Mme Laurence Rossignol. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture, dans des conditions pour le moins rocambolesques, la réforme de l’audiovisuel public.
Cela fait déjà plusieurs années que notre Chambre s’est saisie de cette question. Je pense notamment au rapport d’information des sénateurs Jean-Pierre Leleux et André Gattolin, paru en 2015, sous la houlette de la présidente de la commission de l’époque, Catherine Morin-Desailly, ainsi qu’à celui de Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet, publié en 2022.
Il y a eu, bien sûr, la tentative de réforme menée par le ministre Franck Riester, qui fut interrompue par la crise sanitaire.
C’est dans ce contexte qu’a été déposée la présente proposition de loi, dont je salue l’auteur, Laurent Lafon. Le Sénat l’a adoptée il y a déjà deux ans en première lecture, mais son examen à l’Assemblée nationale a tourné court.
L’audiovisuel public est aujourd’hui régi par la loi Léotard, qui date de 1986. Depuis l’adoption de cette loi, notre société et nos médias ont fait l’objet de transformations majeures, comme beaucoup d’entre vous l’ont dit avant moi. Que ce soit l’émergence des réseaux sociaux, les smartphones, l’internet ou encore les tablettes, la situation a bien changé en l’espace de quarante ans. Il est donc essentiel de nous adapter.
Nous le savons tous, le cœur de la réforme était la création d’une holding, France Médias, qui regrouperait France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA.
Néanmoins, je pense sincèrement que l’ambition d’origine s’est muée en une future fusion qui ne dit pas son nom et que sa raison d’être se borne à avoir un grand « manitou » à la tête de cette nouvelle instance et des sociétés qui la composeront. Ce n’est plus du tout le texte de la première lecture que j’avais voté bien volontiers en 2023. (Ah ! sur les travées du groupe SER.)
J’ai aujourd’hui une pensée pour les dirigeants de ces sociétés, Sibyle Veil, Delphine Ernotte, Marie-Christine Saragosse et Laurent Vallet, qui ont fait l’objet d’attaques regrettables, alors qu’ils n’ont pas démérité dans leurs fonctions, tant s’en faut, et qu’ils seront sans doute tout bonnement remerciés si ce texte est adopté définitivement.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien ! (M. David Ros renchérit.)
Mme Laure Darcos. Seule exception, France Médias Monde, qui devait initialement intégrer la holding, pourrait y échapper si les nombreux amendements déposés en ce sens sont adoptés. Nous pouvons nous en réjouir compte tenu des particularités de cette structure sur le plan international.
Dès lors, au regard des évolutions contenues dans le texte, il nous appartiendra de veiller à ce que chacune des composantes de cette nouvelle holding conserve son âme et ses spécificités, en espérant que nous ne reviendrons pas à la bonne vieille ORTF.
À cet effet, nous devrons être vigilants sur les dispositions de cette proposition de loi qui portent sur la direction de la holding et de ses sociétés. Chacune d’elles doit pouvoir être dotée de responsables qui ne seront pas les simples délégués du PDG de France Médias. Il y va de la richesse de cet audiovisuel public français.
Par ailleurs, je n’ai toujours pas compris comment, dans la foulée de la création de cette holding, la gouvernance de France Médias pourrait procéder à des redécoupages en filiales inter-sociétés avec les difficultés de fusionner les grilles salariales et les statuts des journalistes et des fonctions support, si différents d’une société à l’autre. Tout cela sans aucune étude d’impact, faut-il le rappeler…
J’ajoute que la présente réforme intervient dans un contexte budgétaire particulier. La suppression de la contribution à l’audiovisuel public en 2022 partait d’un principe louable, bien que je m’y sois vivement opposée pendant la campagne présidentielle.
Comme prévu, elle a eu des conséquences non négligeables. La loi organique du 13 décembre 2024 portant réforme du financement de l’audiovisuel public a permis d’apporter une première réponse, mais est-ce suffisant ? Trois ans après la suppression de la redevance télé, Bercy cherche encore à réaliser des économies.
La création de la holding devrait permettre la mutualisation de fonctions support. Selon les estimations de l’inspection générale des finances, elle pourrait dégager 10 millions d’euros de gains par an. Nous le verrons bien.
