M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons aujourd’hui au terme d’un parcours parlementaire long et sinueux, objet de vifs débats.

La proposition de loi que nous examinons en seconde lecture vise à créer une infraction autonome d’homicide routier. Elle tend à apporter une réponse symbolique forte grâce à une évolution juridique attendue par les familles de victimes, les associations, mais aussi de nombreux praticiens du droit.

Je n’attendrai pas la fin de mon intervention pour annoncer que le groupe du RDSE y est évidemment favorable.

Car il ne s’agit pas d’un simple ajustement de terminologie. Il s’agit de rendre justice par les mots, de dire enfin la réalité de ces drames trop longtemps englobés dans une notion devenue insupportable pour les victimes : celle d’homicide « involontaire ».

Comment qualifier d’involontaire le fait de conduire en état d’ivresse, drogué, sans permis, à une vitesse qui défie la raison ? Ce n’est pas un concours de circonstances. Ce sont des comportements fautifs, parfois assumés, toujours lourds de conséquences. Nous sommes là face à la succession d’actes volontaires de quelqu’un qui ne peut ignorer qu’en ne se conformant pas aux règles de sécurité, il expose gravement la vie d’autrui.

Derrière cette réforme, il y a des visages. Celui de la famille Alléno – présente aujourd’hui dans nos tribunes –, qui a beaucoup milité pour ce texte, mais aussi ceux des 3 000 victimes de la route chaque année en France. Des enfants, des parents, des amis fauchés par un conducteur qui avait sciemment pris le risque de tuer. À ces familles, nous devons la vérité du droit.

Le texte qui nous est soumis vise à répondre à cette attente. Il ne bouleverse pas notre édifice pénal. Il n’aggrave pas les peines. Mais il nomme, il distingue, il affirme. L’« homicide routier » devient une qualification autonome, distincte de l’homicide involontaire, dès lors que certaines circonstances aggravantes sont réunies : alcool, stupéfiants, conduite sans permis, grand excès de vitesse ou encore délit de fuite.

Ce texte ne réglera pas tout. Il ne dispensera pas la justice d’examiner les faits, de mesurer la gravité de la faute, d’individualiser les peines. Mais il donnera aux juges une nouvelle grille de lecture, plus conforme au sentiment de justice auquel aspirent nos concitoyens. Nous devons répondre à leurs attentes. Ce texte clarifie et responsabilise.

Au Sénat, en première lecture, nous avions fait le choix d’une réécriture des dispositifs issus de l’Assemblée nationale, au bénéfice d’une rédaction plus éloignée des symboles, mais motivée par une meilleure articulation avec le droit existant. Néanmoins, comme l’a souligné le rapporteur, refuser aujourd’hui de voter ce texte conforme relancerait la navette législative et retarderait inutilement l’entrée en vigueur d’un texte examiné depuis janvier 2024 et attendu par toutes les familles de victimes.

En responsabilité, notre groupe soutiendra l’adoption du texte tel qu’il résulte des travaux de l’Assemblée nationale, car l’essentiel est acquis : un changement de paradigme, une reconnaissance attendue, un signal adressé à la société.

Mes chers collègues, l’homicide routier n’est pas un accident. C’est un acte grave, qui doit être traité comme tel. Ce texte ne rendra pas les vies perdues, mais il apportera un mot juste là où il n’y avait qu’une terminologie blessante. Il est parfois des réformes que l’on vote pour qu’un jour une seule vie soit sauvée : celle-ci en fait partie. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE et sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Solanges Nadille et M. Louis Vogel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

Mme Olivia Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, en préparant cette intervention, j’ai consulté les sites d’actualité pour avoir une idée plus concrète de ce dont il était aujourd’hui question. En effet, dire que, toutes les trois heures, une personne meurt sur la route en France reste abstrait.

En lisant les actualités récentes – je m’en suis tenue au mois de juin –, j’ai été sidérée par l’étendue de la bêtise humaine : « ivre, il tue un agent de la route en roulant à une vitesse excessive ». C’était il y a quatre jours dans l’Eure. Le quinquagénaire avait « bu quelques bières avant de prendre le volant ». Ce n’est pas comme s’il ne savait pas que l’alcool affectait la conduite ! « Boire ou conduire, il faut choisir », on connaît pourtant tous le slogan.

