Par ailleurs, quand le rectorat est alerté sur des dysfonctionnements graves, dès lors qu'il y a un fait de violence, une enquête administrative est ouverte. Celle-ci a pour objet de faire toute la lumière sur les faits signalés, d'identifier les responsabilités et de préconiser les suites à diligenter, tout cela, naturellement, s'entend sans préjudice des procédures qui peuvent être diligentées par ailleurs, dont le signalement au procureur de la République ou la transmission d'informations préoccupantes.

Le programme de contrôle sera donc adapté en fonction d'éventuels signalements ou de faits qui peuvent apparaître.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin.

M. Stéphane Fouassin. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, je m'exprime au nom de ma collègue Samantha Cazebonne qui vous prie de bien vouloir excuser son absence ce soir. Elle m'a chargé de vous lire son intervention. Vous comprendrez donc que je m'exprime au féminin…(Sourires.)

« Le débat proposé aujourd'hui par nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'inscrit dans un contexte salutaire de libération de la parole sur les violences survenues dans certains établissements scolaires.

« En tant que législatrice, ancienne enseignante et cheffe d'établissement, mais aussi en tant que parent, je ne peux que saluer et encourager cette parole essentielle à la reconnaissance des victimes. Il est impératif que celles-ci soient écoutées, reconnues et accompagnées, et que l'État se dote des moyens de contrôle à la hauteur des enjeux, afin de garantir aux enfants la protection que leur doit l'école.

« En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, je souhaite porter à votre attention les réalités de notre réseau d'enseignement français à l'étranger (EFE). Celui-ci compte plus de 600 établissements homologués dans 138 pays, évoluant dans des contextes très différents de ceux que vous connaissez sur le territoire national ou ultramarin. Dans ces établissements, les violences physiques sont, sauf exception, rares. Mais cela ne signifie pas que nos élèves sont à l'abri de toute forme de violence ou de vulnérabilité. Celles-ci prennent d'autres formes,et appellent un engagement résolu de l'État.

« Le harcèlement scolaire est désormais mieux accompagné, notamment grâce au déploiement du programme de lutte contre le harcèlement à l'école (pHARe) et à l'utilisation de la méthode Pikas. Toutefois, il apparaît nécessaire d'aller plus loin, en déployant dans le réseau EFE certains dispositifs qui en sont encore absents, à commencer par des numéros d'appel d'urgence accessibles depuis l'étranger, à destination des enfants, des familles et des personnels. Des lignes similaires existent à l'étranger pour les violences intrafamiliales ou les violences faites aux femmes : pourquoi ne pas en envisager l'extension à notre réseau à l'étranger s'agissant du harcèlement ?

« Je souhaite également rappeler que la protection des enfants passe aussi par une meilleure prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers. Ainsi, la création, en 2016, de l'Observatoire pour les élèves à besoins éducatifs particuliers (Obep) constitue une avancée utile.

« Cependant, les difficultés persistent : aujourd'hui, les familles doivent déposer une demande d'accompagnement auprès d'une maison départementale des personnes handicapées (MDPH) en France. Or ces structures locales ne sont pas toujours formées aux spécificités du réseau international et l'instruction des dossiers se révèle longue, complexe, voire inaccessible pour certaines familles. Ne serait-il pas temps d'envisager la création d'une MDPH centralisée, dédiée aux Français de l'étranger, pour améliorer le suivi, accélérer les réponses et assurer une mise en œuvre plus efficace des accompagnements, afin d'éviter l'exclusion de certains enfants français ?

« Enfin, je souhaite insister sur un autre pilier de la protection : les valeurs de la République. Même si, dans certains pays, leur transposition peut se révéler délicate, il nous faut affirmer que nos établissements français à l'étranger resteront toujours des lieux où l'on apprend à penser librement, à forger sa conscience et à exercer son esprit critique. Nous ne pouvons transiger sur ces principes, surtout dans un réseau auquel l'accès n'est pas obligatoire et qui accueille des familles pour qui il est un espace de neutralité et de liberté, parfois même un refuge. Or il arrive de plus en plus que ces valeurs soient contestées et remises en question.

