Sommaire
Se libérer de l'obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant
Rejet d'une proposition de loi
proposition de loi visant à se libérer de l'obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant
Cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et petites entreprises
Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Présidence de M. Alain Marc
vice-président
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Se libérer de l'obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant
Rejet d'une proposition de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, la discussion de la proposition de loi visant à se libérer de l'obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant, présentée par M. Xavier Iacovelli (proposition n° 349 [2024-2025], résultat des travaux de la commission n° 39, rapport n° 38).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi.
M. Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour parler d'une règle de droit vieille de plus de deux siècles : le devoir légal d'assistance mutuelle entre membres de la même famille, que nous appelons « obligation alimentaire ».
En novembre de l'année dernière, le collectif Les Liens en sang, présent aujourd'hui dans nos tribunes, m'avait alerté sur la situation des personnes contraintes par la loi de subvenir aux besoins de leurs parents alors même qu'elles ont subi, de la part de ces derniers, des violences physiques ou psychologiques, des négligences graves ou un abandon. Je me suis alors dit qu'il était temps de faire évoluer un article vieux de 222 ans – l'article 205 du code civil, promulgué en 1803 –, qui dispose : « Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin. »
Cette simple phrase est l'expression d'une solidarité familiale, juste et naturelle : celle du lien, de la filiation. C'est aussi l'expression d'un idéal ; or l'idéal ne suffit pas à recouvrir la réalité.
En effet, dans l'idéal, la famille est un refuge.
Dans l'idéal, la famille est un lieu où l'on se retrouve, où l'on s'aime, où l'on se protège.
Dans l'idéal, la famille est un lieu de transmission et de partage.
Dans l'idéal, la famille est un lieu de solidarité réciproque.
Mais, dans la réalité, toutes les familles ne sont pas des havres de paix. Et c'est là que s'ouvre la rupture entre le droit et la vie.
Car, derrière les textes, il y a des vies : en l'espèce, des vies qui ont été blessées, des vies qui ont été condamnées à un continuum de souffrance.
Mes chers collègues, chaque année en France, 160 000 enfants environ sont victimes de violences sexuelles, dont 77 % ont lieu dans le cadre familial. Dans le même temps, 22 % seulement des victimes portent plainte.
C'est pour ces enfants-là que je défends cette loi et que nous devons agir aujourd'hui : pour ces enfants devenus adultes qui ont subi l'inceste, la négligence, l'abandon, la violence ; pour ces enfants devenus adultes qui découvrent un jour que la loi leur impose de subvenir aux besoins de celui ou de celle qui les a détruits.
Bien sûr, nous avons la chance d'avoir dans cet hémicycle d'éminents avocats, des juristes, des femmes et des hommes de loi, qui nous expliqueront que nous ne pouvons pas nous exonérer d'un jugement, d'un juge et, par conséquent, d'un avocat. Mais comment expliquer qu'au nom de la solidarité familiale l'État contraigne une victime à entretenir son bourreau ?
Nous parlons d'un devoir parental, qui peut être défaillant du fait de ces manquements, et qui est conditionné à la protection, à l'éducation, au respect et à l'absence de violence. Ces conditions sont précisées à l'article 371-1 du code civil : « L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant. [...] [Elle] s'exerce sans violences physiques ou psychologiques. »
Quand ces devoirs sont trahis, quand l'autorité parentale est bafouée, la réciprocité familiale, me semble-t-il, disparaît.
Lorsqu'un parent est défaillant, l'institution de la protection de l'enfance, même imparfaite – je suis bien placé pour le dire –, prend en charge les enfants. Et cette même institution n'envoie jamais la facture aux parents qui n'ont pas assumé leurs obligations légales envers leurs enfants !
Comment accepter, dès lors, qu'il n'y ait pas de réciprocité pour l'enfant victime devenu adulte, à qui nous envoyons la facture – parfois des décennies après qu'il a eu le courage de rompre les liens – pour qu'il entretienne le bourreau de son enfance ?
Je connais votre position, mes chers collègues : le droit en vigueur répond d'ores et déjà à cette exigence.
Il est vrai que le droit actuel, et notamment la jurisprudence de 2016, permet déjà, en théorie, de s'exonérer de cette obligation si un parent a gravement manqué à ses obligations parentales. Mais, dans les faits, le constat est celui de la difficulté pour les victimes de saisir le juge aux affaires familiales, comme le montre le faible pourcentage de victimes qui portent plainte, qui est, je l'ai dit, de 22 %.
Car la justice familiale est saturée, monsieur le garde des sceaux ! Les juges aux affaires familiales croulent sous des milliers de dossiers. Les délais sont ô combien longs, les démarches ô combien complexes, les procédures souvent incomprises ; et beaucoup de victimes renoncent avant même d'avoir été entendues !
Pour des personnes déjà fragilisées par un passé de violence, ces obstacles sont autant de rappels de ce qu'elles ont subi : l'impuissance, la peur, le silence. C'est pourquoi l'enjeu de cette proposition de loi est aussi de simplifier et de rendre accessible un acte juridique qui, dans les faits, reste hors de portée pour beaucoup.
Certains diront que le droit de la famille, celui que l'on apprend dès la première année de faculté, ne doit surtout pas être bousculé parce qu'il faut, comprenez-vous, laisser les familles gérer leurs conflits… Mais nous avons déjà maintes fois fait évoluer notre droit, mes chers collègues, et c'est heureux !
J'en donne quelques exemples.
Si, voilà deux ans à peine, sur l'initiative d'Annick Billon, nous avons contribué à faire reconnaître la notion de non-consentement pour les mineurs de moins de 15 ans, c'est justement parce que notre collègue était animée par la conviction qu'il fallait faire évoluer la loi.
Mes chères collègues Mercier et de La Gontrie, vous étiez respectivement, si ma mémoire est bonne, rapporteure du texte et cheffe de file de votre groupe lors de l'examen de la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille. Vous avez fait évoluer la loi au profit des victimes !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Oui, tout à fait !
M. Xavier Iacovelli. Lorsque nos prédécesseurs ont voté, en 1970 – il a fallu attendre si longtemps ! –, pour que les femmes obtiennent enfin le partage de l'autorité parentale, désormais conjointe, et pour que la notion de « chef de famille » soit enfin supprimée de notre droit, ils ont fait évoluer la loi !
Lorsque le législateur, en 2016, a simplifié et allégé les procédures de divorce en instaurant le divorce par consentement mutuel, sans juge, contresigné par avocats et enregistré par notaire, nous avons fait évoluer la loi !
Lorsque, dans la récente loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, nous avons exonéré de l'obligation alimentaire les enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE), sous des conditions malheureusement bien trop restrictives à mon sens – l'enfant doit en effet avoir été placé plus de trente-six mois cumulés au cours des dix-huit premières années de sa vie –, nous avons fait évoluer la loi !
Nous parlons ici d'un principe, l'obligation alimentaire, qui fut introduit dans le code Napoléon de 1804, ce même code qui instituait un modèle de famille patriarcal dans lequel la femme était juridiquement subordonnée, qui consacrait la division des enfants entre légitimes, naturels et adultérins, et qui reconnaissait le seul mariage comme forme légale d'union…
Heureusement, mes chers collègues, que nous avons fait et que nous faisons évoluer la loi !
Pour parfaire le présent texte, j'ai bénéficié de nombreux échanges constructifs, qui m'ont été précieux et m'ont permis d'identifier quatre difficultés dans le dispositif initial : la question du renversement de la charge de la preuve ; le flou juridique entourant les notions de « défaillance parentale » et de « bienveillance », dont la définition manquait de précision ; le délai d'âge accordé à l'enfant devenu adulte pour se libérer de cette obligation alimentaire, fixé entre 18 et 30 ans ; enfin, la perte des droits successoraux, qui serait une double peine
C'est dans cet esprit que, lors de mon intervention en commission des lois mercredi dernier, et après avoir transmis mes propositions à Mme la rapporteure – je l'avais fait trois jours avant mon audition –, j'ai déposé les amendements que nous examinerons tout à l'heure, qui visent à renforcer le dispositif initial et à répondre aux points bloquants que je viens d'évoquer.
Le premier de ces amendements tend à prévoir un renversement de la charge de la preuve allégé : l'enfant qui souhaite s'exonérer de l'obligation alimentaire par un acte notarié devra motiver sa demande.
Cet amendement vise aussi à préciser la définition de la défaillance parentale, comme l'avaient suggéré le Conseil national des barreaux (CNB) et le Conseil supérieur du notariat (CSN) lors d'une audition au mois de mai dernier. La défaillance parentale sera désormais appréciée au regard de l'article 371-1 du code civil, c'est-à-dire en tenant compte des manquements graves aux obligations inhérentes à l'autorité parentale. Ainsi, nous sortons du flou juridique et ancrons le texte dans le droit existant.
Par le deuxième amendement, je souhaite ouvrir non seulement au parent concerné, mais également au président du conseil départemental, la possibilité de contester cet acte notarié dans un délai de six mois à compter de sa notification, en s'appuyant sur ledit acte, qui sera désormais dûment motivé. En cas de contestation, le juge aux affaires familiales appréciera la situation, la charge de la preuve étant allégée au bénéfice de l'enfant.
Le troisième amendement tend à supprimer du texte l'article 3 relatif à la perte des droits successoraux, qui faisait craindre l'instauration d'une forme de « double peine ».
Quant au quatrième amendement que j'ai déposé, il vise à ajouter à la proposition de loi un nouvel article, travaillé conjointement avec le Gouvernement – je remercie à cet égard M. le garde des sceaux –, qui crée une nouvelle dérogation à l'article L.132-6 du code de l'action sociale et des familles.
Mes chers collègues, cette proposition de loi s'adresse non pas à des enfants, que l'on pourrait considérer comme capricieux, mais aux adultes meurtris qu'ils sont devenus : celles et ceux qui ont subi l'inceste, forcés de se taire à coup de phrases telles que : « Papa t'aime très fort, mais, tu sais, ça doit rester notre petit secret » ; celles et ceux que l'on frappait en disant : « tais-toi, maman est fatiguée » ; celles et ceux qu'un parent a abandonnés et qui, des décennies plus tard, doivent subvenir aux besoins de celui ou de celle qui n'a jamais été à la hauteur de ses responsabilités parentales.
Monsieur le garde des sceaux, je salue votre engagement pour remettre les victimes au cœur de notre système judiciaire.
M. François Patriat. Un excellent garde des sceaux !
M. Xavier Iacovelli. Je pense comme vous, depuis des années, qu'à bien des égards ce système est tourné vers les auteurs davantage que vers les victimes.
En plus d'agir sur le plan pénal, nous devons protéger les victimes sur le terrain civil. Il faut les remettre au centre de l'échiquier, en n'attendant plus d'elles la preuve qu'elles ont été victimes, mais en demandant plutôt au parent de démontrer qu'il a rempli ses obligations parentales telles qu'elles sont définies par le droit en vigueur ; l'humiliation par obligation, en effet, c'est l'humiliation devenue institutionnelle.
Il convient de s'assurer que le droit est juste non pas seulement dans les livres, mais aussi dans la vie.
Ce texte n'est pas une loi de rupture : c'est une loi de reconnaissance, une loi de simplification. Elle ne judiciarise pas la famille, elle tente d'en réduire les injustices. Elle ne punit pas les parents, elle protège les enfants devenus adultes. Elle est la promesse que la République n'imposera pas à une victime d'aimer ou d'entretenir son bourreau.
Avec cette proposition de loi, nous affirmons que la filiation ne saurait justifier l'injustice, et que la République doit protéger ceux qui, dans leur enfance, ont été victimes.
Aujourd'hui, mes chers collègues, je vous vois, je vous entends ; et je veux croire que le Sénat, dans sa sagesse, aura lui aussi le courage de faire évoluer notre droit. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, revenons aux fondamentaux : écoutons la sagesse de nos prédécesseurs.
Que disait Pierre-Paul Royer-Collard au Parlement : « La première raison d'une loi est dans sa nécessité. Toutes les fois donc qu'on propose à la Chambre une loi nouvelle, on doit examiner avant tout si cette loi est nécessaire. Or, une loi nouvelle n'est nécessaire que dans l'un des deux cas : s'il n'y a point encore de loi nouvelle sur une matière qui en exige [...] » – c'est la notion de vide juridique – « [...], ou si l'expérience a démontré le vice de la loi existante. »
Ces mots résonnent aujourd'hui avec une particulière justesse, bien qu'ils aient été prononcés il y a plus de deux siècles, en 1816, car l'histoire nous éclaire. En effet, malgré toute la bonne volonté dont fait preuve – comme moi ! – notre collègue Xavier Iacovelli, la nécessité du texte qui nous est présenté aujourd'hui ne nous est pas apparue.
Les critères posés par Royer-Collard sont-ils satisfaits ici ?
D'une part, ce texte ne comblerait pas un vide juridique puisqu'il est déjà possible de se décharger de son obligation alimentaire en saisissant le JAF.
D'autre part, le vice de la loi existante n'est pas démontré, à moins d'estimer, ce qui n'est pas l'opinion de la commission des lois, que le débat contradictoire permis par l'actuelle procédure judiciaire est néfaste.
En outre, le texte proposé, y compris si nous adoptions les amendements de repli déposés par son auteur, aurait des effets de bords juridiques et financiers insurmontables ou inopportuns.
Les propositions de modification que vient de présenter l'auteur du texte nous ont été transmises ; nous les avons examinées avec sérieux et, ajouterai-je, avec espoir. La direction des affaires civiles et du sceau (DACS) a été auditionnée à cette seule fin. Or, et nous aurons l'occasion d'en discuter tout à l'heure, ces amendements ne suffisent pas à remédier aux problèmes juridiques structurels de ce dispositif. Pourtant, je puis vous assurer que nous y avons travaillé…
C'est au regard de ces arguments de droit que la commission des lois s'est prononcée sur ce texte.
Il est vrai que notre assemblée se réunit souvent pour examiner des textes dont l'objet est de protéger les victimes de violences intrafamiliales. À cet égard, je remercie notre collègue d'avoir rappelé tout ce que nous avions fait évoluer dans notre droit.
Ces textes, nous les avons systématiquement soutenus, quitte, pour certains, à les modifier afin de les rendre plus respectueux des principes cardinaux de la justice républicaine, notamment le droit à la défense et le droit à un procès équitable.
Nous devons en effet garder à l'esprit que ce qui nous semblerait de prime abord justifié n'est pas nécessairement fondé, efficace, voire juste au regard du droit. En d'autres termes, il y a le geste et il y a le texte !
J'en viens désormais un peu plus précisément au dispositif qui nous est proposé.
Comme l'a exposé Xavier Iacovelli, la présente proposition de loi vise à permettre à tout majeur de moins de 30 ans de se décharger unilatéralement de son obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant. Il s'agit là d'éviter à un enfant violenté ou abandonné par un parent de devoir un jour subvenir aux besoins de ce dernier, notamment en payant le lourd coût de l'Ehpad.
À première vue, l'intention peut sembler compréhensible, et même généreuse. Seulement, à l'exception de l'auteur du texte et du collectif Les Liens en sang qui soutient cette initiative, toutes les personnes que j'ai entendues – avocats, notaires, juges aux affaires familiales, représentants du ministère de la justice – ont vivement critiqué le dispositif, tant pour des raisons d'opportunité que pour des motifs juridiques.
Je me concentrerai sur les trois arguments principaux qui ont été avancés par tous ces professionnels du droit.
Le premier concerne la logique même du dispositif, qui permettrait à un enfant de se décharger unilatéralement, par l'adoption d'un acte notarié – et donc en l'absence de tout contrôle juridictionnel –, de l'obligation alimentaire qui le lie à un parent défaillant.
Il s'agit là d'une rupture considérable, qui n'est une bonne mesure qu'en apparence. L'obligation alimentaire constitue un devoir par nature réciproque, dans la mesure où elle manifeste la solidarité familiale que garantit notre droit civil. Le caractère unilatéral de cet acte notarié rompt donc avec la logique même de l'obligation dont il est question. J'ajoute ceci, pour vous en convaincre – c'est glaçant : les représentants des juges aux affaires familiales considèrent qu'« un parallèle pourrait être fait avec la répudiation, qui est jugée contraire à l'ordre public français ». Ce n'est pas rien !
Si notre droit prévoit déjà des cas de décharge de l'obligation alimentaire, aucun de ceux-ci n'est unilatéral. À l'exception d'un cas particulier s'appliquant aux petits-enfants, qui sont déchargés de l'obligation alimentaire lorsqu'est sollicitée une aide sociale à l'hébergement, tous les cas de décharge reposent sur la caractérisation d'une faute lourde ou d'une incapacité du parent, qu'il s'agisse de manquements graves à ses devoirs parentaux, constatés par le JAF, de la condamnation pour un crime au sein du cadre familial ou du placement durable de l'enfant auprès des services de l'ASE.
Le deuxième argument provient des modalités d'adoption de cet acte notarié. Je me concentrerai sur les deux principales, qui interagissent entre elles.
En premier lieu, cet acte est dépourvu de motivation, mais non de mobile : le dispositif fait explicitement référence à « un parent défaillant », qui n'aurait pas « rempli ses devoirs parentaux » ni « fait preuve de bienveillance ». Les éléments de caractérisation de la défaillance parentale sont d'une grande imprécision juridique, voire tout à fait inconnus en droit français.
En second lieu, cet acte produirait ses effets juridiques soit en l'absence de contestation de la part du parent concerné, dans un délai de six mois, ce qui soulève des interrogations compte tenu de la situation de vulnérabilité dans laquelle pourraient se trouver des parents hébergés en Ehpad, soit à l'issue d'un procès perdu par le parent. Le dispositif prévoit à cet égard qu'en cas de contestation il reviendrait au parent de prouver qu'il a « rempli ses devoirs parentaux » et qu'il a été « bienveillant ».
Cette inversion de la charge de la preuve s'apparente à une présomption de défaillance parentale, d'autant plus qu'il sera incroyablement difficile au parent concerné d'apporter la preuve qu'il a été bienveillant. Comment, en effet, établir devant un juge que l'on a été bienveillant ? (M. Xavier Iacovelli s'exclame.) Nous ouvririons là une boîte de Pandore.
Le troisième argument qui a été avancé concerne la conséquence qu'emporterait l'adoption de cet acte sur les droits successoraux de l'enfant. Le dispositif prévoit en effet que l'exonération de l'obligation alimentaire « entraîne de plein droit la perte des droits successoraux de l'enfant à l'égard du parent concerné ». Cette disposition viole un principe structurant du droit des successions, à savoir la « prohibition des pactes sur succession future ». Derrière cette belle formule se cache une règle simple : il est interdit, en droit français, de renoncer à une succession non encore ouverte.
Enfin et surtout, je voudrais rappeler à nouveau que notre législation permet déjà de décharger de son obligation alimentaire un enfant victime d'un parent défaillant.
Plusieurs cas de figure ont été présentés par le collectif Les Liens en sang, que je salue. Par ailleurs, nous avons tous reçu des dizaines de courriels plus épouvantables les uns que les autres évoquant des cas terribles, affreux, d'abandon de famille, de viols incestueux, de violences insupportables – et vous savez combien nous nous bagarrons ici à ce propos.
J'ai donc voulu m'assurer, tout au long de mes travaux, qu'il n'y avait pas dans notre droit une inconcevable lacune.
Je l'ai cherchée, cette lacune !
Et j'ai été rassurée de constater que les procédures judiciaires existantes permettent déjà de décharger ces malheureuses victimes de leur obligation alimentaire, même à titre préventif, donc avant même que le conseil départemental ne se tourne vers les débiteurs alimentaires pour financer l'hébergement de leur ascendant en Ehpad. Il faut certes engager une procédure judiciaire, mais celle-là seule permet de garantir le respect des principes structurants de notre droit lorsque des accusations aussi graves et insupportables sont portées.
