M. Pascal Savoldelli. Je partage les arguments qui viennent d'être exposés par mes collègues Jean-Luc Fichet et Raymonde Poncet Monge.
Cet article, comme d'autres, ne justifie d'ailleurs pas le « et » entre fraudes sociales et fraudes fiscales, qui figure dans l'intitulé du projet de loi.
Si nous avons bien compris le dispositif proposé, il s'agit d'instaurer une surveillance de masse systématique et uniforme de l'adresse IP de tous les allocataires de l'assurance chômage. Quel autre corps social accepterait un tel dispositif ? D'ailleurs, qui pourrait accepter cela ? Voilà un sujet qui relève non pas du social, mais de la protection des libertés.
Je vous le dis franchement, à mon sens, la transformation de l'État social à laquelle nous assistons ne correspond ni à l'esprit républicain ni à nos valeurs d'égalité et de fraternité. Dans ce projet de loi, la misère devient suspecte et il en est alors de même pour l'allocataire, et ce systématiquement. Permettre l'accès aux données IP, c'est entrer dans une autre société.
Il me semble qu'il convient de disposer d'un avis éclairé de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Si vous me prouvez que ce n'est pas nécessaire, je m'inclinerai. L'avez-vous saisie ? Il importe en effet d'évaluer les dispositifs avant de les mettre en place. La Cnil a-t-elle donc donné son accord à ce dispositif, à l'aune du respect des libertés ?
J'avoue être effaré par ce texte.
Il est nécessaire de combattre la fraude. C'est là une évidence qui nous rassemble. Cependant, je ne suis pas sûr que cette atteinte aux libertés de chacun et l'instauration de ce climat de suspicion s'inscrivent dans la continuité des valeurs républicaines de notre pays, la France.
Cela évoque une noirceur et des époques historiques que je n'ai pas envie de revivre (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.). On doute de celui qui ne travaille pas, de celui qui ne peut plus travailler. On instaure une méfiance généralisée.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. La commission émet évidemment un avis défavorable sur ces amendements identiques, puisque c'est elle qui a introduit cet article dans le texte. Nous assumons cette décision.
Rappelons d'abord que la fraude à l'assurance chômage représente 136 millions d'euros. Le premier motif de fraude, que les représentants de France Travail ont évoqué lors de leur audition, est la fraude à la condition de résidence. Il faut également évoquer la difficulté de recouvrement.
Ce qui nous importe, comme nous l'avons indiqué lors de la discussion générale, c'est de ne pas placer les administrations et les agences de l'État face à des injonctions paradoxales. Nous demandons aux agences de l'État de recouvrer les sommes dues. Nous leur demandons presque de nous fournir des évaluations chiffrées pour savoir combien il est possible d'inscrire, à ce titre, en recettes dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cependant, en contrepartie, nous ne leur donnons pas les moyens de procéder au recouvrement et de mener ce travail de détection de la fraude.
Un certain nombre d'établissements et d'agences se sont pourtant pourvus d'outils et de services de lutte contre la fraude. L'agence France Travail s'est ainsi dotée de tels outils et d'une cellule de lutte contre la fraude, parce que nous lui avons demandé de le faire à plusieurs reprises et parce que cela figure dans la convention Unédic. Il s'agissait donc d'une demande des partenaires sociaux. C'est une très bonne chose et nous devons encourager France Travail en la matière, au même titre que tous les autres opérateurs.
Il faut exhorter tout le monde à faire de même : France Travail, France Compétences, toutes les agences, mais aussi les départements, qui doivent mettre en place des cellules de lutte contre la fraude au RSA. La lutte contre la fraude sociale et contre la fraude fiscale constitue un véritable enjeu.
France Travail nous demande justement de lui fournir des outils pour pouvoir exercer de tels contrôles. C'est bien ce que faisons-nous au travers de l'article 28.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Le Gouvernement remercie la commission des affaires sociales de soutenir son action en matière de lutte contre la fraude et de veiller à ce que France Travail dispose de tous les outils pour remplir sa mission. Celle-ci est importante, nous l'avons dit : il s'agit de récupérer l'argent qui nous manque pour assurer l'équilibre de nos comptes.
Pour autant, nous constatons qu'il y a un débat sur le caractère licite, ou non, de l'accès aux données qui est prévu. Faute d'avoir eu le temps d'étudier dans le détail cet article, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat sur ces amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. La Cnil n'a donc pas été consultée ! Il ne s'agit pourtant pas d'une simple formalité. Ce n'est pas peanuts !
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Nous n'avons eu que trois semaines pour examiner le texte !
M. Pascal Savoldelli. Si vous voulez dire que ce projet de loi est mal écrit et qu'il entretient la confusion entre fraude fiscale et fraude sociale, c'est certain ! Chacun doit désormais assumer ses positions.
Je ne savais pas que la commission était favorable à l'instauration d'un « scoring social » à la chinoise, car c'est bien vers cela que l'on se dirige.
Dès lors que l'on systématisera le relevé des adresses IP, nous aurons l'impression de vivre non plus en France, mais en Chine ! Là-bas, tous les comportements sont notés, contrôlés, sanctionnés. Est-ce votre modèle ? (Mme le rapporteur sourit.) Vous pouvez sourire, madame le rapporteur : pour ma part, je ne trouve pas cela drôle, parce que je n'ai pas envie de vivre dans une telle société !
Vous vous réjouissez, par ailleurs, que l'on se dote de nouveaux outils, alors que nous devrions être très prudents en matière d'usage des algorithmes. Leurs marges d'erreur sont de 2 %. Si nous entrons dans cette société panoptique de contrôle total, avec de tels taux d'erreur, qui peuvent aller jusqu'à 5 %, ce seront entre un et trois millions de Français qui seront concernés, parce que les algorithmes fonctionnent selon des biais discriminants.
Il s'agit donc non pas de s'opposer au progrès et aux nouvelles technologies, mais de s'assurer qu'il y ait un vrai contrôle humain. Pour l'instant, nous n'avons aucune garantie à cet égard.
Finalement, cette discussion me rappelle celle que nous avons eue sur la santé. Les termes du débat sont les mêmes et ce sont eux qui nous posent problème.
Nul ici n'est pour la fraude ! Évitons d'avoir ces débats manichéens inutiles entre nous.
Toutefois, je vous le dis très sincèrement – mais j'ai peut-être tort –, ce texte constitue l'amorce d'une société liberticide. Nous devons faire très attention, car il suscitera des réactions. Lorsque l'on témoigne d'un soupçon aussi exagéré envers ceux qui sont en difficulté, il ne faut pas s'étonner que la défiance progresse !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, madame la ministre, je vous ai demandé tout à l'heure un rapport sur le répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l'assurance maladie (Rniam) et sur le problème de la violation de la condition de résidence, y compris par les dizaines de milliers de personnes domiciliées « chez » un tiers de façon abusive et dont il faudrait vérifier la situation.
Le code de la sécurité sociale comporte déjà des dispositions sur le contrôle de résidence.
Monsieur le ministre, lors de l'examen d'un précédent amendement et dans la perspective de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, je vous ai demandé de nous donner le nombre de contrôles réalisés sur le fondement de ces dispositions. Ce serait une bonne pratique.
Je considère que nous devons fournir des outils de contrôle aux organismes si l'on veut lutter contre la fraude. Pour autant, nous devons, au préalable, disposer de l'évaluation de ce qui a été fait.
Commençons par comprendre pourquoi entre 250 000 et 500 000 personnes sur le territoire bénéficient de droits, alors qu'elles ne satisfont plus à la condition de résidence. Tant que vous ne répondrez pas à cette question et que vous n'utilisez pas les dispositifs qui figurent déjà dans le code de la sécurité sociale, il n'est pas utile de prévoir des moyens aussi intrusifs.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Parlons chiffres.
Le montant des fraudes à l'assurance chômage s'élève à 136 millions d'euros. Des outils permettent déjà de les détecter.
Reste que les prestations versées au titre de l'assurance chômage s'élèvent à 34 milliards d'euros. La fraude représente donc 0,3 % de ce montant. Certes, il faut en tenir compte, mais cela justifie-t-il l'instauration d'une surveillance généralisée ? Telle est la question. Tout est affaire de proportionnalité. Il existe déjà, j'y insiste, des moyens pour effectuer le contrôle de résidence.
Vous voulez donner aux opérateurs des outils de lutte contre la fraude, sans vous demander si ces derniers ne sont pas privatifs des libertés fondamentales. Pourtant, aucun outil n'est neutre ! La Chine s'est dotée d'outils, mais cela a des conséquences.
Le problème est que nous vivons dans une société de plus en plus illibérale. Chacun connaît les risques qui pèsent sur notre pays et qui pourraient se réaliser dans un avenir proche. Voilà pourtant que vous offrez aux partisans d'une société illibérale des outils de surveillance généralisée. Il est à craindre d'ailleurs qu'ils serviront plutôt à mettre en œuvre une surveillance très ciblée ; nous savons comment cela fonctionne.
Les outils actuels sont suffisants. Ce n'est pas parce que l'on refuse les outils privatifs de liberté que l'on est contre la lutte contre la fraude. Tout à l'heure, nous parlions de dialectique, mais il y a des raccourcis qui posent problème !
Non, nous ne voulons pas de n'importe quels outils. Les outils ne sont pas neutres. Leur usage doit s'inscrire dans une société régie par un État de droit.
Ne méprisez pas les avis de la Cnil, du Conseil d'État et de la Défenseure des droits, au nom de la nécessité de donner des outils, quels qu'ils soient, à France Travail. Est-ce véritablement l'opérateur qui demande ces outils ? Je ne le sais pas. En tout cas, cela m'étonnerait que les organisations syndicales les réclament.
Nous sommes absolument contre le développement de cette surveillance qui tend à se généraliser.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Ces amendements visent l'article 28, relatif au droit d'information de France Travail et à la possibilité de suspension conservatoire des allocations versées dans le cas d'un doute sérieux de fraude.
Ce matin, en commission des finances, nous avons examiné les crédits de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux ». France Travail, qui emploie 50 000 agents, est un opérateur très important de l'État.
Comme les rapporteurs de la commission des affaires sociales l'ont indiqué, dans ce débat comme dans leur rapport, qui, comme toujours, est d'une grande qualité, le montant total des fraudes à l'assurance chômage détectées s'élève à 136 millions d'euros.
Dans le détail, les chiffres sont les suivants : 56 millions d'euros pour les fraudes à la résidence ou le travail à l'étranger non déclarés, 20 millions d'euros pour les reprises d'activité non déclarée, 22,4 millions d'euros pour les usurpations d'identité, 7 millions d'euros en raison de l'usage de faux documents.
Tous les amendements sont légitimes, c'est ce qui fait la richesse des débats parlementaires.
Sur ces amendements identiques, ainsi que sur l'article 28, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires suivront l'avis de la commission.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 100, 118 et 238 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 297 rectifié, présenté par Mme Puissat et M. Henno, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 6
Remplacer la référence :
article 47
par la référence :
article 49
II. – Alinéa 11
Remplacer les mots :
l'allocation est suspendue
par les mots :
le paiement de l'allocation est suspendu
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. C'est un amendement de sécurisation juridique.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Avant d'entamer l'examen de l'article suivant, je tiens à préciser la position du Gouvernement sur l'amendement n° 259 rectifié, qui a été déposé sur l'article 24 bis, dont l'examen a été un peu rapide.
Le Gouvernement était favorable à cet amendement. Sans entrer dans le détail de l'argumentation, j'indique toutefois que son avis est guidé par l'analyse du cadre constitutionnel.
Je m'engage, par ailleurs, à tenir Mme la rapporteure informée de la poursuite de notre travail et à proposer des actions concertées et soutenues par l'ensemble des acteurs chargées de l'accompagnement des bénéficiaires du RSA.
Je me devais d'apporter ces précisions.
M. Laurent Somon. Cet amendement a été retiré !
Article 29 (nouveau)
Après l'article L. 114-12-3-1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 114-12-3-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 114-12-3-2 – Lorsque les agents chargés du contrôle mentionnés aux articles L. 114-10 et L. 243-7 et à l'article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime réunissent plusieurs indices sérieux de manœuvres frauduleuses, de manquement délibéré à ses obligations ou de commission d'infractions de la part d'un bénéficiaire d'une aide, prestation ou allocation, le directeur de l'organisme auquel ils appartiennent peut procéder à la suspension conservatoire de tous paiements au titre de ladite aide, prestation ou allocation.
« Cette décision motivée est immédiatement notifiée à l'intéressé. Elle précise les voies et délais de recours, ainsi que la possibilité pour l'intéressé de présenter, lors d'un débat contradictoire tenu à sa demande, dans un délai de deux semaines à compter de ladite notification, des éléments de nature à rétablir le versement de l'allocation.
« La durée de la mesure de suspension ne peut excéder deux mois à compter de sa notification.
« Un décret en Conseil d'État détermine les modalités d'application du présent article, et notamment les garanties de respect du contradictoire dont dispose le bénéficiaire dont l'allocation est suspendue. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 99 est présenté par M. Fichet, Mme Canalès, MM. Lurel, Jacquin et Kanner, Mmes Le Houerou, Conconne et Féret, M. Jomier, Mmes Lubin, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L'amendement n° 119 est présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marion Canalès, pour présenter l'amendement n° 99.
Mme Marion Canalès. Cet article, introduit en commission, permettrait aux organismes de sécurité sociale de suspendre à titre conservatoire le versement d'aides, d'allocations et de prestations, lorsqu'un doute sérieux de fraude est constaté.
Nous retrouvons le principe qui sous-tend l'article 17 ter, également introduit en commission, qui vise à suspendre le tiers payant, lorsque l'allocataire fraudeur a déjà été sanctionné, mais avec cet article, cela va encore plus loin : la suspension interviendrait à titre conservatoire, alors qu'il y a simplement un doute sérieux de fraude. Le doute ne profite donc pas à la personne concernée.
Évidemment, la fraude doit être combattue avec fermeté – nous partageons tout cet objectif –, mais elle doit aussi l'être avec discernement. Toutefois, nous voyons se dessiner une logique de suspicion généralisée – nous en avons parlé.
Les dispositifs de contrôle et de recouvrement existent déjà pour sanctionner les fraudes avérées. Il nous semble donc inutile d'ajouter une mesure qui fragilise encore davantage les allocataires.
Suspendre immédiatement le versement d'une aide sociale, même pour deux mois, peut avoir des conséquences graves. Cette mesure ne prévoit, à notre sens, aucune garantie ; elle s'inscrit dans une logique extrêmement punitive, d'autant qu'elle concerne un fraudeur potentiel et non un fraudeur avéré.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l'amendement n° 119.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le ministre, vous avez tout à l'heure défendu le principe selon lequel, tant que les faits n'étaient pas établis, la présomption de fraude ne pouvait entraîner d'effets.
En l'espèce, il serait bon d'appliquer ce principe. Le dispositif proposé à des effets qui paraissent à la fois disproportionnés et porteurs d'un risque d'arbitraire, sans que son efficacité en matière de lutte contre la fraude soit clairement établie ou démontrée.
La formulation retenue permet une appréciation subjective de la fraude. En effet, un doute étayé par des indices pourrait conduire à une suspension. Par conséquent, une présomption de fraude vaudrait suspension. Cela ouvre la voie à un contrôle préventif sur la jouissance de droits, ce qui est incompatible avec le principe de présomption d'innocence, que vous nous avez à juste titre souvent opposé, comme avec les garanties fondamentales.
De plus, la mesure s'appliquerait à tout paiement afférent à l'aide, à la prestation ou à l'allocation. Cette suspension peut donc concerner l'intégralité des ressources d'un ménage, même les allocataires qui dépendent fortement, voire exclusivement, de ces versements pour subvenir à leurs besoins. Il est manifeste que ce sont les ménages les plus précaires qui risquent de subir les conséquences les plus lourdes de cette mesure.
Enfin, bien qu'une notification à la personne intéressée soit prévue, le dispositif présente un calendrier extrêmement contraignant. Pendant cette suspension, l'allocataire peut très vite se retrouver sans ressources.
En définitive, cet article instaure un pouvoir de suspension conservatoire, ce qui est nouveau, qui fragilise les droits fondamentaux des allocataires, en particulier ceux qui sont en situation de vulnérabilité, et ce, sur le fondement d'indices et non d'une condamnation. Quand il s'agit d'aides sociales ou d'allocations visant à lutter contre la pauvreté et les inégalités, le champ des mesures conservatoires de suspension ne peut pas être élargi. Le maintien d'un minimum d'existence doit être garanti.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Ces amendements reviennent sur l'apport de la commission qui vise à permettre aux organismes de sécurité sociale, pour les cas les plus graves ou manifestes, de suspendre, à titre conservatoire, le versement de prestations dans l'attente de la fin de l'enquête administrative.
Je rappelle qu'en la matière, et cela nous a été confirmé par toutes les agences et tous les services de l'État, la vitesse d'exécution est primordiale pour éviter de voir les fraudeurs disparaître et pour mieux recouvrer les sommes dues.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Stéphanie Rist, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur ces amendements identiques.
En effet, des possibilités de suspension à titre conservatoire existent déjà dans le droit positif.
Les caisses de sécurité sociale peuvent user de cette possibilité en cas de suspicion de fraude. La loi autorise alors à suspendre tout versement jusqu'à la production des éléments demandés, puis à supprimer définitivement les droits si ceux-ci ne paraissent pas établis.
M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, pour explication de vote.
Mme Marion Canalès. Nous avons déjà débattu de ce sujet en commission et je remercie la rapporteure de son écoute.
Depuis le début de l'examen de ce texte, j'essaye de m'appuyer sur l'étude d'impact, seule à même de nous permettre de mesurer l'effet de telle ou telle mesure. Pour ce dispositif, ce n'est pas possible, puisque cet article a été introduit en commission.
Madame le rapporteur, à quoi pensez-vous quand vous évoquez les cas les plus graves ou manifestes ? Combien de cas seraient concernés ? Nous avons vraiment très peu d'explications.
C'est la raison pour laquelle nous maintenons notre amendement de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame le rapporteur, nous parlons d'une mesure conservatoire, préventive, visant à suspendre des aides ou allocations sociales en l'absence de fait avéré. Il ne s'agit donc pas d'une question de vitesse de réaction après la découverte d'une fraude ! Je ne sais pas si vous mesurez bien la portée de cet article.
Il n'existe aucun autre dispositif équivalent pour les entreprises ! Rien ne vise à suspendre, de manière conservatoire, sur le fondement d'« indices sérieux », sans que l'on sache exactement de quoi il s'agit, les exonérations de cotisations sociales ou les subventions – ces fameux 211 milliards d'euros d'aides publiques – dont elles bénéficient !
Avec cet article, je le redis, il s'agit donc non pas une réaction à un fait ou à une condamnation, c'est ce n'est rien d'autre qu'une mesure conservatoire, c'est-à-dire préventive.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 99 et 119.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 298, présenté par M. Henno et Mme Puissat, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
l'allocation est suspendue
par les mots :
le paiement de l'allocation est suspendu
La parole est à Mme le rapporteur.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Stéphanie Rist, ministre. Par cohérence avec sa position sur l'article 29, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 29, modifié.
(L'article 29 est adopté.)
Après l'article 29
M. le président. L'amendement n° 243 rectifié bis, présenté par Mmes Silvani, Apourceau-Poly et Brulin, MM. Barros, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :
Après l'article 29
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 114-9 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 114-9-... ainsi rédigé :
« Art. L. 114-9-.... – I. – Les organismes chargés de la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale et l'opérateur mentionné à l'article L. 5312-1 du code du travail veillent à la prévention des erreurs déclaratives et à l'accompagnement des usagers dans leurs démarches.
« II. – Lorsqu'un manquement constaté dans une déclaration ou une omission résulte d'une erreur de bonne foi, l'organisme concerné procède d'abord à une correction amiable et à un rappel d'information avant toute procédure de sanction ou de recouvrement.
« III. – L'erreur de bonne foi est présumée lorsque le bénéficiaire justifie :
« 1° Avoir signalé spontanément une erreur ou fourni les documents manquants dans un délai raisonnable ;
« 2° Ou avoir été confronté à une complexité administrative ou à une information contradictoire dans ses échanges avec l'administration.
« IV. – Chaque organisme met en place un dispositif de médiation interne chargé d'examiner les contestations relatives à la qualification d'erreur ou de fraude avant la transmission au parquet ou l'application de sanctions financières.
« V. – Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article, notamment les critères permettant de distinguer l'erreur de bonne foi de la fraude délibérée. »
La parole est à Mme Silvana Silvani.
Mme Silvana Silvani. Dans ce projet de loi, il manque une dimension préventive.
Ce texte privilégie une approche essentiellement punitive – suspension, sanction automatique, interconnexion de fichiers – sans prise en compte de la bonne foi des allocataires, alors même que la confusion entre erreur et fraude conduit à des suspensions injustifiées de prestations, qui aggravent la précarité et minent la confiance envers les services publics.
Par cet amendement, il s'agit de réintroduire de l'humanité dans un système qui peut, aujourd'hui, broyer les plus vulnérables.
Les erreurs de bonne foi, déclenchées par la complexité des procédures ou des informations contradictoires, sont sanctionnées de la même manière que les fraudes délibérées. En 2024, 3 000 allocataires ont été saisis à tort pour des erreurs de déclaration. Un allocataire sur trois renonce à ses droits par peur des contrôles ou du fait de la complexité administrative.
Enfin, les révélations récentes sur les dérives des algorithmes dans les caisses d'allocations familiales et l'essor du contrôle algorithmique à France Travail montrent que nous sommes en train de basculer dans une société de la défiance, où la machine décide à la place de l'humain, souvent sans recours possible.
Nous proposons un autre choix : rétablir la présomption d'innocence, instaurer un droit à l'erreur et placer l'accompagnement avant la sanction.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Cet amendement vise à instaurer un devoir d'accompagnement déclaratif des assurés des organismes de sécurité sociale.
Il existe déjà de nombreux dispositifs en la matière – peut-être ne sont-ils pas suffisants, mais ce n'est pas l'objet de ce projet de loi.
C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement, qui lui paraît satisfait.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 243 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 172 rectifié, présenté par MM. Sol et Milon, Mme Micouleau, M. J.B. Blanc, Mme Malet, MM. Anglars et Chatillon, Mme M. Mercier, M. Panunzi, Mme Dumont, MM. Daubresse et Naturel, Mmes Richer et Lassarade, MM. Hugonet et Sido, Mme Petrus, MM. Khalifé, Brisson et H. Leroy, Mme Aeschlimann, MM. Somon, Burgoa et Houpert, Mmes P. Martin et Imbert et MM. Belin, Delia et Meignen, est ainsi libellé :
Après l'article 29
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le III de l'article L. 133-4 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa est ainsi modifié :
a) Après les mots : « ou à l'établissement » , sont insérés les mots : « par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception » ;
b) Sont ajoutés les mots : « dans un délai de deux mois » ;
2° Au début du cinquième alinéa, sont insérés les mots : « À l'issue du délai de deux mois susmentionné et ».
La parole est à M. Laurent Somon.


