Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Grosvalet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Philippe Grosvalet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je salue à mon tour les descendants d'Alfred Dreyfus dont la présence dans les tribunes donne à nos débats une résonance toute particulière.
En élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade, la République ne rend pas seulement un hommage, elle rétablit une vérité, elle répond à une exigence de justice, la justice d'un pays qui s'honore.
L'affaire Dreyfus est un lieu de mémoire de la République. En condamnant un innocent sur la base de faux, en humiliant publiquement un officier parce qu'il était juif, notre pays a traversé l'une de ses plus sombres crises politiques. C'est par la science, par la presse libre et par le courage de quelques-uns que la République a su se relever : Émile Zola, Marie-Georges Picquart, Jean Jaurès et, bien sûr, Georges Clemenceau.
Pour la France, premier pays d'Europe à avoir émancipé les Juifs un siècle avant cette affaire, cette réhabilitation a valeur d'évidence. Terre d'espérance depuis la Révolution, la France a accueilli tant de familles fuyant la misère et les pogroms ! À la fin du XIXe siècle, ils furent près de 100 000 à croire en sa promesse d'égalité et de liberté.
Pourtant, la loi ne réintégra Dreyfus qu'au grade de chef d'escadron, sans tenir compte des années volées, des promotions perdues, de sa dignité bafouée. Le militaire exemplaire qu'il était ne devint jamais général. C'est cette injustice que nous corrigeons aujourd'hui.
Ce texte porte une immense signification morale. Oui, il s'agit d'une mesure exceptionnelle, comme l'a rappelé notre collègue Rachid Temal. Exceptionnelle, l'affaire Dreyfus l'était tout autant. C'est pourquoi elle appelle, en premier lieu, une réhabilitation populaire. C'est donc à la Nation et à ses représentants d'y répondre par la loi.
Pour comprendre la portée de ce vote, il faut aussi nommer ce contre quoi il s'élève : Dreyfus fut la cible d'une haine idéologique portée par des voix aussi puissantes qu'odieuses. Maurice Barrès ou Charles Maurras, pour ne citer qu'eux, firent de lui le symbole honni d'une France qu'ils rêvaient « purifiée ». Barrès osa même écrire que sa culpabilité relevait tout simplement « de sa race ».
Ces mots, prononcés il y a plus d'un siècle, invitent à la prudence alors que certains se réclament encore de tels héritages. Non, mes chers collègues, on ne peut pas se dire républicain tout en convoquant impunément la mémoire de ceux qui ont souillé la République.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Philippe Grosvalet. Clemenceau, qui porta si haut la cause de Dreyfus, estimait qu'il n'existait pas de dogmes humains, mais qu'il y avait seulement des règles de justice et de bon sens. C'est exactement ce qu'exprime notre vote aujourd'hui : le rappel de la fidélité d'un homme à son pays et d'un pays à ses principes. En rendant à Alfred Dreyfus son grade, nous rendons à la France la part d'elle-même qu'elle a un jour reniée.
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) votera naturellement en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ludovic Haye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Ludovic Haye. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je salue tout d'abord les membres de la famille d'Alfred Dreyfus présent dans nos tribunes. Nous sommes aujourd'hui appelés à examiner une proposition de loi qui, par sa portée symbolique, relève d'un acte de mémoire, de justice et de fidélité à nos valeurs républicaines.
Le 13 juillet 1906, plus de dix ans après son injuste condamnation pour trahison, l'Assemblée nationale votait la réintégration du capitaine Alfred Dreyfus dans l'armée au grade de chef d'escadron, grade inférieur à celui auquel il aurait légitimement pu prétendre si sa carrière militaire n'avait pas été interrompue.
Depuis plus d'un siècle, le nom d'Alfred Dreyfus évoque à la fois la grandeur et la fragilité de la République. Il ne tient qu'à nous de raviver aujourd'hui cette grandeur en élevant Alfred Dreyfus au rang de général de brigade, à titre posthume.
Derrière ce nom, il y a tout d'abord l'histoire d'un homme intègre, au parcours exemplaire, ayant choisi la carrière militaire après le traumatisme de la défaite de Sedan, qui a poussé sa famille à quitter ses terres alsaciennes, ces terres que j'ai l'honneur de parcourir quotidiennement dans le cadre de mes fonctions, tout comme mon collègue député Charles Sitzenstuhl.