C'est pourquoi la commission des lois vous invite, hélas ! à rejeter ce texte, non seulement en raison des nombreux arguments de droit que j'ai exposés, mais également en opportunité, car nous ne soutenons pas la volonté de l'auteur du texte de mettre à mal ce principe fondamental de la solidarité familiale en permettant l'ouverture d'une procédure extrajudiciaire et inconditionnelle de décharge de l'obligation alimentaire, procédure qui, menée à terme, ferait reposer cette obligation sur la solidarité nationale.
Nous le savons tous, les blessures de l'enfance sont profondes, durables. C'est pourquoi il faut insister, encore et toujours, sur l'aide à la parentalité, afin d'offrir à nos enfants l'éducation qu'ils méritent. Il y va de l'honneur des parents, et il y va de notre honneur.
Rien n'est plus lumineux que les étoiles dans les yeux d'un enfant qui sourit. Protégeons-les ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la rapporteure, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur l'auteur de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, l'initiative législative du sénateur Iacovelli et des membres de son groupe nous rassemble aujourd'hui autour d'une exigence morale qu'aucun d'entre nous ne peut nier : on ne peut pas demander à un enfant devenu adulte de solder une enfance abîmée en payant l'addition d'une autorité parentale défaillante.
Si les difficultés sociales, les défauts d'intégration, la délinquance, la pauvreté, les difficultés de la vie et celles de l'école sont fréquemment évoqués dans les commentaires sur les problèmes de la société, on parle rarement, en revanche, de la responsabilité des parents.
Être parent ne s'apprend pas. Il n'existe à cette fin ni école ni obligation d'éducation. Pourtant – chacun le constate dans sa vie personnelle ou d'élu local –, la parentalité est sans doute le parent pauvre de nos politiques. Tant de choses pourraient être évitées si chacun était responsable lorsqu'il met au monde un enfant !
Sans émettre de jugement moral, force est de constater qu'il est bien difficile d'éduquer. C'est difficile, certes, et la responsabilité des femmes et des hommes qui ont des enfants est immense – Mme la rapporteure et M. Iacovelli l'ont rappelé – à l'égard de l'ensemble de la société, et ce toute leur vie durant.
L'obligation alimentaire qui est celle de l'enfant envers ses parents est un devoir naturel, mais elle ne l'est pas davantage que l'obligation, pour un parent, de protéger son enfant.
Nous le savons, énormément d'enfants sont victimes de parents défaillants : certains sont absents, d'autres agresseurs, d'autres enfin laissent des agresseurs agir. Or, trop souvent, la détresse ne surgit aux yeux du monde que trop tard, parfois à la fin de la vie de la victime, ou bien jamais.
Enfants trop jeunes, sous emprise, réduits au silence, violentés psychologiquement, physiquement ou sexuellement : ces enfants, qui sont des centaines de milliers, sans doute – un continent caché –, ne parlent pas et ne parleront jamais.
À tous ces enfants que la justice ne reconnaît pas à temps comme victimes, la République doit tout de même protection. Telle est bien la question que vous posez, monsieur le sénateur. Pour cette intention politique, je veux, au nom du Gouvernement, saluer l'auteur de ce texte et le Sénat.
Le Gouvernement soutient votre démarche, monsieur le sénateur, car elle permet de mettre un mot très clair sur une injustice silencieuse. Elle rappelle qu'un lien de parenté ne vaut pas absolution. Elle dit que la solidarité familiale n'a de sens que lorsque les parents se sont comportés comme tels. La loi n'est pas seulement la justice, mais elle ne doit pas renoncer à s'en rapprocher.
Le droit de la famille est en effet, madame la rapporteure, un équilibre fin qui, comme tout édifice, appelle des modifications précises et maîtrisées, en matière de droits de la défense comme de droit des successions ou de place de la solidarité nationale. Le code civil, œuvre majestueuse de Bonaparte et de tous ceux qui l'ont aidé, parmi lesquels Cambacérès, a été modifié à de multiples reprises, et c'est heureux pour la société française.
Chacun conviendra qu'en ce domaine il faut cependant se méfier des automatismes irréversibles, des concepts flous, et surtout se garder des contentieux massifs qui parfois déçoivent ceux que l'on veut protéger.
J'ai donc pris connaissance de l'avis de la commission des lois, dont je remercie la rapporteure. Nous sommes tous ici conscients des fragilités du dispositif proposé et des craintes qu'il suscite – vous-même les avez évoquées, monsieur l'auteur de la proposition de loi. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas discuter, modifier, améliorer un texte qui répond à une véritable question et qui est soutenu par de nombreuses associations.
Il appartient au Parlement de déterminer si une issue est possible pour ce texte, que le Gouvernement accompagnera. Et il m'appartient, en tant que représentant du Gouvernement, de vous suggérer, puisque je ne peux pas voter, un atterrissage solide et utile.
Nous aurons à discuter de la proposition intéressante et audacieuse d'une libération de l'obligation alimentaire par déclaration anticipée devant notaire. Ce dispositif est certainement générateur de contentieux. Mais la nécessité, pour certaines victimes, de se sentir libérées le plus tôt possible pour avancer dans leur reconstruction appelle simplification de la justice et rapidité de l'action – cet argument me paraît audible.
Il est évident qu'avocats et notaires contribuent à la justice. Vos débats permettront de trouver, je n'en doute pas, le bon point d'équilibre avec l'ensemble des professions juridiques, comme nous l'avons trouvé voilà quelques années au sujet du divorce.
Hormis ce dispositif, l'auteur du texte a bien voulu nous suggérer, par voie d'amendement, une autre piste de réflexion. Nous pourrons donc examiner sa proposition visant à consacrer, dans le code de l'action sociale et des familles, une dispense claire d'obligation alimentaire pour celles et ceux qui, durant leur minorité, ont subi des manquements graves aux devoirs de l'autorité parentale. Cette piste tout à fait intéressante me paraît une voie praticable et compréhensible, même s'il faudra sans doute l'améliorer.
Quel que soit le vote du Sénat, je prends devant vous l'engagement que, dès la navette parlementaire, nous nous mettrons au travail pour sécuriser juridiquement le dispositif en associant notamment les départements, qui – vous le savez bien – financent et instruisent l'aide sociale et sans lesquels rien n'est possible.
Aux victimes, et notamment aux plus jeunes d'entre elles, aux enfants devenus adultes, je veux dire que la République les voit, même si trop longtemps elle les a insuffisamment entendus et considérés. Elle n'ignore pas l'injustice que représente une facture à payer pour financer la fin de vie de l'être qui a trahi profondément, comme cela arrive chaque jour et chaque nuit dans les foyers français, son engagement de père ou de mère.
On ne se remet jamais d'une protection défaillante au sein de sa famille. Pour cette raison, le Gouvernement soutient l'intention qui préside au texte ; il émettra un avis de sagesse tant qu'un certain nombre d'améliorations n'y auront pas été apportées. Nous sommes disponibles, monsieur Iacovelli, madame la rapporteure, pour aider le Parlement à avancer sur le bon chemin juridique. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Olivier Cigolotti et Mme Sabine Drexler applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le sujet qui nous occupe aujourd'hui est important. Il est question, en effet, d'une relation fondamentale : le lien familial et le rapport qu'entretiennent les enfants avec leurs parents.
Si, la plupart du temps, la question de la prise en charge financière des besoins des parents n'est pas abordée frontalement, se fondant dans une solidarité familiale et intergénérationnelle plus large, on trouve bel et bien, inscrit à l'article 205 de notre code civil, ce qu'on appelle l'obligation alimentaire : « Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin. »
Si cette obligation explicite est peu connue, c'est parce qu'elle est assez naturellement remplie. Dans la plupart des cas, il apparaît comme tout à fait normal, voire comme la moindre des choses, de prendre soin de ceux qui nous ont élevés.
La question se complique lorsque cette obligation concerne des parents défaillants, c'est-à-dire des personnes qui n'ont rien fait pour prendre soin de leur enfant, voire qui, au contraire, ont fortement gâché le début de son existence, laissant parfois des marques indélébiles.
Il y a les cas les plus graves, bien sûr, qui sont des crimes ou des délits – je pense au viol ou à l'agression sexuelle –, mais aussi des cas où l'enfant est élevé dans une indifférence totale, avec les conséquences que provoque le manque d'affection. Il devient alors difficilement acceptable, et même tout à fait insupportable, de devoir être solidaire de quelqu'un qui n'a jamais compris le début du commencement du mot « amour ».
Aussi, aux personnes concernées qui nous ont écrit ces derniers jours pour nous faire part de l'importance de cette proposition de loi et de ce qu'elle signifiait pour eux, je veux dire que nous comprenons leur souffrance.
Mais il ne suffit pas de la comprendre, nous devons surtout la considérer. C'est pourquoi je veux vivement saluer l'initiative de notre collègue Xavier Iacovelli qui, au travers de sa proposition de loi, met le doigt sur un sujet sensible, à la fois humainement et juridiquement. Par ce texte, il entend simplifier la procédure de décharge de l'obligation alimentaire.
Actuellement, il est possible de saisir le juge aux affaires familiales – la présence d'un avocat n'est alors pas obligatoire, bien que fortement recommandée – pour lui demander d'être soulagé de sa dette alimentaire. Cette procédure est très peu utilisée : le rapport indique que vingt-quatre saisines ont été enregistrées en 2024 et, au maximum, quarante-deux en 2020.
Se pose donc visiblement un problème d'accès au droit, soit par manque d'information, soit en raison des frais induits – malgré l'existence, je le rappelle, de l'aide juridictionnelle et des points d'accès au droit –, soit parce que cette procédure est insatisfaisante du fait de sa longueur.
Cette démarche judiciaire pose aussi et surtout la question de la preuve : même si l'on a subi des années de maltraitance ou de dédain, il peut être difficile de prouver ces faits devant le juge.
Nous avons déjà eu des débats sur les violences sexuelles commises contre les enfants et sur la difficulté de prouver ces violences, parfois des décennies après.
Xavier Iacovelli, qui est engagé sur ce sujet, propose aujourd'hui un dispositif innovant – d'aucuns diront, peut-être, qu'il est trop innovant. Il s'agit de permettre à un jeune âgé de 18 à 30 ans de se décharger, à vie et unilatéralement, de son obligation alimentaire en se rendant devant le notaire : voilà qui permettrait effectivement d'aller beaucoup plus vite.
Pour la rapporteure Marie Mercier, un tel dispositif serait susceptible d'engendrer un effet d'aubaine, dont l'importance pourrait varier selon que l'on décide ou non de borner cette nouvelle faculté dans le temps.
Les enfants pourraient s'exonérer de leur obligation sans réelle justification, faisant in fine peser la charge sur la collectivité. Exemple concret : ce serait au département de prendre en charge le coût de l'Ehpad pour ceux qui n'en ont pas les moyens. Néanmoins, ce phénomène est difficilement mesurable.
Vous l'aurez compris, mon groupe est favorable à la philosophie générale du texte, mais nous entendons les arguments juridiques avancés par la commission. Si nous notons les efforts de l'auteur de la proposition de loi pour y répondre, la question de la dénonciation unilatérale reste un point de désaccord.
Nous pensons également que l'examen de la situation par le juge offre davantage de garanties, qu'il est plus protecteur que le dispositif proposé.
Comment faire en sorte néanmoins d'améliorer les procédures existantes ? Comme dans d'autres matières, peut-être faut-il explorer la piste de l'aménagement de la charge de la preuve, et surtout améliorer le traitement humain des requêtes. C'est sur ce sujet qu'un engagement de la Chancellerie nous semble particulièrement nécessaire.
Dans l'attente des débats que nous allons avoir et des réponses que nous pourrons obtenir, le groupe du RDSE s'abstiendra majoritairement sur ce texte. (Mme le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui de la proposition de loi de notre collègue Xavier Iacovelli visant à permettre à un enfant de se libérer de son obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant.
Le sujet est sensible, profondément humain, car il touche à ce que notre droit civil a de plus intime : le lien entre parents et enfants, la réciprocité des devoirs familiaux, la solidarité entre générations, mais aussi la réparation des blessures de l'enfance.
Cette proposition de loi part d'une intention louable : protéger les victimes et éviter qu'un enfant maltraité ne soit un jour contraint d'assumer les charges d'un parent violent ou négligent.
En effet, dans certains cas, l'obligation alimentaire peut apparaître comme profondément injuste. Aujourd'hui, un enfant devenu adulte peut être contraint de subvenir aux besoins d'un parent avec lequel il n'a plus aucun lien affectif, parfois même après avoir subi des violences ou de la négligence. On comprend qu'il ne souhaite pas payer pour celui qui l'a blessé.
De ce point de vue, je le redis, l'esprit de la proposition de loi est louable : il s'agit de rétablir une forme de justice morale. Mais il faut rappeler que le droit français prévoit déjà des dispositifs permettant de s'exonérer de cette obligation alimentaire : une décharge s'applique déjà aux enfants qui ont été retirés de leur milieu familial et à ceux dont l'un des parents est condamné pour une agression sexuelle sur un autre membre de la famille, mais aussi, dans certains cas les plus graves, aux enfants dont le parent s'est vu retirer son autorité parentale par le juge pénal ou le juge aux affaires familiales. Peut-être faut-il en effet élargir les motifs de décharge, comme le prévoit l'amendement n° 6 rectifié bis.
Autrement dit, il existe déjà des voies de recours, parfois longues ou complexes, certes, mais bien réelles, et qui ont le mérite de s'appuyer sur l'appréciation du juge et sur un encadrement de longue date de la jurisprudence.
Le texte qui nous est présenté ne vient donc pas combler un vide juridique ; il vise plutôt à instaurer une procédure nouvelle, unilatérale, permettant de se décharger de l'obligation alimentaire par simple acte notarié, sans débat contradictoire ni décision du juge.
Toutefois, j'ai bien conscience que cette argumentation technique, juridique et un peu aride ne pèse pas bien lourd face aux attentes légitimes des associations et des particuliers qui nous interpellent sur ce texte.
Alors, raisonnons par l'absurde ! Supposons que ce texte soit voté, avec les amendements de notre collègue Iacovelli. Un jeune de 18 ans est victime de parents défaillants. Va-t-il aller chez le notaire ? A-t-il de quoi le payer pour lui dire que, dans l'hypothèse où, dans quarante ans, ses parents auraient besoin d'aide, il veut la leur refuser ?
Imaginons qu'il fasse la démarche : après tout, grâce à notre beau réseau associatif, il peut être informé de cette possibilité, voire aidé pour payer le notaire. Le parent en question reçoit donc un courrier du notaire : « Votre enfant vient de me faire savoir qu'à supposer qu'un jour vous ayez besoin d'aide il vous la refuserait, sauf si vous l'attaquez devant le juge ».
Si ce parent est vraiment malveillant, il attaquera l'enfant en justice : le temps que le jeune adulte pensait gagner en passant par un notaire sera perdu. Et la famille de s'expliquer devant le juge aux affaires familiales : « Il m'a maltraité », dit l'un ; « il a eu tout ce qu'il faut », dit l'autre. Aura-t-on davantage de preuves à produire qu'en allant directement devant le JAF ?
Imaginons maintenant que le jeune de 18 ans n'ait pas vraiment été maltraité. Si la loi est évidemment pensée pour les victimes, elle est en effet utilisable par tous. Or n'a-t-on pas tous des parents « nuls » quand on a 18 ans ?
M. Xavier Iacovelli. On ne peut pas dire ça !
Mme Dominique Vérien. Comment le parent bienveillant réagira-t-il ? Va-t-il envoyer son enfant devant la justice ? S'il s'agit juste d'une mauvaise passe, prendra-t-il le risque de rompre à jamais ?
Personnellement, si ma fille me faisait une chose pareille, je passerais le restant de mes jours à pleurer plutôt que de l'attaquer en justice. Heureusement, elle a plus de 30 ans !
Une autre question, pour finir : combien de personnes âgées sont seules dans des maisons de retraite, sans visite, sans amour ? Ont-elles toutes été de mauvais parents ?
Voilà pour le côté moral. J'ajouterai que le risque d'un effet d'aubaine, évoqué par la rapporteure, est bien réel. Un parent bienveillant pourrait laisser son enfant se décharger de son obligation alimentaire pour que le coût de l'Ehpad soit supporté par la collectivité nationale.
Par ailleurs, je le rappelle, les professions du droit concernées sont unanimement opposées à une telle mesure. Lorsque vous proposez une nouvelle mission payante à un notaire et qu'il la refuse, c'est probablement qu'il y a un problème… (Sourires.)
Au fond, cette proposition de loi illustre bien le proverbe : « L'enfer est pavé de bonnes intentions. » Et c'est regrettable tant nous sommes toutes et tous ici attachés à rendre notre droit et notre justice plus protecteurs des victimes.
Oui, il faut défendre les victimes, les enfants blessés par la vie, et leur éviter une double peine. Mais il ne faut pas pour autant fragiliser tout un pan du droit civil pour répondre à des situations particulières déjà prises en compte par la jurisprudence.
Mes chers collègues, nous devons avancer avec prudence.
Plutôt que de créer une exonération automatique, travaillons à améliorer les procédures existantes : clarifions la notion de manquement grave, accélérons les décisions judiciaires, renforçons l'accompagnement des victimes et la médiation familiale. Mais ne faisons pas d'une exception morale un nouveau principe de droit.
C'est pourquoi notre groupe suivra l'avis de la rapporteure : nous voterons, avec regret, contre cette proposition de loi. Toutefois, comme M. le ministre, nous sommes tout à fait prêts à faire avancer le traitement de ce sujet en travaillant à une rédaction un peu différente. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Sophie Briante Guillemont et M. Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Louis Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Louis Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel est l'objet de cette proposition de loi ? Son auteur, que je salue, souhaite donner à tout enfant, entre sa majorité et ses 30 ans, la possibilité de se libérer par un acte notarié de son obligation alimentaire envers un parent qu'il estime défaillant.
Comme tous ceux qui m'ont précédé à cette tribune, je comprends et salue les motivations qui sous-tendent ce texte. Personne ne peut rester indifférent à la souffrance d'un enfant victime de violences ou de négligence parentales. Toutefois, si le groupe Les Indépendants considère que la simplification des démarches est un objectif légitime, celle-ci doit se faire dans le respect des principes fondamentaux de notre droit.
En effet, malgré l'émotion, nous ne devons pas perturber l'équilibre de notre système juridique, ni compliquer les règles de façon inutile. Le principe cardinal qui vaut depuis toujours en droit de la famille est la fameuse « paix des familles ». Il repose sur l'idée que la famille constitue une sphère privée au sein de laquelle les relations entre parents et enfants doivent se régler, dans la mesure du possible, sans ingérence de l'État – l'objectif est de préserver l'harmonie familiale.
En conséquence, le principe de solidarité familiale consacré par les articles 203 et 205 du code civil repose sur la réciprocité, comme l'a très justement rappelé notre rapporteure. Les parents doivent assistance à leurs enfants de la même façon que les enfants, en retour, doivent des aliments à leurs ascendants en cas de besoin.
En permettant à une personne de se décharger de son obligation alimentaire unilatéralement par un simple acte notarié, la proposition de loi instaure une procédure inconditionnelle et extrajudiciaire de rupture des obligations familiales.
Ce caractère unilatéral s'oppose directement à ce qui fait vivre aujourd'hui les règles du droit de la famille, à savoir la réciprocité. Cela revient aussi, je veux le souligner, à faire jouer au notaire un rôle qui n'est absolument pas le sien. En effet, dans notre droit, l'acte notarié est destiné non pas à régler des conflits, mais à constater des décisions.