Par ailleurs, je tiens à alerter sur la nécessité de retirer de ce texte les dispositions relatives à l’audiovisuel privé, qui doit bénéficier d’une réforme distincte afin de mieux prendre en compte ses spécificités. Le privé et le public font face à des problématiques différentes. Chaque secteur mérite un texte qui y réponde avec efficacité et de façon adaptée.
Comme vous pouvez le constater, mon avis et celui de mes collègues du groupe Les Indépendants deviennent de plus en plus mitigés au fur et à mesure de l’avancement de l’examen de ce texte, qui accouche dans la douleur. Nous attendons avec intérêt nos échanges lors de la discussion des amendements pour éclaircir certains points cruciaux. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées des groupes SER et GEST. – MM. Bernard Fialaire et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, mes chers collègues, pour un peu, madame la ministre, on se pincerait pour y croire. (Sourires au banc des commissions.)
J’ai vu passer à basse altitude, sur ce banc, pas moins de quatre ministres de la culture depuis 2017 (M. Roger Karoutchi renchérit.) sans qu’aucun ait été capable de faire avancer de façon significative la situation de l’audiovisuel, notamment public, dans notre pays,…
Mme Laurence Rossignol. Ils défendaient l’audiovisuel public !
M. Jean-Raymond Hugonet. … et voilà que, le 11 janvier 2024, vous débarquez rue de Valois.
Comme par enchantement (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et GEST.), tout ce qui était impensable, impossible, voire littéralement proscrit dans ce monde merveilleux, devient d’un seul coup réalité. Telle Mary Poppins, vous osez vous attaquer au totem absolu : l’audiovisuel public.
Tirant les leçons de tant d’années d’inaction ou d’errance, dans un contexte où la transition numérique et les plateformes, elles, n’attendent pas, vous avez choisi d’avancer résolument, contre vents et marées. Il était en effet plus que temps.
Qu’à cela ne tienne, en la matière, le Sénat regorge d’idées et de propositions, déjà sur étagères depuis bien longtemps. Il n’y a même, à vrai dire, que l’embarras du choix.
Citons tout d’abord une période ancestrale, avec le rapport d’information du 29 septembre 2015 de nos anciens collègues de la commission de la culture, Jean-Pierre Leleux et André Gattolin, alors sous la présidence de Catherine Morin-Desailly, que je veux ici saluer, qui préconisait déjà, il y a donc dix ans, la création d’une holding.
M. Max Brisson. Eh oui !
M. Jean-Raymond Hugonet. Passons ensuite au rayon du disruptif – c’est à la mode – avec le rapport d’information du 8 juin 2022 de Roger Karoutchi et de votre serviteur, qui recommandait la solution de bon sens à laquelle il faudra bien sûr se résoudre un jour : je veux parler de la fusion.
M. Max Brisson. Un excellent rapport !
M. Jean-Raymond Hugonet. Finalement, pour des raisons assez évidentes de temporalité, vous avez souhaité vous appuyer sur la contribution la plus récente, c’est-à-dire la proposition de loi standard du président de la commission de la culture, Laurent Lafon, déjà adoptée ici au Sénat en première lecture le 13 juin 2023.
Disons-le tout de suite, afin de tordre le cou aux caricatures d’un autre âge : pour une écrasante majorité d’entre nous ici, nous sommes très attachés à l’existence d’un audiovisuel public fort, indépendant et s’adressant à tous les Français.
M. Max Brisson. Très bien !
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Absolument !
M. Jean-Raymond Hugonet. Nous considérons cependant, comme le Président de la République en son temps d’ailleurs, que l’audiovisuel public n’est pas exemplaire, tant s’en faut. (Ah ! sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Nous y voilà !
M. Jean-Raymond Hugonet. Pour le dire de façon tout à fait diplomatique, il conserve des marges de progression pour développer des programmes plus originaux, pour veiller – quand même – à l’impartialité de l’information…
M. Max Brisson. Absolument !
M. Jean-Raymond Hugonet. … et pour s’astreindre à une gestion économe des deniers publics.
M. Max Brisson. Absolument !
M. Jean-Raymond Hugonet. Par les temps qui courent, admettez que cela ne peut pas faire de mal.
Bien sûr, les partisans du surplace, les adeptes des mutualisations à reculons, les nostalgiques des contrats d’objectifs et de moyens creux comme des huîtres (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) font feu de tout bois pour tenter de ralentir l’inéluctable sens de l’Histoire.
