Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny, pour la réplique.
Mme Anne-Sophie Romagny. Je vous remercie, madame la ministre, de votre engagement pour les professions agricoles et viticoles.
Vous l’avez rappelé, ce texte date de 2002 ; or en vingt-quatre ans, du jus de raisin a coulé dans les pressoirs et la situation agricole et viticole a largement évolué. Les viticulteurs comptent sur vous, en pleine crise structurelle et conjoncturelle. À l’heure où le changement climatique bouleverse la vigne et où l’on arrache des pieds, les vignerons attendent des actes forts. Le patrimoine viticole français est une véritable pépite : accompagnons le développement de nos vignobles ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures douze, est reprise à seize heures trente.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
2
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Lors du scrutin n° 334, sur l’ensemble de la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme, ma collègue Véronique Guillotin souhaitait voter pour.
Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
3
Candidature à une délégation sénatoriale
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation sénatoriale aux outre-mer a été publiée. Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur
Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur (texte de la commission n° 800 rectifié, rapport n° 799).
La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Vincent Louault et Franck Menonville applaudissent également.)
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, que de chemin parcouru !
Aujourd’hui, nous nous apprêtons à adopter le texte établi par la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur.
Je souhaite commencer cette intervention par des remerciements, car nous ne serions pas ici aujourd’hui sans la détermination et même l’obstination de Laurent Duplomb et de Franck Menonville, auteurs de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Ils tenaient à sortir notre agriculture de l’ornière et à la libérer non pas de toutes les normes, si nombreuses, trop nombreuses, mais bien des contraintes injustifiées, minant notre potentiel productif et fragilisant notre pays. Je tiens ici à leur apporter mon soutien, car je sais combien ils ont été bassement – j’y insiste, bassement ! – attaqués.
Je souhaite aussi remercier notre ministre, pour son soutien sans faille. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot et M. Franck Menonville applaudissent également.) Ce texte a été critiqué. Ce texte a été dénigré et caricaturé, car la caricature est toujours plus facile que l’analyse de la réalité des faits. (Marques d’assentiment sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yannick Jadot s’exclame.)
Malgré ces obstacles, notre ministre a tenu bon, souvent même contre ses collègues du Gouvernement, là où la facilité aurait été de se désengager progressivement, laissant les revendications du monde agricole sans réponse. Soyez donc remerciée, madame la ministre, de votre ténacité, de votre travail, de votre courage et de votre capacité à faire émerger le compromis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Elle est courageuse !
M. Pierre Cuypers, rapporteur. Car des compromis, il a fallu en faire : c’est là l’essence même du débat parlementaire. À ce titre, je souhaite remercier nos collègues de l’Assemblée nationale Julien Dive, rapporteur, et Sandrine Le Feur, rapporteure pour avis. Nos échanges ont été intenses au cours des dernières semaines.
Julien Dive a su défendre ce texte dans une Assemblée nationale que chacun sait divisée. Il a su le faire cheminer en commission et a pris ses responsabilités en séance publique. Je tiens également à remercier de sa contribution au compromis final Marc Fesneau, qui avait été le ministre à l’initiative de la loi du 24 mars 2025 d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, voilà plus d’un an.
Je tiens enfin à remercier notre présidente de la commission des affaires économiques, toujours en soutien et en confiance, particulièrement dans les moments les plus complexes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Nous avons connu de tels moments, ces derniers jours. La négociation avec l’Assemblée nationale a été, comme vous pouvez l’imaginer, longue et difficile. Elle a été menée avec la conscience aiguë et commune que l’intérêt national commandait de parvenir à un accord. C’est ce que nous avons fait.
Certes, le texte que nous vous présentons comporte des concessions de la part du Sénat. Je songe notamment aux dispositions sur les zones humides, mais je ne doute pas que nous remettrons très bientôt l’ouvrage sur le métier…
Je pense pouvoir affirmer avec satisfaction que l’essentiel est bien là : conseil stratégique phytosanitaire rendu facultatif au profit de la création d’un module dédié au sein du certificat individuel pour les produits phytopharmaceutiques (Certiphyto), qui, lui, est obligatoire ; création d’un conseil stratégique global facultatif au service des agriculteurs ; fin de la séparation, absurde, de la vente et du conseil pour ce qui concerne les produits phytosanitaires pour les distributeurs ; création d’une vraie procédure de contestation du résultat des indices en matière d’assurance prairie, au profit de nos éleveurs ; facilitation de la consolidation des élevages et relèvement des seuils d’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) pour les élevages bovins, porcins et avicoles ; sécurisation des ouvrages de prélèvement et de stockage de l’eau en les déclarant d’intérêt général majeur ; ou encore caméra individuelle pour les inspecteurs de l’environnement, et réaffirmation du rôle du préfet en la matière.