Par exemple, dans le divorce par consentement mutuel, dans lequel le notaire peut intervenir, la procédure se fait bien sans le juge. Mais il s'agit d'une procédure consensuelle, qui a pour objet la rédaction d'une convention après accord des parties, accord trouvé grâce à leurs avocats.
Mmes Catherine Di Folco et Jacqueline Eustache-Brinio. Exactement !
M. Louis Vogel. Dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, il s'agit d'une procédure conflictuelle qui nécessite donc, selon les principes fondamentaux de notre droit, l'intervention du juge.
Par ailleurs, le droit actuel permet déjà de répondre à la situation que vise cette proposition de loi.
L'article 207 du code civil autorise le juge aux affaires familiales à décharger un débiteur alimentaire lorsque le créancier a manqué gravement à ses obligations envers lui. Cette procédure judiciaire offre des garanties, préserve les droits des parties et permet d'atteindre, lorsque cela est justifié, l'objectif qui est celui de la proposition de loi.
En outre, et surtout, le dispositif qui nous est proposé renverse la charge de la preuve : il reviendrait au parent de démontrer qu'il a été bienveillant envers son enfant.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C'est dingue…
M. Louis Vogel. Demander à un parent de prouver sa bienveillance, c'est lui imposer de justifier de chaque instant d'une relation qui s'étend sur plusieurs années – au moins dix-huit –, exigence impossible à satisfaire. À partir de quand est-on bienveillant ? Quand commence-t-on à être défaillant ?
En vertu d'un principe fondamental de notre droit, il revient à celui qui allègue la faute de la démontrer. En l'espèce, nous ferions exactement l'inverse.
Enfin, l'imprécision des termes employés, « défaillance » et « bienveillance », utilisés alternativement dans le texte, constitue une extraordinaire cause de fragilité, qui sera une source de contentieux, ce qui est exactement le résultat inverse de celui qui est, à juste titre, recherché par l'auteur du texte.
Tout le monde contestera l'allégation de défaillance ! Entre la défaillance et la bienveillance, la différence est le plus souvent de degré. On n'est pas bienveillant ou défaillant : on est relativement bienveillant ou relativement défaillant.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Tout à fait !
M. Louis Vogel. Jusqu'à présent, notre droit permet d'éviter ce type de querelles. Évidemment, cela donne du travail aux avocats ; mais l'objectif du texte n'est pas d'éviter le recours à ces derniers…
Les auditions menées par notre rapporteure, Marie Mercier, dont je voudrais saluer la qualité du travail, ont d'ailleurs montré une opposition unanime des professionnels du droit, donc de ceux qui vivent ces situations.
C'est pourquoi, conformément à la position exprimée par la commission, le groupe Les Indépendants ne votera pas en faveur de cette proposition. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Di Folco. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si Portalis écrivait que « de bonnes lois civiles sont le plus grand bien que les hommes puissent donner et recevoir [car] elles sont la source des mœurs », il ajoutait également « qu'il faut être sobre de nouveautés en matière de législation, [parce qu'il n'est pas] possible […] de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir ».
Les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui gagneraient à relire le Discours préliminaire du premier projet de code civil de 1801. En effet, le texte qui nous est soumis accomplit le prodige de révéler, avant même toute mise en œuvre, toutes les vicissitudes qu'il emporte.
En trois articles seulement, la proposition de loi balaie nombre de principes cardinaux de notre droit civil.
Exit le principe de la réciprocité de la solidarité familiale, issu de la codification napoléonienne de 1804, remontant lui-même au jus alimentorum romain, qui prévoit que les membres d'une même famille ont des devoirs naturels d'entraide et de soutien qui ne sont pas à sens unique, mais s'exercent réciproquement.
Exit encore les principes fondamentaux du droit des successions, tels que la prohibition des pactes sur succession future, en vertu de laquelle il n'est pas possible, en droit français, de renoncer à une succession non encore ouverte.
Exit, enfin, les principes directeurs du procès civil. Le texte permettrait ainsi à n'importe quel débiteur de se décharger de son obligation, sans prouver le moindre tort qu'il aurait subi, à rebours de la formule notoire du code de procédure civile selon laquelle « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
Si cette proposition de loi fait preuve d'une inadéquation totale avec les fondements mêmes de notre patrimoine juridique, elle se rend également coupable d'un autre crime, bien décrit par Montesquieu : une loi inutile affaiblit les lois nécessaires.
Dans son excellent rapport, Marie Mercier nous rappelle les chiffres. Le contentieux fondé sur l'application du deuxième alinéa de l'article 207 du code civil est infime. Aux termes de cet article, le juge aux affaires familiales pourra décharger le débiteur « de tout ou partie » de sa dette alimentaire lorsque « le créancier aura lui-même manqué gravement à ses obligations envers le débiteur ».
On relève chaque année, sur ce fondement, une vingtaine de saisines du juge aux affaires familiales, d'après les données transmises par la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice.
Ce contentieux est donc infime, non pas parce que les mauvais parents n'existent pas en France, mais parce que les manquements dont il est question sont en réalité déjà sanctionnés par le juge d'une décharge de l'obligation alimentaire ; en témoignent les nombreuses illustrations fournies par la jurisprudence, sur laquelle nous ne reviendrons pas.
Comme le disait en commission notre collègue Francis Szpiner, ne sortirait de ce texte qu'une « usine à gaz ».
Soyons raisonnables, cessons d'être bavards, ne créons pas des contentieux qui n'existent pas et réfléchissons davantage au message que nous souhaitons envoyer à nos enfants : celui de la solidarité entre les générations ou celui d'un individualisme effréné ? (Protestations sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Ça n'a rien à voir !
Mme Catherine Di Folco. Je veux saluer la justesse du travail de notre rapporteur, chère Marie Mercier, qui jusqu'au bout a fait un important effort d'analyse pour « sauver » quelques dispositions de ce texte. Notre groupe Les Républicains est pleinement en accord avec sa position et votera le rejet de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Salama Ramia. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Salama Ramia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, imaginez un instant devoir subvenir aux besoins d'un parent qui vous a abandonné, négligé, parfois même maltraité. Une telle situation, des milliers de personnes la vivent aujourd'hui en France hexagonale et dans les territoires d'outre-mer.
Aussi le groupe RDPI a-t-il fait le choix d'inscrire au sein de sa niche un texte courageux, visant à faire bouger les lignes, mais surtout à replacer les victimes au centre de notre modèle.
Nous saluons la proposition de loi de notre collègue Xavier Iacovelli, qui vise à alléger le fardeau des victimes de parents défaillants. Derrière cette défaillance, en effet, on trouve des vies brisées par des faits de violence psychologique, physique ou économique qui peuvent aller jusqu'à des privations alimentaires et à des sévices.
L'ambition de ce texte est claire : offrir une voie nouvelle, adaptée à la réalité de ces victimes adultes. Oui, ce texte est ambitieux, mais ce n'est pas sans raison : il pose le principe selon lequel la solidarité familiale ne peut être automatique lorsque la responsabilité parentale a été gravement négligée.
Il y est affirmé qu'on ne peut imposer une obligation alimentaire à celui qui a déjà été victime de l'abandon, du déni ou du manque de soins, de violences de toute nature.
Cette proposition de loi constitue une rupture, certes, mais une rupture salutaire pour celles et ceux qui sont touchés.
Il est aussi essentiel de rappeler que cette obligation alimentaire survient souvent à un âge tardif pour l'enfant devenu adulte, parfois après des années sans contact avec le parent concerné.
En théorie, il est possible de demander à être exonéré de l'obligation alimentaire à tout moment. Mais, dans les faits, cette démarche n'intervient qu'au moment où l'obligation est mise en œuvre, souvent tardivement, lorsque la demande de contribution est déjà engagée et particulièrement coûteuse.
Cet état de fait n'est pas satisfaisant.
La proposition de loi que nous examinons vise donc à alléger la charge procédurale qui pèse sur l'enfant victime, afin de garantir sa reconstruction en tant qu'adulte dans un climat plus serein.
La commission n'ayant pas souhaité s'engager dans une démarche de coconstruction du texte, notre collègue Xavier Iacovelli a tenu à faire des propositions rassembleuses, par voie d'amendements de séance, afin d'aboutir à un texte qui tienne compte des blessures profondes des victimes.
Mes chers collègues, au-delà des positions partisanes, nous vous invitons à travailler dans un esprit collectif, car cette proposition de loi changera l'avenir des près de 100 000 victimes mineures qui font chaque année l'objet de violences intrafamiliales. C'est à nous, législateurs, de faire preuve de courage, de justice et d'ambition.
Dans ces conditions, le groupe RDPI, désireux de recentrer notre modèle sur les victimes, votera fièrement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis ce matin d'un sujet lourd, d'un sujet grave, qui mérite toute notre attention. La personnalité de l'auteur du texte indique assez l'importance à accorder à cette question, car nous connaissons l'investissement de Xavier Iacovelli sur la question des droits de l'enfant.
J'en profite pour dire que nous regrettons que le Sénat ait refusé la création d'une délégation aux droits de l'enfant, qui serait tout aussi opportune que l'est la délégation aux droits des femmes ; de telles instances nous permettent d'avancer, de manière souvent transpartisane, sur des sujets délicats, qui ne sont pas forcément nouveaux, mais dont il est enfin admis qu'il faut les prendre en compte et élaborer à cette fin des solutions nouvelles.
Il nous est donc proposé ce matin d'améliorer la législation en vigueur, en donnant la possibilité à un descendant de ne pas avoir à subir l'obligation alimentaire à l'égard d'un de ses parents, s'il estime que cela n'est pas tolérable au regard du comportement passé de cet ascendant.
Lorsqu'on se penche sur le sujet, on note qu'il existe d'ores et déjà des dispositifs prévus à cet effet. Tout un chacun n'en a pas forcément conscience, mais ceux qui sont ici ce matin le savent.
Tout d'abord, et cette possibilité a été introduite assez récemment dans notre droit, un enfant peut être déchargé de l'obligation alimentaire lorsque le parent concerné a été condamné pour violence à son égard ou à l'égard de l'autre parent.
Ensuite, un enfant qui a été placé avant sa majorité durant une période de plus de trente-six mois cumulés peut également être déchargé de son obligation alimentaire.
Enfin, troisième voie, il est possible de contester devant un magistrat, en motivant sa demande, le bien-fondé d'une obligation alimentaire.
Le dispositif est donc complet. Néanmoins, nous dit-on, ces possibilités nécessitent une démarche de l'enfant ; il faudrait donc prévoir une formule beaucoup plus souple pour lui permettre de se décharger de l'obligation alimentaire de sa propre initiative, par une démarche unilatérale, non contradictoire, devant un notaire.
Je ne partage pas, à cet égard, tous les propos que j'ai entendus ce matin. Je ne crois pas qu'il faille nécessairement, au motif que cela a toujours été ainsi, ne rien changer au droit positif : si tel était le cas, nous ne serions pas là. En revanche, les principes fondamentaux du droit, eux, doivent être respectés ; je suis ravie de le dire devant le Sénat, qui l'oublie parfois, voire souvent.
J'observe qu'il n'existe pas dans notre code civil de possibilité de se décharger d'une obligation – il s'agit bien en l'espèce d'une obligation, et non d'un droit – par simple déclaration unilatérale devant un notaire. Aux termes du dispositif proposé, dont j'ai bien noté qu'il serait proposé de l'amender au cours de la discussion, il deviendrait possible, entre 18 et 30 ans, de se libérer de son obligation alimentaire à l'égard de l'un de ses parents, par simple acte notarié. Ledit parent aurait ensuite six mois pour contester cette décharge devant le juge aux affaires familiales et démontrer qu'il a fait preuve de « bienveillance envers l'enfant », pour reprendre le texte de la proposition de loi.
Je l'ai dit devant la commission des lois, en partie pour faire sourire mes collègues, car nous nous entendons tous très bien : je ne sais pas comment on prouve que l'on est un parent bienveillant. Nous sommes nombreux ici à avoir des enfants, et nous avons sans doute tous été des parents formidables… Mais je ne sais pas comment nous le prouverions ni comment nous pourrions, le cas échéant, nous défendre du reproche de maltraitance ; car on peut être en apparence bienveillant à l'égard de ses enfants, mais en réalité les maltraiter dans le secret de la famille.
Le dispositif est non seulement déséquilibré – pour résoudre certains problèmes sans doute bien réels, on place les parents dans une situation telle qu'ils seraient incapables de répondre s'ils se trouvaient accusés des manquements dont il est question –, mais également toxique. Je sais bien que personne ici n'a de reproches à faire à ses parents, et que nous n'avons jamais aucun conflit avec nos enfants… (Sourires.) Mettons néanmoins qu'un jour l'un d'eux engage unilatéralement, devant notaire, une démarche pour se dégager de son obligation alimentaire : les relations promettent de devenir compliquées…
Pour résumer, nous croyons, pour notre part, au pouvoir régulateur du juge. Nous estimons que la procédure existante, qui est stabilisée, est suffisamment protectrice. Des amendements seront débattus tout à l'heure, mais le principe même d'une déclaration unilatérale sans contradictoire devant notaire nous paraît substantiellement vicié.
En conséquence, nous n'approuvons pas le mécanisme proposé, mais nous restons soucieux de trouver une solution au problème soulevé, qui est bien réel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Dominique Vérien et MM. Marc Laménie et Louis Vogel applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous examinons répond à une attente forte de ceux qui sont victimes d'abus ou d'abandon de la part de leurs parents, alors qu'en France, en 2025, un enfant sur huit est victime de maltraitance et un enfant sur dix est victime d'inceste.
L'obligation alimentaire contraint chaque personne à aider son parent dans le besoin, y compris quand ce dernier a été l'auteur de maltraitances physiques, d'un abandon de famille ou de viols incestueux. Cette obligation constitue une injustice évidente : après avoir survécu à des violences commises par un de leurs parents, les enfants sont contraints de payer pour l'aider. Aux violences subies et aux traumatismes s'ajoute, dans la loi française, l'obligation alimentaire qui plane au-dessus de la tête des victimes toute leur vie.
La présente proposition de loi vise à instaurer le droit pour l'enfant, entre 18 ans et 30 ans, de renoncer à cette obligation par acte notarié, dispense que le parent concerné pourrait bien sûr contester, la charge de la preuve lui incombant.
Je remercie Xavier Iacovelli, car son texte représente une avancée essentielle pour la dignité de nos concitoyens victimes de leurs parents.
Le texte lève le voile sur les violences intrafamiliales qui meurtrissent les enfants toute leur vie durant. Les victimes nous disent qu'elles n'acceptent pas d'être liées à leur bourreau jusqu'à leur décès. Au-delà de la question strictement financière, elles veulent avant tout pouvoir rompre tout lien avec ce parent bourreau, et nous supplient de les autoriser à tourner la page.
L'adoption de cette proposition de loi permettrait aux victimes de se libérer plus facilement, en leur évitant un parcours judiciaire et administratif long, éprouvant et toujours coûteux.
Actuellement, seule une décision judiciaire difficile à obtenir permet d'exempter un enfant de son obligation alimentaire : il doit saisir un juge aux affaires familiales et démontrer que son parent a été maltraitant ou négligent. Mais comment prouver ce que l'on ne voit plus ? Les blessures d'enfance sont souvent invisibles et, des décennies plus tard, les preuves matérielles sont impalpables.
Ce parcours judiciaire imposé condamne les victimes à une double peine : il les force à revivre leur traumatisme tout en les confrontant à l'impossibilité de prouver leur souffrance.
La loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, dite loi « Bien vieillir », a introduit certaines exemptions, notamment quand le parent a été condamné pour crime sexuel sur son enfant ou sur l'autre parent. Encore faut-il que l'auteur ait été condamné ; or rien n'est moins certain, à l'heure où 20 % seulement des victimes d'inceste portent plainte, et où 1 % des plaintes aboutissent à une condamnation.
Comment peut-on penser que le droit actuel permet réellement aux victimes de se libérer de l'obligation alimentaire ? Dans la réalité, les victimes se sentent souvent seules et abandonnées. Elles doivent fréquemment se sauver elles-mêmes, toute leur vie et à leurs frais, dans un contexte où le système juridique reste inopérant pour la majorité d'entre elles, car les moyens n'y sont pas toujours à la hauteur des besoins. La création de pôles judiciaires spécialisés dans les violences intrafamiliales continue d'ailleurs de se faire attendre…
La commission, tout en saluant l'intention louable qui a présidé au dépôt de ce texte, a soulevé les difficultés juridiques qu'il pose. Je regrette qu'elle n'ait pas choisi de l'améliorer ; l'enjeu était pourtant de respecter les revendications des enfants, éternelles victimes de leurs bourreaux.
La commission a insisté sur la solidarité familiale comme principe cardinal du droit civil français, reposant sur la réciprocité des devoirs entre ascendants et descendants. Mais où est la réciprocité quand un enfant doit se soumettre à une obligation alimentaire envers son géniteur lors même que celui-ci a gravement failli à ses devoirs ?
Oui, notre conception de la famille a évolué. Elle n'est plus fondée sur l'autorité inébranlable d'un parent ayant tous les droits, y compris celui de manquer à ses devoirs. En 2025, il est acquis qu'il nous revient, à nous, parlementaires, de protéger les enfants, y compris de leurs parents, quand cela est nécessaire. Le groupe CRCE-K votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, étant la dernière à intervenir en discussion générale, j'ai eu l'occasion d'entendre tous les arguments pour et contre ce texte, et je dois dire qu'un certain nombre de ces derniers me dérangent.
Si cette proposition de loi a été déposée, c'est parce qu'un problème se pose bel et bien : aujourd'hui, en France, des femmes et des hommes devenus adultes sont sommés de subvenir aux besoins de ceux qui les ont violentés, abandonnés, parfois simplement ignorés, maltraités, dans tous les cas traumatisés.
Il faut reconnaître que, de fait, l'immense majorité des victimes, quels que soient par ailleurs le degré et la nature de la maltraitance ou de la défaillance en question, n'est jamais passée et ne passera jamais devant un juge, que cela nous plaise ou non.
Tel est le combat légitime mené par le collectif Les Liens en sang, né des témoignages de celles et de ceux qui, après avoir subi des violences, se sont retrouvés obligés par l'État d'aider leur bourreau quand l'obligation réciproque n'avait pas été honorée.
Oui, c'est vrai, la loi permet déjà, dans certaines conditions, de s'exonérer de l'obligation alimentaire. Toutefois, dans les faits, dans la vraie vie, la procédure prévue à cet effet n'est ni satisfaisante ni suffisante. Bien souvent – dans la plupart des cas –, les violences n'ont été ni repérées ni condamnées dans l'enfance. Il est très difficile de les prouver et, bien souvent, on n'a ni la force ni les moyens de le faire.
L'initiative de notre collègue Iacovelli est donc pertinente, car elle vise à apporter une réponse, ouverte à la discussion, à un vrai problème. Et je dois dire, mes chers collègues, toute l'indécence qu'il y a selon moi à marteler l'argument de l'effet d'aubaine.
Le dispositif proposé soulève, il est vrai, des questions juridiques et techniques sérieuses. La commission des lois a ainsi relevé, à juste titre, l'imprécision de la notion de « bienveillance », employée alternativement avec celle de « parent défaillant », ce qui rendait le dispositif peu clair. Elle a également signalé que, la procédure notariée pouvant être engagée sans condition de motivation, la possibilité de recours s'en trouvait fragilisée.
Mon groupe a d'ailleurs déposé deux amendements : l'un pour supprimer l'article 3 relatif à la perte des droits successoraux, qui ne nous paraît pas pertinent ; l'autre pour supprimer la limite d'âge de 30 ans, laquelle ne tient pas compte des questions d'amnésie traumatique ou d'emprise familiale, ni du fait que, tout simplement, en pratique, le besoin de soutien s'exprime le plus souvent quand les parents sont âgés, c'est-à-dire quand leurs enfants ont plus de 30 ans.