C’est mal vous connaître, madame la ministre.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Choupinou !
M. Jean-Raymond Hugonet. Ce type de comportement rétrograde, vous, cela vous inspire.
Mme Laurence Rossignol. Flatteur !
M. Jean-Raymond Hugonet. En l’espèce, reconnaissons-le, vous avez réalisé un véritable coup de génie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Un coup de force plutôt !
Mme Laurence Rossignol. Cela devient gênant !
Mme Colombe Brossel. On va les laisser…
M. Jean-Raymond Hugonet. Jusqu’ici, nous connaissions la conversion de Paul de Tarse sur le chemin de Damas. Désormais, il y aura la conversion de Laurence Bloch sur la route du PAF. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Rossignol. Vous voulez qu’on vous laisse ?
M. Jean-Raymond Hugonet. Lorsque j’ai eu l’honneur de représenter pendant cinq ans le Sénat au conseil d’administration de Radio France, l’occasion m’a été donnée de côtoyer l’ancienne directrice de France Inter – excusez du peu. C’était alors une farouche opposante à ce type de réforme. Comme par enchantement, il a suffi que vous surgissiez en lui confiant un rapport d’accompagnement à la constitution d’une holding France Médias pour voir ses dernières réticences s’évaporer dans un vibrant plaidoyer. Elle est même devenue intarissable sur le sujet.
Soyons clairs ! Oui, l’éparpillement de l’audiovisuel français est une aberration en Europe. Oui, il montre chaque jour un peu plus ses limites. Oui, la multiplication des présidents, des directeurs, des rédactions, des correspondants à l’étranger, des sites internet, des directions régionales et locales est devenue insupportable. L’impatience a depuis longtemps cédé la place à l’exaspération, si ce n’est à la colère.
Oui, madame la ministre, nous allons voter pour la seconde fois ce texte et nous attendrons avec gourmandise la nouvelle saison de cette incroyable série. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me souviens d’avoir dit dans cet hémicycle, il y a quatre ou cinq ans, qu’en matière d’audiovisuel public, nous devrions d’abord tenir un débat parlementaire – il a toujours été reporté – sur son périmètre, ses missions et ce que, au fond, nous attendons de lui.
Au fond, donc, qu’attend-on de l’audiovisuel public ?
Aujourd’hui, les chaînes et les plateformes se sont multipliées. Au temps de l’ORTF, quand le service public ne fonctionnait pas, il y avait simplement une mire à la télévision, alors que l’offre actuelle est considérable et très diversifiée.
Il faut que l’audiovisuel public se pose d’ailleurs lui-même les questions : comment être mieux géré ? comment répondre davantage aux attentes du public ? comment être à la disposition de l’ensemble des Français pour apporter quelque chose, sachant qu’il est financé par l’argent public ?
J’ai entendu deux ou trois intervenants dire tout à l’heure qu’il ne fallait surtout pas toucher à l’audiovisuel public, car il s’agissait d’un contre-pouvoir. Pour moi, que le gouvernement soit de gauche, de droite ou du centre, l’audiovisuel public n’a pas à être un contre-pouvoir : il doit être indépendant et apporter un service public à l’ensemble des Français. (M. Max Brisson acquiesce.)
Si vous dites qu’il doit se poser en contre-pouvoir, c’est que vous acceptez vous-même l’idée qu’il doit être politiquement orienté, ce qui n’est pas acceptable.
M. Yannick Jadot. Ce n’est pas cela, un contre-pouvoir ! (M. Max Brisson s’exclame.)
M. Roger Karoutchi. Restons très mesurés en la matière.
Nous avons, avec mon excellent collègue Jean-Raymond Hugonet, produit un rapport voilà trois ans – ce n’est pas si vieux, madame la ministre (Sourires.) –, prônant plutôt la fusion, mais je me rallie à l’idée du président Lafon, qui est de passer par une première étape, avec la coordination par une holding, puis de réfléchir dans les années suivantes à une éventuelle fusion.