Sa vie bascule le 15 octobre 1894, lorsqu'il est arrêté et accusé d'espionnage au profit de l'Allemagne, victime d'une machination teintée d'antisémitisme visant à désigner un coupable idéal. Alfred Dreyfus, de confession juive, d'origine alsacienne, officier modèle produit par la méritocratie républicaine, devient le bouc émissaire et le responsable des maux de toute une part de la société habitée par la haine des Juifs.
Il n'a eu de cesse de clamer son innocence et son amour de la France, sans jamais renier l'uniforme qu'il avait choisi. Malgré le calvaire qu'il a subi, dans des conditions de détention plus que difficiles, il n'a jamais perdu l'espoir que la vérité éclate.
Le 26 mars 1896, alors qu'il est emprisonné sur l'île du Diable, en Guyane, Alfred Dreyfus écrit à Lucie, son épouse : « Si atroces que soient mes souffrances, le souci de notre honneur plane bien au-dessus d'elles. Ni toi, ni aucun n'auront jamais le droit d'avoir une minute de lassitude, une seconde de faiblesse, tant que le but ne sera pas atteint : tout l'honneur de notre nom. »
Dans son long combat contre l'injustice, Alfred Dreyfus n'eut qu'une seule boussole, qu'un seul dessein : laver son honneur, pour lui-même, pour sa famille, pour la France qu'il aimait tant et qu'il a toujours refusé d'accabler pour le crime odieux dont il fut accusé.
Plus de dix ans après le début de l'affaire, alors qu'il est finalement innocenté, réhabilité et réintégré dans l'armée par la Cour de cassation et par l'Assemblée nationale, l'honneur d'Alfred Dreyfus est une nouvelle fois bafoué, par sa réintégration à un grade inférieur à celui qui aurait dû être le sien, ce qui le pousse à demander sa retraite un an plus tard.
Pourtant, il n'hésite pas à reprendre les armes lorsque la Première Guerre mondiale éclate, prenant part aux combats du Chemin des Dames, puis de Verdun. À la fin de la guerre, il est promu officier de la Légion d'honneur et élevé au grade de lieutenant-colonel avant de prendre définitivement sa retraite militaire.
Peu de temps avant sa mort, en 1935, Alfred Dreyfus a succinctement résumé sa vie en ces termes : « Je n'étais qu'un officier d'artillerie, qu'une tragique erreur a empêché de suivre son chemin. »
Aujourd'hui, nous voulons dire à Alfred Dreyfus et à ses descendants ici présents que la République ne se déshonore jamais à reconnaître ceux qu'elle a injustement condamnés, et que son message, celui d'un attachement indéfectible à la justice et à son pays, résonne encore aujourd'hui. Il n'était à ses propres yeux qu'un officier d'artillerie ; il est aujourd'hui un symbole puissant de notre République, une République qui regarde son histoire en face, qui se souvient et qui grandit.
En tant qu'ancien maire de Rixheim, ville dont étaient originaires son grand-père et son père et dans laquelle un collège porte fièrement son patronyme, j'affirme sans réserve que le nom d'Alfred Dreyfus représente pour l'ensemble des Alsaciens l'incarnation même de l'idéal républicain et du véritable patriote, celui qui chérit sa patrie, même lorsque celle-ci lui tourne le dos. « Ma patrie avant tout, avant ma famille, avant moi », écrivait-il à sa femme, peu après son incarcération.
Cette proposition de loi nous rappelle que l'affaire Dreyfus n'est pas une page close de notre histoire commune et qu'elle demeure, aujourd'hui encore, une boussole morale. Elle nous rappelle que les préjugés, les mensonges, la haine de l'autre et des minorités sont un poison pour notre démocratie et peuvent nous conduire aux destins les plus sombres, ainsi qu'aux divisions les plus profondes.
Dans un monde où la désinformation et les préjugés refont surface, le combat d'Alfred Dreyfus reste le nôtre. L'antisémitisme n'a pas disparu ; il se transforme, il se cache parfois derrière d'autres mots, mais il blesse toujours les mêmes valeurs : la dignité, la fraternité et la vérité.