D'une manière générale, la commission, suivie en cela par un certain nombre d'entre vous, mes chers collègues, argue que le dispositif proposé bouscule un principe fondamental du code civil, celui de la solidarité familiale. Vous remarquerez qu'on ne parle jamais autant de la solidarité familiale que lorsqu'il s'agit précisément de pallier ses défaillances…
Mais bousculer et réinterroger un principe du droit civil, est-ce par définition une mauvaise chose ? Au fond, n'y a-t-il aujourd'hui, en 2025, aucune raison légitime de se demander si notre code civil doit nécessairement faire perdurer un modèle selon lequel c'est l'appartenance familiale, même dans ses liens asymétriques, non réciproques et non choisis, qui doit dicter l'assistance mutuelle que se doivent les membres d'un groupe, seul un tribunal étant en mesure d'en prononcer la décharge ?
Quitte à vous choquer, mes chers collègues, je ne le pense pas : la question posée par notre collègue – je pense y compris à la procédure unilatérale – n'est pas, me semble-t-il, une mauvaise question.
Certes, le texte n'est pas parfait ; il ne le serait toujours pas même si nos amendements étaient adoptés. Oui, il doit être encore amélioré, car il reste à trouver le bon mécanisme pour permettre aux personnes concernées de se libérer d'une obligation moralement viciée et pourtant aujourd'hui juridiquement fondée.
Néanmoins, malgré ses imperfections, la proposition de loi de notre collègue soulève une vraie question, une bonne question, et lui apporte une amorce de réponse. Pour cette raison, afin de laisser une chance à la navette parlementaire de se poursuivre, donc au texte d'être enrichi, mon groupe votera pour. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, CRCE-K et RDPI.)
M. François Patriat. Merci !
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à se libérer de l'obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant
Article 1er
L'article 207 du code civil est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Toute personne majeure peut, par acte notarié, se libérer de l'obligation alimentaire, prévue à l'article 205, à l'égard d'un parent défaillant. L'enfant n'aura pas besoin de motiver sa décision.
« Cette déclaration devra être effectuée à partir de la majorité et jusqu'à la veille des trente ans de l'enfant. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Iacovelli, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Kulimoetoke et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth et MM. Rambaud et Théophile, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2, seconde phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
L'acte notarié comprend, outre les éléments relatifs à la filiation du requérant, les motifs justifiant la dérogation à l'obligation alimentaire. Cette déclaration peut être effectuée à partir de la majorité et jusqu'à la veille des trente ans de l'enfant.
II. – Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« La défaillance parentale résulte d'un ou plusieurs manquements graves aux obligations imposées par l'article 371-1 du code civil durant la minorité de l'enfant. »
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Ainsi que je l'ai annoncé en commission et lors de la discussion générale, j'ai déposé plusieurs amendements pour améliorer mon texte, prendre en compte les remarques des collègues qui ont bien voulu faire des propositions, mais aussi tirer les conséquences des auditions du Conseil national des barreaux et du Conseil supérieur du notariat.
En particulier, nous proposons d'apprécier désormais la notion de défaillance parentale à la lumière du droit existant, en faisant référence à l'article 371-1 du code civil.
Cet article, pilier du droit de la famille, définit l'autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant ». Il y est précisé que l'autorité parentale a pour but de « protéger [l'enfant] dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne », et « s'exerce sans violences physiques ou psychologiques ».
En s'appuyant sur ce fondement, le dispositif gagne en sécurité juridique, tout en consacrant le principe de la non-réciprocité entre le parent défaillant et l'enfant victime.
Lorsqu'un parent a gravement manqué à ses devoirs, il peut tout de même exiger de celui qu'il n'a pas protégé qu'il assume, le moment venu, l'obligation alimentaire. L'article 1er est important, car il consacre, pour ces enfants une fois devenus adultes, le droit de se libérer d'un lien juridique qui ne saurait perdurer dès lors qu'il n'a jamais été honoré par leur géniteur.
Cet amendement traduit un compromis équilibré entre l'exigence juridique et l'exigence morale. Il a été rédigé en prenant en compte les informations que la commission des lois a bien voulu nous fournir, et en concertation avec les avocats, les notaires et la Chancellerie.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Nous proposons, par cet amendement, de supprimer les bornes d'âge – 18 et 30 ans – applicables à la procédure de décharge de l'obligation alimentaire par acte notarié.
En effet, dans la réalité des situations familiales dont il est question, lorsqu'il s'agit d'activer ou de contester l'obligation alimentaire, les enfants ont souvent plus de 30 ans. La logique d'une telle borne d'âge nous échappe : nous ne comprenons pas pourquoi les enfants de moins de 30 ans auraient le droit de recourir à une procédure notariée unilatérale, tandis que ceux qui ont plus de 30 ans seraient dans l'obligation de saisir le juge aux affaires familiales.
Il nous semble plus cohérent, eu égard à l'objectif, de laisser à tout âge la possibilité d'avoir recours à cette procédure.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer le mot :
trente
par le mot :
soixante
La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Dans la même logique, nous considérons que la limite des 30 ans réduit significativement la possibilité de s'exonérer de l'obligation alimentaire.
En effet, rien n'indique qu'à 30 ans on a eu le temps de prendre conscience de l'obligation alimentaire que l'on doit à ses parents. Il est tout à fait concevable de ne découvrir l'existence d'une telle obligation qu'une fois passé ce délai d'âge, au moment où l'on doit effectivement aider son parent dans le besoin, tout comme il est possible de ne découvrir qu'après 30 ans que l'on aurait eu la possibilité de s'en exonérer.
Par ailleurs, le phénomène d'amnésie traumatique est très fréquent chez les personnes victimes d'inceste. Il n'est pas rare qu'une personne ne se remémore les viols qu'elle a subis que des décennies plus tard, quand le crime est prescrit et que l'agresseur ne peut plus être condamné.
Dès lors, la possibilité de se libérer de l'obligation alimentaire est bien la moindre des réparations que la justice peut apporter aux victimes. Aussi proposons-nous de repousser la limite d'âge à 60 ans, afin que les victimes ne soient plus entravées dans les démarches qu'elles sont susceptibles d'engager pour obtenir cette exonération.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Par souci de clarté, j'émettrai d'abord l'avis de la commission sur l'amendement n° 3 rectifié, qui vise à réécrire le dispositif, avant de me pencher sur les amendements nos 1 et 8, qui ont trait à la limite d'âge.
L'amendement n° 3 rectifié a pour objet de remédier aux difficultés juridiques identifiées durant les travaux de la commission. Nous avons examiné cette proposition de réécriture avec la plus grande attention, car elle apporte quelques évolutions bienvenues par rapport à la copie initiale. Je songe en particulier à la motivation de l'acte notarié et à la définition de la notion de « défaillance parentale ».
Néanmoins, la rédaction demeure insuffisante, pour deux raisons principales qui apparaissent insurmontables.
D'une part, la logique même du dispositif demeure, puisqu'il s'agit toujours d'autoriser une personne à se décharger unilatéralement d'une obligation réciproque. Une telle disposition serait absolument inédite en droit, du moins si l'on omet le pacte civil de solidarité (Pacs). Or le Pacs est de nature contractuelle ; l'obligation alimentaire, elle, est non pas un contrat, mais l'une des expressions les plus importantes de la solidarité familiale. Par conséquent, le principe même du dispositif proposé nous semble vraiment problématique en droit.
D'autre part, l'obligation de motiver l'acte n'enlèverait rien au fait que celui-ci serait adopté devant notaire. Or un notaire ne dispose absolument pas des pouvoirs d'investigation qui sont ceux d'un juge. Ainsi que l'auteur du texte l'a lui-même suggéré – l'expression vient de lui –, le risque d'un « effet d'aubaine » demeure donc entier.
J'en viens aux amendements nos 1 et 8 : ils visent, pour l'un, à supprimer la limite d'âge et, pour l'autre, à l'étendre ; or cette limite a été conçue par l'auteur de la proposition de loi comme un garde-fou destiné à limiter le fameux effet d'aubaine dont il a lui-même fait cas. En outre et surtout, la commission est opposée à ce dispositif.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.
M. Xavier Iacovelli. Bien que je ne comprenne pas pour quelle raison ces trois amendements sont en discussion commune – il me semble qu'il aurait fallu examiner à part l'amendement n° 3 rectifié –, je souhaite répondre aux arguments avancés par certains de nos collègues lors de la discussion générale et par Mme la rapporteure à l'instant.
J'ai entendu beaucoup d'entre vous se demander comment le parent pourra justifier qu'il a été un parent bienveillant ; mais aucun d'entre vous ne s'est demandé comment fera l'enfant, devenu adulte, pour démontrer, des années après les faits, qu'il a été maltraité, abandonné ou affectivement délaissé, bref qu'il y a eu défaillance au regard des obligations parentales définies à l'article 371-1 du code civil.
Je veux bien que l'on soit attentif à protéger les droits de l'accusé, c'est-à-dire, dans bien des cas, du bourreau, mais quid de la victime ? Avant de tenter de justifier l'injustifiable, il convient de prendre en compte le point de vue de la victime !
Si nous proposons d'ajouter au texte l'obligation de motiver l'acte notarié, c'est pour assurer la stabilité juridique du dispositif. Ce faisant, nous ne renonçons pas à la procédure de l'acte notarié, gage d'une simplification qui me paraît tout à fait nécessaire, ainsi que nos collègues écologistes et communistes l'ont rappelé.
En ce qui concerne la borne d'âge, je ne comprends pas l'argument de l'effet d'aubaine. Je suis désolé, chère collègue Vérien, mais à 18 ans on ne pense pas que ses parents sont « nuls » au point de demander par avance à être déchargé d'une obligation alimentaire qui sera – peut-être ! – due quarante ans plus tard. Il y faudrait, de la part des enfants, une sacrée dose de vice…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Xavier Iacovelli. Si nous avons fixé néanmoins une limite d'âge à 30 ans, c'est pour faire en sorte que cette procédure de décharge de l'obligation alimentaire ne vise pas des parents qui seraient déjà en situation de perte d'autonomie.
Cela étant, je comprends l'intention des auteurs des amendements nos 1 et 8 ; à titre personnel, je voterai pour.
M. le président. Mon cher collègue, je vous dois une explication sur la forme : si ces trois amendements ont été placés en discussion commune, c'est parce que l'adoption de l'amendement n° 3 rectifié ferait tomber les deux autres.
La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Je reviens sur l'effet d'aubaine : malheureusement, il n'y a pas que des gens honnêtes ; c'est pourquoi, d'ailleurs, nous avons besoin d'une justice. S'il n'y avait que des gens honnêtes, nous n'aurions même pas à envisager que des gens puissent détourner un texte de loi à leur profit, ce qui arrive pourtant tous les jours, que ce soit en matière fiscale, en matière civile ou en matière pénale.
En réalité, le vrai problème réside dans le caractère unilatéral de la procédure devant notaire. Il s'agit de gagner du temps, nous dit-on ; sauf que, là encore, si le parent n'est pas bienveillant, il n'a aucune raison d'accepter que son enfant soit exonéré de son obligation alimentaire. Il portera donc l'affaire devant le juge aux affaires familiales, étant entendu qu'il aura six mois pour le faire. Dès lors, où est le gain de temps ?
Le cas échéant, il sera aussi difficile pour l'un d'apporter la preuve qu'il a été victime que pour l'autre de prouver qu'il a été bienveillant. En tout état de cause, on se retrouvera devant le juge de la même façon qu'aujourd'hui !
La procédure actuelle est critiquée pour sa longueur. Si les possibilités existantes d'assignation en référé s'avèrent insuffisantes, corrigeons cette lacune ; reste qu'il faut un juge pour trancher le litige – exonérer ou non l'enfant demandeur – dans le respect du contradictoire.
C'est le caractère unilatéral de la procédure qui est choquant : certains pourraient en profiter, car, malheureusement, tout le monde n'est pas honnête.
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour explication de vote.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Au moment où nous parlons de violences subies dans l'enfance, j'ai en tête de nombreux entretiens que j'ai eus avec des victimes d'inceste. Il faut savoir que les protagonistes, le bourreau comme la victime, sont souvent adultes lorsque les témoignages sont recueillis. Mais c'est bien l'enfant, alors, qui est convoqué devant nous : la victime adulte revit les faits subis durant son enfance, retraverse tous les traumatismes endurés pendant des années.
Et c'est à cet enfant que vous demandez d'aller devant la justice et de se plier à l'exercice du contradictoire, alors qu'il a tout juste eu la force de prendre conscience des violences qu'il a subies ?
La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui vise à simplifier les démarches et à éviter des traumatismes supplémentaires. On le sait, de nombreuses plaintes sont classées sans suite et beaucoup de procédures n'aboutissent pas ou se concluent par un non-lieu.
Il s'agit simplement de permettre aux gens de tourner la page et de vivre enfin !
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote sur l'article.
M. Xavier Iacovelli. On dénombre seulement chaque année – ce chiffre a été cité par Mme la rapporteure comme par Mme Di Folco – une vingtaine de saisines du JAF pour contestation de l'obligation alimentaire, quand les témoignages de défaillance parentale se comptent par milliers. Et vous dites que le système va bien ? (Mmes Catherine Di Folco et Jacqueline Eustache-Brinio protestent.) Ce n'est pas le cas, mes chères collègues !
Notre collègue communiste l'indiquait tout à l'heure : exiger un passage devant le juge, c'est faire revivre à la victime devenue adulte les violences qu'elle a subies enfant, sachant qu'un adulte qui a été victime de la défaillance ou des maltraitances de ses parents durant son enfance reste une victime ; avoir 18 ans n'y change rien.
Un simple acte notarié, qui eût été obligatoirement motivé si mon amendement avait été adopté, peut toujours être contesté ; mais je doute, madame la sénatrice Vérien, qu'un parent défaillant ou maltraitant aille jusqu'au contradictoire devant le juge (Mme Dominique Vérien fait la moue.) : on invente des scénarios qui n'ont aucune chance de se réaliser…
Je regrette que la commission appelle à voter contre cet article. Créer cette procédure simplifiée par acte notarié, c'est fluidifier la possibilité pour l'enfant devenu l'adulte de se libérer de l'obligation alimentaire.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Monsieur Iacovelli, si vous saviez comme je comprends ce que vous nous dites !
M. Xavier Iacovelli. Arrêtez de dire ça !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Se décharger de son obligation alimentaire permettrait à l'enfant qui a subi un inceste de tourner la page, dites-vous ; mais non ! Jamais on ne tourne ces pages d'horreur.
M. Xavier Iacovelli. Si, certains y parviennent !
Mme Marie Mercier, rapporteur. On tourne la page, peut-être, mais le livre reste, la blessure reste.
Mme Patricia Schillinger. Et pour cause, quand on doit payer tous les mois la maison de retraite !
M. le président. Mes chers collègues, veuillez laisser Mme le rapporteur s'exprimer.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Dans un État de droit, il y a forcément une place pour la justice. Même si cela vous gêne, c'est ainsi : c'est parce qu'il y a une justice qu'il peut y avoir une démocratie équilibrée. L'inceste est un crime, qui doit être su, connu, et particulièrement réprimé.
Ne dites pas que la décharge de l'obligation alimentaire n'est pas possible, car nous avons fait voter des textes pour la rendre, dans certains cas, automatique. De ce point de vue, la présente proposition de loi n'apporterait rien, au contraire : elle créerait – en nombre – du contentieux. Mes chers collègues, faites confiance au droit et à la justice.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Très bien, bravo !
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote sur l'article.
Mme Patricia Schillinger. Il n'est jamais facile de trancher les liens, mais c'est ce que l'on veut lorsqu'on est victime : couper les liens, y compris les liens financiers.
Mmes Jacqueline Eustache-Brinio et Catherine Di Folco. C'est déjà possible !
Mme Patricia Schillinger. Non, ce n'est pas possible ! Ce texte a pour objet d'aider ceux qui ont subi des violences et des maltraitances. Lorsqu'on continue d'être pris dans le lien parental qu'est l'obligation alimentaire, c'est tous les mois qu'il faut verser l'aide financière due, laquelle sonne – tous les mois ! – comme un rappel ; on se retrouve à en discuter avec la famille, avec son époux, avec ses enfants, et tous les mois, pendant des années, ce traumatisme incroyable est revécu.
Ce lien, il faut donner aux victimes les moyens de le trancher un jour. Je soutiens donc totalement la démarche de mon collègue Xavier Iacovelli et de ceux de mes collègues qui ont déposé des amendements sur son texte.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er n'est pas adopté.)
Article 2
L'article 207-1 du code civil est ainsi rétabli :
« Art. 207-1. – Le parent concerné peut contester la libération de l'obligation alimentaire mentionnée à l'article 207 dans un délai de six mois à compter de la notification de l'acte notarié. Cette contestation est portée devant le juge aux affaires familiales, qui apprécie si le parent a rempli ses devoirs parentaux et a fait preuve de bienveillance envers l'enfant durant sa minorité. La charge de la preuve incombe au parent demandeur.
« Le notaire chargé de cet acte doit, dans un délai de quinze jours à compter de sa signature, procéder à sa notification au parent concerné par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d'huissier.
« À défaut de contestation dans le délai mentionné au premier alinéa, l'acte devient définitif et opposable de plein droit. »
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Iacovelli, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Kulimoetoke et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth et MM. Rambaud et Théophile, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L'article 207-1 du code civil est ainsi rétabli :
« Art. 207-1. – Le parent et le président du conseil départemental peuvent former opposition à l'acte dans un délai de six mois à compter de la notification qui leur en est faite.
« Cette contestation est portée devant le juge aux affaires familiales, qui apprécie si le parent a gravement manqué aux obligations imposées par l'article 371-1 du code civil durant la minorité de l'enfant. La charge de la preuve est allégée au bénéfice de l'enfant qui souhaite se libérer de l'obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant.
« À défaut de contestation dans le délai mentionné au deuxième alinéa, l'acte devient définitif et dispense son bénéficiaire de toute obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil à l'égard du parent mentionné à l'acte. »
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Il s'agit de donner au président du conseil départemental, et non plus au seul parent concerné, la faculté de contester l'acte notarié visé à l'article 1er, que le Sénat vient de rejeter.
Cet amendement est motivé par un souci de solidarité nationale et de cohérence juridique. Son adoption apporterait une double garantie : d'une part, une meilleure sécurité juridique pour l'ensemble des parties ; d'autre part, une cohérence institutionnelle, via l'association du département, échelon compétent en matière de solidarité, à la mise en œuvre de cette mesure de justice.
Comme le parent concerné, le président du conseil départemental aurait un délai de six mois à compter de la notification de l'acte notarié dûment motivé par la victime pour contester cet acte devant le juge aux affaires familiales.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement obéit à la même logique que l'amendement n° 3 rectifié : il s'agit de réécrire le dispositif à la lumière des travaux de la commission, à la suite des auditions que nous avons menées.
Notre diagnostic est le même : la commission estime que les modifications proposées sont insuffisantes pour assurer la robustesse juridique du dispositif. En effet, les problèmes juridiques les plus importants, qui découlent de la nature même du mécanisme, demeurent.
Tout d'abord, en dépit des modifications apportées, le risque persiste qu'une personne soit déchargée tacitement de son obligation alimentaire en l'absence de contestation et donc de contrôle juridictionnel. Il s'agirait d'un cas inédit, qui n'apparaît absolument pas souhaitable. Les seuls cas d'exonération automatique – cela a été rappelé – résultent de constats objectifs ; ainsi du placement durable d'un enfant auprès des services de l'ASE.