« Dès lors, ne pourrions-nous pas envisager que les critères d'homologation comprennent plus explicitement le respect des valeurs républicaines, pour protéger nos enfants partout où elles pourraient être remises en cause ?

« Je tiens à remercier les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d'avoir demandé l'inscription de ce débat important à l'ordre du jour de notre assemblée. Je vous remercie également, madame la ministre d'État, pour l'attention que vous portez à notre réseau d'enseignement français, si important pour nos compatriotes établis hors de France, pour les personnes de nationalités tierces que nous accueillons dans nos établissements et pour le rayonnement de notre modèle et de notre système éducatif à travers le monde. »

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de mettre en lumière, au nom de votre collègue, le rôle de nos établissements français à l'étranger. Comme vous le relevez, du chemin reste à faire pour que l'ensemble des dispositifs qui existent sur le territoire national puissent bénéficier aussi à nos établissements de l'étranger.

Je précise que les leviers que nous pouvons actionner dépendent beaucoup du statut de ces établissements, qui, sans entrer dans le détail, sont tous très différents. Sans doute pourrai-je évoquer ce point avec la sénatrice Samantha Cazebonne.

Toujours est-il que, depuis septembre 2023, le bien-être des élèves et des personnels figure explicitement parmi les critères d'homologation d'un établissement français à l'étranger par le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. En cas de dysfonctionnement, les établissements peuvent faire l'objet d'un contrôle, décidé en lien avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Il est alors procédé à une inspection et à une évaluation par l'inspection générale. En cas de manquement grave, l'établissement peut se voir retirer son homologation.

J'ajoute que seule une partie des personnels a le statut de titulaire de l'éducation nationale et bénéficie d'un détachement direct dans ces établissements partenaires. Pour eux, la direction générale des ressources humaines du ministère est chargée d'engager des procédures disciplinaires en cas de manquement avéré, dès lors que celui-ci est signalé par le poste diplomatique ou par l'employeur.

Enfin, nous allons renforcer le travail mené avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), afin d'améliorer l'ensemble des procédures de signalement et de traitement que vous avez évoquées. Vous pouvez compter sur moi.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier.

Mme Laurence Garnier. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, l'objet de notre débat est large. Plusieurs d'entre vous ont évoqué la question des violences physiques ou sexuelles des adultes envers les élèves dans les établissements scolaires. Mon collègue Stéphane Piednoir a porté à l'instant la position de notre groupe sur ces questions douloureuses.

Je souhaitais, pour ma part, vous parler ce soir des violences des élèves envers d'autres élèves. Cet enjeu me semble tout aussi essentiel en matière de protection et d'accompagnement de nos jeunes. Il concerne à la fois la santé mentale, la lutte contre le harcèlement scolaire et les conséquences délétères des écrans et des réseaux sociaux.

Je ne peux évoquer la santé mentale de nos élèves sans rappeler l'événement dramatique que nous avons vécu le mois dernier à Nantes, lors duquel une jeune fille de 15 ans est décédée après avoir été poignardée à cinquante-sept reprises par un élève de son lycée, en plein cours de mathématiques.

Vous êtes venue à Nantes ce jour-là, madame la ministre d'État, pour soutenir la communauté éducative de ce lycée : je vous en remercie. La fragilité psychologique du jeune meurtrier, très isolé et aux tendances suicidaires, est apparue très tôt. Il a rapidement été hospitalisé en psychiatrie, puis transféré dans un établissement du sud de la France réservé à des patients présentant des pathologies mentales lourdes.

Au-delà de ces cas extrêmes, la santé mentale de nos jeunes se maintient à des niveaux préoccupants, surtout depuis la crise du covid. Ainsi, une étude réalisée en 2022 par Santé publique France fait part de chiffres inquiétants : 13 % des enfants âgés de 6 à 11 ans présentent un trouble probable de santé mentale et 24 % des lycéens déclarent avoir eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois.

Face à ces questions, la fragilité de la filière psychiatrique pose question. Mon département de Loire-Atlantique enregistre l'un des plus faibles ratios de pédopsychiatres libéraux par habitant. Par ailleurs, de nombreux postes restent non pourvus au sein du centre hospitalier universitaire (CHU).