Enfin, je veux dire un mot de l’article 2, qui a cristallisé les débats et qui, je dois le redire, a été caricaturé. Non, nous ne réautorisons pas les néonicotinoïdes, mais oui, nous aménageons.
M. Yannick Jadot. Ah !
M. Pierre Cuypers, rapporteur. Nous aménageons, selon des conditions extrêmement strictes, la possibilité d’accorder des dérogations à des filières en situation d’impasse technique et de grand danger économique. En d’autres termes, nous atténuons une surtransposition franco-française puisque, je le rappelle, l’acétamipride est autorisée dans les vingt-six autres pays de l’Union européenne.
Ce texte est équilibré et juste. Il vient clore une longue séquence, ouverte par notre assemblée au début de l’année 2023 à l’occasion du vote de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, laquelle, déjà, contenait bon nombre de dispositions adoptées depuis.
Soyons donc fiers du rôle moteur qu’a joué, encore une fois, le Sénat, au service de notre agriculture et au service de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme d’années marquées par l’accumulation de nuées sombres au-dessus des campagnes françaises, voilà qu’enfin une éclaircie se dessine et, avec elle, une certitude : il n’est de fatalité que celle à laquelle on se résigne.
Cette éclaircie, nous la devons à neuf mois de travail opiniâtre, à l’initiative des sénateurs Duplomb et Menonville, puis Cuypers. Neuf mois durant lesquels j’ai placé toute la force de frappe de mon ministère au service de ce texte pour que, ce lundi, une fumée blanche s’élève au-dessus de la commission mixte paritaire.
Mobilisation de mes services, procédure accélérée, défense constante dans le débat public, y compris face aux contre-vérités. J’y ai mis toute mon énergie avec un objectif clair : aboutir. Dans un pays où l’arithmétique parlementaire bride l’ambition, il s’est agi de construire un texte solide sur le fond, équilibré sur la forme et à même de rassembler une majorité dans les deux chambres. Nous sommes à quelques centimètres d’y parvenir. La colère de l’hiver dernier est entendue et cette proposition de loi est sur le point d’y apporter une réponse.
Les membres de la commission mixte paritaire ont su dégager un compromis. Je salue l’engagement de la présidente Estrosi Sassone et de tous ceux qui y ont contribué.
Certes, j’aurais souhaité un texte plus proche de celui qui a été voté ici même, mais l’ambition centrale est là. Les leviers essentiels sont préservés. C’est pourquoi je vous appelle, avec force, à l’adopter. Un vote positif marquera une étape décisive dans la reconquête de notre souveraineté alimentaire, que je défends depuis des mois avec constance.
Demain, nos agriculteurs bénéficieront d’un accès élargi au conseil pour piloter leur exploitation, sans remettre en cause notre exigence de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Je rappelle que notre pays est engagé dans le plan Écophyto.
Demain, la gestion de l’eau, bien commun aussi vital que menacé, sera facilitée, pour que l’agriculture, c’est-à-dire l’alimentation, contribue pleinement à la transition écologique, sans être sacrifiée sur l’autel de cette dernière.
Demain, certains produits, couramment autorisés ailleurs en Europe, pourront l’être, en France, à titre dérogatoire, pour les seules filières en impasse de traitement, menacées économiquement et engagées dans un plan de recherche de solutions de substitution. Ces dérogations seront strictement encadrées, limitées dans le temps, réexaminées tous les trois ans au moins et levées dès que les conditions cesseraient d’être remplies. À ma demande, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) identifie les filières concernées selon une méthode rigoureuse ; ses conclusions sont attendues à l’automne.
Nos producteurs réclament non pas des privilèges, mais de la justice. Ils ne veulent plus subir des distorsions de concurrence condamnables, car issues de surtranspositions franco-françaises et non de considérations scientifiques. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Salmon s’exclame.)
M. Rémy Pointereau. Exactement !
Mme Annie Genevard, ministre. Demain encore, nos éleveurs verront leurs projets d’installation de bâtiments libérés des freins administratifs qui minent leur activité.