Ensuite, la commission juge très fragile juridiquement la substitution d'un simple « allègement » à l'inversion de la charge de la preuve initialement prévue. L'inversion était certes inenvisageable, d'après la commission ; mais l'idée que la charge de la preuve soit « allégée » apparaît elle aussi hautement problématique, car cette formule, en droit, ne signifie rien.
Enfin, un tel dispositif ferait naître un contentieux accessoire souvent artificiel, dans la mesure où les personnes concernées créeraient un litige qui n'aurait peut-être jamais eu lieu sans cela, l'obligation alimentaire n'étant que peu sollicitée.
L'avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il ne s'agit pas forcément d'adopter le dispositif dans la rédaction proposée par M. Iacovelli. Toutefois, si celui-ci venait à être retenu, il conviendrait que le président du conseil départemental, chargé de la mise en œuvre de la solidarité nationale, puisse contester l'acte notarié.
Mme le rapporteur a indiqué que des modifications législatives seraient à prévoir. Celles-ci pourraient être introduites au cours de la navette parlementaire. Et il est évident, comme je l'ai dit tout à l'heure, que les départements de France doivent être totalement impliqués dans les conséquences de cette loi, si elle est votée.
C'est pourquoi le Gouvernement émet un avis favorable.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Je rencontre un problème de légistique : alors que nous venons de rejeter l'article 1er, nous devons maintenant voter sur un article 2 qui institue un recours contre une mesure qui n'existe plus… J'ignore comment une telle construction peut tenir, mais peu importe, car cela me donne l'occasion de revenir sur un point.
J'ignore si le parent défaillant se retournerait contre son enfant dans le cadre d'une procédure notariée, mais le département, lui, le ferait à coup sûr. L'enfant concerné serait donc contraint de se présenter devant le juge – si, bien entendu, l'article 1er avait été adopté, ce qui n'a pas été le cas.
M. le président. L'amendement n° 6 rectifié bis, présenté par M. Iacovelli, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Kulimoetoke et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth et MM. Rambaud et Théophile, est ainsi libellé :
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Après le cinquième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 4° Les enfants dont les parents ont gravement manqué aux obligations de l'autorité parentale telles que définies par l'article 371-1 du code civil, durant leur minorité. » ;
2° Au sixième alinéa, la référence : « 3° » est remplacée par la référence : « 4° ».
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Depuis la loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, des dérogations à l'obligation alimentaire ont été introduites à l'article L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles.
Cette évolution reconnaît qu'il existe dans notre droit des exceptions légitimes à la règle de l'obligation alimentaire. Parmi elles, figure la possibilité pour les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance d'être exonérés de cette obligation, à condition d'avoir été placés au moins trente-six mois cumulés au cours des dix-huit premières années de leur vie. Autrement dit, le législateur a admis qu'un lien de droit ne suffisait pas à créer un lien de devoir lorsque le fondement de la parentalité a été rompu dès l'enfance.
Cet amendement tend à s'inscrire dans cette même logique. Il vise à intégrer dans le même article la reconnaissance des manquements graves aux obligations parentales, tels qu'ils sont définis à l'article 371-1 du code civil, comme motif d'exonération de l'obligation alimentaire.
Cette disposition pourra répondre, tout d'abord, à la question du délai d'âge pour la réalisation de l'acte notarié, actuellement limité à trente ans. Ensuite, elle pourra répondre au problème de la rétroactivité, pour permettre aux enfants devenus adultes, victimes d'un parent absent, violent ou violeur, de bénéficier aussi de cette dérogation qu'ils n'ont pu obtenir par un acte notarié.
L'adoption de cet amendement ne remettrait pas en cause le principe de solidarité familiale ; elle le renforcerait dans son sens véritable, celui de la solidarité fondée sur la réciprocité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet article additionnel ouvre, comme son auteur l'a expliqué, un nouveau cas de dérogation de l'obligation alimentaire dans le code de l'action sociale et des familles. Il nous semble que ce dispositif serait hautement problématique, dans la mesure où il introduirait de la confusion dans le droit en vigueur.
En l'état du droit, un débiteur d'aliments peut déjà être déchargé de son obligation alimentaire lorsque son créancier d'aliments a commis des manquements graves à son égard. Le deuxième alinéa de l'article 207 du code civil prévoit cette hypothèse.
Or, contrairement à ce qui est ici prévu, le mécanisme de l'article 207 repose sur l'intervention du juge. Cette intervention est essentielle. Elle garantit, d'une part, l'appréciation desdits manquements graves, et, d'autre part, le principe du contradictoire. En conséquence, elle assure que l'on ne soit pas déchargé sans cause sérieuse de son obligation alimentaire.
Il serait donc inopportun d'ajouter un cas de décharge à l'article L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles.
Notons, à cet égard, que les trois cas actuels de décharge prévus à cet article reposent sur un constat objectif et aisé : une condamnation pénale, un placement durable à l'ASE ou la qualité de petit-enfant. Il n'en serait rien de l'appréciation des manquements graves, qui, en l'absence d'un juge, serait purement déclarative.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.
M. Xavier Iacovelli. Pardonnez-moi, madame la rapporteur, mais il me semble que vous n'avez pas saisi la portée de mon amendement… (Marques d'agacement sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Peut-être qu'il n'était pas suffisamment clair...
M. Xavier Iacovelli. Je souhaite simplement en préciser le sens, car il est parfois difficile de le faire pleinement en deux minutes.
En l'occurrence, il ne s'agit nullement d'interdire l'intervention du juge : celle-ci est déjà prévue dans les trois dérogations existantes. Ce que nous proposons, c'est d'introduire une quatrième dérogation permettant de s'appuyer sur l'article 371-1 du code civil, afin de prendre en compte l'ensemble des manquements que des enfants peuvent subir de la part de leurs parents.
C'est bien entendu le juge qui en apprécie la portée, non la victime directement. Il me paraissait utile, madame le rapporteur, d'apporter cette précision.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié bis.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 6 :
| Nombre de votants | 341 |
| Nombre de suffrages exprimés | 334 |
| Pour l'adoption | 134 |
| Contre | 200 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 3
Après l'article 207-1 du code civil, il est inséré un article 207-2 ainsi rédigé :
« Art. 207-2. – L'exonération de l'obligation alimentaire résultant de l'article 207-1 entraîne de plein droit la perte des droits successoraux de l'enfant à l'égard du parent concerné.
« Le notaire en charge du règlement des droits successoraux vérifie l'existence d'une telle exonération en consultant le fichier central des dispositions de dernières volontés, où l'acte notarié constatant la libération de l'obligation alimentaire aura été enregistré.
« Cette consultation garantit que la perte des droits successoraux soit prise en compte de manière systématique lors du règlement de la succession du parent concerné. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 2 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
L'amendement n° 5 rectifié est présenté par M. Iacovelli, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Kulimoetoke et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth et MM. Rambaud et Théophile.
L'amendement n° 7 est présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l'amendement n° 2.
Mme Mélanie Vogel. J'ai une question technique. Cet article s'applique à un dispositif que nous avons rejeté. L'article 3 est-il néanmoins toujours en discussion ?
M. le président. Tout à fait, ma chère collègue.
Mme Mélanie Vogel. Très bien. Imaginons donc que nous votions l'article 3 sans l'article 1er…
Cet amendement tend à supprimer l'article 3, qui prévoit que l'exonération alimentaire de l'enfant victime entraînera automatiquement la perte des droits successoraux.
Une telle disposition ne nous paraît pas opportune. En effet, ce mécanisme concerne des personnes victimes, qui n'ont donc causé aucun tort. Elles font valoir auprès d'un notaire leur statut de victime d'une défaillance et, pour avoir exercé ce droit, elles se verraient infliger une pénalité. Or le droit d'option en matière successorale est prévu par notre législation, et rien ne justifie qu'une automaticité s'applique en matière de levée des successions.
Par ailleurs, nous parlons ici de personnes qui, très probablement, disposent de peu de biens à transmettre, puisqu'elles sollicitent une aide alimentaire de la part de leurs enfants. Dans ces conditions, la mise en place d'une telle procédure ne présente guère d'utilité.
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour présenter l'amendement n° 5 rectifié.
M. Xavier Iacovelli. Pour compléter les propos de ma collègue Mélanie Vogel, la question de la suppression de cet article avait déjà été évoquée en commission, puis lors de la discussion générale. Plusieurs points avaient alors été soulevés.
Ma collègue l'a rappelé : tout d'abord, on ne peut renoncer à une succession qui n'est pas encore ouverte. Ensuite, une telle mesure reviendrait à infliger une double peine à des personnes qui auraient subi de la malveillance ou de la maltraitance et qui, de surcroît, devraient renoncer à un éventuel héritage ou à une succession potentielle.
S'ajoute à cela un principe de réalité, que Mélanie Vogel a souligné : lorsque le département demande l'obligation alimentaire, c'est, le plus souvent, parce que la succession a déjà été intégralement utilisée pour financer la prise en charge de la perte d'autonomie de la personne concernée. Pour toutes ces raisons, nous avions proposé un amendement de suppression.
Je précise néanmoins que la rédaction initiale de l'article 3 répond à la demande de certaines victimes, qui ne souhaitent pas être perçues comme bénéficiant d'un effet d'aubaine. En renonçant à la succession, elles entendent marquer la rupture totale du lien avec leurs parents, y compris sur le plan financier. Il s'agit donc, de leur part, d'un geste de bonne volonté et de bonne foi.
C'est pour cette raison que nous avions conservé cette disposition, même si je propose aujourd'hui de la supprimer.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Corbière Naminzo, pour présenter l'amendement n° 7.
Mme Évelyne Corbière Naminzo. Il s'agit d'un amendement identique à celui qu'ont présenté mes deux collègues. Il vise à supprimer l'article 3 pour les raisons déjà exposées.
D'une part, le droit français interdit de renoncer à une succession qui n'est pas encore ouverte. D'autre part, priver une victime de ses droits successoraux reviendrait à lui infliger une double peine : elle n'est pas responsable des mauvais traitements subis de la part de son parent, et il serait injuste qu'elle soit déshéritée.
Par ailleurs, les droits successoraux ne sont pas la contrepartie de l'obligation alimentaire – du moins les textes ne les présentent pas ainsi.
Il nous paraît donc nécessaire de supprimer cet article.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur ces amendements, qui visent à supprimer un article que nous vous aurions autrement proposé de rejeter.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques nos 2, 5 rectifié et 7, qui visent à supprimer l'article 3.
Mes chers collègues, je vous rappelle que, si l'article 3 est supprimé, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les trois articles qui la composent auraient été rejetés. Aucune explication de vote sur l'ensemble du texte ne pourrait être admise.
Je vous invite donc à prendre la parole maintenant, si vous souhaitez vous exprimer sur ce texte.
Quelqu'un demande-t-il la parole pour expliquer son vote ?…
La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.
M. François Patriat. Il est assez cocasse qu'il ne reste plus d'articles au moment du vote…
C'est l'honneur et la fierté de notre groupe que d'avoir déposé ce texte. Il s'agit d'un sujet sensible et rémanent, qui appelle une véritable résolution. Sans doute ce texte est-il imparfait ; sans doute pourrait-il être amélioré – vous l'avez d'ailleurs tous souligné ; sans doute certaines expressions, comme la bienveillance, auraient-elles pu être clarifiées. Il n'en demeure pas moins qu'il est très attendu par plusieurs associations et, me semble-t-il, par de nombreux plaignants et par de nombreux enfants de notre pays.
Le dépôt de ce texte témoigne de la sensibilité de notre groupe à cette question, mais aussi d'une prise de conscience. Il n'est pas aujourd'hui interdit de modifier le code civil. Nous l'avons fait avec beaucoup d'ouverture d'esprit.
Ce texte aurait dû pouvoir poursuivre son chemin à l'Assemblée nationale ; rien ne s'y opposait. On pouvait en discuter, y revenir, l'enrichir. Arrêter son examen aussi brutalement ne correspond pas à l'idée que nous avons de la manière de traiter des questions aussi délicates que celles auxquelles notre société est aujourd'hui confrontée.
Je souhaite saluer l'ensemble des personnes qui ont participé à ce travail, féliciter M. Xavier Iacovelli, qui a déposé ce texte, et remercier M. le ministre de ses propos et de l'ouverture d'esprit dont il a fait preuve tout au long de ce dossier, ainsi que la commission, qui a réalisé un travail de qualité.
Bien entendu, nous aurions pu espérer – j'en appelle encore à vous avant le vote final ! – un vote plus positif, permettant à ce texte de poursuivre son parcours sur un sujet d'une telle importance. Je le regrette, mais j'invite mes collègues à continuer de réfléchir à cette question. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour explication de vote.
Mme Mélanie Vogel. Je voudrais commencer par remercier de son travail M. Xavier Iacovelli, ainsi que son groupe : ils nous permettent aujourd'hui d'avoir ce débat dans l'hémicycle. L'issue du vote ne laisse guère de place au suspense. Mais le travail, lui, n'est pas achevé. Nous avons, je le crois, établi ensemble que le problème existe bel et bien et que notre tâche n'est pas terminée : nous devons continuer à chercher une solution.
Je souhaite m'adresser à mes collègues qui se sont opposés à ce texte, même s'ils ne l'ont pas tous fait de la même manière. Il est parfaitement légitime de rejeter une proposition de loi parce qu'on la juge mal rédigée ou parce que l'on estime que le dispositif juridique qu'elle prévoit n'est pas adapté.
Cependant, certains arguments avancés ne font pas honneur au débat que nous devons mener ni aux personnes qui nous écoutent – des personnes dont les histoires, souvent douloureuses, sont à l'origine de cette discussion. Celles-ci se trouvent dans des situations particulièrement difficiles : elles doivent payer ou s'engager dans des procédures lourdes et coûteuses, pour se défaire de l'obligation alimentaire. Dans ce contexte, utiliser l'argument de l'effet d'aubaine ou de la possibilité de fraude n'est pas décent.
Il n'est pas à la hauteur du débat de construire des scénarios théoriques qui concerneraient, au mieux, 1 % des cas, quand 99 % des personnes concernées bénéficieraient concrètement de ce texte.
Faut-il remettre en question le droit au mariage sous prétexte que certains commettent des fraudes en contractant des mariages blancs ou gris ? Devrait-on interdire à une victime de porter plainte pour agression sexuelle ou pour viol au motif que, dans 0,5 % des cas, il existe de fausses accusations ? Non, je ne le crois pas.
Nous devons rester à un niveau de débat honorable, en ayant à l'esprit la manière dont les personnes qui nous écoutent perçoivent nos échanges. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Louis Vogel, pour explication de vote.
M. Louis Vogel. Je souhaite moi aussi remercier tous ceux qui ont contribué à ce travail : en premier lieu l'auteur de la proposition de loi, mais surtout Mme le rapporteur de la commission des lois : elle a fourni un effort considérable et a su tenir compte des équilibres que, comme le rappelait Portalis, il faut toujours respecter lorsque l'on touche à une matière aussi délicate que le système juridique.
Nous, législateurs, avons trop souvent tendance à réagir immédiatement et à voter une loi dès qu'un problème se présente. Or il convient de limiter le nombre de lois et, lorsque l'une d'entre elles est adoptée, de tenir compte du contexte global dans lequel elle s'insère.
Nous disposons de juges, notamment d'un juge aux affaires familiales. Peut-être faudrait-il lui donner davantage de moyens ? Je ne prétends pas que la situation soit parfaite, mais un système juridique préexiste : il ne faut pas en détruire la logique ou la cohérence, sous peine de provoquer un dysfonctionnement général.
Aujourd'hui, nous faisons preuve de sagesse, comme l'a souligné M. le ministre, en choisissant de ne pas adopter ce texte supplémentaire, tout en laissant ouverte la possibilité de reprendre ultérieurement la discussion là où une intervention reste possible, sans compromettre l'équilibre global du système.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Corbière Naminzo, pour explication de vote.
Mme Évelyne Corbière Naminzo. À mon tour de remercier le groupe RDPI de ce texte, qui a permis d'engager le débat aujourd'hui.
Je regrette que cette proposition de loi, qui constitue une mesure de réparation indispensable et réclamée par de nombreuses victimes, ne puisse pas être adoptée par notre chambre.
Il a beaucoup été question d'un prétendu effet d'aubaine que ce texte susciterait. Le seul effet d'aubaine qui existe est celui dont bénéficient les parents défaillants, maltraitants ou bourreaux. L'aberration sociale que nous devons tous combattre, c'est l'enfance maltraitée, abusée, violentée, violée, abandonnée.
Dans mon département de La Réunion, on estime à deux ou trois enfants par classe les victimes d'inceste au sein de leur famille.
L'obligation alimentaire vise à assurer le confort matériel minimal des parents. Mais les enfants victimes, eux, n'ont rien reçu, sinon de la souffrance. La récompense de la galère pour s'en sortir et avoir survécu, c'est l'obligation alimentaire envers le responsable de toutes les souffrances endurées !
Je m'interroge sur la réussite des textes visant à protéger les enfants dans un Sénat qui n'a toujours pas de délégation aux droits des enfants. Tant que nous continuons à nous placer systématiquement du côté du parent, il n'est pas étonnant que nous ayons du mal à défendre les droits des enfants. Il faut admettre que l'enfant est un citoyen et lui accorder des droits en tant que victime.
Les débats autour de ce texte confirment que le Sénat peine à considérer que la notion de famille a changé et continue de changer. Nous avons encore du mal à protéger l'intérêt supérieur de l'enfant, et cela, je le déplore. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDPI. – Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il est vraisemblable que ce texte ne sera pas adopté. Notre position, au regard de l'ensemble des propos qui ont été tenus, est néanmoins la suivante : nous ne considérons pas qu'il y ait un effet d'aubaine – je n'ai d'ailleurs rien dit de tel. Comme je l'ai souligné dans mon propos introductif, la question des droits de l'enfant a évolué ; c'est positif, mais c'est assez récent.
Il serait opportun de réexaminer la possibilité de créer une délégation sénatoriale aux droits de l'enfant, car, je le répète, l'expérience de la délégation aux droits des femmes a montré qu'un tel dispositif permettait un travail transpartisan particulièrement utile.
Cependant, pour reprendre les mots d'un ancien collègue socialiste – les plus âgés d'entre nous comprendront à quoi je fais référence –, ce texte constitue une fausse réponse à une vraie question. J'encourage donc le Sénat, et peut-être l'auteur de la proposition de loi, à reprendre ce travail, afin que nous puissions définir ensemble le mécanisme le plus approprié, qui permettrait de s'extraire des difficultés relevées tout en progressant sur ce sujet.
À ce stade, comme cela a été souligné à la fois par Dominique Vérien et par Mélanie Vogel, je ne saisis pas non plus pleinement la pertinence légistique de cette proposition de loi. Nous n'étions pas favorables au libellé, tel qu'il nous avait été présenté, mais nous reconnaissons l'existence d'un problème, et nous sommes prêts à y travailler pour que nous puissions le résoudre ensemble.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Je rejoins les propos de Marie-Pierre de La Gontrie. Effectivement, il y a un problème et il faut y travailler.
Pour autant, le passage devant le juge constitue, pour se réparer, un moment bien plus important qu'on ne peut l'imaginer. Le simple fait de s'adresser à un notaire ne permet pas nécessairement cette coupure. En revanche, quand un juge indique que l'on peut s'exonérer parce que le parent a été défaillant – donc reconnaît cette défaillance, ce qu'un notaire ne fera jamais –, cela apporte un secours bien plus utile.
Améliorons l'accès au juge, facilitons la rapidité des décisions, accompagnons les victimes pour qu'elles soient réellement prises en charge. Travaillons dans ce sens, mais ne nous exonérons pas de la justice : nous l'avons créée pour garantir une société équilibrée. Améliorons la justice, mais ne lui tournons pas le dos. Allons devant le juge !