Je mets juste un bémol, madame la ministre, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir à la faveur d’un amendement que j’ai déposé. Je considère que le calendrier ne permet pas d’intégrer dans le périmètre l’audiovisuel public extérieur. France Médias Monde est une structure tournée vers l’étranger. À ce titre, elle a une responsabilité quant à la diffusion de la parole et de la voix de la France. Aussi, il est extrêmement compliqué de l’intégrer très rapidement dans une structure du type de la holding. Peut-être que, dans quelques années, lorsque les choses seront stabilisées, nous pourrons voir comment renforcer l’audiovisuel public extérieur, qui a d’ailleurs besoin de moyens supplémentaires, madame la ministre.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Roger Karoutchi. Je le répète lors de chaque débat budgétaire : face à la désinformation, face à des chaînes financées par des pays autoritaires qui luttent contre l’influence, la présence, la réalité de la France, nous devons avoir un audiovisuel public extérieur plus puissant qu’il ne l’est aujourd’hui.
Pour résumer, je souhaite, dans un premier temps, que nous n’intégrions pas France Médias Monde dans la holding. Dans un deuxième temps, madame la ministre, il faudra qu’un rééquilibrage s’opère, avec un peu plus de moyens pour l’audiovisuel public extérieur, qui, lui, n’est pas en situation de monopole et qui est très attaqué par certains États étrangers. Il a par conséquent besoin de soutien.
Ce texte apporte juste un peu de coordination. Cessons les anathèmes. Ne prenons pas l’audiovisuel public pour un totem. Il a besoin d’être réformé, rénové et conforté dans certains domaines, mais aussi d’être orienté vers un peu plus de neutralité. Tout cela mérite un vrai débat et j’espère que nous allons l’avoir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle
Chapitre Ier
Réforme de l’audiovisuel public
M. le président. L’amendement n° 234, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Dans l’intitulé de cette division
Remplacer le mot :
Réforme
par le mot :
Fragilisation
La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Le présent amendement du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires vise à mettre en lumière le véritable risque de la réforme de l’audiovisuel public, à savoir sa fragilisation.
Sous couvert d’arguments flous – « rassembler les synergies », « renforcer l’audiovisuel public face aux plateformes » –, ce rapprochement par le haut des sociétés de notre audiovisuel public fait peser une lourde menace sur l’indépendance de l’audiovisuel public à l’égard du pouvoir politique, en plaçant les quatre sociétés concernées sous l’égide d’un seul et même président-directeur général. Le risque d’une mainmise de l’exécutif sur le service public de l’information est d’autant plus inquiétant au regard de la montée du populisme d’extrême droite en France et de ses ambitions présidentielles.
Cette logique de concentration, unanimement décriée par les syndicats de journalistes et de salariés, entraîne nécessairement un affaiblissement du pluralisme de l’information. Elle risque de permettre la suppression des programmes, l’accélération des fusions imposées aux salariés et venues d’en haut, la baisse des effectifs, la dégradation des conditions de travail et les externalisations de programmes.
Dans un contexte de menace sur l’information, de concentration des médias dans les mains de quelques-uns et de montée des fake news, la préservation de la diversité et de la pluralité des rédactions, des antennes et des contenus est une nécessité démocratique.
C’est pour cette raison que nous proposons de modifier l’intitulé de cette division en remplaçant le terme « réforme » par le terme « fragilisation ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Cédric Vial, rapporteur. Mme de Marco nous a prouvé lors de la discussion générale qu’elle avait beaucoup d’imagination. Cet amendement en apporte de nouveau la preuve. C’est évidemment un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.
M. Yannick Jadot. Mes chers collègues, je soutiens cet amendement, parce que j’ai entendu un certain nombre de propos qui peuvent légitimement nous inquiéter. Il y a trop souvent une forme d’esprit de revanche de la droite contre l’audiovisuel public et sa prétendue partialité. En gros, ils se disent : nous allons les mettre au pas sur la neutralité ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Fantasmes !
M. Yannick Jadot. Pendant les jours de grève, quand vous ne pouvez pas écouter la radio que vous écoutez habituellement le matin, vous devez vous résoudre à écouter les autres radios. Vous, visiblement, vous n’avez pas ce genre de problème avec le groupe Bolloré et la libération de la parole raciste, homophobe, climatosceptique.
M. Roger Karoutchi. Qu’est-ce qu’il raconte ?
M. Yannick Jadot. J’ai entendu aussi des critiques – pas de votre part, monsieur Karoutchi, mais d’autres collègues –, sur la dimension extérieure, aussi, de France Télévisions et de Radio France.