Ce texte permet de franchir une première étape sur les seuils et réunions publiques. La seconde, consacrant un régime spécifique, le sera dans un projet de loi que je vous présenterai à l’automne.
Par ailleurs, les dispositions relatives à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ayant suscité de vives réserves parlementaires, j’ai saisi le Conseil d’État. Ce sujet ne relevant pas du domaine législatif, l’identification des usages prioritaires sera précisée par décret, sur la base de travaux scientifiques incontestables. Moi, je crois à la science !
MM. Yannick Jadot et Daniel Salmon. Nous aussi !
Mme Annie Genevard, ministre. L’indépendance de l’Anses n’est pas et ne sera jamais remise en cause. (M. Yannick Jadot s’exclame.)
Je ne détaillerai pas ici toutes les mesures tendant à réparer le lien entre l’administration et le monde agricole non plus que celles qui visent à ouvrir enfin la voie à des techniques innovantes contre les ravageurs. Mais elles sont là et elles comptent.
Ce texte, après la loi d’orientation agricole, après l’allégement historique de 500 millions d’euros de charges, après les avancées en matière de simplification, vient renforcer une architecture : celle du redressement.
C’est le chapitre des doutes que nous refermons et celui d’un avenir conquérant que nous ouvrons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot et M. Franck Menonville applaudissent également.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Salmon et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur (n° 800, 2024-2025).
La parole est à M. Daniel Salmon, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaiterais d’abord rendre hommage aujourd’hui à Albert Chotard, agriculteur et fils d’agriculteur, décédé le 31 mai dernier, épuisé par un double combat. Depuis près de trente ans, il luttait contre la maladie de Parkinson et contre la cause de ses maux : les pesticides.
Beaucoup de ses collègues tombaient malades, expliquait-il. Des Parkinson, comme lui, des lymphomes, des tumeurs au cerveau… Comme nombre d’agriculteurs, Albert Chotard avait contacté le collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’ouest en disant : « Je ne le fais pas pour moi, c’est trop tard. Je le fais pour que cela n’arrive pas à d’autres ! »
Nous refusons d’être complices d’un système qui sacrifie la vie des agriculteurs.
Détricoter les normes environnementales ne répondra ni à l’insuffisance de la rémunération des agriculteurs ni au besoin de renouvellement des générations et ne permettra pas plus de renforcer notre souveraineté. En revanche, nous continuerons de détruire notre environnement et la santé de tous, ce pour répondre aux exigences de profit de quelques-uns. (M. Laurent Duplomb s’exclame.)
Après un passage en force à l’Assemblée nationale, privant nos concitoyennes et concitoyens d’un véritable débat démocratique sur les conséquences de cette proposition de loi, nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner le texte issu de la commission mixte paritaire, négocié dans une totale opacité. Pourtant, nous savons que les mesures qu’il comporte sont rejetées par une majorité de citoyens. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. C’est faux !
M. Daniel Salmon. Disons-le tout net : une démocratie moderne ne devrait pas légiférer ainsi.
Qu’elles viennent des paysans, des scientifiques, des apiculteurs, des médecins, des organisations de la société civile ou des citoyens, les alertes sur la dangerosité de cette proposition de loi ont été nombreuses. Or elles ont été ignorées et balayées d’un revers de main par la commission mixte paritaire. (Mme la présidente de la commission proteste.)
Nous l’avions dit lors de l’examen du texte en première lecture et nous le disons de nouveau : au-delà des fortes divergences politiques, ce texte contrevient gravement aux principes constitutionnels,…
M. Laurent Burgoa. Non !
M. Daniel Salmon. … en s’attaquant à des normes environnementales essentielles pour la santé de nos concitoyens, la préservation de nos ressources et celle du vivant.
Sur de nombreux points, ce texte entre en contradiction avec la lettre et l’esprit de la Charte de l’environnement. C’est également une attaque en règle contre le droit européen – nous y reviendrons.
M. Bruno Sido. Pas du tout !
M. Daniel Salmon. C’est la raison pour laquelle nous avons de nouveau déposé une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. À cette heure, il nous faut rejeter unilatéralement ce texte.
L’article 2 autorise le ministre de l’agriculture à déroger à l’interdiction d’utiliser des néonicotinoïdes. La dérogation n’est assortie d’aucune limite de durée et ne fait l’objet d’aucune évaluation. En outre, les types d’usage ne sont pas précisés. Elle passe ainsi outre les procédures d’autorisation de l’Anses.