Je suis prête, moi aussi, à travailler sur ce sujet pour répondre véritablement aux préoccupations des victimes, mais toujours sur la base de notre justice.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont, pour explication de vote.
Mme Sophie Briante Guillemont. Je rejoins les propos des deux derniers intervenants et remercie M. Xavier Iacovelli d'avoir suscité ce débat dans notre hémicycle.
Je m'inscris en faux par rapport à certaines interventions : ce n'est pas parce que l'on s'abstient ou que l'on vote contre aujourd'hui, en raison du dispositif, que l'on se prononce contre l'intérêt supérieur de l'enfant. Il existe des raisons pour lesquelles, juridiquement, il est aujourd'hui compliqué de voter en faveur de cette proposition. Il convient également de conserver une certaine cohérence dans les votes que l'on émet : on ne peut pas affirmer un jour que les textes suffisent et changer d'avis le lendemain…
Je m'inscris également dans cette volonté de poursuivre le travail sur ce sujet. Mais, je le rappelle, il existe une difficulté : si 24 requêtes ont été déposées l'an dernier, alors que l'on évoque un collectif de 100 000 personnes, cela montre qu'il y a un véritable problème d'accès au droit… Il faudrait donc au moins disposer d'éléments expliquant la situation actuelle.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Je ne puis laisser dire ici que nous ne défendons pas les enfants ! (Mme Jacqueline Eustache-Brinio renchérit.)
M. François Patriat. Nous ne l'avons pas dit !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Je le dis avec tout mon cœur : nous avons toujours mis l'enfant et la victime au centre de nos préoccupations !
Je souligne également que l'expression « effet d'aubaine » figurait dans le texte initial que vous nous aviez soumis, mon cher collègue : jamais je ne l'aurais employée.
En juillet 2020, nous avons voté une loi pour protéger notamment les enfants de la diffusion de films pornographiques gratuits. Nous sommes en 2025, et le problème demeure entier. Heureusement, l'une de nos collègues canadiennes s'appuie sur notre travail et sur l'un des amendements que j'avais fait voter à l'époque pour faire adopter une loi similaire au Canada. C'est bien la preuve que nous nous occupons au Sénat des enfants et que nous les défendons. Agir autrement serait absolument improbable, voire insupportable !
Je le répète, nous sommes d'accord sur le fond, mais il nous faut des textes qui soient fondés, justes et efficaces aussi dans la forme. Il y a le geste et il y a le texte ! Ce dernier est essentiel, ici, au Sénat. Nous continuerons à défendre les enfants, mais toujours dans le respect du droit.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2, 5 rectifié et 7.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 3 est supprimé.
Les trois articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu'un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire, puisqu'il n'y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à douze heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
2
Cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et petites entreprises
Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et petites entreprises (proposition n° 677 (2024-2025), texte de la commission n° 26, rapport n° 25).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Serge Papin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, du tourisme et du pouvoir d'achat.
M. Serge Papin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, du tourisme et du pouvoir d'achat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me présente aujourd'hui devant vous avec beaucoup d'humilité, d'autant qu'il s'agit de ma première intervention dans cet hémicycle.
Compte tenu de l'heure, je propose que nous fassions preuve d'esprit de synthèse pour ne pas faire durer trop longtemps le supplice de Tantale… (Sourires.)
Ce qui me guide aujourd'hui dans mon intervention, c'est l'intérêt général. Or, même sur ce dossier complexe, qui a occupé les débats en 2025, avec de nombreux allers-retours entre les différentes parties prenantes, il me semble que l'intérêt général passe par la recherche d'un compromis.
Le Gouvernement porte précisément une position équilibrée, qui traduit les attentes et les préoccupations des uns et des autres, exprimées ces derniers mois, en particulier lors de la grande concertation organisée par ma prédécesseure, la ministre Véronique Louwagie.
Permettez-moi de commencer par rappeler rapidement la genèse de la réforme de la franchise en base de TVA.
La mesure adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2025, à savoir l'abaissement de tous les seuils à 25 000 euros, n'est pas née d'une vision technocratique. Elle répondait à une demande forte et ancienne de nombreux acteurs économiques, qui dénonçaient, depuis des années, une distorsion de concurrence manifeste entre les entreprises qui sont soumises à la TVA et celles qui bénéficient de la franchise.
Cette réforme avait également été portée, je tiens à le souligner, par plusieurs initiatives parlementaires de différents bords politiques. Elle n'entraînait aucune remise en cause du régime simplifié et fiscalement avantageux des micro-entrepreneurs. Elle visait simplement à en adapter les seuils dans un contexte économique français et européen en pleine mutation.
Le gouvernement de l'époque a entendu les inquiétudes des micro-entrepreneurs qui se sont sentis fragilisés, mais aussi celles des parlementaires et des fédérations professionnelles. Le Gouvernement n'a pas ignoré ces voix et a choisi de suspendre l'entrée en vigueur de la réforme par voie d'instruction ministérielle, puis d'ouvrir une large concertation. Une cinquantaine d'organisations ont été consultées : des fédérations, des syndicats professionnels et des représentants des auto-entrepreneurs, mais aussi des parlementaires.
Trois constats ont émergé de cette consultation.
Premièrement, une majorité d'acteurs économiques soutiennent la réforme introduite en loi de finances, en particulier les fédérations du bâtiment, la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et la Fédération française du bâtiment (FFB), pour lesquelles il s'agit d'une demande urgente. Ces acteurs rappellent que les distorsions de concurrence sont particulièrement sensibles dans les secteurs à forte intensité de main-d'œuvre locale.
Deuxièmement, d'autres organisations ont exprimé une opposition, qu'elle soit symbolique, par attachement au modèle de l'auto-entrepreneuriat, ou économique.
Troisièmement, et enfin, de façon plus pragmatique, de nombreux acteurs, sans s'opposer à l'esprit de la réforme, ont proposé des ajustements pour mieux en cibler les effets. L'idée d'un seuil à 37 500 euros, plus équilibré, a été largement partagée.
Fort de ces échanges, le Gouvernement a défini une nouvelle orientation, que nous avons inscrite dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026. Cette orientation repose sur trois principes.
Le premier est la simplicité, avec un seuil commun à 37 500 euros pour l'ensemble des prestations de services et de vente de biens, soit une forte augmentation par rapport au seuil de la réforme initiale, qui, je le rappelle, était de 25 000 euros. Ce retour à 37 500 euros signifie que la situation ne change pas pour un grand nombre de micro-entrepreneurs ; ainsi en va-t-il pour les prestations de services, notamment dans le secteur des services à la personne.
Le deuxième principe est l'équité, avec un seuil abaissé à 25 000 euros pour les acteurs du bâtiment. Je rappelle que cela est réclamé par les syndicats professionnels du bâtiment, qui sont particulièrement exposés à la concurrence des entreprises étrangères, dans un cadre européen réformé qui, du reste, n'est pas aussi bienveillant que nous le sommes avec les micro-entreprises – la situation est moins bonne ailleurs en Europe.
Le troisième principe est la clarté, avec un régime plus lisible pour les entrepreneurs et plus cohérent avec celui de nos voisins européens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose ici une lecture quelque peu inversée, car je pense sincèrement que cette réforme constitue un moyen d'encourager les entrepreneurs à passer à une autre étape. En effet, si nous maintenons le seuil de 85 000 euros, nous incitons les micro-entrepreneurs à rester dans leur zone de confort. Si les charges sont allégées, le revenu n'est pas très différent, donc tout va bien… En ce cas, pourquoi changer ?
Cela me fait d'ailleurs penser à l'obligation légale de créer un comité d'entreprise à partir de 50 salariés. Je connais de très nombreuses entreprises que ce seuil dissuade de se développer, si bien qu'elles n'embauchent plus !
Le seuil de 85 000 euros risque d'avoir le même effet ! Les entreprises se diront que tout va bien. Alors que, si nous fixons le seuil d'assujettissement à la TVA à 37 500 euros, ce qui me paraît un bon compromis, nous suggérons aussi aux auto-entrepreneurs de passer un cap et de construire des entreprises plus robustes.
La micro-entreprise devient alors une façon de mettre le pied à l'étrier, vers des entreprises qui seront plus structurées et qui, surtout, vont embaucher. Nous évitons ainsi ce qui me semble être des distorsions de concurrence – en tant que ministre des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE), je sais que celles-ci ont des demandes formes en termes d'équité !
L'approche du Gouvernement est donc pragmatique. Elle conduit à diviser par quatre le nombre d'entités affectées par rapport à la réforme de 2025. Elle s'aligne sur les pratiques européennes – je rappelle que l'Allemagne ou la Belgique ont, pour leur part, fixé leur seuil à 25 000 euros, et que l'Espagne l'a ramené à zéro : dans ce pays, il n'y a pas de franchise de TVA. Elle permet d'éviter l'effet de seuil tout en maintenant les avantages fiscaux et sociaux du régime.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons la responsabilité de défendre l'esprit d'entreprise sous toutes ses formes. Mais nous avons aussi le devoir de corriger les déséquilibres. Or, avec la franchise à 85 000 euros, il y a, me semble-t-il, un déséquilibre.
Le débat que nous avons aujourd'hui ne doit pas nous conduire à opposer les micro-entrepreneurs aux artisans ni les indépendants aux PME. Il nous invite simplement à construire, collectivement, un cadre fiscal stable, mais aussi pérenne – il ne faudrait pas que l'on y revienne, car nous devons aussi donner de la visibilité –, pour que chacun puisse entreprendre dans des conditions équitables.
Dans cette tâche, gardons toujours à l'esprit que la simplicité est importante : la simplicité de la construction d'une micro-entreprise est aussi un objectif essentiel.
C'est dans cet esprit que le Gouvernement poursuivra son action et que je vous invite à prendre position. (M. Marc Laménie applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, vice-président de la commission des finances, en remplacement de M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances.
M. Jean-Baptiste Blanc, vice-président de la commission des finances, en remplacement de M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai en effet l'honneur de suppléer au pied levé notre rapporteur général, Jean-François Husson, qui m'a invité à prononcer ses mots en son nom.
Le régime de la franchise en base de TVA bénéficie aujourd'hui à environ 2,1 millions de petites entreprises, entrepreneurs individuels ou micro-entreprises – autrement dit, aux auto-entrepreneurs –, qui sont ainsi exemptés du paiement de la TVA en deçà de certains seuils de chiffre d'affaires annuel.
Révisés en loi de finances pour 2024 dans le cadre de la transposition d'une directive européenne, avant de l'être à nouveau, comme nous le verrons, en loi de finances pour 2025, ces seuils se décomposent en quatre types, selon l'activité concernée : 85 000 euros pour les livraisons de biens, les ventes à consommer sur place et les prestations d'hébergement ; 37 500 euros pour les autres prestations de services ; 50 000 euros pour les activités « cœur de métier » des avocats, auteurs et artistes-interprètes ; 35 000 euros pour les activités « connexes » de ces mêmes professions.
À l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, le gouvernement de Michel Barnier a proposé, par un amendement en première délibération et en première lecture au Sénat, une réforme d'ampleur des seuils d'application de la franchise en base de TVA, visant à instituer un seuil unique, fixé à 25 000 euros pour l'ensemble des activités.
Lors de cette première délibération, notre commission a émis un avis défavorable sur cette mesure, qui a ainsi été rejetée par le Sénat.
Cet avis défavorable s'appuyait sur les éléments suivants : le caractère particulièrement tardif de la présentation de la réforme ; la nécessité de prendre en compte la diversité des situations et des tailles des entreprises ; le montant élevé d'une telle mesure d'augmentation des recettes fiscales, avec un impact récurrent en année pleine estimé à 780 millions d'euros pour les finances publiques, dont environ la moitié pour l'État ; enfin, le caractère limité du risque de distorsion de concurrence au niveau européen mis en avant par l'exécutif.
Cependant, en seconde délibération, le Gouvernement a redéposé un amendement identique, auquel notre commission a alors donné un avis favorable, par solidarité avec la majorité gouvernementale et par souci de préserver le solde public.
Cette mesure a ainsi été retenue par le Sénat, puis dans le texte de la commission mixte paritaire (CMP), avant d'être finalement adoptée par les deux assemblées en lecture des conclusions de la CMP, à l'article 32 de la loi de finances initiale pour 2025.
L'adoption de cette réforme a suscité de vives réactions parmi les acteurs économiques visés, notamment de la part des auto-entrepreneurs. Avec environ 134 000 entrepreneurs concernés, ceux-ci représentent en effet deux tiers des acteurs affectés par la perte du bénéfice de la franchise en base de TVA résultant de l'abaissement du seuil de chiffre d'affaires à 25 000 euros.
Dans ce contexte, le ministre de l'économie de l'époque, M. Éric Lombard, a annoncé, dès le 6 février 2025 au soir, soit seulement quelques heures après l'adoption définitive du projet de loi de finances pour 2025, la suspension de la réforme, le temps d'organiser une concertation avec les parties prenantes. Cette suspension a ensuite été prorogée une première fois le 28 février, jusqu'au 1er juin, avant d'être actée le 30 avril, pour l'ensemble de l'année 2025.
À la suite d'une pétition déposée sur le site du Sénat ayant recueilli plus de 100 000 signatures, notre commission a conduit, au printemps 2025, une mission d'information flash, afin d'entendre les différents acteurs concernés et de faire la lumière sur les enjeux de la réforme.
À cette occasion, nous avons relevé, sur l'initiative du rapporteur général de la commission des finances, qui rapportait cette mission flash, l'improvisation et l'impréparation de cette révision significative des seuils de chiffre d'affaires et souligné ses conséquences préjudiciables pour l'équilibre économique de nombreux secteurs d'activité et professions, allant des avocats aux kinésithérapeutes.
C'est dans ce contexte que s'inscrit la présente proposition de loi visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises, déposée à l'Assemblée nationale le 17 avril 2025 par M. Paul Midy. Le 2 juin 2025, l'Assemblée a adopté, à l'unanimité, le texte en première lecture, avec modifications.
L'article 1er prévoit l'abrogation de la révision des seuils de la franchise en base de TVA, avec un retour aux quatre seuils de chiffre d'affaires antérieurement en vigueur. Quant à l'article 2, il vise, conformément aux dispositions de l'article 40 de la Constitution relatives à la recevabilité financière des initiatives parlementaires, à gager la diminution de recettes de TVA pour l'État résultant de l'article 1er.
Le dispositif proposé permet ainsi de conforter la sécurité juridique des acteurs économiques concernés, alors que la suspension de la réforme actée par le Gouvernement repose, à ce stade, sur un simple rescrit de l'administration fiscale.
Si aucun recours devant la juridiction administrative n'a été formé à ce jour, la direction de la législation fiscale a reconnu que « toute association professionnelle qui [...] aurait pour objet de défendre un secteur d'activité face à la concurrence déloyale aurait un intérêt à agir ».
En vue d'assurer la sécurité juridique des acteurs économiques concernés, la commission des finances vous propose donc, mes chers collègues, d'adopter la présente proposition de loi sans modification.
M. François Patriat. Merci !
M. Jean-Baptiste Blanc, vice-président de la commission des finances. Pour conclure, certains d'entre vous s'interrogeront peut-être sur le sort de l'article 25 du projet de loi de finances pour 2026, évoqué par M. le ministre, qui propose une autre version de la réforme de la franchise en base de TVA.
La commission des finances propose de renvoyer cette question à la discussion, qui interviendra le mois prochain, du projet de loi de finances pour 2026 lui-même, qui fera l'objet d'un rapport de Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances.
La présente proposition de loi permet, pour sa part, je le répète, de sécuriser juridiquement la loi fiscale applicable actuellement. La commission des finances propose, pour cette raison, de l'adopter dans une version conforme à celle qu'a adoptée l'Assemblée nationale. Cela permettra une entrée en vigueur rapide du texte.
C'est pourquoi la commission des finances a demandé le retrait des amendements qui ont été déposés sur ce texte. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. Mes chers collègues, en accord avec la commission des finances et le Gouvernement, je vous propose de poursuivre jusqu'à son terme l'examen de ce texte, sur lequel deux amendements restent en discussion, ce matin et ce début d'après-midi.
Nous pourrions ainsi en terminer autour de treize heures trente.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
La parole est à M. Ahmed Laouedj.
M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd'hui marque une étape importante : celle qui permettra de rétablir une forme de clarté et de stabilité pour des milliers de petites entreprises et de micro-entrepreneurs dans notre pays.
La réforme du régime de la franchise en base de TVA, telle qu'elle a été introduite dans la loi de finances pour 2025, a créé une incertitude juridique et économique considérable pour près de 206 000 entreprises.
Derrière ce chiffre, ce sont des réalités humaines, des artisans, des commerçants et des indépendants qui ont besoin de règles claires pour travailler sereinement.
Dans mon département de la Seine-Saint-Denis, ce sont près de 30 000 micro-entrepreneurs qui ont été directement concernés.
Beaucoup d'entre eux interviennent dans des secteurs essentiels : les services à la personne, le bâtiment, le transport, la livraison ou encore les activités de proximité.
Ces femmes et ces hommes sont au cœur de la vitalité économique de nos territoires. L'instabilité fiscale est l'un des pires signaux que l'on puisse leur envoyer. Quand les règles changent brutalement, sans concertation suffisante, ce sont les petites entreprises qui trinquent les premières. Et il faut rappeler que la capacité de ces petites structures à absorber un choc administratif ou fiscal est bien plus faible que celle d'une grande entreprise !
C'est pourquoi je me réjouis que la présente proposition de loi vise à rétablir les plafonds antérieurs de franchise de TVA, à savoir 37 500 euros pour les prestations de services et 85 000 euros pour les activités commerciales. Cette mesure va apporter de la visibilité et de la sécurité juridique à celles et ceux qui, souvent, n'ont pas d'autre protection que la solidité de leur activité économique.
Toutefois, il ne s'agit pas simplement de corriger une erreur : il s'agit aussi de mieux faire les choses pour l'avenir. Ce texte est en effet l'occasion de tirer une leçon importante : toute réforme touchant les très petites entreprises et les indépendants doit être construite avec eux, et non pas seulement pour eux.
Dans le secteur du bâtiment notamment, qui est très présent dans mon département, la réforme initiale a été particulièrement mal vécue. Elle faisait peser un risque direct sur l'équilibre économique de nombreuses entreprises déjà fragilisées par la conjoncture.
Les concertations menées par le ministère de l'économie ont permis d'aboutir à une approche plus fine et différenciée : 25 000 euros pour le bâtiment, 37 500 euros pour les autres secteurs. C'est une avancée, mais ce qui compte surtout, c'est la méthode – écouter, concerter, construire.
Je veux aussi rappeler que, pour nombre de micro-entrepreneurs, ce statut est non pas une stratégie d'optimisation, mais un outil d'émancipation économique, puisque 31 % d'entre eux exercent une activité salariée à côté. Cumulant souvent plusieurs emplois pour compléter leurs revenus, ces travailleurs participent pleinement à la vie économique du pays.
Dans ce contexte, il faut également aborder la question du salariat déguisé, qui reste une réalité dans certains secteurs, notamment ceux qui sont liés aux plateformes numériques. Ce statut doit être un tremplin, pas une trappe à précarité. Il nous appartient donc de garantir un cadre fiscal stable, mais aussi un cadre social protecteur.
À cet égard, cette proposition de loi va dans le bon sens. Elle sécurise l'année 2025, tient compte de la spécificité des secteurs concernés et permet d'aborder plus sereinement les débats autour de la nouvelle réforme proposée par le projet de loi de finances pour 2026, une réforme qui, je l'espère, reposera sur une vraie stratégie de développement des micro-entreprises, et non sur des ajustements budgétaires de court terme.