Ainsi, les délais de consultation en pédopsychiatrie sont aujourd'hui de douze à dix-huit mois, ce qui a des conséquences directes sur la réussite scolaire de nos enfants. Par exemple, dans un collège nantais, trois élèves de cinquième atteints de troubles scolaires anxieux ne sont pas venus en classe depuis le mois de novembre dernier. La reconstruction d'une filière de pédopsychiatrie à la hauteur des enjeux est donc une urgence absolue.

Protéger et accompagner les élèves au sein des établissements scolaires, c'est aussi lutter contre le harcèlement, lequel est amplifié par l'omniprésence des écrans et des réseaux sociaux. Je me permets, mes chers collègues, de partager une conviction : l'hyperviolence se nourrit constamment de ces outils numériques, qui sont devenus des catalyseurs de la fabrique des barbares. Il est vital de protéger nos élèves de ces outils digitaux, qui ont envahi leur temps et leur espace quotidiens. Je rappelle qu'un adolescent âgé de 13 à 19 ans passe en moyenne cinq heures par jour sur les écrans.

Michel Desmurget, docteur en neurosciences à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), établit ainsi un lien direct entre cet usage excessif des écrans et l'augmentation des comportements violents. En particulier, il analyse la question du manque d'empathie, à la source de ces comportements violents et favorisés par le déploiement d'algorithmes égocentrés. Ces derniers ne permettent pas aux jeunes de développer une compréhension profonde des émotions d'autrui. La violence des contenus, dont chacun a sans doute déjà eu un aperçu, suscite également une forme de désensibilisation à la souffrance de ses semblables.

Dans ce panorama plutôt sombre, madame la ministre d'État, je reste convaincue que l'éducation nationale dispose d'un certain nombre de leviers puissants pour restaurer l'empathie et lutter contre ces comportements violents entre élèves.

Au premier rang de ces leviers, l'on trouve la lecture, clé de voûte, à mon avis beaucoup trop sous-estimée, de nos compétences relationnelles et de nos habiletés sociales, pour reprendre les termes de Michel Desmurget. Les recherches scientifiques sur la lecture, mes chers collègues, montrent en effet que la richesse des émotions décrites dans les livres, la diversité des personnages rencontrés, notamment dans les romans et les autres ouvrages de fiction, sont des outils puissants pour recréer l'empathie nécessaire à la qualité du lien social.

Au-delà de ces atouts, la richesse du vocabulaire utilisé dans les livres est aussi essentielle pour permettre à nos jeunes élèves d'exprimer et, par là même, de maîtriser leurs émotions. Ainsi, de nombreuses études montrent le lien direct entre le faible nombre de mots assimilés et le niveau de violences de certains élèves.

Le linguiste Alain Bentolila indique ainsi que « une partie importante des jeunes Français ne possède que quelques centaines de mots, quand il leur en faudrait plusieurs milliers pour tenter d'examiner et d'accepter pacifiquement leurs différences et leurs divergences ». Le fait qu'un livre destiné à un enfant de 3 ans comprenne plus de mots de vocabulaire que la plupart des contenus des réseaux sociaux doit nous faire collectivement réfléchir.

Ce débat sur la protection et l'accompagnement de nos élèves est donc l'occasion, madame la ministre d'État, de vous alerter sur les troubles psychologiques et psychiatriques qui explosent chez les élèves français, largement nourris par un usage intensif des réseaux sociaux.

Réinterroger la place des écrans, faire réellement appliquer l'interdiction des smartphones dans nos écoles et dans nos collèges, peut-être aussi à l'extérieur, me semble donc une priorité absolue pour apaiser le climat scolaire au sein de nos établissements.

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. J'adhère totalement à votre propos, madame la sénatrice, qui soulèvent la question de la prévention de la violence.

Nous déplorons un véritable phénomène d'addiction aux écrans. Vous avez mentionné le fait que beaucoup d'élèves passent jusqu'à cinq heures par jour devant leur écran et évoqué tous les risques que cela entraîne en matière de cyberharcèlement et de banalisation de la violence.