Les journalistes, notamment des femmes, qui sont sur les zones de guerre pour nous dire ce qui se passe, ne travaillent pas sur les chaînes privées. Ils sont sur l’audiovisuel public et ils mettent leur vie en danger pour nous informer sur la complexité du monde. C’est cela, le service public que nous voulons défendre. Alors, cessez de faire preuve de cet esprit de revanche un peu ridicule et honorez le service public et celles et ceux qui le font vivre tous les jours. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. Antoine Lefèvre. Il n’y a pas d’esprit de revanche !
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Nous entrons là dans le fond du texte, avec l’amendement de Mme de Marco, puis avec l’article 1er sur la création de la holding.
J’espère que les réponses du rapporteur vont être un peu plus étayées, cher Cédric Vial. Je pense que, depuis le départ, nous nous sommes trompés de méthode. J’ai entendu un de nos collègues – vous, monsieur Karoutchi – dire que nous aurions dû d’abord avoir un débat.
M. Roger Karoutchi. C’est vous qui l’avez refusé !
Mme Sylvie Robert. Un débat sur le thème : qu’attendons-nous de cet audiovisuel public ? quelle est la vision stratégique que nous devons avoir aujourd’hui, en 2025 ? Je dis bien aujourd’hui, et pas il y a deux ou trois ans, car les évolutions sont rapides. Le rapport aux plateformes est très important. Regardez les accords de distribution qui se sont développés récemment.
Eh oui, nous aurions eu besoin, d’abord, entre nous, dans cet hémicycle, d’un débat sur l’audiovisuel public. Quelle vision stratégique voulons-nous pour cet audiovisuel public ? Quel objectif lui assignons-nous ? Quels moyens lui donnons-nous ?
Or que nous propose-t-on aujourd’hui ? Créer une super-holding en croyant que la gouvernance va régler tous les problèmes. Mais c’est un non-sens ! Pire, même ! C’est pourquoi j’attends des arguments pour nous convaincre qu’une modification de gouvernance est réellement susceptible de répondre à toutes les problématiques que j’ai citées.
Enfin, nous avons aussi été taxés d’immobilisme. Nous sommes tout à fait conscients, monsieur le rapporteur, des évolutions des pratiques des jeunes. Mais croyez-vous que, demain matin, quand France Inter va être dans la holding, tous les jeunes vont écouter cette station ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sylvie Robert. Vous êtes pris à votre propre jeu !
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, il va falloir que vous nous disiez réellement ce qu’implique cette gouvernance. J’espère que le débat nous éclairera à cet égard.
M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour explication de vote.
Mme Colombe Brossel. Comme cela a été le cas en commission, où il a été balayé d’un revers de main, on pourrait se dire que cet amendement proposé par notre collègue Monique de Marco est anecdotique. En fait, en posant les mots, elle pose finalement la vraie question.
Est-ce que le projet que nous allons examiner, qui n’est pas, j’y insiste, la proposition de loi de Laurent Lafon, a vocation à renforcer ou à affaiblir l’audiovisuel public ? Finalement, je vous remercie, chère Monique de Marco, de poser la seule question qui vaille.
Nous avons commencé à développer notre position, et nous continuerons à le faire tout au long du débat : pour nous, cette concentration des pouvoirs dans cette holding exécutive n’a vocation qu’à affaiblir l’audiovisuel public. Vous pourrez essayer de vous cacher derrière votre petit doigt en disant le contraire et en vous proclamant soutiens de l’audiovisuel public, je n’en démordrai pas. Écoutez plutôt les quelques phrases que j’ai entendues çà et là : « Où est le pluralisme ? Pas dans l’audiovisuel public » ; « À force de dérives, à force d’attaques systématiques, des collègues ont un sentiment de ras-le-bol vis-à-vis de l’audiovisuel public » ; « Il faut que l’audiovisuel public revienne sur des règles déontologiques dont il s’éloigne trop souvent » ; « Il n’y a pas d’équilibre dans l’audiovisuel public. »
Ce sont des mots qui ont été prononcés par des collègues qui s’engagent aujourd’hui non pas à réformer l’audiovisuel public, non pas à l’adapter aux temps actuels, mais à l’affaiblir, pour répondre aux convictions qu’ils ont exprimées librement en public.
Aussi, je le répète, chère Monique de Marco, je vous remercie d’avoir posé, avant même l’article 1er, les objectifs non cachés, mais pas non plus avoués, de cette réforme.
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.
M. Yan Chantrel. En effet, par cet amendement, notre collègue a raison d’annoncer la fragilisation de l’audiovisuel public, car cette proposition de loi va justement engendrer à court et moyen termes des coûts supplémentaires. J’ai tendance à penser que vous êtes victimes de l’hubris réformatrice, qui aboutit à des non-sens entrepreneuriaux. Nous le savons, créer une structure supplémentaire pour chapeauter cette holding devra mobiliser entre vingt et cinquante personnes de plus au bas mot. Tout changement de présidence induit d’ores et déjà le gel des projets en cours, six mois avant et six mois après l’échéance des mandats et pendant la période transitoire. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les présidentes de France Télévisions et de Radio France, conscientes de ces écueils, militent fermement contre la holding.
Même sur le long terme, cette nouvelle holding, qui constitue une mégastructure, entraînera des charges de fonctionnement et de personnel considérables. Une transformation des structures de l’audiovisuel public doit s’accompagner, voire être précédée d’une refonte de son financement. Or ce mécanisme de financement demeure incertain au-delà de la fin de 2024. L’abolition de la contribution à l’audiovisuel public à compter de l’exercice budgétaire 2023, dispositif adopté de manière provisoire, fait que le maintien même du financement de l’audiovisuel public par une fraction de TVA doit passer par une modification de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf).
La transformation opérée par la proposition de loi et la conservation de ce mode de financement ne résoudront en aucune façon, mes chers collègues, les vulnérabilités du secteur liées à une insuffisance chronique de financement depuis des années. Nous devons cette fragilité à l’irresponsabilité politique de votre gouvernement, madame la ministre. Vous avez organisé cette précarité en dérogeant à l’obligation légale d’augmentation annuelle de la redevance, avant de procéder à sa suppression totale, et en improvisant une solution temporaire de financement du secteur audiovisuel public par l’allocation d’une portion de TVA, ce qui le place sous la dépendance de la volonté gouvernementale.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Chère Colombe Brossel, vous parlez de propos tenus en commission par « des collègues ». Or, « ces collègues » dont il est question, c’est moi ! Je ne vois aucune difficulté à être cité.
Après avoir entendu des attaques en règle contre ce texte, qui est bien celui de Laurent Lafon, et non pas celui de Mme la ministre, j’ai en effet dit que l’on pouvait aussi critiquer certaines émissions de l’audiovisuel public. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s’exclame.) À ce moment-là, j’ai entendu des cris d’orfraie. C’est un totem auquel nous n’aurions pas le droit de toucher ou qui ne pourrait être critiqué.
Oui, on a le droit de critiquer certaines émissions, comme on a le droit de critiquer CNews, BFM (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.), ou toute autre chaîne d’information, de radio ou de télévision publique.
Je le redis clairement aujourd’hui, certaines émissions de l’audiovisuel public me semblent s’éloigner du rôle qui devrait être le leur.
Monsieur Jadot, j’ai bien entendu votre aveu lors d’une intervention précédente : vous avez en effet indiqué que votre vision de l’audiovisuel public était celle d’un contre-pouvoir par rapport aux groupes privés. Non, ce n’est pas la mission de l’audiovisuel public d’être un contre-pouvoir. Nous attendons de lui de la neutralité, nous attendons de lui de l’objectivité ; nous attendons de lui d’être la parole de l’ensemble des composantes de la vie politique, économique et sociale française, ce qui ne me semble pas être le cas parfois.
Je peux dire cela tout en étant partisan de l’audiovisuel public, ce que je confirmerai tout à l’heure.
Maintenant, revenons un peu au texte. Vous nous demandez de dire expressément que cette proposition de loi vise la fragilisation de l’audiovisuel public. Si je puis me permettre, cher Laurent Lafon, c’est lui faire beaucoup d’honneur que d’imaginer que votre texte a une telle dimension. Il s’agit juste d’une proposition de loi qui a pour objet de créer une holding. Ne faisons pas dire à ce texte ce qu’il ne dit pas. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)