Je veux, pour conclure, insister sur ce que me disent régulièrement les entrepreneurs de la Seine-Saint-Denis : ce qu'ils attendent, ce ne sont pas des aides extraordinaires ; c'est, surtout, de la lisibilité, de la stabilité et de la confiance. Quand les règles sont claires et prévisibles, ils savent faire le reste. Ils savent créer, investir et embaucher.
C'est en pensant à eux, aux artisans, aux commerçants, aux livreurs et aux travailleurs indépendants de nos territoires que les membres du groupe RDSE voteront cette proposition de loi à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui vise à corriger deux incohérences ou injustices. La première touche directement nos entrepreneurs, la seconde concerne le rôle du Parlement.
Pour ce qui est de nos entrepreneurs, il s'agit de revenir sur une mesure fiscale qui aurait fragilisé de manière extrêmement grave des centaines de milliers de micro-entreprises et petites entreprises.
Un dimanche après-midi, à la faveur d'une seconde délibération massive, avec pas moins d'une vingtaine d'amendements, le gouvernement de Michel Barnier avait fait adopter en catimini une réforme du régime de la franchise en base de TVA. Non seulement agir en catimini, en l'espèce comme en général, n'est pas une bonne méthode, mais, avant toute décision, il devrait y avoir une concertation.
Monsieur le ministre, vous nous avez beaucoup parlé de concertation, mais la bonne méthode, c'est de concerter avant de décider ! Si nous pouvions en faire une règle générale d'application sur de nombreux sujets, nous nous exonérerions de bien des problèmes…
Cette réforme a profondément modifié les seuils de chiffre d'affaires applicables, en instaurant un seuil unique fixé à 25 000 euros, contre 85 000 euros pour les activités commerciales et 37 500 euros pour les prestations de services jusqu'alors en vigueur. En clair, une large part des micro-entrepreneurs et des petites entreprises se serait brutalement retrouvée assujettie à la TVA.
Au total, près de 200 000 entrepreneurs étaient concernés, dont un tiers d'auto-entrepreneurs et deux tiers de TPE. Pour chacun d'eux, la charge supplémentaire représentait, en moyenne, 4 000 euros par an. Pour des personnes qui ne roulent pas sur l'or, ce n'est pas rien…
Dans un contexte d'instabilité politique, de crise économique et de concurrence internationale accrue, un tel signal envoyé à nos entreprises aurait été catastrophique.
S'il existe des distorsions de concurrence, il convient, bien sûr, de les éliminer. Cela suppose toutefois une méthode transparente, et non un amendement au débotté, en réalité motivé par un objectif de rendement budgétaire.
Heureusement, le Sénat s'est mobilisé. Dès avril 2025, notre assemblée a été saisie d'une pétition ayant recueilli plus de 100 000 signataires pour alerter sur les dangers de cette réforme. Dans la foulée, une mission de la commission des finances a démontré le caractère improvisé et mal évalué de cette mesure.
Notre action a porté ses fruits. Le Gouvernement a reporté à plusieurs reprises son entrée en vigueur avant d'annoncer, le 30 avril dernier, sa suspension jusqu'au 31 décembre 2025.
Mais de quelle manière la réforme a-t-elle été suspendue ? Par un simple rescrit de l'administration fiscale ! Cet outil est certes utile, mais il ne peut en aucun cas remplacer la loi votée par le Parlement. Et c'est bien là que se situe la seconde injustice.
Au fond, ce débat pose une question importante : qui fait la loi en France ? L'exécutif, par circulaire, par instruction ou par rescrit, ou bien le Parlement, c'est-à-dire le pouvoir législatif, dont la vocation historique est de garantir le consentement à l'impôt ?
La Constitution est claire : selon son article 34, il revient à la loi de fixer les règles relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature. Autrement dit, c'est bien au législateur qu'il appartient de décider de l'impôt, d'en fixer les règles, de les modifier ou, le cas échéant, de les suspendre.
Or, en l'espèce, le Parlement a été contourné. Le Gouvernement a choisi de suspendre la réforme par un simple rescrit, sans associer les représentants du peuple.
Ce procédé n'est pas acceptable. Il affaiblit la place du Parlement et crée une insécurité juridique dangereuse, confirmée d'ailleurs par la direction de la législation fiscale elle-même.
Pour cette raison, la présente proposition de loi est nécessaire. Elle vise trois objectifs : sécuriser juridiquement la suspension de la réforme, rétablir les plafonds de la franchise en base de TVA tels qu'ils existaient avant le 1er mars 2025 et redonner toute sa place au Parlement dans l'élaboration de la loi.
Par ce texte, nous envoyons un signal clair, aux entrepreneurs, qui pourront continuer à développer leur activité dans un cadre fiscal stable, juste et lisible, ainsi qu'aux citoyens, pour rappeler que le Parlement est non pas une chambre d'enregistrement, mais le cœur vivant de notre démocratie.
Le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans notre hémicycle, il y a deux visions opposées de l'économie. La première tire ses hypothèses des ouvrages de Karl Marx et conclut à la nécessité d'une économie administrée par l'État. La seconde, dont j'espère qu'elle est majoritaire ici, est celle d'une économie qui s'exerce librement dans un cadre juridique permettant la juste concurrence.
Pour notre part, comme Frédéric Bastiat avant nous, nous pensons que la concurrence est la liberté et l'absence d'oppression.
Ces deux visions de l'économie ne s'affrontent heureusement en France que dans les discours, puisque nous vivons dans un pays qui essaie de respecter la liberté d'entreprendre. À cet égard, j'invite les collègues qui le déplorent ou le regrettent à comparer la réussite du dirigisme économique de la Corée du Nord aux dégâts de la liberté économique de la Corée du Sud…
Comme vous le savez, les entrepreneurs français sont écrasés par les impôts, les taxes et les contributions sociales – cette réalité est souvent rappelée –, au point que le fonctionnement normal d'une entreprise qui vient d'être créée ne peut être atteint qu'au prix de ristournes fiscales.
C'est cette pression intense des prélèvements obligatoires qui nous a conduits à créer, en 2008, un régime dérogatoire pour les micro-entreprises, que le public connaît comme étant celui des auto-entrepreneurs.
Ce régime est accompagné de mesures fiscales et sociales, dont une exemption du paiement de la TVA pour les petites entreprises dès lors qu'elles réalisent un chiffre d'affaires annuel inférieur à des seuils déterminés. Le rapporteur général et nos collègues de la commission des finances s'y sont penchés dans le cadre d'une mission flash – je le dis sous le contrôle de notre président de la commission des finances.
Sans cette exemption d'impôt, nous aurions tout simplement moins de micro-entrepreneurs et de petites entreprises, voire nous n'en aurions pas du tout. Nos collègues ont rappelé l'importance et même la nécessité de ce soutien.
Il faut donc maintenir cette exemption d'impôt. Nous pourrions même, dans un véhicule législatif différent, débattre d'une exemption pour de très nombreuses autres entreprises. Il me semble que notre économie ne s'en porterait que mieux.
Pour autant, il faut reconnaître que l'introduction du régime de micro-entrepreneur et de la franchise fiscale a également créé des distorsions de concurrence que nous pouvons regretter et qui sont la cause de ce texte. En effet, le secteur du bâtiment – celui-ci, par la voix de ses fédérations, comme la Capeb, a alerté nombre d'entre nous sur le terrain – est particulièrement touché par un phénomène qui ne s'est, heureusement, pas encore trop répandu dans les autres branches d'activités.
Dans certaines entreprises artisanales, des salariés sont appelés à démissionner de leur poste pour être réembauchés sous le régime du micro-entrepreneur. Ce commun accord entre employeur et ex-employé n'a qu'un seul objectif : profiter de la réduction d'impôts et de cotisations. C'est donc le retour des tâcherons du bâtiment, payés à l'acte, la journée ou la prestation et privés des amortisseurs sociaux du salariat.
C'est aussi un déséquilibre de la concurrence entre les entreprises du bâtiment qui recourent au salariat et celles qui profitent de ce salariat déguisé pour bénéficier abusivement des baisses de fiscalité offertes aux micro-entrepreneurs et aux petites entreprises.
C'est la raison pour laquelle le Parlement a maladroitement essayé de légiférer l'an dernier sur le sujet.
Mes chers collègues, mettre en péril des dizaines de milliers de micro-entrepreneurs pour assainir la concurrence dans un seul secteur n'est pas souhaitable. Il est donc nécessaire de suspendre la réforme votée lors du PLF pour 2025.
Nous aurons l'occasion de débattre, dans un autre véhicule législatif, du dispositif qui nous est présenté par le Gouvernement pour lutter contre le déséquilibre concurrentiel dont souffre le secteur de la construction.
Il est notamment proposé un taux différencié pour le bâtiment. Si ce dispositif vise simplement à rétablir la juste concurrence au service de la liberté économique, il aura notre soutien. Mais si son objectif est seulement de créer une nouvelle ressource fiscale, alors nous ne pourrons nous y associer.
La présente proposition de loi a pour objet de rétablir le droit commun : les sénateurs du groupe Les Indépendants la voteront. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'orateur précédent a convoqué le souvenir de Frédéric Bastiat. Je vous invite, pour ma part, à vous replonger dans vos cours d'histoire.
Souvenez-vous : à l'été 1953, un petit libraire de Saint-Céré, dans le Lot, s'offusque d'un contrôle diligenté par l'administration fiscale, laquelle considérait à l'époque que tout commerçant en zone rurale pouvait dissimuler une part importante de son chiffre d'affaires.
Vous vous souvenez tous de la suite de l'histoire : un mouvement a pris forme, sous le nom de poujadisme, exprimant le ras-le-bol fiscal et administratif de milliers de petits commerçants, d'artisans et de travailleurs indépendants.
Soixante-dix ans plus tard, si les visages et les métiers ont changé, le malaise demeure. Nos entrepreneurs, nos artisans et nos indépendants ressentent aujourd'hui la même lassitude et la même impression d'être accablés de normes, de seuils et de réformes conçus loin de leur réalité quotidienne.
Souvenons-nous aussi des mots de Raymond Aron, qui a analysé le poujadisme : « La révolte des contribuables n'est pas seulement affaire d'impôt, elle est le signe d'une société qui ne se comprend plus elle-même. »
Nous avons tous reçu des centaines de courriels d'auto-entrepreneurs. Chacun raconte la réalité de son travail et son incompréhension face à cette réforme décidée à la va-vite, sans la moindre concertation. Je ne reviendrai pas sur le scénario qui a conduit à son adoption l'année dernière, plusieurs orateurs l'ayant déjà résumé : c'était un mauvais film – espérons qu'il n'aura pas de suite…
Ce changement radical aurait conduit, dès cette année, près de 200 000 structures, dont 135 000 micro-entrepreneurs, à devenir redevables de la TVA. Les secteurs de la construction, des services à la personne, de la création artistique ou encore de l'hébergement touristique auraient été particulièrement touchés.
Cette réforme, au-delà même de modifier le seuil de la TVA, aurait aussi remis en cause un fondement du régime d'auto-entrepreneurs, à savoir la simplicité. Comment peut-on parler de simplification quand on impose la tenue de registres de TVA, la facturation et la déclaration périodique à des indépendants qui, pour beaucoup, ont choisi ce statut précisément pour échapper à ces formalités ?
Notre groupe, qui a toujours été très attaché à la stabilité fiscale et à la prévisibilité du cadre d'activité des entrepreneurs – quelle que soit la taille de leur société, je le précise –, est donc favorable à ce texte.
S'il nous paraît nécessaire de favoriser l'harmonisation et de lutter efficacement contre la fraude, cela ne peut se faire au prix de l'asphyxie de nos petits entrepreneurs indépendants.
Monsieur le ministre, vous avez raison : il faut rationaliser le statut de la micro-entreprise. Mais cela nécessite du temps, de la concertation et des études sérieuses. Et, comme vous l'avez souligné, nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen de l'article 25 du PLF pour 2026, du moins s'il existe encore au moment où le texte arrivera au Sénat, puisqu'il a été supprimé hier par la commission des finances de l'Assemblée nationale…
Surtout, mes chers collègues, au-delà de la question technique des seuils de franchise, ce débat soulève une question plus large : celle de la manière dont nous légiférons. La fiscalité des entreprises ne peut être l'objet d'ajustements improvisés, sans dialogue ni étude d'impact.
J'oserai même dire que ce principe s'applique à tous les sujets dont nous débattons dans cet hémicycle. J'espère donc, monsieur le ministre, que le Gouvernement ne déposera pas au projet de loi de finances moult amendements qui, étant donné qu'ils ne figuraient pas dans le texte initial, n'auront pas fait l'objet d'une étude d'impact.
Pour résumer, en cohérence avec nos précédentes alertes, et conformément à la position de la commission l'année dernière, qu'a notamment rappelée Jean-Baptiste Blanc, nous voterons en faveur de cette proposition de loi.
Pour conclure, je vous invite une fois encore à vous rappeler Pierre Poujade, qui, lorsqu'il excitait les foules, toujours en 1953 et à Saint-Céré, disait : « Nous ne sommes pas des rebelles, mais des contribuables exaspérés qu'on a trop longtemps ignorés. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que faut-il pour protéger notre économie et nos entrepreneurs ? De la stabilité qui génère de la confiance, de la confiance qui attire de l'investissement, de l'investissement qui crée de la croissance !
Nous nous apprêtons aujourd'hui à adopter un texte de stabilité et de protection, qui défend ceux qui osent, entreprennent et créent de la richesse dans nos territoires.
L'année dernière, pendant la discussion budgétaire, le gouvernement de Michel Barnier a introduit une réforme visant à abaisser le seuil de franchise en base de TVA à 25 000 euros. Face à l'opposition massive qu'elle a suscitée, cette réforme, proposée sans préparation ni concertation, a été suspendue jusqu'au 31 décembre de cette année.
Le projet de loi de finances pour 2026 instaure une nouvelle version de cette réforme, avec un seuil à 37 500 euros pour la majorité des activités et à 25 000 euros pour le bâtiment. Ces mesures ont été retirées du projet de budget par la commission des finances de l'Assemblée nationale cette nuit.
Cette incertitude fiscale et réglementaire est insupportable pour nos entrepreneurs. Ceux-ci ont besoin de sérénité et d'une vision à long terme pour continuer à prendre des risques, investir dans l'économie locale et créer des emplois essentiels au sein de nos territoires. En effet, derrière ces seuils techniques, il y a des femmes et des hommes, des familles et des projets de vie.
Alors que, en 2024, les Français ont créé plus de 700 000 micro-entreprises, pourquoi vouloir changer les règles quand celles-ci fonctionnent et sont plébiscitées par nos compatriotes ? Ces modifications sont d'autant plus difficiles à comprendre qu'elles auront pour conséquences d'alourdir la charge fiscale de nos entrepreneurs…
Prenons l'exemple d'un commerçant qui réalise un chiffre d'affaires annuel de 60 000 euros. Actuellement, avec un seuil à 85 000 euros, il est exonéré de TVA. Demain, avec un seuil abaissé à 37 500 euros, il devra s'acquitter de 12 000 euros au titre de la TVA, soit 20 % de ses ventes, auxquels s'ajoutent déjà les cotisations versées à l'Urssaf.
Pour ce petit commerçant, c'est un coup de massue. Pour nos artisans, c'est une menace directe sur leur modèle économique, déjà fragile. Pour nos villes et villages, c'est autant d'activités économiques qui risquent de disparaître.
Mes chers collègues, nous sommes des élus solidement ancrés dans nos territoires. Nous connaissons la réalité du terrain. Nous savons ce que représente une boulangerie, un salon de coiffure, un plombier, un électricien pour nos communes. Ces entrepreneurs sont ceux qui font vivre le centre-bourg, créent du lien social et maintiennent des services de proximité indispensables.
Depuis huit ans, nous avons défendu l'esprit d'entreprise. Nous avons baissé les charges des indépendants, réduit l'impôt sur les sociétés et facilité la création et la reprise d'entreprises. Ce combat, nous ne l'abandonnerons pas. Notre position n'a jamais varié : nous sommes le courant politique du travail et de l'entrepreneuriat, et nous le resterons.
Cette proposition de loi est simple dans sa rédaction, mais puissante dans son message : elle apporte de la stabilité et de la sécurité, en maintenant les seuils en vigueur avant le 1er mars 2025.
Proposée par notre collègue député Paul Midy, elle a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale et par la commission des finances du Sénat, avec le soutien de notre rapporteur général Jean-François Husson, que je tiens à remercier.
En inscrivant ce texte dans la niche du groupe RDPI, nous vous proposons ainsi d'examiner un texte de consensus, un texte de bon sens, un texte nécessaire. Il constitue un premier jalon avant le débat budgétaire plus large à venir : il montrera qui, parmi nous, souhaite que la charge de l'ajustement budgétaire échoie à ceux qui créent de la richesse, et qui s'y oppose. Aussi, nous affrontons avec sérénité ce débat.
Mes chers collègues, je ne conteste pas la nécessité de redresser nos comptes publics. Comme vous le savez, je suis l'un des premiers défenseurs de cette politique. Cependant, je refuse que cela se fasse aux dépens de nos compatriotes qui travaillent et qui prennent des risques, supportant seuls parfois l'effort de financement de notre modèle social.
En votant aujourd'hui ce texte conforme – j'insiste sur ce terme –, nous enverrons un signal fort à tous ces entrepreneurs en France : nous leur dirons qu'ils peuvent compter sur nous, que nous défendons la stabilité fiscale dont ils ont besoin et que nous protégeons leur modèle économique.
Face à l'instabilité qui caractérise notre époque, je vous invite, mes chers collègues, à nous mobiliser en faveur de nos entrepreneurs, qui attendent ce texte avec impatience et inquiétude. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Marie-Do Aeschlimann et M. Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rappelons-nous des raisons pour lesquelles nous nous réunissons aujourd'hui : il s'agit de revenir sur une décision injuste, prise il y a quelques mois par le gouvernement Barnier.
Pour ma part, j'invoquerai non pas Karl Marx, Frédéric Bastiat ou Pierre Poujade, mais la situation politique actuelle, à la suite de la dissolution décidée par Emmanuel Macron et les conséquences politiques qu'il en a depuis lors tirées.
Nous sommes réunis pour revenir sur une mesure prise sans concertation avec les acteurs concernés ni débat parlementaire véritable, en usant du 49.3 à l'Assemblée nationale. Cette mesure a très rapidement fait l'unanimité contre elle, mais rappelons que la majorité sénatoriale, dans sa plus grande partie, l'a votée lors de la deuxième délibération du budget Barnier ! (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'esclaffe.)
Rappelons-nous enfin que, face à la mobilisation de plusieurs milliers de micro-entrepreneurs, le Gouvernement a décidé de ne pas appliquer cette baisse de seuil de TVA, tout d'abord en la reportant, puis en la suspendant.
Comme quoi, une mesure injuste et contestée peut être suspendue, puis abrogée ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations sur les travées des groupes RDPI et UC.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Bravo !
Mme Colombe Brossel. Excellent !
Mme Annick Billon. Ne rêvez pas…
M. Rémi Féraud. Nous allons donc revenir purement et simplement sur la réforme des seuils de TVA des micro-entreprises incluse dans le projet de loi de finances de 2025, qui abaissait ce seuil d'assujettissement à 25 000 euros de chiffre d'affaires annuel, contre 37 500 euros ou 85 000 euros actuellement, selon les secteurs.
Pour cela, nous examinons une proposition de loi déposée par le bloc central visant à abroger une décision injuste prise par un gouvernement soutenu par ce même bloc central ! Le Parlement vient ainsi au secours de l'exécutif, qui, alors qu'il cherchait une nouvelle source de rendement fiscal, s'est trompé de méthode et tiré une balle dans le pied.