Mes chers collègues, en votant cette proposition de loi, nous ajoutons une nouvelle pierre au rempart que doit former notre mémoire contre l'antisémitisme, la peur et la tentation du bouc émissaire.
Voter cette proposition, ce n'est pas refaire l'histoire, c'est simplement réparer une injustice. À Alfred Dreyfus et à sa famille, nous voulons dire que la France ne les oublie pas, que la République croit au triomphe de la vérité et qu'elle combattra toujours l'injustice et la haine.
Comme l'a rappelé Simone Veil, il n'y a pas d'avenir républicain sans mémoire des injustices passées. Souvenons-nous de son honneur, de son courage et de ce qu'il nous enseigne toujours : la République n'est forte que lorsqu'elle protège les faibles, la justice n'est grande que lorsqu'elle refuse les préjugés, la France n'est fidèle à elle-même que lorsqu'elle défend l'innocent contre l'injustice.
Le groupe Union centriste votera dans sa grande majorité pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie les membres du groupe SER et son président Patrick Kanner d'avoir inscrit à l'ordre du jour de nos travaux la proposition de loi élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade. Je salue les descendants de la famille Dreyfus présents dans nos tribunes à cette occasion.
Au matin du 5 janvier 1895, dans la cour d'honneur de l'École militaire, le capitaine Alfred Dreyfus est dégradé, tandis que la foule crie : « Mort aux Juifs ! »
Cet homme patriote et innocent, condamné parce que juif, passera sept années en détention, dont quatre au bagne de l'île du Diable. Le président Émile Loubet le gracie en 1899. L'enfer judiciaire d'Alfred Dreyfus se poursuivra encore sept ans – il aura duré douze années au total. Ce n'est qu'en 1906 qu'il sera finalement innocenté et réhabilité.
Cet épisode fait partie des plus sombres de notre histoire. En brisant le sabre du capitaine, c'est l'honneur de notre armée qui a été entaché. Pendant des années, la France s'est divisée entre dreyfusards et antidreyfusards. L'antisémitisme rampant cherchait un exutoire ; la défaite cuisante contre la Prusse, ainsi que la perte de l'Alsace et de la Lorraine appelaient un bouc émissaire.
À l'issue d'une procédure où se succèdent les irrégularités, sur la base de preuves falsifiées, en se fondant sur un dossier secret auquel la défense n'a pu avoir accès et afin de masquer l'échec des institutions, on a condamné un innocent.
L'affaire est déjà suffisamment grave, mais elle ne s'arrête pas là. Malgré l'action de quelques militaires courageux, l'armée a été incapable de reconnaître son erreur. Il a fallu que la justice civile intervienne pour que la vérité soit rétablie, pour que l'honneur de Dreyfus soit lavé.
Ceux qui ont produit de faux documents, ceux qui ont sciemment contribué à la condamnation d'un innocent, n'ont fait l'objet d'aucune sanction.
Enfin, on a refusé de prendre en compte les années passées en détention dans son avancement. Sa carrière étant brisée, il prit sa retraite en 1907.
Revenu à la vie civile, il fut, l'année suivante, la cible d'un attentat antisémite au revolver, dont l'auteur sera acquitté.
Malgré tout cela, Dreyfus a répondu présent en 1914. Accusé à tort, condamné à tort, dégradé, exilé et détenu au bagne, victime d'un attentat, il est venu défendre la France attaquée. À plus de 50 ans, il a combattu au Chemin des Dames et à Verdun.
Ce soldat juif et patriote au comportement exemplaire quittera l'institution avec le grade de lieutenant-colonel, alors que sa carrière aurait justifié celui de général de brigade.
La proposition de loi que nous examinons a pour objet de lui conférer le grade qui aurait dû être le sien s'il n'avait pas été injustement condamné.
Disons-le tout de suite : rien ne pourra effacer l'injustice, plutôt les injustices commises à l'égard de Dreyfus. Lui conférer à titre posthume le grade de général de brigade revient seulement à parachever la décision de sa réhabilitation. Ce n'est pas clore le dossier ni oublier l'histoire.