Mais, assurément, cet homme expérimenté s’est dit qu’il l’avait fait des milliers de fois. Il sait conduire, lui ! Il connaît l’effet que la bière a sur lui. Il sait : c’est bon, ça passe… Résultat : il a tué un jeune homme de vingt-quatre ans ! Sa vie comme il la connaît est finie. Il est aujourd’hui passible d’homicide involontaire aggravé. Il sera demain passible d’homicide routier.

Hier, un autre jeune homme de vingt-quatre ans était condamné à deux ans de prison ferme pour avoir provoqué un accident sous l’emprise de stupéfiants et d’alcool, alors qu’il était déjà sous le coup d’une interdiction administrative de conduire. Et pour quel motif selon vous ? Pour avoir déjà tué une personne dans un précédent accident de la route !

« Je n’avais pas le choix », s’est-il défendu, en expliquant s’être rendu aux obsèques de son oncle dont il était très proche. Son état de faiblesse l’a amené à s’arrêter pour boire une bière et fumer un joint. Il a repris ensuite le volant et a conduit, encore, quelqu’un à la mort. Deux ans de prison, pour un homicide involontaire en état de récidive, cela semble peu cher payé.

Un autre jeune homme « s’amusait » à se filmer en roulant à 210 kilomètres à l’heure. Il était ivre, sinon cela n’aurait rien eu de drôle… Il a tué quelqu’un, un autre jeune : je pense que même lui ne trouve plus cela drôle maintenant. Il a été condamné à quatre ans de prison. C’est désolant, mais quel gâchis !

Mi-juin encore, un jeune homme de vingt-quatre ans a été condamné à deux ans de prison, dont un ferme avec bracelet électronique, pour en avoir tué un autre en tentant de le doubler. Là encore, il était ivre. Ils avaient tous deux la même date de naissance. Espérons qu’il s’en souviendra toute sa vie au moment de souffler ses bougies.

Je me suis interrogée : qu’est-ce qui permet à quelqu’un de monter dans une voiture et d’en faire une arme létale ? Qu’est-ce qui fait que, lorsqu’on tue sur la route, cela n’est pas considéré comme intentionnel, alors même qu’aucune précaution n’a été prise pour éviter le drame ?

Quel incroyable sentiment de toute-puissance faut-il pour croire que « c’est bon, on gère », alors même qu’on a déjà été condamné, alors même qu’on a déjà tué. Cette fois, ça ira, on fera attention, on peut conduire, même ivre, même « stone », même beaucoup trop vite. Nous, on sait conduire, mieux que les autres. Quelle inconscience coupable, quelle indifférence là encore coupable !

Nous parlons d’hommes tellement sûrs d’eux et de leur conduite qu’ils ne font cas d’aucune loi, d’aucune réglementation. Le code de la route, ce n’est pas pour eux…

Pourquoi parler des hommes ? Parce qu’ils sont, dans l’écrasante majorité des cas, les auteurs de ces morts évitables. Ils représentent 84 % des responsables d’accidents mortels et 91 % des conducteurs alcoolisés impliqués dans un accident mortel. Ils figurent également en nombre parmi les victimes. Au temps pour l’expression : « femme au volant, mort au tournant ».

Ces hommes sont animés d’un sentiment de toute puissance, d’une confiance aveugle dans leurs capacités, mais aussi d’un sentiment d’impunité qui autorise tout. Quelle bien mauvaise combinaison !

Cela doit tous nous faire réfléchir. Combien d’entre nous, mes chers collègues, ont déjà pris la route après un apéro ou un dîner arrosé ? Nous pouvons nous estimer heureux, chanceux, de n’avoir tué ou blessé personne.

Mes chers collègues, c’est tout l’intérêt de cette proposition de loi : par le choix des mots, elle permet de dire la réalité telle qu’elle est vécue par les familles de victimes – homicide routier. La notion d’involontaire, attachée jusqu’ici à cet homicide, disparaît.

Je ne suis pas certaine, pour ma part, que l’on tue tout à fait involontairement, lorsqu’aucune précaution n’a été prise pour éviter le drame.

Des peines complémentaires obligatoires sont prévues et l’échelle des peines est revue. Espérons qu’elles seront plus dissuasives. Ce n’est pas tant le quantum qui est alourdi. Depuis 1764, l’on sait que « ce n’est pas la rigueur du supplice qui prévient plus sûrement les crimes, c’est la certitude du châtiment ». La condamnation n’est pas une prévention.

