PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Hervé Gillé, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre Haute Assemblée a aujourd'hui l'occasion de mettre fin à plusieurs décennies d'impuissance publique s'agissant de la qualité de l'eau destinée à la consommation humaine.
La proposition de loi déposée par notre collègue Florence Blatrix Contat vise à prendre à bras-le-corps un sujet qui – il faut en avoir bien conscience – touche particulièrement les collectivités locales et, à travers elles, les syndicats d'eau et d'assainissement, celui de la pollution de l'eau et du coût de notre inaction.
En tant que rapporteur de ce texte, j'avais proposé, avec l'accord de son auteure, plusieurs ajustements, afin de tracer un chemin collectif et concerté de réduction des pressions sur la ressource en eau, l'idée étant que ces efforts ne pèsent pas de façon injuste et soient les plus acceptables possible au regard des enjeux.
À ce titre, les élus locaux attendent que nous, parlementaires, ayons une attitude responsable, et non une simple posture dogmatique sur ce sujet délicat. Les élus locaux de terrain, qui connaissent parfaitement de tels enjeux, attendent que nous agissions avec détermination pour mettre fin à la dégradation de la qualité des eaux souterraines et superficielles servant à l'alimentation en eau potable.
Selon les estimations, les économies susceptibles d'en résulter en termes de dépenses de dépollution et de traitements évités seraient comprises entre un milliard d'euros et deux milliards d'euros par an. C'est un chiffre qui résume de façon limpide les enjeux du débat, en ces temps où l'argent public se fait rare, madame la ministre.
En 2024, la France compte un peu moins de 37 800 captages actifs destinés à la production d'eau potable, dont 96 % prélèvent dans les eaux souterraines. Chaque année, ce patrimoine essentiel à la résilience hydrique se réduit, du fait de l'abandon de certains équipements. Sur la période 1980-2024, près de 14 300 captages ont été fermés, soit plus d'un quart.
La première cause d'abandon des captages est imputable à la dégradation de la qualité de la ressource en eau, pour un tiers des situations. Parmi ceux-ci, 41 % des captages sont fermés du fait de teneurs excessives en nitrates ou en pesticides. Malgré les alertes et les appels à l'action des élus locaux, des agences de l'eau et des associations de protection de l'environnement, le rythme des fermetures ne montre aucun signe d'amélioration, tant s'en faut.
Un rapport réalisé conjointement par l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'environnement et du développement durable au mois de juin 2024 a pointé l'échec global de la préservation de la qualité des ressources en eau pour ce qui concerne les pesticides, malgré quelques progrès localisés, souvent très lents, ainsi qu'une « gestion des non-conformités de la qualité des eaux brutes qui pose de sérieuses difficultés aux acteurs de terrain. »
Les auteurs de ce rapport dressent le constat de l'insuffisance des politiques de protection des captages et alertent sur le fait que, sans mesures préventives ambitieuses et ciblées, la reconquête de la qualité des eaux est illusoire. Le constat est donc sévère, mais lucide, ce que démontrent malheureusement les taux de non-conformité lors des analyses de l'eau par les agences régionales de santé.
Bien évidemment, cet échec est collectif. Nous nous contentons de solutions curatives au lieu de promouvoir des approches préventives, alors que ces dernières coûtent au moins trois fois moins cher. Je ne peux pas m'empêcher d'y voir une forme de gaspillage de l'argent public et un mauvais usage du produit des redevances de l'eau. C'est un « luxe » que nous ne pouvons plus nous permettre !
De même que l'échec est collectif, les solutions pour y remédier devront nécessairement associer tous les acteurs de l'eau, en prenant en compte les activités présentes au sein des aires d'alimentation des captages, dans le cadre des démarches concertées, avant la mise en œuvre de tout levier coercitif. Cet aspect est particulièrement important ; nous aurons l'occasion d'y revenir.
Pour atteindre les objectifs ambitieux qu'il faudra nécessairement nous assigner si nous souhaitons éviter une forte augmentation du coût de l'eau, nous n'aurons pas d'autre choix que de recourir à des mesures d'interdiction ou de limitation de certaines substances et pratiques.
Bien évidemment, la dégradation de la ressource en eau ne se limite pas aux seuls usages agricoles. Cette stratégie de réduction des pressions sur les captages les plus prioritaires me paraît cependant essentielle. Cette orientation est également partagée par un grand nombre d'acteurs et figure dans la feuille de route annoncée par la ministre Agnès Pannier-Runacher au mois de mars dernier.
Les auditions préparatoires en ma qualité de rapporteur, les débats en commission et l'expertise que j'ai pu acquérir au sein des différentes instances de l'eau du bassin Adour-Garonne m'ont toutefois convaincu que, pour atteindre cet objectif, il faudrait avancer de manière progressive et être accompagné. C'est d'ailleurs ce que je me suis efforcé de faire dès le début des travaux en commission, avec la mise en place d'une démarche volontariste et contractuelle, au travers des contrats d'engagement réciproque, c'est-à-dire une négociation sur objectifs.
Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont repris mon initiative ; nous en débattrons tout à l'heure, lors de l'examen des articles.
J'ai déjà mentionné les limites du cadre normatif visant à protéger les points de captage d'eau potable. Il est extrêmement diffus et foisonnant, dispersé dans de nombreux codes. Les grandes lois sur l'eau de 1964, de 1992, de 2006 ont enrichi et perfectionné les instruments, prenant la forme de périmètres de protection, instaurés par des déclarations d'utilité publique, des plans d'action, des zonages au sein desquels peuvent être édictées des prescriptions, des interdictions ou des régulations spécifiques tendant à protéger la qualité des eaux.
Différentes stratégies sont venues compléter cet arsenal juridique : depuis le millier de captages prioritaires instaurés par le Grenelle de l'environnement et la conférence environnementale de 2013, en passant par les différentes moutures du plan Écophyto, le plan « eau » du mois de mars 2023, jusqu'à la feuille de route visant à améliorer la qualité de l'eau par la protection de nos captages, mentionnée précédemment.
Cet empilement normatif et cette superposition de stratégies sont le signe indéniable d'une prise de conscience des enjeux de la reconquête de la qualité des eaux brutes, mais également la démonstration de l'impuissance collective à atteindre les objectifs. Tous les acteurs que j'ai entendus en audition le reconnaissent : il faut changer d'échelle, de mesures et d'outils.
Dans sa version initiale, la proposition de loi instaure une interdiction d'utilisation et de stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux au sein des zones de protection des aires d'alimentation des captages et des zones vulnérables aux pollutions par les nitrates d'ici à 2031, assortie d'une sanction pouvant aller jusqu'à 75 000 euros et jusqu'à deux ans d'emprisonnement en cas de violation.
Avec l'auteure du texte, nous avons très tôt identifié la nécessité d'améliorer son acceptabilité auprès des parties prenantes.
C'est la raison pour laquelle j'ai proposé en commission cinq amendements visant à resserrer le champ d'application de l'interdiction là où les pressions sont les plus fortes et la qualité de l'eau la plus dégradée, à différer son entrée en vigueur de 2031 à « dix ans après la promulgation du texte » – cela change tout de même le calendrier –, à dépénaliser les sanctions et à diviser par dix le montant de l'amende, avec un mécanisme permettant de ne pas déstabiliser les petites et moyennes exploitations agricoles, ainsi qu'à instituer un contrat d'engagement réciproque, c'est-à-dire un dialogue de gestion sur objectifs, facultatif et volontariste, afin de définir les modalités d'accompagnement et les engagements en vue de protéger les captages d'eau potable.
À ce stade de la discussion, il est essentiel de comprendre cette démarche de négociation en amont de la coercition.
La commission n'a pas soutenu ces initiatives, ce que je regrette, car elles me semblaient répondre aux interrogations et aux craintes exprimées lors des auditions par les représentants du monde agricole. Je déplore d'ailleurs que le débat en commission se soit focalisé sur la version initiale du texte et que l'on n'ait pas suffisamment tenu compte des amendements proposés.
En tant que rapporteur, j'ai précisément cherché à trouver les voies de passage, afin que le Sénat, en tant que chambre des collectivités, soit à l'avant-garde sur ce sujet majeur.
À mon grand regret, les échanges en commission n'ont pas tenu compte de l'ouverture au compromis de l'auteure de la proposition de loi, dont je tiens à saluer le travail et l'écoute, et des évolutions majeures que nous souhaitions apporter à ce texte.
Vous l'avez compris, pour des raisons qui ne m'ont pas entièrement convaincu, la commission n'a pas adopté le texte et a rejeté les amendements constructifs que j'avais proposés. Nous examinons donc aujourd'hui la proposition de loi dans sa version initiale, ce qui ne prend pas en compte le travail effectué ces dernières semaines. C'est bien dommage ! Nous aurions pu débattre aujourd'hui d'une version améliorée.
Certains d'entre vous proposent de supprimer purement et simplement l'article 1er, ce qui, à mon sens, revient à faire la politique de l'autruche. L'amélioration de la qualité des eaux brutes mérite tous les efforts du législateur, et en aucun cas une posture de type : « Circulez, il n'y a rien à voir ! » Nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir.
En tant que rapporteur, je serai évidemment tenu – c'est logique – d'exprimer la position que la commission a adoptée hier ; je tiens d'ailleurs à souligner que nous avons eu un dialogue positif lors de nos réunions. Toutefois, j'indique d'ores et déjà que je serai, à titre personnel, favorable aux initiatives de mon groupe visant à accroître l'efficacité, l'opérationnalité et l'acceptabilité du texte.
Le Gouvernement travaille, je le sais, à une feuille de route sur la protection des captages. Mais rejeter ce texte reviendrait à ne pas apporter notre contribution à ce débat fondamental, dont nous ne connaissons pas encore l'issue, même si nous espérons, sans en être vraiment certains, qu'il y en aura une rapidement.
Mes chers collègues, il serait assez inédit et ironique que le Sénat, fort de son expertise, de sa sagesse et de son indépendance, laisse le Gouvernement travailler seul à une stratégie, qui, si elle se confirme, préoccupe tant les élus locaux…
Je tiens d'ailleurs à le souligner, au-delà des enjeux pour les filières professionnelles et le monde agricole, les élus locaux attendent de disposer d'une boîte à outils qui leur permettrait de résoudre véritablement de tels problèmes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, cher Jean-François Longeot, madame la sénatrice Florence Blatrix Contat, monsieur le rapporteur, cher Hervé Gillé, je vous prie tout d'abord d'excuser ma collègue Agnès Pannier-Runacher, qui représente le Gouvernement à Nice à la troisième conférence des Nations unies sur l'océan, sujet sur lequel sa détermination et son engagement de longue date sont bien connus.
C'est évidemment toujours un plaisir pour moi de me retrouver ici, au Sénat, pour discuter de questions aussi importantes que celle de la qualité de l'eau.
Ce texte nous donne l'occasion d'aborder un enjeu essentiel : garantir une eau potable de qualité, en quantité suffisante et à un coût maîtrisé pour tous nos concitoyens. C'est une priorité du Gouvernement, qui a lancé – vous l'avez indiqué tout à l'heure –, sous l'autorité du Premier ministre, le 28 mars dernier, une feuille de route ambitieuse pour améliorer la qualité de notre eau potable par la protection des captages.
Ce débat s'inscrit dans un contexte marqué par les dérèglements climatiques, qui conduisent, entre autres, à une raréfaction de la ressource.
Je souhaite commencer par quelques éléments de constat.
Près d'un tiers des masses d'eau souterraines sont touchées par des pollutions diffuses, et 3,3 % par des pollutions ponctuelles.
Entre 1980 et 2021, plus de 12 600 captages d'eau potable ont été fermés en France. Dans un tiers des cas, c'est la dégradation de la qualité de l'eau qui a conduit à ces abandons. Ces fermetures réduisent l'accès à des ressources en eau fiables et saines, dans un contexte où le dérèglement climatique accroît déjà les contraintes en termes quantitatifs.
Avec près de 33 300 captages assurant les deux tiers de l'eau consommée, la protection de ces ressources stratégiques est un enjeu vital. Je tiens à saluer l'initiative de la sénatrice Florence Blatrix Contat, qui a souhaité l'inscription du sujet à l'ordre du jour du Sénat, même si, comme votre commission l'a rappelé, l'approche coercitive n'est pas la voie que nous privilégions.
Il ne suffit plus de traiter la pollution une fois qu'elle est là. Vous avez raison, monsieur le rapporteur : nous devons agir en amont, en protégeant l'eau à la source. Le traitement curatif, aussi performant soit-il, est coûteux, énergivore et parfois inefficace face à des pollutions émergentes.
Le coût annuel du traitement de l'eau potable est estimé entre 500 millions d'euros et 1 milliard d'euros. C'est pourquoi la prévention est aujourd'hui un levier incontournable. Car vous avez raison, monsieur le rapporteur : l'argent public se fait, lui aussi, très rare.
Face à ce constat, le Gouvernement agit.
Il s'engage résolument, comme vous nous y appelez, dans une politique de protection à la source, conforme aux exigences européennes. Cette action est pensée à l'échelle des territoires, avec des mesures proportionnées aux risques, graduées, adaptées aux réalités locales, de la sensibilisation jusqu'à des initiatives réglementaires ciblées dans des zones qui constituent des enjeux majeurs.
Cela passe par la délimitation des aires d'alimentation des captages et la mise en œuvre des périmètres de protection réglementaires, obligatoires depuis 1992, qui permettent de prévenir efficacement les pollutions accidentelles. La responsabilité d'engager ces procédures revient aux collectivités, et leur mobilisation est déterminante pour garantir la sécurité de l'eau.
À la fin de l'année 2024, les résultats sont encourageants. En effet, 87 % des aires d'alimentation des captages sont désormais délimitées ; 85 % disposent d'un plan d'action adopté ou en cours d'élaboration, même si seulement 8 % sont couverts par un programme volontaire prévoyant des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE).
Notre stratégie repose sur deux piliers : d'une part, la directive Nitrates, qui impose des programmes d'actions contraignants dans les zones vulnérables ; d'autre part, la stratégie Écophyto 2030, qui a permis une réduction majeure, de plus de 97 %, des ventes de substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques de catégorie 1 (CMR1), les plus dangereuses pour la santé humaine.
Pour renforcer l'efficacité de la prévention, la mesure 28 du plan Eau prévoit qu'en cas de dépassement des seuils de qualité pour un produit phytosanitaire toujours utilisé le préfet puisse prendre des mesures contraignantes immédiatement applicables.
Les concertations en cours dans le cadre de la feuille de route pour préserver la qualité de l'eau par la protection des captages – car nous ne faisons pas cela tout seuls, monsieur le rapporteur ! – visent à concrétiser cette ambition, avec deux priorités : identifier les aires d'alimentation à traiter en priorité sur la base d'une analyse de risque rigoureuse ; et établir un guide pratique à destination des préfets pour adapter la réponse aux situations locales.
L'article 1er de cette proposition de loi prévoit l'interdiction de l'utilisation et du stockage de produits phytopharmaceutiques et d'engrais minéraux dans les zones de protection des aires d'alimentation de captage à compter du 1er janvier 2031.
Nous savons aujourd'hui que la présence persistante de produits phytosanitaires et de leurs métabolites dans les eaux souterraines constitue un obstacle à la qualité de notre ressource en eau.
Mais, pour être acceptables et efficaces, les mesures qui affectent directement notre agriculture doivent être ciblées. Interdire partout, de manière uniforme, conduirait à négliger les spécificités locales et à fragiliser l'adhésion des acteurs de terrain. Il faut concentrer nos efforts sur les zones les plus vulnérables, les plus contributives à la pollution des captages.
C'est tout l'enjeu des zones de protection des aires d'alimentation de captage. Il revient au préfet de déterminer ces périmètres selon les spécificités locales. Ce dispositif, bien utilisé, permet une approche fine et, surtout, proportionnée.
Toutefois, il nous faut reconnaître que la réglementation actuelle présente des limites. En l'état, elle ne permet pas toujours de différencier les types de mesures selon les zones au sein d'une même aire d'alimentation du captage. Et, encore une fois, il s'agit non pas d'imposer, mais d'organiser une transition raisonnée, territorialisée et construite, monsieur le rapporteur, avec les acteurs de terrain.
Ainsi, si l'objectif de renforcer la protection des captages est pleinement partagé par le Gouvernement, l'interdiction totale des produits phytopharmaceutiques et des engrais minéraux sur l'ensemble de l'aire d'alimentation d'un captage dans un délai uniforme de six ans nous inspire d'importantes réserves.
Elle s'écarte de l'approche graduée, proportionnée, ciblée et déconcentrée que vous appelez de vos vœux au Sénat et que le Gouvernement défend dans le cadre de la feuille de route dédiée à l'amélioration de la qualité de l'eau potable. Cette dernière prévoit une montée en puissance progressive – je le répète – des mesures, en fonction du niveau de risque et des dynamiques locales engagées. Cette approche mesurée me semble la seule à même d'opérer ces transitions, non pas contre les acteurs, mais avec chacun d'entre eux.
L'article 2 prévoit le renforcement des sanctions en cas de non-respect des interdictions relatives à l'utilisation et au stockage de produits phytopharmaceutiques et d'engrais.
Soyons clairs : nous n'atteindrons pas nos objectifs de protection de l'eau et de l'environnement par des mesures strictement répressives. Ce n'est ni efficace à long terme ni soutenable socialement.
Car imposer des normes sans tenir compte des réalités du terrain, sans alternative viable ni perspectives de transformation nous conduit à l'impasse. Pour un grand nombre d'agriculteurs, cette réponse coercitive est vécue comme une injustice.
C'est pourquoi nous devons faire évoluer notre modèle avec le monde agricole. Cela suppose un accompagnement fort : technique, humain et financier.
J'entends d'ailleurs parfois les critiques sur l'écart entre les sanctions qui sont prévues par la loi et celles qui sont effectivement prononcées. Je crois essentiel de rappeler un principe fondamental de notre droit : la réponse pénale doit toujours être adaptée à la situation concrète, au contexte, aux circonstances. Cette appréciation relève de l'autorité pénale, qui doit toujours être indépendante. Le Gouvernement a récemment engagé une mission d'évaluation sur la proportionnalité des peines environnementales. Dès lors, dans l'immédiat, toute création de nouvelle infraction semble prématurée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces précisions étant apportées, je tiens encore une fois à saluer l'esprit qui anime les auteurs de cette proposition de loi. Car qu'y a-t-il de plus fondamental et de plus commun que d'assurer la protection de nos ressources en eau, d'accompagner la transition agricole et de renforcer notre résilience face aux effets du changement climatique ? Le débat que nous aurons me semble légitime, même si nous n'en partageons pas toujours l'approche stricte.
Fort de cette ambition partagée et du travail qui a été mené par la commission de l'aménagement du territoire et par le rapporteur, et compte tenu des arguments et réserves que je viens d'émettre, le Gouvernement s'en remettra à la décision du Sénat sur le texte et sur les amendements en discussion.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Delia. (Mme Kristina Pluchet applaudit.)
M. Jean-Marc Delia. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, personne ici ne nie l'urgence.
Oui, la pollution de nos ressources en eau est un défi majeur. Oui, garantir à chaque Français une eau potable de qualité est un impératif.
Bien que la commission ait rejeté le texte la semaine dernière, je tiens à souligner les efforts du rapporteur Hervé Gillé, qui, fidèle à l'ADN sénatorial, a cherché à trouver un compromis, notamment en présentant des amendements visant à restreindre le champ de la proposition de loi.
Toutefois, le modèle d'interdiction qu'elle prévoit, quelle que soit son étendue, nous pose problème.
D'abord, sur le papier, l'idée de la généralisation des périmètres de protection et des aires d'alimentation de captage paraît simple. Il suffirait d'étendre les périmètres, de multiplier les zones de protection renforcées, et le problème serait réglé. Mais la réalité, c'est qu'après plus de trente ans de législation sur l'eau 16 % des captages n'ont toujours pas de périmètre de protection. Ce n'est donc pas en ajoutant de nouvelles obligations que l'on va régler le problème ! Ce dont les collectivités ont besoin, c'est d'efficacité, de moyens humains et financiers, pas d'une nouvelle couche de normes sans moyens supplémentaires.
Ensuite, en envisageant des restrictions d'usage et une interdiction généralisée de l'emploi de certains intrants agricoles dans les aires d'alimentation de captage et les zones de protection, sans prise en compte des situations locales ou des efforts déjà engagés par les filières, autrement dit en multipliant les interdictions et les contrôles, je le dis franchement : on risque de faire plus de mal que de bien ! (M. Daniel Salmon s'exclame.)
Ces mesures s'inscrivent dans une logique de défiance, qui fragilisera nos exploitants, déjà soumis à de fortes contraintes, sans apporter de garanties supplémentaires pour la qualité de l'eau. L'interdiction généralisée des intrants sur de vastes périmètres, la multiplication des obligations administratives et le renforcement des contrôles et des sanctions risquent de décourager les bonnes volontés. (M. Daniel Salmon s'esclaffe.)
De plus, bien que nous soyons unanimes sur la nécessité de disposer d'une eau potable répondant aux critères de qualité, il convient, me semble-t-il, de rappeler un chiffre : parmi les 12 500 captages qui ont été fermés ces trente dernières années, seulement 34 % l'ont été pour cause de pollution aux nitrates et aux pesticides.
M. Daniel Salmon. C'est déjà pas mal !
M. Jean-Marc Delia. Mais alors, en quoi consistent les 66 % restants ? Est-il raisonnable de cibler le monde agricole, d'en faire le principal responsable ? Je ne le pense pas.
Nos agriculteurs, qui sont déjà soumis à des contraintes énormes, n'ont pas besoin d'être stigmatisés ou noyés sous les normes. Ils ont besoin d'un accompagnement, de confiance, et non d'un empilement de règlements ne tenant pas compte des efforts déjà réalisés sur le terrain.
Imposer de nouvelles obligations sans compensation, c'est creuser encore un peu plus la fracture entre territoires, notamment en milieu rural, où les budgets sont déjà très serrés.
Permettez-moi d'illustrer mon propos par l'exemple du Pays de Grasse, dans les Alpes-Maritimes. Voilà un territoire qui, ces dernières années, subit sécheresse, restrictions et problématiques d'alimentation. Face à cette situation, la communauté d'agglomération du Pays de Grasse, en lien avec le département et l'ensemble des gestionnaires, a déjà déployé un ambitieux programme d'action : lutte contre les pertes d'eau, optimisation des usages, sécurisation de l'alimentation, identification des ressources stratégiques futures, sensibilisation et accompagnement des usagers dans la réduction de leur consommation.
Résultat, la qualité de l'eau distribuée est excellente, avec une conformité microbiologique et physico-chimique à 100 %. Ce succès tient à la concertation, à l'innovation, à la responsabilisation de chacun – agriculteurs, monde économique, industriels –, et non à la sanction, à la contrainte uniforme ou à l'ajout de normes.
Alors oui, il faut agir. Mais toute action ne peut porter ses fruits qu'en s'appuyant sur les acteurs locaux, en tenant compte des réalités du terrain et en valorisant ce qui fonctionne déjà.
Nous, membres du groupe Les Républicains, restons pleinement engagés pour la protection de l'eau. Mais, en l'état, ce texte va trop loin dans la contrainte. Nous voterons donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je pense que nous partageons tous le même constat sur ces travées : l'eau potable est un bien vital qui est aujourd'hui menacé ; c'est le cas en France, à la fois par la dégradation de sa qualité et par sa rareté croissante.
Sur le plan qualitatif, les pollutions diffuses restent un problème majeur. Elles proviennent principalement des pesticides et des engrais azotés, mais aussi de l'industrie avec des substances persistantes, comme les PFAS.
En 2022, plus de 10 millions de nos concitoyens ont reçu au moins une fois une eau non conforme aux normes sanitaires. Et 30 % de nos eaux souterraines sont aujourd'hui contaminées par des résidus chimiques.
Sur le plan quantitatif, le changement climatique accentue la pression : les sécheresses se multiplient, les nappes peinent à se recharger et les débits des cours d'eau diminuent. Cela fragilise l'alimentation en eau potable, notamment en été, et oblige parfois à fermer des captages, souvent de manière définitive.
Entre 1980 et aujourd'hui, plus de 14 000 captages, dont une large part à cause des pollutions, ont ainsi été abandonnés. Cette situation affaiblit la résilience hydrique de nos territoires, en concentrant la pression sur un nombre de points de prélèvement de plus en plus réduit.
Face à cette réalité, notre pays ne part pas de rien.
Depuis la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau, les captages doivent être protégés par des périmètres réglementaires. Plus de 84 % d'entre eux sont aujourd'hui couverts, ce qui est un progrès. Depuis 2009, nous avons aussi instauré des zones de protection des aires d'alimentation des captages avec des programmes d'action locaux. Mais, au regard de l'enjeu, nous devons accentuer ces efforts.
Le texte dont nous débattons aujourd'hui se fonde sur un constat partagé : il faut faire plus et, surtout, prévenir les pollutions à la source. En effet, prévenir coûte trois fois moins cher que traiter l'eau après pollution.
Mais si l'ambition qui sous-tend cette proposition de loi est louable, ce texte soulève aussi des préoccupations légitimes. En interdisant dès 2031 l'usage et le stockage de produits phytosanitaires et d'engrais minéraux dans toutes les aires d'alimentation de captage, il impose une contrainte massive sans prévoir les moyens concrets de l'accompagner.
Cette approche coercitive fait peser une pression sur les agriculteurs sans garantir qu'ils auront les moyens techniques et financiers de s'adapter. Elle risque in fine de fragiliser la viabilité agronomique et économique de nombreuses exploitations, en particulier celles qui se situent dans des zones de captage prioritaires, où les surfaces concernées sont souvent très vastes. Nous devons entendre ces inquiétudes et faire preuve de pragmatisme.
Si la transformation des pratiques agricoles est nécessaire, elle doit être accompagnée par des dispositifs adaptés, car le monde agricole ne peut pas porter cet effort seul.
Je souhaite enfin insister sur les enjeux spécifiques relatifs à l'eau potable en outre-mer, en particulier en Guadeloupe. Dans nos territoires, la situation est d'autant plus critique que des pollutions historiques telles que le chlordécone, qui a provoqué un vaste scandale – nous l'avons évoqué ce matin –, laissent des stigmates profonds dans les sols et les eaux.
Il est donc essentiel que la politique de l'eau s'articule avec nos territoires, qu'elle dispose de moyens renforcés et qu'elle se déploie sur le long terme.
En résumé, si nous partageons l'objectif de cette proposition de loi – mieux protéger nos ressources en eau potable –, nous estimons que son atteinte appelle une approche plus équilibrée qui conjugue prévention, concertation et accompagnement.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI laisse une liberté de vote à ses membres sur cette proposition de loi.
Pour ma part, au regard de la situation de la Guadeloupe, département dont je suis élue, ainsi que de la Martinique, je voterai résolument pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)