À plus d'un titre, l'affaire Dreyfus continue de mériter notre attention et de justifier notre vigilance. L'antisémitisme est loin d'avoir disparu de notre pays. La vague d'agressions à la suite des attaques du 7 octobre, la profanation de l'arbre planté à la mémoire d'Ilan Halimi ou encore le boycott d'étudiants juifs dans certains groupes de discussion universitaires sont autant de signaux d'alarme.
La lutte contre ce fléau exige une vigilance de tous les instants. L'adoption de cette proposition de loi ne marquera pas la fin de ce combat.
Nous devons également être attentifs à une atmosphère intellectuelle qui se dégrade, aujourd'hui comme alors. Certains médias, et désormais les réseaux sociaux, sapent la cohésion de notre Nation et abusent l'opinion publique. Sous prétexte de défendre le peuple, ils préparent son asservissement.
Nous devons garder à l'esprit les circonstances qui ont permis la faillite judiciaire et morale de l'affaire Dreyfus, et nous en méfier. Il nous faut également parfaire la réhabilitation de cet homme pour ne laisser subsister aucun doute sur son innocence.
Voter ce texte, c'est tirer les dernières conséquences de l'arrêt de la Cour de cassation rendu le 12 juillet 1906. La Cour a alors jugé que c'était par erreur et à tort que cette condamnation avait été prononcée. À nous de poursuivre en disant que c'est par erreur et à tort qu'Alfred Dreyfus n'est que lieutenant-colonel.
Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront cette proposition de loi, en exprimant encore leur gratitude à l'égard de ceux qui ont pris l'initiative de nous le soumettre. Il s'agit là en effet d'un geste fort nous permettant de nous montrer fidèles à notre devoir de mémoire et de respect. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je salue évidemment la famille et les amis de la famille d'Alfred Dreyfus présents aujourd'hui.
Si l'on ne réécrit pas l'histoire, mieux vaut régulièrement la relire, la méditer, l'apprendre, pour tenter d'y cueillir quelques fragments de sagesse, pour tenter d'ériger quelques phares de philosophie qui guident l'homme sur le chemin de la raison, de l'humanisme et de la prudence, loin des sentiers périlleux des bas instincts et de la violence.
L'histoire d'Alfred Dreyfus, c'est d'abord celle d'un amoureux de la France, fils d'une famille alsacienne qui choisit de rester française en 1871 ; c'est ensuite celle d'un officier humilié, mais jamais brisé, d'un patriote trahi, mais n'ayant jamais renié la France.
Plus d'un siècle après l'affaire Dreyfus, notre Nation porte encore en elle cette cicatrice. Si celle-ci ne saigne plus, elle continue de nous rappeler combien la justice et la vérité sont des piliers fragiles, combien la République n'est jamais acquise, mais reste toujours à défendre.
L'affaire Dreyfus, c'est d'abord un homme seul, ou presque, accusé sans preuve, condamné sur la foi de faux documents et déporté pour un crime qu'il n'a pas commis, parce qu'il était juif. Oui, parce qu'il était juif.
« La vérité est en marche ; rien ne peut plus l'arrêter », écrivit Émile Zola dans Le Figaro en 1897, avant même son « J'accuse… ! » dans L'Aurore de Clemenceau. Zola : une plume au service de l'honneur et de la justice, un peu plus d'un siècle après celle de Voltaire défendant Calas.
Avant que la vérité ne triomphe, pourtant, que de souffrances ! Cinq années d'isolement sur l'île du Diable, cet îlot battu par les vents, où Dreyfus n'a pas cessé d'écrire, de croire, d'espérer que la déraison d'État qui l'avait sacrifié saurait reconnaître ses aveuglements et ses torts, avant de l'innocenter et de faire son mea culpa.
En 1906, la République a réhabilité Alfred Dreyfus, elle lui a même offert la Légion d'honneur, mais elle ne l'a jamais pleinement réparé : sa carrière brutalement brisée ne lui a pas permis d'atteindre les grades qu'il méritait.
Pourtant, à plus de 50 ans, lorsqu'éclata le conflit en 1914, il répondit présent. Au Chemin des Dames, il servit à nouveau la France. Promu lieutenant-colonel, il incarna jusqu'à son dernier souffle l'honneur du soldat et la fidélité du citoyen.
Oui, il est temps, enfin, de lui rendre ce que l'histoire lui a refusé. Élever Alfred Dreyfus au rang de général de brigade à titre posthume, c'est reconnaître la grandeur de son engagement et dire, à travers lui, que la République sait réparer, sait reconnaître, sait se tenir debout face à ses erreurs.
L'honneur d'un pays n'est pas d'être sans taches, il est de savoir les laver.
Ce fut ainsi le cas en juillet 1995, quand Jacques Chirac, lors du discours du Vel' d'Hiv', passé à la postérité, déclara que ces heures noires avaient à jamais souillé notre histoire et que la France avait alors accompli l'irréparable. Ce même Jacques Chirac, onze ans plus tard, prononça à nouveau un discours poignant à l'occasion du centenaire de la réhabilitation d'Alfred Dreyfus. (M. le rapporteur acquiesce.)
L'antisémitisme qui frappa Dreyfus n'a pas disparu. Il a changé de visage : il a muté, il s'est digitalisé, banalisé parfois, mais il est là, sans Édouard Drumont, mais avec des humoristes barbus ou encore des élus sous l'emprise du bruit et de la fureur.
Il est dans les mots lâchés à la va-vite, dans les insinuations, les caricatures, les insultes sur les réseaux, dans les amphithéâtres de certaines facultés, les cimetières profanés et sur les visages d'enfants insultés parce qu'ils portent une kippa.
À chaque fois, c'est un peu Dreyfus que l'on dégrade à nouveau. C'est la République que l'on offense.
En élevant Alfred Dreyfus au rang de général de brigade, nous élevons la République elle-même. Nous rappelons que la France se grandit en affrontant ses fautes et non en les dissimulant. Nous affirmons haut et fort : « Parce que Dreyfus fut humilié, nous lui rendons justice. Parce qu'il fut trahi, nous lui rendons l'honneur. Parce qu'il fut fidèle à la France, nous lui rendons la reconnaissance de la Nation. »
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Olivier Paccaud. Mes chers collègues, que bien plus qu'un acte de mémoire, ce geste soit un acte d'avenir et qu'il rappelle à tous, aujourd'hui et demain, que la République n'oublie jamais ses justes. Bien plus qu'une épitaphe de bonne conscience, ce texte est un épilogue digne que le Sénat, après l'Assemblée nationale, s'honore de parapher.
Permettez-moi, pour terminer, de citer Alfred Dreyfus lui-même. Le 21 janvier 1906, lorsque, réhabilité par la Cour de cassation, il est fait chevalier de la Légion d'honneur, là même où il avait été dégradé, où son sabre avait été brisé, où son honneur avait été mis en lambeau, alors que certains crient alors « Vive Dreyfus », avec une grandeur chevaleresque, il répond : « Non, messieurs, je vous en prie. Vive la France ! » (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer la famille et les amis de M. Dreyfus, présents avec nous cet après-midi.
Il y a centre trente ans, la République française commettait l'une des plus grandes injustices de son histoire. En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus était condamné pour trahison sur le fondement d'accusations montées de toutes pièces et nourries par l'antisémitisme le plus violent qui gangrenait alors notre société.
Cet officier brillant, dévoué à sa patrie, fut dégradé publiquement, humilié, déchu de son honneur. Sa seule faute ? Être juif. Son seul crime ? Servir la France, alors que certains estimaient qu'un homme de confession juive ne pouvait pas être loyal envers la République.
Pendant douze années, Alfred Dreyfus a lutté pour faire éclater la vérité : douze années d'exil, de souffrance, d'acharnement judiciaire, douze années pendant lesquelles la France s'est déchirée entre dreyfusards et antidreyfusards, entre les défenseurs de la justice et les partisans de la raison d'État.
En 1906, enfin, la Cour de cassation l'innocente. Enfin, la vérité triomphe. Alfred Dreyfus est réintégré dans l'armée. Une loi le nomme chef d'escadron, mais cette réparation était incomplète, insuffisante, dérisoire au regard de l'injustice subie.
Sans cette machination, sans cette infamie antisémite, il aurait naturellement accédé au plus haut grade de l'armée française. Cet officier de valeur, qui servira d'ailleurs à nouveau la France pendant la Grande Guerre, s'est vu refuser ce qui lui était dû : la reconnaissance pleine et entière de ses mérites.
Pendant plus d'un siècle, cette injustice est demeurée. En 2006, le président Jacques Chirac reconnaissait que justice n'avait pas complètement été rendue à Alfred Dreyfus. En 2021, le président Emmanuel Macron estimait qu'il revenait aux représentants du peuple français de réparer cette erreur.
Mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui est non pas un geste symbolique, mais un acte de réparation. Par lui, nous refusons de laisser l'antisémitisme avoir le dernier mot.
Je tiens à saluer l'initiative de Gabriel Attal, qui a permis, le 2 juin dernier, l'adoption de ce texte à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Si des réserves tout à fait légitimes ont été exprimées par certains d'entre nous, mes chers collègues, ce texte doit également être voté à l'unanimité par le Sénat, car cette unanimité dirait quelque chose d'essentiel.
Au-delà de nos différences politiques, au-delà de nos sensibilités, il est en effet des combats qui nous rassemblent tous, mes chers collègues. La lutte contre l'antisémitisme, la défense des valeurs républicaines, la justice en font partie.
Cette unanimité est d'autant plus nécessaire que, même s'il ne s'exprime plus de la même manière aujourd'hui, l'antisémitisme qui frappait Alfred Dreyfus n'appartient pas à un passé révolu. Nous le voyons chaque jour : les actes antisémites d'une nouvelle forme de plus en plus nombreux sont commis sur notre territoire, les lieux de mémoire sont profanés, les citoyens français de confession juive vivent dans la peur.
Élever aujourd'hui Alfred Dreyfus au grade de général de brigade, c'est envoyer un message clair, fort, sans ambiguïté : la République répare ses erreurs ; la République honore ceux qu'elle a injustement brisés.
Comme vous l'aurez compris, mes chers collègues, le groupe RDPI votera résolument et sans réserve cette proposition de loi. (Applaudissements sur l'ensemble des travées)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues présents, permettez-moi de souligner l'absence des quatre sénateurs d'extrême droite, qui après s'être beaucoup exprimés lors de l'examen du précédent texte, ont décidé d'aller à la piscine ou ailleurs au moment où nous débattons de cette proposition de loi.
Chers amis visiteurs, par votre présence en tribune, vous soutenez la démarche historique que nous engageons aujourd'hui. Je salue mon ami Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, ainsi que toute la famille d'Alfred Dreyfus.
Je salue également les députés Gabriel Attal, premier signataire de ce texte, et Charles Sitzenstuhl, rapporteur, qui ont engagé à l'Assemblée nationale ce travail que nous continuons.
Il est des heures où le Parlement ne se contente pas de voter : il se regarde, il se juge. Nous y sommes, mes chers collègues.
En nous prononçant sur l'élévation d'Alfred Dreyfus au grade de général de brigade à titre posthume, nous ne rouvrons pas un dossier, nous refermons une blessure.
Alfred Dreyfus n'a jamais demandé ni grâce ni faveur. Fin juillet 1906, il écrivait ces quelques mots qui résonnent encore comme une profession de foi républicaine : « Je n'avais jamais demandé de faveur dans ma carrière, j'avais essayé d'arriver par mon travail. Après ma tragique et si imméritée condamnation de 1894, je n'ai demandé que de la justice. Pendant les cinq années effroyables de l'île du Diable, je ne me suis jamais humilié devant personne, fort de ma conscience, n'abdiquant rien de ma dignité. »
Dans la boue, il garda la tenue. Dans l'isolement, il garda la conscience. Dans l'humiliation, il garda l'honneur. Voilà pourquoi son nom, qui fut un jour traîné sous les huées, est aujourd'hui prononcé avec respect. Voilà pourquoi la faute d'État dont il fut victime, nourrie de préjugés, d'antisémitisme et de lâcheté, nous oblige encore.
Notre pays est grand lorsqu'il place le droit au-dessus de la peur, la justice au-dessus de la vengeance. Il est le pays de l'abolition de la torture, le pays de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le pays qui, par la plume de Zola, cria « J'accuse ! » quand la rumeur réclamait le silence. Notre pays fut aussi celui où un innocent porta l'infamie sur son uniforme pendant que la foule criait à la trahison. C'est ce double héritage que nous interrogeons aujourd'hui.
Pourquoi ce texte ? Parce qu'entre la reconnaissance juridique et la réparation symbolique il y a un écart qu'aucune formule ne comble si la représentation nationale ne se prononce pas. Dreyfus fut innocenté, c'est vrai, réintégré, vous l'avez dit, madame la ministre, mais il ne fut pas rétabli à hauteur de son destin militaire. Quand le lieutenant-colonel Picquart, son compagnon de vérité, fut promu général, Dreyfus resta en arrière, figé par les années d'exil et d'humiliation, cinq années volées à sa carrière.
À 55 ans, il reprit pourtant les armes au Chemin des Dames, à Verdun. Il servit la France comme s'il n'avait jamais été trahi par elle. Pas un mot d'amertume. Pas un cri de revanche. Seulement le devoir, ce devoir que l'on n'enseigne pas, mais que l'on incarne. En ce 6 novembre 2025, cent trente années après son exil sur l'île du Diable, c'est aujourd'hui le devoir de la République que de reconnaître, nommer, consacrer Dreyfus en qualité de général.
J'entends les scrupules. Pourquoi maintenant ? Parce que le temps n'éteint pas l'exigence. Parce qu'il n'est pas de prescription quand il s'agit de principes. Parce qu'il s'agit non pas simplement d'un acte législatif, mais d'un acte éminemment politique qui touche à une certaine idée de la morale. Parce que ce qui frappa Dreyfus fut non pas seulement l'arbitraire, mais l'antisémitisme, cette haine froide, irrationnelle, ancienne, qui aveugle les consciences et déshonore les nations. N'oublions jamais que cette haine-là, Dreyfus l'a affrontée sans haine.
Quatre-vingts ans se sont écoulés depuis le martyr des Juifs en Europe. Huit décennies plus tard, on pourrait croire la cause des droits de l'homme définitivement victorieuse sur notre continent. En est-il vraiment ainsi ? Les mots, les signes, les actes, nous rappellent le contraire.
Des propos insultants, des inscriptions sacrilèges, des profanations, comme celle, récente, de la tombe de Robert Badinter le jour de son entrée au Panthéon, montrent que la bête immonde – oui, la bête immonde – rôde encore. Elle change de visage, elle se fait plus discrète, elle porte la cravate, elle est plus banale, mais elle est toujours là.
À force de renoncements et d'indifférence, notre société a laissé les faux prophètes parler à la peur, flatter la colère, exploiter le désarroi d'une jeunesse en quête de repères perdus dans le tumulte d'un monde hyperconnecté. Face à eux, il nous revient, à nous, parlementaires, d'opposer un front uni de raison et de courage, de refuser les compromissions, de faire les bons choix et de rappeler sans relâche que la République, c'est d'abord le refus de l'intolérance, c'est le refus de l'oubli.
Simone Veil, qui a connu dans sa chair ce que la haine peut faire de pire, nous rappelait que l'antisémitisme commence toujours dans les mots et s'achève dans la mort. La mémoire n'est pas un héritage : elle est un combat. Ce combat passe aujourd'hui par un nom, par un geste, par une promotion, celle d'Alfred Dreyfus.
Alors demain – oui, demain –, grâce à votre vote, mes chers collègues, la République sera un peu plus droite dans ses bottes. Demain, grâce à vous, l'ombre d'une injustice cessera d'obstruer la mémoire d'un officier français. Demain, grâce à vous, l'armée et la Nation se regarderont avec plus de confiance, parce que nous aurons préféré la lumière à l'ambiguïté, la droiture au renoncement.
Mes chers collègues, nous ne réhabilitons pas Dreyfus : la justice l'a fait en 1906. Nous réhabilitons notre regard sur lui. Nous corrigeons, par l'honneur, ce que la faute d'hier a empêché d'advenir. Il est des votes qui fondent une mémoire ; il est des votes qui grandissent un pays.
Au nom de l'honneur de la République, au nom de l'exigence de justice, au nom de l'unité de la France, adoptons sans trembler l'article unique qui proclame que « la Nation française élève, à titre posthume, Alfred Dreyfus au grade de général de brigade ». (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)