Or c’est précisément sur la prévention qu’il convient désormais de mettre l’accent. À l’approche de l’été, une grande campagne de sensibilisation doit être organisée à destination des jeunes, mais pas seulement. Il faut surtout s’adresser aux hommes pour leur dire, et leur redire, qu’il est temps de cesser de jouer à la roulette russe sur la route.

C’est toute une éducation qui doit être repensée. Celle qui pousse les petits garçons à prendre des risques, à ne pas avoir peur, à aller plus vite.

Il faut lutter contre la violence routière, parce que les déplacements font partie de nos libertés les plus fondamentales et que la menace d’être tué par un chauffard inconscient met à mal notre vivre ensemble.

Je remercie le rapporteur de la commission des lois, Francis Szpiner, d’avoir proposé un vote conforme sur le texte adopté par l’Assemblée nationale, mettant ainsi un terme à une navette qu’il n’a pas jugé utile de poursuivre. Il a su se montrer particulièrement convaincant dans l’exposé de ses arguments.

Mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si aucune loi ne peut ramener les disparus ou effacer la douleur de ceux qui restent, il est néanmoins de notre devoir d’accompagner les pouvoirs publics pour activement lutter contre les accidents de la route.

Je tiens, au nom du groupe CRCE-K, à exprimer une pensée sincère pour toutes celles et tous ceux qui ont perdu un être cher dans un accident de la route, ainsi qu’à toutes les victimes dont l’existence a été brisée par ces drames.

Malheureusement, nous sommes bien trop nombreux à avoir été frappés par une telle tragédie, laissant des traces profondes et indélébiles.

Et pour cause : la mortalité routière reste la première cause de décès chez les jeunes et l’une des causes principales de mort pour le reste de la population.

En 2022, 3 550 personnes ont perdu la vie sur les routes en France ; ce chiffre est en hausse. Dans mon département, la Meurthe-et-Moselle, il y a eu 601 accidents sur les routes en 2023, dont 32 mortels.

Si les engins motorisés restent des outils dangereux par nature, les facteurs comportementaux, tels que la vitesse ou la consommation d’alcool et de stupéfiants, sont à l’origine de la grande majorité des accidents.

Comme le soulignait la Cour des comptes dans un rapport de juin 2021, la France métropolitaine était en 2019 au quatorzième rang en Europe en termes de mortalité routière.

La situation en outre-mer est encore plus inquiétante, avec un taux deux fois plus élevé qu’en métropole. Il est donc nécessaire d’agir !

Ce texte vise à répondre à une demande des associations de victimes : gommer le décalage entre la gravité des faits et leur qualification juridique actuelle d’homicide involontaire.

Lorsqu’un conducteur prend la route ivre, mettant sciemment la vie d’autrui en danger, peut-on parler d’un accident ?

Le texte vise donc à remplacer la qualification d’homicide involontaire par celle d’homicide routier dès lors qu’il existe des circonstances aggravantes : usage de drogue, alcoolémie, excès de vitesse, défaut de permis, délit de fuite… L’article 1er vise à établir ainsi une infraction distincte, qui conserve les mêmes peines encourues, mais reconnaît juridiquement et symboliquement la nature criminelle de ces comportements.

Cette nouvelle infraction couvre également les blessures routières pour les cas où les victimes survivent, mais restent gravement atteintes. Elle introduit, en outre, de nouvelles circonstances aggravantes : usage du téléphone au volant, refus d’obtempérer ou rodéo urbain.

Ces comportements, s’ils entraînent la mort ou des blessures, seront désormais jugés pour ce qu’ils sont : des actes graves, aux conséquences irréversibles.

Mais, si le texte a connu des évolutions que nous saluons, des interrogations demeurent.

Tout d’abord, il introduit une zone grise dans notre droit pénal. Le principe fondamental de distinction entre les actes intentionnels et non intentionnels se trouve brouillé. L’homicide routier s’inscrit à mi-chemin entre ces deux notions, créant une incertitude juridique qui pourrait nuire à la lisibilité des décisions judiciaires.

Nous regrettons ensuite que cette proposition de loi ne s’attaque pas aux causes profondes de la violence routière. Quand on sait que 23 % des accidents mortels sont liés à l’alcool et 13 % aux stupéfiants, ces comportements doivent rester au cœur de nos politiques de sécurité routière.

La prévention est la clé pour éviter de nouvelles victimes. Agir en amont permettrait de faire réellement baisser le nombre de victimes des violences routières. Je souhaite, d’ailleurs, saluer le rôle de nos collectivités dans cette prévention ; nous devons les accompagner dans cette mission.