Pourtant, l’acétamipride, ainsi que le sulfoxaflor et le flupyradifurone – deux autres substances dont on parle moins, mais dont l’utilisation a de nouveau été autorisée – représentent un réel danger pour la santé humaine et les pollinisateurs qui ne peut être ignoré. Ce sont des neurotoxiques soupçonnés d’être des perturbateurs endocriniens qui s’attaquent au système nerveux des insectes ; s’agissant de la santé humaine, ils sont associés à des troubles du neurodéveloppement.
Les conséquences présumées de la présence de ces trois substances et de leurs dérivés dans le corps humain sont multiples : maladies rénales, malformations cardiaques, tremblements, pertes de mémoire. Que faudrait-il de pire pour que le législateur ouvre les yeux ?
Le principe démocratique voudrait que la décision politique s’appuie sur des données scientifiques, madame la ministre ; or vous les piétinez ! (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) Visiblement, le chlordécone n’a pas suffi. Allons-nous continuer de répéter indéfiniment les erreurs du passé ?
L’article 2 s’oppose au droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ainsi qu’au principe de précaution, tous deux inscrits dans la Charte de l’environnement. En outre, il contrevient à l’obligation qui incombe au législateur de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, consacrée à l’article 2 de ladite Charte.
En écartant l’Anses de la procédure d’autorisation de mise sur le marché des néonicotinoïdes, le présent texte est par ailleurs contraire au règlement européen définissant les modalités d’évaluation et de mise sur le marché par les agences habilitées des États membres.
En 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été explicite dans ses décisions préjudicielles : la protection de la santé humaine et animale et de l’environnement doit primer l’amélioration des cultures végétales. Elle rappelle en outre que le principe de précaution prime, y compris en l’absence de solutions de substitution.
En clair, l’objectif de protection de la santé humaine et de l’environnement en particulier doit être le seul critère d’évaluation et d’autorisation. L’objectif de rendement, quant à lui, ne doit aucunement entrer dans l’équation.
C’est notre devoir, en tant que parlementaires, de veiller au respect du principe de précaution. Alors que de nombreux faisceaux de preuves montrent l’existence d’un lien entre l’utilisation des pesticides et l’émergence de maladies, nous ne pouvons laisser passer ce type de régression.
Concernant l’Anses, le texte élaboré par la commission mixte paritaire, fort heureusement, n’a pas maintenu la création d’un conseil d’orientation pour la protection des cultures, structure externe dominée par les intérêts privés et économiques, qui menaçait gravement l’objectivité des décisions.
Cependant, avec le renforcement du comité des solutions, une définition extrêmement restrictive des solutions de substitution aux pesticides et une nouvelle procédure visant à prendre en compte des impératifs économiques risquent, à terme, de contraindre les travaux de l’Anses.
Le risque de contentieux persiste sachant que, selon le règlement européen précité, l’évaluation en vue d’autoriser la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques doit être indépendante, objective et transparente.
M. Vincent Louault. C’est bien le cas !
M. Daniel Salmon. Venons-en à la question cruciale de l’eau. De nombreux acteurs des territoires vous ont alertés sur les risques de cette proposition de loi, qui fragilise deux principes fondamentaux : la préservation de la qualité de l’eau et l’équité dans le partage de cette ressource essentielle.
En autorisant de nouveau l’usage de néonicotinoïdes, niant leur toxicité et leur persistance dans l’environnement, la proposition de loi ouvre la voie à une dégradation des milieux naturels et des ressources en eau, vecteurs majeurs de diffusion de ces substances.
Le texte prévoit également une reconnaissance automatique de l’intérêt général majeur pour les projets de stockage d’eau agricole, remettant en cause les règles issues de la concertation locale et les instruments de gouvernance existants.
Ainsi, vous rompez avec la recherche de consensus local et affaiblissez la gouvernance territoriale de l’eau. Vous créez de facto un déséquilibre manifeste entre les usages en privilégiant un besoin particulier, l’irrigation agricole, au détriment d’autres usages tout aussi légitimes, comme l’alimentation en eau potable ou la préservation des écosystèmes. Je sais bien que cela ne dérange pas grand monde ici… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Venez voir dans le Gard !
M. Daniel Salmon. Cette démarche est contraire à l’esprit de solidarité et de concertation ainsi qu’à l’intérêt général, qui doivent toujours guider l’action publique.
Se pose également la question de la compatibilité du présent texte avec la directive-cadre sur l’eau, qui encourage la promotion d’une « utilisation durable de l’eau, fondée sur la protection à long terme des ressources disponibles ».
Les États membres doivent protéger, améliorer et restaurer toutes les masses d’eau. Ils doivent assurer un équilibre entre les captages et le renouvellement des eaux souterraines.
Ce dernier point exige de ne pas bloquer les politiques publiques de gestion de l’eau en présumant un intérêt général majeur ou une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) pour les ouvrages de stockage d’eau et les prélèvements destinés à l’irrigation.
Seul point positif (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) dans ce marasme général : la suppression du dispositif relatif aux zones humides. C’est bien peu…
Enfin, je souhaite dire quelques mots de l’article 3, relatif aux installations classées pour la protection de l’environnement. Le présent texte est contraire au principe de précaution consacré par l’article 5 de la Charte de l’environnement en ce qu’il vise à exclure de nombreux projets d’élevage du régime d’autorisation des ICPE en relevant le seuil d’enregistrement, sans que cette disposition ait été préalablement évaluée à l’aune de ses conséquences environnementales et économiques.
De fait, il modifie le régime des enquêtes publiques et prévoit que la réunion publique est remplacée par une simple permanence en mairie. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Il s’agit d’une nouvelle atteinte inacceptable à la démocratie environnementale, déjà fortement abîmée par la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte.
On ne peut pas parler d’acceptabilité et la nier en permanence ! Sur ce type de projets, réduire à la portion congrue le processus d’information démocratique à destination des citoyens est grave et contrevient à l’article 7 de la Charte de l’environnement, qui garantit à toute personne le droit « d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».
M. Jean-Marc Boyer. On l’entend tous les jours !
M. Daniel Salmon. Par ailleurs, le risque de non-conformité au droit de l’Union européenne se pose, car le texte va à l’encontre des directives encadrant les fermes-usines.
Chers collègues, accélérer les procédures et réduire les contrôles des ICPE ne changera rien aux problèmes des agriculteurs. L’agrandissement et l’intensification des exploitations agricoles favorisent les investissements massifs et l’endettement, dévalorisent la production et rendent plus difficiles la transmission et la reprise des fermes.
M. Roger Karoutchi. Où ça ?
M. Daniel Salmon. L’avenir de l’élevage passe par l’installation de fermes partout sur le territoire et non par leur concentration dans des secteurs déjà denses, entre les mains de quelques-uns.
Ce texte, contrairement aux objectifs affichés, crée les conditions de l’industrialisation et de la financiarisation de notre agriculture – nous en reparlerons.
Mme Frédérique Puissat. Quelle caricature !
M. Daniel Salmon. Madame la ministre, le refus persistant d’écouter les avertissements des experts et de la société civile témoigne d’un tournant inquiétant : celui d’une mise à distance croissante de la science, des faits et de l’expertise sanitaire. (Mme la ministre proteste. – Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Des politiques similaires d’attaque contre les institutions travaillant sur le climat, l’environnement et la santé s’observent dans de nombreux pays et mettent en péril notre avenir commun.
Les contraintes évoquées dans l’intitulé de cette proposition de loi viennent non pas de la protection du vivant, mais de trente années de libéralisation des marchés, construites ici, qui ont organisé la disparition des agriculteurs et mis en danger la souveraineté alimentaire de notre pays.
Mes chers collègues, je vous invite à faire vôtre cette maxime : ce que je sais m’oblige. Demain, nous verrons qui assumera ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Cuypers, rapporteur. J’avais déjà entendu ailleurs, de différentes manières, les propos qu’a tenus notre collègue Salmon. Avec une très grande sagesse, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Annie Genevard, ministre. Le Gouvernement émet, lui aussi, un avis défavorable.
Monsieur Salmon, je vous rappelle que l’interdiction de l’acétamipride n’est le fait ni de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) ni de l’Anses.
M. François Bonhomme. Eh oui !
Mme Annie Genevard, ministre. C’est la décision des parlementaires, qui se sont octroyé le pouvoir de dire si tel produit phytosanitaire est bon ou mauvais. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi qu’au banc des commissions. – Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
C’est l’Efsa elle-même qui autorise l’utilisation de l’acétamipride à l’échelon européen. Pour ma part, je fais davantage confiance aux scientifiques de cette agence qu’à l’amateurisme de certains… (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)