Le Gouvernement, qui pensait récupérer 400 millions d'euros de recettes fiscales en 2025 en faisant passer cette mesure, s'est attiré les foudres des acteurs concernés, sans jamais obtenir le consensus entre les différentes organisations professionnelles ou les groupes parlementaires, y compris pour trouver une autre solution.
La mission flash de la commission des finances du Sénat au printemps 2025 a été suivie d'une pétition qui a recueilli plus de 100 000 signatures. La commission des finances a elle-même souligné l'improvisation et l'impréparation de cette révision significative des seuils des chiffres d'affaires, ainsi que ses conséquences pour l'équilibre économique de nombreux secteurs d'activité et professions. Et je sais que la question continue à se poser, en particulier dans le domaine du bâtiment.
Pour notre part, comme tous les autres groupes, nous voterons pour ce texte.
Nous le voterons pour les micro-entrepreneurs pour qui cette mesure était à la fois punitive et incompréhensible.
Nous le voterons pour les milliers de salariés, bien souvent précaires, qui ont créé une micro-entreprise pour dégager un revenu supplémentaire.
Nous le voterons, parce qu'il abroge une décision injuste et que, fait rare, nous sommes tous d'accord pour le dire, que nous l'ayons votée ou non.
Nous reconnaissons ainsi les défauts de méthode et la précipitation qui avaient poussé le gouvernement Barnier à prendre une mesure sur laquelle nous revenons aujourd'hui.
Nous voterons ce texte conforme, par souci d'efficacité, mais ne nous trompons pas de discours : oui, monsieur le ministre, nous devons réfléchir aux effets de seuil. Mais il faut aussi prendre le temps de se pencher sérieusement sur le sujet du micro-entrepreneuriat, des écueils structurels et des effets pervers de ce modèle, trop souvent utilisé pour organiser un salariat déguisé et priver les travailleurs de droits élémentaires.
Nous voterons ce texte, mais nous sommes déterminés à imaginer une réforme ambitieuse des droits du travailleur indépendant.
Le statut d'auto-entrepreneur séduit, et cela depuis sa création il y a seize ans, grâce à sa simplicité. Mais il est parfois subi, et il comporte bien des failles – et non des moindres. Ces micro-entrepreneurs, ce sont des auxiliaires de vie, des artisans, des artistes, des enseignants ou des personnels d'entretien qui n'ont parfois pas eu d'autre choix que de se lancer dans ce modèle, sans qu'il leur assure une protection sociale efficace ni un avenir lisible. Nous continuerons à nous battre contre la précarisation de notre modèle économique et social.
Depuis 2017, notre système de fiscalité des entreprises a été endommagé, au profit des plus grandes entreprises et au détriment des plus petites. Nous le réparons ici, mais nous savons que d'autres problématiques, d'ordre social, devront aussi être résolues.
Aussi, nous voterons ce texte, mais nous proposerons prochainement, à l'occasion du PLF, des outils de régulation des activités économiques qui protègent les plus fragiles et une remise à plat de la fiscalité des entreprises autour de la progressivité et de la justice fiscale, mais aussi qui dégagent des marges de manœuvre pour le progrès social. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Barros.
M. Pierre Barros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rappelons comment tout cela a commencé : en décembre dernier, lors d'une matinée consacrée au projet de loi de finances pour 2025, que le Gouvernement a choisi de glisser un amendement pour abaisser à 25 000 euros le seuil de franchise en base de TVA.
Comment le Gouvernement a-t-il réussi cette manœuvre ? Grâce à la seconde délibération ! Souvenons-nous, cette procédure, c'est celle qui a balayé d'un revers de main l'ensemble des amendements de justice fiscale qui avaient été soutenus par les groupes de gauche et adoptés par le Sénat.
Ce rappel apparaît aujourd'hui nécessaire, mes chers collègues, au regard du contexte actuel. Espérons que de telles méthodes, qui consistent à museler le Parlement et à contourner la délibération, ne deviennent pas la norme ni, du moins, une habitude.
Cette fois, cependant, le pays ne s'y est pas trompé. En quelques jours, plus de 113 000 citoyens ont signé la pétition déposée sur le site du Sénat pour demander la suppression de cette réforme. C'est le résultat de la colère d'un monde du travail ubérisé, précarisé, mais conscient de ses droits et de l'injustice qui le frappe.
Ce sont aujourd'hui 206 000 auto-entrepreneurs et petites entreprises qui sont directement menacés par cette réforme. D'ailleurs, 44 % d'entre eux déclarent qu'ils risquent de devoir mettre la clef sous la porte.
Face à cette mobilisation, le Gouvernement a dû reculer et suspendre sa propre réforme par un tour de passe-passe via un rescrit au Bulletin officiel des finances publiques : c'est une manière habile de s'en sortir, mais quelle perte de temps et quel gâchis !
Le Gouvernement reconnaît ainsi que sa propre réforme est précipitée et mal calibrée, à défaut, bien sûr, d'avouer qu'elle est simplement injuste pour des milliers de travailleurs.
Aujourd'hui, nous sommes réunis pour examiner cette proposition de loi qui vise à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises. Il s'agit enfin d'abroger cette réforme, de la corriger et de la réparer.
Toutefois, soyons clairs : ce débat autour de la TVA est l'arbre qui cache la forêt.
En 2008, le statut de micro-entrepreneur était présenté par Nicolas Sarkozy et par Hervé Novelli comme un outil d'émancipation pour les travailleurs indépendants. En réalité, ils ont institutionnalisé la dérégulation en adossant aux micro-entreprises un « micro-statut » et une « micro-protection ». Dans les faits, ce système externalise les coûts sociaux, individualise les risques et fragilise durablement celles et ceux qu'il prétend aider.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2023, les auto-entrepreneurs affichaient un revenu moyen de 7 540 euros, et la moitié d'entre eux seulement exerçait à titre principal. Telle est la précarité à laquelle sont confrontés ces milliers de travailleurs indépendants.
Dans ce contexte, la franchise en base de TVA est une béquille administrative et fiscale. S'y attaquer sans renforcer les droits sociaux, c'est nier la réalité de ce que vivent ces professionnels.
Notre groupe l'a toujours critiqué : en 1991, en 2008 et en 2017, nous avons alerté sur cette dérive. Cette année encore, nous avons déposé une résolution pour la mise en œuvre rapide de la directive européenne relative aux travailleurs des plateformes.
Nous voulions accroître les droits de ces travailleurs, en reconnaissant la présomption de salariat et la responsabilité des plateformes vis-à-vis de ces derniers.
Cette résolution a été rejetée ici même par la majorité sénatoriale. C'est la preuve que, pour certains, mieux vaut préserver les marges des donneurs d'ordre que les droits des travailleurs…
Nous avons bien relevé, monsieur le ministre, que le gouvernement prépare déjà dans le PLF 2026 une nouvelle réforme prévoyant un seuil unique à 37 500 euros et un seuil spécifique à 25 000 euros pour le BTP. Ce signal montre que le débat est loin d'être clos.
D'ici là, le groupe CRCE-K votera, sans surprise, pour cette proposition de loi. Il ne s'agit pas d'une adhésion à ce modèle, vous l'aurez compris, mes chers collègues. Il s'agit d'acter notre solidarité avec celles et ceux pour qui cette réforme signifierait encore davantage de précarité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – MM. Rémi Féraud, Marc Laménie et Bernard Buis applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée.
Mme Ghislaine Senée. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jamais nous n'avons été autant sollicités pour nous opposer à une réforme que lorsque les seuils de franchise de TVA pour les micro-entrepreneurs ont été modifiés. Ce régime concerne en effet 2,1 millions de toutes petites entreprises et sept créations d'entreprises sur dix.
Nous voilà donc réunis pour examiner un texte qui vise à sécuriser juridiquement, pour 2025, des acteurs privés et des structures économiques ayant subi une réforme manifestement décidée à la va-vite.
Rappelons que ce texte, proposé par le groupe macroniste de l'Assemblée nationale et soutenu ici par un groupe proche du Président de la République, vise à annuler une mesure imposée en dernière minute au Sénat par un ministre macroniste du gouvernement Barnier !
Sans doute pourrions-nous y voir une conséquence de la « macronite aiguë » qui frappe notre pays. Mais, chers collègues de la majorité sénatoriale, il serait trop simple de vous exonérer de votre propre vote ! Je ne dis pas cela seulement pour vous ennuyer : gageons que, de cette mauvaise aventure, vous tirerez deux leçons.
Premièrement, le dépôt en dernière minute d'amendements sur des missions budgétaires, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État, ne permet pas au Sénat de légiférer sérieusement ni de jouer son rôle d'alerte.
Deuxièmement, le recours à une seconde délibération, qui outrepasse la procédure parlementaire classique, brutalise le débat et n'exclut pas l'erreur ni l'instabilité juridique.
Je note toutefois l'engagement pris par la ministre Mme de Montchalin, devant la commission des finances, à ne pas présenter d'amendements du Gouvernement en cours d'examen en séance lors du prochain PLF.
Le groupe écologiste votera évidemment ce texte pour nos entrepreneurs. Cependant, nous pensons qu'il serait une erreur de rouvrir ce débat au travers d'un simple article lors de l'examen du prochain PLF.
Comme beaucoup, j'ai récemment rencontré une délégation d'auto-entrepreneurs de mon département. Ceux-ci m'ont expliqué qu'ils avaient choisi une autre manière de travailler, en organisant leur temps différemment, parfois au prix d'une rémunération plus faible. Ce choix traduit une aspiration légitime : être son propre patron et pouvoir mieux équilibrer sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Cette réflexion sur le sens du travail mérite toute notre attention.
Par ailleurs, nous ne pouvons ignorer l'envers du décor de l'auto-entrepreneuriat : celui du salariat déguisé, sous la contrainte des plateformes ubérisées, qui exploitent les plus précaires et se libèrent de toutes charges. Il est d'ailleurs totalement anormal que ces salariés, qui sont totalement dépendants d'une entité privée lucrative, soient contraints de payer la TVA sur leur propre force de travail.
Il est donc urgent que la France transpose la directive européenne de 2024 relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, grâce à la présomption de salariat.
Toutefois, vous l'avez dit, monsieur le ministre, les exonérations de TVA soulèvent de réelles questions d'équité, notamment pour les artisans qui y sont assujettis. Nous avons tous été sollicités par la Fédération française du bâtiment (FFB) et par la Capeb : si elles obtiennent gain de cause lors de l'examen du PLF, le problème ne sera pas définitivement réglé pour autant.
Il faudra donc impérativement clarifier la vocation du statut : il s'agit soit d'un tremplin vers une activité pérenne, soit d'un modèle économique durable à part entière, qui ne crée ni concurrence déloyale ni détricotage des droits et des garanties collectives des salariés. Il s'agit donc d'un vrai sujet, sur lequel nous appelons le nouveau ministre du travail, spécialiste réputé du dialogue social…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Ghislaine Senée. … à réfléchir. Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour lui souffler cette idée ! (M. Rémi Féraud applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an après, nous y revoilà !
Aujourd'hui, le Sénat se prononce sur une proposition de loi essentielle, portée par notre collègue député Paul Midy. Ce texte vise à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible à nos micro-entrepreneurs et petites entreprises, en s'opposant à l'abaissement des seuils de franchise en base de TVA, décidé par le précédent Gouvernement… et confirmé par le nouveau.
Dans les deux cas, cet abaissement n'est pas acceptable. À l'origine, c'est une logique purement budgétaire qui a guidé ce choix, avec un rendement attendu de 800 millions d'euros, dont 400 millions d'euros pour l'État. Mais derrière ces chiffres, il y a des vies et des emplois, monsieur le ministre : 135 000 microentreprises et 71 000 très petites entreprises seraient concernées, dans des secteurs variés comme le bâtiment, la réparation automobile, les services à la personne et certaines professions libérales comme les avocats et les kinésithérapeutes.
Le régime d'exonération n'est pas un privilège. C'est une respiration. Pour un micro-entrepreneur, franchir ce seuil, c'est entrer dans une autre logique, celle des déclarations complexes, des contraintes comptables renforcées et de l'obligation de facturer la TVA. Bref, c'est perdre la simplicité et la souplesse qui ont fait le succès du régime : autant de freins à l'initiative individuelle.
C'est précisément cette simplicité et cette souplesse que la présente proposition de loi veut protéger, quand le Gouvernement, lui, avait choisi d'y renoncer en imposant un seuil unique à 25 000 euros, sans réelle étude d'impact. La mission flash du Sénat et l'excellent rapport de notre collègue Jean-François Husson ont révélé l'impréparation, l'improvisation et l'incohérence de cette réforme.
On nous parle de distorsion de concurrence ; c'est une fausse justification. Le vrai moteur, c'est la recherche d'économies à tout prix. Le groupe Les Républicains du Sénat ne reprochera jamais au Gouvernement de faire des économies. Il lui reproche de les faire n'importe comment ! Car, ici, le remède serait pire que le mal : découragement, précarité, travail dissimulé.
Les micro-entrepreneurs, qui sont souvent des jeunes, des femmes ou des habitants des quartiers prioritaires, n'ont que leur savoir-faire et leur courage. Les pénaliser, c'est tuer l'esprit d'entreprise et adresser un très mauvais signal à ceux qui travaillent et prennent des risques. La proposition de Paul Midy, adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale le 17 avril dernier, rétablit la stabilité et la sécurité dont ces entrepreneurs ont besoin.
Pourtant, le spectre d'un nouvel abaissement revient dans le projet de loi de finances pour 2026. Ce qui relevait hier de l'improvisation participe aujourd'hui de l'obstination ou de la maladresse. Dans tous les cas, monsieur le ministre, c'est une mauvaise manière faite au Parlement, qui s'est déjà opposé avec force et vigueur à cette mesure.
Nous ne sommes pas opposés à une juste réforme du statut de la microentreprise. Nous ne sommes pas non plus opposés à l'harmonisation européenne, loin de là. Mais nous ne voulons pas de rustine budgétaire. Et nous ne souhaitons pas non plus porter atteinte à la stabilité et à la lisibilité du cadre fiscal applicable à ce régime.
C'est pourquoi, mes chers collègues, au nom du groupe Les Républicains, nous soutenons avec beaucoup de force et de conviction cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises
Article 1er
(Non modifié)
I. – Au deuxième alinéa du 1 de l'article 231 du code général des impôts, la référence : « II » est remplacée par la référence : « I bis ».
II. – L'article 293 B du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le tableau du second alinéa du I est ainsi rédigé :
« |
(En euros) |
|||
Année d'évaluation |
Chiffre d'affaires national total |
Chiffre d'affaires national afférent aux prestations de services autres que les ventes à consommer sur place et les prestations d'hébergement |
||
Année civile précédente |
85 000 |
37 500 |
||
Année en cours |
93 500 |
41 250 |
» ; |
|
2° Après le même I, il est inséré un I bis ainsi rédigé :
« I bis. – A. – Les avocats, les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, les auteurs d'œuvres de l'esprit et les artistes-interprètes assujettis et établis en France bénéficient d'une franchise qui les dispense du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'ils n'ont pas réalisé en France un chiffre d'affaires, évalué dans les conditions prévues à l'article 293 D, excédant les plafonds suivants :
« |
(En euros) |
||
Année d'évaluation |
Chiffre d'affaires national afférent aux opérations mentionnées au B du présent I bis |
Chiffre d'affaires national afférent aux opérations autres que celles mentionnées au B du présent I bis |
|
Année civile précédente |
50 000 |
35 000 |
|
Année en cours |
55 000 |
38 500 |
|
« B. – Les opérations prises en compte pour les besoins des plafonds mentionnés à la deuxième colonne du tableau du second alinéa du A du présent I bis sont les suivantes :
« 1° Les opérations réalisées par les avocats et les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, dans le cadre de l'activité définie par la réglementation applicable à leur profession ;
« 2° Les livraisons par les auteurs d'œuvres de l'esprit, à l'exception des architectes, de leurs œuvres mentionnées aux 1° à 12° de l'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle et la cession des droits patrimoniaux qui leur sont reconnus par la loi ;
« 3° Les opérations relatives à l'exploitation des droits patrimoniaux qui sont reconnus par la loi aux artistes-interprètes mentionnés à l'article L. 212-1 du même code. » ;
3° Le II est ainsi rédigé :
« II. – Lorsque l'un des plafonds de chiffre d'affaires prévus aux I ou I bis du présent article pour les opérations de l'année en cours est dépassé, la franchise cesse de s'appliquer pour les opérations intervenant à compter de la date du dépassement. »
III. – Au III de l'article 293 D du code général des impôts, après les mots : « au I », sont insérés les mots : « et au A du I bis ».
IV. – L'article 32 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 est ainsi modifié :
1° Le 1° du I est abrogé ;
2° À la fin du premier alinéa du II, les mots : « , à l'exception du 1° qui entre en vigueur le 1er janvier 2026 » sont supprimés.
V. – A. – Les I à III s'appliquent à compter du 1er mars 2025.
B. – La perte de recettes pour l'État résultant du A du présent V est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 2 rectifié ter est présenté par M. Burgoa, Mme Imbert, MM. Pointereau, Brisson et Sol, Mme Guidez, M. Panunzi, Mmes Belrhiti, F. Gerbaud et Borchio Fontimp, M. Pernot, Mme Bellamy, M. Haye et Mme Josende.
L'amendement n° 3 rectifié bis est présenté par Mme L. Darcos, MM. Grand et V. Louault, Mme Paoli-Gagin, MM. Wattebled, Chevalier et Brault, Mme Bessin-Guérin et M. Laménie.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Après l'alinéa 11
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« I ter. – Les entreprises du bâtiment et des travaux publics bénéficient d'une franchise qui les dispense du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elles n'ont pas réalisé en France un chiffre d'affaires, évalué dans les conditions prévues à l'article 293 D, excédant les plafonds suivants :
«
(En euros)
Année d'évaluation |
Chiffre d'affaires national afférent aux activités du bâtiment et des travaux publics |
Année civile précédente |
25 000 |
Année en cours |
27 500 |
».
II. – Alinéa 13
Remplacer la référence :
ou I bis
par les références :
, I bis ou I ter
L'amendement n° 2 rectifié ter n'est pas soutenu.
La parole est à M. Marc Laménie, pour présenter l'amendement n° 3 rectifié bis.
M. Marc Laménie. Cet amendement, déposé sur l'initiative de notre collègue Laure Darcos, vise à ramener le seuil de franchise de base de TVA à 25 000 euros pour les seules activités exercées dans le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) sous le régime de la microentreprise.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Baptiste Blanc, vice-président de la commission des finances. L'objectif de la commission est d'obtenir un vote conforme, afin de remédier immédiatement à l'insécurité juridique en vigueur. Au reste, nous pourrons revenir sur ce sujet lors de l'examen de l'article 25 du projet de loi de finances.
La commission sollicite donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Serge Papin, ministre. Conformément à sa position, le Gouvernement émet bien entendu un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Monsieur Laménie, l'amendement n° 3 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Marc Laménie. Non, je me range à l'avis de la commission et retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
La perte de recettes pour l'État résultant du II de l'article 1er est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'ensemble de la proposition de loi visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et petites entreprises.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 7 :
| Nombre de votants | 341 |
| Nombre de suffrages exprimés | 341 |
| Pour l'adoption | 341 |
Le Sénat a adopté définitivement.
La parole est à M. le ministre.
M. Serge Papin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, c'était ma première intervention devant vous. Je vous remercie de ce bizutage ! (Sourires.)
M. le président. Monsieur le ministre, au Sénat, le bizutage est toujours fort sympathique… (Nouveaux sourires.)
3
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 28 octobre 2025 :
À quatorze heures trente et le soir :
Projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer (procédure accélérée ; texte de la commission n° 64, 2025-2026).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à treize heures trente-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
JEAN-CYRIL MASSERON