En conclusion, mes chers collègues, ce texte marque une avancée dans la reconnaissance des souffrances des victimes et dans la responsabilisation des conducteurs. Nous voterons donc en sa faveur.

Cependant, nous appelons à aller plus loin et à investir pleinement dans la prévention, dans l’éducation, ainsi que dans le soutien aux victimes. C’est seulement en agissant sur tous ces fronts que nous pourrons un jour espérer faire disparaître ces drames de nos routes.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « certains usagers, par les risques qu’ils acceptent de faire courir, par l’insouciance que traduit leur attitude sur la route, se conduisent en véritables “asociaux” ».

Ces propos prononcés par Robert Badinter en 1985 valent – hélas ! – encore aujourd’hui : des comportements fautifs reconnus par la loi, comme la vitesse excessive, l’abus d’alcool et la consommation de stupéfiants, sont les causes de trop nombreux drames sur nos routes.

Notre arsenal législatif réprime d’ores et déjà ces faits inacceptables. Nous continuons de considérer qu’il n’est nullement nécessaire de revenir sur la distinction entre le caractère volontaire ou involontaire des blessures infligées ou de la mort provoquée pour mieux appréhender ces phénomènes.

Les chiffres restent terribles. Quels que soient les progrès, chaque vie perdue sur nos routes du fait des comportements coupables de certains est une vie perdue de trop.

Après avoir baissé pendant des années grâce à des politiques volontaires, le nombre de morts sur les routes de France stagne à plus de 3 000 personnes par an. Face à ce constat, nous avons le devoir d’agir.

Nous entendons et comprenons la demande des familles meurtries.

Pour autant, aussi légitime que soit leur douleur, nous devons, s’agissant du processus judiciaire et de la qualification d’homicide involontaire, légiférer – comme toujours –avec le recul nécessaire à la cohérence d’un ordre juridique robuste.

Jusqu’à ces derniers mois encore, cet ordre juridique distinguait clairement deux types d’atteintes : les atteintes volontaires et les atteintes involontaires. Cette distinction reposait sur un élément constitutif du délit : l’intentionnalité.

Oui, la qualification d’involontaire est difficile à accepter. Mais je ne crois pas que le seul symbole sémantique attaché à la qualification d’homicide routier suffira à satisfaire les proches des victimes.

Les travaux parlementaires menés lors des deux lectures de ce texte le montrent sans équivoque : il s’agit de faire apparaître les conséquences de l’acte plus que l’intention de l’auteur.

Hélas, nous n’avons pas pu disposer d’une étude d’impact sur ce texte, qui ne vise rien de moins qu’un réel changement de paradigme dans la qualification d’une infraction pénale.

Sur un sujet voisin, à une époque où nous avions la chance que nos travaux bénéficient de l’éclairage d’un avis du Conseil d’État, celui-ci se montrait clair : il considérait que la multiplication des incriminations autonomes conduisait à une complexification du droit, résultant de « réponses législatives à des événements particuliers ».

Comme l’a rappelé notre rapporteur en commission, ce texte vise à répondre à une commande du Gouvernement. Le comité interministériel de la sécurité routière avait, en effet, recommandé de créer une qualification d’homicide routier pour « renforcer la valeur symbolique de l’infraction d’homicide dit involontaire commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule ».

La violence routière est un fait. Cependant, nous avons déjà alerté sur l’aggravation pénale des comportements liés à l’addiction ou à la maladie mentale. Nous continuerons de le faire, d’autant que les moyens pour leur prise en charge diminuent.

Notre compassion infinie face à des situations dramatiques ne doit pas nous aveugler dans l’écriture du droit, en particulier si cela complexifie le travail des juges.

La seule solution mise en avant par les auteurs de cette proposition de loi est un renforcement de l’arsenal pénal en trompe-l’œil. Les peines principales encourues pour les faits d’homicide routier ou de blessures routières sont identiques à celles actuellement prévues pour les homicides ou blessures involontaires aggravés.

Mais les actions concrètes de prévention routière sont les grandes absentes de ce texte : il ne prévoit ni campagne de prévention ni amélioration de l’éducation routière, éléments pourtant clés dans la lutte contre la violence routière.

Nous sommes pleinement conscients des difficultés qu’il y a à répondre à la demande de justice et de réparation des familles de victimes.

Toutefois, loin d’apporter des réponses et des moyens pour prévenir d’autres drames, ce texte engendre une incertitude juridique majeure qui ne servira personne. Quelle est, au fond, la réelle plus-value du terme « routier » ?

Chers collègues, nous ne pouvons voter ce texte en l’état, mais nous nous abstiendrons afin d’affirmer notre compréhension face à la douleur des familles, ainsi que notre souci de rechercher une solution cohérence et ferme.

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le début de l’année 2025 plus de 1 100 vies ont été perdues sur nos routes. Derrière chaque chiffre se nichent des drames humains. Les principales causes de la mortalité routière restent inchangées : vitesse, alcool, stupéfiants, téléphone, inattention ou fatigue.

C’est dans ce contexte que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture la proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière. Déposé en octobre 2023 à l’Assemblée nationale, ce texte a pour objet de faire disparaître en matière routière une qualification d’homicide involontaire bien souvent mal comprise et très mal vécue par les victimes et leurs familles.

Il convient plutôt de considérer que, s’il n’existe pas d’intention volontaire de donner la mort, demeure néanmoins une intention liée à la violation délibérée et grave du code de la route – alcool, stupéfiants, excès de vitesse –, une intention qui peut in fine mener à une issue tragique.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a, dès la première lecture, souscrit à la portée symbolique forte de cette proposition de loi très attendue, tout en cherchant à en conforter la solidité en droit.

La version issue de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale revient certes sur certaines dispositions adoptées ici au Sénat, mais il nous semble dans l’ensemble qu’elle représente un compromis renforcé entre les attentes citoyennes, les préoccupations juridiques et une volonté de durcir la lutte contre la violence routière sans déséquilibrer le droit pénal.

Nous en resterions ainsi aux termes d’« homicide routier » et de « blessures routières ». Nous l’appliquerions à une liste d’infractions qui nous convient, avec un seuil d’excès de vitesse abaissé à 30 kilomètres à l’heure. Les circonstances aggravantes, comme l’utilisation du téléphone au volant, et le quantum des peines nous conviennent également.

Par la qualification juridique actuelle d’homicide involontaire, la justice peut donner le sentiment de minimiser la portée de certains actes. Elle ne fait alors qu’accentuer la souffrance des familles.

Nous soutenons donc ce texte, qui permettra un meilleur accompagnement des plaignants et une plus juste reconnaissance de la gravité de certains faits routiers qui brisent malheureusement des vies.

Si nous partageons l’objectif de la commission des lois d’un vote conforme sur le cœur de la proposition de loi pour répondre aux attentes des familles et des associations, c’est précisément en écho à ces familles et à leurs représentants que j’ai souhaité malgré tout déposer trois amendements qui sont intimement liés.

Ils ne visent pas à modifier le fond des dispositions de la proposition de loi, mais ils tendent à les compléter sur un autre aspect directement lié à la sécurité routière et au code de la route.

Je veux parler des accidents fatals impliquant des conducteurs novices au volant de véhicules surpuissants. Ces accidents sont de plus en plus fréquents dans nos quartiers. Le Nord n’est pas épargné, comme M. le ministre le sait.

Qu’ils soient la conséquence de rodéos urbains délibérés ou d’une conduite à risque inconsciente, ces accidents sont souvent très graves pour les occupants de la voiture et les autres usagers de la route.

C’est la raison pour laquelle Patrick Kanner et moi-même avons déposé il y a plusieurs mois une proposition de loi visant à encadrer l’utilisation de véhicules surpuissants par des conducteurs inexpérimentés. Soutenue par mon groupe, cette proposition est, dans son principe, largement validée par les associations de victimes et les acteurs de la prévention routière, ainsi que par le ministre François-Noël Buffet et ses services, que je remercie pour leur accompagnement.

Traduit ici sous forme d’amendement, ce principe est finalement assez simple. Puisque de plus en en plus d’accidents graves impliquent des conducteurs novices au volant de véritables bolides, faisons en sorte que la conduite de ces véhicules plus puissants, plus lourds et plus rapides que les voitures classiques ne soit réservée qu’aux conducteurs expérimentés, qui savent de ce fait mieux adapter leur pratique.

Si un conducteur encore sous permis probatoire de moins de trois ans conduit malgré tout un véhicule dont la puissance excède la limite réglementaire fixée, alors il commettrait une infraction routière. Et si ce même conducteur encore sous permis probatoire provoque un accident, alors qu’il conduit un véhicule dont la puissance excède la limite réglementaire, alors il commettrait une infraction routière avec circonstances aggravantes – bref, une blessure routière ou un homicide routier.

Ces suggestions s’inscrivent dans une logique de prévention et de sanction tout à fait complémentaire à celle que nous examinons aujourd’hui. Elles s’inspirent, au demeurant, de ce qui fonctionne déjà en Italie pour les voitures et en France pour les motos avec le permis A2.

Élargir ce principe aux voitures au-delà d’un certain seuil de puissance, ce serait protéger nos conducteurs novices et limiter les risques qu’ils créent pour eux-mêmes, leurs passagers et les autres usagers de la route en raison d’une prise en main trop faiblement encadrée de ces véhicules à très haute performance, qui se multiplient depuis quelques années.

Je regrette évidemment que deux des trois amendements que j’ai déposés aient été déclarés irrecevables au titre de l’article 44 bis, alinéas 5 et 6, du règlement du Sénat. Mais je ne doute pas que nous aurons d’autres occasions d’y revenir. Je reste déterminée à soutenir, avec mon groupe, ces propositions très concrètes et à les faire aboutir dans le cadre d’une future discussion législative. Là aussi, il y a urgence.

En tout état de cause, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera pour la proposition de loi dont nous discutons cet après-midi, car elle répond à un besoin de justice pour les victimes et leurs familles.

M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

Mme Alexandra Borchio Fontimp. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce mardi 1er juillet 2025 fera date pour toutes les familles endeuillées qui, depuis la perte de leur être cher, ont vu leur vie basculer, puisque c’est aujourd’hui, au Sénat, que sera définitivement votée la proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière.

Je veux remercier les rapporteurs de ce texte, le député Éric Pauget et le sénateur Francis Szpiner, pour leur travail.

Rien ne soulagera l’irréparable. Rien n’effacera la peine. Nous ne remonterons pas le temps. Mais il est temps de nommer les choses.

À ce jour, notre droit parle d’homicide « involontaire », comme si le fait de prendre le volant ivre, drogué ou sans permis relevait de l’imprudence et non d’une faute grave, d’un acte criminel. Ce n’est pas acceptable, ce n’est plus audible.

Dans mon département des Alpes-Maritimes, comme partout en France, les violences routières font chaque année des ravages insoutenables.

Je pense aujourd’hui à Noé, bien sûr, et à sa famille, ici présente. Ce jeune Antibois de 17 ans, tué par un chauffard qui roulait sous l’emprise de l’alcool et de drogues. Sa mort n’est pas une fatalité. C’est une injustice. Et c’est à nous, législateurs, de dire que la vie de Noé compte, que la vie de chaque victime compte.

Je pense aussi à Ambre et Clémence, ces deux infirmières de l’hôpital de Mougins, mortellement percutées jeudi dernier par un chauffard là aussi ivre et sous stupéfiants.

Je pense également au pompier niçois Jérémie Boulon, tué par un conducteur qui venait de consommer du protoxyde d’azote.

Reconnaître l’homicide routier est une première étape très symbolique. Reconnaître, c’est réparer, c’est rendre leur dignité aux victimes, mais nous devons collectivement poursuivre le travail. Je regrette que ce texte ne prévoie rien sur l’effectivité des peines prononcées.

C’était d’ailleurs l’objet de la proposition de loi pour une meilleure prévention des violences routières, que j’ai déposée en 2022 avec Laurent Somon, qui vise à instaurer une peine de prison ferme minimum pour les délinquants routiers. Nous attendons une plus grande fermeté dans l’application des peines. C’est bien là tout l’enjeu.

Deux sujets majeurs doivent également appeler notre attention.

Le premier sujet concerne le renforcement de la prise en charge des victimes et la considération pour les proches de ceux qui ne sont plus là. C’est primordial.

Mon amendement visant à informer obligatoirement les parties civiles de la date d’audience, adopté en première lecture au Sénat, a été conservé dans le texte. C’était une demande récurrente et légitime des familles endeuillées. Nous leur devions cette avancée.

Le second sujet concerne le protoxyde d’azote. Il nous faut lutter plus et mieux contre son usage détourné. Oui, les difficultés liées à sa détection persistent : donnons les moyens à nos chercheurs de développer des techniques probantes. Sanctionnons son usage détourné, qu’il y ait eu ou non un accident de la route. Ce gaz hilarant est un véritable fléau !

Cette proposition de loi est une pierre supplémentaire à l’édifice juridique que nous devons toutefois parfaire. Les sénateurs du groupe Les Républicains répondront, cette fois encore, présents ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)