Que se passe-t-il depuis 2018 dans le domaine de la plateformisation ? Depuis la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et la loi d'orientation des mobilités, la stratégie des plateformes et du Gouvernement est d'empêcher la requalification en salariés de ceux que la Cour de cassation, en 2018, a appelés des « indépendants fictifs ». Nous produisons régulièrement de nouveaux textes pour singulariser les travailleurs de plateforme, notamment les VTC et les livreurs, afin de bloquer ces requalifications. Aujourd'hui s'ouvre une nouvelle étape.

Le Gouvernement s'est opposé à la directive Schmit, qui introduit une présomption légale de salariat pour les travailleurs de plateforme et vise également à créer des règles relatives à la gestion algorithmique. Il y a eu ensuite la mission Frouin, en 2020, qui a abouti aux ordonnances Mettling, et la création de cet objet particulier – l'Arpe – dont le fonctionnement mériterait, comme l'a souligné Pascal Savoldelli, un travail d'audition parlementaire et de contrôle.

Nous allons inscrire dans le droit que les plateformes ne sont pas des donneurs d'ordre. Monsieur le ministre, c'est grave. L'arrêt Taxi Elite de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qualifie bien Uber d'opérateur de transport. Ce n'est pas un intermédiaire. Or, aujourd'hui, nous allons affirmer l'inverse.

Le prochain coup d'Uber sera sans doute d'utiliser le dispositif des coopératives d'activité et d'emploi, avec le statut d'entrepreneur salarié associé, pour créer des salariés au rabais et gagner encore des parts de marché. Voilà pourquoi la suppression de l'article 8 s'impose.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Cet article 8 n'existe, à mon sens, que parce que vous refusez de transposer la directive européenne. Vous irez jusqu'au terme du délai, car Uber et les autres plateformes constituent, en réalité, le grand chantier du président Macron. Vous persistez donc à défendre ce modèle et à reporter la transposition de la directive, alors que vous auriez pu la réaliser depuis des mois.

Il est d'ailleurs incroyable d'entendre que, pour défendre ses droits, un travailleur doive aller devant le juge. Justement, la directive européenne prévoit, en cas de présomption de salariat, le renversement de la charge de la preuve : ce n'est pas au travailleur présumé salarié de démontrer ses droits, mais à la plateforme de prouver qu'il ne s'agit pas d'un salarié.

Or vous ne voulez pas de ce renversement de la preuve, pourtant inscrit dans la directive. Il faudra bien, monsieur le ministre du travail, appliquer les textes européens !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Canalès, pour explication de vote.

Mme Marion Canalès. Aujourd'hui, 13 novembre, le Parlement européen se prononce sur la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D), portée à l'origine par la France. Nous avons ensuite régressé, par la voix même de la France, notamment à travers la directive Omnibus. Un vote majeur a lieu aujourd'hui.

Dans le même temps, on nous parle ici d'un devoir de vigilance au rabais. Dans l'étude d'impact, on lit que la première option envisagée pour cet article consistait en une charte d'engagement volontaire contre la pratique du rattachement par les plateformes, soumise au bon vouloir des acteurs. Vous avez renoncé à cette charte pour proposer ce dispositif, car vous avez compris qu'il fallait être plus offensif, mais c'est encore insuffisant.

Cet article 8 n'est pas à la hauteur des enjeux. Il doit être retravaillé pour respecter les objectifs initiaux. C'est pourquoi je soutiens, bien entendu, les amendements de suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Je souhaite apporter quelques éléments de réponse.

Nous entendons bien transposer la directive européenne. La concertation avec les partenaires sociaux a déjà commencé. Vous connaissez mon attachement au dialogue social : nous faisons les choses comme il faut. Ces discussions ont été interrompues par les changements de gouvernement – qui sont d'ailleurs en partie la raison de ma présence parmi vous aujourd'hui –, mais elles vont reprendre et nous irons au bout de la transposition, je le dis très clairement.

Cette directive apportera de réelles avancées, cela a été indiqué. Elle créera une facilité procédurale pour que les travailleurs indépendants puissent plus facilement avoir accès au juge et ainsi obtenir la requalification de leur contrat, s'ils le souhaitent. Il y a donc un renforcement des droits des travailleurs.

Je voudrais redire également que le code du travail a consacré la notion de plateforme à responsabilité sociale, avec des obligations spécifiques.

Je vous rassure donc : nous n'ouvrons pas des brèches. Au contraire, nous les colmatons et nous essayons de poser des digues.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 64, 73 et 224.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 55 rectifié sexies est présenté par M. Pellevat, Mme Bourcier, MM. Brault, Capus, Chasseing et Chatillon, Mme L. Darcos, MM. Grand, Hingray et Houpert, Mmes Jacquemet, Joseph et Lermytte, MM. H. Leroy, Levi et Menonville, Mme Muller-Bronn et MM. Naturel, Panunzi, Rochette et Sido.

L'amendement n° 190 rectifié est présenté par Mme Havet, MM. Lévrier, Lemoyne, Buis et Rambaud et Mmes Cazebonne et Schillinger.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

I. – Après l'alinéa 1

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

... ° Après le premier alinéa de l'article L. 3122-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Peuvent être considérés comme des exploitants au sens du premier alinéa des personnes morales, des personnes physiques ou des entrepreneurs salariés associés d'une coopérative d'activité et d'emploi mentionnés à l'article L. 7331-1 du code du travail. »

II. – Après l'alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « L'inscription sur ce registre peut être effectuée par les coopératives d'activité et d'emploi agissant comme mandataires des exploitants qui exercent leur activité en qualité d'entrepreneurs salariés associés, au sens de l'article L. 7331-1 du code du travail. Sont considérées comme mandataires les coopératives d'activité et d'emploi respectant des conditions fixées par voie réglementaire. »

III. – Après l'alinéa 5

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

... ° Le troisième alinéa de l'article L. 3122-4 est complété par les mots : « , à l'exception des entrepreneurs salariés associés d'une coopérative d'activité et d'emploi à qui l'obligation de justifier d'une garantie financière s'applique seule. »

La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour présenter l'amendement n° 55 rectifié sexies.

Mme Corinne Bourcier. Permettez-moi d'avoir une pensée, en ce 13 novembre, pour les victimes des attentats de 2015 et leurs familles.

Le présent amendement tend à reconnaître pleinement le statut des entrepreneurs salariés associés des coopératives d'activité et d'emploi dans le cadre de la réglementation applicable aux exploitants de voitures de transport avec chauffeur, prévue par le code des transports.

Il vise deux objectifs clairs : préciser la définition de l'exploitant afin de reconnaître le statut d'entrepreneur salarié associé de CAE et reconnaître la CAE comme mandataire pouvant enregistrer ses chauffeurs directement au registre VTC, lorsqu'elle remplit certaines conditions attestant de son sérieux.

Aujourd'hui, la loi ne reconnaît et ne protège pas assez le modèle de la CAE dans le secteur du VTC. Il existe ainsi des risques de détournement de ce modèle par les mêmes intervenants fraudeurs évoqués plus haut, comme les gestionnaires de flotte ; il est donc important de l'encadrer.

Cet amendement permettrait de faciliter le développement du modèle de la CAE dans le secteur, et ainsi de lutter efficacement contre la fraude.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, pour présenter l'amendement n° 190 rectifié.

Mme Nadège Havet. J'ai également, en cette journée du 13 novembre, une pensée émue pour les victimes des attentats de 2015 et pour leurs familles.

Madame la présidente, cette défense d'amendement vaut également pour l'amendement n° 191 rectifié.

Dans le secteur du VTC, la fraude priverait l'État de près de 200 millions d'euros par an. Elle fragilise de 30 000 à 40 000 travailleurs.

Alors que ce contournement est très significatif et prouvé, l'article 8 du projet de loi vise à apporter une réponse importante.

Il est proposé, par les amendements nos 190 rectifié et 191 rectifié, de le renforcer par une obligation de vigilance accrue faite aux plateformes, par une accentuation de l'encadrement des gestionnaires de flotte et par une reconnaissance des modèles alternatifs, de type coopérative d'activité et d'emploi.

L'objectif est de sécuriser et de promouvoir un modèle innovant dans le secteur du transport public particulier de personnes. Il s'agit de créer un cadre de régulation en proposant aux chauffeurs un contrat d'entrepreneur salarié associé, une protection sociale complète, une autonomie professionnelle et un accompagnement administratif.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission de l'aménagement du territoire ?

M. Alain Duffourg, rapporteur pour avis. Je ne suis pas favorable à ces deux amendements relatifs aux CAE. La coopérative était à l'époque un ensemble de personnes qui s'unissaient dans l'intérêt commun.

Or, lors des auditions, nous avons entendu la société Stairling, qui a évoqué l'existence de ces structures. En réalité, ces coopératives constituent un intermédiaire supplémentaire, susceptible de devenir le relais de nouvelles fraudes sociales et fiscales. Elles prélèvent des commissions sur les chauffeurs et entretiennent, en définitive, une relation triangulaire avec la plateforme et les conducteurs.

M. Pascal Savoldelli. C'est ce qu'on a dit !

M. Alain Duffourg, rapporteur pour avis. Par conséquent, je ne suis pas favorable à ces propositions et j'émets un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. La dérogation que vous proposez ne semble pas nécessaire.

Le statut de la coopérative d'activité et d'emploi est compatible avec le droit actuel des transports, ce qui lui permet d'être inscrite au registre des VTC et, à ce titre, de déclarer les conducteurs qu'elle emploie. Actuellement, il existe des CAE inscrites à ce registre et rien dans l'article 8 ne remet en cause cette situation.

Cet article 8 vise à créer de nouvelles obligations pour les plateformes et confirme l'interdiction de mise à disposition des inscriptions aux registres des exploitants auprès d'un tiers dans tous les cas.

Dès lors, inscrire dans la loi une exception spécifique pour les CAE et leurs chauffeurs salariés associés pourrait ouvrir une brèche de contournement pour les gestionnaires de flotte, dont certains sont, malheureusement, coutumiers de pratiques irrégulières, et réduirait considérablement les possibilités de contrôle.

Pour le code des transports, les mêmes règles doivent s'appliquer à tous, quelle que soit la forme juridique, dès lors que l'opérateur assume réellement ses responsabilités d'exploitant, sans mandat interposé ni mise à disposition d'inscription au registre. Une dérogation spécifique fragiliserait considérablement l'efficacité du dispositif contre les sociétés-écrans.

Dans un objectif d'efficacité et de lutte contre la fraude, notamment contre le travail dissimulé, le Gouvernement sollicite le retrait de ces amendements. À défaut, il émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.

M. Olivier Jacquin. Mon groupe a défendu très tôt l'idée de la coopérative. Ainsi, en 2019, Monique Lubin et plusieurs de mes collègues ont déposé une proposition de loi visant à favoriser la coopérative comme alternative à la plateformisation du travail. J'en profite pour saluer une coopérative, Maze, qui me semble vertueuse et intéressante.

Ici, nous parlons de favoriser la coopérative d'activité et d'emploi.

Je tiens à saluer le rapporteur Alain Duffourg, qui a ouvert toutes ses auditions aux membres de la commission. L'une d'entre elles, très intéressante, a réuni l'ensemble des syndicats de taxis, lesquels ont unanimement soulevé les risques de dérive du modèle de la CAE, qui produirait des salariés au rabais. En gros, la technique consiste, lors de la redistribution en salaires des revenus touchés par la CAE, à gonfler exagérément les indemnités kilométriques et les frais de repas pour diminuer la part taxable des salaires…

La CAE, pour Uber, c'est le coup d'après ! M. le ministre a d'ailleurs bien précisé que la CAE était actuellement compatible avec le code des transports.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, pour explication de vote.

Mme Nadège Havet. Compte tenu des explications apportées, je retire l'amendement n° 190 rectifié.

Je ferai de même avec l'amendement n° 191 rectifié.

Mme la présidente. L'amendement n° 190 rectifié est retiré.

La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Il est intéressant que nous ayons cette discussion après avoir débattu de la suppression de l'article.

Les votes ne seront pas forcément les mêmes, mais je rappelle que l'argument que nous avons utilisé, sur les travées de cet hémicycle, pour défendre cette suppression était que les coopératives d'activité et d'emploi étaient exclues du dispositif.

Or nous avons là un amendement qui nous propose d'y intégrer ces mêmes coopératives… C'est bien la démonstration que la suppression de l'article était la meilleure des solutions, parce que nous ne sommes pas prêts et parce que cet article n'est pas bon !

Vous avez raison, monsieur le ministre : nous ouvrons régulièrement des brèches. Nous pourrions déposer une multitude d'amendements pour protéger notre droit du travail, notamment pour viser les sociétés-écrans qui se rattacheront au dispositif.

Je voterai cet amendement. Mais, au-delà des coopératives d'activité et d'emploi, il faut ensuite parler du reste, de toutes les sociétés fictives qui sont en train de se créer sans aucune responsabilité sociale ni fiscale, réalité que nous avons voulu démontrer en demandant la suppression de l'article 8.

Il y a donc là une petite contradiction que vous devrez gérer… Mais nous y sommes habitués.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique, pour explication de vote.

M. Jacques Fernique. Vous parliez tout à l'heure, monsieur le ministre, de la nécessité de colmater les brèches. Je crois que, là, tout le monde ou presque a compris qu'on allait les élargir !

Notre collègue Nadège Havet retire ses amendements, mais notre collègue Cyril Pellevat n'est pas là pour le faire.

Je veux vraiment insister sur la façon dont ce statut des coopératives serait utilisé et détourné : il faut s'attendre à des fiches de paie à temps partiel, avec des indemnités kilométriques dérisoires, à de faux paniers-repas…

C'est, en somme, une façon de pérenniser la fraude.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 55 rectifié sexies.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 25 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption 103
Contre 239

Le Sénat n'a pas adopté.

Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 54 rectifié quinquies est présenté par M. Pellevat, Mme Bourcier, MM. Brault, Capus, Chasseing et Chatillon, Mme L. Darcos, MM. Grand, Hingray et Houpert, Mmes Jacquemet, Joseph et Lermytte, MM. H. Leroy, Levi et Menonville, Mme Muller-Bronn et MM. Naturel, Panunzi, Rochette et Sido.

L'amendement n° 191 rectifié est présenté par Mme Havet, MM. Lévrier, Buis et Rambaud et Mmes Cazebonne et Schillinger.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

I. – Alinéa 5

Compléter cet alinéa par les mots :

, à l'exception des inscriptions effectuées par les coopératives d'activité et d'emploi agissant comme mandataires des exploitants qui exercent leur activité en qualité d'entrepreneurs salariés associés, au sens de l'article L. 7331-1 du code du travail

II. – Alinéa 12

Compléter cet alinéa par les mots :

, à l'exception des attestations d'inscription délivrées aux coopératives d'activité et d'emploi agissant comme mandataires des exploitants qui exercent leur activité en qualité d'entrepreneurs salariés associés, au sens de l'article L. 7331-1 du code du travail

III. – Alinéa 13

Compléter cet alinéa par les mots :

, à l'exception des attestations d'inscription délivrées aux coopératives d'activité et d'emploi agissant comme mandataires des exploitants qui exercent leur activité en qualité d'entrepreneurs salariés associés, au sens de l'article L. 7331-1 du code du travail

IV. – Après l'alinéa 18

Insérer un alinéa ainsi rédigé : 

« Le présent article n'est pas applicable aux coopératives d'activité et d'emploi agissant comme mandataires des exploitants qui exercent leur activité en qualité d'entrepreneurs salariés associés, au sens de l'article L. 7331-1 du code du travail. » ;

L'amendement n° 191 rectifié a été retiré.

La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour présenter l'amendement n° 54 rectifié quinquies.

Mme Corinne Bourcier. Cet autre amendement de mon collègue Cyril Pellevat vise à sécuriser et à protéger la CAE, nouveau modèle émergent dans le secteur du transport public particulier de personnes (T3P), mais menacé par la rédaction initiale de l'article 8.

La CAE constitue une solution économique et sociale pour les chauffeurs, mais aussi un levier de lutte contre la fraude sociale et fiscale pour l'État, alors que plus de 60 % des chauffeurs évoluent aujourd'hui dans l'illégalité – fraude fiscale, sous-déclaration ou absence de déclaration à l'Urssaf. En effet, ce modèle permet aux chauffeurs d'avoir un contrat d'entrepreneur salarié associé (Cesa), une protection sociale, de l'autonomie et un accompagnement administratif.

Cependant, dans sa rédaction actuelle, l'article 8 représente une menace existentielle pour le modèle de la CAE, puisque celle-ci peut aujourd'hui être enregistrée en tant qu'exploitante dans le registre et sous-traiter son numéro à ses chauffeurs.

L'article 8, en tendant à lutter notamment contre les pratiques frauduleuses des gestionnaires de flotte, va indirectement interdire cette possibilité.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission de l'aménagement du territoire ?

M. Alain Duffourg, rapporteur pour avis. Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, je ne suis pas favorable à la mise en place de ces coopératives, car le contrat triangulaire entre la coopérative, le chauffeur et la plateforme ne fera qu'alimenter les fraudes sociales et fiscales.

De surcroît, le fait que les salariés aient un contrat de travail et un contrat d'entreprise me paraît assez paradoxal.

J'émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Pour les raisons évoquées par M. le rapporteur, j'émets le même avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.

M. Olivier Jacquin. La coopérative d'activité et d'emploi est intéressante dans son principe. Je pense à ce statut tout à fait particulier d'entrepreneur salarié associé.

Monsieur le ministre du travail, je vous demande la plus grande vigilance sur le développement des CAE, que l'adoption de l'article 8 va certainement faire foisonner.

Je n'ai pas eu le temps de le dire tout à l'heure lors de ma prise de parole sur l'article 8, mais je pense que, face à l'extrême mobilité du secteur des plateformes, la solution est vraiment de renforcer leur contrôle, comme il convient de le faire pour toute la fraude, et de mettre de vrais moyens à la disposition des inspections du travail et de l'Urssaf.

Je regrette, monsieur le ministre du travail, que vous n'ayez pas eu le temps de dire ne serait-ce que quelques mots sur la question des livreurs à vélo, qui ne sont pas concernés par ce texte, alors que la fraude est encore plus développée dans ce secteur particulier.

Le procès Frichti pour travail dissimulé et travail irrégulier s'est ouvert hier. Peut-être avez-vous vu ce film incroyable qu'est L'Histoire de Souleymane. Nous sommes là dans l'esclavage par l'algorithme le plus sordide.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 54 rectifié quinquies.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 26 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 103
Contre 240

Le Sénat n'a pas adopté.

L'amendement n° 133, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 13

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Le III de l'article L. 3141-2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le professionnel vérifie par tout moyen les conditions d'acquisition du véhicule utilisé lors de l'entrée en relation et lors d'un changement de véhicule. »

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Je dois dire que les dispositions du nouvel article L. 3141-2-1 du code des transports me laissent un peu perplexe, puisque le professionnel doit démontrer qu'il ne pratique pas de travail dissimulé et qu'il n'emploie pas de salarié non autorisé. Il me semble compliqué de fournir des preuves négatives ! Je ne vois pas très bien comment cela va se passer. Personne ne reconnaîtra franchement qu'il s'adonne à de telles pratiques.

L'amendement n° 133 est un amendement de précision, qui tend à compléter le texte de l'article par la mention : « Le professionnel vérifie par tout moyen les conditions d'acquisition du véhicule utilisé lors de l'entrée en relation. » En effet, il est apparu qu'un certain nombre de personnes avaient acquis des véhicules de grosse cylindrée en totale disproportion avec leurs facultés contributives.

Si vous me le permettez, madame la présidente, je défendrai en même temps l'amendement n° 134.

Mme la présidente. J'appelle donc en discussion l'amendement n° 134, présenté par Mme N. Goulet, et ainsi libellé :

Alinéa 15

Après les mots :

s'assure

insérer le mot :

périodiquement

Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Mme Nathalie Goulet. Puisque le texte prévoit des vérifications, je propose d'ajouter qu'elles ont lieu « périodiquement ».

En effet, il ne suffit pas de vérifier une seule fois, lors de l'entrée en relation, puis plus du tout. Il peut y avoir des changements de situation.

Que les organismes chargés de lutter contre la fraude exercent un contrôle de façon périodique est d'ailleurs ce que prévoit le code de la sécurité sociale, notamment à l'article L. 114-10-2.

Je vous propose d'adopter la même rédaction au sein de l'article 8 du projet de loi.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission de l'aménagement du territoire ?

M. Alain Duffourg, rapporteur pour avis. Je connais l'engagement de Nathalie Goulet dans la lutte contre la fraude fiscale et sociale.

Cependant, l'amendement n° 133, qui tend à ce que l'une des parties contrôle l'origine du véhicule d'un chauffeur, ne me paraît pas opportun, car ce n'est pas le rôle d'une société. Il s'agit de relations de droit privé !

Je crois qu'il appartient à l'administration, aux services de police, de justice et des Urssaf de vérifier le rôle de ces chauffeurs et l'usage qu'ils peuvent faire des véhicules dont ils disposent.

Par conséquent, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.

En revanche, je suis favorable à l'amendement n° 134.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. L'amendement n° 133 a pour objet de demander aux plateformes de vérifier la provenance des fonds.

Je suis défavorable à cet amendement, qui n'est pas qu'un amendement de précision : ce n'est pas le rôle des plateformes de mise en relation que de vérifier la provenance des fonds ou les conditions d'acquisition des biens.

Pour ce qui concerne l'amendement n° 134, la rédaction actuelle du projet de loi prévoit de renvoyer à un décret en Conseil d'État le soin de s'assurer que les exploitants sollicités par les plateformes ne pratiquent pas de travail dissimulé.

Vous voulez, madame la sénatrice, conditionner la fréquence et les modalités de vérification à opérer pour les plateformes ; or ces dernières sont déjà incluses dans le champ du décret. Il ne nous semble donc pas nécessaire d'ajouter au texte le principe de périodicité.

En conséquence, le Gouvernement sollicite le retrait de l'amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.

M. Olivier Jacquin. Nous voterons en faveur de ces deux amendements, qui permettent de renforcer les contrôles contre la fraude.

Je profite de l'occasion pour saluer ma collègue Nathalie Goulet, dont le regard, en ce domaine, est extrêmement acéré, vif et pertinent. Je l'invite à aller plus loin dans la surveillance de la « plateformisation », qui est vraiment très avancée en matière de fraude.

Je regrette d'ailleurs que l'amendement très judicieux qu'elle a présenté hier soir, relatif à la transmission par les plateformes des données en matière de TVA sur les services à la personne, n'ait pas été adopté, car l'« ubérisation » est en train de gagner des domaines insoupçonnés, y compris celui de la santé – je pense à Mediflash, petite plateforme qui propose des infirmières ayant le statut d'auto-entrepreneur.

La plateformisation va très loin, des coiffeurs aux guides touristiques. Il est vraiment nécessaire d'effectuer des contrôles.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Fichet. Ces amendements sont importants, car ils démontrent bien que ces plateformes n'ont pas de forme. Elles n'existent pas. Elles n'ont pas de responsabilités, ne répondent de rien, ne sont pas des employeurs. Pourtant s'agite autour d'elles tout un monde du travail, souvent en grande précarité et ne pouvant se défendre à aucun moment.

Ces amendements présentent au moins l'avantage de responsabiliser un tant soit peu ces plateformes. Qu'elles se cachent derrière des algorithmes finit par devenir assez incompréhensible, pour ne pas dire insupportable… Aujourd'hui, même les prud'hommes ne peuvent interroger les algorithmes sur la manière dont ils fonctionnent pour organiser le travail des salariés des plateformes de type Uber.

Par conséquent, nous soutiendrons bien évidemment ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Il convient d'avancer dans le vocabulaire.

Décidons-nous d'acter que les plateformes dont nous parlons sont des plateformes de mise en relation ? Pour ma part, je m'insurge contre l'emploi de ce terme : ce sont des plateformes numériques de travail.

L'amendement de Mme Goulet ne se situe pas sur le terrain des plateformes de mise en relation, qui peuvent, d'ailleurs, être collaboratives, associatives ou autres. Il existe d'autres types de plateformisation. Ici, nous parlons vraiment de plateformes numériques du travail.

Si nous pouvons avoir des désaccords dans l'analyse, soyons au moins respectueux des termes. C'est bien parce qu'il ne s'agit pas de plateformes de mise en relation que l'outil de travail, indispensable, qu'est le véhicule doit être vérifié.

Nous voterons ces amendements.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 133.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 134.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 41 rectifié ter, présenté par Mme Antoine, M. Pillefer, Mme Billon, MM. Brault, Canévet, Chasseing et Courtial, Mme L. Darcos, MM. Delahaye, Dhersin, Haye, Hingray et Houpert, Mmes Jacquemet et Josende, MM. Kern et Khalifé, Mme Lermytte, MM. Menonville et Mizzon, Mmes Patru et Perrot, M. Rochette et Mmes Romagny, Saint-Pé et Sollogoub, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 18

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Art. L. 3141-2-.... – Le professionnel mentionné à l'article L. 3141-1 s'assure de l'absence d'incohérence manifeste entre le chiffre d'affaires généré par chaque conducteur, qu'il met en relation avec des passagers, le salaire qu'il reçoit de la part de l'exploitant mentionné à l'article L. 3141-1 et les heures déclarées. » ;

La parole est à Mme Jocelyne Antoine.

Mme Jocelyne Antoine. Le présent amendement vise à renforcer la lutte contre la fraude sociale, particulièrement en ce qui concerne les risques avérés de sous-déclaration des revenus des chauffeurs salariés, notamment par le biais de versements complémentaires non déclarés – espèces, cagnottes en ligne, comptes à l'étranger.

Les plateformes disposent d'une vision globale de l'activité des chauffeurs. Elles connaissent leur chiffre d'affaires. Elles connaissent également, pour tenir ces données des exploitants, le nombre d'heures déclarées et le salaire versé. Elles peuvent donc détecter les incohérences manifestes.