C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité généraliser la pause numérique dans tous les collèges à partir de la rentrée prochaine. Nous devons nous-mêmes éviter d'inciter les élèves à utiliser des téléphones via les logiciels de vie scolaire, comme Pronote. Ces derniers ne seront plus mis à jour de vingt heures à sept heures du matin, ainsi que le week-end. Nous devons inciter nos élèves à se détacher de leurs écrans. Lire un bon livre est sans doute en effet un bon moyen de se détacher des écrans !

Par ailleurs, vous avez insisté sur l'importance des compétences psychosociales. Elles figureront désormais parmi les compétences à acquérir dans le socle commun de compétences. Différentes actions visent à renforcer ces compétences, notamment les cours d'empathie, qui ont été généralisés depuis la rentrée dernière.

Du reste, j'ai mentionné les moyens que nous allons déployer pour mieux détecter et prendre en charge les élèves en détresse psychologique. Vous l'avez souligné, un élève en détresse psychologique peut être dangereux pour lui-même, mais aussi pour les autres. À cet égard, il faut tout faire pour qu'un drame similaire à celui qui est survenu à Nantes ne puisse pas se reproduire.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir organisé ce débat sur ces sujets qui sont au cœur de mes priorités.

Vous le savez, ces derniers mois, d'anciens élèves ont révélé avoir subi des violences physiques, morales et sexuelles inqualifiables. Je veux redire aux victimes tout mon soutien et ma solidarité.

Ces révélations nous ont tous indignés. Elles ont suscité une prise de conscience collective et une exigence de vérité et de justice. Les auteurs, premiers responsables, doivent répondre de leurs actes personnellement devant la justice.

Je l'ai dit clairement dès les premiers témoignages : l'État n'a pas été au rendez-vous. Il lui revient donc, aujourd'hui, de l'être pleinement. C'est tout le sens du plan Brisons le silence, agissons ensemble, que j'ai présenté le 17 mars dernier.

Ce plan repose sur trois piliers : assurer la remontée systématique des faits de violence dans les établissements privés et publics ; mieux recueillir la parole des élèves dans toutes les écoles et tous les établissements ; renforcer les contrôles dans les établissements privés sous contrat.

J'ai eu l'occasion, lors de nos échanges, de détailler la mise en œuvre de ces mesures, qui visent un seul et unique objectif : faire de l'école un lieu protégé où chacun se sent en sécurité. Cela implique de protéger les élèves contre toute forme de violence, non seulement de la part d'adultes, mais également entre eux.

Il s'agit d'abord de les protéger contre toute forme de harcèlement. Tel est l'objet du plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l'école que j'avais présenté en septembre 2023. Il requiert une mobilisation collective qui, au travers du programme pHARe, vise trois objectifs : 100 % de prévention, 100 % de détection, 100 % de solutions.

Cette lutte s'articule autour d'actions ciblées : formation de tous les personnels d'ici à 2027 ; séances d'information et ressources numériques à destination des parents ; sensibilisation des collégiens à hauteur de dix heures par an, via l'apprentissage des compétences psychosociales ; cours d'empathie déployés à l'école primaire ; mise en place de questionnaires ; déploiement du 3018.

Nous allons également renforcer la lutte contre la surexposition aux écrans et à ses conséquences en matière de cyberharcèlement et de banalisation de la violence sur les réseaux sociaux. J'ai déjà évoqué la mesure que nous avons prise concernant les logiciels de vie scolaire.

J'ajoute que, protéger les élèves, c'est aussi lutter contre le port et l'usage d'armes blanches par ces derniers. Des drames sont survenus ces derniers mois et ont coûté la vie à des élèves. Le ministre de l'intérieur et moi-même nous sommes engagés dans ce combat avec détermination.

Tout élève pris, dans son établissement ou aux abords, en possession d'une arme blanche comparaît désormais systématiquement devant le conseil de discipline de son établissement. J'ai signé un décret, qui sera publié dans les prochains jours, pour rendre cette comparution obligatoire. Un signalement est par ailleurs transmis systématiquement au procureur de la République, au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

Bruno Retailleau et moi-même avons adressé une instruction conjointe afin que les forces de sécurité intérieure, sur réquisition des procureurs, puissent effectuer des contrôles inopinés des sacs des élèves devant les établissements.

En un mois, plus de 1 000 contrôles ont été réalisés et une centaine d'armes blanches ont été trouvées.

D'une façon générale, tout fait de violence commis par un élève appelle une réponse ferme : interdiction d'accès à l'établissement par mesure conservatoire, engagement d'une procédure disciplinaire et, si les faits sont susceptibles de revêtir une qualification pénale, signalement au procureur de la République.

Je rappelle que 170 postes de conseillers principaux d'éducation (CPE) et 600 postes d'assistants d'éducation ont été créés afin d'améliorer le climat scolaire.

Par ailleurs, certains drames ont mis en lumière les enjeux de santé mentale. C'est un problème qu'il faut prendre à bras le corps. À cet égard, Yannick Neuder et moi-même avons annoncé des mesures concrètes le 14 mai dernier, lors des Assises de la santé scolaire. D'ici à la fin de l'année 2025, chaque école et chaque établissement devra s'être doté d'un protocole de repérage et de prise en charge de la souffrance psychique des élèves.

Deux personnels repères en santé mentale seront formés durant l'année au repérage des signes de souffrance psychique et à l'accueil de la parole des élèves, de façon à les orienter vers une prise en charge adaptée.

Garantir un espace sûr et protégé à l'ensemble de la communauté éducative, c'est aussi témoigner du soutien de l'institution aux professeurs victimes de menaces ou d'agressions.

Je rappelle que j'ai soutenu les propositions qui ont été débattues ici même, le 6 mars dernier, en faveur de l'octroi de la protection fonctionnelle systématique en cas de violences verbales ou physiques. Je suis également favorable à la possibilité d'un dépôt de plainte par l'administration en lieu et place du personnel victime.

M. Pierre Ouzoulias. C'est une excellente mesure !

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés de ma détermination à tout mettre en œuvre pour que la violence ne trouve jamais sa place à l'école – jamais ! (MM. Pierre Ouzoulias et Stéphane Fouassin, ainsi que Mme Laure Darcos applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. David Ros, pour le groupe auteur de la demande.

M. David Ros, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, je vous remercie d'avoir participé à ce débat cher au groupe socialiste, introduit par ma collègue Colombe Brossel et enrichi par l'intervention de Yan Chantrel. Nous sommes heureux de savoir qu'il a concerné bien sûr, et c'est heureux, l'ensemble des membres de notre hémicycle.

Si ce débat s'inscrit dans le cadre des prérogatives sénatoriales de contrôle de l'action du Gouvernement, il fait aussi écho à vos annonces du 14 mai dernier, madame la ministre d'État. On peut y voir un simple hasard de calendrier ou, plus probablement, une anticipation judicieuse de la part de notre groupe politique.

Vous appelez à une refondation ambitieuse du système de santé scolaire, en particulier en ce qui concerne la santé mentale. Si les mesures que vous proposez sont nécessaires, elles devront être soutenues budgétairement en conséquence : augmentation des effectifs et des salaires des infirmiers, des psychologues et des médecins scolaires, nomination de 100 conseillers techniques départementaux en santé mentale, formation de deux personnels repères en santé mentale dans chaque lycée, collège et circonscription.

Ces annonces vont dans le sens des recommandations de notre collègue Hervé Reynaud, recommandations essentielles, car elles sont, hélas ! l'expression d'un mal plus profond, celui de la violence à l'école.

Hier, au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, j'ai participé, aux côtés de mes collègues Yan Chantrel et Colombe Brossel, à la réunion de la commission mixte paritaire, qui s'est révélée conclusive, sur la proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur.

Si j'évoque ce point à la tribune, ce n'est pas pour mettre en avant le remarquable travail sénatorial qui a été accompli sur ce sujet, mais pour illustrer à quel point les faits de violence que l'on dénonce à l'université doivent être identifiés et combattus très tôt, dès le plus jeune âge.

Cette violence se manifeste sous différentes formes, alors même que les élèves, enfants de la Nation, doivent pouvoir, dans un lieu sûr, apprendre et s'épanouir en toute confiance.

C'est pourquoi, au-delà des mesures que vous avez annoncées ou lancées, il est urgent de redessiner un cadre éducatif qui permette de combattre toute forme de violence, en premier lieu les violences physiques.

Je n'évoquerai pas en détail les rackets ou les rixes à la sortie des établissements, j'évoquerai plutôt un phénomène préoccupant que j'ai, hélas ! observé pendant seize ans en tant que maire d'une ville parfaitement apaisée, située dans la vallée de Chevreuse. Je veux parler de la dérive des violences verbales, voire physiques, dans les cours d'école, ce dès la maternelle.

Dans la perspective de favoriser l'épanouissement et un meilleur apprentissage des élèves, nous devons réfléchir à la place du sport et des activités physiques à l'école, mais aussi à l'introduction d'exercices et de démarches de respiration, de méditation et de concentration lors des temps de pause.

Nous changerions de paradigme en érigeant le bien-être des élèves en priorité plutôt que la lutte contre la violence. J'en suis sûr, cela participerait grandement à un meilleur apprentissage des savoirs académiques.

J'en viens à une deuxième forme de violence, de plus en plus insidieuse : le cyberharcèlement. Le sujet est d'autant plus complexe que l'éducation nationale encourage, à raison, l'usage du numérique dès la sixième.

Nier l'utilité des nouvelles possibilités éducatives serait absurde. Il est donc impératif d'agir pour renforcer l'accompagnement du personnel éducatif et la sensibilisation des parents. En outre, nous devrions sûrement adapter la législation sur l'accès aux réseaux sociaux pour les mineurs, en tout cas pour les plus jeunes d'entre eux.

Une troisième forme de violence, rarement volontaire, donc peu abordée, est celle qui est liée à l'enseignement lui-même. La pression de finir les programmes et les classes surchargées finissent par créer une tension quotidienne dans les missions d'enseignement. Ces conditions ne permettent pas aux enseignants de tirer profit de l'hétérogénéité des classes. Cette tension, les élèves la ressentent forcément.

Les évaluations, surtout pour les élèves qui rencontrent des difficultés d'apprentissage ou qui sont en échec scolaire, participent à cette violence psychique.

Il est donc impératif de remettre au cœur du dispositif pédagogique le plaisir d'apprendre, le ludique, et de développer un travail personnalisé, qui soit positif et cesse de rabaisser les élèves.

En ce sens, un usage approprié et adapté de l'intelligence artificielle est une chance à saisir ; je sais que vous y êtes particulièrement attachée, madame la ministre d'État.

Enfin, plus généralement, nous devons veiller à ce que l'école, le collège et le lycée soient réellement perçus par les élèves comme une seconde maison, bienveillante et enrichissante. Cela sera possible si nous nous dotons des moyens nécessaires et si, en plus de prendre en compte les points soulevés au cours de ce débat, nous créons au sein des établissements, le cas échéant en lien avec les autres structures publiques locales, par exemple des espaces d'échange, de débat et de formation à la citoyenneté, adaptés à l'âge et au degré de maturité des élèves. Les élèves en bénéficieraient tout au long de leur parcours éducatif.

Pour conclure, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain prend acte des déclarations et des annonces que vous avez faites dans votre propos conclusif, madame la ministre d'État. Nous vous en savons gré.

Vous pourrez compter sur l'ensemble des membres de notre groupe pour vous soutenir lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2026. Nous veillerons à ce que les moyens, en particulier humains, répondent bien aux attentes de la communauté éducative et des élus, afin de pouvoir lutter contre toutes les formes de violences à l'école. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laure Darcos applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle politique de protection et d'accompagnement des élèves dans les établissements scolaires, avec quelles modalités de contrôle ? »

7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 2 juin 2025 :

À quinze heures et le soir :

Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi autorisant la ratification de la résolution LP.3(4) portant amendement de l'article 6 du Protocole de Londres de 1996 à la Convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et autres matières (texte de la commission n° 622, 2024-2025) ;

Projet de loi portant création de l'établissement public du commerce et de l'industrie de la collectivité de Corse (procédure accélérée ; texte de la commission n° 645, 2024-2025) ;

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile (texte de la commission n° 459, 2024-2025).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER