Sommaire
Présidence de Mme Sylvie Robert
Convocation du Parlement en session extraordinaire
Modification de l'ordre du jour
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Renforcer la protection des ressources en eau potable
Rejet d'une proposition de loi
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
Mise au point au sujet de votes
Impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches
Rejet d'une proposition de loi
proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches
Mise au point au sujet de votes
Mieux protéger les écosystèmes marins
Rejet d'une proposition de loi modifiée
proposition de loi visant à mieux protéger les écosystèmes marins
Modification de l'ordre du jour
Présidence de Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Secrétaires :
M. François Bonhomme,
M. Bernard Buis.
1
Convocation du Parlement en session extraordinaire
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 11 juin 2025 portant convocation du Parlement en session extraordinaire à compter du mardi 1er juillet 2025.
L'ordre du jour établi de façon prévisionnelle par la conférence des présidents qui s'est réunie hier est ainsi confirmé.
2
Modification de l'ordre du jour
Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l'inscription à l'ordre du jour du mercredi 2 juillet 2025, après la séance de questions d'actualité au Gouvernement, et sous réserve de leur dépôt, de l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur.
Acte est donné de cette demande.
Nous pourrions en conséquence fixer le délai limite d'inscription des orateurs au mardi 1ᵉʳ juillet 2025 à quinze heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
3
Victimes du chlordécone
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone (proposition n° 373, texte de la commission n° 687, rapport n° 686).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer. Madame la présidente, monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, cher Jean-François Longeot, madame la rapporteure Nicole Bonnefoy, mesdames, messieurs les sénateurs, le scandale du chlordécone est une tache dans l'histoire récente de notre pays, une fêlure dans la relation entre l'État et les territoires exposés : la Martinique et la Guadeloupe.
Je veux vous dire mon souhait et mon ambition : avancer dans la reconnaissance des préjudices subis par les victimes du chlordécone.
Nous le savons tous, dans ces territoires, les attentes sont fortes, légitimement fortes. Dans un tel contexte, il importe de ne pas décevoir et, donc, d'aboutir. Trop souvent, dans les outre-mer, les rendez-vous manqués ont nourri l'incompréhension et la défiance. Parfois, ils attisent les tensions.
La colère est compréhensible. Il faut parler de ce scandale et le traiter. Nous ne pourrons pas, malheureusement, revenir en arrière. Cependant, cette colère ne doit pas être un frein à l'action.
Nous ne devons donc pas manquer ce rendez-vous. Aux Antilles, les conséquences du chlordécone renvoient à un enjeu de cohésion et éprouvent le pacte social. Elles affectent la relation entre les territoires concernés et l'Hexagone, l'État, Paris.
On ne saurait réduire le sujet à sa dimension sanitaire ni à une question d'indemnisation, même si, évidemment, ces enjeux sont importants.
Si la posture du gouvernant ou du législateur induit parfois – logiquement ! – une forme de distance vis-à-vis des affects, il me semble en l'espèce nécessaire – en même temps, si j'ose dire – de comprendre les émotions et de mesurer les colères.
Pour lutter contre les conséquences du chlordécone, le Gouvernement agit.
La stratégie interministérielle de lutte contre le chlordécone 2021-2027, ou plan chlordécone IV est ambitieuse. Elle produit des résultats, et je veux ici saluer la directrice de projet chargée de sa coordination, Mme Edwige Duclay, ainsi que ses équipes.
Tous mes interlocuteurs aux Antilles louent l'important travail mené pour coordonner l'action des neuf ministères impliqués, aux côtés des préfets et des agences régionales de santé (ARS).
Cette stratégie se traduit par une quarantaine de mesures concrètes, que je veux rappeler. En trois ans de déploiement du plan, les crédits engagés ont été nettement supérieurs à la totalité des dépenses du précédent plan.
Les analyses de sang – la chlordéconémie – sont gratuites. Près de 42 500 dosages sanguins ont ainsi été réalisés.
Des analyses de sol sont également proposées gratuitement et des conseils adaptés sur l'alimentation et le jardinage sont fournis à tous ceux qui le souhaitent. Ainsi, depuis 2021, près de 12 000 analyses de sol ont été effectuées en Martinique et en Guadeloupe.
Autre résultat de notre stratégie, 98,2 % des denrées alimentaires contrôlées sont déclarées conformes et propres à la consommation.
En cas de nécessité, le surcoût du traitement de l'eau potable est pris en charge par l'État, dans le cadre d'une enveloppe annuelle dédiée. L'eau potable est conforme à 100 % en Martinique et à 97,4 % en Guadeloupe.
Plus de 300 éleveurs bovins ont fait l'objet d'un accompagnement en 2024 et une aide financière a été sollicitée pour 170 animaux en 2025. J'ai pu le constater moi-même il y a quelques mois, en Martinique notamment. Enfin, nous aidons également 800 pêcheurs.
Toutes nos actions – je viens de l'illustrer – visent un objectif : permettre aux populations antillaises de vivre sans risque chlordécone.
Beaucoup ignorent encore que le chlordécone s'élimine naturellement du corps lorsque l'on cesse de consommer des aliments contaminés, l'exposition étant – je ne vous l'apprendrai évidemment pas, mesdames, messieurs les sénateurs – essentiellement alimentaire.
Il est également possible de cultiver des produits non contaminés sur des sols pollués et d'élever des bovins de manière à éviter la contamination. Par ailleurs, on me l'a encore montré récemment, des aides existent pour accompagner ces pratiques.
L'État agit et il continuera à agir.
L'objectif « zéro risque » chlordécone est ma boussole. Son atteinte dépend des habitudes des habitants et, donc, d'un travail d'information et de sensibilisation qui sera plus que jamais poursuivi.
Il reste un besoin à satisfaire : il faut un acte solennel de reconnaissance. Traiter avec diligence et efficacité les conséquences du chlordécone doit s'accompagner d'une triple reconnaissance : celle des causes, celle des faits et celle des victimes.
Le Président de la République a prononcé des mots forts en ce sens au Morne-Rouge, le 27 septembre 2018 : « Au fond, pendant des années, pour ne pas dire des décennies, nous avons collectivement choisi de continuer à utiliser la chlordécone, là où d'autres territoires avaient cessé beaucoup plus tôt. Nous l'avons fait aussi parce que l'État, les élus locaux, les acteurs économiques ont accepté cette situation, pour ne pas dire l'ont accompagnée pendant cette période. »
Depuis cette déclaration, plusieurs initiatives parlementaires ont vu le jour. Je pense à la proposition de loi du sénateur Dominique Théophile, examinée ici même en avril dernier.
M. Patrick Kanner. Elle a été retirée !
M. Manuel Valls, ministre d'État. Je pense évidemment à la présente proposition de loi, déposée à l'Assemblée nationale par Elie Califer, et adoptée en février 2024, à l'époque contre l'avis du Gouvernement.
J'ai œuvré personnellement pour que les lignes bougent et que nous avancions, car, je le répète, il est temps que la reconnaissance de la responsabilité de l'État figure dans la loi.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement visant à reconnaître la responsabilité de l'État pour l'ensemble des préjudices subis.
Nous aurons l'occasion d'aborder la question du préjudice moral d'anxiété. Je ne veux pas fuir ce débat, qui dépasse le seul cadre juridique.
Je rappelle tout de même que l'État a été condamné par la cour administrative d'appel de Paris en mars dernier et que d'autres procédures sont en cours. En outre, le pourvoi qu'a formulé l'État doit permettre de sécuriser une jurisprudence au plus haut niveau de la justice administrative.
Je vous le dis franchement, je ne veux pas pinailler : je veux réaffirmer la responsabilité de l'État. Une décision du Conseil d'État doit permettre de consolider le dispositif d'indemnisation sur le plan juridique.
Je vous confirme donc – je le dis pour la troisième fois ! – que l'État reconnaît pleinement sa responsabilité. La clarté est la condition de la confiance. Je veux donc être très clair.
Par souci de cohérence, je vous indique que je soutiendrai l'amendement n° 2 rectifié du sénateur Frédéric Buval, qui vise à la reconnaissance, non pas d'une « part de responsabilité », mais de la pleine responsabilité de l'État.
Comme l'a rappelé le Président de la République, l'État n'est pas le seul responsable, mais il assume pleinement sa responsabilité propre. Ce sont les propriétaires des bananeraies qui ont répandu le chlordécone, mais c'est bien l'État qui a accordé des autorisations de vente d'insecticides à base de chlordécone. Cela doit être dit.
Pendant des années, ne pas le reconnaître a été une offense faite aux populations de Martinique et de Guadeloupe. Je m'interroge d'ailleurs : pourquoi ne l'a-t-on jamais fait avant ? Je souhaite que cette reconnaissance figure dans la loi.
Cette proposition de loi représente ainsi une étape importante. Elle témoignera du regard lucide de l'État sur les faits et sur sa responsabilité, grâce à l'initiative des parlementaires. Elle marquera également une avancée majeure en faveur de la reconnaissance et de l'accompagnement des victimes du chlordécone.
Pour autant, elle ne doit évidemment pas marquer la fin des travaux. Cela vaut pour les trois dimensions indissociables de la stratégie chlordécone : informer les citoyens sur les risques, protéger la santé des habitants et réparer les préjudices liés à la contamination.
Nous devons mieux protéger aujourd'hui. Nous devons aussi mieux réparer le passé. À cet égard, je veux prendre des engagements nouveaux.
Voilà quelques semaines, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi de Dominique Théophile, dont je salue le travail, même s'il a fini par retirer son texte, le Gouvernement s'était engagé à ouvrir une nouvelle voie d'indemnisation pour les personnes souffrant d'une maladie résultant d'une contamination en dehors de l'activité professionnelle.
Aujourd'hui, seules les victimes malades ayant été contaminées dans le cadre de leur travail peuvent être indemnisées, via le fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP). Les autres, les victimes « non professionnelles », elles, n'y ont pas droit.
Les prendre en compte répond à une exigence d'équité. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins, et moi-même y sommes attachés. Afin de concrétiser notre volonté commune, nous avons mobilisé nos administrations respectives en ce sens. Depuis le 9 avril dernier, les travaux avancent bien ; ils se poursuivront.
Pour aboutir, il nous appartient de déterminer l'entité ayant vocation à indemniser les victimes non professionnelles. Il faudra définir quelles en seront les modalités de gestion, quel en sera le cadre et quelle sera l'articulation avec le dispositif existant pour les victimes professionnelles.
C'est un travail long, qui, pour être efficace, requiert de la précision et de l'expertise. C'est pourquoi nous finaliserons au cours des semaines à venir les contours d'une mission inter-inspections dédiée. Elle devra évidemment travailler selon un certain rythme.
Mon objectif est simple : que la reconnaissance par l'État de sa responsabilité permette aussi l'indemnisation des victimes non professionnelles, en l'occurrence selon les modalités que la mission déterminera.
Je souhaite que nous soyons prêts techniquement. Les incertitudes relatives à la gestion administrative de ce dossier ne doivent pas faire obstacle à la concrétisation de notre volonté politique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à vous tenir informés de l'avancée des travaux annoncés, et j'aurai l'occasion d'y revenir à l'occasion de la discussion des amendements.
En synthèse, le Gouvernement soutient l'initiative qui a prévalu à l'élaboration de ce texte.
Mon propos a toutefois pour objet de vous présenter ce qui, au-delà de cette proposition de loi, constitue notre ambition : l'objectif « zéro risque » chlordécone et la stratégie dédiée qui se déploie dans les territoires, la reconnaissance de la responsabilité de l'État et, enfin, l'ouverture d'une nouvelle voie d'indemnisation.
Ce travail n'effacera pas la tache dans notre histoire commune que constitue le scandale du chlordécone. Mais il contribuera, je l'espère très sincèrement, à l'écriture collective d'un nouveau chapitre fondé sur la confiance et le respect mutuels. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Catherine Conconne et M. Patrick Kanner applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Solanges Nadille et Jocelyne Antoine, ainsi que M. Jacques Fernique applaudissent également.)
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons ce matin la responsabilité immense de marquer d'une pierre blanche, en les reconnaissant, les lourds préjudices subis par les populations de Guadeloupe et de Martinique, en raison de l'utilisation prolongée, entre 1972 et 1993, du produit toxique bien connu sous le nom de chlordécone.
Voilà deux mois presque jour pour jour, notre assemblée examinait le texte de notre collègue Dominique Théophile, qui visait, d'une part, à reconnaître la responsabilité de l'État dans les préjudices subis et, d'autre part, à instaurer un solide mécanisme de réparation des victimes du chlordécone.
L'auteur de la proposition de loi avait fait le choix de la retirer après que son article 1er avait été modifié. Dans l'hémicycle régnait alors un sentiment mêlé de gâchis et de remords. Nous avions l'impression d'avoir tourné le dos aux populations victimes des Antilles françaises.
C'est ce sentiment amer et ce goût d'inachevé qui ont conduit mon groupe à demander de nouveau l'inscription d'un texte visant à reconnaître la responsabilité de l'État dans les dommages subis par les populations guadeloupéenne et martiniquaise.
L'objectif de ce texte, adopté par l'Assemblée nationale en février 2024, me semble tout à fait fondamental. Il s'agit de reconnaître et d'admettre la responsabilité de l'État dans cette contamination des populations et dans cette pollution massive des sols et des eaux des territoires de Guadeloupe et de Martinique.
Ce texte, par sa nature et sa portée, diffère de la proposition de loi de notre collègue Théophile, examinée deux mois plus tôt. En effet, il ne crée pas de mécanisme de réparation intégrale ad hoc pour toutes les populations exposées au chlordécone ; il n'institue pas davantage de nouvelle autorité administrative indépendante.
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui se concentre sur l'essentiel : le symbole que constitue la reconnaissance, mais aussi la recherche et la science, pour continuer à approfondir nos connaissances sur le phénomène et son incidence sur les populations.
Pierre angulaire de la présente proposition de loi, l'article 1er reconnaît la part de la responsabilité de l'État pour quatre chefs de préjudice.
Premièrement, les préjudices sanitaires ne font aucun doute. Au travers des auditions que j'ai menées auprès de représentants de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), j'ai pu mesurer l'étendue des dégâts sanitaires causés à la population.
La pollution des sols affecte en effet la totalité de la chaîne alimentaire, et notamment les circuits locaux de l'agriculture ou de la pêche. Mais la pollution touche aussi les légumes racines, qui, dans certaines zones, sont largement imprégnés de chlordécone.
Ces dommages sanitaires sont nettement objectivés par les chiffres : 95 % de la population de la Guadeloupe et de la Martinique présente des traces de chlordécone dans le sang.
Deuxièmement, le préjudice moral d'anxiété correspond à la crainte de développer une pathologie en raison d'une vie passée dans un environnement malsain et contaminé, tout en ayant conscience de consommer, aujourd'hui comme demain, des aliments présentant des traces du pesticide et, surtout, tout en sachant que ce produit toxique est un accélérateur de pathologies notamment cancérigènes.
Cette notion peut sembler floue et complexe, mais elle est communément maniée par le juge administratif lorsqu'il est saisi d'une action en reconnaissance de responsabilité ou d'un recours pour une demande de réparation. À cette occasion, il est amené à procéder, par une appréciation fine, dite in concreto, à l'examen de l'ensemble des pièces que lui soumet une personne s'estimant victime de ce préjudice.
Le juge recourt à cette notion avec précaution. Saisie par près de 1 300 requérants au sujet du chlordécone en mars 2025, la cour administrative d'appel de Paris a ainsi admis ce préjudice pour seulement neuf d'entre eux.
Troisièmement, le préjudice environnemental demeure au stade du développement jurisprudentiel. Si cette notion n'est pas parfaitement balisée, elle connaît un certain essor devant les juridictions de droit commun. Le tribunal administratif de Paris a ainsi admis le préjudice environnemental en 2021, dans le cadre de la célèbre « affaire du siècle ».
Dans le cas du chlordécone, la pollution ne fait que peu de doute : les sols, bien sûr, mais aussi les nappes phréatiques, les eaux de surface et les espaces maritimes à proximité des îles présentent des traces de la molécule.
Quatrièmement, le préjudice économique constitue une perte de gains pour celui dont l'activité marchande est affectée. C'est bien évidemment le cas des pêcheurs et des agriculteurs, sur lesquels pèsent des normes sanitaires drastiques.
À cet égard, dans le cadre du plan chlordécone IV, les pêcheurs et les agriculteurs peuvent bénéficier d'une compensation de ces pertes financières.
Le texte que nous examinons ce matin a été modifié par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, dont je remercie le président pour ses qualités d'écoute et de dialogue.
La commission a souhaité préciser les contours de la responsabilité de l'État, non pas en la circonscrivant pour en réduire la portée symbolique et pratique, mais plutôt pour s'inscrire dans une démarche constructive de recherche de coresponsabilités.
Face à ce scandale sanitaire et environnemental, comme pour d'autres avant lui – je pense notamment au scandale de l'amiante –, l'État ne saurait être regardé comme le seul et l'unique responsable.
Pour autant, a-t-il permis l'utilisation du chlordécone en autorisant administrativement son utilisation en Guadeloupe et en Martinique pour lutter contre un ravageur ? Oui, c'est absolument incontestable.
Est-il le seul à avoir souhaité l'utilisation de ce pesticide ? Je ne le crois pas. Les exploitants agricoles et les industriels producteurs de chlordécone à l'époque doivent aujourd'hui faire face à leurs responsabilités.
Il serait en effet trop facile de se ranger derrière l'État et de lui imputer l'ardoise de toutes ses erreurs passées. Le moment venu, il reviendra à la justice d'identifier les coresponsables de cette contamination et de cette pollution.
Sur mon initiative, la commission a également cherché à renforcer la recherche à destination des femmes, afin de faire état des contaminations qu'elles subissent.
Au sujet de la place des femmes dans l'histoire, Marguerite Yourcenar évoquait, dans son discours de réception à l'Académie française, « une troupe invisible de femmes ».
Parfois contaminées au chlordécone, les femmes sont pourtant demeurées invisibles sous les lumières de la science, réduites, dans le cadre de la réponse de l'État à la contamination, à de simples ombres chinoises.
Il est désormais urgent de changer de braquet et d'approfondir les investigations sur les pathologies directement subies par les femmes. L'objectif est qu'elles puissent bénéficier, elles aussi, le cas échéant, d'un mécanisme de réparation comparable à celui dont profitent les hommes au travers du FIVP.
Sans la science, il n'y a pas d'objectivation ; or, sans objectivation, aucune perspective d'indemnisation sérieuse et robuste n'est envisageable. L'enjeu est donc immense !
Mes chers collègues, je tiens à souligner que les travaux que j'ai menés au nom de la commission m'ont également permis de prendre la pleine mesure de l'investissement de l'État dans la lutte contre les effets de cette molécule dans les Antilles françaises.
Le plan chlordécone IV constitue une réponse significative, certes encore insuffisante, mais sans commune mesure avec les précédentes versions de ce dispositif. Il marque un effort plus structuré, avec un accent porté sur l'ensemble de la chaîne de la contamination : prévention, recherche et accompagnement des victimes.
J'appelle votre attention sur ce dernier point. L'association Phyto-Victimes – que je connais très bien –, présente en Martinique et depuis peu en Guadeloupe, joue un rôle d'orientation et d'accompagnement des personnes contaminées et potentiellement éligibles au FIVP.
Or cette association m'a alertée sur des risques de coupes budgétaires qui pourraient mettre en péril son action en faveur de ces territoires à partir de 2026. Le Gouvernement peut-il nous apporter la garantie que les crédits destinés à financer l'action de Phyto-Victimes dans ces territoires seront maintenus ?
Mes chers collègues, nos compatriotes ultramarins nous regardent et comptent sur nous pour avancer sur ce long chemin de la reconnaissance et du symbole.
Les modifications apportées par la commission permettent d'aboutir à un texte équilibré, qui reconnaît les souffrances et les préjudices subis par les populations des Antilles françaises.
Le Parlement est, avec le chef de l'État, le seul à même d'universaliser, en les reconnaissant, les souvenirs douloureux et les peurs du présent. Il me semble que ce pas en avant ferait l'honneur de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Teva Rohfritsch applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux mois après l'examen de la proposition de loi déposée par Dominique Théophile et les membres du groupe RDPI, nous voici de nouveau réunis pour examiner un texte sur le sujet grave et important de l'usage du chlordécone aux Antilles.
Je profite de l'occasion pour saluer de nouveau le travail effectué par notre collègue Nadège Havet, rapporteure en avril dernier du texte que je viens de mentionner, un travail difficile sur un sujet si délicat.
Cette fois-ci, il s'agit d'une proposition de loi adoptée en janvier 2024 à l'Assemblée nationale.
Pour celles et ceux qui n'auraient pas suivi le débat précédent, je rappelle que le chlordécone est un pesticide utilisé pendant plus de vingt ans dans les bananeraies aux Antilles, notamment en Guadeloupe et en Martinique, du début des années 1970 au début des années 1990.
Le premier problème est que pesticide a une rémanence particulièrement forte : les nappes phréatiques et la chaîne alimentaire sont contaminées par la molécule pour plusieurs siècles.
Les personnes sont également contaminées : ainsi, plus de 90 % des Antillais ont cette molécule dans leur sang. Si, pour certains, le taux de chlordécone relevé est insuffisant pour être dangereux, pour d'autres, la contamination se traduit par des troubles neurologiques, des problèmes d'infertilité, des cancers et même des malformations congénitales pour les enfants exposés in utero.
Je rappelle ce chiffre effrayant : le taux d'incidence des cancers de la prostate est deux fois supérieur dans les Antilles à celui constaté dans l'Hexagone.
Un autre problème fait du sujet du chlordécone un véritable scandale : l'État savait.
Il a sciemment autorisé l'utilisation d'un produit dont plusieurs rapports ont reconnu, puis confirmé très tôt sa dangerosité, dans les années 1970 et dans les années 1980. Je rappelle que les États-Unis avaient interdit ce produit dès 1976, précisément pour cette raison. Il s'agit donc non pas d'un accident, mais de décisions administratives prises en connaissance de cause.
Même après l'interdiction tardive du produit, en 1990, une dérogation sera encore accordée pour les Antilles jusqu'en 1993.
Les responsabilités dans ce scandale n'ont jamais été clairement reconnues et cette lacune ne contribue nullement à apaiser la colère, légitime, des nombreuses victimes.
Enfin et surtout, le problème est que toutes les victimes n'ont pas obtenu réparation des dommages causés par leur exposition au chlordécone.
Certes, certaines d'entre elles ont pu bénéficier d'un système d'indemnisation : depuis 2021, le cancer de la prostate est reconnu comme maladie professionnelle chez les travailleurs de bananeraies qui ont été exposés au pesticide. Une indemnisation est également possible pour les enfants qui y ont été exposés in utero et qui présentent certaines pathologies.
Il serait toutefois hypocrite, et surtout injuste, de ne pas reconnaître les pathologies liées au chlordécone dont souffrent les victimes qui n'entrent dans aucune de ces catégories.
En effet, comme le rappelait Mme la rapporteure, les femmes ne peuvent pas obtenir réparation sur le fondement des mécanismes existants.
C'est pourquoi nous nous réjouissons sincèrement de l'amendement adopté en commission, qui vise à fixer comme objectif la recherche de pathologies développées par les femmes en raison d'une exposition au chlordécone. C'est le minimum que nous leur devons.
Le texte prévoit aussi la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans les préjudices subis, responsabilité devenue en commission la « part de » responsabilité. Sur ce point, notre groupe soutient l'idée selon laquelle la responsabilité est partagée entre une multitude d'acteurs, y compris au niveau local. Si l'État savait, il n'était pas le seul, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre.
Enfin, ayons l'honnêteté de le dire, cette proposition de loi a une portée symbolique. « L'État s'assigne pour objectif » n'est pas une formule juridiquement très engageante.
Aussi, nous voterons ce texte, tout en espérant qu'elle trouvera rapidement une traduction beaucoup plus concrète. Les victimes ont besoin non pas de promesses, mais d'actes. (M. le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ. (M. Jean-Marc Delia applaudit.)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd'hui à nous exprimer sur un sujet d'une gravité sanitaire, environnementale et humaine majeure : la pollution persistante au chlordécone en Martinique et en Guadeloupe.
Ce pesticide hautement toxique, utilisé pendant plus de vingt ans dans les bananeraies antillaises, a laissé une trace indélébile sur ces territoires, constituant un dossier exemplaire de défaillance systémique.
Nous avons désormais la responsabilité d'apporter une réponse structurelle et juste à cette crise, et de pallier la carence de l'État, qui a été pour le moins peu diligent, que ce soit en matière de mesures de précaution comme de reconnaissance officielle.
Cela passe à la fois par la science, par le droit, et par une volonté politique sans ambiguïté. Mais il est tout aussi nécessaire de replacer cette affaire dans son contexte historique et territorial.
L'usage du chlordécone débute en 1972 dans les Antilles françaises, alors que la banane constitue la principale ressource économique locale. La filière est confrontée à un ravageur redoutable, le charançon du bananier, qui menace la viabilité de nombreuses exploitations.
Le chlordécone, qui bénéficie déjà d'autorisations aux États-Unis, apparaît alors comme le seul produit efficace disponible. Il est homologué en France malgré des signaux d'alerte encore peu exploités.
Dans les années 1970 à 1990, la toxicité à long terme de la molécule est insuffisamment prise en compte. Des suspensions ont lieu, suivies de dérogations, jusqu'au retrait définitif du produit en 1993.
Cela n'excuse pas les manquements graves dans la gestion de la crise ni l'inaction administrative qui s'en est suivie, mais cela invite à nuancer le récit d'une décision cynique ou pleinement consciente.
L'État a certes failli, mais dans un contexte où les connaissances, les urgences économiques et les logiques agricoles de l'époque ont pesé lourdement sur les choix politiques.
Ce débat s'inscrit dans le prolongement d'une action publique ancienne. Dès 2008, c'est François Fillon, alors Premier ministre, qui lança le premier plan chlordécone à la suite des travaux parlementaires conduits sous la précédente majorité. Ce fut le point de départ d'une politique structurée en matière de dépollution, de recherche et de prévention sanitaire.
Le quatrième plan, en cours jusqu'en 2027 et doté d'un budget réévalué à 130 millions d'euros, soit un montant supérieur à celui des trois plans précédents cumulé, est aujourd'hui le fer de lance de la politique publique du Gouvernement pour réduire l'exposition de la population à ce pesticide.
Rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur les crédits relatifs à la mission « Cohésion des territoires » depuis 2017, je m'exprime chaque année sur ces différents plans chlordécone qui font partie de mon périmètre d'examen au titre du programme 162 « Interventions territoriales de l'État », dit Pite.
C'est l'occasion pour moi d'insister – l'ensemble de mes collègues concernés par ce sujet le savent – sur le rôle central et incisif du Sénat dans la construction, la sécurisation et l'évaluation de ces plans.
Nous n'avons pas hésité, en ce qui concerne le dernier plan, à user de nos prérogatives budgétaires et législatives pour défendre la stabilité des moyens financiers, améliorer la gouvernance, accélérer l'exécution sur le terrain et garantir que les victimes soient reconnues. Nous n'avons pas non plus hésité à endosser un rôle de vigie sur l'exécution réelle des crédits, dénonçant un gaspillage potentiel dans le cas où ceux-ci ne sont pas consommés. Enfin, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a largement alerté sur les manques en matière de recherche, de transparence et de pilotage.
Vous pouvez le constater, ce sujet est loin d'être délaissé par le Sénat.
Certes, ces plans témoignent d'une réelle action de l'État, mais est-ce suffisant ?
En tout état de cause, la réponse à apporter est largement perfectible et doit indéniablement s'inscrire dans une dimension globale et compatissante.
Je le dis ici avec gravité : la République ne peut pas rester sourde à cette souffrance. Elle ne peut pas se retrancher derrière le mur du temps ou les complexités juridiques. Compte tenu de l'enjeu pour nos territoires, l'action de l'État doit être objectivée et beaucoup plus efficace.
La proposition de loi que nous examinons ce jour nous en offre en partie l'occasion, même si nous regrettons le choix de recentrer le dispositif autour de la reconnaissance symbolique de la responsabilité de l'État et des différents objectifs de réparation.
Je ne reviendrai pas sur les dernières péripéties législatives et m'en tiendrai à ce à quoi cette proposition de loi contribuera. À ce titre, le positionnement de Mme la rapporteure emporte globalement notre adhésion, notamment parce qu'elle reconnaît que l'État a sa part de responsabilité, tout en laissant ouverte la détermination de coresponsabilités possibles, et parce qu'elle souhaite renforcer la recherche à destination des femmes exposées au chlordécone.
En revanche, concernant la reconnaissance d'un préjudice moral d'anxiété, telle qu'elle a pu être dégagée par la jurisprudence administrative, il nous semble que les propositions du Gouvernement sont plus adaptées.
En conclusion, parce que les territoires ultramarins ne doivent plus être les angles morts de la République, parce que le devoir d'équité territoriale, de santé publique et de transparence s'impose à tous les gouvernements, quels qu'ils soient, parce qu'il est temps que l'État tienne enfin ses engagements et parce qu'il est primordial de rétablir la confiance, le groupe Les Républicains, au nom duquel j'interviens aujourd'hui, votera en faveur de la proposition de loi telle qu'elle a été modifiée en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Buval. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Frédéric Buval. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à titre liminaire à saluer mon collègue Dominique Théophile, dont le courage politique concernant le scandale de la pollution des sols par le chlordécone aux Antilles guidera – je l'espère – nos travaux d'aujourd'hui.
Nous voici donc de nouveau réunis dans ce même hémicycle, à quelques semaines d'intervalle, pour débattre et enfin réparer l'une des plus grandes injustices de ce siècle. Réparer une injustice, ce n'est pas un acte de charité : c'est une obligation républicaine !
Là où l'État a failli, il doit maintenant assumer. Oui, assumer ! C'est si simple et si difficile à la fois : mes chers collègues, il ne suffira pas de mots creux ou de poches vides, car il est question, ici et maintenant, de rendre à chacun ce que la faute publique lui a arraché.
Édouard Glissant nous dirait : « Je meurs encore, vous qui passez… Ce n'est pas la mort que je crains, mais qu'elle me soit volée. »
Refuser de regarder en face le scandale du chlordécone, c'est comme refuser d'amputer une jambe gangrenée, une plaie béante qui empoisonne l'ensemble du corps social.
Le chlordécone est un poison lent qui n'est pas seulement dans les eaux et dans les terres : il coule dans nos veines, dans nos silences, dans nos regards baissés, dans nos pleurs, dans nos deuils. Comme toute gangrène, s'il n'est pas stoppé, immédiatement et définitivement, sans équivoque et sans faux-semblant, il rongera jusqu'à l'âme de notre pays.
Nous ne pouvons fuir plus longtemps nos responsabilités, car plus de 90 % de la population de la Guadeloupe et de la Martinique est contaminée par ce pesticide.
Ce pesticide rémanent, autorisé en toute connaissance de cause, a traversé les nappes phréatiques, les aliments et les utérus et le fera encore durant des centaines d'années. Il s'avère aujourd'hui que la Martinique détient un triste record : elle occupe le premier rang mondial en termes d'incidence du cancer de la prostate. Il y a des milliers de malades, des morts, et des générations entières y sont encore exposées quotidiennement.
Ce scandale sanitaire et environnemental est clairement un scandale d'État, car l'État savait et il a laissé faire ! Le principe de précaution fut piétiné, le droit à la santé ignoré, l'égalité républicaine bafouée.
Mes chers collègues, nous ne pourrons plus longtemps nous exonérer collectivement de la responsabilité totale de l'État dans les préjudices causés par l'autorisation de l'usage prolongé du chlordécone aux Antilles.
Nous le devons à nos compatriotes des Antilles, puisque la toxicité du chlordécone était déjà connue des pouvoirs publics depuis 1968, soit quatre longues années avant l'autorisation officielle accordée par l'État français en 1972.
Cette autorisation, accordée à titre dérogatoire, a été reconduite plusieurs fois par les autorités administratives et sanitaires françaises, pendant plus de vingt ans, et ce malgré la grande grève agricole en Martinique en 1974, malgré l'incident survenu dans une usine en Virginie et l'interdiction du chlordécone dès 1976 aux États-Unis, malgré les mises en garde répétées des scientifiques concernant le chlordécone, reconnu dès 1979 comme perturbateur endocrinien, probablement cancérigène.
Parallèlement à ses conséquences sanitaires, cet écocide affecte aussi l'activité économique et sociale, que ce soit dans le secteur agricole ou pour la pêche.
De plus, en l'absence de réponse politique, des associations militantes se sont lancées dans un marathon judiciaire qui n'apportera pas la reconnaissance politique et symbolique attendue par toutes les victimes et réclamée par la population entière.
Cette proposition de loi s'inscrit dans la suite de travaux législatifs menés précédemment ; je pense notamment au texte déposé par mon collègue du groupe RDPI, qui a permis des avancées supplémentaires pour le plan chlordécone IV, dont le budget a augmenté ces dernières années, mais qu'il convient de sanctuariser dans la loi.
D'autres avancées sont aussi à souligner depuis 2020, en particulier la reconnaissance de maladies professionnelles liées à l'exposition au chlordécone.
Cependant, en raison de la lourdeur dans la constitution des dossiers d'indemnisation, seuls cent cinquante dossiers ont été reçus à ce jour. Il convient donc de simplifier les procédures et d'accompagner davantage les victimes d'une maladie professionnelle.
À l'instar du dernier rapport sénatorial sur le chlordécone, le groupe RDPI appelle à aller plus loin. Il a d'ailleurs déposé des amendements que nous vous proposons de voter.
Tout d'abord, en matière de soins, nous vous proposons d'adopter, pour les Antilles, des dispositions spécifiques relatives aux soins oncologiques, afin de faciliter les traitements du cancer de la prostate, et à destination des femmes ouvrières agricoles dont les cancers du sein ou de l'utérus ne sont toujours pas reconnus comme maladie professionnelle.
Ensuite, en matière de recherche sur les possibilités de dépollution et sur l'objectif de « zéro chlordécone » dans l'alimentation, nous souhaitons améliorer la communication en faveur des populations des Antilles, mais aussi vis-à-vis de la diaspora de l'Hexagone concernant la gratuité des tests sanguins.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Frédéric Buval. Quelle peut être la portée d'une reconnaissance de la responsabilité de l'État si l'on ne prévoit pas les modalités d'indemnisation ?
L'heure est grave, l'histoire nous regarde. Alors que les extrêmes sont à nos portes, nous devons voter cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Grosvalet. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
M. Philippe Grosvalet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « nous ne pouvons pas écrire un texte qui exclut ce que nous avons déjà gagné en justice ». Ces mots justes de notre collègue Dominique Théophile illustrent pleinement ce qu'attendent de nous les populations antillaises à propos de la responsabilité de l'État dans le scandale politique qu'a été le chlordécone.
Il y a deux mois, nous examinions dans cette assemblée un texte qui, malgré l'attente forte qu'il a suscitée aux Antilles, a connu une regrettable mésaventure et n'a pu être voté. Or il nous faut bien trouver une voie pour la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans cette affaire.
En somme, il s'agit de ne pas rester au milieu du gué, entre une attente forte des populations locales et la décision de la cour administrative d'appel de Paris reconnaissant, le 11 mars dernier, la responsabilité de l'État, lequel « a commis des fautes en accordant des autorisations de vente d'insecticides à base de chlordécone, en permettant leur usage prolongé, en manquant de diligence pour évaluer la pollution liée à cet usage, y mettre fin, en mesurer les conséquences et informer la population touchée ».
Ce scandale politique, qui a nourri une profonde défiance des populations antillaises, continue d'affecter la vie de nos concitoyens.
C'est tout d'abord le cas en matière environnementale, avec des eaux et des terres encore contaminées par un pesticide qui agit pendant sept cents ans dans la nature.
C'est ensuite le cas en matière sanitaire, avec des risques d'exposition qui n'ont pas disparu et qui suscitent encore une forte crainte des populations quant au développement de pathologies graves. Je tiens d'ailleurs à remercier ici la commission, qui a requalifié la notion de préjudices « moraux », en préjudices « moraux d'anxiété » afin d'intégrer dans la loi la qualification dégagée par la jurisprudence administrative.
C'est enfin le cas en matière économique, avec les secteurs de la pêche, de l'agriculture et de l'alimentation, qui ont été lourdement touchés et sur lesquels pèsent aujourd'hui des normes sanitaires drastiques.
Tout cela nous oblige à trouver une issue politique pour les victimes, les territoires, les acteurs économiques concernés et les élus locaux, qui doivent gérer au premier chef les conséquences dramatiques du chlordécone sur leur territoire.
Cette proposition de loi, adoptée à l'unanimité en commission, ce dont je me réjouis au nom du groupe du RDSE, apparaît mieux calibrée pour apporter une reconnaissance pleine et entière aux victimes du chlordécone et orienter l'action de l'État vers des mesures réparatrices sur les plans environnemental, sanitaire et économique.
En particulier, je souhaite évoquer l'excellente avancée introduite en commission sur la recherche à destination des femmes pour mieux déterminer l'existence d'un lien causal entre la survenue d'une pathologie et la contamination au chlordécone.
En revanche, nous resterons particulièrement vigilants sur le volet indemnitaire. L'objectif d'indemnisation de « toutes » les victimes, inscrit au cinquième alinéa de l'article 1er, ne doit pas rester lettre morte. Parce que les mots ont un sens, l'État devra vraiment se donner les moyens d'atteindre cet objectif.
Les populations antillaises ont mené un long combat de dix-huit années pour la juste reconnaissance du préjudice subi. Souhaitons qu'elles n'aient pas à en mener un second, ici au Parlement, pour la reconnaissance des réparations auxquelles elles ont droit et que nous leur devons.
Le groupe du RDSE votera – évidemment ! – pour ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'interviens en ma qualité d'orateur du groupe Union Centriste, et non en tant que président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Je salue tout d'abord l'initiative de nos collègues socialistes d'avoir inscrit ce texte dans leur espace réservé. Son examen nous donne l'occasion de débattre pleinement sur un sujet d'une importance majeure : la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans les dommages et les pollutions subis par les habitants des Antilles françaises.
Parler de scandale lorsque l'on évoque l'histoire du chlordécone n'est pas une hyperbole. Les conséquences de l'utilisation de ce pesticide pendant près de vingt ans, à la fin du siècle dernier, sont vives aujourd'hui et continueront à l'être encore longtemps pour les populations et pour la qualité des espaces naturels.
D'une part, la terre, les nappes phréatiques et la chaîne alimentaire ont été contaminées par la molécule pour plusieurs siècles. Selon les rapports établis par l'Opecst, elle y perdurera entre six cents et sept cents ans. À l'heure où nous parlons, la population est toujours exposée quotidiennement à la molécule, essentiellement par l'alimentation.
D'autre part, l'impact sanitaire a été dramatique pour les populations et il le reste aujourd'hui. Il n'est pas seulement question de personnes ayant travaillé dans les bananeraies et qui ont été directement en contact avec le produit. Non, on parle de la quasi-intégralité des habitants : selon les travaux scientifiques, 92 % des Martiniquais et 95 % des Guadeloupéens sont contaminés au chlordécone, évidemment selon un niveau de gravité variable.
Au-delà de la reconnaissance de la responsabilité de l'État et de la dimension symbolique de ce texte, je pense également que les objectifs programmatiques qu'il fixe permettront, au long cours, un avenir meilleur pour les habitants de ces territoires.
L'objectif de dépollution des sols et des eaux, bien qu'en l'état très difficile à atteindre, me semble à cet égard fondamental. Si les solutions scientifiques n'ont pas encore émergé aujourd'hui, nous pouvons légitimement placer nos espoirs dans certaines études en cours.
Je me félicite également de l'insertion dans le texte d'un alinéa spécifiquement consacré à la recherche en faveur des femmes. Ainsi que le soulignait la rapporteure dans son intervention, ces dernières ont souffert d'une cécité de la science et des pouvoirs publics : il faut que cela change.
Notre groupe partage l'esprit de ce texte, qui va dans le sens d'une plus grande reconnaissance des maux des victimes des contaminations. Avec cette proposition de loi, nous posons une première pierre fondamentale à un édifice complexe ; elle permettra d'envisager sereinement, une fois le consensus scientifique international solidement établi, l'instauration d'une indemnisation des victimes à une plus grande échelle.
À ce stade, laissons à la science le temps nécessaire pour progresser dans la connaissance de cette molécule et de son incidence sur la santé humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, combien de textes encore faudra-t-il pour enfin reconnaître une injustice de plus de trente ans et pour en indemniser les victimes ?
Deux mois après la discussion que nous avons eue ici sur le même sujet, nous nous retrouvons pour discuter à nouveau de la question du chlordécone. Trente-deux ans après son retrait réel du marché en Guadeloupe et en Martinique, soit trois ans de trop par rapport au reste du territoire français, nous allons débattre d'un produit qui n'aurait peut-être jamais dû être vendu.
Le chlordécone est une illustration des choix que nous sommes amenés à faire dans cet hémicycle et au Gouvernement. Ces choix privilégient trop souvent l'économie et les profits de quelques-uns au détriment de la santé de toutes et tous.
Si quand on aime, on ne compte pas, de toute évidence il y a des mal-aimés. Il y a celles et ceux qui ont dû subir, injustement, la prolongation de la vente d'un produit pourtant jugé cancérigène probable par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) quinze ans plus tôt. Il y a celles et ceux qui, aujourd'hui, en subissent les conséquences par des cancers, des malformations et une terre impropre à la culture.
L'ensemble de la biodiversité a été touché par ce produit phytosanitaire utilisé pour protéger les cultures de banane. Le chlordécone a effectivement tué le charançon du bananier, considéré comme nuisible. Mais il a aussi provoqué des cancers, notamment celui de la prostate qui cause la mort de huit mille personnes chaque année en France.
Ce que demandent nos compatriotes des Antilles, en particulier en Guadeloupe et en Martinique, c'est simplement la justice.
Il faut d'abord redire que l'État français savait. Les États-Unis avaient interdit le chlordécone dès 1977, avant même que l'OMS confirme en 1979 les craintes quant à sa toxicité. Comment l'État français pourrait-il prétendre qu'il ignorait les dangers du chlordécone ?
Nous demandons aussi que des études approfondies soient menées, notamment pour mieux connaître les conséquences de ce poison sur la santé des femmes et des sols et éclaircir tout ce qui est encore opaque pour estimer les risques que l'État français a fait courir.
L'utilisation de ce produit a eu des conséquences sanitaires, y compris un préjudice moral d'anxiété. C'était le cœur du débat ici en avril dernier, en plus de la question financière qui en découle.
Ce préjudice moral d'anxiété n'est pas reconnu aujourd'hui comme une conséquence de l'usage du chlordécone. Il est pourtant réel, quand on sait que plus de 90 % de la population est contaminée et vit dans la crainte de consommer certains aliments ou de développer une maladie grave.
Nous avons entendu qu'il ne fallait pas faire d'exception pour les victimes du chlordécone et que le fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) pouvait suffire. Ce n'est pas acceptable, parce que ce sont justement les exceptions qui ont permis la vente du produit et causé la contamination des Guadeloupéens et des Martiniquais. Ce fonds d'indemnisation a été sous-doté et est sous-employé aujourd'hui, si bien que les derniers chiffres publics font état de cent cinquante-quatre dossiers validés.
Comment l'expliquer, quand plus de 90 % de la population est contaminée par le poison du chlordécone ? Comment, et pourquoi, ne pas créer dans ce contexte un fonds dédié, plus lisible, qui réponde à l'objectif d'indemnisation que nous devons inscrire dans la loi ?
Le texte a été modifié en commission, notamment pour préciser que l'État reconnaissait une « part » de responsabilité, comme s'il n'était pas le seul responsable.
Si tel n'est pas le cas, pourquoi revenir sur la taxe additionnelle sur les produits phytopharmaceutiques ? Si les torts sont partagés, il faut que le prélèvement des sommes nécessaires à la réparation soit également partagé. Il faut que les industriels qui vendent du poison indemnisent celles et ceux qu'ils ont empoisonnés.
J'espère que notre assemblée aura le courage d'avancer sur ce sujet grave, dans le prolongement de ce qu'ont fait nos collègues de l'Assemblée nationale qui ont adopté ce texte sans difficulté il y a déjà plus d'un an. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le caractère toxique du chlordécone est établi depuis au moins 1968, mais des intérêts économiques conjugués aux carences, aux négligences et aux impérities manifestes de l'État ont permis son usage massif entre 1972 et 1993 dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique.
Au total : un désastre humain, sanitaire, environnemental et économique ; un impact durable et généralisé pour toutes celles et tous ceux qui savent qu'ils vivent dans un environnement malsain, qui consomment des aliments contaminés, qui pêchent ou cultivent dans des milieux dégradés.
Aujourd'hui et encore pour longtemps, les Antillais expriment colère, angoisse et besoin de justice.
Pour y répondre, ce texte important, attendu, est une nouvelle tentative parlementaire – il y en a eu cinq, me semble-t-il, depuis 2016 ! Je tiens à saluer le groupe socialiste qui permet le retour de ce sujet à notre ordre du jour à peine deux mois après le rendez-vous manqué de la proposition de loi de Dominique Théophile.
Ce texte pose les bases indispensables : il reconnaît l'existence de la calamiteuse tragédie du chlordécone pour les Antilles ; il établit la lourde et irréfutable responsabilité de l'État ; il affiche la volonté d'apporter réparation aux victimes. C'est un pas en avant utile qu'il ne faut plus tarder à faire.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutiendra cette proposition de loi, mais nous en mesurons les limites.
Ainsi, une loi dans laquelle la République française « s'assigne pour objectif » n'a pas une portée normative très étendue : notre acte politique d'aujourd'hui relève davantage de la résolution que d'un texte qui aurait une portée opérationnelle directe. Il est dommage que, pour parvenir à nos fins, nous soyons contraints d'énoncer des principes, des objectifs louables, d'exprimer une volonté, et que nous ne puissions pas adopter des actions fermes ou contraignantes.
Par ailleurs, l'objectif d'une indemnisation intégrale et non forfaitaire est affiché, mais sans cadre juridique clair, sans garantie au niveau des modalités de mise en œuvre, sans régime spécifique. Nous restons dans l'intention, pas dans l'engagement.
Rappelons que le cadre de l'indemnisation – très limitée – des victimes, en vigueur depuis 2020, et qui résulte d'une certaine façon des importants travaux de la mission d'information sur les pesticides de 2012 dont notre collègue Nicole Bonnefoy était la rapporteure, est si étriqué que moins de deux cents personnes au total en ont bénéficié.
Même constat pour ce qui est de la reconnaissance des préjudices sanitaires, moraux, économiques, écologiques : c'est essentiel, mais en l'absence de dispositifs juridiques concrets, par exemple pour l'accès à la réparation, ces principes resteront des vœux pieux.
La question de la dépollution est une autre illustration de ce décalage. Le texte évoque la nécessité d'agir, mais il faudra être bien plus précis pour déployer les actions nécessaires pour juguler les dommages causés par ce pesticide sur les sols et les eaux qui, tel que c'est parti, pourraient perdurer durant des centaines d'années.
M. Jacques Fernique. Monsieur le ministre, on ne pourra pas en rester au plan chlordécone IV ! Plusieurs autres plans seront nécessaires…
M. Jacques Fernique. Je déplore que le Gouvernement n'ait transmis ses sept amendements que ce matin. Ce n'est pas correct au regard du travail de notre commission, d'autant que quatre d'entre eux posent problème et, à mon sens, ne sont pas acceptables.
Pour contribuer à l'indemnisation et à la réparation des dommages causés par le chlordécone, mon groupe voulait proposer de rehausser le plafond de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques. Hélas, le périmètre strict du texte et le fléchage proposé ne nous ont pas permis de défendre notre amendement. Il faudra y revenir dans le cadre du prochain projet de loi de finances.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte ouvre enfin la voie ; il reste à arpenter celle-ci jusqu'au bout.
Votons-le pour qu'il serve de socle aux futures avancées opérationnelles : des mécanismes concrets de réparation, un calendrier de dépollution assorti de moyens dédiés, un fonds d'indemnisation à la hauteur, clairement défini et accessible. C'est à ces conditions que se retisseront les liens de confiance entre la République, les Guadeloupéens et les Martiniquais, des liens tant détériorés par le chlordécone. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Teva Rohfritsch applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. Victorin Lurel. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, contaminant cancérigène, mutagène, toxique, reprotoxique, voire mortel, insecticide persistant et permanent dans les terres et dans les chairs, poison commercialisé et utilisé malgré toutes les alertes scientifiques, le chlordécone est à l'origine d'un véritable scandale sanitaire, environnemental et économique.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est un pas significatif pour permettre à chacun, comme le disait le Président de la République le 27 septembre 2018, de prendre sa part de responsabilité dans cette pollution et pour avancer sur le chemin de la réparation.
Certes, elle reste en partie symbolique, mais elle revêtira demain un caractère hautement invocatoire pour les victimes de ce drame qui demanderont indemnisation devant les juridictions. C'est en tout cas le souhait du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Sans oublier les nombreux acteurs engagés de la société civile pour faire reconnaître ce scandale – associations, experts, collectifs citoyens, avocats, chercheurs, scientifiques… –, je tiens ici à rendre un triple hommage.
Je veux tout d'abord rendre un hommage appuyé à notre collègue député Elie Califer, auteur de la présente proposition de loi et présent aujourd'hui en tribune. Cher collègue, le groupe des sénateurs socialistes te remercie pour la qualité de ton travail mené à l'Assemblée nationale et souhaite que notre assemblée prolonge, par fidélité, cette initiative.
L'évocation de cette continuité m'amène également à rendre hommage à deux de nos anciennes collègues parlementaires qui, par leur engagement et leur action, nous permettent collectivement d'aboutir aujourd'hui à cette reconnaissance.
J'adresse en ce sens une pensée reconnaissante et affectueuse à ma successeure à l'Assemblée nationale, Hélène Vainqueur-Christophe, qui n'a cessé de plaider pendant cinq ans pour la création d'un fonds d'indemnisation pour la prise en charge de la réparation intégrale des préjudices de toutes les personnes atteintes de maladies liées à l'utilisation du chlordécone.
Je pense également à Catherine Procaccia qui connaît parfaitement ce sujet et qui a tenu, quelques mois avant la fin de son mandat, à produire au nom de l'Opecst un nouveau rapport, qui reste d'actualité, sur l'évolution des connaissances scientifiques relatives à l'impact du chlordécone.
Enfin, je tiens, au nom de mon groupe, à remercier notre commission et singulièrement notre collègue Nicole Bonnefoy qui n'est pas seulement la rapporteure de cette proposition de loi, mais qui est aussi l'incarnation d'un inlassable combat contre les pesticides nocifs et pour la défense de leurs victimes.
Je peux dire, chère Nicole, que c'est grâce à ton expertise et à ton expérience que nous avons pu élaborer des propositions de loi permettant l'indemnisation des victimes du chlordécone : des textes déposés qui par moi-même en 2017, qui par Hélène Vainqueur-Christophe en 2018, qui par Olivier Serva en 2021, qui par Elie Califer en juillet 2023, qui par notre collègue Dominique Théophile plus récemment.
Quelques semaines après le choix de ce dernier de retirer sa proposition de loi sur le sujet, le groupe SER a décidé de poursuivre les débats et de continuer à chercher à cranter de nouvelles avancées.
Le texte qui nous est soumis est le fruit d'un compromis et, donc, de concessions faites de part et d'autre, comme il est de coutume dans notre assemblée. Ce texte préserve l'essentiel. Il permet même, mes chers collègues, un progrès considérable, en inscrivant dans la loi la notion de « préjudice moral d'anxiété », désormais consacrée par la juridiction administrative – monsieur le ministre, je ne parle pas de jurisprudence, puisqu'un pourvoi a été formé – et qui favorisera, demain, l'instruction des plaintes judiciaires des victimes.
Je souhaite remercier l'ensemble des groupes de notre assemblée, dont les représentants ont parfait le texte en commission en le nettoyant de ses imprécisions et redondances, en maintenant les responsabilités de l'État dans ce scandale et en réaffirmant un principe de dépollution des terres et des eaux contaminées, ainsi qu'un objectif de réparation de « toutes » les victimes du chlordécone.
Je salue ces pas réciproques et assume pleinement l'équilibre qui nous est proposé aujourd'hui.
Je terminerai en m'adressant au Gouvernement.
Monsieur le ministre d'État, il serait faux de dire que, depuis la révélation du scandale, l'État et les collectivités n'auraient rien fait. Depuis 2002, à travers plusieurs plans, l'État a mobilisé des moyens qui ont conduit notamment à la sensibilisation et à la protection de la population, au soutien des professionnels concernés, mais aussi à l'amélioration des connaissances sur ce poison.
Pour autant, compte tenu de la rémanence du chlordécone dans les milieux naturels, je continuerai de plaider pour une série d'actions d'ampleur, à la mesure des préjudices subis. Si je reconnais une inflexion en faveur du plan chlordécone IV, dont le budget est récemment passé de 92 millions à 130 millions d'euros pour la période 2021-2027, je crains que ces efforts restent sous-dimensionnés et peu adaptés à la situation.
Songeons en effet à ces chiffres : l'État s'est engagé à terme, donc dans cinq ans, à consacrer 52 millions d'euros à la recherche. Or, selon le rapport de l'Opecst que j'ai précédemment évoqué, qui est toujours d'actualité, le coût d'une dépollution totale des sols et des eaux pourrait atteindre 3,5 milliards d'euros. Nous sommes donc loin, très loin, du compte.
Par ailleurs, je crois parfaitement opportun de réaffirmer que par ses manquements coupables, par ses défaillances manifestes et par son attentisme longtemps entretenu, l'État a un impératif moral de s'engager en faveur d'une indemnisation intégrale de l'ensemble des préjudices subis par toutes les victimes du chlordécone. Reconnaître, c'est bien ; indemniser, c'est mieux.
Monsieur le ministre, je ne saurais clore cette intervention sans vous faire part de ma surprise et de ma déception, empreinte d'un fort sentiment d'injustice, à la suite du pourvoi en cassation formé par l'État pour contester le jugement rendu le 11 mars dernier par la cour administrative d'appel de Paris, lui imposant d'indemniser les victimes du chlordécone et reconnaissant un préjudice d'anxiété.
En contestant cette décision de justice, qui constitue, pour la première fois en France, une source d'espoir pour les plaignants, et plus largement pour les peuples victimes de cette pollution, je considère que l'État persiste – pour reprendre le mot du Président de la République – dans son aveuglement et commet là une faute morale grave !
Il est donc temps que nous envoyions collégialement, et j'espère unanimement, un signal fort à nos compatriotes. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'état et à indemniser les victimes du chlordécone
Article 1er
L'État reconnaît sa part de responsabilité dans les préjudices sanitaires, moraux d'anxiété, écologiques et économiques subis par les territoires de Guadeloupe et de Martinique et par leurs populations résultant de l'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone et de leur usage prolongé comme insecticide agricole.
Il s'assigne pour objectif la dépollution des terres et des eaux contaminées par la molécule et ses produits de transformation, en érigeant comme priorité nationale la recherche scientifique sur leurs effets sanitaires et environnementaux.
Il s'engage à conduire des actions visant à supprimer le risque d'exposition au chlordécone, en priorité pour protéger la santé des populations et en particulier en matière de sécurité sanitaire et de l'alimentation.
Il s'assigne pour objectif de rechercher et caractériser l'apparition de pathologies développées par les femmes en raison d'une exposition au chlordécone.
Il s'assigne également pour objectif l'indemnisation de toutes les victimes de cette contamination, que celle-ci ait eu lieu dans le cadre d'une activité professionnelle ou non, et de leurs territoires.
Il confie l'évaluation de l'atteinte de ces objectifs à une instance indépendante de son choix, qui rend un premier rapport au Gouvernement et au Parlement au plus tard à la fin de l'année 2025, puis tous les trois ans, afin de renforcer, si besoin, les actions mises en œuvre.
Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 20, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
L'État reconnaît sa part de responsabilité dans les préjudices subis par les populations et les territoires de Guadeloupe et de Martinique résultant des autorisations provisoires de vente, des homologations et des autorisations d'utilisation à titre dérogatoire accordées à des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone comme insecticide agricole.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Je partage les propos de la plupart des orateurs qui viennent de s'exprimer – j'aurai probablement l'occasion d'y revenir dans quelques instants. Il faut regarder la réalité en face : l'État doit reconnaître sa part de responsabilité, et même, tout simplement, sa responsabilité. Aucun gouvernement n'avait jamais été aussi clair à ce sujet que je l'ai été il y a un instant à la tribune.
Cela dit, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite que le débat se concentre sur la question du préjudice moral d'anxiété. Aussi, pour que notre discussion se recentre sur ce point précis, je retire l'amendement du Gouvernement.
M. Victorin Lurel. Bravo !
Mme la présidente. L'amendement n° 20 est retiré.
En conséquence, le sous-amendement n° 27 n'a plus d'objet. Par ailleurs ne sont plus en discussion commune que les amendements nos 4 rectifié et 21.
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer les mots :
part de
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Cet amendement, auquel j'associe bien évidemment mon collègue Dominique Théophile, lui aussi sénateur des Antilles, vise à reconnaître pleinement la responsabilité de l'État dans le scandale du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe.
Nous ne cesserons de marteler avec force, dévotion et responsabilité que le fait de substituer à cette reconnaissance claire une simple « part de » responsabilité revient à diluer la vérité, alors même que la cour administrative d'appel de Paris, dans une décision du 11 mars 2025, a été sans équivoque : l'État est seul à l'origine des autorisations de mise sur le marché du chlordécone, et ce malgré des alertes scientifiques précoces. Ni les planteurs ni les industriels n'avaient prise sur cette décision.
Cette reconnaissance explicite, attendue de longue date par les populations martiniquaise et guadeloupéenne, s'inscrit dans le prolongement du rapport de la commission d'enquête parlementaire de 2019. Elle n'est ni idéologique ni symbolique. Elle repose sur des faits établis et constitue un acte de vérité, de justice et de responsabilité institutionnelle. Ne laissons pas l'histoire s'écrire à moitié : adoptons cet amendement !
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Mon cher collègue, l'exposé sommaire de votre amendement laisse sous-entendre que la rédaction de l'alinéa 1 de l'article 1er proposée par la commission revient à atténuer la reconnaissance de la responsabilité de l'État.
Or je le redis : je ne le crois pas. Je considère en effet plus honnête et plus objectif de considérer que l'État n'était pas le seul responsable de cette contamination et de cette pollution. Selon moi, les industriels ayant produit le chlordécone, ainsi que les exploitants de bananeraies ont également leur part de responsabilité.
Aussi, je vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, j'y serai défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Monsieur le sénateur Buval, vous proposez d'inscrire dans la loi que l'État reconnaît sa responsabilité plutôt que sa « part de » responsabilité. Cette dernière formulation, retenue dans le texte élaboré par la commission, traduit le fait que l'État n'était pas le seul responsable.
Elle est cohérente avec les récentes décisions de justice rendues par le tribunal judiciaire de Paris – je pense à l'ordonnance de non-lieu du 2 janvier 2023 – et la cour administrative d'appel de Paris – il s'agit de l'arrêt du 11 mars 2025. Dans cette dernière décision, la justice relève qu'un certain nombre d'acteurs économiques – producteurs, importateurs, distributeurs, organisations professionnelles, utilisateurs – ont également une part de responsabilité dans la pollution.
S'il existe une responsabilité d'autres acteurs, l'État assume cependant pleinement la sienne et n'entend pas la minimiser. Il faut rappeler que c'est bien l'État qui est à l'origine des autorisations de mise sur le marché du chlordécone et de leur prolongation.
C'est la première fois, je le répète, qu'un gouvernement de la République, par ma voix, accepte une telle reconnaissance. Comme j'ai eu l'occasion de l'annoncer au cours de la discussion générale, j'émets donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Le texte qui nous est soumis est le fruit d'un compromis, lequel vient d'être préservé par le retrait de l'amendement du Gouvernement. Par conséquent, monsieur le ministre d'État, j'avoue que j'ai quelque mal à comprendre l'avis que vous venez de rendre sur l'amendement de mon collègue Buval.
Vous avez dit à la tribune que l'État reconnaissait sa part de responsabilité dans ce drame, notamment en raison de la délivrance d'autorisations de mise sur le marché du pesticide. Le texte de la commission, tel qu'il a été adopté à l'unanimité, n'empêche pas les potentielles victimes de saisir les tribunaux pour rechercher d'autres coresponsables. La position commune arrêtée par tous les groupes politiques consiste à reconnaître que l'État n'est pas seul responsable, mais qu'il a sa part de responsabilité pour ce qui le concerne.
Pour le reste, il revient aux tribunaux de dire le droit. Il faut savoir que certains commerçants se sont transformés en producteurs de Curlone et de Kepone, engageant leur propre responsabilité dans l'utilisation prolongée du produit. Je précise à cet égard que, contrairement à ce que j'ai entendu, on a eu recours au chlordécone après 1993, et même après 2000, puisque des stocks de pesticides ont été utilisés clandestinement et frauduleusement.
Je souhaiterais que notre assemblée reste en congruence, si j'ose dire, avec la position de la commission. Si je comprends l'intention de Frédéric Buval, je n'approuve pas son amendement, car il tend à remettre en cause tout l'équilibre du texte sur lequel nous nous sommes entendus. J'appelle au respect du travail de la commission !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.
J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission, l'autre, du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ? …
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 312 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 71 |
Contre | 269 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Les deux amendements suivants font l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Après le mot :
sanitaires,
insérer les mots :
moraux et
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Cet amendement vise à préciser utilement le dispositif de l'article 1er afin d'éviter que le préjudice d'anxiété, désormais reconnu par la jurisprudence, n'éclipse à lui seul l'ensemble des souffrances morales subies par les victimes du chlordécone.
Oui, la reconnaissance du préjudice d'anxiété par la cour administrative d'appel de Paris, le 11 mars dernier, est une avancée importante. Elle prolonge des travaux déjà engagés, ici même au Sénat, par mon collègue Dominique Théophile.
Néanmoins, les préjudices causés par une exposition prolongée à un pesticide comme le chlordécone ne se résument pas à l'angoisse d'une maladie future. Il y a d'autres formes d'atteintes, pour les personnes comme pour les territoires. Nous proposons simplement d'en tenir compte en maintenant dans la loi la mention explicite à des préjudices moraux au sens large, et ce pour que notre texte ne ferme pas la porte, par omission, à une reconnaissance plus juste et plus complète des souffrances vécues.
Mme la présidente. L'amendement n° 21, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer les mots :
d'anxiété
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. J'ai retiré le précédent amendement du Gouvernement, parce que je voulais que l'on se concentre sur la question des préjudices moraux d'anxiété.
Il convient de distinguer le préjudice moral d'anxiété, c'est-à-dire la conscience de courir un risque élevé de développer une pathologie grave, du préjudice moral, qui recouvre l'atteinte psychologique subie par une personne qui a déjà développé une pathologie grave. Le juge administratif, que toute personne s'estimant victime peut saisir, est susceptible de réparer ces deux types de préjudices.
La formulation proposée par le texte de la commission n'est, de mon point de vue, pas conforme à la jurisprudence administrative. Elle ne me semble pas en phase avec les conditions très strictes définies par la jurisprudence pour ce préjudice particulièrement complexe et difficile à établir.
Je vous rappelle que la cour administrative d'appel de Paris a certes condamné l'État, mais qu'elle n'a reconnu une faute de sa part qu'à l'encontre de moins de 1 % des 1280 requérants – je précise cependant que la décision n'est pas définitive, puisque plusieurs pourvois ont été formés devant le Conseil d'État –, c'est-à-dire dans onze cas : dans neuf d'entre eux, le préjudice moral d'anxiété, c'est-à-dire la peur d'être malade, a été démontré ; dans les deux derniers, l'État a été condamné à réparer un simple préjudice moral lié, d'une part, à un décès in utero d'un enfant et, d'autre part, à un accouchement prématuré. Ces éléments sont évidemment suffisamment graves pour que nous examinions cette question avec le plus grand sérieux.
J'en reviens à l'aspect juridique du sujet. Il n'est juridiquement pas possible de mettre sur le même plan le préjudice moral d'une personne malade et le préjudice d'anxiété d'un individu qui ne l'est pas. Nous avons déjà eu ce débat.
De même, il n'est pas tout à fait rigoureux de suggérer que l'ensemble des populations martiniquaise et guadeloupéenne ont subi un préjudice moral d'anxiété du seul fait d'avoir été ou d'être exposées au chlordécone.
Pour ces raisons, nous proposons que le texte mentionne les préjudices moraux au sens large.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. En commission, nous avons fait le choix de retenir la notion de préjudice moral d'anxiété, car elle permet de caractériser le préjudice subi par les populations exposées au chlordécone. Cette notion a été consacrée par le juge administratif dans son office de juge de la responsabilité et de la réparation pour des contentieux analogues qui concernent, par exemple, les victimes de l'amiante, les victimes des essais nucléaires ou encore d'infections nosocomiales.
Aussi, la commission demande le retrait de l'amendement n° 4 rectifié ; à défaut, elle y sera défavorable.
Concernant l'amendement n° 21, je m'exprimerai à titre personnel, dans la mesure où la commission n'a pas pu se réunir en raison du dépôt tardif des amendements du Gouvernement. Pour la bonne information de tous, je précise tout de même que je me suis entretenue avec le président de la commission et des représentants du groupe Les Républicains pour tenter de parvenir à une position commune.
Le Gouvernement souhaite supprimer la référence à l'anxiété, à rebours de la position de la commission. La notion de préjudice moral d'anxiété est communément maniée par le juge d'administratif et renvoie à quelque chose d'aisément identifiable. La notion de préjudice moral, au sens large, est quant à elle, trop englobante.
Aussi, j'émets un avis défavorable sur l'amendement du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. M. le ministre d'État et moi-même ne faisons pas la même lecture de la jurisprudence ou des précédents judiciaires.
La distinction entre une maladie déjà reconnue et une atteinte d'ordre psychologique me paraît un peu ésotérique. Si la maladie est reconnue, elle sera indemnisée selon des modalités que nous connaissons.
En revanche, pourquoi refuser aux personnes exposées au chlordécone ce qui est reconnu pour les victimes de l'amiante ? Je rappelle qu'ici même, voilà déjà deux ans, j'avais demandé à ce qu'un arrêté ministériel prévoie l'inscription de l'exposition au chlordécone au tableau des maladies professionnelles, au même titre que l'exposition à l'amiante.
Je réaffirme la cohérence du travail réalisé de manière transpartisane par la commission et je vous demande, mes chers collègues, de rejeter ces deux amendements.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 313 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 36 |
Contre | 304 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 21.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ? …
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 314 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 129 |
Contre | 211 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il s'assigne pour objectif d'établir les autres parts de responsabilité dans ce scandale de la chlordécone.
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Mes chers collègues, puisque vous refusez de reconnaître la pleine responsabilité de l'État, faisons en sorte d'aller au bout de la logique.
Pour ce faire, je propose cet amendement de repli, qui tend à demander à l'État d'identifier clairement les autres coresponsabilités dont il sous-entend l'existence. Si l'État n'est plus le seul responsable, qui donc l'est avec lui ? Qu'on nous le dise ! Les planteurs ? Les industriels ? Les scientifiques ?
Le juge administratif, lui, a pourtant été clair : les autorisations de mise sur le marché et les décisions de prolongation relevaient exclusivement de l'État…
Dès lors, soit l'État assume sa pleine responsabilité, soit il s'engage à rechercher scrupuleusement des responsabilités partagées.
Quoi qu'il en soit, on ne peut pas, dans le même temps, proposer d'édulcorer la faute et refuser d'en désigner les complices. Ce serait doublement injuste pour les victimes et profondément incohérent !
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Mon cher collègue, vous souhaitez assigner pour mission à l'État de rechercher les coresponsables de la contamination au chlordécone.
La commission considère que cette mission échoit à la justice, et non à l'État. Il faut que le travail d'investigation soit réalisé de manière indépendante.
Par conséquent, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle y sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 22, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
Il s'assigne pour objectif de mener, en tant que priorité nationale, une recherche scientifique sur les effets sanitaires et environnementaux de la molécule et ses produits de transformation et sur les voies de dépollution des terres et des eaux contaminées.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Le renforcement des moyens alloués à la recherche sur l'évaluation des conséquences du chlordécone et sur les dispositifs de dépollution des sols et des eaux est une priorité du Gouvernement. Le volet recherche représente ainsi 40 % du budget global de la stratégie chlordécone.
Nous avons engagé des travaux pour dégager des solutions et faire disparaître cette molécule et ses produits de dégradation. Preuve que la recherche et l'innovation avancent, il existe plusieurs pistes – certaines d'entre elles m'ont d'ailleurs été présentées –, mais celles-ci n'ont pas encore fait leurs preuves à grande échelle.
C'est pourquoi, en vertu du principe de réalité, il est préférable de parler d'objectifs de recherche en matière de dépollution des sols et des eaux que de se fixer des objectifs de résultat, qui sont difficiles à déterminer à ce stade.
Tel est l'objet de cet amendement essentiellement rédactionnel.
Mme la présidente. L'amendement n° 11, présenté par MM. Lurel et Gillé, Mme Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Jacquin, Omar Oili, Ouizille, Uzenat, M. Weber et Kanner, Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
sur
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
les effets sanitaires et environnementaux de cette pollution et sur les techniques et procédés de séquestration, de remédiation et de dégradation de la molécule permettant une décontamination à grande échelle des milieux naturels, une sécurisation des ressources et une minimisation de l'exposition alimentaire.
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Comme j'aime bien provoquer M. le ministre, j'ai la faiblesse de penser – et j'affirme ! – que notre amendement est mieux rédigé que celui de Gouvernement. (Sourires.)
Nous n'avons rien inventé : il s'agit de reprendre une recommandation du rapport de l'Opecst, qui a bénéficié de l'expertise de notre ancienne collègue Catherine Procaccia. Il y a des évolutions très prometteuses que nous aimerions voir mentionnées dans le texte.
C'est la raison pour laquelle je vous demande, mes chers collègues, de vous en tenir principalement à la rédaction de la commission, tout en donnant la priorité à notre amendement par rapport à celui du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. L'amendement du Gouvernement, s'il était voté, reviendrait à atténuer l'objectif de recherche en faveur de la dépollution des terres et des eaux.
Or la commission considère que cette mission est fondamentale. Elle est la clé de la résolution de cette crise sanitaire et environnementale. Avis défavorable sur l'amendement n° 22.
En revanche, nous sommes favorables à l'amendement n° 11 de Victorin Lurel, car la précision apportée est utile. Si, aujourd'hui, on ne dispose pas encore des moyens pour parvenir à une dépollution à grande échelle, des recherches sont en cours et permettent d'espérer des avancées pour le futur, ce qui sera bien évidemment salutaire pour la santé des populations et contribuera à la réduction de l'exposition alimentaire au chlordécone.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 11, même si je respecterai, bien évidemment, le vote du Sénat.
Tout ce qui compte pour moi, c'est que les choses avancent et que nous franchissions des étapes. J'en profite pour saluer M. Califer, présent aujourd'hui dans les tribunes du Sénat.
Monsieur Lurel, je suis prudent quant à l'idée qu'il existerait aujourd'hui des solutions pour dépolluer les sols. Certes, certaines pistes sont prometteuses en laboratoire, mais, je le redis, elles n'ont pas fait leurs preuves, à ce stade, sur le terrain. Le chiffre de 3,5 milliards d'euros que vous avez rappelé tout à l'heure ne me semble pas encore correspondre à une réalité. Il faut bien sûr donner des perspectives en matière de dépollution – et les travaux scientifiques sont, je le répète, bien engagés –, mais il ne faut pas pour autant créer de faux espoirs.
La confiance repose sur la clarté : je tenais à être le plus clair possible sur ce point.
Mme la présidente. L'amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Il s'assigne pour objectif d'accompagner, les professionnels de la pêche et de l'agriculture affectés par cette pollution pour favoriser une production locale sans risque chlordécone.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne vous l'apprends pas, l'exposition au chlordécone se fait essentiellement par voie alimentaire. Les pêcheurs et les agriculteurs sont directement affectés par cette pollution s'ils se trouvent dans une zone contaminée.
C'est pourquoi il est proposé d'ajouter dans les objectifs que l'État s'assigne l'accompagnement de ces professionnels pour favoriser une production locale sans risque chlordécone. J'ai eu l'occasion de le constater en votre compagnie, madame la sénatrice Conconne, lors de la visite d'une exploitation agricole en Martinique voilà deux mois – j'ai de très belles photos. (Sourires.)
Des solutions sont mises en œuvre dans le cadre de la stratégie chlordécone, comme les analyses de sols gratuites pour tous les agriculteurs, l'aide technique et financière pour la décontamination des bovins, depuis 2024, avec des dispositifs propres à ces animaux, ou l'aide financière aux pêcheurs depuis 2022. Ces dispositifs montent en puissance : plus de 300 éleveurs ont déjà fait l'objet d'un accompagnement et 800 pêcheurs ont bénéficié de l'aide.
Cet objectif a donc toute sa place dans le texte.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. La commission émet un avis favorable sur cet amendement de bon sens, dont l'objet correspond déjà à une orientation du plan chlordécone IV.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Le groupe SER est favorable à cet amendement.
Je souhaite toutefois apporter une précision. Dans la présentation de l'amendement, le Gouvernement vise uniquement la décontamination des bovins. Il semble plus opportun de parler de ruminants, ce qui exclut les animaux monogastriques, c'est-à-dire ceux qui n'ont qu'un seul estomac. En effet, les chèvres et les moutons sont également contaminés ! Parler uniquement des bovins est donc restrictif.
Nous sommes d'accord sur le dispositif proposé, mais l'exposé des motifs paraît inexact. Il ne faudrait pas que, dans l'esprit du législateur, le texte fasse mention aux seuls bovins. Le dispositif concerne tous les ruminants ! (Sourires.)
Mme la présidente. L'amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
Il s'assigne pour objectif de rechercher, caractériser et soigner, l'apparition de pathologies développées en raison d'une exposition au chlordécone, notamment chez les femmes.
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Cet amendement vise à inclure, à l'article 1er, un objectif de recherche, de caractérisation et de traitement des pathologies susceptibles d'être développées à la suite d'une exposition au chlordécone, notamment chez les femmes.
Il s'agit de contribuer à une approche plus globale des enjeux de santé publique et des conséquences de l'exposition à cette molécule, en tenant compte de la diversité des effets constatés ou suspectés selon les publics concernés, en particulier les femmes et les hommes.
Ce cadre plus large ouvre également la voie à la prise en compte de mesures de prévention adaptées, notamment au regard de la forte prévalence du cancer de la prostate en Martinique et en Guadeloupe, laquelle justifie une attention particulière dans les politiques de dépistage.
La Martinique et la Guadeloupe présentent par exemple des taux de cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde, jusqu'à 227 cas pour 100 000 habitants en Guadeloupe, contre environ 100 dans l'Hexagone. Cette situation appelle une action renforcée, notamment en matière de dépistage et de prévention. Au sein de nos territoires, il y a sur place matière à engager une véritable dynamique pour faire face à ces pathologies et accompagner localement les populations les plus touchées.
Sans revenir de manière substantielle sur les termes mêmes de la proposition de loi, la rédaction proposée permet de préserver l'esprit initial du texte et d'en approfondir la portée sanitaire en faveur d'une reconnaissance des besoins spécifiques des populations exposées. L'adoption de cet amendement ne modifiera pas l'équilibre du texte, mais en renforcera la portée sanitaire, toujours dans une logique de reconnaissance, d'anticipation et d'action concrète sur le terrain.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Cet amendement vise à réécrire l'alinéa 4 de l'article 1er que j'ai fait adopter par la commission via un amendement ayant pour objet de consacrer un alinéa spécifiquement dédié aux femmes.
Comme je l'ai rappelé lors de la discussion générale – tous ceux qui sont intervenus après moi l'ont également fait –, les femmes sont trop souvent oubliées dans cette tragique histoire. Élargir le champ de ce travail de recherche et de caractérisation des pathologies à l'ensemble de la population aurait pour effet d'éluder, à tout le moins d'atténuer l'accent mis sur les femmes à la suite de l'adoption de mon amendement en commission.
C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 24, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
Il s'assigne également pour objectif l'indemnisation des personnes souffrant d'une maladie résultant d'une exposition au chlordécone, que celle-ci ait eu lieu dans le cadre d'une activité professionnelle ou non.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. L'alinéa 5 de la proposition de loi assigne à l'État un objectif d'« indemnisation de toutes les victimes de cette contamination ».
Il est proposé de cibler l'objectif d'indemnisation sur les seules personnes souffrant d'une maladie résultant d'une exposition au chlordécone. En effet, la rédaction actuelle laisse entendre que toutes les personnes attestant d'une présence de chlordécone dans le sang pourraient bénéficier d'une indemnisation, ce qui n'est en phase ni avec les risques réellement encourus par les populations concernées ni avec la jurisprudence de la cour administrative d'appel de Paris.
Avoir du chlordécone dans le sang ne signifie pas avoir ou risquer une maladie. Qui plus est, il est possible de faire baisser rapidement son taux de chlordéconémie en adoptant des habitudes alimentaires appropriées. Si la présence de chlordécone dans le sang traduit une exposition alimentaire récente, elle est réversible en agissant sur l'alimentation.
C'est la raison pour laquelle l'État a mis en place des contrôles renforcés sur les aliments au stade de la production, de la commercialisation et de l'importation sur tous les circuits dits « formels ». Il accompagne également les jardiniers familiaux, les pêcheurs et les agriculteurs.
Cet amendement a donc, je le redis, pour objet de recentrer l'objectif d'indemnisation sur les personnes souffrant d'une pathologie résultant d'une exposition au chlordécone. Cette nouvelle rédaction, ciblée sur les victimes de dommages sanitaires, est cohérente avec le dispositif de l'amendement n° 23 tendant à assigner également à l'État un objectif d'accompagnement des professionnels de la pêche et de l'agriculture, qui vient d'être adopté.
Mme la présidente. L'amendement n° 19, présenté par Mme Bonnefoy, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
1° Après le mot :
contamination
insérer les mots :
dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique
2° Supprimer les mots :
, et de leurs territoires
La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter cet amendement et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 24.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. L'amendement n° 19 vise à corriger une rédaction maladroite.
La formulation proposée par le Gouvernement à l'amendement n° 24 reviendrait de facto à exclure l'hypothèse d'une réparation des préjudices environnementaux et économiques évoqués à l'alinéa 1er. D'ailleurs, monsieur le ministre, l'objet de votre amendement serait incohérent par rapport au dispositif de l'amendement n° 20 que vous avez retiré.
C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 24.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 19 ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 12, présenté par MM. Lurel et Gillé, Mme Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Jacquin, Omar Oili, Ouizille, Uzenat, M. Weber et Kanner, Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer les mots :
une instance indépendante de son choix
par les mots :
l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
La parole est à M. Victorin Lurel.
Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer les mots :
de son choix
par les mots :
dont les membres sont nommés par décret
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Cet amendement tend à préciser que les membres de l'instance chargée d'évaluer si les objectifs fixés à l'article 1er ont été atteints sont nommés par décret.
Il s'agit ici non pas de modifier la nature ou les missions de cette instance, préexistante ou non, mais d'encadrer plus clairement les modalités de sa composition.
Une telle précision répond à une double exigence : une plus grande transparence dans le processus de désignation des membres, ainsi qu'une meilleure lisibilité institutionnelle. Elle permet également de garantir que l'expertise mobilisée soit pleinement adaptée à la complexité des enjeux sanitaires, environnementaux et sociaux liés au scandale du chlordécone.
Cette rédaction ouvre également la voie à une composition équilibrée et plurielle de l'instance, à même de prendre en compte la diversité des savoirs, des disciplines et des territoires concernés. Il s'agit là d'une condition essentielle pour que ses travaux soient reconnus, compris et légitimes aux yeux des populations.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. L'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) dispose d'une véritable expertise sur le chlordécone, lui qui a publié deux rapports sur le sujet, l'un en 2009, l'autre en 2023.
Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur l'amendement n° 12.
La précision que tend à apporter l'amendement n° 5 rectifié étant utile, la commission émet également un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. En conséquence, l'amendement n° 5 rectifié n'a plus d'objet.
L'amendement n° 25, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer les mots :
à la fin de l'année 2025
par les mots :
un an après la date de promulgation de la présente loi
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Nous proposons de fixer un délai après la date de promulgation de la loi, plutôt qu'une date fixe. En effet, la date de fin 2025 a été fixée lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale au mois de février 2024, alors même que la date de promulgation de ce texte n'était pas connue.
Il s'agit donc d'un amendement de cohérence.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Avis favorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Après l'article 1er
Mme la présidente. L'amendement n° 13, présenté par MM. Lurel et Gillé, Mme Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Jacquin, Omar Oili, Ouizille, Uzenat, M. Weber et Kanner, Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement évaluant l'opportunité et la faisabilité d'une extension du bénéfice du fonds d'indemnisation des victimes de pesticides mentionné à l'article L. 491-1 du code de la sécurité sociale à l'ensemble des personnes souffrant d'une maladie, inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'État conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale et résultant d'une exposition au chlordécone.
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Comme nous ne pouvons pas augmenter ses dépenses, en raison de l'article 40 de la Constitution, nous avons déposé un amendement visant à demander au Gouvernement une évaluation sur l'opportunité d'étendre le bénéfice du FIVP.
Toutefois, si j'ai bien compris, au début de l'examen de ce texte, le ministre a pris l'engagement qu'une mission serait engagée et que des propositions seraient avancées.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. En l'état, seules les personnes reconnues en situation de maladie professionnelle par la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), ainsi que les enfants exposés in utero, peuvent être éligibles au fonds d'indemnisation des victimes de pesticides. Une extension nécessiterait un important travail d'évaluation en amont.
C'est pourquoi la commission émet un avis favorable sur cet amendement
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Monsieur le sénateur Lurel, vous proposez via cet amendement que le Gouvernement remette un rapport au Parlement. J'ai indiqué au début de l'examen de ce texte que le Gouvernement s'engageait à lancer les travaux nécessaires pour étendre l'indemnisation des victimes du chlordécone aux victimes non professionnelles. Cet engagement se traduira à court terme par le lancement d'une mission inter-inspections chargée de déterminer l'entité qui aura vocation à indemniser les victimes non professionnelles, d'en fixer les modalités et de définir les articulations avec le dispositif en vigueur pour les victimes professionnelles.
Il n'y a pas lieu de préjuger un mode de gestion pour l'indemnisation des victimes non professionnelles. Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er.
Article 1er bis
(Supprimé)
Mme la présidente. L'amendement n° 17, présenté par Mmes Corbière Naminzo et Varaillas, MM. Basquin, Corbisez et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Au plus tard le 1er janvier 2026, le Gouvernement remet un rapport au Parlement établissant la présence ou l'absence de chlordécone et de ses métabolites dans les sols du territoire national, en particulier dans les zones actuellement productrices ou ayant produit des pommes de terre ou des plants de pommes de terre, ou autres produits végétaux susceptibles d'avoir été traités par cette molécule, ainsi que dans les zones agricoles de l'île de La Réunion où il aurait pu être utilisé.
Ce rapport comporte des informations précises et détaillées sur la production, la commercialisation, l'introduction ou l'importation du chlordécone et de ses dérivés, dans l'ensemble du territoire national.
La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Par cet amendement, nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport relatif à l'utilisation du chlordécone sur l'ensemble du territoire national.
Nous souhaitons que ce rapport puisse établir si le chlordécone ou ses métabolites sont présents dans les sols. Nous souhaitons également qu'il comporte des informations précises et détaillées sur la production, la commercialisation et l'importation du chlordécone. En effet, l'indemnisation des victimes doit aller de pair avec l'évaluation précise des quantités et destinations de chlordécone utilisées.
Tout cela concourt à rétablir l'article 1er bis adopté à l'Assemblée nationale, mais supprimé en commission au Sénat. Pour justifier cette suppression, on s'est fondé sur un rapport de l'Assemblée nationale de 2019 qui n'était pas si explicite : en réalité, il reste plusieurs zones d'ombre et des doutes.
L'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a indiqué dans son rapport intitulé Impacts de l'utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles, publié en 2009, qu'il existait une incertitude quant à la destination de 1 500 tonnes de chlordécone importées en Europe via une société basée en Allemagne.
Par ailleurs, il est impératif que la recherche sur le chlordécone soit complétée par des études sur l'éventuelle présence de chlordécone dans les terres agricoles. En effet, les études sont trop peu nombreuses pour établir scientifiquement et définitivement qu'il n'a été fait aucun usage du chlordécone à La Réunion. Le kelevan, produit composé partiellement de chlordécone servant à lutter contre le doryphore et le taupin de la pomme de terre, pourrait être utilisé dans les zones productrices ou ayant produit de ce tubercule.
À ce jour, il nous est impossible d'affirmer que les sols réunionnais n'ont pas été pollués. S'ils l'ont été, cela risque d'avoir des conséquences sur la santé humaine d'une partie de la population. En outre, à La Réunion, les zones rurales et urbaines sont très proches les unes des autres.
Mes chers collègues, l'indemnisation des victimes implique que la lumière complète soit faite à l'échelon national sur ce sujet.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Cet amendement vise à rétablir l'article 1er bis.
J'ai interrogé à ce sujet le professeur Hervé Macarie, de l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Ce dernier confirme qu'il est peu probable que le kelevan, produit pour partie à partir de molécules de chlordécone, ait été utilisé sur le territoire hexagonal ou à La Réunion pour la culture de la pomme de terre.
Néanmoins, il a souligné que la molécule de chlordécone avait été retrouvée dans la chair d'organismes marins récifaux de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, sans pouvoir en expliquer la cause.
C'est la raison pour laquelle la commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. En conséquence, l'article 1er bis est rétabli dans cette rédaction.
Après l'article 1er bis
Mme la présidente. L'amendement n° 26, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Pour atteindre les objectifs visés à l'article 1er, l'État élabore et met en œuvre une stratégie pluriannuelle dédiée. Elle est définie par arrêté conjoint des ministres chargés des outre-mer, de la santé, de l'agriculture, de l'environnement, de la recherche, de la pêche, de l'éducation et du travail.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Cet amendement vise à inscrire dans la loi les objectifs de la stratégie chlordécone, lui donnant ainsi une base juridique et pérenne. Elle est une traduction de l'engagement de l'État d'atteindre les objectifs énumérés à l'article 1er de ce texte.
Cet ajout me paraît important, car, pour protéger la santé des populations de la Martinique et de la Guadeloupe, nous devons agir pour nous rapprocher chaque jour un peu plus de l'objectif « zéro chlordécone » – je l'ai indiqué au début de l'examen de ce texte. Cela prendra évidemment du temps et il reste du chemin à parcourir.
C'est pourquoi il est nécessaire d'inscrire cette stratégie dans la loi. Je le répète, la stratégie de lutte contre la pollution par le chlordécone, publiée en 2021, traduit cette ambition par une amplification des moyens. Elle doit répondre à trois impératifs : informer, protéger, réparer par l'action. Les solutions sont proposées à tous les habitants touchés par cette pollution, en particulier les professionnels de la pêche et de l'agriculture.
La méthode retenue est la suivante : la prise en compte des travaux scientifiques, la concertation, l'écoute, le dialogue continu, la coconstruction et la collaboration avec tous les acteurs locaux pour sortir du risque chlordécone.
Le budget mobilisé est important, sinon inédit, cher Victorin Lurel. Initialement fixé à 92 millions d'euros, il a été rehaussé à 130 millions d'euros. En quatre ans, plus de 48 millions d'euros de fonds publics ont déjà été engagés, soit 22 millions d'euros de plus que les crédits engagés pour le plan précédent 2014-2020.
Le volet consacré à la recherche représentera, à terme, 40 % du budget total, en particulier pour améliorer les connaissances sur la dépollution des sols et sur la santé des femmes. Il n'y a donc aucun tabou dans ce domaine.
Tel est l'objet de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. La commission émet un avis très favorable sur cet amendement.
J'en profite pour remercier la coordonnatrice du plan chlordécone de son travail de très grande qualité.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Nous avons pu discuter ensemble en détail de ce travail fastidieux, mais ô combien nécessaire et important.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er bis.
Article 2
La charge pour l'État est compensée à due concurrence par :
1° (Supprimé)
2° La création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
Mme la présidente. L'amendement n° 18, présenté par Mmes Corbière Naminzo et Varaillas, MM. Basquin, Corbisez et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :
1° La création d'une taxe additionnelle de 15 % sur les bénéfices générés par l'industrie des produits phytosanitaires pour les sociétés redevables de l'impôt sur les sociétés qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros ;
La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Le Parlement a l'habitude de s'appuyer sur la taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs pour financer nos politiques publiques.
S'il est juste d'encourager à réduire la consommation de tabac, qui est un poison, il faut aussi savoir faire preuve de cohérence. Lorsque le poison a un nom, qu'il soit phytopharmaceutique ou phytosanitaire, nous pouvons aussi lui faire porter la responsabilité du coût que son utilisation engendre pour la société.
La proposition de loi modifiée en commission précise que, sur le chlordécone, l'État prend sa part de responsabilité. Voilà qui signifie que d'autres acteurs pourraient également avoir leur part dans ce scandale.
Toutefois, sans attendre d'études approfondies, même si j'espère qu'elles pourront voir le jour, nous savons d'ores et déjà que les industriels qui fabriquent des produits, hier le chlordécone, aujourd'hui le glyphosate, sont aussi responsables de la contamination des sols, de l'eau et de notre santé.
Nous proposons donc d'établir une taxe additionnelle sur les bénéfices des sociétés de l'industrie des produits phytosanitaires réalisant un chiffre d'affaires de plus de 250 millions d'euros. Une telle mesure figure dans la version du texte adoptée à l'Assemblée nationale. J'ose espérer que la chambre des territoires sera sensible à la nécessité d'obtenir ces financements pour protéger les ressources des habitants et les collectivités qui ont été malmenées par ces produits toxiques.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Je comprends bien la logique qui prévaut, mais, comme je l'ai indiqué lors des travaux de la commission et dans mon rapport, il existe déjà une taxation ad hoc des industries phytopharmaceutiques. Il ne me paraît donc pas pertinent de superposer des taxations dont l'assiette serait identique.
C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à douze heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Madame la présidente, en application de l'article 43, alinéa 4, du règlement du Sénat, le Gouvernement demande qu'il soit procédé à une seconde délibération sur l'article 1er à la suite du rejet de l'amendement n° 21.
Mme la présidente. En application de l'article 43, alinéa 4, du règlement, le Gouvernement demande qu'il soit procédé à une seconde délibération de l'article 1er.
Quel est l'avis de la commission sur cette demande de seconde délibération ?
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. La commission émet un avis favorable sur cette demande.
Mme la présidente. Je consulte le Sénat sur la demande de seconde délibération, présentée par le Gouvernement et acceptée par la commission.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant des groupes Union Centriste et Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 315 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 244 |
Pour l'adoption | 209 |
Contre | 35 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la seconde délibération est ordonnée.
Conformément à l'article 43, alinéa 5, du règlement, « lorsqu'il y a lieu à seconde délibération, les textes adoptés lors de la première délibération sont renvoyés à la commission, qui présente un nouveau rapport ».
La commission est-elle prête à présenter son rapport ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Oui, monsieur le président.
Mme la présidente. Nous allons procéder à la seconde délibération de l'article 1er .
Je rappelle au Sénat les termes de l'article 43, alinéa 6, du règlement : « Dans sa seconde délibération, le Sénat statue seulement sur les nouvelles propositions du Gouvernement ou de la commission, présentées sous forme d'amendements, et sur les sous-amendements s'appliquant à ces amendements. »
Article 1er
Mme la présidente. Le Sénat a précédemment adopté l'article 1er dans la rédaction suivante :
L'État reconnaît sa part de responsabilité dans les préjudices sanitaires, moraux d'anxiété, écologiques et économiques subis par les territoires de Guadeloupe et de Martinique et par leurs populations résultant de l'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone et de leur usage prolongé comme insecticide agricole.
Il s'assigne pour objectif la dépollution des terres et des eaux contaminées par la molécule et ses produits de transformation, en érigeant comme priorité nationale la recherche scientifique sur les effets sanitaires et environnementaux de cette pollution et sur les techniques et procédés de séquestration, de remédiation et de dégradation de la molécule permettant une décontamination à grande échelle des milieux naturels, une sécurisation des ressources et une minimisation de l'exposition alimentaire.
Il s'engage à conduire des actions visant à supprimer le risque d'exposition au chlordécone, en priorité pour protéger la santé des populations et en particulier en matière de sécurité sanitaire et de l'alimentation.
Il s'assigne pour objectif d'accompagner les professionnels de la pêche et de l'agriculture affectés par cette pollution pour favoriser une production locale sans risque chlordécone.
Il s'assigne pour objectif de rechercher et caractériser l'apparition de pathologies développées par les femmes en raison d'une exposition au chlordécone.
Il s'assigne également pour objectif l'indemnisation de toutes les victimes de cette contamination dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, que celle-ci ait eu lieu dans le cadre d'une activité professionnelle ou non.
Il confie l'évaluation de l'atteinte de ces objectifs à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui rend un premier rapport au Gouvernement et au Parlement au plus tard un an suivant la promulgation de la présente loi, puis tous les trois ans, afin de renforcer, si besoin, les actions mises en œuvre.
L'amendement n° A-1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer les mots :
d'anxiété
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Cet amendement, que j'ai déjà eu l'occasion de présenter, mesdames, messieurs les sénateurs, vise à prendre en compte tous les préjudices moraux, sans qu'il soit besoin de préciser qu'il s'agit de préjudices moraux d'anxiété, pour les raisons que j'ai déjà exposées.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Par cohérence avec l'avis que j'ai précédemment émis sur un amendement analogue, j'émets un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Après un travail laborieux, mais bien fait, un compromis a pu être trouvé. On connaît la culture et l'éthos du Sénat : il faut trouver des compromis et faire des concessions. Cela peut être décevant pour certains, en particulier, j'imagine, pour l'auteur de la présente proposition de loi, qui est dans nos tribunes.
Là, nous sommes tout de même en train de trahir son texte ! Celui-ci reconnaissait la part de responsabilité de l'État, mais également le préjudice moral d'anxiété.
Nous avons entendu les arguments de M. le ministre sur le manque de robustesse du moyen juridique, le préjudice moral d'anxiété, lequel est pourtant reconnu par les juridictions. Sur le fondement de ces arguments, il a demandé une seconde délibération de l'article 1er. Je l'avoue, je suis marri et déçu.
Je demande aux membres de mon groupe, mais aussi à nos autres collègues, de s'abstenir sur cet amendement. Notre rapporteure, pour sa part, agira en cohérence avec le travail qu'elle a réalisé en commission.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° A-1.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 316 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 209 |
Pour l'adoption | 190 |
Contre | 19 |
Le Sénat a adopté.
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 317 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 320 |
Pour l'adoption | 319 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté.
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jacques Fernique, pour explication de vote.
M. Jacques Fernique. Cette proposition de loi représente une avancée qui était nécessaire. Il faut désormais mettre en œuvre concrètement ce texte, en déployer les mesures, mais aussi tirer les leçons de cette tragique et cynique logique qui fait que des intérêts économiques prévalent sur les droits humains et environnementaux.
Cette logique est encore à l'œuvre dans la proposition de loi Duplomb visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur. Quand donc tirerons-nous véritablement les leçons des désastres de l'amiante, des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) et des néonicotinoïdes ?
Enfin, sur un mode plus léger, permettez-moi de faire une petite leçon de grammaire. Elle s'impose pour départager ceux qui parlent de « la » chlordécone » et ceux qui disent « le » chlordécone. Le Larousse est formel, le mot est masculin. L'intitulé du texte, qui évoque les victimes « du » chlordécone, est donc juste.
Certains arguent toutefois que cette molécule est une cétone et plaident donc pour l'emploi du féminin. Dans une fiche de l'agence régionale de santé de Martinique, on lit « qu'on le passe au féminin pour en adoucir l'image » !
Aujourd'hui, c'est le masculin qui l'emporte. Le Sénat s'est montré à la hauteur face à ce rude fléau ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Buval, pour explication de vote.
M. Frédéric Buval. À l'issue de l'examen de ce texte, deux mois après le courageux retrait par mon collègue Dominique Théophile de sa proposition de loi, le constat est bien amer. Le texte qui nous est finalement soumis ne constitue ni un progrès ni même un petit pas : c'est un renoncement ! Vidé de toute portée symbolique, sans aucune substance opérationnelle, financière ou juridique, le texte est désormais une simple liste de bonnes intentions et de vœux pieux.
Mes chers collègues, je vous rappelle que nous écrivons la loi. Comment pouvons-nous accepter sérieusement de voter un texte qui dilue la responsabilité de l'État, à qui appartient la prérogative de délivrer l'autorisation légale de mise sur le marché d'un produit phytopharmaceutique ?
Alors que l'État est seul compétent en la matière, comment accepter de voter un texte dans lequel on sous-entend l'existence d'autres responsables d'un écocide, sans que l'on se sente pour autant le devoir de les rechercher ?
Enfin, comment accepter le cynisme que constitue l'absence de reconnaissance de la souffrance des familles qui voient leurs proches s'éteindre à petit feu quand l'État joue la montre ?
Alors oui, il appartient à chacun, en conscience et en responsabilité, de cautionner ou non la version affaiblie, injuste et indigne de cette proposition de loi, bien éloignée du texte initial de ses auteurs. Au final, ce texte ne réparera rien. Au contraire, il attisera sans nul doute la colère dans nos territoires et au sein de la diaspora.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, le plus ultramarin de cette assemblée, ne peut rester sourd aux attentes des populations des Antilles : il s'abstiendra sur ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie notre collègue Elie Califer, présent parmi nous dans les tribunes du public, d'avoir pris l'initiative de lancer une nouvelle offensive pour faire reconnaître le scandale du chlordécone.
Je ne reviendrai pas sur les causes et les effets de ce scandale, dont nous parlons depuis trente ans. Je préfère dire que nous avançons.
Il y a trente ans, nous n'aurions pas été ici à parler du chlordécone. Il y a trente ans, nous n'aurions pas indemnisé les victimes. Il y a trente ans, l'État n'aurait pas reconnu sa part de responsabilité dans ce scandale. Il y a trente ans, nous aurions mis la poussière sous le tapis. Nous faisions alors preuve de déni, nous refusions de voir la réalité. Nous n'en parlions pas.
Des militants actifs ont eu le courage de monter au créneau, de se constituer en association. Ils ont œuvré et continuent d'œuvrer aujourd'hui pour faire avancer cette cause. Des parlementaires ont pris des initiatives. Notre collègue, le député martiniquais Serge Letchimy a ainsi présidé une commission d'enquête sur l'utilisation du chlordécone.
Aujourd'hui, ce texte est un nouvel apport dans la lutte pour la reconnaissance du fléau que connaissent nos pays, la Guadeloupe et la Martinique. J'espère bien que la lutte va continuer.
Je tiens aujourd'hui à saluer Yvon Sérénus, président d'une association de victimes. Malgré son grand âge et les maladies dont il souffre, il continue tous les jours de mener le combat contre cette molécule qui a pollué nos terres et nos vies.
De même, je salue les efforts qui sont faits actuellement dans le cadre du plan chlordécone IV, lequel est très audacieux, ainsi que le travail extraordinaire effectué par Edwige Duclay, directrice de projet chargée de la coordination de ce plan, présente aujourd'hui au Sénat.
Il faudra continuer de construire, mais, je le répète : nous avançons. (M. Philippe Grosvalet et Mme la rapporteure applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Je n'ai pas été insensible aux propos de M. Buval, reflet, si j'ai bien compris, de la polyphonie gouvernementale, notre collègue étant membre du « socle commun ».
Pourtant, mon cher collègue, nous allons voter ce texte tel qu'il résulte de nos travaux de ce jour.
Il y a deux mois maintenant, Dominique Théophile retirait son texte, estimant qu'il avait été trahi – le mot est peut-être un peu fort –, y compris par les siens. C'est la raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a souverainement décidé de reprendre la proposition de loi votée à l'Assemblée nationale sur l'initiative d'Elie Califer, présent dans nos tribunes, que je salue à mon tour.
Ce texte n'est certes pas parfait, mais comme vient de le dire Catherine Conconne, ou comme le dira ultérieurement Victorin Lurel, nous avançons sur la voie de la reconnaissance des préjudices qu'ont subi les populations de Guadeloupe et de Martinique. Cette reconnaissance est essentielle pour elles.
Nous voterons le texte en conscience, en responsabilité, sachant qu'il sera examiné en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, je compte sur vous, car vous nous avez aidés dans d'autres circonstances, sur la proposition de loi de M. Lurel visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer ou sur le texte d'Audrey Bélim expérimentant l'encadrement des loyers et améliorant l'habitat dans les outre-mer, par exemple. Je compte donc sur vous pour que les engagements que vous avez pris aujourd'hui soient tenus et pour qu'ils prospèrent à l'Assemblée nationale.
Nous avons là un devoir moral, un devoir juridique, un devoir politique à l'égard des populations. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a rempli sa part du devoir en inscrivant le texte de M. Califer à son ordre du jour réservé. J'espère à présent que ce texte sera voté le plus largement possible afin de donner un signe d'espoir aux populations concernées.
Tel est l'état d'esprit dans lequel nous sommes. Nous resterons vigilants sur la suite qui sera donnée à nos travaux à l'Assemblée nationale. (Mme Catherine Conconne applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Depuis plus de trente ans, nos populations ont le sentiment fort que nous, parlementaires des outre-mer, ne faisons pas le job et que les choses n'avancent pas. J'ai pourtant moi aussi essayé en 2017, en 2018, en 2020, d'avancer sur ce sujet, comme tous les parlementaires, y compris mes collègues ici dans l'Hexagone. Je pense à Nicole Bonnefoy, à notre ancienne collègue Catherine Procaccia et à d'autres.
J'entends que le texte est décevant, mais j'ai appris ici au Sénat, plus qu'à l'Assemblée nationale, que l'enfer, ce sont les autres et qu'il faut composer, et parfois faire des concessions. Nous en avons fait.
J'avoue être déçu que le Gouvernement ait demandé une seconde délibération. Le Gouvernement revient de très loin. Le Président de la République avait déclaré en 2018 que « l'État doit prendre sa part de responsabilité ». Or il ne s'agissait là que d'un engagement verbal, d'une parole de diplomate ; en un mot, c'était du vent ! Aujourd'hui, cette reconnaissance est gravée dans le marbre de la loi. Et ce texte est invocatoire. Il constitue donc une avancée.
Ensuite, il est vrai que nous forçons un peu le ministre à nous remettre un rapport. Il a pris l'engagement à la tribune de constituer très bientôt une mission. Pour ma part, j'aurais souhaité que l'amendement n° 18 de notre collègue Evelyne Corbière Naminzo soit adopté. Nous aimerions en effet qu'une taxe, peut-être pas de 15 %, soit créée dans le projet de loi de finances ou dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je n'attendrai pas les résultats des travaux de cette mission, qui prendront plus de six mois, pour dire que ce texte est équilibré. Même s'il est peut-être décevant pour certains, il permet d'avancer, comme l'a dit Catherine Conconne. J'espère donc que les engagements qui ont été pris seront tenus.
Je vous demande, mes chers collègues, chers amis du groupe RDPI aussi, de voter ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Je tiens à remercier les associations, les collectifs, les élus et l'auteur de la proposition de loi, qui travaillent depuis de longues années sur cette question et qui mènent le combat pour la reconnaissance des conséquences de l'utilisation du chlordécone.
Certes, ce texte ne va pas assez loin, mais nous pensons qu'il faut le voter et ainsi mettre un pied dans la porte. Ce texte est important, car il reconnaît la responsabilité de l'État.
Monsieur le ministre, je m'adresse à vous, au Gouvernement. Nous devons nous interroger sur notre responsabilité, alors que nous utilisons encore aujourd'hui du glyphosate, dont nombre d'études ont pourtant démontré la dangerosité. De même, la fameuse proposition de loi Duplomb, qui est sur le point d'être votée, va autoriser l'usage de l'acétamipride, de la famille des néonicotinoïdes. Plus de 1 200 études ont pourtant mis en évidence que cette substance est dangereuse à la fois pour les milieux naturels et pour la santé humaine. Selon des études très récentes réalisées au Japon, on retrouve même de l'acétamipride dans l'eau de pluie !
Je le répète, nous devons nous interroger sur la responsabilité de l'État en matière de protection des femmes et des hommes – je pense au chlordécone –, mais aussi sur sa responsabilité financière, ce type de pollution ayant un coût. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, nous n'avons pas de pistes aujourd'hui pour dépolluer les sols contaminés par le chlordécone. Vous l'avez reconnu : il n'existe pas de solution…
Allons-nous donc continuer à nous mettre dans pareille situation ? Cela serait bien embêtant d'avoir à nous retrouver ici dans vingt-cinq ans pour voter un texte visant à reconnaître les méfaits de l'acétamipride et du glyphosate. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 318 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Pour l'adoption | 318 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je me réjouis du résultat de ce vote et je tiens à remercier tous ceux qui ont voté ce texte. Comme cela a été dit, le texte n'est pas parfait. Mais s'il existe quelqu'un de parfait, j'aimerais bien qu'il me dise comment il fait pour l'être et qu'il me donne sa recette. Je prendrai modèle sur lui pour m'améliorer !
Je remercie M. le ministre pour deux raisons, d'abord pour avoir retiré l'amendement n° 20 – c'est un geste fort de sa part –, ensuite pour avoir demandé une seconde délibération de l'article 1er. Merci, monsieur le ministre.
Je tiens également à saluer le travail de Nicole Bonnefoy, rapporteure de ce texte, qui a réalisé un travail…
M. Patrick Kanner. Remarquable !
M. Jean-François Longeot, président de la commission. Remarquable, en effet.
De même, je salue tous les membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui ont beaucoup travaillé sur ce texte, ainsi que les services de la commission.
Encore une fois, je me réjouis que ce texte ait été voté à une très large majorité. Merci à toutes et tous ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, et SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par remercier le président Longeot de ses mots et de son implication et par saluer, comme lui-même vient de le faire, le travail de Mme la rapporteure Nicole Bonnefoy, ainsi que celui, de très grande qualité, du Sénat.
Je dirai ensuite à mon ami le sénateur Buval que les choses avancent et que c'est là le plus important. Un travail a été réalisé par le député Califer, qui a été repris par votre collègue Théophile, dans lequel vous vous êtes vous-même beaucoup impliqué.
Après les propos du Président de la République il y a déjà quelques années, un important travail a été réalisé dans le cadre du plan chlordécone IV, qui prévoit la mise en œuvre de dispositifs utiles, notamment pour les victimes. Un travail a également été fait à l'Assemblée nationale, puis ici, au Sénat, sur l'initiative de Dominique Théophile, même s'il a retiré son texte. Le débat a pu se poursuivre, grâce au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui a inscrit le texte que nous examinons aujourd'hui à son ordre du jour réservé, et à l'engagement et à l'implication de l'ensemble des sénateurs qui suivent ce dossier. Permettez-moi de souligner qu'un tel travail n'avait jamais été réalisé avec autant de précision.
Dans ce texte, l'État reconnaît sa responsabilité et l'assume. J'ai pour cela soutenu un amendement du sénateur Buval et fait des propositions. Je le répète, jamais la responsabilité de l'État n'avait été à ce point reconnue et assumée dans cet hémicycle.
Je parle ici non seulement de l'implication du Gouvernement, mais également de la mienne à titre personnel. Je suis en effet convaincu qu'il faut purger ce dossier et répondre au besoin de dignité des Guadeloupéens et des Martiniquais victimes du chlordécone – ou de « la » chlordécone, mais je n'entre pas dans ce débat !
Un pas a été franchi. J'espère à présent que cette proposition de loi sera définitivement adoptée. Vous pouvez compter sur le Gouvernement et sur moi pour poursuivre le travail de vérité et de dignité que nous devons aux Martiniquais et Guadeloupéens, comme j'en ai pris l'engagement devant vous. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. Marc Laménie et Teva Rohfritsch applaudissent également.)
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Renforcer la protection des ressources en eau potable
Rejet d'une proposition de loi
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses, présentée par Mme Florence Blatrix Contat et plusieurs de ses collègues (proposition n° 421, résultat de travaux n° 692, rapport n° 691).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Florence Blatrix Contat, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'alerte est maximale : notre eau potable est en danger. Elle est de plus en plus rare, de plus en plus chère, et sa qualité est de plus en plus compromise par les pollutions diffuses, notamment celles qui sont causées par les pesticides et les nitrates. Il s'agit non pas d'un scénario d'anticipation, mais d'une réalité vécue au quotidien dans nos territoires.
L'eau potable en France est une bombe à retardement, et il est de notre devoir, en tant que parlementaires, de la désamorcer.
Les chiffres sont évocateurs et devraient nous interpeller collectivement. Entre 1980 et 2024, plus de 14 300 captages ont été abandonnés, dont un tiers en raison de la présence de nitrates et de pesticides. En 2022, plus d'un million de Français ont été alimentés au moins une fois par une eau présentant des dépassements de normes en termes de pesticides. Plus inquiétant encore, près de 30 % de nos eaux souterraines sont aujourd'hui contaminées et 40 % d'entre elles risquent de ne pas atteindre un bon état chimique d'ici à 2027.
Mais ces statistiques ne révèlent qu'une partie du problème.
La majorité des substances réellement présentes dans l'eau échappent encore à notre surveillance. Les pollutions dites émergentes sont mal ou pas du tout mesurées et les normes actuelles ne prennent absolument pas en compte l'effet cocktail, c'est-à-dire l'interaction dangereuse entre les divers résidus chimiques. De plus, il est alarmant de constater qu'environ 12 % – je dis bien : 12 % ! – des substances actives des pesticides de synthèse autorisées dans l'Union européenne appartiennent à la famille des PFAS, ces polluants éternels dont la persistance et les effets sont alarmants. Pour rappel, en France, les quantités de PFAS sont passées de 700 tonnes en 2008 à 2 300 tonnes en 2021. C'est considérable.
Face à cette situation critique, notre stratégie actuelle, essentiellement axée sur le traitement curatif de l'eau, montre ses limites. Nous nous contentons de tenter de dépolluer l'eau après coup pour la rendre potable. Or cette approche a atteint ses limites ; elle est aujourd'hui à bout de souffle.
Les limites sont techniques d'abord : même les traitements les plus sophistiqués, comme l'osmose inverse ou les filtres à charbon actif, voient leur efficacité diminuer face à la complexité croissante des pollutions diffuses.
Nos stations de traitement doivent par exemple utiliser de plus en plus de charbon actif pour capter les métabolites de pesticides ; une usine mise en service il y a deux ans a déjà dû doubler la quantité de charbon actif utilisée par rapport aux prévisions initiales, signe d'une dégradation accélérée de la qualité de la ressource.
Ensuite, il y a une limite stratégique et souveraine. Nous dépendons de l'importation de charbon actif, majoritairement depuis l'Asie ou l'Amérique. En cas de crise du commerce international, notre capacité à « potabiliser » l'eau captée et polluée serait gravement compromise. Sans ce charbon, filtrer certains polluants devient tout simplement impossible, ce qui est un talon d'Achille pour notre sécurité hydrique.
À ces limites techniques et stratégiques s'ajoute une limite économique majeure. Le coût du traitement de l'eau contaminée atteint chaque année entre un et deux milliards d'euros, une dépense en hausse constante et préoccupante.
Ce fardeau pèse lourdement sur nos collectivités territoriales. Communes, intercommunalités et syndicats des eaux sont en première ligne, et in fine, ce sont les factures d'eau de nos concitoyens qui en portent le poids.
Les experts sont unanimes et nous alertent : nous ne pourrons pas maintenir un prix de l'eau abordable sans un changement radical de politique. Selon les agences de l'eau, les coûts supplémentaires associés au traitement des pesticides font bondir de 30 % à 45 % le prix du mètre cube d'eau. Nos élus locaux le disent clairement : ils n'en peuvent plus !
Agir à la source plutôt que dépolluer l'eau en aval : voilà la stratégie de bon sens qu'il nous faut adopter de toute urgence. D'ailleurs, c'est non seulement plus logique, mais aussi bien moins coûteux : la direction de l'eau et de la biodiversité estime qu'empêcher une pollution coûte trois fois moins cher que de la traiter après coup. En clair, chaque euro investi pour protéger la ressource en amont nous évitera d'en dépenser trois en usine de traitement plus tard !
Nos collectivités territoriales, de toutes tendances politiques, appellent de leurs vœux cette action préventive, car elles en mesurent l'urgence et la nécessité sur le terrain. Ce week-end encore, lors d'une visite, un président de syndicat des eaux et tous les élus, quelle que soit leur appartenance politique, m'ont dit soutenir cette proposition de loi.
Agir à la source est donc un impératif sanitaire, environnemental, économique et de souveraineté.
C'est à cette urgence absolue que répond la proposition de loi que j'ai l'honneur de défendre aujourd'hui avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Son article 1er prévoit l'interdiction progressive de l'usage et du stockage de pesticides et d'engrais minéraux dans les zones de protection des aires d'alimentation de captage, avec une pleine effectivité de cette mesure prévue au 1er janvier 2031 et des étapes intermédiaires fixées par décret pour une transition plus progressive.
Son article 2 quant à lui prévoit des sanctions en cas de non-respect des dispositions prévues à l'article 1er.
Par ailleurs, l'exposé des motifs de cette proposition de loi est sans ambiguïté : cette transition se fera non pas contre le monde agricole, mais avec lui.
Des amendements de compromis, présentés en commission par le rapporteur Hervé Gillé, dont je salue le travail, allaient précisément dans ce sens. Ils tendaient à prévoir une mise en œuvre plus progressive, à ouvrir la voie à un accompagnement technique et financier structuré autour de contrats d'engagement réciproque entre agriculteurs et gestionnaires de l'eau, et à fixer une entrée en vigueur dix ans après la promulgation de la loi.
Tous ont malheureusement été rejetés par nos collègues de la droite sénatoriale. Je les reprendrai à mon compte lors de cet examen en séance publique, car je pense qu'ils constituent le fondement d'un consensus à la fois pragmatique, équilibré, efficace et nécessaire.
Mes chers collègues, madame la ministre, nous savons, hélas, ce qui arrive quand nous n'agissons pas à temps. Le scandale du chlordécone, dans nos territoires d'outre-mer, est là pour nous le rappeler de manière tragique.
Pendant des décennies, ce pesticide toxique a été utilisé massivement aux Antilles, sans considération suffisante des risques encourus ; le résultat, c'est une pollution durable et irréversible des sols et des eaux, une catastrophe sanitaire dont nous subissons encore, et pour longtemps, les effets.
Juste avant l'examen du présent texte, nous avons examiné dans le cadre de la niche socialiste une proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone. Ce drame sanitaire et environnemental doit nous servir d'alerte suprême. Ne répétons pas les erreurs du passé.
Je vous le dis : alors que nous nous apprêtons à voter ce texte, ayez en tête les études épidémiologiques françaises, notamment celles de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui mettent en lumière le surcroît de maladies graves lié à l'exposition aux pesticides et aux nitrates, notamment chez les agriculteurs et les femmes enceintes.
Au moment de voter, rappelez-vous que nos collectivités locales sont en première ligne dans ce combat essentiel pour l'eau. Ce sont nos maires, nos intercommunalités qui doivent chaque jour assurer à nos concitoyens l'accès à de l'eau potable. Ce sont eux qui doivent répondre aux habitants quand l'eau du robinet n'est plus conforme, eux qui installent en urgence des filtres au charbon actif ou affrètent des camions-citernes quand un puits doit être fermé. Et ce sont eux, encore, qui portent la charge financière des investissements lourds.
Au moment de voter, pensez aussi à nos concitoyens, qui voient progressivement le coût de leurs factures d'eau exploser.
Au moment de voter, pensez enfin à notre environnement et, plus particulièrement, à la qualité de nos nappes phréatiques, ces réservoirs d'eau souterrains si précieux et si vulnérables.
Mes chers collègues, le Sénat ne peut pas se soustraire à sa responsabilité sur un sujet aussi fondamental et vital.
Il s'agit ici non pas d'un débat technique réservé aux experts, mais d'une question de santé publique, de protection des écosystèmes, de souveraineté et d'équité territoriale, susceptibles d'avoir des conséquences financières lourdes pour les collectivités comme pour les citoyens.
Face à l'aggravation des pollutions et à l'explosion des coûts, le statu quo n'est plus tenable.
La seule voie responsable est celle d'une action résolue, ambitieuse et préventive. Garantir une eau potable de qualité, aujourd'hui et demain, exige un sursaut collectif. Ne manquons pas ce rendez-vous avec l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures,
est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Hervé Gillé, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre Haute Assemblée a aujourd'hui l'occasion de mettre fin à plusieurs décennies d'impuissance publique s'agissant de la qualité de l'eau destinée à la consommation humaine.
La proposition de loi déposée par notre collègue Florence Blatrix Contat vise à prendre à bras-le-corps un sujet qui – il faut en avoir bien conscience – touche particulièrement les collectivités locales et, à travers elles, les syndicats d'eau et d'assainissement, celui de la pollution de l'eau et du coût de notre inaction.
En tant que rapporteur de ce texte, j'avais proposé, avec l'accord de son auteure, plusieurs ajustements, afin de tracer un chemin collectif et concerté de réduction des pressions sur la ressource en eau, l'idée étant que ces efforts ne pèsent pas de façon injuste et soient les plus acceptables possible au regard des enjeux.
À ce titre, les élus locaux attendent que nous, parlementaires, ayons une attitude responsable, et non une simple posture dogmatique sur ce sujet délicat. Les élus locaux de terrain, qui connaissent parfaitement de tels enjeux, attendent que nous agissions avec détermination pour mettre fin à la dégradation de la qualité des eaux souterraines et superficielles servant à l'alimentation en eau potable.
Selon les estimations, les économies susceptibles d'en résulter en termes de dépenses de dépollution et de traitements évités seraient comprises entre un milliard d'euros et deux milliards d'euros par an. C'est un chiffre qui résume de façon limpide les enjeux du débat, en ces temps où l'argent public se fait rare, madame la ministre.
En 2024, la France compte un peu moins de 37 800 captages actifs destinés à la production d'eau potable, dont 96 % prélèvent dans les eaux souterraines. Chaque année, ce patrimoine essentiel à la résilience hydrique se réduit, du fait de l'abandon de certains équipements. Sur la période 1980-2024, près de 14 300 captages ont été fermés, soit plus d'un quart.
La première cause d'abandon des captages est imputable à la dégradation de la qualité de la ressource en eau, pour un tiers des situations. Parmi ceux-ci, 41 % des captages sont fermés du fait de teneurs excessives en nitrates ou en pesticides. Malgré les alertes et les appels à l'action des élus locaux, des agences de l'eau et des associations de protection de l'environnement, le rythme des fermetures ne montre aucun signe d'amélioration, tant s'en faut.
Un rapport réalisé conjointement par l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'environnement et du développement durable au mois de juin 2024 a pointé l'échec global de la préservation de la qualité des ressources en eau pour ce qui concerne les pesticides, malgré quelques progrès localisés, souvent très lents, ainsi qu'une « gestion des non-conformités de la qualité des eaux brutes qui pose de sérieuses difficultés aux acteurs de terrain. »
Les auteurs de ce rapport dressent le constat de l'insuffisance des politiques de protection des captages et alertent sur le fait que, sans mesures préventives ambitieuses et ciblées, la reconquête de la qualité des eaux est illusoire. Le constat est donc sévère, mais lucide, ce que démontrent malheureusement les taux de non-conformité lors des analyses de l'eau par les agences régionales de santé.
Bien évidemment, cet échec est collectif. Nous nous contentons de solutions curatives au lieu de promouvoir des approches préventives, alors que ces dernières coûtent au moins trois fois moins cher. Je ne peux pas m'empêcher d'y voir une forme de gaspillage de l'argent public et un mauvais usage du produit des redevances de l'eau. C'est un « luxe » que nous ne pouvons plus nous permettre !
De même que l'échec est collectif, les solutions pour y remédier devront nécessairement associer tous les acteurs de l'eau, en prenant en compte les activités présentes au sein des aires d'alimentation des captages, dans le cadre des démarches concertées, avant la mise en œuvre de tout levier coercitif. Cet aspect est particulièrement important ; nous aurons l'occasion d'y revenir.
Pour atteindre les objectifs ambitieux qu'il faudra nécessairement nous assigner si nous souhaitons éviter une forte augmentation du coût de l'eau, nous n'aurons pas d'autre choix que de recourir à des mesures d'interdiction ou de limitation de certaines substances et pratiques.
Bien évidemment, la dégradation de la ressource en eau ne se limite pas aux seuls usages agricoles. Cette stratégie de réduction des pressions sur les captages les plus prioritaires me paraît cependant essentielle. Cette orientation est également partagée par un grand nombre d'acteurs et figure dans la feuille de route annoncée par la ministre Agnès Pannier-Runacher au mois de mars dernier.
Les auditions préparatoires en ma qualité de rapporteur, les débats en commission et l'expertise que j'ai pu acquérir au sein des différentes instances de l'eau du bassin Adour-Garonne m'ont toutefois convaincu que, pour atteindre cet objectif, il faudrait avancer de manière progressive et être accompagné. C'est d'ailleurs ce que je me suis efforcé de faire dès le début des travaux en commission, avec la mise en place d'une démarche volontariste et contractuelle, au travers des contrats d'engagement réciproque, c'est-à-dire une négociation sur objectifs.
Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont repris mon initiative ; nous en débattrons tout à l'heure, lors de l'examen des articles.
J'ai déjà mentionné les limites du cadre normatif visant à protéger les points de captage d'eau potable. Il est extrêmement diffus et foisonnant, dispersé dans de nombreux codes. Les grandes lois sur l'eau de 1964, de 1992, de 2006 ont enrichi et perfectionné les instruments, prenant la forme de périmètres de protection, instaurés par des déclarations d'utilité publique, des plans d'action, des zonages au sein desquels peuvent être édictées des prescriptions, des interdictions ou des régulations spécifiques tendant à protéger la qualité des eaux.
Différentes stratégies sont venues compléter cet arsenal juridique : depuis le millier de captages prioritaires instaurés par le Grenelle de l'environnement et la conférence environnementale de 2013, en passant par les différentes moutures du plan Écophyto, le plan « eau » du mois de mars 2023, jusqu'à la feuille de route visant à améliorer la qualité de l'eau par la protection de nos captages, mentionnée précédemment.
Cet empilement normatif et cette superposition de stratégies sont le signe indéniable d'une prise de conscience des enjeux de la reconquête de la qualité des eaux brutes, mais également la démonstration de l'impuissance collective à atteindre les objectifs. Tous les acteurs que j'ai entendus en audition le reconnaissent : il faut changer d'échelle, de mesures et d'outils.
Dans sa version initiale, la proposition de loi instaure une interdiction d'utilisation et de stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux au sein des zones de protection des aires d'alimentation des captages et des zones vulnérables aux pollutions par les nitrates d'ici à 2031, assortie d'une sanction pouvant aller jusqu'à 75 000 euros et jusqu'à deux ans d'emprisonnement en cas de violation.
Avec l'auteure du texte, nous avons très tôt identifié la nécessité d'améliorer son acceptabilité auprès des parties prenantes.
C'est la raison pour laquelle j'ai proposé en commission cinq amendements visant à resserrer le champ d'application de l'interdiction là où les pressions sont les plus fortes et la qualité de l'eau la plus dégradée, à différer son entrée en vigueur de 2031 à « dix ans après la promulgation du texte » – cela change tout de même le calendrier –, à dépénaliser les sanctions et à diviser par dix le montant de l'amende, avec un mécanisme permettant de ne pas déstabiliser les petites et moyennes exploitations agricoles, ainsi qu'à instituer un contrat d'engagement réciproque, c'est-à-dire un dialogue de gestion sur objectifs, facultatif et volontariste, afin de définir les modalités d'accompagnement et les engagements en vue de protéger les captages d'eau potable.
À ce stade de la discussion, il est essentiel de comprendre cette démarche de négociation en amont de la coercition.
La commission n'a pas soutenu ces initiatives, ce que je regrette, car elles me semblaient répondre aux interrogations et aux craintes exprimées lors des auditions par les représentants du monde agricole. Je déplore d'ailleurs que le débat en commission se soit focalisé sur la version initiale du texte et que l'on n'ait pas suffisamment tenu compte des amendements proposés.
En tant que rapporteur, j'ai précisément cherché à trouver les voies de passage, afin que le Sénat, en tant que chambre des collectivités, soit à l'avant-garde sur ce sujet majeur.
À mon grand regret, les échanges en commission n'ont pas tenu compte de l'ouverture au compromis de l'auteure de la proposition de loi, dont je tiens à saluer le travail et l'écoute, et des évolutions majeures que nous souhaitions apporter à ce texte.
Vous l'avez compris, pour des raisons qui ne m'ont pas entièrement convaincu, la commission n'a pas adopté le texte et a rejeté les amendements constructifs que j'avais proposés. Nous examinons donc aujourd'hui la proposition de loi dans sa version initiale, ce qui ne prend pas en compte le travail effectué ces dernières semaines. C'est bien dommage ! Nous aurions pu débattre aujourd'hui d'une version améliorée.
Certains d'entre vous proposent de supprimer purement et simplement l'article 1er, ce qui, à mon sens, revient à faire la politique de l'autruche. L'amélioration de la qualité des eaux brutes mérite tous les efforts du législateur, et en aucun cas une posture de type : « Circulez, il n'y a rien à voir ! » Nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir.
En tant que rapporteur, je serai évidemment tenu – c'est logique – d'exprimer la position que la commission a adoptée hier ; je tiens d'ailleurs à souligner que nous avons eu un dialogue positif lors de nos réunions. Toutefois, j'indique d'ores et déjà que je serai, à titre personnel, favorable aux initiatives de mon groupe visant à accroître l'efficacité, l'opérationnalité et l'acceptabilité du texte.
Le Gouvernement travaille, je le sais, à une feuille de route sur la protection des captages. Mais rejeter ce texte reviendrait à ne pas apporter notre contribution à ce débat fondamental, dont nous ne connaissons pas encore l'issue, même si nous espérons, sans en être vraiment certains, qu'il y en aura une rapidement.
Mes chers collègues, il serait assez inédit et ironique que le Sénat, fort de son expertise, de sa sagesse et de son indépendance, laisse le Gouvernement travailler seul à une stratégie, qui, si elle se confirme, préoccupe tant les élus locaux…
Je tiens d'ailleurs à le souligner, au-delà des enjeux pour les filières professionnelles et le monde agricole, les élus locaux attendent de disposer d'une boîte à outils qui leur permettrait de résoudre véritablement de tels problèmes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, cher Jean-François Longeot, madame la sénatrice Florence Blatrix Contat, monsieur le rapporteur, cher Hervé Gillé, je vous prie tout d'abord d'excuser ma collègue Agnès Pannier-Runacher, qui représente le Gouvernement à Nice à la troisième conférence des Nations unies sur l'océan, sujet sur lequel sa détermination et son engagement de longue date sont bien connus.
C'est évidemment toujours un plaisir pour moi de me retrouver ici, au Sénat, pour discuter de questions aussi importantes que celle de la qualité de l'eau.
Ce texte nous donne l'occasion d'aborder un enjeu essentiel : garantir une eau potable de qualité, en quantité suffisante et à un coût maîtrisé pour tous nos concitoyens. C'est une priorité du Gouvernement, qui a lancé – vous l'avez indiqué tout à l'heure –, sous l'autorité du Premier ministre, le 28 mars dernier, une feuille de route ambitieuse pour améliorer la qualité de notre eau potable par la protection des captages.
Ce débat s'inscrit dans un contexte marqué par les dérèglements climatiques, qui conduisent, entre autres, à une raréfaction de la ressource.
Je souhaite commencer par quelques éléments de constat.
Près d'un tiers des masses d'eau souterraines sont touchées par des pollutions diffuses, et 3,3 % par des pollutions ponctuelles.
Entre 1980 et 2021, plus de 12 600 captages d'eau potable ont été fermés en France. Dans un tiers des cas, c'est la dégradation de la qualité de l'eau qui a conduit à ces abandons. Ces fermetures réduisent l'accès à des ressources en eau fiables et saines, dans un contexte où le dérèglement climatique accroît déjà les contraintes en termes quantitatifs.
Avec près de 33 300 captages assurant les deux tiers de l'eau consommée, la protection de ces ressources stratégiques est un enjeu vital. Je tiens à saluer l'initiative de la sénatrice Florence Blatrix Contat, qui a souhaité l'inscription du sujet à l'ordre du jour du Sénat, même si, comme votre commission l'a rappelé, l'approche coercitive n'est pas la voie que nous privilégions.
Il ne suffit plus de traiter la pollution une fois qu'elle est là. Vous avez raison, monsieur le rapporteur : nous devons agir en amont, en protégeant l'eau à la source. Le traitement curatif, aussi performant soit-il, est coûteux, énergivore et parfois inefficace face à des pollutions émergentes.
Le coût annuel du traitement de l'eau potable est estimé entre 500 millions d'euros et 1 milliard d'euros. C'est pourquoi la prévention est aujourd'hui un levier incontournable. Car vous avez raison, monsieur le rapporteur : l'argent public se fait, lui aussi, très rare.
Face à ce constat, le Gouvernement agit.
Il s'engage résolument, comme vous nous y appelez, dans une politique de protection à la source, conforme aux exigences européennes. Cette action est pensée à l'échelle des territoires, avec des mesures proportionnées aux risques, graduées, adaptées aux réalités locales, de la sensibilisation jusqu'à des initiatives réglementaires ciblées dans des zones qui constituent des enjeux majeurs.
Cela passe par la délimitation des aires d'alimentation des captages et la mise en œuvre des périmètres de protection réglementaires, obligatoires depuis 1992, qui permettent de prévenir efficacement les pollutions accidentelles. La responsabilité d'engager ces procédures revient aux collectivités, et leur mobilisation est déterminante pour garantir la sécurité de l'eau.
À la fin de l'année 2024, les résultats sont encourageants. En effet, 87 % des aires d'alimentation des captages sont désormais délimitées ; 85 % disposent d'un plan d'action adopté ou en cours d'élaboration, même si seulement 8 % sont couverts par un programme volontaire prévoyant des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE).
Notre stratégie repose sur deux piliers : d'une part, la directive Nitrates, qui impose des programmes d'actions contraignants dans les zones vulnérables ; d'autre part, la stratégie Écophyto 2030, qui a permis une réduction majeure, de plus de 97 %, des ventes de substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques de catégorie 1 (CMR1), les plus dangereuses pour la santé humaine.
Pour renforcer l'efficacité de la prévention, la mesure 28 du plan Eau prévoit qu'en cas de dépassement des seuils de qualité pour un produit phytosanitaire toujours utilisé le préfet puisse prendre des mesures contraignantes immédiatement applicables.
Les concertations en cours dans le cadre de la feuille de route pour préserver la qualité de l'eau par la protection des captages – car nous ne faisons pas cela tout seuls, monsieur le rapporteur ! – visent à concrétiser cette ambition, avec deux priorités : identifier les aires d'alimentation à traiter en priorité sur la base d'une analyse de risque rigoureuse ; et établir un guide pratique à destination des préfets pour adapter la réponse aux situations locales.
L'article 1er de cette proposition de loi prévoit l'interdiction de l'utilisation et du stockage de produits phytopharmaceutiques et d'engrais minéraux dans les zones de protection des aires d'alimentation de captage à compter du 1er janvier 2031.
Nous savons aujourd'hui que la présence persistante de produits phytosanitaires et de leurs métabolites dans les eaux souterraines constitue un obstacle à la qualité de notre ressource en eau.
Mais, pour être acceptables et efficaces, les mesures qui affectent directement notre agriculture doivent être ciblées. Interdire partout, de manière uniforme, conduirait à négliger les spécificités locales et à fragiliser l'adhésion des acteurs de terrain. Il faut concentrer nos efforts sur les zones les plus vulnérables, les plus contributives à la pollution des captages.
C'est tout l'enjeu des zones de protection des aires d'alimentation de captage. Il revient au préfet de déterminer ces périmètres selon les spécificités locales. Ce dispositif, bien utilisé, permet une approche fine et, surtout, proportionnée.
Toutefois, il nous faut reconnaître que la réglementation actuelle présente des limites. En l'état, elle ne permet pas toujours de différencier les types de mesures selon les zones au sein d'une même aire d'alimentation du captage. Et, encore une fois, il s'agit non pas d'imposer, mais d'organiser une transition raisonnée, territorialisée et construite, monsieur le rapporteur, avec les acteurs de terrain.
Ainsi, si l'objectif de renforcer la protection des captages est pleinement partagé par le Gouvernement, l'interdiction totale des produits phytopharmaceutiques et des engrais minéraux sur l'ensemble de l'aire d'alimentation d'un captage dans un délai uniforme de six ans nous inspire d'importantes réserves.
Elle s'écarte de l'approche graduée, proportionnée, ciblée et déconcentrée que vous appelez de vos vœux au Sénat et que le Gouvernement défend dans le cadre de la feuille de route dédiée à l'amélioration de la qualité de l'eau potable. Cette dernière prévoit une montée en puissance progressive – je le répète – des mesures, en fonction du niveau de risque et des dynamiques locales engagées. Cette approche mesurée me semble la seule à même d'opérer ces transitions, non pas contre les acteurs, mais avec chacun d'entre eux.
L'article 2 prévoit le renforcement des sanctions en cas de non-respect des interdictions relatives à l'utilisation et au stockage de produits phytopharmaceutiques et d'engrais.
Soyons clairs : nous n'atteindrons pas nos objectifs de protection de l'eau et de l'environnement par des mesures strictement répressives. Ce n'est ni efficace à long terme ni soutenable socialement.
Car imposer des normes sans tenir compte des réalités du terrain, sans alternative viable ni perspectives de transformation nous conduit à l'impasse. Pour un grand nombre d'agriculteurs, cette réponse coercitive est vécue comme une injustice.
C'est pourquoi nous devons faire évoluer notre modèle avec le monde agricole. Cela suppose un accompagnement fort : technique, humain et financier.
J'entends d'ailleurs parfois les critiques sur l'écart entre les sanctions qui sont prévues par la loi et celles qui sont effectivement prononcées. Je crois essentiel de rappeler un principe fondamental de notre droit : la réponse pénale doit toujours être adaptée à la situation concrète, au contexte, aux circonstances. Cette appréciation relève de l'autorité pénale, qui doit toujours être indépendante. Le Gouvernement a récemment engagé une mission d'évaluation sur la proportionnalité des peines environnementales. Dès lors, dans l'immédiat, toute création de nouvelle infraction semble prématurée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces précisions étant apportées, je tiens encore une fois à saluer l'esprit qui anime les auteurs de cette proposition de loi. Car qu'y a-t-il de plus fondamental et de plus commun que d'assurer la protection de nos ressources en eau, d'accompagner la transition agricole et de renforcer notre résilience face aux effets du changement climatique ? Le débat que nous aurons me semble légitime, même si nous n'en partageons pas toujours l'approche stricte.
Fort de cette ambition partagée et du travail qui a été mené par la commission de l'aménagement du territoire et par le rapporteur, et compte tenu des arguments et réserves que je viens d'émettre, le Gouvernement s'en remettra à la décision du Sénat sur le texte et sur les amendements en discussion.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Delia. (Mme Kristina Pluchet applaudit.)
M. Jean-Marc Delia. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, personne ici ne nie l'urgence.
Oui, la pollution de nos ressources en eau est un défi majeur. Oui, garantir à chaque Français une eau potable de qualité est un impératif.
Bien que la commission ait rejeté le texte la semaine dernière, je tiens à souligner les efforts du rapporteur Hervé Gillé, qui, fidèle à l'ADN sénatorial, a cherché à trouver un compromis, notamment en présentant des amendements visant à restreindre le champ de la proposition de loi.
Toutefois, le modèle d'interdiction qu'elle prévoit, quelle que soit son étendue, nous pose problème.
D'abord, sur le papier, l'idée de la généralisation des périmètres de protection et des aires d'alimentation de captage paraît simple. Il suffirait d'étendre les périmètres, de multiplier les zones de protection renforcées, et le problème serait réglé. Mais la réalité, c'est qu'après plus de trente ans de législation sur l'eau 16 % des captages n'ont toujours pas de périmètre de protection. Ce n'est donc pas en ajoutant de nouvelles obligations que l'on va régler le problème ! Ce dont les collectivités ont besoin, c'est d'efficacité, de moyens humains et financiers, pas d'une nouvelle couche de normes sans moyens supplémentaires.
Ensuite, en envisageant des restrictions d'usage et une interdiction généralisée de l'emploi de certains intrants agricoles dans les aires d'alimentation de captage et les zones de protection, sans prise en compte des situations locales ou des efforts déjà engagés par les filières, autrement dit en multipliant les interdictions et les contrôles, je le dis franchement : on risque de faire plus de mal que de bien ! (M. Daniel Salmon s'exclame.)
Ces mesures s'inscrivent dans une logique de défiance, qui fragilisera nos exploitants, déjà soumis à de fortes contraintes, sans apporter de garanties supplémentaires pour la qualité de l'eau. L'interdiction généralisée des intrants sur de vastes périmètres, la multiplication des obligations administratives et le renforcement des contrôles et des sanctions risquent de décourager les bonnes volontés. (M. Daniel Salmon s'esclaffe.)
De plus, bien que nous soyons unanimes sur la nécessité de disposer d'une eau potable répondant aux critères de qualité, il convient, me semble-t-il, de rappeler un chiffre : parmi les 12 500 captages qui ont été fermés ces trente dernières années, seulement 34 % l'ont été pour cause de pollution aux nitrates et aux pesticides.
M. Daniel Salmon. C'est déjà pas mal !
M. Jean-Marc Delia. Mais alors, en quoi consistent les 66 % restants ? Est-il raisonnable de cibler le monde agricole, d'en faire le principal responsable ? Je ne le pense pas.
Nos agriculteurs, qui sont déjà soumis à des contraintes énormes, n'ont pas besoin d'être stigmatisés ou noyés sous les normes. Ils ont besoin d'un accompagnement, de confiance, et non d'un empilement de règlements ne tenant pas compte des efforts déjà réalisés sur le terrain.
Imposer de nouvelles obligations sans compensation, c'est creuser encore un peu plus la fracture entre territoires, notamment en milieu rural, où les budgets sont déjà très serrés.
Permettez-moi d'illustrer mon propos par l'exemple du Pays de Grasse, dans les Alpes-Maritimes. Voilà un territoire qui, ces dernières années, subit sécheresse, restrictions et problématiques d'alimentation. Face à cette situation, la communauté d'agglomération du Pays de Grasse, en lien avec le département et l'ensemble des gestionnaires, a déjà déployé un ambitieux programme d'action : lutte contre les pertes d'eau, optimisation des usages, sécurisation de l'alimentation, identification des ressources stratégiques futures, sensibilisation et accompagnement des usagers dans la réduction de leur consommation.
Résultat, la qualité de l'eau distribuée est excellente, avec une conformité microbiologique et physico-chimique à 100 %. Ce succès tient à la concertation, à l'innovation, à la responsabilisation de chacun – agriculteurs, monde économique, industriels –, et non à la sanction, à la contrainte uniforme ou à l'ajout de normes.
Alors oui, il faut agir. Mais toute action ne peut porter ses fruits qu'en s'appuyant sur les acteurs locaux, en tenant compte des réalités du terrain et en valorisant ce qui fonctionne déjà.
Nous, membres du groupe Les Républicains, restons pleinement engagés pour la protection de l'eau. Mais, en l'état, ce texte va trop loin dans la contrainte. Nous voterons donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je pense que nous partageons tous le même constat sur ces travées : l'eau potable est un bien vital qui est aujourd'hui menacé ; c'est le cas en France, à la fois par la dégradation de sa qualité et par sa rareté croissante.
Sur le plan qualitatif, les pollutions diffuses restent un problème majeur. Elles proviennent principalement des pesticides et des engrais azotés, mais aussi de l'industrie avec des substances persistantes, comme les PFAS.
En 2022, plus de 10 millions de nos concitoyens ont reçu au moins une fois une eau non conforme aux normes sanitaires. Et 30 % de nos eaux souterraines sont aujourd'hui contaminées par des résidus chimiques.
Sur le plan quantitatif, le changement climatique accentue la pression : les sécheresses se multiplient, les nappes peinent à se recharger et les débits des cours d'eau diminuent. Cela fragilise l'alimentation en eau potable, notamment en été, et oblige parfois à fermer des captages, souvent de manière définitive.
Entre 1980 et aujourd'hui, plus de 14 000 captages, dont une large part à cause des pollutions, ont ainsi été abandonnés. Cette situation affaiblit la résilience hydrique de nos territoires, en concentrant la pression sur un nombre de points de prélèvement de plus en plus réduit.
Face à cette réalité, notre pays ne part pas de rien.
Depuis la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau, les captages doivent être protégés par des périmètres réglementaires. Plus de 84 % d'entre eux sont aujourd'hui couverts, ce qui est un progrès. Depuis 2009, nous avons aussi instauré des zones de protection des aires d'alimentation des captages avec des programmes d'action locaux. Mais, au regard de l'enjeu, nous devons accentuer ces efforts.
Le texte dont nous débattons aujourd'hui se fonde sur un constat partagé : il faut faire plus et, surtout, prévenir les pollutions à la source. En effet, prévenir coûte trois fois moins cher que traiter l'eau après pollution.
Mais si l'ambition qui sous-tend cette proposition de loi est louable, ce texte soulève aussi des préoccupations légitimes. En interdisant dès 2031 l'usage et le stockage de produits phytosanitaires et d'engrais minéraux dans toutes les aires d'alimentation de captage, il impose une contrainte massive sans prévoir les moyens concrets de l'accompagner.
Cette approche coercitive fait peser une pression sur les agriculteurs sans garantir qu'ils auront les moyens techniques et financiers de s'adapter. Elle risque in fine de fragiliser la viabilité agronomique et économique de nombreuses exploitations, en particulier celles qui se situent dans des zones de captage prioritaires, où les surfaces concernées sont souvent très vastes. Nous devons entendre ces inquiétudes et faire preuve de pragmatisme.
Si la transformation des pratiques agricoles est nécessaire, elle doit être accompagnée par des dispositifs adaptés, car le monde agricole ne peut pas porter cet effort seul.
Je souhaite enfin insister sur les enjeux spécifiques relatifs à l'eau potable en outre-mer, en particulier en Guadeloupe. Dans nos territoires, la situation est d'autant plus critique que des pollutions historiques telles que le chlordécone, qui a provoqué un vaste scandale – nous l'avons évoqué ce matin –, laissent des stigmates profonds dans les sols et les eaux.
Il est donc essentiel que la politique de l'eau s'articule avec nos territoires, qu'elle dispose de moyens renforcés et qu'elle se déploie sur le long terme.
En résumé, si nous partageons l'objectif de cette proposition de loi – mieux protéger nos ressources en eau potable –, nous estimons que son atteinte appelle une approche plus équilibrée qui conjugue prévention, concertation et accompagnement.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI laisse une liberté de vote à ses membres sur cette proposition de loi.
Pour ma part, au regard de la situation de la Guadeloupe, département dont je suis élue, ainsi que de la Martinique, je voterai résolument pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les faits sont là : chaque année plus de 100 captages sont fermés ou abandonnés du fait de la présence dans l'eau de pollutions non traitables techniquement, ou, du moins, pas à un coût raisonnable.
Ces captages s'ajoutent aux 14 300 captages qui ont été fermés depuis 1980, dont environ 4 600 pour des problèmes relatifs à la qualité de l'eau, en lien avec les pollutions aux pesticides ou aux nitrates.
En dépit de quelques progrès localisés, cet échec global de la préservation de la qualité de nos ressources en eau doit nous conduire à nous questionner et, surtout, à agir. Il ne suffit plus de nous contenter du diagnostic, mes chers collègues : il nous faut désormais nous concentrer sur le réel.
Ces pollutions accumulées depuis des décennies menacent aujourd'hui tant la qualité que la quantité de notre eau. Face à ces menaces, la protection de nos captages d'eau potable s'impose comme une priorité absolue.
Or le compte n'y est pas, puisque seuls 1 500 captages sur 33 000 ont pu être sécurisés. Nous devons donc changer d'échelle et de méthode.
En novembre 2024, dans un rapport intitulé Prévenir et maîtriser les risques liés à la présence de pesticides et de leurs métabolites dans l'eau destinée à la consommation humaine, les inspections générales estimaient que la politique de protection des captages doit être refondée autour d'un renforcement de la coordination entre les services de l'État.
Elles considéraient de plus que la reconquête de la qualité de l'eau destinée à la consommation humaine suppose des mesures préventives ambitieuses qu'il convient de mettre en place urgemment : « interdire, dans les autorisations de mise sur le marché (AMM), les usages sur les aires de captages d'eaux souterraines des produits phytopharmaceutiques (PPP) contenant des substances générant des métabolites à risque de migration vers les eaux dans des concentrations supérieures à la limite réglementaire », d'une part ; « augmenter le taux de la redevance pour pollution diffuse et élargir son assiette aux produits biocides », d'autre part.
J'entends que l'approche retenue par les auteurs de cette proposition de loi n'est pas la bonne, qu'elle est trop répressive et centrée uniquement sur la profession agricole. L'urgence demeure toutefois, mes chers collègues. La réponse, concrète et collective, doit mobiliser les collectivités locales, les agriculteurs et les entreprises de l'eau.
Durant chaque minute que nous perdons, le coût du traitement des eaux contaminées, dont le montant est compris entre 500 millions et 1 milliard d'euros par an, augmente un peu plus.
Ces dépenses, en augmentation constante, reposent presque exclusivement sur les collectivités territoriales, qui doivent financer les infrastructures nécessaires alors que leurs budgets sont déjà contraints.
Elles entraînent aussi une augmentation du prix de l'eau pour les consommateurs, ce qui a pour effet d'exacerber les inégalités territoriales, notamment en milieu rural.
Une politique proactive de préservation serait non seulement plus efficace, mais également beaucoup moins coûteuse.
Nous serons donc attentifs à la mise en œuvre de la feuille de route 2025 visant à améliorer la qualité de l'eau par la protection de nos captages. Celle-ci prévoit notamment un accompagnement renforcé des collectivités comme des agriculteurs et des industriels, qui se verront proposer des solutions adaptées et graduées, l'objectif étant de les aider à opter pour des pratiques plus durables.
Je souhaite à cet égard évoquer les paiements pour services environnementaux (PSE). Mon collègue Henri Cabanel, dont c'est le cheval de bataille, s'efforce depuis plusieurs années de développer ce dispositif sur notre territoire, mais il se heurte à la rigidité de Bruxelles. La pédagogie et l'anticipation resteront pourtant vaines sans un accompagnement financier proportionnel. Or, à l'heure actuelle, celui-ci est largement insuffisant.
L'enjeu environnemental et sanitaire mérite que nous prenions le temps d'effectuer un diagnostic des territoires, d'élaborer des mesures concrètes adaptées aux enjeux locaux, puis d'appliquer celles-ci. Cela contribuerait non seulement à améliorer le revenu de nos agriculteurs, mais aussi à renforcer l'accompagnement à l'évolution des pratiques, que ce soit par une plus forte valorisation de l'agriculture biologique sur les aires d'alimentation des captages ou par l'augmentation des moyens consacrés à la réduction des pollutions par les pesticides – cultures à bas niveau d'intrants, paiement pour services environnementaux, etc.
En fonction des spécificités et des problématiques de leurs territoires, les membres du groupe RDSE voteront pour ou contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Duffourg.
M. Alain Duffourg. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses qui nous est soumise aujourd'hui soulève un enjeu aussi essentiel que stratégique.
Comme vous le savez, mes chers collègues, le nombre de captages d'eau fermés chaque année est considérable. Plutôt qu'agir a posteriori, il y aurait lieu d'adopter des mesures préventives. Les traitements envisagés aujourd'hui emportent des coûts importants pour les collectivités locales, les syndicats d'eau et tous les gestionnaires des services publics d'eau et d'assainissement.
Je constate de telles difficultés dans le département dont je suis élu, le Gers, où le remplacement des canalisations en matière plastique installées dans les années 1980, dont la dégradation produit un gaz polluant, le chlorure de vinyle monomère (CVM), emporte des coûts pouvant s'élever dans certaines zones à 100 000 euros du kilomètre.
Au-delà de mon département, la pollution au CVM concerne l'ensemble du territoire, en particulier le centre de notre pays et la Bretagne.
Le texte porte des mesures ambitieuses, sur lesquelles le rapporteur a émis un certain nombre de réserves : il a donc introduit des mesures d'accompagnement pour adapter ces mesures.
Le groupe Union Centriste, que je représente, est pour sa part réservé quant à l'opportunité d'adopter ce texte, et ce pour deux raisons.
La première raison tient au souci de ne pas préempter le travail mené par le Gouvernement depuis le 28 mars dernier en vue d'améliorer la qualité de l'eau pour la protection des captages.
La seconde raison a trait au contexte de crise agricole. Comme vous le savez, mes chers collègues, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur la proposition de loi dite Duplomb, visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, se réunira du reste prochainement.
M. Bernard Jomier. C'est sûr, ça va améliorer les choses !
M. Alain Duffourg. Ces deux raisons expliquent la position mitigée du groupe Union Centriste.
Dans le prolongement du plan Eau, la ministre de la transition écologique, Mme Agnès Pannier-Runacher, a fait de la protection des captages une priorité absolue. D'autres ministres du Gouvernement se mobilisent également. J'en veux pour preuve le lancement récent des conférences territoriales sur l'eau, dont la première, qui s'est tenue à Bordeaux le 29 avril dernier, a réuni 500 intervenants.
M. Hervé Gillé. J'y étais.
M. Alain Duffourg. Il y a quelques jours, dans le département dont je suis élu, le Congrès national des jeunes agriculteurs s'est tenu en présence de Mmes Agnès Pannier-Runacher et Annie Genevard, ministre de l'agriculture. Je m'attendais à un tollé contre la ministre de l'écologie, mais les choses se sont finalement bien passées. (Mme la ministre déléguée s'en félicite.) Le captage et la distribution de l'eau ont largement été évoqués.
Les agriculteurs sont, en règle générale, favorables à l'écologie. Ils s'efforcent d'améliorer les cultures, de diminuer les intrants, de recourir aux couverts végétaux et de développer une agriculture raisonnée ou biologique, afin d'éviter tout dérapage en matière écologique.
La question de la qualité de l'eau se joue également au plan européen. La directive européenne du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine est actuellement évaluée par l'Assemblée nationale. La semaine dernière, l'Union européenne a publié la stratégie pour la résilience de l'eau visant à améliorer l'utilisation de la ressource et à réduire la pollution aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) et aux polluants éternels d'ici à 2027.
Si nous ne pouvons pas voter ce texte en l'état, nous saluons l'initiative de bon sens du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Nous restons toutefois attentifs à l'action du Gouvernement, qui devra trouver un juste équilibre entre la qualité de l'eau et la santé humaine, d'une part, et la souveraineté agricole, d'autre part.
M. le président. La parole est à M. Alexandre Basquin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Alexandre Basquin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'eau est un bien précieux tant cette ressource est fragile.
Encore aujourd'hui, dans le monde, pas moins de 1,4 milliard de personnes sont hélas ! privées d'eau potable et 1,2 million de personnes, dont 300 000 enfants de moins de cinq ans, meurent chaque année de maladies liées à l'eau.
Selon l'ONU, encore aujourd'hui, près de 700 millions de personnes sont concernées par des pénuries d'eau dans quarante-trois pays dans le monde. Ces pénuries emportent d'importants effets migratoires. Les déficits hydriques sont en effet à l'origine d'une hausse de 10 % des flux migratoires à l'échelle de la planète et si nous n'y prenons pas garde, demain, l'eau sera une source permanente de conflits.
J'ai tenu à commencer mon propos par ces quelques éléments fondamentaux, car je considère que l'eau doit être un bien commun pleinement sanctuarisé.
J'en viens à la proposition de loi.
La gestion de l'eau subit une double menace, qualitative et quantitative. Je salue donc le volontarisme de notre collègue Florence Blatrix Contat et du groupe socialiste qui, par cette proposition de loi, se saisissent des enjeux liés à la qualité de l'eau potable.
La contamination des ressources en eau pose un problème sanitaire majeur. Selon le ministère de la santé, en 2022, plus de 10 millions de Français ont été alimentés au moins une fois par de l'eau non conforme aux normes réglementaires relatives aux pesticides et à leurs métabolites.
Quelque 30 % des eaux souterraines sont contaminées par ces résidus et, d'ici à 2027, l'état chimique de 40 % des masses d'eau pourrait ne pas être considéré comme bon. Nous avons tous en tête les conséquences que cela pourrait entraîner sur la santé humaine.
La loi du 3 janvier 1992 sur l'eau a certes créé des périmètres de protection des captages, qui ont été renforcés, en 2006, par l'inscription des aires d'alimentation des captages dans le code de l'environnement. Mais, au regard des chiffres, cela n'est plus suffisant. Il faut donc aller plus loin.
Cette proposition de loi va évidemment dans le bon sens – et bien plus loin que la feuille de route gouvernementale visant à améliorer de la qualité de l'eau par la protection de nos captages présentée en mars dernier, qui reste bien trop timide à bien des égards.
Je rappelle que 14 300 captages d'eau ont été fermés et que 100 captages sont fermés ou abandonnés chaque année du fait de pollutions non traitables techniquement ou, du moins, à un coût raisonnable.
Abandonner des captages aujourd'hui, c'est renforcer notre dépendance vis-à-vis des captages existants. Or les difficultés liées à l'eau sont dues au manque non pas seulement de ressources, mais aussi de capacités de financement et d'investissement.
Comme cela a été dit, les coûts de prévention sont trois fois moins élevés que les coûts de traitement, lesquels peuvent atteindre jusqu'à 1 milliard d'euros par an et pèsent lourdement sur les collectivités gestionnaires, qui n'ont parfois d'autre choix que de répercuter ces coûts sur les consommateurs.
Si nous voulons embrasser la totalité des enjeux, nous estimons qu'il nous faut changer de paradigme en matière de gestion de l'eau. Nous ne pouvons plus mégoter : l'eau doit être au centre de toutes les attentions, sans exclusion. Lorsque je dis cela, j'ai aussi bien conscience qu'il faut soutenir avec force la filière agricole et créer toutes les conditions pour permettre la conversion solide, pérenne et viable de nos exploitations agricoles. Non seulement l'un ne va pas sans l'autre, mais l'un ne s'oppose pas à l'autre.
Nous sommes tous concernés, car nous avons tous besoin d'une eau de qualité, et chacun ici a conscience qu'il est urgent de trouver une solution durable. Renonçons donc à une vision binaire et éloignons-nous des eaux glacées du calcul égoïste : face à cette crise de l'eau, il nous faut agir collectivement en ayant en tête les générations d'aujourd'hui et de demain.
Comme vous l'aurez compris, mes chers collègues, nous voterons très favorablement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'avoue ne pas comprendre.
La pollution de l'eau va croissant, les polluants s'accumulent, les captages ferment, les coûts de traitement s'envolent. Aucune politique publique, aucun plan, aucune stratégie ne sont parvenus à renverser cette trajectoire de dégradation. Le réchauffement aggrave et aggravera les tensions.
Et pourtant, il faudrait aujourd'hui balayer cette proposition de loi, parce qu'il ne faudrait pas être un tant soit peu coercitif, qu'il ne faudrait rien qui ressemble à des contraintes ou à de la régulation ; parce qu'il existe – c'est l'évidence – d'autres sources de pollution que les pratiques agricoles ; parce que de vagues chartes incitatives locales suffiraient ; parce que le salut, enfin, viendrait évidemment d'une énième feuille de route gouvernementale.
Je ne vous comprends vraiment pas, mes chers collègues. N'est-il donc pas possible de trouver collectivement une voie viable pour aller vers une agriculture plus durable dans ces zones vitales pour notre eau potable ?
L'enjeu de la qualité des eaux est donc – il faut s'y faire – verrouillé par les clivages politiques. Aucune dynamique commune ne nous permettra de trouver un nouvel élan pour rompre avec l'inefficacité globale de politiques incitatives limitées, de la superposition de dispositifs illisibles et de vaines stratégies.
J'avais pourtant compris qu'à l'issue de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau, menée en 2023, notre chambre avait clairement établi notre échec collectif à préserver la qualité des eaux et acté la nécessité de changer de braquet pour engager une lutte effective et transformatrice contre les pollutions diffuses. Je croyais que le Sénat avait pris la mesure de l'urgence à agir, qu'il était conscient qu'à défaut, nous placerions les élus locaux, lesquels ont l'obligation de garantir une eau correcte, devant un mur d'investissements et des impasses techniques.
Eh bien non ! Ce changement de braquet n'est manifestement pas pour aujourd'hui. Quel dommage ! Quel gâchis en perspective, alors que, nous le savons, le coût de l'inaction préventive se paie dès maintenant au moins trois fois plus cher en traitement curatif et que les traitements seront à l'avenir toujours plus coûteux !
Qu'y a-t-il pourtant de brutal, d'unilatéral, à déployer progressivement une trajectoire de réduction des usages et des stockages de produits phytosanitaires et d'engrais minéraux dans les périmètres de protection immédiats et rapprochés, ceux-là mêmes dont le prélèvement est considéré comme sensible au regard des diagnostics locaux ? Je rappelle du reste qu'à cette trajectoire pourrait se substituer, le cas échéant, un dialogue d'accompagnement territorialisé entre l'exploitant et le gestionnaire chargé de l'eau.
Croyez-vous franchement que, en fixant un objectif d'interdiction complète au bout d'une période de dix ans d'accompagnement progressif et territorialisé et en divisant par dix le montant des amendes encourues, cela contribuera réellement à mettre en péril la viabilité agronomique et économique des exploitations concernées ?
Prenez-vous la mesure, mes chers collègues, de la bombe sanitaire que constitue notre contamination massive au cadmium, sur laquelle les médecins nous ont récemment alertés ? Ce cancérogène présent dans les engrais phosphatés empoisonne nos sols agricoles et nos enfants.
Allons-nous, par notre inaction, laisser prospérer une logique d'affrontement envers les agriculteurs, qui seront bientôt pris en étau entre le nombre massif de plaintes qu'emporteront les conséquences sanitaires de l'inaction, d'une part, et les dures confrontations qui résulteront de la hausse des montants des factures d'eau pour les ménages comme du renchérissement du coût de la gestion pour les collectivités, d'autre part ?
Il est plus que temps que le Sénat retrouve la voie du compromis constructif, à savoir l'accompagnement à un changement qui est nécessaire. C'est ce que prévoit ce texte, dans le même esprit que la proposition de loi visant à protéger durablement la qualité de l'eau potable du député écologiste Jean-Claude Raux, laquelle a passé avec succès le cap de l'examen en commission à l'Assemblée nationale. Telle est la volonté qu'il nous faut retrouver, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. Daniel Salmon. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Michaël Weber. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport conjoint des ministères de l'agriculture, de la santé et de l'environnement précédemment évoqué constatait « l'échec global de la politique de préservation de la qualité des ressources en nous pour ce qui concerne les pesticides ».
Un même constat d'échec s'impose pour la pollution de l'eau potable aux engrais azotés, en dépit des sept plans consécutifs de lutte contre les nitrates qui se sont succédé depuis plus de trente ans et plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, dont un procès toujours en cours. La dégradation de la qualité de l'eau potable est toujours plus alarmante ; elle emporte un risque grave et imminent pour la santé humaine.
La situation est telle que la non-conformité de l'eau destinée à la consommation humaine est quasiment généralisée, les cas les plus critiques se trouvant dans la moitié nord de la France.
Le lien avec certaines pratiques agricoles industrielles étant direct, deux solutions s'offrent à nous pour éviter un scandale sanitaire encore latent.
La première, qui ne règle rien, consiste à relever les seuils réglementaires ou à déroger aux normes sanitaires. Les causes de la pollution ne disparaîtraient pas, elles ne régresseraient pas, mais officiellement, tout serait arrangé, puisque l'eau redeviendrait conforme aux critères de qualité. Il suffit pour cela de déclasser certaines substances, de consentir des dérogations provisoires, ce qui reviendrait à reporter sur les usagers les coûts causés par des actions curatives tardives.
L'autre solution, la seule vraie solution, celle qui fait consensus – cela mérite d'être souligné – tant dans les milieux scientifiques et associatifs que dans les ministères, consiste à préserver en amont les zones de captage en réduisant drastiquement et sans délai l'usage des pesticides et des intrants.
Sans mesures préventives ambitieuses – interdiction de l'usage des pesticides au niveau des points de prélèvement les plus sensibles, généralisation des pratiques culturales à bas niveau d'intrants dans les aires d'alimentation de captage –, la reconquête de la qualité des eaux est tout simplement illusoire.
C'est tout l'objet du texte que nous examinons aujourd'hui, porté par ma collègue Florence Blatrix Contat, lequel fixe des règles strictes, seules à même de préserver la qualité de l'eau face à une pollution bientôt hors de contrôle.
Les exploitants agricoles doivent évidemment être associés à cette réforme et bénéficier d'un appui financier et de conseils techniques et scientifiques pour adapter leurs modes de culture et les rendre plus durables.
S'il est en effet injuste de faire peser sur les agriculteurs le coût de cette politique d'intérêt général, il est encore plus scandaleux de reporter le coût de la pollution sur les ménages et les collectivités en ne faisant rien.
L'interdiction, instaurée en 2020, de pulvériser des pesticides près des habitations découle du même impératif de santé publique. Elle est aujourd'hui bien acceptée.
Certaines pratiques agricoles sont polluantes ; leurs conséquences sur la qualité de l'eau pour la santé humaine et la biodiversité étant graves, ces pratiques doivent être strictement encadrées. En laissant faire ou en cédant à la pression, l'État se rend responsable des préjudices qui sont et seront immanquablement causés par la pollution de l'eau.
Nous venons il y a quelques instants de reconnaître la responsabilité de l'État dans le cas du chlordécone. Ne laissons pas une nouvelle tragédie se produire, mes chers collègues.
En tant que législateurs, nous avons le devoir, vis-à-vis des territoires que nous représentons, de tout faire pour éviter la pollution généralisée de l'eau, qui affecte directement le bien-être et la santé de la population, tout en minant le budget des communes.
Jugée trop exigeante, la proposition de loi a pourtant été rejetée par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, saisie au fond.
Cette commission, qui devrait être le lieu où l'on débat des moyens concrets pour réussir la transition écologique dans les territoires, refuse ainsi de se saisir de ce sujet pourtant crucial pour les collectivités.
Si l'enjeu n'émeut pas suffisamment la majorité sénatoriale, celle-ci doit toutefois comprendre que, en ne faisant rien, elle commettrait une faute politique. À la veille des élections municipales, combien de candidats, de futurs maires, seront interrogés par leurs habitants sur la qualité dégradée de l'eau du robinet, sur l'accroissement des risques de pathologies cancéreuses et neurologiques, de troubles de la reproduction, ou encore sur les risques encourus par les nourrissons et les femmes enceintes qui boiraient cette eau ? Quelle crédibilité accorder à une chambre des territoires qui resterait muette sur les sujets les plus critiques pour les collectivités et la santé de leurs administrés ?
En voulant flatter une part réduite de son électorat, la majorité sénatoriale oublie l'intérêt de la grande majorité de nos concitoyens. Elle commet une erreur grave.
La commission, qui dit souscrire à l'objectif du texte, était en droit et en capacité d'effectuer les rééquilibrages nécessaires. Elle a pourtant rejeté d'entrée de jeu toutes les propositions d'amélioration de son rapporteur Hervé Gillé, comme si, en dépit de l'urgence à agir, le pouvoir législatif préférait procrastiner et fermer les yeux.
Sans émettre aucune autre proposition, la majorité sénatoriale critique un défaut de méthode, un manque de pédagogie et d'anticipation. Elle oublie sans doute ce que cela fait déjà plus de trente ans que s'empilent les plans d'action à base de mesures fondées sur le volontariat qui n'ont permis d'obtenir aucun résultat tangible.
Le texte initial que nous examinons aujourd'hui soulève certes des difficultés reconnues par son auteure, notamment en ce qui concerne le volet relatif à l'accompagnement des agriculteurs ou le champ de l'interdiction, jugé trop large.
Le rapporteur s'est efforcé de rééquilibrer le texte pour mieux concilier prévention et coercition, rendre la réforme plus progressive et encadrer son périmètre. Le groupe socialiste reprendra à son compte les propositions d'amélioration du rapporteur qu'il juge adaptées et qui répondent à une forte attente de la population. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Chevalier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Cédric Chevalier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je partage le constat, qui me paraît unanime, selon lequel, malgré des efforts constants et malgré l'empilement des dispositifs réglementaires et normatifs au fil des années, la protection de la qualité de l'eau reste largement insuffisante.
Les pollutions diffuses continuent de se propager, les nappes phréatiques s'épuisent et la préservation de la ressource en eau ne répond pas aujourd'hui à l'ampleur des enjeux environnementaux et climatiques.
Dans le même temps, nos agriculteurs, soumis à une pression normative croissante, font face à une complexité administrative qui devient pour beaucoup étouffante. Ils expriment une lassitude compréhensible, celle de professionnels à qui l'on en demande toujours plus sans leur en donner forcément les moyens ni même les écouter.
À ce constat s'ajoute une inquiétude profonde quant au présent texte. Les mesures prévues, annoncées sans réelle concertation, sont déséquilibrées. Elles risquent d'aggraver la situation de notre monde agricole, déjà fragilisé par les crises successives, l'augmentation des charges, la volatilité des marchés et une reconnaissance sociale de la profession souvent défaillante.
Ajouter une nouvelle couche de contraintes réglementaires dans ce contexte revient à jeter de l'huile sur le feu. C'est alimenter un sentiment d'injustice, voire d'abandon, chez celles et ceux qui nous nourrissent.
La réduction mécanique de la surface agricole entraînera inévitablement des effets directs sur les revenus des exploitations. Or ce sont encore une fois les plus petites structures, les plus vulnérables, qui seront affectées les premières. Ce sont nos territoires ruraux, déjà fragiles, qui verront s'éroder leur activité, leur dynamisme et leur équilibre.
Nous devons regarder cette réalité en face, mes chers collègues : c'est toute la filière agricole qui se trouve ici sous pression, alors même que la souveraineté alimentaire devrait plus que jamais être érigée en priorité nationale.
Il serait également injuste – et contre-productif – de ne pas reconnaître les efforts considérables que nombre d'agriculteurs ont déjà entrepris. Grâce à leur engagement, grâce à l'innovation, à la recherche agronomique, à l'adaptation de leurs pratiques, beaucoup ont su réduire leur usage d'intrants, intégrer les préoccupations environnementales et modifier profondément leur manière de produire.
Il est donc temps de sortir d'une logique qui oppose systématiquement écologie et agriculture, privilégie trop souvent la contrainte à l'accompagnement, et oublie une chose essentielle : la transition écologique ne pourra réussir qu'avec les agriculteurs, jamais contre eux.
Nous devons repenser en profondeur notre manière d'agir. Il nous faut privilégier des politiques transversales, fondées sur la concertation, l'écoute, le soutien technique et financier, et la valorisation des bonnes pratiques. L'accompagnement doit devenir le fil conducteur de notre action publique, car c'est la condition de l'adhésion et de l'engagement durable des acteurs de terrain.
Bien sûr, la contrainte peut être nécessaire, notamment face à des situations de blocage manifeste. Mais ce serait une dangereuse illusion que de croire que la seule contrainte suffirait à tout régler. Une telle approche pourrait même se révéler contre-productive à terme en risquant de démobiliser celles et ceux dont nous avons le plus besoin : les femmes et les hommes qui, chaque jour, cultivent, élèvent, produisent.
Nous le constatons d'ailleurs régulièrement, puisque nous sommes constamment obligés de revenir sur toutes les mesures qui relèvent de l'écologie punitive et qui ont été prises de façon unilatérale et parfois brutale.
Il est indispensable d'associer pleinement les agriculteurs et l'ensemble des acteurs de l'eau à l'élaboration des dispositifs de protection de la ressource. Leur expertise de terrain, leur connaissance fine des écosystèmes, leur capacité d'adaptation sont des atouts précieux. Les exclure de la discussion serait une erreur stratégique majeure.
Par ailleurs, n'oublions pas le contexte : alors que le Gouvernement a engagé un travail de fond sur la protection des captages et que la crise agricole reste vive, il serait irresponsable d'adopter, dans la précipitation, un texte susceptible d'entrer en contradiction avec les orientations à venir. La décision parlementaire doit résulter d'un temps de réflexion équilibrée, et non d'un réflexe de réaction.
En conclusion, j'en appelle à une approche plus juste, équilibrée et responsable, se fondant sur la concertation, l'accompagnement, la justice et l'écoute des réalités de terrain. Oui, protéger l'eau est une nécessité absolue. Mais cela ne peut pas, cela ne doit pas, se faire au détriment de celles et ceux qui nourrissent la France.
Travaillons avec nos agriculteurs, et non contre eux. Ce n'est qu'à cette condition que nous pourrons bâtir ensemble un avenir à la fois durable, cohérent et prospère.
Comme vous l'aurez compris, mes chers collègues, mon groupe s'opposera à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses
Article 1er
I. – L'article L. 211-2 du code de l'environnement est complété par un III ainsi rédigé :
« III. – Dans les zones de protection des aires d'alimentation de captages définies au 5° du II de l'article L. 211-3, sont interdits l'utilisation et le stockage des produits phytopharmaceutiques mentionnés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime.
« L'utilisation et le stockage des engrais minéraux sont interdits dans ces mêmes zones de protection lorsqu'elles sont polluées par des nitrates.
« Les modalités d'application du présent III sont précisées par décret. »
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2031.
III. – Un décret détermine des plafonds intermédiaires limitant l'utilisation et le stockage des produits phytopharmaceutiques mentionnés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime et des engrais minéraux dans les zones définies au 5° du II de l'article L. 211-3 du code de l'environnement.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié quinquies, présenté par MM. V. Louault, Chevalier, Laménie, Bacci, Grand, Verzelen, Duplomb, Klinger et Menonville, Mmes Muller-Bronn et Pluchet et MM. A. Marc et Hingray, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Cédric Chevalier.
M. Cédric Chevalier. Cet amendement vise à supprimer l'article 1er.
Sur le fond, je ne remets aucunement en cause la nécessité d'agir pour toujours plus de protection des aires de captage d'eau potable. En revanche, il s'agit de revenir sur la forme des méthodes retenues dans cette proposition de loi, lesquelles sont par trop radicales, coercitives et stigmatisantes.
Dans un esprit réellement constructif et efficace, l'objet de l'amendement est d'empêcher d'imposer, encore une fois, aux agriculteurs concernés par les aires d'alimentation des captages d'eau potable un changement rapide de méthode productive. Cela apparaît d'autant plus nécessaire que cet article ne prévoit par ailleurs aucune mesure d'accompagnement de ces agriculteurs.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Hervé Gillé, rapporteur. Il est important de remettre les choses en perspective : la commission a exprimé, à la quasi-unanimité – je crois que vous étiez présent, mon cher collègue –, son souhait que le débat ait lieu sur cette proposition de loi pour en étudier le fond.
Le fait d'adopter cet amendement reviendrait à « casser » le texte et à empêcher le débat. Nous ne saurions cautionner cette attitude, que je qualifierai même de posture. (MM. Patrick Kanner et Yan Chantrel renchérissent.)
Je le redis, la position de la commission est la suivante : essayons de mener un débat de fond sur ce texte. Votre amendement ne le permet pas, puisque les amendements déposés sur l'article 1er ne seront pas examinés s'il était adopté. Pourtant, il convient de mettre en perspective la nécessité d'agir sur ce sujet.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Primas, ministre déléguée. Comme je l'ai dit lors de la discussion générale, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'ensemble du texte et sur les amendements. (Marques de désapprobation sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour explication de vote.
Mme Anne Souyris. Mon cher collègue, trois choses ne vont pas dans votre amendement.
Tout d'abord, vous vous contredisez : tantôt vous défendez la nécessité d'agir pour toujours plus de protection des aires de captage, tantôt vous vous opposez à la mesure défendue par nos collègues socialistes.
Ensuite, vous affirmez que cette proposition de loi emporte des méthodes « par trop radicales, coercitives et stigmatisantes ». Mais stigmatisantes pour qui ? C'est parce que nous défendons la santé de la population et des agriculteurs que nous souhaitons réguler davantage l'usage de pesticides dans les zones de captage d'eau !
Enfin, vous vous accrochez à un thermomètre défaillant plutôt qu'aux preuves scientifiques en affirmant, dans l'objet de votre amendement, que « les pesticides et la présence de nitrates ne sont à l'origine que de 13,2 % des fermetures d'aires de captage d'alimentation en eau potable sur la période 1980-2022 ».
Non seulement ce chiffre est insuffisant, mais vous auriez pu en citer d'autres : 30 %, c'est la part des eaux souterraines affectée par la présence de résidus de pesticides et de teneur trop élevée en nitrates ; 12 millions, c'est le nombre de Françaises et de Français qui ont consommé une eau polluée en 2021 ; 385 millions, c'est le nombre d'intoxications graves aux pesticides dans le monde.
Nous voterons contre cet amendement et pour l'article 1er. Autrement dit, nous voterons en faveur de la santé de tous, y compris – et même surtout ! – de celle des agriculteurs.
M. le président. Mes chers collègues, je vous informe que j'ai été saisi d'une demande de scrutin public sur cet amendement.
La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour explication de vote.
Mme Florence Blatrix Contat. La discussion générale a démontré, me semble-t-il, qu'il existait un consensus sur le constat, à savoir la nécessité de protéger notre ressource en eau potable et nos aires de captage, pour les générations actuelles comme futures.
Plusieurs rapports parlementaires successifs dressent le même constat. Je pense en particulier au rapport d'information de notre collègue Hervé Gillé sur la gestion durable de l'eau, qui a été voté à l'unanimité en 2023 et pointait déjà la nécessité de protéger les captages d'eau. Nous sommes donc tous d'accord sur le diagnostic.
Or, mon cher collègue, que nous dites-vous par le biais de cet amendement ? Fermez le ban ! Circulez, il n'y a rien à voir ! Vous ne formulez aucune proposition alternative et refusez le débat.
Je tiens à saluer encore une fois les amendements proposés par le rapporteur en commission, qui tendaient à restreindre le périmètre des interdictions, à construire avec la profession agricole une trajectoire pluriannuelle et à créer des contrats d'engagement réciproques. Toutes ces avancées auraient permis d'aboutir.
Comme l'a souligné mon collègue Michaël Weber, des politiques sont mises en œuvre depuis trente ans, mais elles n'aboutissent pas : nous le voyons, la qualité de l'eau continue de se dégrader. Comme je l'ai évoqué précédemment, la quantité de PFAS dans notre eau potable ne cesse d'augmenter. Il s'agit d'une véritable menace pour notre ressource en eau.
Je regrette cet amendement, qui tend à empêcher le débat et nous empêche d'intégrer au texte les avancées proposées par le rapporteur en commission.
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, ce rappel au règlement se fonde sur l'article 42 de notre règlement et porte notamment sur la sincérité de nos débats.
Mes chers collègues, alors que chacun a pu constater le taux de présence des différents groupes dans l'hémicycle, vous vous apprêtez, par le biais d'un scrutin public, à flinguer – pardonnez-moi l'expression – un texte important qui aurait mérité de faire l'objet d'un débat en profondeur. Si cette faculté figure dans notre règlement intérieur, chacun sait que nous la contestons.
J'engage donc celles et ceux qui l'envisageraient de ne pas prendre cette voie. Notre gentlemen's agreement ne porte certes pas sur les articles, mais aucune motion de rejet initiale n'a été déposée sur le texte. Aussi, il serait regrettable que le débat lancé par Florence Blatrix Contat, l'auteure de la proposition de loi, soutenue par les membres de notre groupe, ne puisse pas avoir lieu.
Il est question d'un sujet essentiel, qui, comme l'a évoqué Michaël Weber, tiendra une place importante dans la campagne des élections municipales.
Le fait de supprimer l'article sans défendre d'amendements alternatifs reviendrait à refuser le débat et à empêcher notre Haute Assemblée de trouver des solutions pérennes sur des questions essentielles pour notre environnement et la qualité de vie de nos concitoyens.
Le scrutin public aura lieu, mais je vous incite à bien réfléchir à votre vote pour nous permettre d'étudier ce texte jusqu'au bout.
M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.
La parole est à M. Alexandre Basquin, pour explication de vote.
M. Alexandre Basquin. Pour un texte examiné dans le cadre d'un espace réservé, je trouve cet amendement très peu courtois – je le dis avec la franchise qui me caractérise. Il est dommage que nous ne puissions pas aller au bout du débat sur un sujet d'une telle importance, à savoir la préservation de la ressource en eau et de sa qualité.
La discussion des articles et le scrutin final donnent à chacun l'occasion d'exprimer ses convictions en la matière, en toute transparence et en responsabilité. Je vous invite donc, mes chers collègues, à vous montrer responsables pour que nous puissions aller au bout du débat.
Alors que des efforts ont été réalisés en commission et que les membres de celle-ci se sont accordés pour que le débat ait lieu, il serait regrettable qu'il en aille autrement. Je le redis, le sujet est d'une importance majeure et dépasse largement le pourtour de cet hémicycle et de nos nombrils respectifs !
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Les choses sont très claires : nous faisons face à un refus de débat. Comme l'a dit Patrick Kanner, il suffit de voir les rangs clairsemés à la droite de cet hémicycle pour comprendre que la pollution de l'eau n'est pas une préoccupation de nos collègues de la majorité sénatoriale.
Après avoir longtemps essuyé une forme de déni, nous voilà face à un refus de débat ! Le déni consistait à dire que, notre planète étant vaste, toutes les pollutions finiraient par se diluer, se dégrader et disparaître. Or les études s'accumulent pour prouver le contraire !
Dans le même temps, les polluants s'accumulent également dans le sol, jour après jour, année après année, et polluent nos eaux brutes. En Ille-et-Vilaine, mon département, seuls 3 % des eaux brutes sont en bon état ! Le S-métolachlore, le cadmium, le flufénacet, et je vous en passe… Tout cela se retrouve dans nos eaux !
Les conséquences sont colossales en matière de coût pour nos collectivités territoriales, qui essayent de dépolluer au fur et à mesure. En Ille-et-Vilaine, il faut désormais changer les filtres à charbon tous les deux mois, alors qu'il suffisait de le faire tous les six mois il n'y a pas si longtemps.
Et s'il n'y avait que cela… Derrière les coûts, la santé de nos habitants est en jeu ! Nous le savons, l'eau est un élément essentiel. Même à doses minimes, certains pesticides ne sont pas sans effet.
Le moment est dramatique. Nous avons légiféré ce matin sur le chlordécone, mais personne sur les travées de la droite ne semble retenir les leçons de l'Histoire ! Ils continuent, comme si de rien n'était, à refuser de prendre des mesures.
Madame la ministre, bien sûr que nous ne faisons pas une loi contre les agriculteurs. Nous la faisons avec eux, mais contre les lobbies ! Car ces derniers se moquent complètement de la santé de nos concitoyens et ne s'intéressent qu'aux profits !
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour explication de vote.
M. Jacques Fernique. Mes chers collègues, ce qui va se passer dans quelques instants est d'autant plus important que cela risque de se reproduire cet après-midi et ce soir. Vous ne voulez pas de l'article 1er, c'est votre droit. Permettez-nous d'examiner les amendements que nous avons déposés pour améliorer l'article ; ensuite, vous pourrez le rejeter en connaissance de cause au moment du vote de l'article, amendé ou non !
Merci de nous laisser le temps du débat ! Je vous demande de respecter la volonté, très consensuelle, de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. En rejetant l'article d'emblée par le biais d'un scrutin public, dans les conditions d'examen du texte cet après-midi, vous feriez l'exact opposé. Ce ne serait pas très satisfaisant…
M. le président. La parole est à M. Michaël Weber, pour explication de vote.
M. Michaël Weber. Mes chers collègues, permettez-moi d'ajouter un élément au débat à cet instant de la discussion. Vous vous souvenez des nombreux débats que nous avons eus dans l'hémicycle au sujet du transfert ou non des compétences « eau » et « assainissement » aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Au bout du compte, la chambre des territoires a exprimé sa volonté que les communes retrouvent un rôle dans la gestion des eaux.
Je tiens à rappeler que ce transfert de compétences trouvait son origine dans la volonté de préserver la qualité de l'eau. Si nous redonnons aux communes un pouvoir accru en la matière, il convient de donner aux élus locaux et aux habitants les moyens de s'assurer de la qualité des eaux.
C'est l'objet du dispositif que nous proposons, lequel est très attendu dans les territoires. Nous rencontrons tous des élus qui nous font part de leur inquiétude sur ce sujet. Il s'agit pour eux d'une préoccupation récurrente.
Aussi devons-nous mener la discussion de ce texte jusqu'au bout et, je le souhaite, l'adopter.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Mes chers collègues, il est vrai que j'ai cosigné cet amendement. Toutefois, en tant que membre d'un groupe nommé « Les Indépendants », j'estime qu'il convient toujours de se remettre en question et d'évoluer en fonction des interventions de chacun. (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)
Comme le mentionne l'objet de l'amendement, mon groupe ne remet pas en cause, sur le fond, tout le travail effectué par l'auteure de la proposition de loi et son groupe, que je tiens à remercier. L'eau est un bien précieux, et il convient de protéger les aires de captage d'eau potable et les points d'eau.
Je reconnais que ma démarche me pousse souvent à évoluer au cours de l'examen des textes. En effet, j'accorde une importance particulière au fait d'être physiquement présent dans l'hémicycle lors des débats. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Aussi, je suivrai l'avis du rapporteur et de la commission. Il me semble important de respecter les textes déposés sur l'initiative des groupes politiques dans le cadre des niches parlementaires. Je suis favorable à la démocratie de proximité et j'estime que l'avis de chacun mérite respect et reconnaissance. C'est pourquoi ma position peut évoluer avant un vote.
Il me semble important, à l'intérieur d'un groupe politique, de respecter les idées exprimées par les uns et les autres.
Je ne voterai donc pas cet amendement. (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Bravo !
M. Patrick Kanner. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié quinquies.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 319 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 204 |
Contre | 137 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 1er est supprimé, et les amendements identiques nos 2 et 7, ainsi que les amendements nos 4 rectifié, 8 et 5 n'ont plus d'objet.
Mme Colombe Brossel. C'est nul !
Après l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par MM. Fernique, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa de l'article L. 1321-5 du code de la santé publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Une liste nationale de contrôle de la présence de métabolites de pesticides dans les eaux destinées à la consommation humaine est établie par l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. Le contrôle sanitaire inclut également le contrôle de la présence de métabolites de pesticides dont la recherche est justifiée au regard des circonstances locales d'utilisation et des quantités vendues de produits phytopharmaceutiques dans le département ainsi que des informations obtenues dans le cadre de la réalisation des missions de l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. »
La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Par le biais de cet amendement, nous plaidons pour renforcer la surveillance des eaux destinées à la consommation humaine. À l'heure actuelle, la documentation sur les pollutions diffuses reste hétérogène selon les territoires, ce qui n'est pas une bonne chose. Il est donc urgent de créer une liste nationale de contrôle de la présence de métabolites de pesticides dans les eaux.
Une telle initiative permettrait d'associer l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), les agences régionales de santé (ARS) et les acteurs locaux pour harmoniser les données tout en tenant compte des spécificités locales.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Hervé Gillé, rapporteur. L'établissement par l'Anses d'une liste des métabolites de pesticides à rechercher dans les eaux destinées à la consommation humaine est une idée intéressante pour garantir la confiance des citoyens dans la qualité de l'eau du robinet. Toutefois, une telle liste entraînerait un renchérissement du coût du contrôle des eaux par les laboratoires spécialisés.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
À titre personnel, j'y suis plutôt favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Primas, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, il n'appartient pas à l'Anses de fixer une liste nationale des métabolites de pesticides. C'est au ministère chargé de la santé de le faire, sur la base des expertises de l'Anses.
Au reste, le principe d'une liste de pesticides et de métabolites de pesticides à rechercher dans l'eau potable est défini par le droit européen. Le ministère chargé de la santé a d'ores et déjà donné des instructions aux ARS pour rechercher, dans le cadre du contrôle sanitaire qu'elles effectuent sur l'eau potable, les pesticides et les métabolites susceptibles d'y être retrouvés, en se fondant sur les pratiques culturales et les données de vente des produits phytosanitaires.
Votre amendement étant donc satisfait, le Gouvernement vous demande de bien vouloir le retirer ; à défaut, l'avis serait défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour explication de vote.
Mme Anne Souyris. Je soutiens évidemment cet amendement de mon collègue Jacques Fernique.
Nous savons que l'eau potable est polluée par des métabolites de pesticides dangereux. Je pense par exemple à l'acide trifluoroacétique (TFA), qui contamine l'eau de Paris à hauteur de 2 100 nanogrammes par litre.
Or je rappelle que la directive européenne relative à la qualité de l'eau destinée à la consommation humaine, qui impose de rechercher la présence de 20 PFAS dans l'eau potable, parmi lesquels ne figure pas le TFA, fixe une limite à 500 nanogrammes par litre.
Le TFA provient des pesticides de la famille des PFAS, qui sont largement utilisés dans l'agriculture, y compris à proximité des zones de captage d'eau potable. Je pense notamment au flufénacet, qui a finalement été interdit en Europe après vingt ans d'errance réglementaire.
À l'automne dernier, j'ai appelé le Gouvernement à surveiller et à réglementer cette substance toxique. Je reste à ce jour sans réponse satisfaisante.
Heureusement, la ville de Paris s'est engagée dans la sauvegarde des zones de captage d'eau en accompagnant les agriculteurs qui travaillent à proximité vers une conversion à l'agriculture bio. Il est donc possible d'agir !
Depuis 2020, 115 agriculteurs sont accompagnés, sur 17 000 hectares de terres. L'usage de pesticides a ainsi diminué de 77 % sur ces terres, ce qui représente 55 tonnes de pesticides en moins.
À ce propos, je salue le travail de Dan Lert, le président de la régie municipale Eau de Paris, pour protéger la santé des Parisiennes et des Parisiens.
Je voterai donc cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9 rectifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 320 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 102 |
Contre | 238 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 2
I. – Avant le dernier alinéa de l'article L. 216-6 du code de l'environnement, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Ces mêmes peines et mesures sont également applicables si des produits phytopharmaceutiques ou des engrais sont stockés ou utilisés en violation du III de l'article L. 211-2. »
II. – Les peines et mesures prévues à l'article L. 216-6 du code de l'environnement sont applicables si des produits phytopharmaceutiques ou des engrais minéraux sont stockés ou utilisés en violation du décret prévu au III de l'article 1er de la présente loi.
M. le président. Mes chers collègues, l'article 1er de la proposition de loi ayant été supprimé, si l'article 2 n'était pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où tous les articles qui la composent auraient été supprimés.
Il n'y aurait donc pas d'explications de vote sur l'ensemble. Je vous invite donc à prendre la parole maintenant, si vous souhaitez vous exprimer sur ce texte.
La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour explication de vote sur l'article.
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi était l'occasion d'avancer enfin concrètement sur un enjeu vital : la protection de notre ressource en eau potable.
Les collectivités attendaient un signal clair du Sénat. Elles attendaient que la Haute Assemblée prenne ses responsabilités, mais, au lieu de cela, ce sera malheureusement ver une reculade.
Sur une question où les constats sont désormais partagés, vous avez fait le choix du blocage et du dogmatisme, là où il fallait chercher des solutions. Nous avions pourtant déposé des amendements de compromis visant à instaurer une montée en charge progressive via la contractualisation avec les agriculteurs. Ce faisant, nous aurions pu concilier protection de la ressource et accompagnement des exploitants.
Vous avez refusé ne serait-ce que de les examiner. Vous n'avez fait preuve d'aucune volonté d'avancer, ni même de débattre. Ce refus de la discussion vous place en décalage total avec les attentes des élus locaux, qui affrontent chaque jour la dégradation de la qualité de l'eau dans leurs territoires.
Je le dis avec gravité, nous continuerons de défendre cette exigence de protection de l'eau potable. Il s'agit à la fois d'une urgence écologique, d'une priorité de santé publique, d'une nécessité pour notre souveraineté et d'un enjeu majeur pour nos finances publiques et pour les usagers.
Aujourd'hui, vous avez refusé d'agir. Vous avez refusé de chercher un compromis. Vous avez refusé de débattre. Je le redis, ce n'est pas digne de la mission qui nous est confiée par nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l'article 2.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
M. Daniel Salmon. C'est un dévoiement du scrutin public !
M. le président. Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 321 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l'adoption | 110 |
Contre | 229 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Les articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par le Sénat, je constate qu'un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire, puisqu'il n'y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
5
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 314 sur l'amendement n° 21 portant sur l'article 1er de la proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone, et lors du scrutin public n° 316 sur l'amendement n° A-1 portant sur le même article, Mme Nadège Havet souhaitait s'abstenir.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l'analyse politique des scrutins concernés.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures,
est reprise à seize heures deux.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches
Rejet d'une proposition de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches (proposition n° 380, résultats des travaux de commission n° 690, rapport n° 689).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, nous examinons aujourd'hui, dans le cadre du temps réservé au groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, une proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches.
Je souhaite d'abord remercier le rapporteur Capus de son excellent rapport ainsi que la commission des finances, qui a mené des travaux de grande qualité, avant de rejeter ce texte la semaine passée.
Ces derniers mois, depuis l'adoption du budget avec plusieurs semaines de retard, avec les services votés qui en ont découlé, et, plus largement, depuis les événements politiques que nous avons connus, les Français ont exprimé un fort besoin de stabilité, notamment fiscale. Ainsi, comme Éric Lombard et moi-même l'avons indiqué à plusieurs reprises, les impôts exceptionnels issus de la loi de finances pour 2025, à savoir la surtaxe d'impôt sur les sociétés et la contribution différentielle sur les hauts revenus, resteront exceptionnels. Nous n'avons pas comme projet de créer de nouvel impôt.
Cette stabilité fiscale est primordiale pour favoriser l'écosystème qui permet à nos entrepreneurs, aux investisseurs et aux talents de créer de la richesse et de l'emploi en France. Je l'affirme d'autant plus qu'aujourd'hui se tient VivaTech, qui est devenu le premier salon européen en termes d'attractivité et d'innovation.
M. Guy Benarroche. Quel rapport avec le texte ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Quels que soient nos bords politiques, nous pouvons collectivement nous enorgueillir de cette capacité de rayonnement, de création, d'initiative économique, de cette capacité également à préparer l'avenir. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
C'est notamment cette création de richesse qui contribue à maintenir sur le territoire national des entreprises en forte croissance ; c'est cette stabilité fiscale qui permet à nos start-up de se financer, à nos PME innovantes de grandir et à nos industries stratégiques de rester sur notre territoire.
Au fond, cette stabilité fiscale permet à des entreprises de grandir et donc aux emplois de demain de se créer.
Il est en effet manifeste que la proposition de loi examinée ce jour, qui instaure « un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches », va à rebours des objectifs du Gouvernement. Une telle contribution serait – je le dis ici en toute sérénité – à la fois confiscatoire et inefficace. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Confiscatoire ?
Mme Christine Lavarde. Si, elle a raison !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Confiscatoire d'abord, car on ne peut raisonnablement pas soutenir ce nouvel impôt Zucman, qui promet un rendement cinq fois supérieur à celui de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), alors qu'il serait concentré sur 2 000 personnes là où l'ISF frappait 350 000 contribuables.
M. Yannick Jadot. Oh !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Jamais les biens professionnels n'ont été inclus dans l'assiette de l'ISF ! Et taxer les biens professionnels aurait des effets catastrophiques en provoquant l'expatriation des contribuables concernés et imposerait aux entreprises, notamment les entreprises de taille intermédiaire (ETI), de distribuer d'importants dividendes à leurs actionnaires pour leur permettre de payer l'impôt.
C'est autant d'argent en moins qui irait vers les investissements dont nous avons besoin.
Loin d'un impôt plancher ou d'un impôt minimum, cette contribution qu'il est proposé de créer – que je pourrais qualifier de « maximalement confiscatoire » (Rires sur les travées du groupe GEST.) – ferait immédiatement fuir les foyers les plus aisés si elle devait voir le jour.
Nous parlons de 1 800 personnes, quand l'ISF, je le rappelle, concernait 350 000 personnes. Par conséquent, les études économiques sur la mobilité de ces personnes ne peuvent pas, par définition, être extrapolées. Ce n'est pas moi qui dis que c'est un impôt confiscatoire, mesdames, messieurs les sénateurs : c'est le Conseil constitutionnel (Ah ! sur les travées du groupe GEST.), lequel, dans sa décision du 9 août 2012, indiquait que, avec un taux de 2 %, l'ISF, qui ne couvrait pas les biens professionnels, devait s'assortir « d'un dispositif de plafonnement ou produisant des effets équivalents destiné à éviter une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ».
Au fond, le seul risque de cet impôt, me semble-t-il, c'est que personne ne le paie ! Pourquoi dis-je cela ? Parce que ce mécanisme, tel qu'il est porté par le groupe Écologiste et Social (Exclamations amusées sur les travées du groupe GEST.), ou plus exactement par le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires – je vous prie de m'excuser d'avoir confondu votre groupe avec celui de l'Assemblée nationale (Sourires.) –…
M. Guy Benarroche. D'une assemblée à l'autre, d'un impôt à l'autre...
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … revient à créer une exit tax pour que les 2 000 contribuables visés continuent de payer ce nouvel impôt s'il leur venait à l'idée de quitter le pays.
Vous avez donc prévu un dispositif renforcé qui permettrait de continuer à imposer les exilés fiscaux après leur départ.
En fin de compte, selon votre logique, le rendement de ce nouvel impôt sera garanti durant cinq ans puisqu'il sera recouvré soit en France soit via l'exit tax. Mais voyons les choses en face : que se passera-t-il la sixième année ?
M. Yannick Jadot. Ils seront tous partis !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous n'aurons ni rendement, ni exit tax, ni entreprises ! Provoquer des expatriations certaines pour un rendement certain est une décision économique et fiscale que je ne peux, compte tenu des fonctions que j'occupe, tolérer. (Mmes Christine Lavarde et Agnès Evren applaudissent.)
Disons-le clairement, une telle taxe ne peut en aucun cas être mise en place isolément à l'échelle nationale alors que nous évoluons dans une économie ouverte, dans un monde où le capital est mobile. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Seule une approche pragmatique, en associant les pays de l'OCDE dans un cadre concerté, serait pertinente pour porter ce combat. Je tiens, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous dire que j'ai personnellement porté ce combat, très activement. (Marques d'étonnement sur les travées du groupe GEST.)
Ainsi, après qu'il l'a été par la France, lors du G20 qui s'est tenu l'an dernier, avec le Brésil, après qu'il l'a été par Bruno Le Maire et son homologue Fernando Haddad, après qu'il l'a été par le Président de la République, Emmanuel Macron, avec le président Lula,…
M. Akli Mellouli. Ah oui, ça marche bien…
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … j'ai moi-même porté ce combat auprès de l'OCDE – c'était mon rôle –, où nous avons réussi à trouver un accord mondial sur la fiscalité des multinationales.
L'OCDE doit donc être le lieu pour faire avancer cette proposition, qu'il serait tout à fait intéressant de faire prospérer dans son périmètre ou dans celui du G20.
MM. Thomas Dossus et M. Guy Benarroche. Ce ne serait alors plus confiscatoire ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Dans un cadre collectif, harmonisé et négocié, nous pourrions alors définir une assiette internationale qui ne fasse pas débat et qui n'induise pas de mouvements de capitaux.
L'approche que je défends au Gouvernement avec Éric Lombard est, me semble-t-il, plus viable d'un point de vue économique : c'est celle de l'efficacité fiscale. Il n'est pas question de surtaxer les Français qui produisent de la richesse, qui réalisent des investissements productifs, en particulier dans les jeunes entreprises innovantes, ainsi que ceux qui paient déjà un impôt proportionnel à leurs capacités (Exclamations sur les travées du groupe GEST.), que ce soit au titre de l'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ou de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI).
Qu'ils se rassurent : l'environnement fiscal demeurera, comme pour tous les Français, stable, et les acquis des réformes sur la fiscalité du patrimoine et, surtout, sur l'investissement productif seront préservés.
C'est précisément cette voie, celle de la réforme de l'ISF, celle de la création de la flat tax, qui a permis à la France de devenir championne d'Europe en matière d'investissements directs étrangers, notamment dans l'industrie.
Pour autant, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs – et j'ai là un point de convergence avec les défenseurs de cette proposition de loi –, promouvoir un cadre fiscal stable et attractif n'empêche pas de s'interroger sur des situations marginales de suroptimisation qui peuvent nuire, effectivement, à l'efficacité de l'impôt.
Par conséquent, la stabilité fiscale, ce n'est pas le statu quo ! Plus précisément, il nous revient – et nous serons sans doute d'accord sur ce point – de nous assurer que les contribuables qui utilisent aujourd'hui des mécanismes légaux pour contourner l'impôt ne puissent plus le faire.
Parallèlement, il me semble primordial que nous arrivions à faire en sorte que notre épargne – les Français épargnent massivement en ce moment – aille prioritairement vers des investissements productifs en Europe, alors que plus de 300 milliards d'euros d'épargne européenne continuent de partir chaque année vers les États-Unis.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Par exemple, il n'est pas logique – je vous l'accorde, il faut travailler à cette question, et c'est ce que nous faisons – qu'un ménage dont le patrimoine se chiffre en dizaines de millions d'euros puisse thésauriser ses revenus non distribués dans une holding patrimoniale et financer ainsi son train de vie grâce à celle-ci, sans payer le moindre impôt sur le revenu. (Ah ! sur les travées du groupe GEST.)
Bref, c'est bien la rente qu'il faut taxer et non le rentier. (Rires sur les travées du groupe GEST. – Mme Nathalie Goulet s'en amuse.) Nous aurons ce débat dans le cadre de l'examen des prochains textes budgétaires.
Aussi, nous ne devons manier la fiscalité que d'une main tremblante et en suivant la même boussole que celle que nous suivons depuis 2017, à savoir prendre le temps de la concertation avec l'ensemble des parties prenantes, y associer des économistes, étudier les dispositifs mis en place à l'étranger – le dispositif d'imposition des holdings au Luxembourg ou encore le régime espagnol, qui présente certains avantages et intérêts, peuvent servir d'exemples –, pour proposer un dispositif qui réoriente l'épargne vers les investissements productifs européens, plutôt que de créer une nouvelle taxe.
L'engagement du Gouvernement, c'est de faire en sorte que la suroptimisation ne prospère pas,…
Mme Nathalie Goulet. Ah !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … mais c'est aussi de faire en sorte que l'investissement, l'innovation et la croissance des entreprises restent sa boussole. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Emmanuel Capus, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de Mmes Eva Sas et Clémentine Autain instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des plus riches.
Nous l'examinons, il faut bien le reconnaître, sous l'amicale pression – lobbying –, intense et remarquée, de ses auteurs. Mais le Sénat, qui est capable de débattre sereinement, résiste assez bien à ce type de pressions extérieures. (Exclamations amusées sur les travées du groupe GEST. – M. Pascal Savoldelli ironise.)
Pourquoi cette proposition de loi maintenant ?
M. Yannick Jadot. Parce qu'on en a besoin !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. D'abord – et on ne va pas se le cacher –, parce que l'ISF, depuis maintenant assez longtemps, est un totem pour une partie de cet hémicycle. Mais, encore une fois, pourquoi maintenant ? Parce que, dans une note de juin 2023, l'Institut des politiques publiques (IPP) a relevé l'existence d'une forme de régressivité de l'imposition sur les très, très, très hauts revenus. Le taux effectif d'imposition, tous impôts directs confondus, qui atteint 46 % pour les plus riches, devient régressif pour les 0,1 % des foyers fiscaux les plus aisés, ceux qui se situent donc tout en haut de la pyramide.
L'IPP obtient ce résultat en suivant un concept nouveau pour la définition du revenu : il considère non pas le revenu fiscal, mais le revenu élargi aux revenus non distribués mais contrôlés par les ménages.
Ce constat n'est d'ailleurs pas propre à la France. Comment s'explique ce phénomène ? Simplement parce que les plus aisés peuvent structurer leur patrimoine de façon que ces revenus soient moins imposables, en ne se versant pas de dividendes ou en recourant à des holdings, dont le régime fiscal est plus avantageux.
Face à ce constat, Gabriel Zucman, après avoir soutenu la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) en 2022,…
M. Yan Chantrel. Un gauchiste !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. … a proposé, dans un rapport qu'il a publié en juin 2024 à la demande de la présidence brésilienne du G20, la mise en place d'une taxe différentielle de 2 % sur le patrimoine des milliardaires, voire des centimillionnaires au niveau mondial.
Pour fixer ce taux, il s'appuie sur un constat qu'il fait à l'échelle mondiale, et non pas française : le patrimoine des plus aisés connaîtrait une croissance de 7,5 % par an. Or ce constat est à prendre avec des pincettes parce qu'il s'appuie principalement sur les résultats du magazine Forbes, qui ne cite pas ses sources.
Autre bémol : 7,5 %, c'est une moyenne, certaines années étant moins bonnes que d'autres. Je pense que nous serons tous d'accord sur ce point. (Rires sur les travées du groupe GEST.)
Le texte que nous examinons aujourd'hui traduit concrètement cette proposition : il crée cet impôt plancher, cette contribution différentielle, sur le patrimoine des personnes qui ont un patrimoine de plus de 100 millions d'euros. L'objectif du texte est de s'assurer que les plus riches paient bien au moins 2 % de leur patrimoine en impôt. Sur ce point, je pense que nous sommes d'accord.
Les autrices de la proposition de loi ont prévu un dispositif d'échelonnement du paiement de l'impôt en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter du montant dû en raison d'une situation qu'elles qualifient elles-mêmes de « gêne ».
D'ailleurs, selon Gabriel Zucman, un tel impôt pourrait avoir un rendement d'environ 20 milliards d'euros, avec une marge d'erreur, toujours d'après lui, de 5 milliards d'euros.
La commission des finances – et ce n'est un mystère pour personne puisque je l'avais annoncé lorsqu'elle l'a examiné – demande le rejet de ce texte, sur deux fondements principaux.
En premier lieu, le constat sur lequel s'appuie ce texte me semble sujet à débat. La commission relève que l'argument d'une régressivité de l'impôt au sommet de la distribution repose sur un choix méthodologique nouveau, inédit, et sur un concept qui n'a rien d'évident : l'assimilation d'une personne physique avec la société qu'il contrôle pour déterminer la notion de revenu économique, contrairement au principe de personnalité de l'impôt qui sous-tend toute la fiscalité française.
La notion de régressivité avancée dans l'étude de l'IPP est elle-même discutable. En effet, si les personnes les plus aisées veulent dépenser leurs revenus économiques, c'est-à-dire les revenus non distribués qu'elles tirent des sociétés qu'elles détiennent, elles devront se les verser et donc payer l'impôt, contrecarrant ainsi cet effet de régressivité. Or ce mécanisme n'est pas pris en compte par les auteurs de l'étude.
Selon l'un des économistes que nous avons auditionnés, Jean-Baptiste Michau, il paraît fondamentalement problématique d'évaluer la progressivité de l'imposition des revenus du capital à partir d'une approche statique, c'est-à-dire en omettant la flat tax que les assujettis vont payer lorsqu'ils se verseront les dividendes pour leur consommation future.
Mais, mes chers collègues, il n'y a pas que la méthode qui pose problème.
En effet, en second lieu, cet impôt présente beaucoup trop de faiblesses – d'ordre constitutionnel, opérationnel ou économique – pour être adopté.
Des faiblesses constitutionnelles, d'abord. Le Conseil constitutionnel, vous le savez, s'assure que l'imposition prend en compte la faculté contributive des contribuables, de telle sorte que la loi fiscale n'ait pas un caractère confiscatoire. Pour ce faire, le juge constitutionnel identifie un taux marginal maximal d'imposition.
Concernant la taxation de la fortune, il exige d'assortir l'imposition du patrimoine d'un mécanisme de plafonnement, sauf si le taux est suffisamment bas. En 2011, il a estimé qu'un taux de 0,5 % sans plafonnement était constitutionnel ; en revanche, en 2012, il a estimé qu'un taux de 1,8 % ne l'était pas en l'absence de plafonnement.
Très concrètement, le Conseil constitutionnel serait donc amené à censurer un taux d'imposition sur le patrimoine situé entre 0,5 % et 1,8 % s'il n'était pas assorti d'un dispositif de plafonnement sur les revenus.
Des faiblesses opérationnelles, ensuite, liées tout d'abord aux difficultés de valorisation. Je n'ai pas le temps, en dix minutes, d'expliquer en quoi il est compliqué pour les entreprises cotées, et plus encore pour les entreprises non cotées, de valoriser leurs valeurs.
Ensuite, des difficultés se posent au regard de la liquidité des personnes concernées. En effet, le nouvel impôt pourrait toucher les personnes dont le rendement du patrimoine est faible, voire négatif. En effet, comme je l'ai indiqué, le taux de 7,5 % avancé par Gabriel Zucman est une moyenne : la croissance peut être positive une année, négative l'année suivante. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Cela vaut en particulier pour les entreprises nouvellement créées, qui viennent d'être lancées, en particulier les start-up. Les détenteurs d'actions de ces sociétés qui peuvent être fortement valorisées ne perçoivent pas nécessairement un revenu à ce jour puisque la valeur de ces actions est fondée sur les recettes futures estimées par les investisseurs en prévision des bénéfices à venir.
Très concrètement, le dispositif proposé pourrait ainsi obliger certaines personnes à revendre leurs actions pour s'acquitter de l'impôt, de surcroît pour un montant supérieur à la valeur de celui-ci parce qu'ils devront payer à ce moment-là 30 % de flat tax.
Les auteurs du présent texte ont bien perçu le problème puisqu'ils prévoient un lissage de cet impôt plancher sur la fortune en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter de son paiement. Cependant, l'échelonnement sur cinq ans – et même sur six ans, comme certains le proposent ici – ne paraît absolument pas à même de lever le problème.
Par ailleurs, de l'aveu même de Gabriel Zucman, tout risque d'exil fiscal ne peut être écarté. Toutefois, il existe une divergence d'appréciation entre, d'une part, la commission et, d'autre part, lui et une partie d'entre vous, mes chers collègues. Selon vous, des études tendraient à démontrer que ce risque est assez faible. Certes, ces études existent et, certes, l'exil fiscal concerne une part relativement réduite des 360 000 assujettis à l'ISF, sur lesquels elles portaient.
Cependant, le cas d'espèce est différent : il est question ici d'un impôt qui, pour la première fois, porterait sur le patrimoine professionnel – cela n'a jamais été évalué – et s'appliquerait à un nombre bien plus réduit de contribuables – on ne sait d'ailleurs pas exactement combien : les auteurs estiment que l'imposition prévue toucherait près de 1 800 foyers fiscaux, à rapprocher du chiffre de 360 avancé en 2016. (M. Yannick Jadot s'exclame.)
Si un, deux ou trois de ces contribuables s'en vont, c'est en effet négligeable. Or, selon Challenges – à mon tour de citer un magazine –, 70 % de la fortune française est concentrée dans le top 10 des millionnaires ou milliardaires français. Autrement dit, si trois parmi eux partent, c'est 50 % du rendement de l'impôt qui disparaît ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Capitulation !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Aussi, ce risque d'exit fiscal n'est absolument pas à négliger. D'ailleurs, un collègue de Gabriel Zucman, Antoine Levy, qui enseigne à Berkeley, nous a alertés sur ce point.
Enfin, ce texte présente des faiblesses économiques.
En contraignant leurs propriétaires à céder leurs actions pour l'acquitter, cet impôt dissuaderait de créer de nouvelles entreprises. Bien plus encore, il déstabiliserait l'actionnariat des entreprises françaises. D'ailleurs, vous reconnaissez implicitement qu'il y a un problème si j'en juge l'un des amendements que vous avez proposés, qui porte sur les entreprises stratégiques – mais elles ne seraient pas les seules concernées.
Par ailleurs, les personnes ainsi ciblées sont les premières à investir en capital-risque. Par conséquent, la mise en place d'un tel impôt porterait forcément atteinte à l'investissement des entreprises dans tous nos territoires, mes chers collègues.
Enfin, il n'apparaît pas nécessairement justifié d'imposer les revenus non distribués des entrepreneurs, qui, en empêchant la distribution de dividendes, ont fait le choix du développement de leur entreprise, contribuant par là même à celui de l'économie française. Je pense notamment à l'entreprise SEB.
En conclusion, mes chers collègues, on peut, comme Mme la ministre, imaginer des mécanismes pour éviter que les dividendes qui ne sont pas versés ne soient pas taxés ou atténuer une progressivité par trop limitée tout en haut du spectre. Nous n'y sommes pas hostiles. Cependant, le mécanisme qui nous est proposé là n'est pas le bon. ; la ministre en propose un autre.
La réponse – et vous ne serez pas étonnés que je formule une telle proposition – pourrait être, plutôt que d'augmenter les impôts des très, très riches, de baisser les impôts de tous, de sorte que les gens « normaux » se retrouvent dans la même situation que les très, très riches, notamment en ce qui concerne l'imposition de l'épargne en leur offrant par exemple la possibilité de ne pas payer de flat tax sur les dividendes réinvestis. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Cédric Chevalier. Excellent !
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour débattre de la proposition de loi dite Zucman visant à instaurer un impôt plancher sur les ultrariches.
Ce texte, sous des apparences de justice sociale, est traversé par une forme de démagogie aussi séduisante en surface qu'inquiétante dans ses conséquences. L'idée de faire contribuer davantage les plus fortunés peut, à première vue, sembler juste. Mais, à y regarder de plus près, cette mesure repose sur un mécanisme fragile, juridiquement contestable et économiquement risqué.
En effet, ce texte prévoit un impôt plancher de 2 % sur les contribuables ayant un patrimoine de plus de 100 millions d'euros, en intégrant dans l'assiette fiscale à la fois le patrimoine privé, mais aussi le patrimoine professionnel.
Cela signifie concrètement que l'on taxe sans distinction l'outil de travail, comme s'il s'agissait d'un simple coffre-fort. Or une entreprise n'est pas un capital dormant qui ne profite qu'à son propriétaire ; c'est un levier d'investissement, de croissance et de création d'emploi dans un pays.
Pardonnez-moi, mais cette loi enverrait un signal clair à ceux qui contribuent à l'attractivité économique de notre pays : celui de la défiance. Et ce, au moment même où la France a regagné en attractivité grâce à des réformes engagées depuis 2017.
Les résultats sont là : depuis 2018, ce sont près de 380 contribuables très fortunés qui sont revenus s'installer en France et y payer leurs impôts.
Je tiens à vous rappeler d'ailleurs quelques faits, ou plutôt à dresser un constat établi depuis 2015. La fameuse taxe de 75 % mise en place par le président Hollande sur les revenus dépassant 1 million d'euros par an a été, on peut le dire, un échec, et pour plusieurs raisons.
D'abord, parce qu'elle n'a pas rapporté les recettes escomptées. En deux ans, cette taxe n'a produit que 420 millions d'euros, une somme loin d'être négligeable, certes, mais bien en deçà de ce qu'on en attendait pour nos finances publiques.
Ensuite, parce qu'elle a provoqué un exil fiscal massif, en particulier chez les chefs d'entreprise. On estime entre 3 500 et 4 000 le nombre de contribuables ayant quitté la France, soit cinq fois plus qu'en 2011.
Enfin, elle a pénalisé l'attractivité économique de notre pays.
Aussi, j'ai la conviction que l'adoption de cette proposition de loi entraînerait les mêmes conséquences : exil fiscal et rendements nettement inférieurs aux prévisions estimées.
Alors, posons-nous les vraies questions, mes chers collègues : souhaitons-nous faire revenir les talents ou les faire fuir ? (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Quels talents ?
M. Xavier Iacovelli. Souhaitons-nous une France d'opportunités ou une France de pénitence fiscale ? Souhaitons-nous réellement trouver une solution durable aux défis budgétaires de la France ou préférons-nous faire fuir nos plus gros contributeurs, au risque de faire peser un effort supplémentaire sur l'ensemble des Français ? (Mêmes mouvements.)
Ne nous trompons pas d'objectif : il s'agit, ici, non pas de défendre les ultrariches (Ah ! sur les travées du groupe GEST.), mais de défendre une vision, à savoir que la France est capable d'attirer les investissements et les talents.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Bien dit !
M. Xavier Iacovelli. Mes chers collègues, dans un monde globalisé, les capitaux se déplacent, et les cerveaux aussi. Et nos concurrents n'attendent que nos erreurs. La Suisse, les Émirats, le Portugal, les États-Unis sont déjà prêts à accueillir tous ceux que nous découragerons. Oui, nous aspirons toutes et tous à un monde plus juste, plus égalitaire. Et cette proposition de loi, mes chers collègues, séduit par sa simplicité : « Taxons les plus riches pour plus de justice ! »
Les milliers de mails que nous avons reçus, souvent relayés sous couvert du soutien d'une partie de la classe politique, témoignent d'ailleurs de cette tentation collective du raccourci. Mais dès qu'on gratte un peu le vernis, on mesure la complexité d'un tel sujet. Appliquée seule, sans coordination internationale, cette mesure pourrait aggraver les inégalités qu'elle prétend combattre. (Oh ! sur les travées du groupe GEST.)
Tendre vers le bon sens est une ambition commune, mais confondre la simplicité et le simplisme, c'est prendre le risque d'une fausse solution à un vrai problème.
Nous devons ainsi privilégier les travaux menés au niveau international, comme y pousse le Président de la République et comme l'a rappelé par Mme la Ministre, en vue d'une imposition minimale mondiale des plus fortunés.
Sur le plan national, il faut lutter contre une optimisation fiscale considérée comme injuste – et elle l'est réellement. En effet, on ne peut pas demander 40 milliards d'euros d'effort aux Français sans réfléchir à une contribution des plus riches, pour une meilleure justice fiscale. Mais cela doit se faire avec intelligence, dans un souci d'efficacité et avec le sens des réalités. Trouver des alternatives responsables ? Oui ! Tomber dans une démagogie punitive et symbolique ? Non !
Mes chers collègues, il est temps d'avoir le courage de défendre une ligne claire, celle d'une France ambitieuse et non pas pénalisante, d'une France qui attire et qui ne fait pas fuir, d'une France qui croit en ses entrepreneurs et qui ne les stigmatise pas. Le vrai courage, il ne réside pas dans une fiscalité permanente et punitive ; il réside dans l'investissement, dans la réforme, dans l'économie et dans la construction de solutions réalistes et pragmatiques.
Pour l'ensemble de ces raisons, les membres du groupe RDPI s'abstiendront majoritairement sur ce texte, certains votant contre. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet.
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des textes qui, en soi, ne résolvent pas tout, mais qui ouvrent tout de même une brèche dans le mur des injustices. Je crois que cette proposition de loi en fait partie.
Le présent texte a le mérite et le courage de s'attaquer à un angle mort de notre fiscalité : celui de ces nouveaux super-patrimoines, de ces fortunes insolentes qui prospèrent aujourd'hui bien plus rapidement que l'impôt ne les suit.
Je le dis sans démagogie et sans stigmatiser les personnes dont il s'agit.
Je salue l'acte politique que constitue cette proposition de loi.
Il faut de l'honnêteté pour dire que certains, parmi les membres les plus riches de la communauté nationale, ne contribuent pas comme ils le devraient.
Il faut de l'honnêteté pour dénoncer cet état de fait, qui nous a conduits à tolérer que les plus grandes fortunes s'acquittent dans notre pays d'un effort inférieur, en proportion, à celui d'un cadre moyen ou d'un artisan.
Rappelons-nous la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen – ne l'oublions jamais ! Ce texte, fondement de la République, prévoit, à son article 13, que la « contribution commune doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
Mes chers collègues, cette proposition de loi n'est pas une provocation. Je pense sincèrement qu'elle s'adresse aux républicains de tout poil. Peu importe qu'elle vienne de telles ou telles travées de cet hémicycle, au fond. Elle apporte un début de réponse à une réalité que nul ne peut ignorer : cette crise budgétaire profonde qui traverse notre pays et, déjà, se mue en une crise sociale.
Les inégalités se creusent dangereusement, les services publics meurent à petit feu, notre modèle social est dénigré, le consentement à l'impôt s'effrite et le pacte républicain s'érode.
Alors que la grande majorité contribue à l'effort commun, alors que l'on attend d'elle des sacrifices supplémentaires, une infime minorité de contribuables échappe largement, et légalement, à la solidarité nationale. Je ne conteste en rien leur mérite, leur utilité dans l'économie ou leur fonction dans la société. Mais cette situation n'est pas tenable, et il nous appartient de rétablir la justice fiscale.
Madame la ministre, cette exigence n'est ni révolutionnaire ni excessive. Elle est juste. Elle est républicaine.
Oui, les membres de mon groupe, le plus vieux du Sénat, celui de Joseph Caillaux, soutiendront ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Nous le soutenons sans rien ignorer de ses fragilités. S'il nécessite des améliorations, discutons-en !
Mes chers collègues, on nous dira que cette taxe est confiscatoire. Le même mot fut jeté à la figure des radicaux qui, hier, défendaient l'impôt progressif sur le revenu.
On nous dira que les milliardaires s'exileront et que nous avons beaucoup à y perdre. Franchement, nous laisserons-nous intimider ?
Mme Nathalie Goulet. Non ! (Sourires.)
M. Raphaël Daubet. La République peut-elle légiférer sous la menace ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Xavier Iacovelli. L'argument vaut dans les deux sens…
M. Raphaël Daubet. Ce débat est un moment de vérité pour chacun d'entre nous.
Le présent texte n'est pas parfait, mais il est nécessaire. Nous appelons à son adoption et nous souhaitons le voir évoluer, non pour l'édulcorer, mais pour lui permettre d'entrer en vigueur, de durer et d'être, demain, l'une des clefs d'un pacte fiscal réconcilié avec la République. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (M. le rapporteur applaudit.)
M. Michel Canévet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les élus du groupe Union Centriste sont particulièrement attachés à la justice fiscale.
M. Thierry Cozic. Ah !
M. Michel Canévet. Nous avons d'ailleurs formulé de nombreuses propositions visant à la renforcer, lors des dernières discussions budgétaires.
Rappelez-vous : les membres de notre groupe ont notamment proposé de remplacer par un impôt sur la fortune improductive l'IFI institué après la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Quoique votée par le Sénat, cette mesure n'a, hélas ! pu prospérer jusqu'à présent, mais nous entendons bien entendu poursuivre nos efforts en ce sens. Il nous paraît normal que ceux qui disposent d'un patrimoine non productif contribuent de manière significative au rétablissement de nos finances publiques.
De même, les membres du groupe Union Centriste attendent beaucoup de la commission d'enquête relative à la délinquance financière, instance dont la rapporteure est Nathalie Goulet et qui présentera ses recommandations le 20 juin prochain. En effet, la lutte contre l'évitement fiscal est, pour nous, une priorité : on ne peut accepter que certains prennent telle ou telle disposition pour ne pas payer l'impôt qui est dû.
D'ailleurs, en la matière, nous avons déjà formulé de nombreuses propositions, notamment sur l'initiative de Nathalie Goulet. Je pense par exemple à l'arbitrage des dividendes.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Michel Canévet. À ce titre, nous demandons au Gouvernement de mettre en œuvre intégralement, et ce dès que possible, le dispositif voté par le Sénat.
Néanmoins, face à une situation budgétaire pour le moins préoccupante, les élus du groupe Union Centriste considèrent que l'effort premier doit porter sur la réduction des dépenses publiques.
Parmi les pays développés, la France affiche déjà l'un des plus hauts niveaux de dépense publique. Dans ces conditions, il convient avant tout d'assainir notre situation financière. En tout cas, nous ne pouvons laisser perdurer les déficits.
Bien entendu, nous appelons le Gouvernement à formuler des propositions dès le prochain projet de loi de finances (PLF), afin de réduire le déficit public de manière significative.
En parallèle, nous estimons que la création de nouvelles taxations doit être envisagée avec beaucoup de prudence. La stabilité fiscale est indispensable à l'attractivité de notre pays – c'est d'ailleurs le cap qui a été fixé. Or elle a déjà été affectée par la création de la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises, qui remet en cause l'objectif d'une convergence avec nos voisins pour ce qui est du taux d'impôt sur les sociétés.
Madame la ministre, les élus du groupe Union Centriste ont soutenu avec force l'instauration d'une contribution différentielle sur les hauts revenus, car elle leur semblait tout à fait appropriée. Dans la perspective du prochain budget, nous souhaitons que vous réfléchissiez à d'autres dispositions de cette nature, permettant de faire contribuer, sinon dans des proportions significatives, du moins de manière minimale, ceux qui en ont les moyens.
Cela étant, tel n'est pas tout à fait l'esprit du présent texte, dans la mesure où l'imposition proposée viserait l'ensemble du patrimoine.
Je le dis dès à présent à tous ceux qui, dans notre assemblée, soutiennent cette proposition de loi : nous sommes particulièrement gênés par le fait que l'outil professionnel soit ciblé par le dispositif. Un tel choix ne nous semble pas du tout approprié. (M. le rapporteur applaudit.)
M. Cédric Chevalier. Bravo !
M. Michel Canévet. Il faut soutenir activement le développement économique de notre pays. Or, selon nous, ce n'est pas en taxant l'outil de travail que l'on y parviendra.
Mme la ministre le rappelait à l'instant, le salon VivaTech se tient en ce moment même. On voit bien que nous avons besoin d'investir massivement dans les entreprises innovantes – c'est le principe du capital-risque.
Vous le savez bien, la valorisation de ces entreprises peut connaître une nette augmentation quand le succès est au rendez-vous. Quel signal adressera-t-on à ceux qui ont envie d'investir dans le capital-risque, en faveur de l'innovation, en annonçant que l'on va les taxer de manière significative ? (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
M. Grégory Blanc. Ils ont déjà une fiscalité avantageuse !
M. Michel Canévet. Je ne crois pas que ce soit la meilleure manière d'aborder la question.
Un certain nombre de nos collègues approuvent certes cette proposition de loi. (Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.) Mais la majorité de notre groupe n'est pas sur cette ligne : pour la plupart, nous pensons que taxer l'outil professionnel n'est certainement pas la meilleure manière de procéder.
Nous aurons d'autres mesures à proposer au Gouvernement, à commencer par la taxation des plus-values, qui nous semble mieux à même de dégager de nouvelles ressources.
Aujourd'hui, au titre des donations, les plus-values latentes ne sont pas purgées, et certains en profitent. Nous demandons au Gouvernement de réfléchir à cette disposition, qui nous permettrait de récupérer quelque 2 milliards d'euros. (M. Yannick Jadot s'exclame.) En parallèle, il faudra revoir la niche fiscale relative aux donations du plan d'épargne retraite (PER).
Quoi qu'il en soit, la majorité des membres de notre groupe estiment que cette proposition de loi est assez mal calibrée et qu'il ne faut pas la soutenir en l'état. (M. Cédric Chevalier et M. le rapporteur applaudissent.)
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous vivons dans la France de l'héritage et non dans celle du mérite ; dans une France où la richesse se transmet plus qu'elle ne se conquiert ; où le capital paye plus que le travail ; où l'État se montre bien plus soucieux du bien-être fiscal des ultrariches que de la précarité, bien réelle, dans laquelle se trouvent des millions de nos concitoyens.
Cette proposition de loi, dont nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont demandé l'inscription à l'ordre du jour du Sénat, a été adoptée par l'Assemblée nationale : je tiens à le souligner.
En créant un impôt plancher de 2 % sur les très grandes fortunes, on ne cède pas à une quelconque radicalité ; au contraire, on rétablit la normalité démocratique. Cette mesure nécessitera par ailleurs une transposition européenne, car l'harmonisation ne saurait être mise au seul service du dumping social.
C'est le minimum du minimum, et quand le minimum est perçu comme excessif, ce n'est pas le niveau de prélèvement qu'il faut interroger, mais le régime politique et économique qui rend la discussion inaudible.
Les parlementaires communistes proposent, de longue date, de rééquilibrer notre système fiscal. La majorité populaire qui vit de son travail paye proportionnellement davantage que les possédants ; mais, malheureusement, nos propositions ont bien souvent été refusées par des gouvernements d'orientations politiques différentes.
Aujourd'hui encore, le taux d'imposition effectif finit par se révéler régressif, passant de 46 % pour les 0,1 % les plus aisés à 26 % pour les 0,0002 % les plus riches. Madame la ministre, pensez-vous que les Français veulent, à ce titre, une quelconque stabilité ? La réponse est non, quel qu'ait été leur vote aux dernières législatives.
Nous opérons ici un changement de regard nécessaire, gage de lucidité, en passant d'une lecture strictement fiscale à une lecture économique des situations patrimoniales ; car, à ces niveaux de richesse, c'est non plus le revenu déclaré qui traduit la capacité contributive réelle, mais la masse critique du capital accumulé.
Vous avez pu le reconnaître vous-même, ce capital est souvent immobilisé, parfois dissimulé et presque toujours optimisé.
Là est la grande contradiction de la droite : elle refuse tout nouvel outil, qui serait pourtant adapté à une économie financiarisée, transnationale et spéculative, tout en prétendant défendre l'efficacité de l'action publique.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous défendez une pseudo-modernité quand elle amoindrit les droits sociaux, mais vous invoquez la tradition dès qu'il s'agit de fiscalité sur la fortune.
Venons-en au fond du débat. Notre discussion ne se résume pas à la question des finances. Elle touche à l'éthique républicaine. Elle interroge la cohésion de la Nation.
Madame la ministre, l'État est-il encore le garant de l'intérêt général, ou devient-il le protecteur des intérêts particuliers dès lors que les fortunes alignent plus de huit zéros ? Est-ce à l'État d'anticiper les exils fiscaux, ou bien est-ce aux plus fortunés d'assumer enfin de vivre dans un pays où la solidarité est non pas une option, mais une condition d'appartenance ?
Au sujet de l'exil fiscal, je citerai l'exemple des États-Unis. De ma part, une telle audace vous étonnera sans doute ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Amélie de Montchalin, ministre. En effet !
M. Pascal Savoldelli. Depuis 2010, les États-Unis contraignent les banques étrangères à fournir des renseignements sur les comptes de leurs ressortissants pour les dépôts supérieurs à 50 000 dollars.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mais nous en faisons autant !
M. Pascal Savoldelli. Les faits sont têtus, et que nous disent-ils ? Selon l'Observatoire des inégalités, les 500 premières fortunes françaises détiennent 1 228 milliards d'euros d'actifs nets, contre 124 milliards d'euros en 2003. Elles ont donc augmenté de 890 % en vingt ans. Les dix premières représentent à elles seules 400 milliards d'euros. Pourtant, elles contribuent en moyenne à hauteur de 0,2 %.
Dans ce contexte, la droite sénatoriale nous explique que ce filet fiscal serait...
Mme Nathalie Goulet. Confiscatoire !
M. Pascal Savoldelli. … confiscatoire.
La vérité, mes chers collègues, c'est qu'à force de protéger l'exception, vous êtes en train de normaliser l'injustice.
Nous sommes face non pas à une querelle purement idéologique, mais à une exigence éthique.
La République, ce n'est pas le confort des puissants. C'est l'égalité comme condition du commun ; et si la République vacille aujourd'hui, ce n'est pas faute d'idées.
Il n'y a pas de République sans justice, pas de Nation sans contribution. À ce titre, l'impôt plancher n'est pas une fin. C'est le signal que la France ne renonce pas à sa promesse ; que l'extrême richesse ne peut plus être une extrême dérobade.
Nous voterons ce texte avec enthousiasme. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en réalité, la question que nous vous posons aujourd'hui est assez simple : existe-t-il, en France, un niveau de richesse à partir duquel on est autorisé à payer moins d'impôt que le reste de la population ?
L'Institut des politiques publiques a établi, dans une étude de 2023, que les plus grandes fortunes payent relativement peu d'impôts grâce à l'optimisation légale, lorsqu'on prend en compte l'ensemble du revenu économique.
Les chiffres sont trop parlants pour que l'on reste sans réagir : l'ensemble des Français, vous et moi, appartenant aux classes moyennes, aux classes populaires ou à la classe supérieure aisée, paient environ 50 % d'impôts et de cotisations sociales sur leurs revenus, tous prélèvements compris. À partir de 100 millions d'euros de patrimoine, le taux tombe à 27 % ; il est donc presque divisé par deux.
Ce diagnostic ne me semble pas contesté. En tout cas, madame la ministre, vous ne l'avez jamais remis en cause durant nos échanges.
Partant de ce constat, de brillants économistes ont soutenu hier la création de la taxe que nous proposons à notre tour d'instaurer dans notre pays.
Je pose de nouveau la question : existe-t-il, en France, un niveau de richesse à partir duquel on est autorisé à payer moins d'impôt que le reste de la population ?
Les 500 plus grandes fortunes françaises ont vu leur patrimoine multiplié par dix en vingt ans pour atteindre 1 228 milliards d'euros.
L'impôt que nous vous proposons n'a rien de confiscatoire ou de vexatoire : c'est la correction d'une inégalité flagrante ; c'est un mécanisme anti-abus.
Nous devons garantir la contribution minimale de tous à l'effort collectif. À cet égard, le dispositif que nous défendons est simple : l'impôt total devra atteindre au moins 2 % du patrimoine net des contribuables lorsque ce dernier dépasse 100 millions d'euros. Si ce taux n'est pas atteint, les contribuables devront verser la différence.
Évidemment – c'est ce qui aujourd'hui fait débat –, nous incluons dans le calcul l'ensemble de la fortune, faute de quoi l'on passe largement à côté du sujet.
Ce dispositif est simple, mais non simpliste.
Nous avons bien entendu les fatalistes, y compris à cette tribune, nous dire et nous répéter : « Vous allez faire fuir les grandes fortunes de notre pays. » Nous avons entendu celles et ceux qui capitulent déjà devant le chantage à l'exil.
Tout d'abord – les études convergent –, ce type d'exil resterait marginal. Mais, pour répondre aux inquiétudes, nous avons prévu un dispositif anti-exil fiscal : ceux qui s'expatrient resteront redevables de cet impôt plancher pendant cinq ans.
Vient ensuite la question de l'illiquidité de ce patrimoine « valorisé » tant qu'il n'est pas converti en monnaie et que fragiliserait un tel impôt plancher. Nous ouvrons donc la possibilité d'étaler les paiements, comme c'est le cas pour l'impôt sur les successions et même, si j'ai bien lu Les Échos, pour le dispositif anti-abus que vous êtes en train de concevoir, madame la ministre.
Reste la question du caractère confiscatoire. Mais – disons-le simplement – cet impôt plancher de 2 %, applicable à un patrimoine dont le rendement est en moyenne de 5 % à 6 % et seulement à partir de 100 millions d'euros, ne mettra personne en difficulté. Les contribuables concernés pourront continuer de s'enrichir ; ils s'enrichiront simplement un peu moins vite.
Je vous pose une nouvelle fois la question : existe-t-il, en France, un niveau de richesse à partir duquel on est autorisé à payer moins d'impôt que le reste de la population ?
Les prochains débats budgétaires s'annoncent d'ores et déjà difficiles : si vous n'incluez pas les plus fortunés dans la communauté nationale, en corrigeant cette injustice fiscale, vous serez totalement inaudible lorsque vous demanderez des efforts aux Françaises et aux Français.
Souvenons-nous ce que Tocqueville écrivait de la fiscalité d'Ancien Régime : « Du moment que l'impôt avait pour objet, non d'atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s'en défendre, on devait être amené à cette conséquence monstrueuse de l'épargner au riche et d'en charger le pauvre. »
Dans les cahiers de doléances de 1789, la réforme de l'impôt figure parmi les revendications principales.
La nuit du 4 août 1789, celle de l'abolition des privilèges, marque la fin des exemptions fiscales de la noblesse et du clergé. Or, 230 ans plus tard, les cahiers de doléances ouverts à la suite du mouvement des gilets jaunes ont témoigné de la même soif de justice fiscale – j'en veux pour preuve les demandes de rétablissement de l'ISF.
Je le dis et je le répète, cette proposition de loi ne soulève en réalité qu'une question : existe-t-il, en France, un niveau de richesse à partir duquel on est autorisé à payer moins d'impôt que le reste de la population ? Évidemment non. À ce titre, nos textes fondateurs sont clairs.
Respectons l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Faisons en sorte que la contribution commune soit répartie équitablement entre tous les citoyens. Votons ce texte. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme Ghislaine Senée. La fin des privilèges !
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic.
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour parler d'un sujet ô combien important : l'égalité devant l'impôt.
Cette proposition de loi crée un impôt plancher sur la fortune s'appliquant aux personnes physiques dont la valeur nette du patrimoine, appréciée au 1er janvier de l'année, excède 100 millions d'euros. Elle ne touche donc que les 0,01 % des foyers les plus riches de notre pays, soit 1 800 foyers en tout.
Si nous avons ce débat aujourd'hui, c'est parce que l'impôt sur le revenu, pilier de la progressivité fiscale, échoue depuis des années à imposer équitablement les grandes fortunes de notre pays, ces dernières parvenant à minimiser leur revenu taxable.
En effet, lorsqu'on entre dans la catégorie des 0,001 % des foyers aux revenus les plus élevés, l'ensemble des impôts personnels deviennent fortement régressifs. Ils ne représentent même plus que 2 % du revenu économique des 378 foyers les plus aisés.
Ce texte ne vise donc pas à « taxer les riches », ni même à « taxer les super riches ». Certes, en démocratie, il est sain que l'on débatte du bon niveau de progressivité de l'impôt. Mais, en l'occurrence, nous parlons simplement de la nécessité d'effacer la régressivité constatée aujourd'hui.
Très concrètement, cette mesure n'a rien du grand soir fiscal. Elle ne fait que répondre à une question de bon sens : proportionnellement à leurs revenus respectifs, comment s'assurer que les milliardaires ne paient pas moins d'impôts que leur secrétaire ou leur chauffeur ?
Madame la ministre, j'ai écouté attentivement M. Lombard lors de son audition au Sénat la semaine dernière. Je dois dire que j'ai été particulièrement surpris par les arguments qu'il a déployés pour s'opposer à ce texte. Je tiens à revenir sur ses propos, car ils illustrent bien la méprise que vous faites volontairement au sujet de ce dispositif.
Tout d'abord, le ministre de l'économie a repris à son compte un argument éculé : l'impôt plancher de 2 % forcerait les foyers fiscaux concernés à vendre leurs entreprises à l'étranger.
Comment lancer une telle affirmation quand on sait que les revenus des milliardaires ne sont pas à proprement parler modestes ? En moyenne, leur patrimoine rapporte de l'ordre de 7 % par an. Un tel chiffre n'a rien de surprenant : il correspond au taux de rendement des grandes entreprises qu'ils possèdent.
Si nos milliardaires prétendent ne pas avoir de liquidités, c'est dans la grande majorité des cas parce qu'ils organisent leur propre illiquidité afin, précisément, d'échapper à l'impôt sur le revenu.
Ne soyons pas faussement naïfs : ces techniques sont connues. Je pense notamment à l'utilisation de sociétés holdings, qui permettent de ne pas justifier de revenu sur la feuille d'impôt tout en gagnant des milliards. Cet argument n'est donc pas convaincant.
Cela étant, M. Lombard n'est pas le seul macroniste à avoir pris position contre ce dispositif.
Lors de sa dernière intervention télévisée, longue de trois heures, diffusée en mai dernier, le Président de la République a surtout commenté une politique qui s'écrit désormais sans lui. Mais, une fois n'est pas coutume, il a aussi voulu marquer son dernier pré carré : la défense des plus riches de ce pays.
Il a ainsi pointé un risque illusoire : le départ massif des plus fortunés de ce pays si le présent texte entrait en vigueur. Je tiens à revenir sur cette affirmation que la littérature économique sérieuse invalide totalement.
Le risque d'exil fiscal qu'engendrerait ce dispositif reste très faible. Les éléments dont nous disposons à cet égard ne doivent pas être mis sous le boisseau.
Les travaux relatifs à cette question sont éclairants et leurs conclusions sont univoques : l'exil fiscal en réponse à l'imposition de la fortune est un phénomène négligeable.
Une étude menée récemment en Suède et Norvège conclut ainsi qu'à long terme l'instauration d'un impôt sur la fortune de 1 % sur les hauts patrimoines provoque le départ de moins de 2 % des contribuables concernés. Dès lors, plus de 98 % de ces derniers décident de rester, si bien que l'effet économique d'un tel exil fiscal est quasi nul.
J'entends aussi le risque d'inconstitutionnalité,…
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Eh oui !
M. Thierry Cozic. … opportunément soulevé par le rapporteur en commission. Mais, comme l'a relevé le président Raynal, dès lors qu'une nouvelle forme de taxation est proposée, on avance désormais presque systématiquement cet argument.
Laissons le législateur légiférer et le Conseil constitutionnel statuer. D'ailleurs, monsieur le rapporteur, si cette perspective, bien que peu probable, vous inquiète tant, je vous invite à voter l'amendement de repli que nous proposons : en limitant à 1 % le taux de cette imposition, vous réduirez à néant le risque d'inconstitutionnalité.
Mes chers collègues, en dix ans, le patrimoine des 500 plus grosses fortunes du pays est passé de 400 milliards à 1 500 milliards d'euros. En outre, depuis que le président Macron est au pouvoir, la rémunération des actionnaires a bondi de 114 %.
Au total, 78 % des Français pensent qu'il est nécessaire de taxer davantage les plus fortunés.
Madame la ministre, les chiffres que je viens de citer nous rappellent le sens de l'histoire, à savoir le renforcement de la justice fiscale.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, pour une fois, en matière d'équité fiscale, ne soyez pas du mauvais côté de l'histoire.
En 1909, la Chambre des députés vota la création de l'impôt sur le revenu après des décennies de débats parlementaires. Mais le Sénat, dont la majorité était analogue à celle d'aujourd'hui, bloqua la mise en œuvre de ce texte jusqu'en 1914, soit tout de même pendant cinq ans.
Ces huit années de macronisme ont laissé nos finances publiques dans un état tel que nous ne pouvons pas attendre un an de plus. Avons-nous vraiment le luxe de nous priver de 20 milliards d'euros de recettes fiscales ? C'est la question que posent les auteurs de cette proposition de loi.
Allez-vous encore nous faire perdre cinq ans ?
Pour les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, l'exigence de cohésion sociale et d'équité fiscale commande l'adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires de soumettre ce texte à notre vote, au terme d'un débat qui s'annonce déjà du plus grand intérêt. J'en remercie dès à présent les uns et les autres.
Taxer toujours plus ; taxer partout et tout le temps ; taxer le revenu, la production, la consommation, les donations et maintenant le capital : cette obsession de la taxation, sans stratégie établie ni objectif précis au-delà de la taxe elle-même, révèle des courants de pensée en manque d'idées et de plan pour l'avenir de nos enfants. Qu'à cela ne tienne, continuons dans la même voie…
Pourtant, dès 1904, Winston Churchill alertait : « Essayer d'atteindre la prospérité par l'impôt revient à se tenir debout dans un seau en tentant de se soulever soi-même par la poignée. » (Sourires sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.) Non seulement cela n'a guère de sens, mais c'est tout bonnement impossible.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Excellent !
M. Marc Laménie. Venons-en au dispositif proposé. Il est issu d'un rapport de l'économiste Gabriel Zucman, déjà cité à plusieurs reprises, soutien officiel du Nouveau Front populaire (NFP) aux dernières élections législatives.
Ce dispositif est assez simple en théorie, mais inapplicable en pratique et redoutable par ses effets. Il s'agit d'une taxe de 2 % sur le patrimoine des personnes qui possèdent plus de 100 millions d'euros.
Pourquoi un tel prélèvement est-il inapplicable ? Parce qu'il frapperait non seulement les biens situés en France, détenus par des personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France, mais aussi leurs biens à l'étranger. On se demande comment le fisc pourra mener de tels contrôles dans le monde entier. Mais il est vrai que nous ne sommes pas à une incohérence près…
Venons-en aux effets néfastes qu'entraînerait l'adoption de cette proposition de loi.
On nous suggère non seulement de taxer les biens des résidents français à travers le monde, mais aussi de s'attaquer aux investissements en France des non-résidents fiscaux.
Après avoir été pendant six années consécutives la première destination des investisseurs étrangers en Europe, la France enverrait ainsi un message clair aux investisseurs étrangers : cessez de venir chez nous, sinon nous vous taxerons davantage.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. C'est vrai !
M. Marc Laménie. Toutefois, les effets néfastes de cette proposition de loi ne s'arrêteraient pas aux seuls investissements étrangers en France : ils concerneraient également ceux des entreprises françaises, auxquelles nous sommes toutes et tous particulièrement attachés.
En effet, comme toute taxation du patrimoine, la taxe Zucman pose les très importantes questions de la valorisation des entreprises et de la solvabilité des personnes visées. Ainsi, de nombreuses entreprises de technologie, principalement des start-up, ont des valorisations très élevées sans être pour autant profitables. Elles n'ont donc pas les liquidités disponibles pour s'acquitter de l'impôt.
Examinons maintenant les effets de cette taxe, non pas sur les start-up, mais sur les grandes entreprises de ce pays, c'est-à-dire celles qui créent le plus d'emploi et qui font vivre nos territoires. Elles aussi méritent beaucoup de respect et de reconnaissance. Pour s'acquitter de cette taxe, les chefs d'entreprise n'auront d'autre choix que de se verser des dividendes, eux-mêmes soumis à la flat tax ou, pire encore, de vendre des actions de l'entreprise, cette vente étant elle-même taxée.
En fidèles élèves de l'anarchiste Pierre-Joseph Proudhon selon qui « la propriété, c'est le vol » (M. Yannick Jadot rit.), nous encouragerions donc les grandes fortunes de ce pays à revendre les actions de leurs entreprises ou à vider ces mêmes entreprises de leur capital non distribué, les empêchant d'investir.
J'ajoute que les personnes visées par cette taxe sont les seules, à ce jour, à avoir la capacité de procéder à des investissements sous forme de capital-risque dans notre économie. Or c'est exactement ce dont cette dernière manque.
Outre une certaine méconnaissance de l'économie, les auteurs de cette proposition de loi font fi de notre Constitution. Cela étant, je ne reviendrai pas sur les arguments que notre excellent rapporteur a déjà développés sur l'inconstitutionnalité de ce texte.
L'adoption de cette proposition de loi serait donc, d'une certaine manière, symbolique. Elle aurait pour objet de faire parler les journaux pendant les quelques semaines qui nous sépareraient de sa censure par le Conseil constitutionnel. Ce court délai suffirait, en revanche, à envoyer un message très clair, aux investisseurs et aux futurs chefs d'entreprise : la France n'est pas le pays où il faut vouloir créer de la valeur ; il convient de lui préférer l'Italie, l'Espagne ou l'Allemagne.
Pour ma part, je m'efforce toujours de comprendre et d'évoluer, quitte à le faire individuellement, tout en restant solidaire des positions de mon groupe. Certes, au travers de ce texte, une certaine problématique est identifiée, mais y sont proposées des solutions peu appropriées. C'est la raison pour laquelle, majoritairement, les sénateurs du groupe Les Indépendants s'opposeront à son adoption.
À titre personnel, cependant, je m'abstiendrai, restant solidaire de certains de nos collègues. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE, GEST et SER. – M. Michel Canévet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question de l'imposition des revenus et, sensiblement, des plus hauts revenus a de tout temps nourri les réflexions des économistes, voire des moralistes.
La proposition de loi s'empare de ce sujet en proposant l'application en France de la taxe Zucman, conçue par l'économiste français du même nom. Cette taxe prendrait la forme d'un impôt plancher sur la fortune. Elle repose sur les travaux récents de l'Institut des politiques publiques, qui ont apporté un éclairage saisissant sur les inégalités existantes dans la répartition de la charge fiscale en France, comme cela a été dit.
Ainsi, les 0,02 % des contribuables les plus riches sont en moyenne assujettis à un taux d'imposition global de 27 %, contre 46 % pour les 0,1 % les plus fortunés. Cette situation paradoxale s'explique notamment par l'optimisation fiscale et l'utilisation de niches ou de structures juridiques permettant de réduire fortement l'impôt dû.
Ce déséquilibre manifeste soulève une question de fond : celle de la conformité de notre système fiscal avec le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt. Pour y remédier, la proposition de loi vise à instaurer un impôt plancher sur le patrimoine, applicable aux très grandes fortunes. Le principe est de garantir que ladite fraction des foyers fiscaux les plus aisés verse au minimum l'équivalent de 2 % de la valeur nette de leur patrimoine chaque année, dès lors que celui-ci dépasse 100 millions d'euros.
Ce mécanisme ne crée pas un impôt supplémentaire, mais repose sur une logique de contribution différentielle : il ne s'appliquerait que si le total des impôts déjà acquittés n'atteint pas ce plancher. Selon les estimations, cette mesure concernerait 1 800 contribuables en France et pourrait rapporter de 15 milliards d'euros à 25 milliards d'euros de recettes fiscales annuelles. Ce type de mécanisme vise à garantir qu'aucun contribuable, quelle que soit l'ingéniosité de ses stratégies d'optimisation, ne puisse échapper à un minimum de contribution.
Par ailleurs, la proposition de loi prévoit un dispositif d'exit tax adapté, pour limiter le risque d'exil fiscal.
Le mécanisme se concentre ainsi exclusivement sur ceux qui, bien qu'extrêmement fortunés, contribuent aujourd'hui faiblement à l'impôt. Difficile, il est vrai, d'imaginer un dispositif plus ciblé.
Il ne s'agit nullement d'un rétablissement de l'ISF. En effet, la mesure proposée s'en distingue profondément, tant par sa portée que par son assiette. Ainsi, l'ISF, en 2017, s'appliquait à partir de 1,2 million d'euros de patrimoine, touchant quelque 358 000 foyers, tandis que le présent dispositif ne concernerait, je le rappelle, qu'environ 1 800 foyers fiscaux, dont le patrimoine dépasse les 100 millions d'euros. Il tend ainsi à cibler les cas extrêmes d'évitement fiscal, là où la réforme de l'ISF de 2017 a eu pour effet de maintenir assujettis les contribuables des classes moyennes propriétaires de biens immobiliers non délocalisables, tout en faisant sortir de l'imposition les membres des catégories les plus riches, détenteurs d'un patrimoine d'actions ou de participations délocalisables.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Très bien !
M. Dominique de Legge. Cela étant dit,…
M. Daniel Salmon. Ah !
M. Dominique de Legge. … malgré l'intention louable de rétablir une plus grande justice fiscale, le dispositif proposé soulève plusieurs difficultés.
Premièrement, mes chers collègues, je relève la totale absence d'une étude d'impact. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. Grégory Blanc. Il fallait oser !
M. Pascal Savoldelli. Les études d'impact, c'est ce qu'ont les plus riches !
M. Dominique de Legge. Deuxièmement, sur la méthode, la position du groupe Les Républicains demeure constante sur un point précis : il s'agit d'intégrer ces réflexions fiscales à des travaux plus globaux sur le budget. (Marques d'ironie sur les travées du groupe GEST.)
Nous invitons donc le Gouvernement, madame la ministre, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances que vous ne manquerez pas de nous présenter, d'introduire un certain nombre d'éléments, associés aux études d'impact que vous pourrez nous fournir. C'est ainsi, le cas échéant, que nous pourrions faire évoluer la situation et revoir la question de l'impôt sur la fortune dans le sens des amendements que le groupe Les Républicains ne cesse, depuis plusieurs années, sur l'initiative de notre excellent collègue Albéric de Montgolfier, de déposer.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons donc pas la proposition de loi qui nous est soumise. (M. le rapporteur et Mme Agnès Evren applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Puisque j'ai été interpellée, je souhaitais revenir sur certaines réalités, afin d'ancrer ce débat, tout à fait légitime, dans un certain nombre de faits économiques et fiscaux de notre pays.
Certains m'ont interrogée pour savoir si, au fond, il y avait encore une justice fiscale et si celle-ci restait un objectif pour la ministre que je suis et, plus largement pour le Gouvernement et pour l'État.
Je voudrais rappeler quelques chiffres. Tout d'abord, en 2023, Jean-Marc Germain a rédigé, lorsqu'il travaillait à l'Insee, une étude, que je vous invite toutes et tous à lire, sur le caractère redistributif de notre système fiscalo-social. Il y relève qu'en France, entre le premier et le dixième décile, l'écart entre les revenus perçus est de 1 à 18. Il montre ensuite que, après application de notre régime fiscal et social, l'écart est réduit de 1 à 3.
Ce que montre l'Insee, c'est que nous sommes le pays le plus redistributif d'Europe. (M. Grégory Blanc proteste.) En effet, aucun pays ne dispose d'un système fiscalo-social réduisant autant, par rapport aux revenus perçus, l'écart effectif de niveau de vie après redistribution.
M. Guy Benarroche. Nous le savons bien ! Et ce n'est pas grâce à vous, d'ailleurs !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je me tiens à votre entière disposition pour vous communiquer le lien vers cette étude sur le site de l'Insee.
Ensuite, y a-t-il une justice fiscale ? Notre système est-il progressif ?
Je veux rappeler ici quelques éléments. Le taux marginal d'impôt sur le revenu en France, après application de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, qui n'est pas la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR), est de 49 %. Là encore, ce taux, à l'échelle de l'Europe, est particulièrement élevé.
Ensuite, aujourd'hui, la pente de l'impôt sur le revenu montre-t-elle que la contribution est bel et bien proportionnelle au revenu ? De fait, 25 % des contribuables acquittent 75 % de l'impôt sur le revenu et 0,1 % des contribuables les plus riches, qui représentent 0,9 % du revenu, payent 4 % du produit de ce même impôt. Voilà un chiffre intéressant, parce qu'il nous montre la progressivité de l'impôt sur le revenu.
J'en viens à l'IFI, élément important évoqué par un certain nombre d'entre vous. La progression de son rendement a été de 11 % entre 2024 et 2023. Son produit a donc atteint 2,2 milliards d'euros pour 186 000 foyers.
Le prélèvement forfaitaire unique (PFU), de son côté, rapporte maintenant 6,3 milliards d'euros contre près de 3 milliards d'euros en 2018, soit une hausse de quelque 3,5 milliards d'euros de son rendement entre 2018 et 2023. Cela signifie que la flat tax, contrairement à ce que l'on entend parfois, a abouti un quasi-doublement en valeur du produit de la fiscalité sur le capital.
M. Yannick Jadot. C'est normal, puisque ceux qui sont concernés n'investissent pas !
M. Guy Benarroche. Vous faites la démonstration de l'intérêt de notre proposition de loi !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je cherche à apporter des éléments au débat.
La question que vous posez, mesdames, messieurs les sénateurs, est celle de la suroptimisation du revenu fiscal de référence.
M. Pascal Savoldelli. Ça, c'est vrai.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il est vrai que, dans notre pays, nous constatons, notamment lors des contrôles fiscaux, qu'un certain nombre de contribuables, au patrimoine très élevé, affichent des revenus fiscaux de référence qui les rendent, pour certains d'entre eux, éligibles au revenu de solidarité active (RSA) ou au logement social. (M. Guy Benarroche s'exclame.)
En d'autres termes, grâce à la suroptimisation légale, le revenu fiscal de référence est tiré massivement vers le bas, ce qui limite notre capacité à percevoir l'impôt, tel que je viens de le décrire, au moyen de l'impôt sur le revenu ou de l'IFI.
M. Guy Benarroche. Attention ! Si on leur retire le RSA, ils vont partir.
M. Pascal Savoldelli. Il faudrait qu'ils travaillent quinze heures par semaine, alors !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Exactement, monsieur le sénateur : vous avez tout à fait compris là où je voulais en venir.
Heureusement, ces ménages ont la décence de ne demander ni RSA ni logement social. (Vives exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.)
Plusieurs sénateurs du groupe GEST. On a eu peur !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mais là n'est pas mon sujet. Il s'agit plutôt de constater qu'au cours des contrôles fiscaux, aujourd'hui, les autorités fiscales, étant donné que ces mécanismes sont indécents mais légaux, n'ont pas les outils pour procéder au redressement. (Marques d'ironie sur les travées des groupes GEST et SER.) C'est bien là-dessus que nous voulons travailler. En effet, il me semble que la justice fiscale que je vous ai décrite ne peut s'accommoder du fait que certains ménages, par ces mécanismes légaux, arrivent à présenter des revenus fiscaux de référence aussi bas.
C'est donc le sens du travail que nous menons, très précisément, avec les autorités fiscales, afin de déterminer la bonne manière de répondre à cette problématique.
Un certain nombre d'études sont en cours, à commencer par la définition du revenu fiscal de référence, mais également sur le contrôle de la sincérité de celui-ci. En effet, le problème des revenus non distribués, c'est qu'ils constituent bien des revenus, alors qu'ils sont détachés de ce revenu fiscal de référence. Ce dernier s'en trouve, de ce fait, insincère.
Je saisis l'occasion qui m'est offerte pour attirer l'attention d'un certain nombre de sénateurs qui plaidaient, notamment au sein du groupe Union Centriste, sur la bonne mesure qu'était la CDHR, votée de manière exceptionnelle pour 2024-2025. En effet, cette contribution ne règle en rien le problème, dans la mesure où son dispositif prévoit l'acquittement d'un minimum de 20 % de son revenu fiscal de référence en impôt. Ainsi, le sujet est non pas le taux, mais bien l'assiette du revenu fiscal de référence.
Je voulais vous présenter ces travaux et vous dire que je suis parfaitement consciente des enjeux. Nous y travaillons sur le plan technique. Je souhaite apporter une réponse à ce problème dans les prochaines semaines, avec, bien sûr, les parlementaires intéressés par ce sujet. Le constat, je le crois, fait consensus dans le monde entrepreneurial, dans la mesure où la situation actuelle est une manière de desservir ce que nous cherchons à encourager.
En effet, ce que nous cherchons à encourager, ce sont les entrepreneurs, les familles qui ont choisi de conserver des entreprises en croissance en France, l'innovation. De nombreux entrepreneurs, quand je leur décris cette situation, soutiennent, comme le font, légitimement, tous les Français, l'effort déployé pour mettre fin à ces pratiques abusives. Je veux donc rassurer les entrepreneurs de notre pays : c'est bien cela que nous voulons faire.
M. Pascal Savoldelli. La partie technique de votre intervention était intéressante, mais, là, c'est de la langue de bois.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Non, monsieur le sénateur !
Votre proposition de loi va, quant à elle, beaucoup plus loin. En effet, s'assurer que le revenu fiscal de référence n'est pas insincère n'équivaut pas à considérer qu'il faudrait que tous les détenteurs d'un patrimoine de plus de 100 millions d'euros versent l'équivalent 2 % de ce montant en impôts chaque année.
Je reviendrai sur ce point dans les amendements. La raison en est que ce taux s'appliquerait sur du stock. Or, à un tel niveau, le Conseil constitutionnel a systématiquement considéré que, sans plafonnement, cette proposition était inacceptable compte tenu de notre cadre monétaire et fiscal.
M. Yannick Jadot. Mais non !
M. Guy Benarroche. Ce n'est pas exact !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Certains déplorent l'absence d'étude d'impact, ce qui est vrai. Cela étant, vous pourriez, mesdames, messieurs les sénateurs, solliciter du Conseil d'État une analyse de la constitutionnalité de votre approche. (M. Thomas Dossus rit.) À ce jour, j'en doute, puisque nous avons vu qu'au cours de l'histoire, depuis quarante ans, le seul taux accepté sans plafonnement était celui de 0,5 %.
Tels sont les propos que je souhaitais soumettre à votre sagacité collective.
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l'article unique de la proposition de loi, dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale.
proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches
Article unique
I. – Le chapitre Ier bis du titre IV de la première partie du livre Ier du code général des impôts est ainsi rétabli :
« CHAPITRE IER BIS
« Impôt plancher sur la fortune
« Art. 885 A. – Sont soumises à l'impôt plancher sur la fortune lorsque la valeur de leurs actifs mentionnés aux articles 885 B à 885 H est supérieure à 100 millions d'euros :
« 1° Les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France, sur leurs biens situés en France ou hors de France.
« Toutefois, les personnes physiques mentionnées au premier alinéa du présent 1° qui n'ont pas été fiscalement domiciliées en France au cours des cinq années civiles précédant celle au cours de laquelle elles ont leur domicile fiscal en France ne sont imposables qu'au titre de leurs biens situés en France.
« Le deuxième alinéa du présent 1° s'applique au titre de chaque année au cours de laquelle le redevable conserve son domicile fiscal en France, jusqu'au 31 décembre de la cinquième année qui suit celle au cours de laquelle le domicile fiscal a été établi en France ;
« 2° Les personnes physiques n'ayant pas leur domicile fiscal en France, sur leurs biens situés en France ;
« 3° (nouveau) Les personnes physiques domiciliées en France depuis plus de dix ans et pendant au moins l'une des cinq dernières années, sur leurs biens situés en France ou hors de France, sauf si elles remplissent les conditions mentionnées au deuxième alinéa du 1°.
« Sauf dans les cas prévus aux a et b du 4 de l'article 6, les couples mariés font l'objet d'une imposition commune.
« Les partenaires liés par un pacte civil de solidarité défini à l'article 515-1 du code civil font l'objet d'une imposition commune.
« Les conditions d'assujettissement sont appréciées au 1er janvier de chaque année.
« Art. 885 B. – L'impôt plancher sur la fortune est assis et les bases d'imposition sont déclarées selon les mêmes règles et sous les mêmes sanctions que les droits de mutation par décès, sous réserve des dispositions particulières du présent chapitre.
« Les exonérations prévues en matière de droits de mutation par décès ne s'appliquent pas à l'impôt plancher sur la fortune.
« Art. 885 C. – L'assiette de l'impôt plancher sur la fortune est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année d'imposition, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant aux personnes mentionnées à l'article 885 A, et à leurs enfants mineurs lorsqu'elles ont l'administration légale des biens de ceux-ci.
« Dans le cas de concubinage notoire, l'assiette de l'impôt est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année d'imposition, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant à l'un et l'autre des concubins et aux enfants mineurs mentionnés au premier alinéa du présent article.
« Art. 885 D. – Les primes versées après l'âge de soixante-dix ans au titre des contrats d'assurance non rachetables souscrits à compter du 20 novembre 1991 et la valeur de rachat des contrats d'assurance rachetables sont ajoutées au patrimoine du souscripteur.
« La créance que le souscripteur détient sur l'assureur au titre de contrats, autres que ceux mentionnés à l'article L. 132-23 du code des assurances, qui ne comportent pas de possibilité de rachat pendant une période fixée par ces contrats est ajoutée au patrimoine du souscripteur.
« Art. 885 E. – Les biens ou droits grevés d'un usufruit, d'un droit d'habitation ou d'un droit d'usage accordé à titre personnel sont compris dans le patrimoine de l'usufruitier ou du titulaire du droit pour leur valeur en pleine propriété. Toutefois, les biens grevés de l'usufruit ou du droit d'usage ou d'habitation sont compris dans les patrimoines respectifs de l'usufruitier ou du nu-propriétaire suivant les proportions fixées à l'article 669 dans les cas énumérés ci-après, à la condition, en cas d'usufruit, que le droit constitué ne soit ni vendu, ni cédé à titre gratuit par son titulaire :
« 1° Lorsque la constitution de l'usufruit résulte de l'application des articles 767, 1094 ou 1098 du code civil. Les biens dont la propriété est démembrée en application d'autres dispositions, notamment de l'article 1094-1 du même code, ne peuvent faire l'objet de cette imposition répartie ;
« 2° Lorsque le démembrement de propriété résulte de la vente d'un bien dont le vendeur s'est réservé l'usufruit, le droit d'usage ou le droit d'habitation et que l'acquéreur n'est pas l'une des personnes mentionnées à l'article 751 du présent code ;
« 3° Lorsque l'usufruit ou le droit d'usage ou d'habitation a été réservé, par le donateur d'un bien ayant fait l'objet d'un don ou legs à l'État, aux départements, aux communes ou aux syndicats de communes et à leurs établissements publics, aux établissements publics nationaux à caractère administratif et aux associations reconnues d'utilité publique.
« Art. 885 F. – Les biens ou droits transférés dans un patrimoine fiduciaire ou ceux éventuellement acquis en remploi ainsi que les fruits tirés de l'exploitation de ces biens ou droits sont compris dans le patrimoine du constituant pour leur valeur vénale nette.
« Art. 885 G. – Les biens ou droits placés dans un trust défini à l'article 792-0 bis ainsi que les produits qui y sont capitalisés sont compris, pour leur valeur vénale nette au 1er janvier de l'année d'imposition, selon le cas, dans le patrimoine du constituant ou dans celui du bénéficiaire qui est réputé être un constituant en application du II du même article 792-0 bis.
« Le premier alinéa du présent article ne s'applique pas aux trusts irrévocables dont les bénéficiaires exclusifs relèvent de l'article 795 ou sont des organismes de même nature relevant de l'article 795-0 A et dont l'administrateur est soumis à la loi d'un État ou d'un territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales.
« Art. 885 H. – L'article 754 B est applicable à l'impôt plancher sur la fortune.
« Art. 885 İ. – La valeur des biens est déterminée suivant les règles en vigueur en matière de droits de mutation par décès.
« Par dérogation au deuxième alinéa de l'article 761, un abattement d'un million d'euros est effectué sur la valeur vénale réelle de l'immeuble lorsque celui-ci est occupé à titre de résidence principale par son propriétaire. En cas d'imposition commune, un seul immeuble est susceptible de bénéficier de cet abattement.
« Art. 885 J. – Les valeurs mobilières cotées sur un marché sont évaluées selon le dernier cours connu ou selon la moyenne des trente derniers cours qui précèdent la date d'imposition.
« Art. 885 K. – Les créances détenues, directement ou par l'intermédiaire d'une ou de plusieurs sociétés interposées, par des personnes n'ayant pas leur domicile fiscal en France sur une société à prépondérance immobilière mentionnée au 2° du I de l'article 726 ne sont pas déduites pour la détermination de la valeur des parts que ces personnes détiennent dans la société.
« Art. 885 L. – Le tarif de l'impôt plancher sur la fortune dû est égal à la différence, si elle est positive, entre :
« 1° Le montant résultant de l'application d'un taux de 2 % à la valeur nette taxable du patrimoine du redevable ;
« 2° Et le montant résultant de la somme des montants acquittés, pour l'année en cours, par le redevable au titre de l'impôt sur le revenu, de l'impôt sur la fortune immobilière, de la contribution prévue à l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale, des contributions au remboursement de la dette sociale prévues au chapitre II de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale et de la contribution prévue à l'article 223 sexies du présent code.
« Art. 885 M. – I. – Les redevables souscrivent, au plus tard le 23 septembre de chaque année, une déclaration de leur fortune précisant la valeur brute et la valeur nette taxable de leur patrimoine, déposée au service des impôts de leur domicile au 1er janvier et accompagnée du paiement de l'impôt.
« La valeur brute et la valeur nette taxable du patrimoine des concubins notoires et de celui des enfants mineurs lorsque les concubins ont l'administration légale de leurs biens sont portées sur la déclaration de l'un ou l'autre des concubins.
« II. – Les époux et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité défini à l'article 515-1 du code civil doivent conjointement signer la déclaration prévue au I du présent article.
« III. – En cas de décès du redevable, le 2 de l'article 204 est applicable. La déclaration mentionnée au I du présent article est produite par les ayants droit du défunt dans un délai de six mois à compter du décès. Le cas échéant, le notaire chargé de la succession peut produire cette déclaration à la demande des ayants droit si la succession n'est pas liquidée à la date de production de la déclaration.
« Art. 885 N. – Les personnes possédant des biens en France sans y avoir leur domicile fiscal et les personnes mentionnées au 2 de l'article 4 B peuvent être invitées par le service des impôts à désigner un représentant en France dans les conditions prévues à l'article 164 D.
« Toutefois, l'obligation de désigner un représentant fiscal ne s'applique ni aux personnes qui ont leur domicile fiscal dans un autre État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ainsi qu'une convention d'assistance mutuelle en matière de recouvrement de l'impôt, ni aux personnes mentionnées au 2 de l'article 4 B qui exercent leurs fonctions ou sont chargées de mission dans l'un de ces États.
« Art. 885 O. – Lors du dépôt de la déclaration mentionnée au I de l'article 885 M, les redevables doivent joindre à leur déclaration les éléments justifiant de l'existence, de l'objet et du montant des dettes dont la déduction est opérée. »
II. – L'article 1723 ter-00 A du code général des impôts est ainsi rétabli :
« Art. 1723 ter-00 A. – I. – L'impôt plancher sur la fortune est recouvré et acquitté selon les mêmes règles et sous les mêmes garanties et sanctions que les droits de mutation par décès.
« II. – Ne sont pas applicables aux redevables mentionnés au I de l'article 885 M :
« 1° Les articles 1715 et 1716 A ;
« 2° Les articles 1717, 1722 bis et 1722 quater.
« Néanmoins, lorsque le redevable se trouve dans l'impossibilité de payer l'impôt plancher sur la fortune en raison d'une situation de gêne, le paiement de l'impôt peut être échelonné à la demande du redevable, avec l'accord de l'administration fiscale, dans un délai ne pouvant excéder cinq ans à compter de l'expiration du délai de souscription de la déclaration de l'impôt plancher sur la fortune prévue au I de l'article 885 M. Le redevable doit joindre à sa déclaration mentionnée au même I les éléments justifiant de l'impossibilité de payer l'impôt plancher sur la fortune en raison d'une situation de gêne ;
« 3° Les dispositions du III de l'article L. 269 du livre des procédures fiscales relatives à l'inscription de l'hypothèque légale du Trésor. »
III. – L'article 1723 ter-00 B du code général des impôts est complété par les mots : « et pour le paiement de l'impôt plancher sur la fortune ».
IV. – La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2026.
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, sur l'article. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Ghislaine Senée. Nous avons l'occasion, grâce à cette proposition de loi, de traiter d'un sujet important. Beaucoup de Français nous regardent.
L'on pourrait nous accuser d'avoir mis en place une forme de lobbying, mais vous avez tous reçu dans vos boîtes aux lettres, mes chers collègues, des réactions de Français, mais également de maires, qui demandent que l'on puisse considérer cette question eu égard aux difficultés que rencontrent les collectivités. Et l'on sait bien à quel point, dans cet hémicycle, nous sommes attachés à ces dernières.
Notre premier objectif, madame la ministre, est d'essayer de sortir la France du marasme dans lequel, avec Emmanuel Macron, vous l'avez plongée au cours des sept dernières années.
Notre second objectif est de rappeler que nous sommes confrontés à l'heure actuelle à une forte tension sociale. La question de la justice sociale est donc absolument primordiale.
La réalité, c'est que nous sommes face à un déficit public qui explose : de 60 milliards d'euros en 2017, il a atteint 170 milliards d'euros en 2024, pour un total de 3 000 milliards d'euros de dette. En même temps, la France est un paradis fiscal pour ultrariches. Ainsi, ses 500 plus grandes fortunes, en 2017, possédaient 570 milliards d'euros, alors qu'aujourd'hui, comme cela a été rappelé par plusieurs de nos collègues, ce montant atteint 1 228 milliards d'euros, l'équivalent de sept fois notre déficit public annuel. Comment en sommes-nous arrivés là ? Nous devrions tous nous poser la question.
Si nous proposons cette taxe, défendue par Gabriel Zucman, par Bruno Le Maire, par vous-même au niveau européen, par Jean Pisani-Ferry, ainsi que par Olivier Blanchard, c'est que nous sommes face à une situation importante et grave, à laquelle cette mesure apporterait une réponse utile. En outre, il nous faut absolument répartir les efforts que vous allez demander, pour ne pas qu'ils soient à la seule charge des autres Français. D'où l'intérêt de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, sur l'article.
M. Yannick Jadot. Madame la ministre, mes chers collègues de droite, dans quel régime politique vivons-nous pour que vous défendiez avec autant de ferveur 1 800 foyers fiscaux, détenteurs de plus de 100 millions d'euros de fortune et qui payent moitié moins que les autres Français en impôts ? (Mme la ministre proteste.)
L'égalité fiscale, ce n'est pas rien dans notre histoire politique ! Elle a été consacrée par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Elle l'est également par l'article 1er de notre Constitution. Cela devrait faire réfléchir ceux qui se disent encore gaullistes…
Vous préférez, finalement, perdre 20 milliards d'euros de recettes potentielles…
M. Xavier Iacovelli. Et des emplois !
M. Yannick Jadot. … pour protéger ces privilégiés plutôt que d'investir dans la santé, notamment la santé mentale de notre jeunesse, dont nous avons beaucoup parlé cette semaine, dans la transition écologique, la réindustrialisation, l'école ou l'hôpital.
Sommes-nous devenus une ploutocratie ? Le Sénat de la République, qui devrait se battre bec et ongles contre les coupes budgétaires qui abîment nos territoires et notre collectivité, est-il redevenu la chambre des pairs de la Restauration, plus soucieux de protéger uniquement les privilégiés ?
Sommes-nous revenus à l'Ancien Régime, où une caste, la plus riche, était exonérée de l'impôt ? Relisez ou lisez, madame la ministre, mes chers collègues, Tocqueville.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Il n'était pas écologiste !
M. Yannick Jadot. Il écrivait : « Or, de toutes les manières de distinguer les hommes et de marquer les classes, l'inégalité d'impôt est la plus pernicieuse et la plus propre à ajouter l'isolement à l'inégalité, et à rendre en quelque sorte l'un et l'autre incurables. » Il ajoutait : « Du moment où les deux classes ne sont pas également assujetties [à l'impôt], elles n'ont presque plus de raisons pour délibérer jamais ensemble, plus de causes pour ressentir des besoins et des sentiments communs ; […] on leur a ôté en quelque sorte l'occasion et l'envie d'agir ensemble. »
Alors ce n'est pas de la confiscation, ce n'est pas de l'obsession : il s'agit juste d'appliquer la loi et d'assurer l'égalité fiscale. Et si, en plus, cela rapporte 20 milliards d'euros, franchement, c'est bon à prendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Colombe Brossel et M. Yan Chantrel applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, sur l'article.
M. Grégory Blanc. Je formulerai trois remarques, puisque nous avons eu un débat rapide en commission des finances.
La première, c'est que les mots ont un sens. Or je ne suis pas convaincu que cette loi soit d'équité fiscale. En effet, atteindre l'équité fiscale supposerait de refonder l'impôt sur le revenu et d'améliorer la fiscalité sur le capital.
Je rappelle que, avec le PFU, la fiscalité sur les dividendes est de seulement 12,8 %. Je rappelle également que les plus-values latentes, évoquées par notre collègue Canévet au cours de la discussion générale, ainsi qu'un certain nombre d'autres dispositifs nécessiteraient d'être remis sur la table. N'oublions pas non plus les héritages.
Cette proposition de loi n'est donc pas d'équité fiscale : son mérite premier est plutôt d'être un texte anti-abus. Or il me semble que nous devons davantage creuser cette question. J'ai entendu vos arguments, madame la ministre, mais je n'y souscris pas. Certes, un certain nombre de détenteurs de hauts patrimoines abusent, suroptimisent. Mais ce n'est pas en corrigeant des dispositifs, ce qui laissera nécessairement des trous dans la raquette, que nous arriverons à lutter contre toutes les formes de suroptimisation fiscale.
Deuxième remarque, la grande vertu de ce texte est d'être une novation fiscale, dans la mesure où y est agrégé ce qui relève de la fiscalité sur la personne physique et sur la personne morale – en l'espèce, les entreprises. Pourquoi ? Parce que la suroptimisation et les abus résultent des tours de passe-passe entre les revenus des personnes et ceux des entreprises, comme nous le savons bien, avec des remontées de résultats entre les sociétés mères, les sociétés filles et les holdings. C'est précisément cela qui doit nous conduire à repenser la façon dont fonctionne notre fiscalité, en introduisant dans notre code général des impôts des outils similaires à ce qui est proposé.
Troisième remarque, lors de l'épidémie de covid, des patrimoines se sont considérablement enrichis parce que la Banque centrale européenne (BCE) a massivement injecté des liquidités. Or certaines personnes ont utilisé ces dernières pour valoriser les entreprises, racheter des actions et accroître leur patrimoine. Il serait tout à fait juste qu'il y ait un retour d'ascenseur. C'est une question morale.
M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, sur l'article.
M. Alexandre Ouizille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au cours de la discussion générale, il a été évoqué une proposition de loi totémique, une mesure symbolique. Nous croyons qu'il s'agit, à l'inverse, de quelque chose de fondamental.
Madame la ministre, vous disiez que le système fiscal français permettait de comprimer les écarts entre les différents déciles. Mais regardez la situation des patrimoines : en 1985, les 1 % les plus riches de ce pays détenaient 16 % de la richesse nationale, quand, aujourd'hui, ils en possèdent un quart. En d'autres termes, la confiscation se fait dans l'autre sens : les 99 % les plus pauvres de ce pays, c'est-à-dire tous les Français, se sont vus confisquer 8 % de la richesse nationale, de toute la richesse créée, au profit des 1 %. La confiscation est dans l'autre sens, et vous ne proposez rien sur ce sujet !
Il ne s'agit donc pas d'un totem, particulièrement quand on sait que, l'année prochaine, vous souhaitez trouver 40 milliards d'euros pour combler les déficits. Avec ce texte, nous vous offrons la moitié de ce montant. Par conséquent, vouloir continuer à appuyer sur les classes moyennes et sur les classes populaires alors qu'il existe d'autres solutions comme celle qui est proposée, ce n'est pas normal.
Par ailleurs, a été évoquée la question de la constitutionnalité. Or la Constitution, me semble-t-il, se réfère à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ainsi, c'est la situation actuelle qui est anticonstitutionnelle : aujourd'hui, l'impôt n'est pas redistributif puisque les gens ne payent pas « en raison de leurs facultés ». L'impôt est dégressif à partir des 0,1 % les plus riches, comme cela a été montré. Voilà ce qu'il faut réparer, et il y a urgence à le faire.
Je sais que vous y travaillez, madame la ministre, mais cela vous prend beaucoup de temps… Des promesses ont été faites lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, mais nous en attendons toujours les résultats, alors que voilà des années maintenant que vous êtes au Gouvernement.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Moi, non…
M. Alexandre Ouizille. Ensuite, l'épargne viendrait à manquer, nous dit-on. Or nous savons que, dans notre pays, il existe un excès d'épargne. La peur de voir l'épargne partir je ne sais où n'est pas le sujet !
Nous avons donc la possibilité d'agir alors que, aujourd'hui, se reconstitue une société d'héritiers, une société d'Ancien Régime, figée. Ainsi, 65 % du patrimoine est hérité. Que pouvons-nous dire à ceux qui essayent de s'en sortir par leur travail ? Je suis d'accord avec mes collègues : il y a eu une nuit du 4 août ; il faut, désormais, un après-midi du 12 juin pour changer la situation ! (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l'article.
M. Yan Chantrel. Ce débat est éclairant et constitue un moment de vérité. Il s'agit d'un moment de vérité vis-à-vis des Françaises et des Français sur le fait que vous souhaitez, madame la ministre, que les efforts reposent toujours sur les mêmes et que vous entendez toujours en épargner d'autres, c'est-à-dire les multimillionnaires.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Non !
M. Yan Chantrel. Un grand nombre d'erreurs ont été commises en matière de politique économique depuis huit ans. D'ailleurs, cette politique économique et fiscale est endossée par la droite sénatoriale, quand elle refuse cette taxation.
Ainsi, pendant huit ans, vous n'avez fait que baisser les impôts des plus riches, vous avez supprimé l'ISF, vous avez diminué les impôts des grandes entreprises, ce qui est à l'origine d'un déficit de 700 milliards d'euros ! Il est dû à cette politique économique, qui n'a même pas créé le moindre point de croissance. En effet, cette dernière n'a jamais été aussi atone qu'au cours des huit années marquées par cette politique fiscale et économique.
Face à un tel échec, il conviendrait de revenir sur cette politique, surtout si l'on souhaite combler le déficit. En effet, sans cela, vous enverriez à nos compatriotes le message selon lequel eux seuls devront en acquitter le coût, au travers de coupes sur des dépenses qui vont les toucher directement, en affectant les soins, l'école. Voilà ce que vous préparez pour le prochain budget !
Vous souhaitez 40 milliards d'euros. Pas de problème : ce soir, 20 milliards d'euros vous sont offerts ! Et cela ne concerne que ceux qui gagnent plus de 100 millions d'euros dans notre pays.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Non, il s'agit de patrimoine !
M. Yan Chantrel. Je le répète : 100 millions d'euros, avec un taux de 2 %. Même si le gouvernement dont vous faites partie compte une moitié de millionnaires, ses membres ne sont même pas concernés, puisque leur patrimoine est inférieur à 100 millions d'euros. Vous serez donc épargnés !
Je le redis, 100 millions d'euros et un taux de 2 %, parce que ceux qui sont concernés ne payent que 27 % en termes de cotisations sociales et d'impôts alors que, pour nos compatriotes, ce taux atteint 50 %. Elle est là, la justice.
Le redressement des comptes publics ne sera jamais accepté sans justice fiscale et si les plus fortunés n'y contribuent pas ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, sur l'article.
Mme Anne Souyris. Nous vous avons entendu, monsieur de Legge, madame de Montchalin. Vous reconnaissez, finalement, qu'il existe bien une inégalité fiscale et que le dispositif proposé n'est pas si mal, qu'il est relativement simple.
Mais faisons autrement, dites-vous. Commençons par le projet de loi de finances, suggère l'un. Révisons les modes de calcul du revenu de référence et réévaluons l'ensemble du dispositif, propose l'autre.
En attendant, pourquoi n'est-il pas possible de mettre en place ce dispositif fiscal si simple, qui vient compenser la quasi-absence d'impôt ?
Le Gouvernement demande aux Français un effort de solidarité considérable – on parle tout de même de 40 milliards d'euros. Soutenez-les donc, en votant cette imposition à 2 % ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l'article.
M. Pascal Savoldelli. Je vais poursuivre votre raisonnement, madame la ministre, car nous nous référons au même rapport. Il indique que, avant transfert, les ménages aisés disposent en moyenne d'un revenu 18 fois supérieur à celui des ménages les plus pauvres.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. C'est bien ce que j'ai dit !
M. Pascal Savoldelli. Sur ce point, on vous suit. Ce n'est qu'après transfert, c'est-à-dire qu'après accès aux services publics – vous avez oublié de le dire ! –, que les inégalités se réduisent significativement. L'écart est alors ramené à un rapport de 1 à 3.
Mais qui finance les services publics ? Qui réduit cet écart ? C'est la dépense publique ! Nous devons donc mettre à contribution les ultrariches pour financer les services publics. (Mme la ministre sourit à l'orateur.)
Vous affichez un sourire amical, madame la ministre, mais la question est sérieuse. Le rapport que vous mentionnez mérite la lecture la plus aiguisée possible.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Je formulerai quelques observations très rapides sur ce qui a été dit. Il est important d'avoir des débats sereins.
J'entends parfaitement les critiques de Mme Senée et de MM. Blanc, Chantrel et Savoldelli. Quant à vous, monsieur Jadot, je pense objectivement que vous avez dérapé lorsque vous avez reproché aux sénateurs de droite – ou au Sénat en général – de défendre les milliardaires et de s'attaquer à ce texte pour ce seul motif. (C'est pourtant vrai ! sur les travées des groupes GEST et SER.)
Vous êtes dans la pure caricature quand vous vous interrogez sur le régime dans lequel nous vivons et que vous vous demandez si nous vivons en ploutocratie. (M. Yannick Jadot s'exclame.) Non, mon cher collègue, nous vivons bien en démocratie !
En démocratie, le Sénat, justement, résiste à toutes les pressions, celles des lobbies ou celles que vous nous imposez depuis une semaine. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Je veux parler des mails envoyés à tous les sénateurs pour les pousser à voter. Cette pratique n'est pas acceptable !
Bref, je vous invite à débattre sereinement parce que nous vivons dans une démocratie.
Vous le savez parfaitement – car vous en discutez entre vous, et parce que le professeur Zucman vous l'a dit –, votre proposition de loi, qui prévoit un impôt plancher à 2 % sans plafonnement, est contraire à notre Constitution. (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. Guy Benarroche. Déposez un recours !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Vous proposez un dispositif anticonstitutionnel et, dans le même temps, vous reprochez aux sénateurs de droite ou de la majorité sénatoriale de ne pas respecter la démocratie : c'est un peu fort de café !
En démocratie, on débat et on n'attaque pas ses adversaires comme vous le faites.
M. Guillaume Gontard. Vous nous attaquez aussi !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Pour être tout à fait honnête, je trouve qu'il est quelque peu nauséabond et populiste de vouloir faire croire aux gens que la majorité sénatoriale s'oppose au texte pour protéger les plus riches, alors qu'elle vise exactement l'objectif contraire ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.)
En effet, elle ne cherche qu'à protéger l'économie et les entreprises de notre pays, afin qu'un plus grand nombre d'investissements soient réalisés dans l'ensemble de nos circonscriptions.
Si vous refusez cette évidence et que vous pensez pouvoir rentrer dans vos circonscriptions en vous targuant d'avoir tué l'emploi et l'investissement, vous vous mettez le doigt dans l'œil ! (Mme Laure Darcos applaudit. – Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Michaël Weber. C'est vous qui serez mal accueillis !
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, sur l'article.
M. Michel Canévet. En écoutant certains orateurs s'exprimer tout à l'heure, j'ai eu le sentiment que les ultrariches – c'est ainsi que plusieurs de nos collègues les désignent – ne paieraient pas d'impôts dans notre pays. Ce n'est pas la réalité !
L'année dernière, les recettes au titre de l'impôt sur le revenu l'État ont représenté 83 milliards d'euros. Sur les 41 millions de foyers fiscaux que compte notre pays, 19 millions se sont acquitté de cet impôt, soit moins de la moitié.
En outre, 10 % des contribuables de l'impôt sur le revenu en ont payé 75 % du produit. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Cela signifie que, l'année dernière, 4 % des foyers fiscaux ont payé les trois quarts de l'impôt sur le revenu. (M. Guy Benarroche proteste.)
Ainsi, le fait de prétendre que certains foyers fiscaux ne paieraient pas d'impôts dans notre pays ne pose pas les termes du débat dans le bon sens.
Il faut donc rectifier les choses et reconnaître que les plus aisés contribuent bien à l'impôt. C'est une évidence, car nous avons un système fiscal progressif et proportionnel aux revenus.
M. Daniel Salmon. Y a-t-il redistribution ? Non !
M. Michel Canévet. J'ai aussi entendu que le produit de la contribution s'élèverait à 20 milliards d'euros. Sur quels éléments vous basez-vous pour affirmer cela ? Rien ne permet d'assurer que vous pourriez récupérer une telle somme : c'est un mirage que vous donnez à voir aux Français !
Il faut connaître la réalité des chiffres, or vous ne l'avez pas ! Je veux bien qu'on fasse croire qu'on trouvera des milliards gratuitement, mais, pour ma part, je ne peux m'empêcher d'y voir un mirage et beaucoup d'ironie.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, sur l'article unique.
Mme Christine Lavarde. Je n'ai pas assisté à l'intégralité des débats, mais on m'a rapporté les propos qui ont été tenus sur notre prétendue posture politique et sur ce que nous pensons ou ne pensons pas.
Je rappellerai que notre groupe, depuis plusieurs années, lors de l'examen du PLF, a défendu avec constance une révision de l'impôt sur la fortune immobilière, afin de taxer la fortune dite improductive qui ne contribue absolument pas à l'économie française.
Il se trouve que, jusqu'à présent, notre proposition n'a pas trouvé un écho suffisant pour qu'elle puisse entrer en vigueur.
Cette année, comme l'an dernier, le rapporteur général s'est battu pour que l'on mette en place un dispositif « anti-CumCum ». Si nous n'avions pas été très actifs et vigilants jusqu'à la réunion de la commission mixte paritaire, ce dispositif ne figurerait pas dans la loi de finances qui a été promulguée.
Du reste, pas plus tard qu'au printemps, nous avons de nouveau appelé, dans le cadre de la commission des finances, à prendre des mesures d'application réglementaire pour rendre ce dispositif effectif.
De grâce, ne dites pas que nous sommes aveugles aux problèmes que peut poser la contribution des plus riches ! Il n'empêche que nous le réaffirmons avec force : la mesure proposée est inefficace et inefficiente, comme l'ont expliqué tous les orateurs qui, depuis la tribune, ont annoncé voter contre ce texte.
En effet, nous pensons qu'il est nécessaire de continuer à investir et à soutenir les investissements, la création et l'innovation dans de nombreux domaines, notamment la transition climatique et la défense. Il me semble que nous nous rejoignons sur tous ces sujets. Par ailleurs, il est essentiel de garantir notre souveraineté dans plusieurs secteurs et filières.
Or, avec cette proposition de loi, vous consentez à ce que les détenteurs d'actifs les cèdent pour payer votre impôt.
Regardez ce qui se passe non loin d'ici, de l'autre côté de la Manche, dans un pays dirigé depuis quelques mois par un gouvernement travailliste. Depuis que ce dernier a mis en place des mesures récentes de taxation des plus riches, il y a exactement 11 000 millionnaires qui ont quitté le pays.
C'est peut-être l'objectif que vous souhaitez atteindre, mes chers collègues, bien que vous ne visiez que 1 800 foyers fiscaux.
Pour conclure, je vous poserai cette simple question : pourquoi Gabriel Zucman, malgré ses interpellations à l'OCDE, n'a-t-il pas réussi à mettre en place cette taxe dans les pays qui ont un gouvernement de gauche ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je m'efforcerai d'être très rapide, en répondant sur deux points.
Premièrement, j'espère que personne, ici, ne se dit que nous protégerions ou mettrions sous cloche 1 800 personnes. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.)
Dans notre pays, les ETI, lesquelles sont précisément les entreprises qui produisent des dividendes non distribués et ont des valorisations importantes, représentent 4 millions d'emplois, contre 1,2 million d'emplois pour les entreprises du CAC40.
Pour ma part, je ne protège rien ni personne, excepté l'économie, les emplois, l'investissement et la croissance, c'est-à-dire notre capacité à être les plus attractifs possible, dans une forme de cohérence européenne.
M. Guillaume Gontard. Et ça fonctionne ?
Mme Amélie de Montchalin ministre. C'est la raison pour laquelle je n'ai aucune difficulté à soumettre de nombreuses propositions dans le cadre de l'OCDE ou à l'échelon européen.
M. Yannick Jadot. Vous n'avez qu'à donner l'exemple en matière fiscale !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. On peut toujours donner l'exemple, mais si l'on est seul on finit par se retrouver tout seul ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Yannick Jadot. C'était déjà le cas pour la TVA !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Deuxièmement, je veux évoquer les enjeux budgétaires, en faisant un raisonnement par l'absurde.
Certains d'entre vous prétendent qu'avec votre proposition le déficit public serait réduit de moitié. Or elle ne me semble pas pertinente si nous souhaitons arrêter de créer de la dette chaque année et maintenir le déficit sous la barre des 3 % du PIB, d'ici à 2029. C'est un horizon déjà trop lointain, vu la situation que nous vivons collectivement.
En effet, aujourd'hui, nous payons plus d'intérêts de la dette que nous ne dépensons pour l'éducation nationale. Nous pourrions au moins nous accorder sur le fait que cette situation n'est pas satisfaisante.
M. Thomas Dossus. C'est vrai !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. D'ici à 2029, il nous faudra globalement réduire notre dépense d'environ 100 milliards d'euros.
Vous dites qu'on collecterait 25 milliards d'euros avec ce taux de 2 %. Pour avoir le même rendement l'année suivante, il faudrait porter le taux à 4 %.
M. Pascal Savoldelli. Oh, franchement…
M. Emmanuel Capus, rapporteur. C'est M. Savoldelli qui a la solution, bien sûr !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je cherche 100 milliards d'euros : avec une taxe à 2 % chaque année, on arrivera finalement à 8 %. (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) Si on ne fait pas comme cela, il faudra faire 75 milliards d'économies sur les dépenses publiques.
Notre devoir de sincérité nous impose de dire aux Français que nous ne pouvons pas arrêter d'augmenter notre dette sans revoir le rythme et la nature des dépenses ou l'organisation des services publics.
M. Grégory Blanc. Non, c'est votre vision idéologique !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Autre manière de dire les choses : si nous laissons la situation telle quelle, la dépense en matière de santé augmente naturellement de 15 milliards d'euros chaque année.
Pour couvrir cette dépense nécessaire – la santé –, il faut on comprend qu'il faut un nouvel impôt puisque vous ne voulez pas, vous l'avez dit, réduire la dépense. Or, en suivant votre raisonnement, il faudra collecter 15 milliards d'euros supplémentaires chaque année. (M. Pascal Savoldelli proteste.) Ce ne sera donc pas seulement 2 % cette année : il faudra ajouter 2 % de plus l'année suivante, et ainsi de suite. (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. Pascal Savoldelli. Vous êtes ministre des comptes publics !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Justement, en tant que ministre des comptes publics, je dois dire que votre texte suscite une grande confusion. En effet, vous proposez un impôt qui rapportera peut-être 25 milliards d'euros, une seule fois.
Cependant, notre équation budgétaire nous impose de répéter chaque année notre effort. Or vous savez que votre proposition n'aura qu'un effet ponctuel. Vous considérez que votre impôt est formidablement calibré, mais la situation dans laquelle se trouve notre pays nous obligera, chaque année, à réduire notre dépense.
Bref, je tenais à mettre ces arguments dans la balance, afin que nous ne fassions pas croire aux Français que nous aurions sous les yeux une solution facile dont nous nous priverions. (Vices exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Très bien !
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, si nous n'achevons pas la discussion de cette proposition de loi à dix-huit heures, je crains que nous ne puissions examiner le second texte à l'ordre du jour dans les délais impartis.
Je vous rappelle que je ne peux pas interrompre Mme la ministre, qui n'a pas de limite de temps de parole. (Mme Raymonde Poncet Monge s'exclame.)
L'amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Daubet, Roux, Bilhac et Fialaire, est ainsi libellé :
Alinéa 28
Après le mot :
million
insérer les mots :
cinq cent mille
La parole est à M. Raphaël Daubet.
M. Raphaël Daubet. Cet amendement pragmatique porte sur un point de détail : il vise à prendre en compte la réalité des situations en relevant l'abattement sur la résidence principale de 1 million à 1,5 million d'euros.
Voilà une mesure ciblée qui, sans remettre en cause l'esprit du texte, tient compte du caractère peu productif de la résidence principale et de son poids limité dans le patrimoine global des contribuables concernés.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, la commission propose de rejeter cette proposition de loi. Ainsi, par cohérence, elle émettra un avis défavorable sur l'ensemble des amendements déposés, quel que soit le sens dans lequel ils vont, même s'ils peuvent parfois contribuer à améliorer le texte.
En l'espèce, cet amendement extrêmement précis tend à relever de 1 million à 1,5 million d'euros l'abattement sur la résidence principale. Il s'agit d'une mesure cosmétique, qui ne change pas la physionomie générale du texte.
Ce sujet n'a pas été évoqué au cours des auditions que nous avons menées. Il est ici question des contribuables dont le patrimoine excède 100 millions d'euros. On peut donc objectivement supposer qu'ils possèdent une résidence principale dont la valeur dépasse largement 1,5 million d'euros, ne serait-ce que s'ils habitent à proximité du Sénat, dans un appartement de plus de 100 mètres carrés.
Le problème qui a été soulevé est celui non pas de la résidence principale, mais de l'outil de travail. Les amendements devraient plutôt se concentrer sur ce point, d'autant que nous sommes nombreux à avoir partagé nos préoccupations sur le sujet, au centre et à droite, mais pas seulement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Comme le rapporteur, j'estime que relever le montant de l'abattement revient à pinailler sur une partie très restreinte du sujet traité au travers du présent texte.
Si cette taxe venait à être votée – ce que je ne souhaite pas, vous l'aurez compris –, j'aimerais que nous gardions l'abattement de l'IFI afin de préserver la simplicité de la procédure fiscale. Cela suffira à atteindre la cible de la taxe.
L'avis est défavorable.
M. le président. Mes chers collègues, je vous informe qu'un scrutin public a été demandé sur l'article unique. Les amendements peuvent donc être débattus sereinement.
Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Grosvalet, Daubet et Bilhac, Mme Briante Guillemont et M. Fialaire, est ainsi libellé :
Alinéa 29
Remplacer les mots :
ou selon la moyenne des trente derniers cours qui précèdent la date d'imposition
par les mots :
au jour du fait générateur de l'impôt ou selon la moyenne des trente derniers cours qui précèdent le 1er janvier de l'année d'imposition
La parole est à M. Raphaël Daubet.
M. Raphaël Daubet. Cet amendement vise à renforcer la sécurité juridique de l'impôt plancher sur la fortune (IPF), notamment pour ce qui concerne la valorisation des valeurs mobilières cotées. Il peut sembler un peu technique, mais il tend simplement à aligner les modalités de prélèvement de l'IPF sur celles de l'IFI.
Ainsi, nous proposons d'opter soit pour le dernier cours connu au jour du fait générateur de l'impôt, soit pour la moyenne des trente derniers cours qui précèdent le 1er janvier de l'année d'imposition.
Cet amendement tend à harmoniser les dispositifs.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Mon cher collègue, je crains que votre amendement suscite davantage de confusion. En effet, les dispositions du texte concernant la valorisation des plus-values immobilières cotées s'appuient sur l'article 973 du code général des impôts, relatif à la valorisation des actifs inclus dans l'assiette de l'IFI. Or cet article est utilisé et a fait ses preuves.
Il semble donc inutile de modifier le texte, d'autant que cela n'irait pas dans le sens de l'objectif que vous visez. En conséquence, la commission est doublement fondée à émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Cet amendement est satisfait, car nous disposons déjà de règles relatives à la valorisation des actions cotées qui ne font pas débat. Les sénateurs à l'origine de cette proposition de loi n'ont rien à gagner à rendre le dispositif encore plus complexe.
Je vous invite donc à retirer votre amendement, monsieur le sénateur : cela ne portera préjudice à personne.
M. Raphaël Daubet. Surtout si le texte est voté ! Je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 7 rectifié est retiré.
L'amendement n° 1, présenté par M. Cozic, Mme Blatrix Contat, MM. Raynal et Kanner, Mme Briquet, M. Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, Lurel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 32
Remplacer le taux :
2 %
par le taux :
1 %
La parole est à M. Thierry Cozic.
M. Thierry Cozic. Je souhaitais répondre à l'argumentation développée par le rapporteur.
Lors des travaux en commission, M. Capus a indiqué que cette proposition de loi pourrait être déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel, le taux de 2 % étant confiscatoire.
Notre proposition est très simple. La seule chose qui nous importe, aujourd'hui, est de mettre en œuvre le mécanisme fiscal dont nous débattons.
Le groupe socialiste suggère, comme il le fait depuis de nombreuses années lors de l'examen de chaque projet de loi de finances, de mettre en place un taux un peu moins élevé, de 1 %. Cette mesure permet d'éviter le risque d'inconstitutionnalité, ce qui va dans le bon sens.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Je veux tout d'abord saluer l'auteur de cet amendement, car il a tenu compte des observations du rapporteur. (Sourires.)
M. Yannick Jadot. C'est flatteur !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Nous avons eu un dialogue sur cette question et vous avez reconnu qu'un taux de 2 % exposait le texte à un risque d'inconstitutionnalité extrêmement élevé.
Il est dommage que vos collègues du groupe GEST n'aient pas tenu compte de cet argument – je le dis notamment à l'intention de M. Jadot, qui estime que nous vivions dans une ploutocratie.
De nombreux problèmes ont été relevés dans le cadre de cette proposition de loi et je me réjouis que vous ayez identifié l'un d'entre eux.
M. Guy Benarroche. Vous allez donc émettre un avis favorable ?
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Cependant (Ah ! sur les travées du groupe GEST.), comme je l'ai écrit dans mon rapport et rappelé à la tribune, un taux supérieur à 0,5 %, sans plafonnement, crée une incertitude absolue quant à la constitutionnalité du texte.
La raison est simple : par principe, cette taxe nécessitera, dans la plupart des cas, l'aliénation d'une partie du patrimoine du contribuable, dès lors qu'on vise les patrimoines exclusivement constitués d'actions.
Ainsi, une difficulté constitutionnelle demeure, sans compter tous les problèmes que j'avais soulevés par ailleurs, dont le risque opérationnel de valorisation et de liquidité des entreprises et le risque de fuite des entreprises.
Vous allez sans doute me répondre qu'il n'y aura pas d'exil fiscal. Il existe bel et bien des dispositifs anti-exil,…
M. Grégory Blanc. Eh oui, l'exit tax !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. …mais pensez-vous sincèrement que ceux qui ont un patrimoine de 90 millions d'euros vont rester sagement en France en sachant qu'ils sont assujettis à votre taxe ?
Soyons sérieux, aucun d'eux ne restera dans notre pays ! (Protestations sur les travées du groupe GEST. – Mme Catherine Conconne s'exclame.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Le Gouvernement émet, lui aussi, un avis défavorable, compte tenu du risque d'inconstitutionnalité. Une chose est sûre : sans plafonnement, seul un taux maximum de 0,5 % est autorisé par le Conseil constitutionnel. (M. Guy Benarroche proteste.)
On peut toujours se lancer dans de grandes croisades, mais, encore une fois, je vous relate les faits. Prévoir un taux de 1 % ne résoudra pas le problème !
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.
Mme Ghislaine Senée. Le groupe GEST s'abstiendra sur cet amendement, car nous pensons que seul un taux de 2 % permettra d'atteindre le seuil d'équité.
Toutefois, madame la ministre, je voudrais revenir sur les dispositifs que vous souhaitez porter à notre connaissance dans le cadre du projet de loi de finances, comme l'IFI. Au passage, si ce débat peut vous permettre de gagner un arbitrage, ce sera toujours ça de pris !
Je ne voudrais pas que, dans cet hémicycle, on mette en place une mesure de type dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico). Je rappelle que, à l'origine, le gouvernement Barnier souhaitait un dispositif touchant les grandes communes qui disposent de larges ressources.
Aujourd'hui, force est de constater que de nombreuses petites communes sont obligées de débourser 4 000, 6 000, voire 10 000 euros ; j'imagine que vous avez des remontées du terrain sur cette question, madame la ministre.
Les dispositifs fiscaux que vous proposez procèdent exactement de la même logique ! La taxe Zucman concerne 1 700 foyers, tandis que le Gouvernement souhaite toucher 60 000 foyers. En d'autres termes, vous allez attaquer les entrepreneurs, les dirigeants de PME et les professions libérales.
Cela ne correspond pas à notre volonté aujourd'hui. Encore une fois, nous souhaitons que les 1 700 foyers qui ne paient pas d'impôts comme le reste de la population soient enfin mis à contribution.
À force de vouloir diluer le problème, vous allez nuire à la créativité et à l'innovation, ce qui n'est pas le cas du dispositif que nous proposons.
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour explication de vote.
Mme Florence Blatrix Contat. Je serai très rapide : 2 %, c'est trop ; 1 %, c'est encore trop ! Lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, mon groupe avait proposé la mise en place d'un seuil d'imposition de 0,5 %.
Nous aurions pu tester ce dispositif, mais il n'a pas été voté. J'y vois donc une opposition de principe de votre part.
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.
M. Yannick Jadot. Nous avons appliqué l'impôt plancher à la fortune de Bernard Arnault. Cela vous permettra sans doute de comprendre ce que nous proposons, madame la ministre, car, visiblement, il y a eu quelques malentendus.
En 2024, M. Arnault possédait un patrimoine de près de 190 milliards d'euros : tout va bien pour lui. Si on appliquait l'impôt plancher, il devrait, pour atteindre le seuil de 2 %, s'acquitter de 3,8 milliards d'euros supplémentaires.
Si, au cours des cinq prochaines années, il continue de s'enrichir comme il l'a fait au cours des dix dernières années – il sera peut-être même encore plus riche, puisqu'il est ami avec Donald Trump –, sa fortune sera passée de 186 milliards à 297 milliards d'euros entre 2024 et 2028 !
Malgré cet enrichissement de 100 milliards d'euros, M. Arnault devrait s'acquitter de l'impôt plancher à hauteur de 6 milliards d'euros en 2028, soit le rendement du prélèvement forfaitaire unique (PFU).
Vous voyez bien que l'impôt que nous proposons n'est pas confiscatoire. Il s'agit seulement d'une contribution supplémentaire puisque les plus riches vont, de fait, continuer à s'enrichir.
Je vous rappelle, madame la ministre, que le Conseil d'orientation des retraites (COR), dans son rapport relatif aux prélèvements sur le capital, a clairement indiqué que le PFU et la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) n'ont conduit à aucune création d'emploi ni à aucun investissement.
Enfin, chers collègues de droite, vous parlez des exilés fiscaux en vous targuant d'aimer la France. À vous entendre, on a le sentiment que les super-riches sont juste des mercenaires et que, s'ils vivent dans notre pays et jouissent de la nationalité française, c'est uniquement en raison de leur taux d'imposition.
Quelle vision décliniste et pessimiste vous avez de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.) Pour ma part, je suis sûr que ce sont des patriotes et qu'ils paieront leur juste part.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par MM. Savoldelli, Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 32
Remplacer les mots :
valeur nette taxable du patrimoine du redevable
par les mots :
fraction de la valeur nette taxable du patrimoine du redevable comprise entre 100 millions d‘euros et 1 milliard d'euros et de 5,1 % à la fraction excédant 1 milliard d'euros ;
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Les plus anciens d'entre nous se souviendront des propos que je m'apprête à rappeler. Je me permettrai, avec toute l'estime et le respect que j'ai pour lui, de prendre à témoin notre collègue Dominique de Legge, qui s'est exprimé pour le groupe Les Républicains lors de la discussion générale.
En 1981, face à Jean-Pierre Elkabbach, Georges Marchais lançait : « Au-dessus de 40 000 francs, je prends tout ! » (Rires.) Aujourd'hui, nous dirons juste : « Au-dessus de 1 milliard d'euros, nous prenons ce qu'il faut ! »
M. Emmanuel Capus, rapporteur. C'est-à-dire tout !
M. Pascal Savoldelli. Ce qu'il faut, c'est 40 milliards d'euros, madame la ministre. Justement, cet amendement devrait aider le Gouvernement à boucler son budget pour 2026.
On parle d'un effort national, mais force est de constater qu'il est à géométrie variable ou constante, selon les jours.
Ce n'est pas nous qui avons parlé de la hausse de la TVA sur les produits du quotidien ; ce n'est pas nous qui évoquons des suppressions de postes dans la fonction publique ; ce n'est pas nous qui osons proposer une année blanche pour les collectivités, c'est-à-dire deux années noires pour nos concitoyens s'agissant des services publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je n'en ai pas parlé non plus !
M. Pascal Savoldelli. Pendant ce temps, qui est épargné ? Ceux dont la richesse atteint un niveau tel qu'elle en devient presque abstraite, dissimulée dans des holdings, diluée dans des trusts et camouflée dans des montages fiscaux.
On nous dit que cette richesse est illiquide ; c'est un terme que j'ai découvert à l'occasion de ces débats. Elle est pourtant très concrète lorsqu'il s'agit d'influencer l'économie, les médias et la politique.
Notre amendement vise donc à corriger ce déséquilibre en imposant une contribution sur les très grandes fortunes à un taux inchangé de 2 %, au-delà de 100 milliards d'euros, et avec un taux de 5,1 % pour la fraction de patrimoine qui dépasse le milliard d'euros. Ce taux de 5,1 % est, selon nous, un taux raisonné et raisonnable.
Au cours des quarante dernières années, la rentabilité moyenne des grandes fortunes avoisinait les 7,5 % par an. Le dispositif proposé permettra de capter 68 % de cette rentabilité, et non du capital. Soyez rassurés, cela laissera aux ultrariches un gain net de 2,4 % par an, soit l'équivalent… du taux du livret A ! (Marques d'impatience à droite.)
M. Pascal Savoldelli. Ce n'est pas de la confiscation. Notre amendement reflète simplement la volonté de la majorité des Français.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Cet amendement me laisse songeur.
M. Pascal Savoldelli. C'est bien !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Je suis admiratif, car vous partez du constat que certaines entreprises rapportent beaucoup d'argent, soit plus 800 %, comme vous et votre collègue Jadot l'avez affirmé tout à l'heure.
………………………………………………
Si j'étais libéral, je serais tenté de confier la gestion de nos retraites à ce type d'investisseurs ! Plus 800 % en quelques années, 7,5 % de rentabilité… Imaginons que nous mettions en place un système de retraite par capitalisation fondé sur les mécanismes utilisés par les personnes que vous évoquez : les Français, qui ne sont pas certains d'avoir un jour une retraite, auraient une pension bien plus généreuse qu'aujourd'hui ! (MM. Guillaume Gontard et Daniel Salmon s'exclament.)
En adepte pur et dur de Karl Marx, vous en tirez des conséquences différentes. Soit ! (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K, GEST et SER.)
Marx disait : « Il n'y a qu'une seule façon de tuer le capitalisme : des impôts, des impôts et toujours plus d'impôts. » (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Vous nous proposez donc un impôt au taux totalement confiscatoire de 5,1 %. Si vous aviez voulu réinventer la fable de La Fontaine La Poule aux œufs d'or, vous n'auriez pas fait mieux ! (M. Yannick Jadot s'exclame.) Mais il convient de rappeler la fin de la fable : le maître de la poule miraculeuse, après l'avoir tuée, « l'ouvrit, et la trouva semblable à celles dont les œufs ne lui rapportaient rien ».
L'avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. On compte quarante-neuf milliardaires de nationalité française, et tous ne sont pas résidents fiscaux.
Si nous leur envoyions ce signal, ces quelques dizaines de personnes quitteraient évidemment le territoire. C'est peut-être votre objectif, mais alors, autant l'écrire dans l'amendement.
Derrière la plupart de ces personnes, il y a des entreprises. Derrière les entreprises, il y a des emplois, et encore derrière, il y a des brevets et du rayonnement.
Mme Ghislaine Senée. Et les savoir-faire ?
M. Yannick Jadot. Et les services publics ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je comprends bien que cet argument peine à convaincre ceux qui considèrent qu'il existe une solution facile, dont nous nous priverions pour des raisons incompréhensibles.
L'avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Savoldelli, Barros, Dossus et Cozic, Mme Apourceau-Poly, MM. Bacchi, Basquin et Brossat, Mmes Brulin et Corbière Naminzo, M. Corbisez, Mme Cukierman, M. Gay, Mmes Gréaume et Margaté, M. Ouzoulias, Mmes Silvani et Varaillas et M. Xowie, est ainsi libellé :
Alinéa 46
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu'il justifie, par une réclamation motivée jointe à la déclaration mentionnée au I de l'article 885 M, de l'impossibilité totale ou partielle de s'acquitter immédiatement de l'impôt plancher sur la fortune en raison du caractère illiquide de ses actifs, le redevable peut solliciter de l'administration fiscale un échelonnement ou un report du paiement. Cet échelonnement ou ce report, accordé pour une durée maximale de cinq ans à compter de la date d'exigibilité de l'impôt, est subordonné à la constitution, au profit du Trésor public, d'une sûreté portant sur une fraction équivalente des actifs imposables, sous la forme d'un nantissement conforme à l'article L. 211-20 du code monétaire et financier ou de toute garantie équivalente, notamment un gage immobilier. L'administration fiscale peut, sous réserve d'une décision motivée, refuser une sûreté d'une valeur incertaine. En l'absence de fait générateur de liquidité tel qu'une cession, une donation ou une transmission à titre gratuit du bien grevé, le délai mentionné ci-dessus peut être renouvelé une seule fois pour une durée maximale de cinq ans.
« Les modalités d'appréciation de ces garanties, les conditions de leur constitution, ainsi que les modalités de renouvellement du report ou de l'échelonnement, sont fixées par décret en Conseil d'État ; »
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. J'espère, monsieur le rapporteur, que vous n'aurez pas cette fois La Fontaine pour seule réponse et que votre lecture de Karl Marx sera plus aiguisée !
À chaque tentative de mise à contribution des grandes fortunes, une phrase revient comme un réflexe de classe : « Vous comprenez, ce patrimoine n'est pas liquide. »
En effet, c'est compliqué, l'argent ciblé n'est pas disponible. Mais cette situation ne tombe pas du ciel ! Elle est le résultat d'une stratégie volontaire et planifiée, parfaite pour échapper à l'impôt.
Prenons un exemple quelque peu caricatural, mais très proche de la réalité. Imaginez un boulanger dans un village. Chaque jour, il vend ses baguettes – sauf le 1er mai ! (Rires.) –, empoche l'argent, le déclare et paye ses impôts.
Imaginez maintenant un milliardaire. Il possède dix entreprises, mais au lieu d'empocher directement les profits, il crée une holding, puis une deuxième, qui possède la première, et ainsi de suite. Résultat, les profits ne remontent jamais vraiment jusqu'à lui en tant que revenus : ils restent coincés dans les étages du château fiscal.
Qu'y a-t-il sur la feuille d'impôt de cette personne ? Rien ! Dans ses comptes ? Des milliards ! On appelle cela de l'« illiquidité volontaire ». C'est un peu comme si notre boulanger disait : « Je ne veux pas payer mes impôts, parce que j'ai enfermé tout mon argent dans le four à pain. » (Sourires.)
Soyons sérieux. Notre position est simple : l'État ne peut pas se faire balader par des gens qui organisent eux-mêmes leur insolvabilité fiscale.
Dès lors, comme le prévoyait la version initiale du texte, notre amendement vise à rendre possible un report ou un échelonnement du paiement en cas de difficulté de trésorerie liée à la structure des actifs. Ce point, me semble-t-il, peut nous rassembler. Nous posons toutefois une condition : le ou la redevable doit donner une garantie réelle sur ses actifs, ce qu'on appelle un nantissement, en d'autres termes un gage sur ses biens.
En bref, l'État est créancier, pas pigeon ! Je le répète, madame la ministre, l'absence de liquidité ne vaut pas immunité !
M. le président. L'amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Daubet, Roux, Bilhac et Fialaire, est ainsi libellé :
Alinéa 46, première phrase
Remplacer le mot :
cinq
par le mot :
six
La parole est à M. Raphaël Daubet.
M. Raphaël Daubet. Il s'agit d'un nouvel amendement compassionnel, rédigé dans l'espoir d'émouvoir le rapporteur, à défaut de le faire sourire…
Nous proposons d'aménager la période d'échelonnement du paiement de l'impôt, en la portant de cinq à six ans.
M. le président. L'amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Grosvalet, Daubet et Bilhac, Mme Briante Guillemont et M. Fialaire, est ainsi libellé :
Alinéa 46
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Lorsqu'elle est effectuée en vue d'acquitter l'impôt plancher sur la fortune, la cession, totale ou partielle, des actions détenues par un redevable dans une entité exerçant une activité relevant des secteurs mentionnés à l'article L. 151-3 du code monétaire et financier est subordonnée à l'obtention d'une autorisation préalable du ministre chargé de l'économie.
La parole est à M. Raphaël Daubet.
M. Raphaël Daubet. Cet amendement est plus sérieux : il a été rédigé par mon collègue Philippe Grosvalet. (Rires.)
M. Emmanuel Capus, rapporteur. C'est honnête !
M. Raphaël Daubet. Il vise à soumettre la vente d'actions détenues dans une entreprise relevant d'un des secteurs mentionnés aux articles L. 151-3 et R. 151-3 du code monétaire et financier au dispositif de contrôle des investissements étrangers en France.
Il s'agit évidemment de se prémunir contre la vente d'entreprises qualifiées de stratégiques.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Emmanuel Capus, rapporteur. L'amendement n° 2 rectifié de M. Savoldelli, assez surprenant, vise à créer un nouveau type de nantissement.
Sans entrer dans le détail, cet objet juridique pour le moins novateur semble complexe à mettre en œuvre.
Par ailleurs, je ne suis pas du tout convaincu, mes chers collègues, que si vous aviez la mauvaise idée de voter ce texte, il faudrait voter cet amendement. C'est donc un avis défavorable.
Monsieur Daubet, au travers de votre amendement n° 5 rectifié – quelque peu antinomique, d'ailleurs, avec celui de M. Savoldelli –, vous reconnaissez d'une certaine façon les difficultés de liquidité que je soulignais.
C'est assez dingue : dès le départ, les auteurs du texte anticipent qu'une bonne partie, peut-être une majorité, des contribuables visés seront, faute de liquidités, dans l'incapacité de s'acquitter de cet impôt.
Je ne parle même pas du cas des start-up. Par définition, la valorisation des actifs – je l'ai très rapidement abordée tout à l'heure – rend l'impôt totalement impossible à payer.
Pour y remédier, voilà qu'on invente un système d'échelonnement. Honnêtement, que le délai soit de cinq ou six ans – six ans seraient bien sûr préférables –, peu importe : c'est un avis défavorable.
Le professeur Zucman lui-même a prévu un autre dispositif, que je m'étonne d'ailleurs de ne pas trouver dans le texte. Il suggère, puisque ces contribuables ne pourront pas payer l'impôt, que leurs biens soient saisis, ou qu'ils le payent en actions.
M. Pascal Savoldelli. Cela pourrait faire l'objet d'un amendement.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. L'État deviendrait alors actionnaire d'une multitude de sociétés. Il se muerait en un gestionnaire de portefeuille, si toutefois les pactes familiaux autorisent les contribuables en question à vendre leurs actions. C'est ubuesque !
Mme Antoinette Guhl. Ce n'est pas dans le texte !
M. Guy Benarroche. C'est la suite !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. En effet, c'est la suite logique et nécessaire, selon Gabriel Zucman, un économiste auquel vous semblez prêter une oreille attentive… (M. Yannick Jadot s'exclame.)
Enfin, les auteurs de l'amendement n° 8 rectifié posent un problème très sérieux : l'État ne devrait-il pas être en mesure de contrôler la cession d'actions dans des entreprises à caractère stratégique, notamment dans le domaine de la défense ?
Si les contribuables actionnaires sont contraints de vendre leurs actions, nous aurons évidemment cette difficulté.
Pour ce qui est de la défense nationale, cet amendement est en réalité satisfait : il ne peut de toute façon y avoir de vente sans autorisation de l'État.
Toutefois, bien d'autres entreprises, dans d'autres secteurs, pourraient être concernées. Les familles d'actionnaires dont il est question comptent parfois des dizaines de membres. Je pense aux propriétaires de Seb ou de Pernod Ricard – des entreprises extérieures au secteur de la défense, mais extrêmement implantées sur le territoire national –, qui devront demain, si on les force à payer cet impôt, céder leurs actions.
Il s'ensuivra des difficultés capitalistiques extraordinaires qui mettront ces entreprises dans une situation très précaire, à la merci de prédateurs étrangers qui, eux, ne seront pas soumis aux mêmes règles fiscales.
M. Jadot se demandait tout à l'heure dans quel pays nous vivons. Eh bien ! nous vivons dans un pays qui n'est pas isolé. En fait, nous vivons au milieu du monde !
Or, dans le monde qui nous entoure, la taxe Zucman n'a pas été adoptée.
M. Thomas Dossus. Pas encore !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Le professeur Zucman proposait que sa taxe soit mondiale. Ce n'est pas le cas de cette proposition. Or être précurseur en la matière est très loin d'être une bonne idée. Vous savez, si les autres ne le font pas, peut-être y a-t-il des raisons !
La commission a donc émis un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il est également défavorable.
Prenons un cas pratique. J'évoquais VivaTech. L'une de ses entreprises phares, Mistral AI, a été fondée par trois jeunes entrepreneurs français, qui détiennent aujourd'hui la moitié de son capital. Elle est devenue l'un des piliers de notre souveraineté, française et européenne.
Sachant que Mistral AI est aujourd'hui valorisée à 6 milliards d'euros (M. Yannick Jadot s'exclame.), ses trois actionnaires individuels disposent ensemble d'un patrimoine théorique de 3 milliards d'euros. Si la taxe Zucman leur était appliquée, ils devraient payer chaque année, à eux trois 2 % de 3 milliards d'euros, soit 60 millions d'euros, bien au-delà du salaire que leur verse l'entreprise, seule somme qu'ils touchent réellement.
Si le but réel est que l'État devienne actionnaire de Mistral AI, cela porte un nom : une nationalisation rampante. C'est un projet ; ce n'est pas le mien.
La deuxième option est de faire en sorte que ces personnes vendent des actions d'une valeur de 60 millions d'euros chaque année.
Nous vendrions alors ce pilier de notre souveraineté – celui-là même que nous sommes en train de construire – au tout-venant. Nous offririons à qui voudrait s'enrichir la possibilité de prendre chaque année le contrôle de 2 % de la part de l'entreprise appartenant à ses investisseurs et fondateurs.
M. Thomas Dossus. C'est l'exception !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Monsieur le sénateur, un grand nombre des entreprises que vous décrivez, celles qui sont valorisées à hauteur de plusieurs milliards d'euros et qui ne versent pas de dividendes, sont nos licornes, nos géants de l'innovation.
Nous avons mis tant d'années à installer les conditions pour que ces entreprises, qui jusqu'alors étaient créées par des Français aux États-Unis, soient développées en France !
Vous pointez vous-même la difficulté qui fait que je suis défavorable à ces trois amendements.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié ter, présenté par Mme N. Goulet, M. Delcros, Mme Senée et MM. E. Blanc et Mellouli, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Dans un délai de trois mois et en tous les cas avant la discussion budgétaire, le Gouvernement fournit au Parlement le nombre exact de personnes soumises à l'impôt plancher sur la fortune lorsque la valeur de leurs actifs mentionnés aux articles 885 B à 885 H du code général des impôts est supérieure à 100 millions d'euros et l'évolution de leur patrimoine sur cinq ans d'application des dispositions proposées.
La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Par cet amendement, ma collègue Nathalie Goulet demande au Gouvernement de fournir au Parlement, avant l'examen de la loi de finances, le nombre de personnes qui seraient concernées par cette disposition, ainsi que l'évolution de leur fortune sur les cinq dernières années.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Emmanuel Capus, rapporteur. J'entends le raisonnement : en l'absence d'étude d'impact, il serait à tout le moins souhaitable, a posteriori, de disposer d'un rapport.
L'idée de déterminer les personnes qui seraient redevables de ce nouvel impôt ne me paraît pas totalement déraisonnable. Toutefois, il serait plus logique de disposer de ces informations avant le vote du texte.
Vous savez par ailleurs, en tant que membre de la commission des finances, combien celle-ci est dubitative quant à l'intérêt des rapports.
Nous avons ensuite un problème de fond. Sans conteste, s'appuyer, en l'absence d'accès aux sources directes, sur les classements du magazine Forbes pour estimer le nombre de contribuables concernés, comme le fait le professeur Zucman, n'est pas extrêmement satisfaisant. (Mme Sophie Briante Guillemont et M. Raphaël Daubet acquiescent.) Il serait indéniablement préférable de disposer du nombre précis de contribuables qui seraient visés.
Enfin et surtout, votre amendement ne me semble pas tenir la route. Vous demandez à Bercy de vous donner, dans un délai de trois mois, le nombre exact de personnes assujetties à ce nouvel impôt. Sauf que Bercy n'a absolument pas ces chiffres !
M. Grégory Blanc. Justement !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. J'ai auditionné des représentants du ministère : je parle sous votre contrôle, madame la ministre, mais depuis la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), Bercy ne dispose plus d'informations sur les patrimoines. Les dernières données datent de 2016 !
Dans ces conditions, je ne vois pas très bien comment, techniquement, on pourrait connaître le patrimoine immatériel, constitué de parts de sociétés, des contribuables. (MM. Yannick Jadot et Grégory Blanc s'exclament.)
L'avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mon avis est très simple : cette demande de rapport, au fond, est satisfaite.
Dans une logique, si ce n'est de réduction, du moins d'efficacité de la dépense publique, je vous invite tous à lire l'étude annuelle de l'Insee intitulée Les revenus et le patrimoine des ménages. Vous y trouverez très régulièrement toutes les informations réclamées par Mme Goulet.
Si les fonctionnaires de la direction générale des finances publiques pouvaient être mobilisés plutôt sur le contrôle fiscal que sur l'écriture de rapports déjà fournis par l'Insee, les objectifs de cette assemblée seraient mieux servis.
M. Pascal Savoldelli. Chantage !
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour explication de vote.
M. Bernard Delcros. Cet amendement, si j'en crois Mme la ministre, est satisfait. C'est bien la preuve, monsieur le rapporteur, qu'il n'était pas si difficile d'obtenir ces informations !
Dès lors, je retire l'amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié ter est retiré.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Je vais mettre aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi, modifié.
Je rappelle que le vote sur l'article vaudra vote sur l'ensemble de la proposition de loi.
La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.
Mme Ghislaine Senée. L'exercice est très difficile : notre temps de parole est limité, car nous souhaitons pouvoir achever l'examen du second texte de notre ordre du jour réservé. Allons donc à l'essentiel !
Il est scandaleux qu'il y ait en France aujourd'hui des personnes sur lesquelles nous ne disposons d'aucune donnée de nature fiscale, notamment sur leur patrimoine mobilier, alors même que chaque Français doit déclarer ses revenus dans les moindres détails. Nous devons absolument résoudre ce problème.
Je tiens ici à remercier Éva Sas et Clémentine Autain d'avoir déposé cette proposition de loi, puis de l'avoir défendue à l'Assemblée nationale.
Concernant l'exil fiscal, lors de l'instauration de l'ISF, certaines des 350 000 personnes ciblées auraient cédé à la tentation. Qui les connaît ? Personne ! Nul ne saurait citer ne serait-ce qu'un ou deux noms.
En l'espèce, nous connaissons les 1 700 foyers concernés par la nouvelle taxe. Nous savons de qui il s'agit : Bernard Arnault, les familles Hermès, Wertheimer, Bettencourt, Saadé, Dassault, Mulliez, Pinault, Niel, Besnier… Reconnaissons que ces personnes ont contribué à l'essor de la France.
J'imagine que, si vous les défendez autant, madame la ministre, c'est que vous les considérez comme des serviteurs de l'État.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Non !
Mme Ghislaine Senée. Pour changer, je conclurai par une référence philatélique. Pendant la guerre, en 1945, une flamme illustrée de La Poste – c'était à l'époque un véritable service public – disait : « Gaspiller, c'est trahir ; économiser, c'est servir. »
Pour ma part, je pense que les personnes les plus riches de France ne trahiront pas leur pays. Au contraire, elles sont fières de ce qu'elles ont réussi à construire, pour elles, pour leur famille, pour leurs petits-enfants. Cessez donc de dire qu'elles partiront nécessairement ! C'est leur faire offense.
Payer ses impôts, c'est servir. Refuser de les payer à hauteur de ses facultés, c'est trahir ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Barros, pour explication de vote.
M. Pierre Barros. Notre groupe votera évidemment cette proposition de loi, qui rompt enfin avec un récit politique devenu délirant, celui selon lequel les plus riches seraient trop fragiles pour contribuer au redressement des finances publiques et les pauvres trop solides pour être épargnés.
C'est un sujet d'importance, de justice sociale ; malheureusement, il est terriblement d'actualité.
Ce texte vise ceux pour qui la richesse n'est plus un revenu, mais une rente ; une rente qui, à 7,5 % de rendement annuel net d'inflation, prospère sans jamais ruisseler vers l'intérêt général.
Cette richesse accumulée ne produit ni emploi, ni innovation, ni bien commun. Elle n'est qu'un levier, un capital, un pouvoir d'influence sans bornes.
Pendant ce temps, les services publics trinquent, à l'image de l'hôpital, de l'école ou des collectivités locales, qui doivent faire plus avec moins, jusqu'à l'épuisement.
Face à cela, que nous rétorque-t-on ? Qu'il ne faudrait pas envoyer un mauvais signal aux grandes fortunes ; qu'un impôt minimum de 2 %, même au-delà de 100 millions d'euros de patrimoine, serait une agression !
Mais enfin, mes chers collègues, depuis quand la justice fiscale est-elle devenue un risque ? Depuis quand la République doit-elle s'excuser d'exister face aux intérêts privés ?
L'ironie, c'est que vous continuez à parler le langage de la rationalité économique tout en défendant une situation d'absurde irrationalité.
Quel État pourrait vouloir réduire sa dette tout en épargnant ceux qui peuvent la financer sans rien perdre de leur train de vie ? Quelle majorité peut prétendre défendre l'ordre républicain tout en acceptant que 0,01 % de la population vive hors du champ commun de l'impôt ?
Ce n'est pas une politique : c'est un privilège, un privilège de plus, et des plus indécents.
Ce texte est une mesure de justice et de santé démocratique. Il est le seul à pouvoir redonner du sens au beau mot d'égalité, inscrit au fronton de nos mairies. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour explication de vote.
M. Thierry Cozic. Le groupe socialiste votera bien évidemment cette proposition de loi inscrite dans la niche du groupe GEST, que je remercie de cette belle initiative.
La contribution de chaque Français, en fonction de ses moyens, au redressement des finances publiques est une question centrale dans le débat public d'aujourd'hui. Je ne me fais guère d'illusion, toutefois, sur la suite qui sera donnée dans un instant à cette proposition de loi.
En cohérence avec la ligne du Gouvernement, la majorité sénatoriale poursuit la politique de l'offre menée depuis huit ans. Les résultats, mes chers collègues, sont à la hauteur des attentes ! un endettement à hauteur de 3 300 milliards d'euros, une croissance atone, des défaillances d'entreprises qui se multiplient, des destructions d'emplois et un effort de 40 milliards d'euros demandé pour le prochain budget, uniquement pour l'année 2024…
Madame la ministre, je m'adresse à vous solennellement, au nom du groupe socialiste, pour vous rappeler que votre présence sur ce banc ne tient que parce que les socialistes ont agi de façon responsable.
Mais cette responsabilité n'allait pas sans engagement de votre part. Nous n'avons pas signé de chèque en blanc ! Vous avez pris un engagement, qui figure dans l'accord que nous avons noué avec le Premier ministre : mettre en place une contribution sur les hauts patrimoines, afin de tendre vers plus de justice fiscale, cette justice fiscale que huit années de macronisme ont annihilée.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Il ne fallait pas censurer !
M. Thierry Cozic. À ce jour, aucune piste qui témoignerait du respect de la parole donnée ne semble se dessiner.
Je vous le dis franchement : le refus, après quelques mois, de cette taxe, aussi minimale soit-elle, ne présage rien de bon pour les échéances automnales, qui pourraient se révéler périlleuses pour le Gouvernement.
Je vous le répète solennellement : si vous comptez nous payer en monnaie de singe, en considérant que notre soutien est acquis, alors le prochain budget sera sûrement le dernier de ce gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Marques d'impatience sur les travées du groupe GEST.)
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Madame Senée, évitons, si possible, de monter les Français les uns contre les autres ! (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
C'est pourtant ce que vous faites, quand vous prétendez pouvoir résoudre les problèmes des Français les plus pauvres en taxant les plus riches.
M. Yannick Jadot. Cela s'appelle la République !
Mme Antoinette Guhl. C'est une question de justice !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Permettez-moi de rappeler quelques chiffres. Comme l'a dit fort justement Michel Canévet, tous les Français paient beaucoup d'impôts. C'est aussi le cas des Français les plus riches – je ne parle pas des ultrariches.
Ainsi, selon l'IPP, l'impôt est progressif pour 99,9 % de la population. Le chiffre de 50 % avancé par Gabriel Zucman, qui a beaucoup été cité dans le débat, est erroné, puisque le taux effectif maximum d'imposition est de 46 %. Seuls les 0,1 % les plus riches, les plus hauts des plus hauts, ne seraient imposés qu'à hauteur de 26 %. Comme l'a dit Mme la ministre, il y a là un problème à régler, une certaine égalité à rétablir entre ceux qui paient 26 % et ceux qui paient 46 %.
Une première façon de le faire serait déjà de baisser le taux marginal de l'impôt sur le revenu, qui reste beaucoup plus élevé qu'ailleurs. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Nous avons fait un effort sur l'impôt sur les sociétés, mais pas assez sur l'impôt sur le revenu, d'où cette différence de traitement.
En tout état de cause, ne laissons pas penser que les Français, en particulier les plus riches, ne paient pas d'impôts. C'est totalement faux !
Le seul sujet que nous devons traiter est la progressivité de l'impôt sur les plus hauts revenus. (Marques d'impatience sur les travées du groupe GEST.) Il existe d'autres solutions – nous en avons listé certaines – que de créer un nouvel impôt (Mme Antoinette Guhl s'exclame.) Celui que vous proposez serait inopérant autant qu'inefficace.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi, modifié, instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et, l'autre, du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 322 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 317 |
Pour l'adoption | 129 |
Contre | 188 |
Le Sénat n'a pas adopté.
7
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Lors des scrutins publics nos 317 et 318, portant respectivement sur l'article 1er et sur l'ensemble de la proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone, ma collègue Annick Petrus souhaitait s'abstenir et non voter contre.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l'analyse politique du scrutin concerné.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Mieux protéger les écosystèmes marins
Rejet d'une proposition de loi modifiée
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, de la proposition de loi visant à mieux protéger les écosystèmes marins, présentée par Mme Mathilde Ollivier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 492, résultat des travaux n° 698, rapport n° 697).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Mathilde Ollivier, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mathilde Ollivier, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me tiens aujourd'hui à cette tribune avec une certaine émotion, parce que ce texte, ce combat, est politique, mais aussi profondément personnel.
Petite-fille et arrière-petite-fille de pêcheurs de Concarneau et d'ouvrières dans les conserveries de la ville, j'ai grandi au rythme des histoires de pêche et de naufrages, des récits de la dureté d'un métier que les hommes commençaient alors qu'ils sortaient à peine de l'enfance, des histoires extraordinaires de requins-baleines, de dauphins ou de thons énormes ; au rythme aussi des réveils au milieu de la nuit, enfant, pour partir en pêche, puis voir le soleil se lever depuis la mer, les lignes à l'eau.
Aimer l'océan, c'est accepter de le regarder en face. C'est décider de ne pas ignorer ce qu'il endure et choisir de le défendre. C'est prendre conscience que le protéger, c'est protéger l'humanité elle-même.
Or, aujourd'hui, l'océan est à bout de souffle !
Ce bien commun, qui couvre 70 % de la surface de notre planète, régulateur du climat, source d'oxygène et de vie, est devenu une victime silencieuse. Canicules sous-marines, pollution plastique, effondrement des stocks de poissons, disparition des habitats, abrasion des fonds marins : l'océan est la poubelle d'un monde qui décide de voir les éléments naturels comme une simple ressource à exploiter, à épuiser, puis à abandonner.
Mais je vous spoile la suite de l'histoire, ou plutôt ce sont les Amérindiens qui l'ont fait bien avant moi : « Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson, alors ils s'apercevront que l'argent ne se mange pas. »
Le problème, c'est que les industriels de la pêche, eux, auront déjà réinvesti tout leur argent dans d'autres domaines ; ils fermeront boutique et s'en iront.
Et celles et ceux qui resteront, eux, devront faire avec les choix politiques et économiques qui auront réussi à détruire en quelques décennies une activité séculaire, la pêche faisant vivre des milliers de gens. Et alors, que leur restera-t-il ?
Selon la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), équivalent du Giec pour la biodiversité, la surpêche est la principale cause des maux de l'océan. La biomasse s'effondre : disparation de 90 % des grands poissons depuis 1950, diminution de 54 % des poissons prédateurs en quarante ans. La réalité scientifique est sans appel : nous avons vidé la mer bien plus vite que nous ne l'avons protégée.
Alors que la conférence des Nations unies sur les océans (Unoc) de Nice touche à sa fin, la France a tenu le devant de la scène. Avec le deuxième domaine maritime mondial, notre pays était attendu. Notre responsabilité était immense.
Le Président de la République a indiqué vouloir limiter l'activité des chaluts de fond dans certaines zones des aires marines protégées. La contradiction est dans la phrase même : chaluts et aires marines protégées sont antinomiques. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dont la France est membre et dont les définitions devraient faire foi, en particulier lors d'un sommet international.
Le décalage entre les annonces et la réalité est saisissant. Rendez-vous compte : aujourd'hui, seulement 1,6 % des eaux françaises sont réellement protégées, 0,1 % des eaux voisines de l'Hexagone, alors même que le Président de la République s'enorgueillit d'avoir protégé 30 % des eaux françaises.
Disons les choses clairement : le flou persiste, ces annonces ne sont pas à la hauteur. Elles reconduisent des engagements déjà pris, parfois même déjà trahis. Elles entretiennent l'ambiguïté sur ce qu'est une protection « stricte », en maintenant un régime français de protection « forte » qui n'est pas satisfaisant.
Avec ces annonces, la France est encore loin des recommandations de l'Union européenne, qui préconise d'interdire tous les types de pêche dans au moins 10 % des eaux. Nous sommes loin d'une protection réelle et stricte de nos aires marines protégées.
Ainsi, nous avons en image toutes les limites d'un tel sommet : la crédibilité de la France ne se joue pas seulement dans les grands discours diplomatiques, elle se joue surtout dans la cohérence de sa politique à l'échelon national. Or, sur ce point, l'amertume domine.
C'est tout simplement l'objectif de cette proposition de loi et peut être la dernière occasion pour le Gouvernement de sortir par le haut : alignons enfin la définition des aires marines protégées avec les standards européens et internationaux. Est-ce trop demander au Gouvernement et à la majorité sénatoriale ?
C'est à nous, mes chers collègues, d'être à la hauteur de l'événement. La cohérence se joue également ici, dans cet hémicycle. Elle se joue dans notre capacité à légiférer avec courage.
Le texte que nous examinons aujourd'hui est la traduction concrète de ce que le contexte de l'Unoc aurait pu et dû produire en France : la mise en œuvre d'une protection effective, concrète, juste.
Les aires marines dites protégées couvrent certes 33 % de notre zone économique exclusive, mais que protège-t-on réellement, alors que ces zones continuent d'être soumises au chalutage de fond et à d'autres techniques destructrices, alors que les mégachalutiers continuent de prélever jusqu'à 250 tonnes de poissons par jour sur nos côtes, alors que les pêcheurs artisans sont en grande difficulté ?
Ce que je vous propose aujourd'hui, c'est de la clarté : de la clarté pour les pêcheurs, pour les organisations environnementales, pour les citoyennes et les citoyens.
Ma proposition de loi vise à atteindre trois objectifs principaux.
Premièrement, il convient de redonner tout son sens à la protection des aires marines, en remplaçant le flou juridique de la protection forte à la française par une protection réellement stricte, alignée sur les standards européens et internationaux de l'UICN. Cela signifie des zones sans aucune activité extractive ou destructive, en somme de véritables sanctuaires marins.
Les aires marines protégées sont l'un des outils les plus efficaces pour préserver la biodiversité et soutenir la dynamique socio-économique de nos littoraux.
Les bénéfices sont réels : 2,5 fois plus de biomasse en moyenne, 30 % d'espèces en plus, un stock de poissons autour des aires marines protégées qui croît de 25 % en moyenne, un emploi direct pour chaque tranche de 100 hectares protégés.
J'ai entendu les doutes de certains sur la possibilité de mettre en place une protection stricte sur au moins 10 % de chaque façade maritime.
Même si je suis convaincue de ce nécessaire équilibre territorial, j'ai fait un pas vers vous avec le dépôt d'un amendement tendant à renvoyer à un décret la mise en œuvre de cette mesure.
Pour que cette protection soit réellement cohérente et efficace, il ne suffit pas de protéger d'immenses zones en Polynésie : il faut protéger une multitude d'écosystèmes, chacun avec ses caractéristiques spécifiques. C'est ainsi qu'on s'assurera que nos océans et les littoraux français résistent mieux face au changement climatique, à la pollution et aux espèces invasives.
Nous souhaitons également, autour de ces sanctuaires, des zones tampons dédiées à la petite pêche artisanale.
Nous considérons qu'une base juridique claire et précise de la protection stricte permettra ensuite une cartographie précise et concertée des aires marines protégées.
Deuxièmement, nous proposons une transition des flottilles de chalut de fond, qui sont destructrices sur le plan écologique, peu rentables économiquement, dépendantes des subventions publiques et vulnérables à la hausse des prix du carburant. Plutôt que d'attendre l'effondrement des flottilles, nous devons accompagner leur mutation.
Enfin, je demande l'interdiction des bateaux de plus de vingt-cinq mètres dans la bande côtière des douze milles nautiques, afin de préserver la ressource et de protéger les pêcheurs côtiers de la concurrence des mégachalutiers.
Mes chers collègues, c'est une mesure de bon sens, attendue par les pêcheurs, notamment en Normandie et dans les Hauts-de-France.
L'exemple du Margiris, l'un des plus grands chalutiers du monde avec ses 143 mètres de long, est particulièrement symptomatique : ce bateau, exploité par une société néerlandaise, a été au cœur de nombreuses polémiques. À la criée de Dunkerque, par exemple, sa présence a suscité la colère des pêcheurs locaux, qui dénoncent une concurrence déloyale et une menace pour leurs activités artisanales.
Ces navires industriels n'ont rien à faire au plus près de nos côtes. Chaque personne que j'ai rencontrée me l'a dit : « Ces bateaux peuvent aller au-delà des douze milles nautiques, cela ne devrait même pas être un sujet. » Leur présence est un impensé écologique et surtout social.
Je vous présente donc un texte qui répond à l'urgence climatique tout en préservant la filière.
Je souhaite couper court à certaines remarques et à certains a priori.
Cette proposition n'est pas un texte contre les pêcheurs. C'est un texte avec eux, pour eux, pour permettre à la mer de continuer à nourrir, pour permettre à la pêche artisanale de survivre.
La science est parfaitement claire : là où la biodiversité est protégée, les poissons reviennent. Là où des aires marines strictement encadrées ont été mises en œuvre, comme au cap Roux ou à Port-Cros, la biomasse a explosé. Les pêcheurs en sont les premiers bénéficiaires et ces aires marines protégées ont tendance à essaimer et à se développer.
La solution existe, il nous faut maintenant de la volonté politique.
Je vous encourage donc, mes chers collègues, à voter notre proposition de loi, à ne pas céder aux intérêts particuliers de quelques-uns et à protéger le bien commun qu'est l'océan. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis afin d'examiner la proposition de loi visant à renforcer la protection des écosystèmes marins, déposée par notre collègue Mathilde Ollivier et l'ensemble du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
À l'heure où nous nous parlons, des milliers de dirigeants, de scientifiques et de représentants de la société civile sont réunis à Nice autour d'une ambition commune, qui est au cœur du texte qui vous est soumis : renforcer l'action en faveur de la protection et de l'utilisation durable des océans.
Cette initiative sénatoriale repose sur un constat simple et éclairé par la science : des écosystèmes marins en bonne santé sont vitaux d'un point de vue tant écologique que socio-économique. Pour le dire plus simplement, loin d'être opposées, la préservation de la biodiversité marine et celle des activités de pêche constituent un même et unique combat.
Les océans nous rendent des services écosystémiques aussi multiples que précieux. Principal puits de carbone de la planète, l'océan joue un rôle majeur en matière d'atténuation du changement climatique. La préservation des milieux marins est en outre essentielle à l'équilibre des réseaux trophiques et, dès lors, à la pêche, dont dépend la subsistance de 10 % à 12 % des habitants de la planète.
Malheureusement, de l'avis unanime de la communauté scientifique, l'état du monde océanique se dégrade de manière alarmante. Plusieurs phénomènes sont en cause : le réchauffement climatique, la pollution marine et, surtout, les pressions anthropiques liées aux activités humaines en mer, à commencer par la surexploitation des ressources halieutiques.
Selon l'Office français de la biodiversité (OFB), 94 % des habitats marins et côtiers d'intérêt communautaire sont en mauvais état en métropole ; s'agissant des outre-mer, 29 % des récifs coralliens sont en diminution et 29 % des oiseaux des terres australes sont menacés.
Les scientifiques sont unanimes : pour enrayer cette érosion rapide des écosystèmes et des ressources halieutiques, les aires marines protégées constituent l'outil le plus efficace, à condition toutefois qu'elles présentent, au moins pour partie, un haut degré de protection.
Certes, la France a affiché de grandes ambitions en la matière : depuis 2021, la stratégie nationale pour les aires protégées prévoit de placer, d'ici à 2030, au moins 30 % de notre espace maritime sous le statut d'aires marines protégées, dont au moins 10 % sous protection dite « forte ».
L'approche française se révèle néanmoins en décalage avec les standards internationaux, puisqu'elle privilégie un critère de protection forte en lieu et place de celui de protection stricte, préconisé par l'Union européenne et l'UICN.
Là où la protection stricte ne permet d'admettre que des activités compatibles avec les objectifs de conservation des espèces, la protection forte « à la française » privilégie une approche dite au cas par cas, si bien qu'aucune activité n'est interdite par principe, pas même celles qui affectent le plus les écosystèmes, comme le chalutage de fond.
De fait, d'un point de vue strictement quantitatif, la France a déjà atteint ses objectifs – 33 % des eaux françaises sont désormais couvertes par des aires marines protégées –, mais, en réalité, les aires sous protection stricte ne représentent que 1,6 % des eaux françaises et 0,04 % des eaux voisines de l'Hexagone. Ces aires se trouvent quasi exclusivement dans les Terres australes et antarctiques françaises et au large de la Nouvelle-Calédonie.
Certes, le cas français n'est pas isolé : à l'échelle de l'Union européenne, 0,03 % seulement des eaux sont protégées de manière stricte. Néanmoins, la France se distingue malheureusement par l'ampleur de l'écart entre les résultats annoncés et le degré de protection effectif de ses aires marines.
La proposition de loi soumise cet après-midi à vos suffrages vise à répondre à ces constats.
Son article 1er tend à rehausser l'ambition de la protection des aires marines protégées françaises à plusieurs titres.
Premièrement, il remplace la notion de protection forte, privilégiée en droit français, par celle de protection stricte pour s'aligner sur les standards internationaux.
Deuxièmement, il fixe pour objectif de couvrir 10 % de chaque façade maritime par des aires sous protection stricte afin de protéger de manière plus équilibrée l'ensemble du territoire.
Enfin, il prévoit l'instauration, autour des zones strictement protégées, de zones tampons dans lesquelles seraient interdites certaines activités industrielles, comme le chalutage. Ces zones seraient réservées aux professionnels de la pêche artisanale afin qu'ils bénéficient de manière prioritaire de l'effet de réserve, c'est-à-dire de l'augmentation de la biomasse, induit par les aires marines protégées.
L'article 2 de la proposition de loi a une portée plus socio-économique.
D'une part, il vise à impulser le lancement par l'État d'une stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond vers des pratiques plus durables.
Le chalut de fond se distingue nettement des autres types d'activités de pêche en matière d'indicateurs de surpêche, de capture de juvéniles et d'abrasion des fonds marins. En détruisant et en fragmentant les habitats, cette activité compromet, de fait, l'avenir de toute la filière.
À moyen terme, un changement de modèle est inévitable : il convient de l'anticiper compte tenu du poids économique de cette activité, qui représente 25 % des volumes de la pêche française et 3,78 % des emplois de la filière pêche en Hexagone.
D'autre part, cet article 2 vise à protéger la petite pêche côtière, de même que les écosystèmes, des mégachalutiers : il n'est pas rare que ces navires-usines, essentiellement néerlandais, conçus pour racler le fond de la haute mer par centaines de tonnes par jour, viennent pêcher dans les eaux territoriales, en exerçant une concurrence déloyale vis-à-vis des plus petits engins.
Il est donc proposé d'interdire, à compter du 1er janvier 2026, l'exercice des navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à vingt-cinq mètres à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes.
Cette mesure envoie un signal politique fort à nos pêcheurs de la Manche et de la mer du Nord, dont le modèle économique est mis en péril par les mégachalutiers étrangers.
Elle est en outre rationnelle d'un point de vue économique, puisque les petits engins de pêche engendrent davantage de valeur ajoutée et d'emplois, par tonne débarquée, que les engins industriels.
J'aborde à présent la position de la commission sur ce texte.
Les débats ont permis de constater que les objectifs que je viens d'évoquer étaient partagés par tous les groupes politiques. Néanmoins, la commission a estimé que cette proposition de loi posait des difficultés de méthode, de calendrier et d'opérationnalité.
La commission a partagé l'objectif d'assurer l'effectivité de nos aires marines protégées. Néanmoins, elle n'a pas souhaité remettre en cause les équilibres établis en la matière lors de l'adoption de la loi Climat et résilience en 2021, ce qui risquerait de déstabiliser le processus d'identification des zones de protection forte en cours, depuis plus de deux ans, sur chaque façade maritime.
Elle a en outre souhaité conserver la doctrine de protection forte, retenue en droit français, estimant qu'elle était gage de plus de souplesse et d'acceptabilité sociale que celle de protection stricte préconisée par l'UICN.
S'agissant de l'article 2, la commission s'est inquiétée des conséquences potentielles du dispositif pour la structuration de la filière française de la pêche, compte tenu des volumes et de la valeur ajoutée que représente l'activité du chalut de fond et de son importance pour l'économie littorale.
Elle a en outre estimé que l'adoption d'un nouveau document stratégique relatif à la pêche poserait des problèmes de cohérence et d'articulation avec les stratégies existantes, comme la stratégie nationale biodiversité et la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui traitent également des enjeux de durabilité de la pêche.
Si je comprends le besoin de stabilité et de cohérence normative exprimé par la commission, de même que les craintes liées aux conséquences socio-économiques d'une « déchalutisation » de la pêche française, je tiens à vous faire part, à titre personnel, de plusieurs considérations.
Les spécialistes en biologie marine et en ressources halieutiques que j'ai rencontrés lors de mes travaux préparatoires l'ont unanimement souligné : ce texte est basé sur de robustes constats, non seulement scientifiques, mais aussi socio-économiques.
Certes, la mise en place d'aires marines strictement protégées suscite souvent, dans un premier temps, des réticences de la part des pêcheurs. L'expérience montre néanmoins qu'à terme les retombées économiques sont au rendez-vous.
L'exemple du thon rouge en Méditerranée est à cet égard emblématique : en dépit d'une levée de boucliers initiale, la réglementation de la pêche du thon rouge au cours des années 2000 a permis une reconstitution efficace des stocks, si bien qu'aujourd'hui aucun pêcheur ne souhaiterait revenir en arrière.
Protéger la mer, ce n'est pas interdire la pêche ; c'est au contraire lui assurer un avenir, en préservant la ressource dont elle dépend. Il ne s'agit pas de sanctuariser les océans, mais de concevoir des aires marines protégées de manière intelligente, en s'appuyant sur les consensus scientifiques et en assurant un juste équilibre entre conservation et développement durable.
J'avais soumis à la commission plusieurs propositions d'évolutions visant à assouplir le texte. Je regrette qu'elles n'aient pas pu être retenues compte tenu du rejet du texte. Elles ont été redéposées par mon groupe, qui vous les présentera tout à l'heure. Je les soutiens, bien entendu, à titre personnel.
Mes chers collègues, ces dernières semaines, les déclarations en faveur de la pêche durable et de la protection des océans se sont multipliées. Il n'est pas trop tard pour que la France, pays hôte de l'Unoc, mette en cohérence ses paroles et ses actes, pour être à la hauteur des enjeux et de la responsabilité qui est la sienne. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Michaël Weber applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir dans votre hémicycle pour discuter d'un texte d'actualité, puisque la conférence des Nations unies pour les océans s'est ouverte lundi à Nice.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ma collègue Agnès Pannier-Runacher, ministre chargée de la mer et de la pêche, ne peut pas être devant vous aujourd'hui. Elle porte, à Nice, la voix de la France, une voix forte et ambitieuse pour mieux protéger nos océans.
Je le sais, elle partage pleinement l'ambition que traduit cette proposition de loi, celle d'une protection renforcée de l'océan, de sa biodiversité et de ses écosystèmes ; une protection qui est le gage de notre souveraineté écologique, économique et alimentaire.
Le Président de la République porte ce combat depuis huit ans et a réaffirmé son engagement avec force à Brest, en 2022, lors du One Ocean Summit, puis tout récemment à Nice.
Mais cette ambition, partagée avec nos partenaires, sera vaine si nous la portons de manière dispersée.
Depuis 2017, nous avons agi. Aujourd'hui, 33,6 % de nos eaux sont des aires marines protégées ; cela va au-delà de l'objectif mondial de 30 % fixé pour 2030. (Mme Mathilde Ollivier s'exclame.) Et ce chiffre est passé à 78 % avec Tainui Atea, en Polynésie française : annoncée à l'Unoc, c'est la plus grande aire marine protégée au monde ; cet engagement fort fait de la France un leader mondial.
Mais cela ne suffit pas : à ce jour, 4,8 % seulement de nos eaux bénéficient d'une protection forte et à peine 0,1 % autour de la France hexagonale.
C'est tout le sens des annonces faites à Nice par le Président de la République et la ministre chargée de la mer et de la pêche : nous allons passer à 14,8 % au niveau national, grâce à la nouvelle zone classée comme telle en Polynésie française et à la labellisation de 4 % de nos eaux hexagonales.
Nous avons lancé une stratégie claire, progressive, sans dogmatisme, en lien fort avec les réalités locales. Nous aurons atteint, dès 2026, notre premier palier de 10 % de protection forte, avec quatre ans d'avance, et je salue les efforts de concertation qui ont permis d'arriver à un tel résultat.
L'article 1er de cette proposition de loi vise à remplacer la notion de protection forte par celle de protection stricte, en imposant une application uniforme de l'objectif de 10 % à chaque façade maritime.
Cependant, la protection forte que nous défendons ne s'appuie pas sur l'exclusion systématique a priori de toute activité humaine ; elle relève plutôt d'une démarche qui vise à attribuer ce label si les activités pratiquées ont un impact négligeable ou nul sur les enjeux écologiques effectivement présents.
Non, les enjeux écologiques, les usages, les pressions ne sont pas les mêmes en Méditerranée, dans l'Atlantique ou dans les outre-mer. Imposer arbitrairement une exclusion systématique reviendrait à appliquer un modèle unique à des écosystèmes et à des dynamiques humaines et territoriales fondamentalement différents. Ce serait inefficace écologiquement et injuste socialement.
Nous défendons une planification rigoureuse, fondée sur les usages existants – pêche, transport, énergie – et sur une évaluation fine de leurs impacts écologiques. C'est la seule voie pour atteindre durablement les objectifs de conservation.
Le Président de la République l'a rappelé lundi à Nice : d'ici à 2028, toutes les aires marines protégées devront intégrer des zones de protection forte, un plan de lutte contre les pollutions telluriques et de nouvelles régulations, y compris en matière de pêche.
Dès 2026, 14,8 % de nos eaux seront en protection forte. Cette progression se fera en priorité dans les zones les plus sensibles : canyons, coraux profonds, herbiers de posidonie, mangroves, etc. Dans ces espaces, toute activité humaine à impact significatif, y compris le chalutage de fond, sera interdite.
C'est une méthode claire, progressive, qui repose sur un équilibre entre la protection de la nature et la reconnaissance des usages humains.
Laisser sa place à l'homme dans ces zones de protection forte, c'est permettre aux visiteurs de s'émerveiller devant la beauté et la richesse d'un écosystème préservé et les sensibiliser à l'importance d'une telle préservation.
L'article 2 comporte deux mesures : la mise en place d'une stratégie nationale de transition pour les flottilles utilisant le chalut de fond et l'interdiction de ce type de pêche dans la bande des douze milles marins pour les navires de plus de vingt-cinq mètres.
Sur ce second point, notre position est claire. (Ah ! sur les travées du groupe GEST.)
Premièrement, une telle interdiction serait contraire au droit européen. La politique des pêches étant une compétence exclusive de l'Union européenne, une concertation avec les États voisins et la Commission européenne est nécessaire. Sans base scientifique solide, cette disposition pourrait être jugée discriminatoire et annulée. (Mme Mathilde Ollivier s'exclame.)
Deuxièmement, le seuil de 25 mètres est arbitraire.
M. Daniel Salmon. Un seuil est toujours arbitraire !
M. Philippe Baptiste, ministre. Il serait exposé à des contournements techniques et ne permettrait pas d'atteindre les objectifs écologiques visés. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Enfin, diplomatiquement, la France s'est battue pour maintenir l'accès de ses navires, y compris ceux de plus de 24 mètres, aux eaux britanniques, dans la bande des 6 à 12 milles.
Mme Mathilde Ollivier. Ils sont trois !
M. Philippe Baptiste, ministre. Une interdiction nationale aussi stricte affaiblirait notre position internationale et pourrait entraîner des mesures de rétorsion.
Cette disposition méconnaît également les efforts déjà engagés par les professionnels de la pêche. Je veux saluer ici, en particulier, l'accord signé en octobre 2024 – le Gentlemen's Agreement – entre pêcheurs français, belges et néerlandais, qui encadre volontairement les techniques de pêche dans la Manche Est. La preuve est ainsi faite que, dans le dialogue, des solutions peuvent être trouvées.
Oui, nous voulons interdire le chalutage de fond, mais dans les zones écologiquement sensibles, sur la base d'études rigoureuses et dans un cadre européen harmonisé, garant d'un traitement équitable entre les États dans des eaux désormais communautarisées.
Par ailleurs, la création d'une nouvelle stratégie nationale de transition pour les flottilles pratiquant le chalut de fond ne nous paraît pas pleinement pertinente.
Tel est notre sentiment, d'abord, parce qu'elle se concentre uniquement sur le chalut de fond, sans prendre en compte les autres engins traînants, comme la drague, tout aussi sensibles pour les habitats fragiles. Elle ignore également les impacts d'autres engins, comme les filets et les palangres, qui suscitent des risques importants de capture accidentelle, notamment pour les cétacés ou les oiseaux marins.
Ensuite, elle néglige les effets de report vers d'autres techniques : les conséquences sur les stocks halieutiques, sur les quotas, ou encore sur les captures accidentelles doivent être sérieusement évaluées.
De plus, ces sujets sont déjà largement traités dans les stratégies existantes : la stratégie nationale biodiversité (SNB), la Stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML), les analyses risque pêche (ARP) dans les sites Natura 2000, le plan d'action national 2026 prévu par le règlement européen sur la restauration de la nature et, enfin, le contrat stratégique de filière pêche, signé en 2025, qui prévoit le développement d'engins moins destructeurs.
On risque donc d'aboutir à des doublons et, surtout, à des incohérences si l'on multiplie les stratégies en silo. Le véritable enjeu, c'est la mise en œuvre effective des démarches déjà engagées, et c'est bien là que nous concentrons aujourd'hui nos efforts.
Enfin, si une nouvelle stratégie devait être élaborée, l'échelle nationale serait discutable.
La politique commune des pêches relève du cadre européen, tout comme les règles d'accompagnement financier. Toute stratégie doit être compatible avec cette gouvernance partagée.
Le combat de ma collègue Agnès Pannier-Runacher se situe donc bien à Bruxelles ; il doit être mené collectivement, avec nos collègues parlementaires européens, en rang serré face à la Commission européenne.
Nous ne sommes pas isolés sur ces sujets. Un groupe d'États membres réunis par ma collègue partage déjà des lignes de front communes pour entamer une révision cohérente et juste de cette politique commune des pêches.
C'est pour toutes ces raisons que nous poursuivrons, avec méthode, ambition et détermination, la mise en œuvre de notre propre feuille de route, fondée sur le dialogue et l'efficacité.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la conférence des Nations unies sur l'océan s'achève demain, et le texte très opportun que nous avons à examiner ce soir nous interroge, en premier lieu, sur la cohérence du discours de la France avec ses actes.
En effet, la position actuelle est pour le moins ambivalente.
D'un côté, le Président de la République s'est félicité de la présence encourageante d'une soixantaine de chefs d'État, venus du monde entier, à cet événement, malgré un contexte géopolitique fragmenté. Et il a raison : la diplomatie française a énormément œuvré pour faire de ce sommet une réussite. Elle a même réussi à faire venir à Nice des chefs d'État profondément climatosceptiques : je pense à Javier Milei, sans doute venu plutôt par opportunisme que par conviction.
Au moins, cette conférence a montré à quel point le sujet est désormais porté au plus haut niveau par les dirigeants du monde entier.
Pour autant, en même temps, l'approche française concernant la mise en place et le niveau de protection des aires marines protégées se révèle trop souple au regard des standards européens.
Or la France se doit, plus que jamais, d'être à la hauteur sur ce sujet, non seulement parce que nous nous félicitons des avancées obtenues cette semaine, mais aussi et surtout parce que la France possède, grâce à ses territoires ultramarins, la deuxième zone économique exclusive mondiale. Cela nous oblige.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui – je tiens à féliciter son auteure, notre collègue Mathilde Ollivier – propose une approche ambitieuse qui permettrait justement à notre pays d'assumer pleinement ce rôle.
La protection de nos océans est essentielle dans la lutte contre le changement climatique. Couvrant 70 % de la planète, ils constituent un puits de carbone absorbant environ un tiers du CO2 émis par les activités humaines. Ils jouent un rôle majeur dans la régulation du climat et produisent près de la moitié de l'oxygène que nous respirons.
Les océans sont aussi les premiers à subir les conséquences des activités humaines, dont la surpêche.
Cette surpêche a des conséquences graves. Selon l'Office français de la biodiversité, l'immense majorité des habitats marins et côtiers de l'Hexagone est en mauvais état et près d'un tiers des poissons débarqués proviennent de stocks surexploités.
La protection de la biodiversité marine est également essentielle pour garantir la pérennité économique du secteur de la pêche, dont dépendent de nombreux emplois et territoires, ainsi que notre sécurité alimentaire.
Or, en la matière, la réglementation française apparaît trop souple.
La stratégie de l'Union européenne en faveur de la biodiversité comporte l'objectif de placer sous protection, d'ici à 2030, 30 % des aires marines, dont au moins un tiers sous protection stricte. La France a pourtant choisi une protection moindre, dite « forte ».
Dans les faits, cette notion reste floue et repose sur une approche au cas par cas, n'excluant par principe autre activité, même la surpêche. C'est ce que vise à corriger l'article 1er de la proposition de loi.
L'article 2 vise, pour sa part, à concilier les activités de pêche et la protection des écosystèmes marins.
Par amendement, notre collègue Mathilde Ollivier a voulu, dans un esprit de compromis, alléger la rédaction de cet article pour ne retenir que l'interdiction, à compter du 1er janvier 2026, de l'exercice de la pêche par les mégachalutiers.
Il est tout à fait indéniable que les méthodes employées par ces bateaux provoquent des dégâts considérables. Le chalutage est une pratique de pêche non sélective qui, en raclant les fonds marins, détruit les habitats et capture des espèces non ciblées, ainsi que des poissons bien trop jeunes, compromettant ainsi la reproduction des espèces.
Par ailleurs, cette filière, peu créatrice d'emplois et marquée par des conditions de travail souvent très difficiles, est de moins en moins rentable. Les activités des mégachalutiers exercent une pression massive sur l'environnement et menacent la survie de la pêche artisanale.
Cette proposition de loi constitue une avancée nécessaire pour répondre aux défis environnementaux et économiques qui pèsent sur nos océans et sur l'avenir de la pêche française.
Elle vient également en appui aux milliers d'initiatives venues de la société civile dans le monde entier, de l'association à la start-up, pour œuvrer quotidiennement à la préservation de nos océans, souvent en silence.
Dans ces initiatives, on retrouve souvent des Français de l'étranger – chercheurs, ingénieurs, entrepreneurs –, premiers spectateurs de la richesse comme de la fragilité de notre planète.
Cette proposition de loi permettrait à la France d'être à la hauteur de ses engagements internationaux, en soutenant une pêche plus durable et équitable. Parce qu'elle s'attaque à un sujet essentiel, et parce que nous demandons un peu de cohérence entre les déclarations de la France et ses engagements, mon groupe lui sera largement favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on a coutume de dire que la mer ne rend jamais tout à fait ce qu'elle prend. En Vendée, comme ailleurs, nous le savons.
Ce que la mer nous offre, en revanche, c'est un devoir : celui de la protéger, sans jamais oublier ceux qui vivent à proximité, qui y travaillent et qui l'aiment.
Si je partage l'ambition de ce texte, les solutions avancées ne me semblent pas répondre efficacement aux défis que nous devons relever, car protéger l'océan, ce n'est pas dresser une digue entre écologie et économie.
M. Michel Canévet. C'est vrai !
Mme Annick Billon. C'est faire en sorte que les deux cohabitent. Et pour cela, il faut embarquer tout le monde à bord ; sinon, on ne protège pas, mais on oppose et on fragilise.
Je veux néanmoins reconnaître à ce texte un effort d'anticipation.
Les décisions prises dans la précipitation ont eu des conséquences graves : je pense par exemple à la fermeture du golfe de Gascogne, décidée à la hâte trois mois avant qu'elle ne soit effective, qui a plongé tout un territoire dans la tourmente. En 2024, trente-sept bateaux vendéens sont restés à quai ; les trois criées vendéennes ont perdu 2,4 millions d'euros de chiffre d'affaires ; à l'échelle nationale, les pertes se sont élevées à 22 millions d'euros.
Et que dire de l'aval ? Mareyeurs, criées, coopératives d'accastillage, réparation navale, transport frigorifique : tous touchés !
On l'oublie trop souvent, mais un pêcheur en mer, c'est quatre emplois à terre. Or le texte fait aussi abstraction de cette réalité en ne prévoyant de compensation que pour les pêcheurs.
Ces filières sont les oubliées du débat, alors qu'en 2023 déjà, 35 % des entreprises de la filière aval étaient en situation de dépôt de bilan. J'ai interrogé le Gouvernement à trois reprises sur ce sujet, en janvier et en octobre 2024, puis en janvier dernier.
J'en profite pour saluer le travail rigoureux mené par nos collègues Alain Cadec, Yves Bleunven et Philippe Grosvalet pour leur récent rapport d'information relatif à la pêche dans le golfe de Gascogne. Ils ont levé le voile sur la brutalité de cette fermeture et sur ses conséquences économiques.
Je tiens à rappeler deux points majeurs.
Premièrement, un cadre réglementaire existe déjà. Les pêcheurs sont soumis à des quotas : chaque année, l'Union européenne fixe une limite de poissons à pêcher, selon les avis des scientifiques sur l'état des stocks.
Deuxièmement, la filière agit, innove et investit. Le chalutage travaille ainsi à réduire sa consommation d'énergies fossiles. Dans le golfe de Gascogne, les pêcheurs français ont investi 30 millions d'euros dans des systèmes de répulsifs acoustiques, les fameux pingers, pour éviter les captures accidentelles de cétacés.
Réduire le problème aux filets est une erreur. Les atteintes graves à la biodiversité marine viennent d'abord des terres : plastiques, nitrates, pollutions industrielles. En 2050, il pourrait y avoir plus de déchets plastiques que de poissons dans l'océan !
Ce texte, dans son article 1er, impose une protection stricte d'au moins 10 % de chaque façade maritime. C'est un coup de règle sur la carte, une approche uniforme et rigide.
Mme Mathilde Ollivier. Mais non !
Mme Annick Billon. C'est aussi une rupture nette avec la stratégie définie dans la loi Climat et résilience, qui s'appuie sur la concertation et la différenciation territoriale.
M. Michel Canévet. Absolument !
Mme Annick Billon. On ne peut pas imposer la même protection pour la Méditerranée, l'océan Atlantique ou nos territoires ultramarins. Les réalités géographiques et humaines imposent de la finesse. La mer n'est pas un quadrillage administratif ; c'est un vivant mouvant et complexe.
Quant à l'article 2, qui programme la fin du chalut de fond, il se heurte au même écueil : absence d'analyse d'impact et de concertation. On propose d'interdire les navires de plus de 25 mètres dans la bande des 12 milles : cela revient à lancer une course aux bateaux de 24,9 mètres ! (Mme Mathilde Ollivier proteste.)
Soyons clairs, certaines espèces ne peuvent pas être pêchées autrement qu'au chalut. Si nous voulons continuer à trouver de la langoustine et des coquilles Saint-Jacques dans nos assiettes, nous devons préserver ces techniques, tout en les améliorant.
La France importe déjà 80 % de sa consommation de poissons.
M. Michel Canévet. Eh oui !
Mme Mathilde Ollivier. Ce sera encore pire !
Mme Annick Billon. Bannir le chalutage reviendrait à déplacer définitivement le problème sur un autre rivage.
Nous avons besoin d'une vraie réflexion sur les mégachalutiers industriels, ces usines flottantes qui ratissent large et vident les mers. Ils sont bien loin des pratiques de nos pêcheurs.
La mer est un bien commun. Nous devons garantir l'équilibre entre protection et production, entre nature et culture. Or, sur nos côtes, cette culture, c'est aussi celle de la pêche.
Alors oui, mes chers collègues, le groupe Union Centriste partage l'objectif affiché par ce texte, protéger les fonds marins, mais nous ne soutenons absolument pas les moyens proposés.
Il a été beaucoup question de l'Unoc jusqu'ici, mais, selon le dernier rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la durabilité des stocks mondiaux de poissons est en forte hausse, quelles que soient les espèces. C'est une information majeure à porter à notre débat. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mathilde Ollivier. Tout va bien, alors !
Mme Annick Billon. Pour toutes ces raisons, le groupe UC votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Michel Canévet. Quel réalisme !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, décidément, après ma question au Gouvernement d'hier, je ne quitte plus les bateaux… (Sourires.)
Alors que notre pays accueille la troisième conférence des Nations unies sur l'océan, nous débattons aujourd'hui d'une proposition de loi qui veut marquer un tournant décisif dans la protection de nos écosystèmes marins, avec pour objectif de placer sous statut d'aire marine protégée d'ici à 2030 au moins 30 % de nos espaces maritimes, dont 10 % seraient placés sous protection stricte.
Ce texte pose ainsi les bases d'une ambition environnementale sans précédent. L'objectif est clair, l'ambition louable. Toutefois, aussi noble soit-elle, cette ambition ne saurait se réaliser sans une vision claire, un soutien concret et une prise en compte des impacts sur les milliers de familles qui vivent de la mer.
Protéger strictement une partie de nos espaces marins implique l'interdiction d'activités humaines susceptibles de nuire à la biodiversité. Certes, c'est une nécessité écologique, mais avons-nous mesuré l'impact socio-économique de ces interdictions ?
Les pêcheurs artisanaux, déjà en difficulté, et les professionnels du chalutage de fond voient leurs moyens de subsistance menacés de façon directe et imminente. Les pêcheurs, ces gardiens historiques de nos côtes, s'inquiètent avec raison. L'extension des aires marines protégées, avec les interdictions qu'elles comportent, risque de restreindre drastiquement leur accès à des zones de pêche traditionnelles.
Ces contraintes ne représentent pas seulement des défis logistiques. Elles menacent la capacité des pêcheurs à nourrir leurs familles, à faire vivre des communautés entières.
De plus, en repoussant les flottes industrielles hors des zones protégées, cette mesure pourrait exacerber la concurrence sur les espaces restants. Les ressources marines, déjà sous pression, seraient alors plus fragilisées ; les pêcheurs artisanaux, qui pêchent de manière durable, en paieraient le prix fort.
Paradoxalement, les auteurs de cette proposition de loi avancent l'idée que la mise en place d'aires marines protégées est une façon immédiate de sauvegarder ce qu'il reste de la pêche artisanale en France, à savoir celle qui est effectuée par des navires de moins de 12 mètres utilisant des arts dormants, soit 71 % de notre flotte. C'est une vision séduisante sur le papier, mais est-ce la seule solution, et quel coût social et économique aura-t-elle ?
Protéger les océans nécessite une planification rigoureuse. Or nous manquons cruellement d'une étude d'impact socio-économique et d'une cartographie précise des aires protégées envisagées. Où sont donc les écosystèmes critiques à sauvegarder ? Où les pêcheurs gagnent-ils leur vie ? Sans ces données, cette proposition de loi avance à l'aveugle, risquant de briser des équilibres fragiles.
Comment pouvons-nous cibler avec justesse les zones critiques à protéger, tout en minimisant l'impact de ces mesures sur nos communautés de pêcheurs ? Nous avons besoin de savoir non seulement où se situent les récifs coralliens, les herbiers de posidonies, les nurseries, mais aussi où nos pêcheurs gagnent leur vie.
Les collectivités littorales, moteurs du tourisme côtier, expriment également des craintes légitimes. L'effet domino sur l'économie locale – pêche, tourisme, emploi – pourrait être dévastateur si cette transition n'était pas accompagnée avec soin.
Certes, la proposition de loi promet une stratégie nationale pour réduire la dépendance au chalutage de fond et accompagner les pêcheurs dans une transition durable.
Cependant, cette promesse est un peu creuse, car aucun budget n'y est alloué. Parler de reconversion ou d'aides sans chiffrage concret, je suis désolé de le dire ainsi, mais c'est trahir les espoirs de ceux qui vivent de la mer.
Enfin, protéger 30 % de nos espaces marins exigera un renforcement massif des moyens de surveillance. Satellites, patrouilles maritimes et ressources humaines seront indispensables. Or je vous rappelle, mes chers collègues, que l'OFB manque déjà cruellement d'agents – ceux-là mêmes que certains d'entre vous ont qualifiés de shérifs.
Comment espérer atteindre ces objectifs si les outils pour les appliquer sont défaillants ? Si l'avenir des océans est un enjeu vital, il est impératif que cette ambition s'accompagne d'un soutien réel et tangible pour les pêcheurs, les collectivités et les acteurs locaux. Sans un accompagnement clair, un budget défini et des données précises, cette proposition de loi ne sera qu'un mirage.
C'est pour toutes ces raisons qu'en l'état une majorité des membres du groupe CRCE-K s'abstiendra. La préservation de nos océans ne peut se faire sans justice sociale et économique.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « l'océan vivant » s'affiche, dans toute sa beauté, sur les grilles du jardin du Luxembourg, mais que fait-on pour préserver cette beauté ?
L'océan est le bien commun de l'humanité : il produit notre oxygène, régule le climat et abrite une biodiversité exceptionnelle. C'est un allié majeur dans la lutte contre le changement climatique, car il capte 25 % à 30 % du CO2 chaque année.
Cependant, cet océan est en souffrance. Sa capacité à réguler le climat mondial et à nourrir l'humanité est mise en péril par les activités humaines. Chaque cours d'eau, du plus petit ruisseau au plus grand fleuve, charrie jusqu'à la mer les pollutions émanant de nos activités sur terre. Nos destructions ne s'arrêtent pas là : la pêche industrielle est l'activité ayant eu l'impact le plus important sur la biodiversité et les habitats marins au cours des cinquante dernières années.
Les chiffres de l'érosion de la biodiversité marine ont été rappelés ; ils sont édifiants, mais il est encore possible de freiner cette course vers l'abîme.
Les études scientifiques le démontrent, une aire marine protégée n'est efficace que si elle est exempte de toute pêche industrielle. À ce jour, 33 % des eaux françaises sont couvertes par au moins une de ces aires, mais la plupart d'entre elles autorisent toutes les pratiques de pêche, des plus respectueuses aux plus destructrices.
Il faut changer de cap !
Les aires marines en protection stricte sont les plus à même de fournir des bénéfices écologiques, avec la préservation de la biodiversité marine, des poissons plus gros et plus abondants, ainsi que des bénéfices économiques et sociaux, avec le maintien des revenus pour les pêcheurs, de l'emploi et le développement d'activités économiques locales.
Alors que la France accueille la conférence des Nations unies sur l'océan à Nice, qui, nous l'espérons, se conclura par des mesures concrètes et ambitieuses, le monde nous regarde.
Nos voisins européens, comme la Grèce, le Royaume-Uni ou la Suède agissent déjà pour relever l'exigence de protection dans leurs aires marines protégées. Le secrétaire d'État à l'environnement britannique, Steve Reed, a déclaré lundi son intention d'étendre l'interdiction du chalutage de fond à plus de la moitié des aires marines protégées de son pays, qui constituent 40 % de son espace maritime.
En comparaison, la France est encore bien à la peine. Les scientifiques comme les experts d'ONG demeurent plus que sceptiques sur les annonces du Président de la République.
C'est donc à nous, parlementaires, qu'il revient d'emboîter le pas de ces initiatives européennes, de rectifier notre trajectoire, de permettre à la France de s'aligner, enfin, sur les standards internationaux, et de reprendre un certain leadership en matière de protection de l'océan.
Cette proposition de loi est ancrée dans la réalité. Elle comporte deux mesures calibrées, réclamées par la science, qui sont le fruit d'un dialogue constructif avec l'ensemble des parties prenantes.
Premièrement, elle vise un objectif de couverture de 10 % de chaque façade maritime par une protection stricte, pour que nous soyons enfin alignés avec les préconisations de l'Union internationale pour la conservation de la nature.
Deuxièmement, elle interdit les mégachalutiers de plus de 25 mètres dans la bande côtière, ce qui apparaît comme une évidence, tant les conséquences de leur activité sur les écosystèmes marins et nos ressources halieutiques sont catastrophiques.
Ces mesures sont essentielles et apparaissent comme une première étape si la France veut maintenir une flotte de pêche durable et florissante qui crée des emplois et soutient les communautés locales. Elles sont essentielles si nous voulons contribuer à la lutte contre le changement climatique, favoriser la consommation locale et la sécurité alimentaire.
Mes chers collègues de la droite et du centre, l'opinion publique vous regarde. Vous avez là une occasion unique de combler le fossé entre la rhétorique et l'action, en permettant à la France de retrouver sa crédibilité internationale en matière de politique maritime.
Vous êtes face à vos responsabilités : le temps est venu de mettre à distance les lobbies industriels et de faire alliance avec les citoyens, avec la science, avec les pêcheurs artisans et avec l'océan.
Saisissez cette occasion et votez en faveur de ce texte, qui est une réponse adaptée, sur le plan tant écologique que socio-économique. Il y va de l'avenir des artisans pêcheurs, qui constituent l'immense majorité des acteurs de la filière.
L'océan vivant, ce n'est pas que de l'affichage sur les grilles du jardin du Luxembourg ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michaël Weber.
M. Michaël Weber. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'écologie est, pour reprendre les mots de Claude Lévi-Strauss, « un humanisme sagement conçu qui ne commence pas par soi-même, mais fait à l'Homme une place raisonnable dans la nature, au lieu qu'il s'en institue le maître et la saccage, sans même avoir égard aux besoins et aux intérêts les plus évidents de ceux qui viendront après lui ».
La restauration de la nature est le fruit d'un travail au long cours qui a lieu sur le terrain, à bas bruit, et qui dépend du dévouement de personnes engagées. Quelques heures suffisent en revanche pour que disparaissent des écosystèmes entiers, pour que soit rasée une forêt d'arbres centenaires, ou pour qu'un habitat naturel marin riche en biodiversité soit transformé en un désert aquatique.
Plusieurs évidences s'imposent à nous en ce qui concerne les océans.
La première est que les techniques de pêche industrielle ont eu raison d'une ressource marine surabondante que l'on croyait, à tort, inépuisable. L'anéantissement, en seulement quelques décennies, des populations de harengs ou de morues en est une parfaite illustration.
La deuxième évidence est qu'une aire marine dite protégée qui autorise les pratiques de pêche les plus destructrices est un non-sens. De quelle protection parle-t-on lorsque sont autorisés à opérer, au sein de ces aires, des navires-usines aspirant littéralement des milliers de tonnes de poissons ?
La troisième et dernière évidence est porteuse d'espoir : il s'agit de l'incroyable résilience de la nature et de la capacité de regain dont elle est capable. Accorder une protection adéquate à une aire marine permet le retour de l'abondance.
Toutefois, nous partons de loin. La quasi-totalité des habitats marins et côtiers de la métropole est en mauvais état. La destruction des écosystèmes et la surpêche représentent une menace pour les ressources halieutiques, qui s'effondrent faute de temps pour se reconstituer.
La pêche au chalut de fond, outre le fait qu'il s'agit d'une pratique de pêche intensive et non sélective, racle les fonds marins et détruit la végétation, emportant avec elle les habitats et lieux de reproduction des poissons. La France, territoire aux multiples façades maritimes et deuxième plus grand espace maritime du monde, a une responsabilité toute particulière.
L'aire marine protégée peut être un outil efficace pour préserver la ressource et garantir la subsistance de la pêche. Elle ne le sera toutefois qu'avec une bonne gouvernance et un niveau de protection élevé.
Nous rejoignons pleinement le constat fait par l'auteure du texte que nous examinons aujourd'hui, Mathilde Ollivier. Les critères internationaux sont clairs : une aire marine ne peut être considérée comme protégée que si elle interdit toute activité et infrastructure industrielle. Or, en France, aucune des aires marines protégées n'interdit de manière systématique les activités industrielles. Au total, ce sont dix-huit statuts de protection qui coexistent en France et, dans la grande majorité des cas, la pêche industrielle y opère sans aucune forme de restrictions. Ce déficit de protection est particulièrement flagrant dans la métropole, où seulement une part infime des espaces marins est protégée.
Les réserves marines strictement protégées ont pourtant fait leurs preuves : le nombre d'espèces observées, comme leur taille ou leur densité, y augmente considérablement. L'effet de débordement de ces zones sanctuarisées bénéficie de surcroît directement aux zones de pêche alentour. Ces ressources plus abondantes garantissent, en fin de chaîne, un meilleur revenu pour les pêcheurs locaux.
Le texte proposé par notre collègue Mathilde Ollivier apporte une réponse équilibrée pour revenir de l'indigence à l'abondance des ressources marines. Fruit d'un travail de compromis avec les acteurs de la filière et les associations, il adapte le droit français aux normes internationales en déclinant des objectifs de protection pour chaque façade maritime, en fonction de leur spécificité. Ce faisant, il institue une véritable protection des aires marines, mieux ciblée, en faveur d'une pêche plus durable.
Le groupe SER apportera donc son soutien à ce texte de compromis. Au moment où nous parlons, une coopération internationale s'organise à Nice pour préserver les océans, cette ressource inestimable. Le monde nous regarde et ce sujet doit faire consensus dans cet hémicycle. Nous devons mener ce combat ensemble pour nos pêcheurs, pour les écosystèmes et pour le bien-être des générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que se tient à Nice la troisième conférence des Nations unies sur l'océan, à laquelle le Président de la République a convié une centaine de délégations internationales, des chefs d'État et de gouvernement, le groupe écologiste nous offre une tribune pour échanger, à notre tour, sur la nécessité absolue de protéger nos mers et nos océans.
Cette proposition de loi s'inscrit parfaitement dans le thème général de cette conférence : « accélérer l'action et mobiliser tous les acteurs pour conserver et utiliser durablement l'océan ».
Alors que les déclarations se multiplient – le Président de la République annonce que « nous avons le devoir de nous mobiliser », le Royaume-Uni déclare vouloir mettre en place un plan pour étendre à plus de la moitié de ses aires marines protégées l'interdiction du chalutage de fond –, un consensus émerge : la protection des océans, décisive pour notre avenir, représente un enjeu aussi bien environnemental qu'alimentaire et géopolitique.
En France, nous consommons en moyenne 33 kilos de poissons et de crustacés par an et par personne. Pourtant, nous importons 80 % de notre consommation.
Nos aires maritimes, notre littoral et nos ressources halieutiques doivent être protégés. C'est pourquoi nous soutenons la disposition visant à interdire les mégachalutiers à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes.
Ces engins ont des conséquences délétères pour nos écosystèmes, la biodiversité et la régulation du climat, mais également pour nos pêcheurs, car ils mettent en péril la ressource. Leurs effets néfastes sont ainsi tout à la fois environnementaux et économiques.
Comment un ligneur côtier pêchant entre 30 et 200 kilos par nuit peut-il résister à un mégachalut pouvant capturer jusqu'à 400 000 kilos de poissons toutes les vingt-quatre heures ?
Nous devons trouver un équilibre pour permettre à la pêche artisanale et à la pêche au chalut de coexister. Les aires marines sont une ressource économique. Nous ne pouvons d'emblée interdire toute activité dans certaines zones. Cette discussion doit se faire à l'échelon local, avec les territoires ; la spécificité de chacun doit notamment être prise en considération.
C'est pourquoi nous émettons quelques réserves sur l'article 1er de cette proposition de loi, qui entend remplacer, pour les aires marines protégées, la notion de protection forte par celle de protection stricte. Chaque territoire a ses particularités – pression commerciale, concurrence, trafic, fonds et écosystèmes divers. Nous devons permettre une différenciation territoriale, car cela fonctionne.
Le cas de la coquille Saint-Jacques en Normandie en est un exemple réussi. C'est par la volonté des pêcheurs, avec la mise en place de quotas, d'horaires et d'une pêche sélective, qu'il y a aujourd'hui huit fois plus de coquilles au fond de la baie de Seine qu'il y a vingt ans.
Des modèles se mettent en place et nous devons nous en inspirer. Plutôt que d'imposer des restrictions beaucoup plus strictes, encourageons les initiatives locales concertées, en impliquant les acteurs économiques.
Les pêcheurs ont naturellement besoin de protéger la ressource dont ils vivent. Ces initiatives locales permettent la préservation de nos aires marines et des ressources.
C'est pourquoi, malheureusement, au regard de l'importance que revêt ce sujet, la mouture actuelle de l'article 1er n'est pas pleinement satisfaisante. Nous resterons donc attentifs au débat qui s'ouvre.
Les océans relient les hommes et les continents, stockent le carbone et nous offrent des réserves nourricières. La protection de nos écosystèmes marins est indispensable. Elle ne pourra se faire qu'avec les acteurs économiques de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Evren, en remplacement de M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Evren, en remplacement de M. Alain Cadec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous prie d'excuser l'absence d'Alain Cadec ; je lirai l'intervention qu'il a préparée.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à élargir et à renforcer la protection des écosystèmes marins français, en augmentant la surface des zones protégées.
Nous sommes unanimes à considérer que la préservation des océans constitue un enjeu central dans la protection de la biodiversité et de notre planète. En effet, la pêche illégale représente environ un poisson sur cinq pêchés dans le monde et plus de 5 000 milliards de morceaux de plastique, pesant environ 250 000 tonnes, flottent dans l'océan.
Face à ces chiffres, nous ne pouvons rester inactifs. Toutefois, je tiens à souligner qu'en France 32,5 % de l'espace maritime est couvert par des aires marines protégées, ce qui place le pays au-dessus de la moyenne mondiale.
Le texte qui nous est soumis soulève plusieurs difficultés majeures, tant du point de vue économique que pour ce qui concerne l'efficacité réelle de ses mesures. C'est d'ailleurs pour cela qu'il a été rejeté en commission.
Il est proposé de placer au moins 30 % de nos espaces maritimes sous protection et au moins 10 % sous protection dite stricte, interdisant ainsi toute activité extractive, y compris la pêche artisanale dans certaines zones.
Une telle mesure risque d'avoir des conséquences dramatiques pour l'économie de nos littoraux et pour la pêche française, déjà fragilisée par la concurrence internationale et les récentes crises. La création de vastes zones interdites à la pêche, même avec la mise en place de zones tampons réservées à la pêche artisanale, pourrait entraîner la disparition de nombreux emplois et menacer la pérennité de communautés littorales entières.
Le texte fixe des objectifs ambitieux, mais leur atteinte d'ici à 2030 semble irréaliste au vu de l'état actuel de la concertation avec les acteurs concernés. Les pêcheurs, les collectivités locales et les entreprises du secteur maritime dénoncent d'ailleurs un manque d'écoute et de prise en compte de leurs réalités quotidiennes. Une telle transformation du modèle économique littoral ne peut se faire sans un dialogue approfondi et des garanties concrètes pour l'accompagnement des professionnels concernés.
De plus, la proposition de loi s'appuie sur le modèle des aires marines protégées comme outil principal de sauvegarde de la biodiversité. Pourtant, l'expérience montre que la simple multiplication de zones protégées n'est pas toujours synonyme d'efficacité, surtout lorsque la gestion, le contrôle et les moyens font défaut.
Comme je l'ai déjà souligné, plus de 30 % des eaux françaises sont déjà classées en aires marines protégées, mais seulement une infime partie bénéficie d'une protection réelle et efficace. Plutôt que d'ajouter de nouvelles contraintes, il serait plus pertinent d'améliorer la gestion et l'efficacité des dispositifs existants.
Enfin, ce texte risque de fragiliser davantage la compétitivité de la pêche française face à des flottes étrangères moins contraintes, ce qui pourrait se traduire par une délocalisation de l'effort de pêche vers des eaux moins réglementées, sans bénéfice réel pour la biodiversité mondiale. La protection de l'océan doit se faire à l'échelle internationale, dans le cadre d'accords concertés, pour éviter tout effet pervers.
Le sommet qui se déroule actuellement à Nice témoigne de la volonté des États de se retrouver autour d'objectifs ambitieux : protéger 30 % de l'océan d'ici à 2030, notamment via l'extension des aires marines protégées ; mettre un terme à la pollution plastique, en poursuivant les négociations sur un traité international spécifique ; promouvoir une pêche durable et lutter contre la pêche illégale ; décarboner le transport maritime pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050 ; renforcer la coopération internationale, notamment face à la montée des eaux ; mobiliser de nouveaux financements pour une économie bleue durable ; faire entrer en vigueur le traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine ; enfin, défendre la science et soutenir la recherche pour mieux comprendre et protéger l'océan.
Cet événement doit créer une dynamique favorable et des solutions concrètes doivent pouvoir être proposées pour répondre à ces nombreux enjeux.
Pour conclure, il est important d'insister sur l'impératif que constitue la protection des écosystèmes marins, mais celle-ci ne saurait se faire au détriment de nos pêcheurs, de nos territoires et de notre souveraineté alimentaire.
Cette proposition de loi, dans sa forme actuelle, manque d'équilibre et de pragmatisme. Afin de privilégier une approche plus concertée, progressive et adaptée aux réalités du terrain, le groupe Les Républicains votera contre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du groupe RDPI partagent évidemment l'objectif qui est défendu ici : la nécessaire préservation de nos océans.
Les écosystèmes marins régulent le climat. Ils absorbent une part importante des émissions de CO2, fournissent des ressources alimentaires essentielles et soutiennent l'économie de nombreuses régions littorales. La France, qui, avec ses territoires d'outre-mer, est le deuxième domaine maritime mondial, porte une responsabilité particulière dans l'attention à accorder à ces espaces aujourd'hui dégradés et pollués.
Il est donc tout à fait légitime de nous interroger sur l'efficacité des politiques actuelles de protection marine et d'envisager leur renforcement. Face à la dégradation des milieux marins, plusieurs cadres réglementaires ont été mis en place ces dernières décennies, à différents niveaux, pour mieux protéger ces espaces.
Nombre d'entre nous se sont rendus cette semaine à Nice pour le sommet sur l'océan. Dans ce cadre, des ambitions fortes ont été rappelées pour enrayer les déperditions de ces puits de carbone en ébullition. Le Président de la République a notamment rappelé qu'en la matière il s'agissait non pas d'opinions, mais de faits scientifiquement établis. À cet effet, la réponse la plus efficace est celle qui sera adoptée à l'échelle internationale et le message politique doit être le suivant : nous parlons non d'un bien de consommation, mais de notre patrimoine naturel universel.
C'est pourquoi le Président de la République l'a annoncé : le traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine, qui a déjà fait l'objet de soixante ratifications, s'appliquera ; le chalutage de fond sera limité dans les aires marines protégées pour préserver les fonds marins.
Il y a urgence, mais la France n'a pas attendu pour agir. Ce que nous avons fait ici même lors de l'élaboration de la loi Climat et Résilience, en atteste.
Madame Mathilde Ollivier, votre proposition de loi est organisée autour de deux articles.
L'article 1er entend redéfinir la notion de protection forte, en la remplaçant par une protection stricte des aires marines protégées, avec la mise en place d'une zone tampon où seraient interdits le chalutage, les activités industrielles et la pêche récréative.
Il est également fixé plusieurs objectifs à atteindre d'ici au 1er janvier 2030. Au moins 30 % de l'ensemble du territoire maritime national et des espaces maritimes sous souveraineté ou juridiction française devront être couverts par un réseau cohérent d'aires protégées dans l'Hexagone et en outre-mer, sur terre et en mer. Au moins 10 % d'entre elles devront être placées sous protection stricte. En mer, les aires placées sous protection stricte devront atteindre un niveau d'au moins 10 % de chaque façade maritime et de chaque bassin maritime ultramarin.
C'est pourquoi l'État devra élaborer, sur la base des données scientifiques disponibles et en concertation avec des représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements, une stratégie nationale pour ce faire.
L'article 2, quant à lui, prévoit que l'État définisse et mette en œuvre une stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond, qui serait révisée tous les trois ans.
Les mégachalutiers de plus de 25 mètres seraient interdits à moins de douze milles marins des lignes de base.
Pour rappel, la France, par ses efforts récents, revendique aujourd'hui d'avoir protégé environ 30 % de sa zone économique exclusive, ce qui est en ligne avec l'objectif international 30x30 adopté dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique et soutenu par l'Union européenne.
Si cette proposition de loi exprime un objectif louable, il convient d'y apporter quelques nuances.
L'interdiction du chalutage de fond dans toutes les aires marines protégées pourrait avoir un impact économique majeur, notamment pour les flottilles artisanales dans certaines zones.
Alors que notre filière de pêche a connu de nombreuses difficultés ces dernières années, notamment à cause du Brexit, ce texte pourrait encore venir fragiliser cette filière importante pour notre économie.
C'est en concertation que nous parviendrons à des résultats positifs.
En outre, la sanctuarisation de 10 % des espaces marins sans aucune activité humaine va au-delà des engagements européens ou internationaux, qui laissent pourtant une place à des usages durables, compatibles avec les objectifs de conservation.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera majoritairement contre cette proposition de loi. En ce qui me concerne, je considère que les spécificités de mon territoire exigent une réflexion plus fine.
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à mieux protéger les écosystèmes marins
Article 1er
Le I de l'article L. 110-4 du code de l'environnement est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« D'ici au 1er janvier 2030, au moins 30 % de l'ensemble du territoire national et des espaces maritimes sous souveraineté ou juridiction française sont couverts par un réseau cohérent d'aires protégées en métropole et en outre-mer, sur terre et en mer, et au moins 10 % sont placés sous protection stricte. En mer, les aires placées sous protection stricte atteignent un niveau d'au moins 10 % de chaque façade maritime et de chaque bassin maritime ultramarin. Afin de parvenir à cet objectif, l'État élabore et met en œuvre, sur la base des données scientifiques disponibles et en concertation avec des représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements ainsi que des autres parties prenantes, une stratégie nationale des aires protégées. » ;
2° Au troisième alinéa, le mot : « forte » est remplacé par le mot : « stricte » ;
3° Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les zones placées sous protection stricte mentionnées au premier alinéa du présent I sont délimitées afin de conserver, ou de restaurer, l'intégrité, la structure écologique sous-jacente et les processus environnementaux naturels de soutien d'espaces naturels riches en biodiversité. Les processus naturels sont préservés des pressions humaines et des menaces qui pèsent sur la structure et le fonctionnement écologiques globaux à l'intérieur ou à l'extérieur de la zone strictement protégée. Ne sont autorisées que les activités de gestion nécessaires à la restauration ou à la conservation des habitats et des espèces pour la protection desquels la zone a été désignée ainsi que les activités limitées et bien contrôlées qui n'interfèrent pas avec les processus naturels ou les améliorent. Un décret précise les modalités de mise en œuvre de la protection stricte, notamment en ce qui concerne les règles de protection foncière et les procédures de contrôle.
« Une zone tampon, où sont interdits le chalutage, les activités industrielles et la pêche récréative dont les impacts périphériques sont de nature à contrevenir à l'avant-dernier alinéa, est établie autour des zones placées sous protection stricte. Un décret précise les modalités de mise en œuvre ainsi que les procédures de contrôle et de sanction en cas de violation des interdictions. »
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié quater, présenté par M. Cadec, Mme Evren, MM. Sol, J.P. Vogel, Brisson, Piednoir, Burgoa, Rapin, Panunzi, Naturel, Le Rudulier, D. Laurent et Lefèvre, Mme Joseph, MM. Canévet, Chauvet et Bouchet, Mmes Canayer et Belrhiti, MM. Margueritte, Pernot, P. Vidal, Sautarel, Duplomb et L. Vogel, Mme Lassarade, M. Gremillet, Mme Muller-Bronn, M. Milon et Mmes Josende et Gosselin, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Agnès Evren.
Mme Agnès Evren. Il est défendu, monsieur le président.
M. Jacques Fernique, rapporteur. La commission a émis à l'unanimité un avis défavorable sur cet amendement de suppression de l'article 1er, et ce pour une question de méthode.
Sans préjuger du vote à venir sur cet article, elle a souhaité permettre l'examen en bonne et due forme de l'ensemble des amendements déposés, afin qu'un véritable débat puisse avoir lieu.
La protection et l'utilisation durable des océans sont un sujet vital pour les territoires côtiers, sur lequel la France appelle le monde entier à se mobiliser dans le cadre de l'Unoc cette semaine. Il ne serait pas compréhensible que le Sénat ne prenne pas sa place dans cette discussion.
À titre personnel, je suis également défavorable à cet amendement, car je soutiens l'adoption de l'article 1er, modifié le cas échéant par l'amendement n° 3 déposé par le groupe GEST, dont l'adoption permettrait un assouplissement du dispositif, gage d'une meilleure acceptabilité.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Il est favorable, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour explication de vote.
Mme Mathilde Ollivier. Je souhaite m'attarder un instant sur cet amendement qui vise à supprimer l'objectif de 10 % d'aires marines protégées.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué être favorable à cette suppression. Voilà une réponse très courte !
Dans ses récentes interventions, Emmanuel Macron a annoncé que nous allions avancer vers des objectifs de protection stricte, évoquant même 10 % de protection stricte de nos eaux. Il n'a en revanche pas annoncé de nouveaux objectifs dans les eaux territoriales hexagonales ; on y resterait donc à 0,1 % de protection stricte.
Cette proposition de loi vise justement à clarifier les notions de protection stricte et de protection forte. Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement s'oppose à ce que la notion de protection stricte soit définie dans la loi.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié quater.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 5, présenté par Mme Conconne, est ainsi libellé :
Alinéa 3
1° Première phrase
Après les mots :
juridiction française
insérer les mots :
, à l'exception des territoires de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane,
2° Deuxième phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, à l'exception du bassin maritime de Martinique, de Guadeloupe, et de la Guyane
La parole est à Mme Catherine Conconne.
Mme Catherine Conconne. Il y a quelques heures, nous rappelions avec émoi la pollution dramatique au chlordécone que subissent la Guadeloupe et la Martinique.
Mes chers collègues, savez-vous qu'aujourd'hui 30 % du littoral de nos îles est interdit de pêche ? Oui, interdit ! Cette interdiction a plongé dans la difficulté, voire dans la pauvreté, un très grand nombre de pêcheurs. Certains ont dû vendre et se reconvertir ; d'autres peinent, parce qu'il faut maintenant aller très loin pour pêcher, ce qui signifie plus de carburant – vous savez ce qu'il coûte aujourd'hui.
Et l'on voudrait maintenant ajouter de nouvelles aires marines protégées, alors que, en Martinique, il y en a déjà !
Que dirai-je à mes pêcheurs en rentrant ? On va simplement leur demander de tout arrêter, de ne plus pêcher du tout, d'aller je ne sais où. Peut-être qu'ils viendront demander un petit job au Sénat…
Il est temps d'avoir une vision extrêmement réaliste de la situation : la Guadeloupe et la Martinique, ce n'est pas la Bretagne. (Mme Solanges Nadille acquiesce.) Nous ne sommes pas en situation de surpêche, bien au contraire. Même la Commission européenne a autorisé le financement d'un nouveau navire après qu'on lui a fait la preuve par neuf qu'on était très loin de la surpêche, qu'on pouvait continuer à aider nos marins-pêcheurs à avoir de nouveaux outils de pêche.
Et il faudrait que je reste passivement à vous entendre dire que l'on va augmenter les aires marines protégées ? Non ! Laissez nos pêcheurs tranquilles, laissez-les travailler !
Je partage tout à fait le souci de préserver nos richesses naturelles. Ne faites pas de moi une anti-écolo, c'est tout sauf le cas, mais, de grâce, considérez ce qui mérite de l'être et ne faites pas subir à nos pays une double peine, celle du chlordécone et celle d'aires marines hyperprotégées !
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mme Ollivier, MM. Dantec, Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3, deuxième phrase
Supprimer cette phrase.
II. – Après l'alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° bis Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret établit pour chaque façade maritime et bassin maritime ultramarin, après consultation des conseils maritimes de façade ou des conseils maritimes ultramarins, un sous-objectif permettant d'atteindre l'objectif global de placer sous protection stricte au moins 10 % de l'ensemble des espaces maritimes sous souveraineté ou juridiction française d'ici au 1er janvier 2030. Cette déclinaison permet d'assurer une contribution de chaque façade maritime et bassin maritime ultramarin à cet objectif global, en assurant un équilibre entre, d'une part, les contraintes géographiques, physiques et socio-économiques et, d'autre part, les enjeux de protection de la biodiversité, appréciés en fonction des caractéristiques des écosystèmes concernés et des pressions anthropiques constatées. » ;
III. – Alinéa 6
1° Deuxième phrase
Remplacer les mots :
strictement protégée
par les mots :
placée sous protection stricte
2° Troisième phrase
Après le mot :
zone
insérer les mots :
placée sous protection stricte
IV. – Alinéa 7, première phrase
Remplacer les mots :
, les activités industrielles et la pêche récréative dont les impacts périphériques sont de nature à contrevenir à l'avant-dernier alinéa,
par les mots :
et les activités industrielles, dont les impacts périphériques sont de nature à contrevenir à l'avant-dernier alinéa, ainsi que la pêche récréative,
La parole est à Mme Mathilde Ollivier.
Mme Mathilde Ollivier. Cet amendement vise à rendre plus flexible la manière dont nous autorisons le placement des aires marines protégées sous protection stricte, en renvoyant la définition de ces aires à un décret.
La proposition originelle, qui allait plus ou moins dans le sens de Mme Conconne, fixait un objectif de 10 % d'aires marines protégées par façade. Pourquoi ? Justement pour éviter que le Gouvernement n'établisse toutes les aires marines protégées dans les outre-mer et se dédouane de ses responsabilités en métropole.
C'est en effet exactement ce qui s'est passé il y a quelques jours ! Dans un grand exercice de communication, le Gouvernement a annoncé la mise en place d'une énorme aire marine protégée de protection stricte en Polynésie française, en s'attribuant d'ailleurs les déclarations du président de la Polynésie française.
Si nous avons préféré fixer un objectif de 10 % d'aires marines protégées par façade, c'est bien pour que les aires marines protégées ne soient pas toutes dans les outre-mer.
Madame Conconne, nous partageons votre combat contre le chlordécone et contre le manque de responsabilité du Gouvernement sur ces sujets depuis de très nombreuses années. (Mm Catherine Conconne manifeste son scepticisme.) Les écologistes se sont toujours mobilisés pour lutter contre les pollutions, à terre comme en mer. Cet objectif, nous n'y renonçons pas.
C'est très bien que le Gouvernement nous annonce que nous allons lutter contre la pollution, car elle exerce aujourd'hui une pression très importante sur les écosystèmes marins, mais la surpêche continue d'être une problématique majeure. L'IPBES indique qu'il s'agit aujourd'hui du problème principal en termes de pression sur les écosystèmes marins. Oui, il faut continuer à traiter cette question !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Fernique, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 5.
Si je comprends la nécessité de prendre en compte les contraintes de pêche spécifiques de la zone antillo-guyanaise, exempter purement et simplement la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane des engagements nationaux en matière de déploiement des aires marines protégées ne semble pas souhaitable. En outre, ce serait moins-disant par rapport au droit actuel.
L'amendement n° 3 tend à reprendre des propositions d'évolution que j'avais proposées au stade de l'examen en commission, mais qui n'ont pas été retenues. Bien que les dispositions qu'il contient aillent dans le bon sens, en permettant davantage de différenciation territoriale, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, parce qu'elle ne souscrit pas à la proposition, formulée dans ce texte, de remplacer dans le droit français la notion de protection forte par celle de protection stricte.
À titre personnel, je soutiens cet amendement par cohérence avec la position qui a été la mienne en commission. Cette mesure permettrait d'assurer l'effectivité d'une petite partie au moins de nos aires marines protégées, tout en fixant des objectifs de déploiement adaptés aux possibilités et contraintes de chaque façade maritime et bassin maritime ultramarin.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'avez compris, le Gouvernement n'est pas favorable à ce que la notion de protection stricte soit retenue.
L'amendement n° 5 tend à exclure de cette approche les territoires de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane. Voilà bien la preuve que cette approche ne permet pas de prendre en compte les spécificités locales, notamment celles des bassins maritimes de la région antillo-guyanaise, qui sont très particulières.
La définition actuelle de la protection forte permet la différenciation que vous demandez, madame la sénatrice, pour tenir compte de la grande diversité des écosystèmes et des activités économiques dans nos espaces maritimes français.
Étant défavorable à l'article 1er, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 5.
L'amendement n° 3 vise pour sa part à assouplir l'objectif d'au moins 10 % des aires marines protégées sous protection stricte par façade maritime et par bassin maritime ultramarin.
Je le répète, le Gouvernement est défavorable à cette approche. Cette proposition d'assouplissement témoigne parfaitement de la difficulté d'avoir une approche systématique comme celle-ci : la diversité de notre écosystème marin et de nos territoires nécessite une approche différenciée.
C'est pourquoi le Gouvernement privilégie l'approche de protection forte, comme c'est le cas aujourd'hui. Étant défavorable à l'article 1er, sur cet amendement, il s'en remet également à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Le rapporteur souhaite peut-être la différenciation, mais il voudrait en même temps aligner les territoires ultramarins pour qu'ils soient dans la République. Si cet alignement fonctionnait dans tous les domaines, comme nous serions heureux !
Quand il s'agit des zones de protection, il faudrait être comme en France et se soumettre aux mêmes règles, mais alors, pour le reste, c'est pour quand ? Je peux vous donner la liste des situations où nous ne sommes pas du tout alignés avec l'Hexagone : on y passerait la nuit !
Je veux bien comprendre qu'il y ait des postures différentes. À certains moments, on nous dit : comme vous êtes dans la République, vous devez être alignés. Pourtant, à d'autres, nous en sommes loin et tout cela nous passe au-dessus de la tête !
Soyons cohérents. Si l'on nous impose l'alignement sur les aires marines protégées, nous voulons un alignement pour tout : T-O-U-T !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 323 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l'adoption | 95 |
Contre | 229 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 2
I. – Le livre IX du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° Le chapitre Ier du titre Ier est complété par un article L. 911-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 911-5. – I. – L'État définit et met en œuvre une stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond. Cette stratégie est révisée tous les trois ans. Elle vise à réduire la dépendance de la filière de la pêche française à la consommation d'énergies fossiles, à protéger les écosystèmes marins et à assurer une gestion durable des ressources halieutiques.
« La stratégie nationale précise les objectifs et les mesures permettant la transition des navires de pêche au chalut de fond vers d'autres pratiques de pêche, y compris par l'expérimentation et l'incitation. Elle fixe notamment les mesures relatives à l'attribution des permis de mise en exploitation des navires de pêche professionnelle ainsi qu'aux critères et à la répartition des quotas qui contribuent à l'atteinte de ces objectifs. Elle comporte les dispositions compensatoires et d'accompagnement économique et social garantissant une transition juste et durable.
« II. – L'État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics respectifs prennent en compte la stratégie nationale définie au I dans leurs documents de planification et de programmation maritimes. » ;
2° L'article L. 921-8 est ainsi rétabli :
« Art. L. 921-8. – L'usage des navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à vingt-cinq mètres est interdit à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes. »
II. – Le 2° du I entre en vigueur le 1er janvier 2026.
M. le président. L'amendement n° 2 rectifié ter, présenté par M. Cadec, Mme Evren, MM. Sol, J.P. Vogel, Brisson, Piednoir et Burgoa, Mme Garnier, MM. Rapin, Naturel, Panunzi, Le Rudulier, D. Laurent et Lefèvre, Mme Joseph, MM. Canévet, Chauvet et Bouchet, Mmes Canayer et Belrhiti, MM. Margueritte, Pernot, P. Vidal, Sautarel, Duplomb et L. Vogel, Mme Lassarade, M. Gremillet, Mme Muller-Bronn, M. Milon et Mme Josende, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Agnès Evren.
Mme Agnès Evren. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Fernique, rapporteur. Comme pour l'amendement de suppression l'article 1er, la commission a émis à l'unanimité un avis défavorable sur l'amendement de suppression de l'article 2.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Le report éventuel des chalutiers de fonds vers d'autres engins de pêche doit être anticipé à large échelle. Je pense notamment à l'impact potentiel sur les espèces d'intérêt halieutique et leurs quotas, mais aussi sur les espèces protégées.
Par ailleurs, le Gouvernement a déjà traité les enjeux d'évolution des pratiques de pêche, qui sont étudiés dans plusieurs stratégies – je les ai mentionnés dans la discussion générale –, et ce pour l'ensemble des engins de pêche pour lesquels les impacts sur les écosystèmes sont documentés.
Enfin, la France engage des actions en faveur de la durabilité des activités de pêche, quelle que soit la taille des navires. Une interdiction des navires de plus de 25 mètres dans la bande côtière, en plus d'être fondée sur un seuil arbitraire, risquerait de porter préjudice à la pêche française, si elle était instaurée à l'échelle nationale. Elle s'opposerait aussi au cadre européen, qui prévoit un accès de certains navires d'autres États membres dans cette bande côtière.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.
M. Yannick Jadot. Je suis toujours surpris d'entendre que l'on essentialise les pêcheurs, que l'on évoque « les pêcheurs » en général.
Lorsque nous avons gagné, ensemble, contre la pêche électrique – Alain Cadec était là, il pourrait vous en parler –, nous étions soutenus par les pêcheurs artisanaux français, contre les pêcheurs industriels, contre le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), qui défendaient une pêche industrielle. Le gouvernement français était des plus ambigus sur ce sujet.
Même chose lorsque nous avons gagné, à l'échelon européen, sur la pêche en eaux profondes. Nous avions évidemment la pêche industrielle contre nous, mais la pêche artisanale avec nous.
Déjà j'entendais les mêmes discours : « Les pêcheurs sont contre ! » Eh bien non ! Il y a des débats au sein de la pêche. Les pêcheurs à la ligne de bars sont contre le chalutage en bœuf dans les zones de frayères du bar. Le secteur de la pêche parle peu, il n'expose pas publiquement ses divergences, mais il est divers.
Alors oui, nous nous battons ici pour la pêche artisanale, avec celles et ceux qui font vivre les territoires, pas avec ceux qui pillent les fonds marins. Si l'on continue, il n'y restera plus rien ! Il n'y aura bientôt plus de pêcheurs et plus d'activité dans les territoires autour de la pêche. Alors, arrêtons ce bazar et les mensonges, cessons de dire qu'il n'existe qu'une pêche française ! C'est faux ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié ter.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mme Ollivier, MM. Dantec, Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – L'article L. 921-8 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rétabli :
« Art. L. 921-8. – L'usage des navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à vingt-cinq mètres est interdit à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes. »
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2026.
La parole est à Mme Mathilde Ollivier.
Mme Mathilde Ollivier. Par cet amendement, nous proposons une solution de repli. Afin de nous permettre d'obtenir l'interdiction des bateaux de plus de 25 mètres dans la bande des douze milles nautiques, cet amendement vise à supprimer la première partie de l'article 2 sur la stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond. Il s'agit d'une mesure de bon sens.
Je ne demande pas l'interdiction des bateaux industriels, je demande juste qu'ils aillent pêcher plus loin, à douze milles nautiques, c'est-à-dire à moins de vingt-cinq kilomètres des côtes. On parle ici de bateaux de 100 mètres, de bateaux-usines, qui pêchent sur le territoire des artisans pêcheurs côtiers, alors qu'ils peuvent pêcher en haute mer.
Je le répète, il s'agit d'une mesure de bon sens : nous demandons seulement que ces bateaux aillent pêcher plus loin.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Fernique, rapporteur. Cet amendement vise à réécrire l'article 2 de la proposition de loi pour ne conserver que l'interdiction des navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à 25 mètres à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes.
Bien que cet amendement aille dans le bon sens, en ciblant davantage la proposition afin d'en garantir l'acceptabilité, la commission y est défavorable, car elle ne souscrit pas à l'ensemble de l'article 2 tel qu'il a été proposé initialement.
À titre personnel, je soutiens cet amendement, dont l'objectif est de protéger la pêche côtière et artisanale des mégachalutiers, le plus souvent étrangers, qui mettent en péril notre modèle économique et exercent une forte pression sur les ressources et les écosystèmes. L'adoption de cet amendement permettrait d'envoyer un signal fort de soutien à nos pêcheurs. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Je le redis : nous ne sommes pas favorables à cette interdiction, et ce pour trois raisons que je rappellerai très brièvement.
D'abord, juridiquement, une telle interdiction serait contraire au droit européen. Ensuite, le seuil de 25 mètres est arbitraire. Enfin, diplomatiquement, la France s'est battue pour maintenir l'accès de ses navires, y compris de plus de 24 mètres, aux eaux britanniques dans la bande des six à douze milles nautiques. Une interdiction nationale aussi stricte affaiblirait notre position internationale.
L'avis du Gouvernement sur cet amendement est donc défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour explication de vote.
Mme Mathilde Ollivier. Émettre un avis défavorable sur cet amendement aujourd'hui est un scandale ! Cela revient à prendre position en faveur de la pêche industrielle. Or la France ne compte aujourd'hui qu'un ou deux bateaux de plus de 25 mètres, qui ne représentent que 3 % de la flottille française.
En fait, je le répète : vous prenez fait et cause pour la pêche industrielle, et c'est un scandale !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 324 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l'adoption | 94 |
Contre | 228 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, je vais mettre aux voix l'article 2.
Si cet article n'était pas adopté, l'article 3, qui constitue le gage de la proposition de loi, deviendrait sans objet.
Dès lors, il n'y aurait plus lieu de mettre aux voix l'article 3 et l'ensemble de la proposition de loi. Il n'y aurait donc pas d'explication de vote sur cet article et sur l'ensemble.
Personne ne demande la parole pour explication de vote ?…
Je mets aux voix l'article 2.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 325 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l'adoption | 95 |
Contre | 227 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, l'article 3 n'a plus d'objet.
Mes chers collègues, les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu'un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire.
En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
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Modification de l'ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l'inscription au premier point de l'ordre du jour du jeudi 19 juin de la suite éventuelle de la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports, ainsi que la possibilité de siéger, le cas échéant, le soir du jeudi 19 juin.
Il n'y a pas d'opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 17 juin 2025 :
À quatorze heures et le soir :
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de simplification du droit de l'urbanisme et du logement (texte de la commission n° 694, 2024-2025) ;
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation (texte de la commission n° 713, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER